Introduction au titre II
p. 151-152
Texte intégral
1265. Sous prétexte de ne pas prendre parti dans le débat sur la définition de la personne humaine, de l’être humain et du rapport existant entre les deux, le droit n’élabore que des notions confuses et même contradictoires. Et cela semble bien devoir perdurer car, au milieu de cette incertitude, le seul consensus acquis est l’impossibilité de définir ces notions. Comme le constate M. Jacquinot, « jamais n’a été niée à ce point l’aptitude de l’intelligence à nous dire quelque chose de valide sur les réalités fondamentales de l’existence humaine. […] Nous assistons à une démission de la pensée morale et philosophique »440. Il est vrai que « l’on ne peut pas remettre à un vote la définition de l’être humain, alors qu’un statut dépend d’une définition »441; il est vrai que « la validité d’une décision prise à la majorité ne peut fonder l’éthique. Elle n’est pas fondatrice du bien et du mal »442, pas plus qu’elle n’est fondatrice du vrai et du faux. Mais le législateur ne peut éviter de prendre des mesures qui concernent les enfants à naître, auxquels le juge doit décider d’appliquer ou non les normes relatives à l’être humain et à la personne humaine. C’est pourquoi, puisque le droit ne peut éviter de se prononcer sur ces notions, il faut tenter de préciser leurs limites, c’est-à-dire de les définir.
2266. On peut faire le parallèle entre cette difficulté et celle posée par la notion de sexe. Le droit attache des conséquences au sexe et, pour autant, jusqu’à une époque récente, il n’a jamais été nécessaire de définir cette notion. Tant que la notion de sexe ne pose pas de difficulté, il est normal de ne rien dire à son sujet faute d’utilité. En revanche, à partir du moment où la solution d’un litige dépend de la définition même du sexe, comme c’est le cas pour les demandes de changement de sexe des transsexuels, les juges n’hésitent pas à chercher une définition plus précise que celle dont le droit s’est toujours contenté. Ils recherchent ce qu’est le sexe, pour en déduire les conséquences juridiques que le droit y attache et, pourtant, il est évident que la définition du sexe ne dépend pas de la volonté d’un juge ou d’une majorité à l’Assemblée nationale443 . Pourquoi ne pas tenter la même démarche pour les notions d’être humain et de personne humaine ? Lorsque la solution d’un litige l’exige, le juge pourrait se prononcer sur ces définitions, tout en étant conscient que ce n’est pas une chose qu’il va décider, mais rechercher. Lorsque le juge doit dire si l’embryon est une personne humaine, de même que lorsqu’il doit dire si tel individu est de sexe masculin ou féminin, il peut rechercher des éléments de définition de la personne humaine ou du sexe pour conclure dans l’affaire qui lui est soumise, en ayant à l’esprit que ces définitions, tant de la personne humaine que du sexe, ne dépendent pas de lui.
3267. Comment aborder la question ? Le droit positif ne donne pas de réponse car il n’élabore pas de notion stable. On ne peut pas partir d’une notion dégagée du droit pour, éventuellement, la discuter. Une chose est cependant certaine : la condition première pour être une personne humaine est d’être un être humain. Il est moins évident de déterminer ensuite s’il suffit d’être un être humain pour être un personne humaine. Si cela ne suffit pas, que faut-il de plus ? Et s’il suffit d’être un être humain, c’est-à-dire si les deux termes sont en définitive synonymes, pourquoi le droit utilise-t-il deux termes ? Qu’évoquent-ils chacun de spécifique si la réalité qu’ils désignent est la même ?
4268. La logique invite à commencer par cerner cette notion d’être humain (chapitre I), avant de rechercher ce qui fait de l’être humain une personne humaine (chapitre II).
Notes de bas de page
440 CL. JACQUINOT, « L’éthique du vivant », Gaz. Pal., numéro spécial Droit de la santé, 24-25 octobre 1997, p. 44.
441 Commentaire au Dictionnaire permanent bioéthique et biotechnologies, à propos de la demande de l’Ordre des médecins qu’un statut de l’embryon soit établi (Dictionnaire permanent bioéthique et biotechnologies, Bull., n° 70, p. 8276).
442 B. SEILLIER, J.O. Sénat, 14 janvier 1994, p. 115.
443 V. Infra, n° 484.
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