Introduction à la seconde partie
p. 455-456
Texte intégral
« We make guilty of our disasters the sun, the moon and the stars, as if we were villains by necessity, knaves, thieves and treachers by spherical predominance, drunkards, liars and adulterers by an enforced obedience of planetery influence ».
W. SHAKESPEARE
(King Lear, Act 1 Scene 2)
11203. La construction d’un système d’indemnisation rénové en matière de pollutions maritimes ne peut s’envisager qu’en dehors de la responsabilité civile largement moins efficiente que les mécanismes collectifs d’indemnisation dans une fonction indemnitaire. Pratiquement cela pourrait consister à mettre à la charge du FIPOL non plus une obligation subsidiaire mais une obligation principale de réparation des dommages subis par les victimes de pollutions maritimes. Toutefois, certes évincée, pour les besoins de la construction d’un régime d’indemnisation garantie, la responsabilité civile s’en trouverait-elle pour autant condamnée ?
21204. Loin s’en faut. Considérer que l’indemnisation puisse à elle seule remplacer la responsabilité serait régressif. En effet, « réparer un dommage sans l’expliquer n’est pas rendre responsable mais indemniser »1. D’ailleurs, la disparition de la responsabilité est-elle seulement envisageable ? Ainsi que le constate le Pr Ph. Brun2, « pour malade qu’elle puisse être, la responsabilité n’en a pas moins un avantage que nous lui envions, consubstantielle à l’idée de justice, elle ne peut mourir ».
31205. Sacrifiée dans sa fonction indemnitaire, la responsabilité pourrait trouver matière à se renforcer dans sa fonction normative. En d’autres termes, constate le Pr G. Viney, il s’agirait, pour « la responsabilité de regagner sur un autre front, le terrain qu’elle a cédé ailleurs »3 ? Partant de l’idée que la responsabilité n’est plus nécessaire à la satisfaction du besoin de réparation, il s’agirait d’admettre qu’elle puisse servir d’autres besoins ou encore assumer d’autres fonctions, au premier rang desquelles se trouverait la régulation des comportements. La responsabilité n’a-t-elle pas été, en effet, présentée depuis longtemps comme le « plus parfait régulateur des actions humaines4 ». De cela on ne saurait s’étonner puisque la responsabilité n’est rien d’ autre qu’une forme de relation ?, qu’ une forme de préoccupation ou de souci de ses actes dans leurs effets sur les autres, ou une sanction de cette absence de préoccupation 5.
41206. Le concept de régulation dans une acception juridique appelle un effort particulier de définition. Il faut y voir « l’action de maîtriser dans le temps l’importance quantitative d’un phénomène en soumettant son développement à des normes »6. Les fautes, transgression de normes, paraissent donc pouvoir agir comme des « mécanismes de régulation »7 des comportements à part entière. Elles permettent de replacer au premier rang de la scène les interrogations relatives au rôle du ou des responsables dans la survenance de la catastrophe. En d’autres termes, il s’agit de reconnaître là que l’éviction du jugement juridique au profit d’un traitement purement conventionnel de la réparation n’est pas souhaitable ni même concevable lorsqu’une faute a été commise »8.
51207. Si les victimes aspirent à une indemnisation intégrale de leurs dommages, « elles veulent aussi comprendre »9. Ainsi, elles répugnent à envisager la réparation en « dehors de la désignation d’un responsable qui ne lui apparaît tel, qu’en tant que l’auteur d’une faute »10. Certes, il est des configurations qui compliquent la recherche de cette faute. Tel est précisément l’hypothèse en matière de pollutions maritimes accidentelles. En effet, la chaîne du transport conduit à une segmentation toujours plus poussée et donc à une nécessaire dilution des responsabilités condamnant irrémédiablement la responsabilité individuelle au « déclin »11, et la faute au dépérissement.
61208. Il n’en demeure pas moins vrai que même dans un tel cadre il est impératif de stigmatiser les comportements à risques, en l’occurrence pour nous ceux des opérateurs du transport maritime. Or un tel objectif pourrait passer par une résurgence de la responsabilité aquilienne et un perfectionnement de sa fonction normative (Titre I). C’est déjà admettre ce faisant que la pertinence de notre « système » ne saurait se mesurer à l’aune de la seule qualité des dédommagements qu’il est susceptible d’offrir à la victime. Mais il y a aussi tout lieu de penser que pour pouvoir jouer un rôle encore plus incitatif en matière de sécurité, ce régime de responsabilité devra satisfaire un autre objectif, celui de sanction des comportements maritimes à risques ; ledit objectif pourrait passer par une nécessaire complémentarité des fonctions punitives des responsabilités civile et pénale (Titre II).
Notes de bas de page
1 BRAMAT (E.), L’obligation de sécurité, Thèse, Montpellier, 2002, p. 405.
2 BRUN (Ph.), Rapport introductif in La responsabilité civile à l’aube du xxième siècle. Bilan prospectif, Resp.civ et ass, 2001, n° 6 bis, Hors-série, p. 4, spéc. p. 9.
3 VINEY (G.), Le déclin de la responsabilité individuelle. préc. n° 214.
4 LABBÉ (J.E.) cité par EWALD (F.), Responsabilité-solidarité-sécurité, Risques n° 10, 1992, p. 14.
5 KOUCHNER (B.) Introduction au colloque « responsabilité et indemnisation » Risques, ibid., p. 5.
6 CORNU (G.), V. Régulation in Vocabulaire juridique, (sous la direction de) Association Henri Capitant, précit.
7 RADE (C.), V. Faute, in Dictionnaire de la culture juridique, sous la direction de D. ALLAND et S. RIALS, PUF, 2003, p. 706.
8 CADIET (L.), Sur les faits et les méfaits de l’idéologie de la réparation, in Le juge entre deux millénaires. Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz 2000, p. 495, spéc.p. 507.
9 V. en ce sens les déclarations de Maître X. DELPLANQUE, avocat du Conseil général du Morbihan dans le procès de l’Erika in Le Marin du 25 février 2005, p. 3.
10 LARROUMET (C.), Réflexions sur la responsabilité civile (évolution et problèmes actuels en droit comparé), précit., p. 52.
11 V. En ce sens la thèse du Professeur G. VINEY, Le déclin de la responsabilité individuelle, précit.
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