VII. Forces et tendresse
p. 151-182
Texte intégral
48. Le souffle de la vie
1Comment présenter la vie ? En faisant silence, pour mieux en saisir toute la richesse intérieure ? En en parlant et parlant encore, pour la décrire sous toutes ses coutures, dans tous ses emballements et avec tous ses mouvements sans cesse renouvelés ? Ou bien en s’inclinant devant elle, comme pour mieux signifier qu’elle est un trésor ? Notre trésor commun, celui devant lequel nos mesquineries et nos lâchetés ne sont rien. Et ne peuvent être rien car elle seule importe. Pour nous et au-delà de nous. Pour que nous soyons fiers et heureux de la donner, de la faire éclore, de la protéger, de l’entretenir, de la transmettre…
2Alors, oui, comment ne pas évoquer ici tous ces miracles permanents de la vie ? Ceux qui s’organisent autour du tout premier souffle de la vie, parfois bien fragile comme celui de ces soixante mille enfants prématurés qui naissent chaque année dans notre pays. Ces miracles quotidiens dus également à l’extraordinaire dévouement de tous ces sauveteurs, médecins, urgentistes, infirmières, bénévoles qui donnent l’immense meilleur d’eux-mêmes pour préserver le moindre souffle de vie. Ceux qui s’appuient sur ces chaînes de l’espoir, par-delà les frontières, parce que la vie n’a toujours pas, et n’aura jamais de nationalité. Ceux encore de ces jeunes qui ont perdu douloureusement leurs parents et qui, à leur tour, donneront la vie, à la manière d’une toute nouvelle aurore.
3Oui, la vie est immensément belle, et tout doit être fait pour la préserver ! Les juristes le savent bien, qui proclament à l’article 16 du Code civil que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ». Et qui, dans le Code pénal, sanctionnent ceux qui priveraient autrui de la vie, fût-ce de manière non intentionnelle.
4Pourtant, fort longtemps, et de manière assez étonnante, ce même Code s’autorisait à sanctionner celui qui avait détruit la vie en lui infligeant la mort. Un paradoxe qu’on avait parfois tenté d’expliquer par l’extrême importance que les rédacteurs du Code, et leurs devanciers, attachaient au respect de la vie, mais un paradoxe tout de même, qui n’était pas admissible. Et que notre législateur a donc justement décidé d’abandonner en 1981, au sein d’ailleurs d’un mouvement international très large puisque, ces derniers mois encore, la peine de mort a été aboli au Bhoutan, en Grèce, aux îles Samoa, au Sénégal et en Turquie, de sorte que, aujourd’hui, une centaine de pays ignorent purement et simplement la peine de mort. Cependant, chaque année encore, près de quatre mille personnes sont exécutées dans le monde, au sein de vingt-cinq pays dont la Chine est le leader incontesté. Mais ne perdons surtout pas espoir. Des progrès sensibles ont été accomplis ces derniers temps et, aux États-Unis mêmes, la Cour suprême vient de décider, le 1er mars 2005, par cinq voix contre quatre, que la peine de mort ne serait plus applicable aux mineurs âgés de moins de dix-huit ans au moment des faits. L’histoire de la peine de mort devrait donc bien être celle d’une progressive abolition.
5Reste, dans ce permanent combat pour la vie, la question de la protection du fœtus, encore récemment soumise à notre Cour de cassation dans les circonstances suivantes. Une patiente s’était présentée à l’hôpital pour y subir la visite médicale du sixième mois de sa grossesse. Or le même jour, une autre femme au nom patronymique très proche dut se faire enlever un stérilet. Le médecin commit alors une confusion, et procéda à un examen qui provoqua la rupture de la poche des eaux, rendant nécessaire un avortement thérapeutique. La patiente porta plainte contre lui, et le médecin fut mis en examen sous la qualification pénale d’abord de blessures involontaires puis, dans un second temps, d’homicide involontaire. Et la cour d’appel de Lyon le condamna sur ce fondement en observant que « tant l’application stricte des principes juridiques que les données acquises par la science, et que des considérations d’élémentaire bon sens conduisent à retenir la qualification d’homicide involontaire, s’agissant d’une atteinte par imprudence ou négligence portée à un fœtus âgé de 20 à 24 semaines en parfaite santé, ayant causé la mort de celui-ci ». Le médecin fut donc condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis et une peine d’amende. Mais la chambre criminelle a cassé cet arrêt, en considérant sur le fond que la mort du fœtus, provoquée par l’imprudence d’un tiers, ne saurait constituer un homicide par imprudence, mais en se contentant cependant en la forme d’une formule pour le moins aseptisée : « attendu qu’en statuant ainsi, alors que les faits reprochés au prévenu n’entrent pas dans les prévisions des articles 319 ancien et 221-6 du code pénal, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé ».
6La mère de l’enfant ne s’est toutefois pas découragée, et a donc porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, en soutenant que la France avait manqué à son obligation de protéger par la loi le droit de toute personne à la vie garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, puisqu’elle n’instituait aucun recours de nature pénale pour réprimer la suppression involontaire d’un fœtus. Or, par quatorze voix contre trois, la Cour européenne a rendu ce qui s’apparente à bien des égards à une non-décision. Elle observe d’abord que « l’article 2 de la convention est silencieux sur les limites temporelles du droit à la vie et, en particulier, qu’il ne définit pas qui est la « personne » dont « la vie est protégée ». Puis elle en vient au considérant essentiel, qui fait allusion à un certain nombre de jurisprudences nationales étrangères : « l’interprétation de l’article 2 à cet égard s’est faite dans un souci évident d’équilibre, et la position des organes de la Convention, au regard des dimensions juridiques, médicales, philosophiques, éthiques ou religieuses de la définition de la personne humaine, a pris en considération les différentes approches nationales du problème. Ce choix s’est traduit par la prise en compte de la diversité des conceptions quant au point de départ de la vie, des cultures juridiques et des standards de protection nationaux, laissant place à un large pouvoir discrétionnaire de l’État en la matière qu’exprime fort bien l’avis du groupe européen d’éthique au niveau communautaire : « les instances communautaires doivent aborder ces questions éthiques en tenant compte des divergences morales et philosophiques reflétées par l’extrême diversité des règles juridiques applicables à la recherche sur l’embryon humain. Il serait non seulement juridiquement délicat d’imposer en ce domaine une harmonisation des législations nationales mais, du fait de l’absence de consensus, il serait également inopportun de vouloir décider une morale unique, exclusive de toutes les autres ».
7Bref, à chaque État de décider ce qu’est la vie et qui donc peut prétendre en avoir une.
8Ce qui ne saurait convaincre. Car, à notre sens, la vie ne se divise pas. Elle est une, et n’a donc pas besoin, pour exister, que le foetus se révèle au grand jour, contrairement à ce que suggère notre chambre criminelle lorsqu’elle considère qu’il y a bien, en revanche, homicide involontaire dans le cas où une mère, enceinte de huit mois au moment de l’accident, donne naissance à un enfant qui décède une heure après, des suites des lésions subies au moment de l’accident dont tous deux ont été victimes.
