Introduction au titre II
p. 627-628
Texte intégral
11705. La simple survenance d’une pollution majeure résultant du transport maritime suffit bien souvent à révéler l’existence de « comportements maritimes à risque ». Parce que de tels agissements ne sauraient restés impunis, ils appellent en eux-mêmes une réaction, et plus encore une sanction. Au sens étroit, la sanction est la peine prononcée par le juge pénal en direction du sujet coupable1. L’idée de sanction est donc intrinsèquement liée au droit pénal. Sanctionner dans l’intérêt général certains comportements dangereux pour l’ordre public, telle est la fonction première du droit pénal. Aussi la contester reviendrait à remettre en cause le droit pénal lui-même2. Cette fonction intrinsèque est clairement mise en exergue par la doctrine qui oppose « l’impératif pénal de sanction » à « l’impératif civil de réparation »3.
21706. Pourtant pour traditionnelle qu’elle soit, cette dissociation de la peine et de l’indemnisation par la distinction de la responsabilité civile et pénale ne saurait prétendre refléter la stricte réalité des choses. Car à bien y regarder, il existerait une « interpénétration des fonctions respectives des responsabilités civiles et pénales »4. Ainsi, si la responsabilité civile a traditionnellement pour fonction l’indemnisation, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ait renoncé à toute idée de sanction des comportements répréhensibles. La responsabilité civile demeure imprégnée d’objectifs répressifs. Et, du reste, cela est heureux. Car pour que le droit pénal parvienne à remplacer complètement la responsabilité civile, il faudrait que les incriminations pénales soient considérablement élargies. Or, précisément ce qui caractérise la responsabilité civile et lui permet de jouer un rôle dissuasif efficace, c’est la souplesse de la définition du fait générateur. Il ne paraît pas d’ailleurs souhaitable de créer en toute matière des incriminations à contenu indéfiniment extensible ; cela reviendrait à abolir le principe si essentiel pour les libertés individuelles de la « légalité des délits et des peines »5. Aussi, est-il nécessaire dans les hypothèses où la responsabilité pénale est défaillante, et sous réserve de l’existence de dommages, que la responsabilité civile prenne le relais, afin d’éviter une totale impunité de l’auteur des dommages. Dès lors ces deux catégories de responsabilité sont nécessairement appelées à s’épauler, à se compléter lorsqu’il s’agit de punir. La consécration de la responsabilité civile dans une fonction de peine privée doit permettre de combler certaines lacunes du droit pénal. Pour jouer ce rôle de peine privée, la responsabilité civile et son indispensable corollaire, à savoir l’assurance, peuvent compter sur des mécanismes qui leur sont propres.
31707. Maintenant, partant du constat qu’au sens large la sanction est toute mesure, même réparatrice justifiée par la violation d’une obligation6, peut-on tolérer que, selon un certain parallélisme, le droit pénal, sortant de son strict cadre répressif, soit de plus en plus mû par des arrière-pensées indemnitaires au point de se dénaturer. Ce risque est loin d’être négligeable dans la mesure où le juge répressif est déjà admis, dans le cadre de l’action publique, à statuer sur la réparation lorsque le dommage trouve son origine dans une infraction. Ne faut-il pas alors craindre que les juridictions répressives choisissent, si ce n’est systématiquement, du moins ponctuellement, de privilégier une approche indemnitaire au détriment des préoccupations proprement répressives de la responsabilité pénale ? Cette dérive est d’autant plus à craindre, lorsque les victimes à l’instar de celles de pollutions maritimes peinent à obtenir une réparation satisfaisante de leur préjudice par le biais du système conventionnel ad hoc. Plus qu’un facteur de progrès, nous pensons qu’une telle initiative est dangereuse, parce qu’elle pourrait conduire à une profonde perversion du droit pénal.
41708. Si l’idée d’une indispensable complémentarité des fonctions punitives des responsabilités civile et pénale doit être défendue, encore convient-il de se demander comment chacune d’elle est appelée à évoluer dans ce rôle en présence de pollutions maritimes. S’il apparaît nécessaire de recentrer la responsabilité pénale sur sa traditionnelle fonction punitive (Chapitre I), la responsabilité civile quant à elle, pourrait être appelée à se redéployer dans cette même fonction (Chapitre II).
Notes de bas de page
1 PRADEL (J.), Droit pénal général, Cujas, 14ème éd., 2002/ 2003, spéc. n° 548.
2 DESPORTES (F.), et LE GUNEHEC (F.), Le nouveau droit pénal, Tome 1, Droit pénal général, Economica, coll. « Droit pénal », Série enseignement et pratique, 7ème éd. 2003 n° 48.
3 LAMBERT-FAIVRE (Y.), L’éthique de la responsabilité, précit., p. 5
4 VINEY (G.), La responsabilité vocabulaire fondamental du droit, A.P.D, Vocabulaire du Droit, t.35, 1990, p. 275, spéc. p. 283. Un rapprochement pourrait aussi être fait s'agissant de la procédure, v. en ce sens VERGES (E.), Procès civil, procès pénal : différents et pourtant si semblables, D. 2007, p. 1441.
5 VINEY (G.), Traité de droit civil, sous la direction de J. GHESTIN, Introduction à la responsabilité civile, précit., p. 125.
6 PRADEL (J.), Droit pénal général, Cujas, 12 éd. 1999, spéc. n° 548.
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