9Oui, la vie ne se divise pas. Elle est une, ainsi qu’en témoignent par exemple toutes les personnes qui ont vécu une catastrophe naturelle et qui, une fois le désastre passé, reprennent progressivement goût à cette vie qui était simplement suspendue. Ou encore celles et ceux qui acceptent le prélèvement d’un ou de plusieurs de leurs organes pour passer la, et non leur, vie à un autre.
10Un geste que notre droit a fait l’heureux choix de faciliter puisque celui-ci est possible dès que la personne décédée n’a pas fait connaître de son vivant son refus de prélèvement sur un registre national. Ce qui est, de très loin, le cas le plus fréquent dès lors que, à ce jour, seul environ cinquante mille de nos compatriotes ont exprimé une décision de refus de prélèvement.
11Un geste éminemment symbolique de l’unité de la Vie, et de sa transcendance, ainsi que l’illustre cet événement récent rapporté par les médias. Jénine, 3 novembre 2005. Le jeune Ahmed Al-Khatib, âgé de douze ans, joue dans la rue, avec les cadeaux qu’il vient de recevoir pour marquer la fin du Ramadan, et notamment, comme beaucoup d’enfants palestiniens, il brandit sa nouvelle arme en plastique. Des soldats israéliens sont en mission dans ce camp de réfugiés de Jénine où vivent, dans des conditions bien précaires, près de quinze mille personnes. Ils ont lancé une grande chasse à l’homme visant à capturer des membres du Djihad islamique. Leurs nerfs sont à vif. Ils confondent Ahmed avec l’une des personnes recherchées. L’un tire, l’enfant reçoit plusieurs balles, dont l’une à la tête. Transporté dans un hôpital israélien à Haïfa, il meurt deux jours plus tard. Son père, Ismaïl, décide alors d’autoriser les médecins à transplanter les organes de son fils sur des malades, peu important que ceux-ci soient musulmans, druzes, juifs ou chrétiens, palestiniens ou israéliens. Une fillette druze de 12 ans reçoit ainsi le cœur d’Ahmed. Le foie est séparé en deux et transplanté sur une femme de 56 ans et un bébé de sept mois, tous deux juifs. Un petit bédouin de 5 ans et une fillette juive de 4 ans reçoivent à leur tour chacun un poumon. Et le professeur Memouni, directeur de l’hôpital Schneider de Petah Tikva, peut alors dire, très simplement : « Tous ces malades étaient condamnés à mourir sans une greffe. Le geste de cet homme est d’une immense noblesse ». D’autant qu’il y a vingt ans, Ismaïl avait perdu un frère aîné qui souffrait d’une maladie des reins et n’avait pu être greffé.
12Ainsi, quand souffle la vie, rien ne peut se perdre, car tout est création. Comme nous l’a appris mère Teresa :
« La vie est une chance, saisis-la,
La vie est beauté, admires-la,
La vie est béatitude, savoures-la,
La vie est un rêve, réalises-le,
La vie est un défi, relèves-le,
La vie est un jeu, joues-le,
La vie est précieuse, prends-en soin,
La vie est richesse, conserves-la,
La vie est amour, jouis-en,
La vie est un mystère, perces-le,
La vie est promesse, tiens-la,
La vie est tristesse, dépasses-la,
La vie est un hymne, chantes-le,
La vie est un combat, acceptes-le,
La vie est une tragédie, luttes avec elle,
La vie est une aventure, oses-la,
La vie est bonheur, mérites-le,
La vie est vie, défends-la »
49. Et par-delà la mort
13La mort, un immense mystère. Qui fait, si l’on ose dire, partie de notre patrimoine commun d’humanité puisque, comme le chantait si bien Villon, la mort saisit sans exception, « pauvres et riches, sages et fols, prêtres et lais, nobles, vilains, larges et chiches, petits et grands, et beaux et laids, dames à rebrassés collets, de quelconque condition, portant atours et bourrelets ». Mais une mort qui, néanmoins, frappe avec une singulière diversité, parfois bouleversante. Comme lorsqu’elle atteint ces enfants qui, à peine nés, quittent aussitôt notre terre, laissant leurs parents dans une infinie détresse.
14Et comme si elle n’était, d’une certaine manière, qu’un passage… Ainsi, d’ailleurs, que le droit le suggère. Car s’il fallait retenir une impression générale de notre droit, c’est bien celle-là qui prévaudrait.
15Par-delà la mort, le droit assure en effet la protection de la mémoire du défunt, en permettant par exemple à ses héritiers de faire sanctionner la diffamation commise à son encontre. De même, il confie à ces héritiers le pouvoir de faire respecter le droit moral du défunt, lorsque celui-ci était, de son vivant, un auteur littéraire ou artiste. Arrêtons-nous ainsi quelques instants sur la très intéressante affaire soumise en mai 2005 à la Cour de cassation.
16Consuelo de Saint Exupéry était l’auteur d’une statue en bronze représentant « Le Petit Prince », le bras tendu. Or cette œuvre, qui existait en un seul exemplaire original, fut volée au domicile du fils de l’artiste, qui était aussi son légataire universel et le titulaire du droit moral sur son œuvre. Par la suite, ce bronze fut acquis par le syndicat d’initiative d’une commune, sans que l’héritier ait pu le revendiquer, dans la mesure où le délai de trois ans ici ouvert à cette fin était expiré. Mais l’héritier demanda alors en justice qu’il soit fait défense à ce syndicat de faire connaître la statue au public, dès lors que sa mère n’avait pas elle-même souhaité une telle divulgation. Sans succès toutefois devant la cour d’appel d’Aix, observant que la statue était exposée d’une manière purement commémorative, excluant tout esprit lucratif. Mais la Cour de cassation exerce sa censure car, dit-elle, les juges aixois auraient dû effectivement rechercher si l’auteur de la statue, qui avait notamment refusé de céder cette pièce à la commune en question et avait toujours voulu la conserver à son domicile, n’avait pas manifesté de la sorte sa volonté de ne pas la divulguer.
17De même encore, notre droit permet, en dépit de la mort de la personne, sa réhabilitation judiciaire. Laquelle, certes, n’efface pas rétrospectivement sa culpabilité mais cependant, de manière hautement symbolique, prend acte de la bonne exécution de la peine prononcée, et entend surtout restituer à la personne disparue toute sa dignité. Comme ce fut le cas, en 1949, pour le fameux outrage aux bonnes mœurs reproché de son vivant à Baudelaire. Et, plus fortement encore, le Code de procédure pénale ouvre aussi, post mortem, la voie de la révision judiciaire, qui va permettre cette fois-ci d’effacer une condamnation qui a manifestement été le fruit d’une erreur, révélée par des faits nouveaux.
18La manifestation la plus remarquable de cette survie du défunt demeure cependant l’extraordinaire force juridique attribuée au testament. Car, à travers cet acte unilatéral, tout se passe, dans la transmission du patrimoine, comme si le défunt était encore en vie et dirigeait lui-même les opérations de partage.
19Un pouvoir d’autant plus remarquable que, formellement, le testament se présente comme un acte des plus simples. Certes, le droit propose, pour l’établir, de recourir aux services d’un notaire, mais la forme authentique demeure facultative, l’article 970 du Code civil admettant également le testament dit olographe, écrit, daté et signé de la seule main du testateur.
20C’est dire, en particulier, ainsi que le confirme une jurisprudence abondante, que tous les supports matériels sont ici autorisés : papier, livre, carte postale, lettre missive, feuille de registre de comptes, page de carnet, papier à lettre, parchemin, dessus d’une machine à laver le linge, mur, métal, bois, cuir, ardoise, tissu, vitre, et même, ajoute la doctrine (mais cette fois-ci, pour l’instant, sans jurisprudence), l’épiderme du testateur. Il est vrai qu’en droit romain, le célèbre Code de Justinien prévoyait déjà que le militaire en campagne pouvait rédiger son testament sur le sol avec son glaive ou sur son bouclier avec son sang !
21Par ailleurs, la langue française n’est pas requise, si bien que les tribunaux admettent qu’on peut écrire son testament en français, en langue locale ou en langue étrangère, en une langue vivante mais aussi… morte, et qu’en 1957, la Cour de cassation a admis que le testateur n’avait pas à rédiger son testament dans la langue qu’il utilise habituellement. Liberté encore d’écrire en minuscules ou en majuscules, à l’encre, plume et stylo, ou au crayon, et même au crayon passé à l’encre, comportant au surplus des encres différentes. Et encore d’écrire avec de la craie, du charbon, du sang, un couteau, un stylet, un diamant, et même de l’encre sympathique !
22Quant à la signature, essentielle, la jurisprudence est là encore très souple puisqu’elle admet non seulement la signature usuelle mais encore une signature différente, dépouillée de son style ou de son ornementation habituels, ou encore la simple mention de la main du testateur de ses nom et prénoms au bas du testament, dès que cette mention ne laisse aucun doute sur l’identité de l’auteur de l’acte ni sur sa volonté d’en approuver les dispositions. Souplesse donc, que la Cour de cassation a elle-même superbement exprimée en allant jusqu’à admettre la validité d’un testament d’un évêque signé d’une croix, de ses initiales, de ses prénoms et du nom de son évêché.
23Bref, tout est fait pour faire produire effet, par-delà la mort, à la volonté du défunt. Y compris lorsque celle-ci s’est manifestée de façon brutalement nouvelle puisqu’aussi bien, comme l’a dit la Cour de cassation dans un arrêt de 2005, la faculté de révoquer un précédent testament pour en adopter un nouveau fait partie de ces prérogatives juridiques discrétionnaires, qui ne sauraient donner prise à la critique judiciaire. L’affaire posait, au demeurant, excellemment la question puisqu’une homme qui était décédé en laissant deux enfants, avait longtemps vécu en concubinage avec une maîtresse à laquelle il avait légué un appartement par testament olographe du 5 octobre 1994, déposé chez son notaire. Avant, le lendemain même 6 octobre, d’adresser à ce même notaire, par voie postale, un document daté du 5, dans lequel il révoquait purement et simplement le legs consenti la veille ! Sensible à l’objection de la concubine, qui dénonçait ce brusque changement d’attitude et surtout le silence conservé par son compagnon pendant les trois années de vie commune qui suivirent jusqu’à son décès, les premiers juges avaient condamné les deux enfants à lui verser quelques dommages-intérêts. Mais la Cour de cassation a été d’avis contraire : « la faculté de révoquer un testament constitue un droit discrétionnaire exclusif de toute action en responsabilité ».
24Ainsi, le droit livre bien cette idée d’une perpétuation de l’être, au-delà de sa mort. Comme si, pour reprendre la célèbre formule de Saint Augustin, le mort n’était pas absent, mais simplement invisible. Comme si, à côté des objets, des particules diraient nos amis physiciens, dont l’existence est circonscrite dans l’espace et le temps, survivaient sans limites les ondes. Et comme si, encore, à l’enfant des cendres qui lui demande « Quand serons-nous en vie une fois pour toutes ? », l’homme aux as qu’évoque Valère Novarina dans « Vous qui habitez le temps », avait mille fois raison de répondre : « Aucune mort n’est en vous, mais dans les parties mortes de ce que vous dites ».
25Car, au-delà de la mort, c’est toujours le présent et le futur qui sont le temps des êtres. Comme l’a si bien compris Christian Atias en évoquant cet immense juriste et ami commun, Christian Mouly : « Christian, c’est, ce sera toujours pour nous la lumière, la joie, la force, la vie »…
26Et comme le suggère également, de manière si bouleversante et en même temps sereine, ce poète anonyme anglais du dix-neuvième siècle :
« Je suis debout au bord de la plage
Un voilier passe dans la brise du matin
Et part vers l’océan…
Il est la beauté, la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit : « il est parti »
Parti ? Vers où ?
Parti de mon regard, c’est tout.
Son mât est toujours aussi haut,
Sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue est en moi,
Pas en lui.
Et juste au moment où quelqu’un, près de moi, dit : « il est parti »
Il y en a d’autres qui, le voyant poindre à l’horizon
Et venir vers eux, s’exclament avec joie : « le voilà »
C’est çà la mort…
50. La force de l’amour
27Le droit ne résiste pas, en principe, à l’amour. Devant lui, il rend ses armes et choisit, non pas de s’incliner, mais de se réjouir, à la manière d’un bon ami qui constate le bonheur de ses proches.
28Certes, il n’en fut pas toujours de la sorte, et notre Ancien Droit prévoyait ainsi de nombreux empêchements à mariage : par exemple, l’existence de fiançailles rompues ou d’un concubinage s’opposait à l’union de chaque partie avec les parents de l’autre ! De même, le lien d’alliance spirituelle unissant des parrain ou marraine avec leur filleul ou filleule les empêchait de s’unir entre eux, ou encore d’épouser les parents du jeune homme ou de la jeune femme. À quoi vint encore s’ajouter, après la Réforme, un empêchement tiré d’une différence de religions.
29Néanmoins, dès cette époque, plusieurs juristes avaient plaidé pour un plus grand respect juridique de l’amour. Ainsi, le grand avocat aixois Portalis, qui devait s’illustrer ensuite par son rôle essentiel dans la rédaction du Code civil, rédigea une consultation à la demande du duc de Choiseul, alors ministre, sur la question de la validité du mariage des protestants en France qui préoccupait fort les pouvoirs publics. En effet, pour ceux qui ne voulaient pas abjurer, les mariages célébrés au désert étaient dépourvus de tout effet civil. Cependant, la jurisprudence, plus humaine que les édits, avait quelquefois égard à la possession d’état, c’est-à-dire au fait de vivre notoirement ensemble. Portalis rédige donc le 20 octobre 1770 une consultation avec son ami Pazeri. Il a alors 24 ans. Une consultation très courageuse qui aura un réel retentissement puisque, finalement, l’édit de Versailles du 28 novembre 1787 établira enfin l’état civil des protestants.
30Laissons donc la parole à Portalis et Pazeri, qui s’expriment en quelque sorte en trois temps. Premier temps : le rappel de la question et de son importance :
31« Vu le mémoire à consulter, qui nous a été présenté, et dans lequel on demande si un mariage, contracté dans le désert par deux époux protestants en présence de leurs plus proches parents et d’un ministre de leur religion, peut être querellé de nullité par un collatéral qui veut exclure les enfants légitimes de la succession de leur père, tandis que ces enfants et ceux dont ils ont reçu le jour ont toujours joui publiquement et tranquillement de leur état. Les soussignés estiment que cette question intéresse un grand corps de peuple, qu’elle est étroitement liée à la religion, à l’état, aux mœurs, à l’humanité, qu’elle se réduit essentiellement à savoir sur quels principes et sur quelles lois elle doit être jugée dans nos tribunaux ».
32Deuxième temps : la démonstration que l’édit de 1697, consécutif à la révocation de l’Édit de Nantes, et par lequel tous les sujets du roi doivent se marier en face de l’Église, n’a manifestement pas pu, dans l’esprit d’un Roi sensible à la justice et à l’humanité, concerner les sujets protestants.
33Vient enfin la conclusion : « Il est vrai qu’en admettant que les ordonnances de nos rois sur les mariages ne sont point applicables aux protestants, ils n’ont alors aucune forme particulière de se marier en France. Mais qu’en conclure ? Les formes nationales sont-elles si essentielles au mariage, qu’il ne puisse jamais exister sans elles ? S’il est prouvé que les souverains n’entendent point et ne peuvent jamais entendre soumettre les protestants à nos institutions religieuses sur les mariages, n’est-il pas conséquent que nos souverains, en n’établissant jusqu’à ce jour aucune forme particulière pour cette partie de la nation, s’engagent envers elle à protéger, comme mariages légitimes, tous ceux qui seront contractés de bonne foi et auxquels aucune raison d’ordre public, d’honnêteté ou de moeurs ne pourra mettre aucun obstacle ? ».
34Il ne faut, dès lors, pas s’étonner qu’avec Portalis, le Code civil ait fait ensuite, en 1804, table largement rase des empêchements à mariage, ne maintenant que ceux reposant sur la proche parenté ou l’alliance. Et encore, les choses devaient-elles ensuite s’adoucir puisqu’un siècle plus tard, une loi du 15 décembre 1904 mettait fin à l’interdiction de se remarier avec le complice d’un adultère !
35Depuis lors, le cap n’a jamais été modifié, bien au contraire. Ainsi, notre droit, à la différence d’assez nombreuses législations étrangères, ne formule aucun empêchement qui serait fondé sur la race, la religion ou encore la santé puisqu’aussi bien, en ce dernier domaine, l’examen médical prénuptial auquel doivent se soumettre les futurs époux a seulement pour effet de les placer devant leur conscience, les résultats n’en étant pas communiqués au futur conjoint. Et, fort logiquement, nos tribunaux vont considérer comme contraires à notre ordre public, et donc inaptes à produire effet sur notre territoire, les empêchements prévus par des droits étrangers qui reposeraient sur une différence de race ou de religion, ou l’existence d’une maladie particulière.
36C’est encore cette même faveur pour l’amour qui a conduit le Conseil constitutionnel, en 2003, à préciser que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger ne saurait être un obstacle à son mariage. Ou, de même, les juges civils à dénier toute valeur juridique aux clauses qui, dans un contrat de travail, feraient obligation au salarié de rester célibataire ou lui interdiraient, par crainte de quelques scènes de ménage dans l’entreprise, d’épouser une collègue de travail. Ou encore, plus subtilement, qui préciseraient que le mariage avec la salariée d’une entreprise concurrente emportera résiliation du contrat de travail.
37Oui, en vérité, l’amour transcende tous les clivages, et même les frontières… puisque notre droit laïc et républicain en vient à reconnaître la validité des mariages religieux que des Français concluent en la forme locale étrangère, y compris lorsque la loi étrangère offre pourtant le choix, comme c’est par exemple le cas en Espagne ou en Italie, entre un mariage purement civil et la célébration religieuse de l’union. Il n’est pas jusqu’aux petites mesquineries qui ne rendent l’âme puisque se trouve également frappée de nullité la clause dite de non-convol qu’un prêteur ferait stipuler en faisant valoir l’intérêt qu’il y a pour lui à empêcher le mariage de son emprunteur avec une femme aux passions trop dispendieuses.
38Amour, quand tu nous tiens… Mais, à l’inverse, là où l’amour s’efface, le droit passe ! Car le droit entend préserver la liberté de celles et ceux qui ne s’aiment pas ou plus. Liberté fondamentale de ne pas se marier, que le droit préserve en frappant de nullité la promesse d’épouser sa maîtresse ou son amant et, plus généralement, la condition contractuelle qui ferait obligation à une partie d’épouser telle personne. Liberté donc de rompre, qui caractérise aussi juridiquement les fiançailles, y compris lorsqu’un enfant en est issu ou est attendu.
39Et puis, évidemment, nullité du mariage consenti sous la pression, les menaces, la violence. Avec ici quelques décisions régulièrement citées dans les amphithéâtres. Celle de la cour d’appel de Bastia, rendue dans un cas où le futur époux avait reçu de véritables menaces de mort, l’invitant à réparer l’atteinte à l’honneur qu’il avait précédemment commise…Celle de la cour de Versailles, dans un cas où le jeune homme « s’était marié sur la seule insistance de son père et dans le seul souci de ne pas nuire à la renommée de sa famille qui avait invité près de sept cent personnes et plusieurs personnalités importantes, qu’il était matériellement impossible de décommander ». Ou encore celle de la cour de Paris annulant le mariage de deux jeunes turcs que l’officier d’état-civil avait célébré alors pourtant qu’au moment de l’échange des consentements, la jeune femme s’était contentée de dire « je réfléchis », puis « je n’ai pas envie d’épouser cet homme qui m’énerve déjà », et qu’elle n’avait finalement accepter de dire « malheureusement oui » qu’après qu’une personne présente dans l’assistance lui eût parlé en langue turque !
40Et nullité encore de tous ces mariages qui ne sont que simulacre et supercherie, et où l’amour est tout à la fois le grand absent et le grand perdant ! Comme le dit alors la Cour de cassation, « le mariage est nul lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un but étranger à l’union matrimoniale », par exemple pour acquérir un titre de séjour en France, revendiquer la nationalité de notre pays ou encore récupérer une succession.
41Bref, serait-on tenté de dire, l’essentiel est bien, en droit comme ailleurs, l’amour sincère et véritable ! Celui que célébrait si bien le poète persan Rumi, en rappelant que « si l’amour n’existait pas, le monde pourrait se figer », et que chantaient à la même époque, mais en d’autres contrées, nos sensibles troubadours. Tel le provençal Raimbaut de Vaqueiras, auquel nous laisserons le soin de clore ces quelques réflexions :
« Belle douce dame chère
à vous je me donne et m’en remets
je n’aurai jamais plus de joie entière
si je ne vous ai et si vous ne m’avez
vous êtes mauvaise guerrière
si je meurs par ma bonne foi
mais jamais par nulle manière
je ne m’écarterai de votre foi ».
51. Et celle du sang
42Longtemps, le sang a été doté d’une immense force. Liée sans doute en partie à l’amour qui en assurait la transmission entre les générations, mais plus prosaïquement aussi, à l’idée de la perpétuation d’une même famille, d’une identité commune préservée par-delà le temps, les séparations et les épreuves. Le même sang, coulant dans les veines des uns puis des autres, comme si tous étaient définitivement unis pour la vie et la mort.
43Aujourd’hui, le sang a probablement perdu une partie de son aura. Le fait qu’il puisse être traité et, parfois, commercialisé, y a peut-être contribué. Mais, plus encore, une approche assez renouvelée de notre droit de la filiation, où la vérité dite sociologique, fondée sur la possession d’état, c’est-à-dire sur la situation concrète vécue par l’enfant, concurrence assez fortement la vérité biologique, reposant exclusivement sur le sang. Et sans doute aussi, la place qui est désormais faite par notre droit à l’assistance médicale à la procréation, consistant, aux termes du Code de la santé publique, dans les pratiques cliniques et biologiques qui permettent la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle.
44En effet, à côté de procréations médicalement assistées intervenant entre des époux ou des concubins vivant ensemble depuis au moins deux ans, la loi prévoit la possibilité de recourir à un tiers donneur lorsqu’il existe un risque de transmission d’une maladie d’une particulière gravité à l’enfant ou à un membre du couple, lorsque les techniques d’assistance médicale à la procréation au sein du couple ne peuvent aboutir ou encore lorsque le couple, dûment informé par l’équipe médicale, notamment des possibilités d’adoption, donne son accord à cette intervention extérieure. C’est dire que, dans de tels cas, l’enfant ne sera rattaché biologiquement qu’à l’un de ses parents, aucun lien de filiation ne pouvant être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation.
45Pourtant, même s’il ne joue plus systématiquement son rôle de trait d’union entre les générations, le sang conserve une grande force. Notamment dans l’établissement de liens charnels, qui peuvent certes donner prise parfois à des amnésies passagères, mais qui, le plus souvent, surmontent les épreuves du temps, comme s’ils participaient d’une certaine éternité.
46On peut s’en rendre compte dans l’hypothèse d’un accouchement sous X. Depuis quelques années, notre droit s’efforce, fort opportunément, de favoriser l’accès à leurs origines personnelles des personnes adoptées et des pupilles de l’État. À cette fin, la mère qui, lors de son accouchement, a voulu, comme elle en a le droit, conserver le secret de son admission et de son identité, se voit quand même informée des conséquences juridiques qui en découlent et de l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Et elle est, par ailleurs, informée de la possibilité qu’elle aura ensuite de lever à tout moment le secret de son identité. C’est dire que cette mère pourra ensuite se faire connaître de son enfant. Et, réciproquement, celui-ci, qu’il soit mineur ou majeur, pourra présenter une demande auprès du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles qui, si la mère n’a toujours pas levé le secret de son identité, s’efforcera de la convaincre de le faire. Avec, en pratique, un réel taux de succès, comme l’a montré Madame Marie-Hélène Le Boursicot, qui a beaucoup œuvré pour la réussite de cette institution si humaine.
47Il reste que, comme l’indique le Code de l’action sociale et des familles, un tel accès d’une personne à ses origines reste sans effet sur l’état civil et la filiation, et ne fait même naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit. Ainsi, est-ce bien la seule connaissance du sang qui le motive. Ce qui, psychologiquement et humainement, peut d’ailleurs être déjà considérable.
48Mais, naturellement, l’établissement d’un lien juridique est souvent loin d’être indifférent. Comme pour mieux oublier le passé et rétablir l’unité profonde des êtres. Pourtant, le droit n’est pas toujours ouvert à cette demande, qui peut en effet venir remettre en cause des liens nouvellement créés. Avec d’ailleurs, parfois, une certaine sévérité qui peut surprendre.
49Prenons ainsi le cas, récemment soumis à la Cour de cassation, de cette jeune irlandaise, dont le pays d’origine ne connaît pas la possibilité d’anonymat et qui, bien que ne parlant même pas notre langue, vint en France pour accoucher sous X. Elle mit au monde son enfant le 18 février 2002. Le lendemain, un procès-verbal de remise de l’enfant au service de l’aide sociale en qualité de pupille de l’État était dressé. Et le 7 mai suivant, l’enfant était placé auprès d’une famille, après que le consentement du conseil de famille des pupilles de l’État ait été donné le 25 avril. Or la mère par le sang changea d’avis et, le 25 juillet 2002, soit cinq mois seulement après la naissance, demanda que l’enfant lui soit rendu. N’obtenant pas satisfaction, elle saisit les tribunaux, et obtint gain de cause auprès de la cour d’appel de Douai, qui constata que la remise de l’enfant en vue de son admission en tant que pupille de l’État était atteinte d’un vice du consentement affectant le procès-verbal du 19 février 2002. En effet, la jeune femme n’avait reçu, lors de la signature de ce document, que des informations ambiguës sur le délai pendant lequel elle pouvait reprendre son enfant. Mais la Cour de cassation a censuré cette décision par un arrêt du 6 avril 2004 où elle observe qu’en l’absence de reconnaissance de son enfant par la mère, la filiation n’était pas établie de sorte que le consentement de la jeune femme n’avait pas à être constaté lors de la remise de l’enfant au service.
50Solution dure, sans doute trop dure, qui pourra, nous semble-t-il, ébranler le cœur du droit. Tout comme cette autre décision, de la cour d’appel de Nancy, révélant au passage que les pères peuvent eux-mêmes souffrir du souci d’anonymat qui a animé la mère. Ici, un homme avait reconnu le 13 mars 2000, devant l’officier d’état civil, l’enfant à naître de Mme D. Or, le 14 mai 2000, celle-ci accoucha sous X. d’un enfant dénommé Benjamin, en demandant le secret de son identité. Le bébé fut alors immatriculé comme pupille de l’État le 14 juillet 2000, et placé auprès des époux F. le 28 septembre suivant. Or, dès le 26 juin 2000, l’homme s’était adressé au procureur de la République aux fins de faire valoir les effets de sa reconnaissance et connaître les démarches à entreprendre pour savoir la date et le lieu de naissance de son enfant. Mais ce procureur lui suggéra uniquement d’introduire une action en justice contre la mère afin d’obtenir des renseignements. Et c’est seulement, faute d’obtenir rapidement ces informations, le 18 janvier 2001, que l’auteur de la reconnaissance adressa un courrier à la cellule d’adoption du conseil général de la Meurthe-et-Moselle, en indiquant être le père de Benjamin, et son souhait d’assurer sa paternité et donc de reprendre l’enfant. Pourtant, le conseil général choisit de donner son consentement à l’adoption plénière de l’enfant le 26 avril 2001. D’où un procès dans lequel le tribunal de Nancy donna satisfaction au père, mais vit son jugement réformé en appel par la cour, qui refuse pour sa part de donner effet à la reconnaissance prénatale du père du fait de la décision de la mère d’accoucher sous X.
51Cependant, dans un tout récent arrêt du 7 avril 2006, la Cour de cassation vient de désavouer la cour de Nancy, et donc de manifester sa préférence pour la reconnaissance effectuée par le père. Ce dont on ne peut que se réjouir. Car dénier tout à l’heure à une mère, et ici à un père, le droit de faire triompher leur désir profond d’assumer leur lien de sang ne saurait s’autoriser d’une bonne justice.
52D’autant qu’un accouchement sous X. n’est sans doute pas toujours le synonyme d’un égoïste abandon auquel on serait, de prime abord, tenté de l’assimiler. L’accouchement reste, en effet, par hypothèse don d’une vie. Don gratuit de la vie. Avec, certes, les faiblesses de celle ou celui qui la transmet, mais avec aussi ses amours passés, ses espérances, ses projets, un regard, une tendresse. Écoutons d’ailleurs pour conclure Marie-France Bergerault, dans ses entretiens avec Yves de Gentil-Baichis, retranscrits dans « Naître sous X. et inventer sa vie » (éd. Vie chrétienne, 2005). Elle a appris à quatorze ans que sa mère avait accouché sous X. et qu’elle avait été adoptée. Son premier sentiment est celui de la révolte, puis s’installe en elle tout autre chose : « par rapport à celle qui m’avait conçue, mon premier sentiment a d’abord été très négatif : c’est quand même elle qui m’a abandonnée. Et j’ai été encore plus sévère quand j’ai attendu un enfant. En faisant cette expérience, il m’a paru vraiment impensable d’abandonner ainsi son nouveau-né. Mais peu à peu, j’ai perçu autre chose que l’abandon à travers ce geste, quelque chose qui n’avait rien à voir avec de l’égoïsme et que j’ose même appeler « don ». Peut-être suis-je dans l’illusion mais peu importe. J’ai souvent repris cette question en sentant bouger mes enfants, en voyant des jeunes femmes enceintes poser des mains protectrices sur leur ventre ; on ne décide de laisser un enfant que si l’on sent au fond de soi que c’est vraiment mieux pour lui. Peut-être y a-t-il beaucoup d’autres sentiments, de l’égoïsme même, mais l’amour ne peut en être absent. Cette vision de ma mère biologique m’a fait vivre…Oui, je pense que la vie avait de l’importance à ses yeux et qu’elle a voulu me la transmettre. Faire cette découverte m’a permis à mon tour de donner la vie sereinement ».
52. La force de l’affection
53Grand mystère que celui de l’affection. Qui n’est pas l’amour, mais qui est également autre que l’amitié. Une douce tendresse que l’on éprouve pour celles et ceux dont on partage une partie de la destinée, et avec lesquels tout est transparent. Se dire et écouter, recevoir et donner, toucher et être ému. L’affection est là, qui unit et rassure, attentive, précieuse, désintéressée, toujours présente aux rendez-vous qu’on lui donne.
54L’affection des proches, des soignants, des bénévoles qui irriguent le cœur de ceux qui souffrent et leur donnent les couleurs que la maladie voudrait leur ôter. Ainsi que le montrent notamment deux bouleversants ouvrages d’origine toulousaine. D’abord, celui de Marie-Christine et Jacques Ambec, qui décrit le combat de Jacques, pendant plusieurs années, contre le virus du Sida. Un combat sans merci, où l’affection des proches constitue un îlot de sérénité et de paix : « Le plus souvent, tu somnoles dans une sorte de quiétude. Je te regarde. Je te demande si tu es bien. Tu murmures oui. Tu me demandes de prier comme un ange gardien qui veille. Parfois, les larmes envahissent mes yeux, sans le vouloir, je n’y peux rien tant cette situation devient insupportable. Tu me vois pleurer. Je suis surpris. Tu me dis : « Je suis là, c’est l’essentiel, il n’y a pas de quoi pleurer ».
55Et ensuite ce livre que vient de publier un aumônier, Annie Bras, sous l’intitulé « Dieu est entré à l’hôpital » (éd. Thélès, 2005). Là aussi, tout est réconfort, communion, affection. Car, nécessairement, « le moral varie au fil des heures, souvent au fil des minutes, du beau fixe au seuil de l’infranchissable… Que faire, que dire face à toutes ces souffrances ? L’homme n’existe qu’à travers les autres. Chaque mot d’amour, chaque geste de tendresse est une victoire sur la souffrance et sur la mort ».
56Ajoutons aussi quelques mots sur le récent livre de Laetitia Bohn-Derrien, « Je parle » (en collaboration avec Isabelle Horlans, éd. Lattès, 2005), tant il nous a également beaucoup ému. Le 9 novembre 1999, alors qu’elle se trouve à Atlanta au congrès mondial des cardiologues pour les relations publiques d’un laboratoire pharmaceutique, Laetitia est victime d’un accident cérébral. Cette Rémoise d’à peine trente-trois ans ne peut plus alors communiquer que par le clignement des paupières. Et pourtant, au terme d’une extraordinaire lutte de tous les instants, dans laquelle l’affection de sa famille jouera, dit-elle, un rôle inestimable, elle va pouvoir remarcher et serrer à nouveau ses enfants dans ses bras. Oui, pour apaiser la peur panique que lui causait ce véritable enfermement dans son corps, rien ne pouvait être plus fort que l’affection de ses proches !
57C’est dire combien, dans un tout autre domaine, nous comprenons l’attitude de ces parents qui, voyant leur enfant gravement handicapé, s’efforcent d’assurer au mieux son avenir, même purement matériel. Pour être sûrs que, le jour où ils ne seront plus là pour l’entourer, celui-ci puisse continuer à vivre sa vie. Une vie, certes, dépourvue de certains attraits que les mystères de la vie n’ont pas voulu lui accorder. Mais une vie néanmoins décente, digne de l’entière condition humaine qui est la sienne. Et même, ajoutent souvent à juste titre les parents d’enfants handicapés, d’une vie particulièrement riche, comme si, pour faire oublier certains manques, la nature humaine pratiquait en eux une singulière compensation, sur les terrains du cœur, de la spontanéité, de l’émerveillement, de l’attention aux autres.
58Or on sait que le combat juridique de ces parents est loin d’être un long fleuve tranquille. Certes, il avait bien commencé. Le 17 novembre 2000, l’assemblée plénière de la Cour de cassation décidait, en effet, que si les fautes commises par un médecin et un laboratoire dans l’exécution de contrats formés avec une femme enceinte –en l’occurrence, la non détection de la rubéole-avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, celui-ci était en droit de demander la réparation du préjudice résultant pour lui de ce handicap et causé par les fautes retenues.
59Mais cette décision, immédiatement connue sous le nom de l’arrêt Perruche, allait susciter, tant parmi les juristes que dans l’opinion publique, une immense controverse. Et soulever contre elle, de la part de certains, des réactions passionnelles. Comme si la Cour de cassation avait prétendu –ce qu’elle n’avait nullement dit- qu’un enfant handicapé soit assimilable à un préjudice ou encore que sa naissance soit réductible à cette même qualification. Non, ce que l’assemblée plénière avait simplement voulu dire, c’est que lorsqu’un enfant, par l’effet d’une faute médicale avérée ayant empêché sa mère d’interrompre à temps sa grossesse, naît sourd, avec un seul œil valide, et souffre en outre de graves troubles neurologiques et cardiaques, il est en droit d’obtenir devant les tribunaux français, via lui-même et ses parents, une juste indemnisation pour que sa vie demeure toujours digne. Et qu’elle puisse demain, le jour où ses parents ne seront plus de ce monde, se poursuivre avec l’assistance d’une tierce personne.
60Toujours est-il que submergée par ce flot de réactions contraires, la voix de cet enfant s’éteignit assez rapidement devant celle du Parlement qui, par une loi du 4 mars 2002, n’hésita pas à briser la jurisprudence de la Cour de cassation, en précisant que « nul, fût-il handicapé, ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance » et que « lorsque la responsabilité d’un professionnel de santé est engagée vis-à-vis de parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice », celui-ci ne pouvant inclure « les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap ».
61Soit, nous dira-t-on, puisque ce texte renvoie par ailleurs, avec solennité, à la solidarité nationale pour assurer désormais l’indemnisation des handicaps congénitaux. Seulement, si la solidarité nationale est l’un des plus beaux concepts qui soient, et si sa sollicitation peut, au demeurant, se comprendre pour éviter aux médecins gynécologues de notre pays de devoir verser des primes d’assurances énormes, voire dissuasives, elle reste aussi malheureusement, sur un plan purement économique, atteinte d’une grave faiblesse. Directement liée à l’énorme poids d’une dette publique que les seuls discours incantatoires ne suffisent pas à réduire !
62Autant dire que les enfants de la jurisprudence Perruche n’y trouvent pas pour l’instant leur compte, ainsi que vient d’ailleurs de l’indiquer la Cour européenne des droits de l’homme en condamnant la France sous l’angle particulier de la question qui lui était posée, c’est-à-dire celle de l’application immédiate déclarée de la loi de 2002 aux instances judiciaires en cours. Ce texte, observe en effet la Cour de Strasbourg, supprime purement et simplement, avec effet rétroactif, une partie essentielle des créances en réparation, de montants très élevés, que les parents d’enfants dont le handicap n’avait pas été décelé avant la naissance en raison d’une faute auraient pu faire valoir contre l’établissement hospitalier responsable. Ce qui n’est pas admissible au regard de la couverture des charges particulières qui découlent du handicap de l’enfant tout au long de sa vie, dès lors que le mécanisme de compensation mis en place au titre de la solidarité nationale aboutit, pour sa part, à des prestations faibles et pour l’heure bien incertaines dans leur quantum et leur date de versement.
63Alors, espérons, avec le tout récent renfort de la Cour de cassation qui vient elle-même de relayer, le 24 janvier 2006, cette condamnation strasbourgeoise, que le combat des parents d’enfants handicapés triomphe enfin demain, et cette fois-ci sans partage. Car, une fois encore, comment leur contester le droit d’avoir pour leur enfant la plus grande marque d’affection qui puisse être : celle de faire en sorte que leur avenir soit assuré, pour ce temps où eux-mêmes ne seront peut-être plus auprès de lui ? Comme s’ils avaient, d’une certaine façon, vocation à l’accompagner, à demeurer, invisiblement, à ses côtés.
64Oui, à ses côtés, pour lui donner la main ou le porter si nécessaire. Un peu à la manière de Dieu, ainsi que le présente le poète brésilien Adémas de Borros, dans cette si belle histoire qu’on ne résistera pas à la joie de retranscrire ici : « J’ai rêvé que je cheminais sur la plage en compagnie du Seigneur, et que, sur le bord du rivage, se réfléchissaient tous les jours de ma vie. J’ai regardé en arrière, et vu qu’à ce jour où passait le film de ma vie, surgissaient des traces sur le sable : l’une était mienne, l’autre celle du Seigneur. Ainsi nous continuions à marcher jusqu’à ce que mes jours fussent achevés. Alors je me suis arrêté, et j’ai regardé en arrière. Et découvert qu’en certains endroits, il y avait seulement une empreinte de pied. Et ces lieux correspondaient justement avec les jours les plus difficiles de ma vie, les jours de plus grande angoisse, de plus grande peur et des plus grandes douleurs. J’ai donc interrogé : « Seigneur, tu as dis que tu étais avec moi tous les jours de ma vie et j’ai accepté de vivre avec toi ». Et le Seigneur me répondit : « Mon fils, je t’aime, j’ai dit que je serais avec toi durant la promenade, et que je ne te laisserai pas une seule minute. Je ne t’ai pas abandonné. Les jours où tu as vu à peine une trace sur le sable furent les jours où je t’ai porté ».
53. Et celle de la fraternité
65Frères, sœurs, frère et sœur, sœur et frère… Des relations parfois difficiles, comme l’histoire en porte témoignage. Abel tué par Caïn, Rémus, par Romulus après la fondation de la Rome éternelle. Mais aussi et surtout des images d’union, de force, de courage également. Antigone, qui brave ouvertement le roi Créon qui lui interdisait d’ensevelir son frère Polynice. Jacques et Jean, les fils de Zébédée, qui déposent ensemble leurs filets et suivent le Christ. Et puis les frères de Limbourg, enlumineurs de leur état ; les frères Le Nain, Grimm, Goncourt. Et encore Maurice et Eugénie de Guérin, les sœurs Brontë, Auguste et Louis Lumière, Paul et Camille Claudel…
66L’histoire de la fraternité et de la sororité est ainsi très riche de ces couples dynamiques, créatifs, et en même temps souvent très sensibles qui ont enrichi notre patrimoine commun. Dans une forte complémentarité, à la manière de celle qu’avait bâtie les Grecs en voulant qu’Épiméthée, l’homme de l’en-arrière, et Prométhée, l’homme de l’en-avant, fussent frères. De sorte que, comme le montre excellemment le beau livre de Didier Lett, « Histoire des frères et sœurs », la fratrie est généralement perçue de façon très positive. Ainsi, au IVème siècle avant Jésus-Christ, Antisthène disait déjà que « l’amitié de deux frères est plus solide qu’un rempart », et par la suite, Plutarque comparera joliment un frère à « un ami donné par la nature ».
67De belles formules que le droit reprend en quelque sorte à son compte, en reconnaissant pleinement cette force de la fratrie. Certes, il a pu connaître dans le passé quelques errements, notamment en établissant jusqu’en 1790, au moins pour les fiefs et biens nobles, un privilège de masculinité et un droit d’aînesse qui, il faut bien l’avouer, n’étaient pas du meilleur effet. Mais aujourd’hui, son changement d’attitude est complet. De très nombreuses dispositions tendent, en effet, à renforcer les liens entre frères et sœurs.
68La plus célèbre est sans doute l’article 371-5 du code civil aux termes duquel « l’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution ». Un texte qui, notamment dans les procédures de divorce, s’efforce d’assurer l’unité de la fratrie et dont la cour d’appel de Paris a récemment jugé qu’il s’appliquait aussi aux demi-frères et sœurs.
69Mais bien d’autres dispositions peuvent être citées. Ainsi, depuis la récente réforme opérée par la loi du 4 juillet 2005, la possibilité d’un agrément des adoptants « délivré pour l’accueil d’un ou de plusieurs enfants simultanément », afin de favoriser l’adoption de fratries. Ou encore toute une série de possibilités que le Code ouvre à un membre de la fratrie pour défendre les intérêts de son frère ou de sa sœur en difficulté ou bien suppléer leur défaillance : droit de demander l’ouverture de la tutelle ou de la curatelle ; possibilité d’être désigné comme tuteur ; faculté de faire les actes conservatoires que nécessite la gestion de la personne placée sous sauvegarde de justice ; droit de faire opposition à une déclaration d’abandon d’enfant, préludant à une adoption, dès lors que ce frère ou cette sœur demande à assumer lui-même la charge de l’enfant et que cette demande est jugée conforme à l’intérêt de ce dernier ; possibilité, à l’inverse, de solliciter un retrait de l’autorité parentale, par exemple si les parents de l’enfant (c’est-à-dire du neveu ou de la nièce) commettent des mauvais traitements ; droit encore d’intervenir lors de l’ouverture d’une procédure d’assistance éducative afin de se voir confier son frère ou sa sœur mineure. Droit enfin, de donner l’un de ses organes pour qu’il soit greffé sur le frère et sœur. Un droit superbe et généreux, mais pourtant, dira l’acteur Richard Berry après avoir donné un rein à sa sœur Marie, « un acte normal, pas un sacrifice » !
70Le droit ajoute cependant à ce tableau assez idyllique une touche qui nous paraît essentielle. Et qui est la nécessité de restituer à chaque frère ou sœur sa juste place et, plus encore, sa singularité. Ainsi, lorsque les parents meurent et dans le souci d’éviter le morcellement de l’entreprise, commerciale, industrielle, artisanale ou agricole, qu’ils avaient créée, le Code civil prévoit que le tribunal pourra ordonner l’attribution préférentielle de cette entreprise à l’un des frères et sœurs héritiers, en pratique à celui ou celle qui collaborait déjà, du vivant des parents, à l’exploitation. Moyennant évidemment souvent le versement d’une soulte, c’est-à-dire d’une somme d’argent voulant éviter que ses frères et sœurs ne soient financièrement lésés, mais de telle sorte, surtout, que l’ouvrier de la première heure ne soit pas ici évincé par ceux qui ne peuvent même pas prétendre à la qualité d’ouvriers de la onzième.
71C’est dans ce même esprit de reconnaissance de la part de chacun que s’inscrit l’institution de la créance dite de salaire différé, créée en 1939, et qui reconnaît quant à elle, à celui des enfants qui a participé à l’exploitation agricole de ses parents sans recevoir de rémunération particulière, un droit de créance contre la succession. Là encore pour que ses frères et sœurs, déjà partis de la maison familiale, ne bénéficient pas à son détriment d’un enrichissement injuste.
72Oui, la bonne fraternité, c’est celle qui ne gomme pas les différences, mais au contraire les reconnaît, en choisissant de les valoriser. Celle qui privilégie l’unité mais dans le respect de la diversité. En faisant tout pour que chacun existe et s’épanouisse. Dans les familles composées par les hasards de la nature comme dans celles recomposées par les aléas de la vie.
73Alors, la fraternité devient un concept merveilleux. Susceptible de rayonner bien au-delà de son cadre naturel. D’entrer dans une devise républicaine comme de s’inscrire au cœur de notre foi. De transcender les clivages les mieux installés, de bouleverser les avantages les plus acquis, bref de souffler un air entièrement nouveau.
74Il me revient alors tellement d’images… Par exemple, celle d’un merveilleux soleil d’arrière-saison, un soir d’octobre où, en famille, nous revenions par le train de Twickenham vers Waterloo à l’issue d’un match de rugby Harlequins-Castres Olympique, qui s’était terminé par un score de parité au Stoop Memorial Ground. Et là, dans ce train de banlieue, les chants fusaient spontanément entre supporters des deux équipes. Depuis ceux du répertoire franco-français le plus traditionnel jusqu’aux chants de Guillaume le Conquérant. Magique, la fraternité !
75Le souvenir, aussi, de cette belle opération « Fraternité », conçue par un médecin urgentiste de Lorraine, Philippe Rodet, prenant l’initiative de mettre les jeunes des cités en contact avec, à la fois, un adulte « inséré dans la société » et un enfant des pays du Sud (Mali, Sénégal, Maroc, Algérie). Et ici encore, le dialogue abonde, tant il est souvent plus aisé de parler à un frère ou à une sœur qu’à ses propres parents.
76Et, puisqu’on parle de ces merveilleux pays qui s’enracinent dans le désert, l’image aussi de Charles de Foucauld. Cet Alsacien qui perdra très jeune sa mère et son père. Et dont l’adolescence sera difficile, s’orientant, comme on le disait alors, vers une existence de jouissance et de désordre. Et puis, étant devenu, quand même, officier à vingt-deux ans, Charles se voit envoyé en Algérie et découvre alors avec émerveillement de nouveaux horizons. Tellement différents que, trois ans plus tard, il quittera l’armée. Et retrouvera doucement Dieu, notamment lors d’un voyage en Terre Sainte. Ordonné prêtre en 1901, il partira quelques mois plus tard en Algérie, et s’établira dans l’oasis saharienne de Beni-Abbès, proche de la frontière du Maroc, où il décidera de construire, non pas un ermitage isolé, mais une « fraternité ». C’est-à-dire, selon ses propres termes, une maison dont la porte est ouverte à tous ceux qui viennent, quelle que soit leur nationalité, leur race et leur religion : « Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs, à me regarder comme leur frère, le frère universel. Ils commencent à appeler la maison « la fraternité », et cela m’est doux ».
77Et enfin le souvenir de Martin Luther King, ce grandissime pasteur protestant noir, qui lutta toute sa vie contre la ségrégation raciale. Le 28 août 1963, à Washington, Martin Luther prononce ce discours si célèbre « I have a dream » : « Je rêve qu’un jour, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité. Telle est mon espérance. Telle est la foi que je remporterai dans le Sud. Avec cette foi, nous serons capables de distinguer, dans les montagnes de désespoir, un caillou d’espérance. Avec cette foi, nous serons capables de transformer la cacophonie de notre nation discordante en une merveilleuse symphonie de fraternité. Avec cette foi, nous serons capables de travailler ensemble, de prier ensemble, de lutter ensemble, d’aller en prison ensemble, de nous dresser ensemble pour la liberté, en sachant que nous serons libres un jour ».
78Un merveilleux message, qui ne doit cependant pas nous faire oublier que Martin Luther, comme Charles, furent un jour assassinés. Comme si, tant elle peut rafraîchir les déserts les plus arides ou renverser les montagnes les plus assurées, la fraternité pouvait encore faire peur à certains.
54. La force de l’amitié
79Parce qu’on choisit ses amis, l’amitié est symbole de liberté, de spontanéité, d’absence de contrainte. Autant dire que le droit ne paraît pas spontanément invité à sa table. Et, de fait, la seule réglementation proposée pour la régir, à l’initiative de Saint Just, fut rapidement écartée, tant elle parut en total décalage avec l’esprit qui anime l’amitié. Qu’on en juge : « Tout homme âgé de 21 ans est tenu de déclarer dans le temple quels sont ses amis. Cette déclaration doit être renouvelée tous les ans pendant le mois de ventôse. Si un homme quitte un ami, il est tenu d’en expliquer les motifs devant le peuple, dans les temples, sur l’appel d’un citoyen ou du plus vieux ; s’il le refuse, il est banni » !
80Cela étant, parce que le droit est finalement plein de ressources, et surtout de ressources très humaines, il nous livre à sa façon, de manière presque subliminale, un bel hymne à l’amitié, qu’on pourrait ainsi résumer.
81L’amitié est généreuse, comme le révèle l’animus donandi qu’elle exprime dans les donations et qui est nécessaire à leur validité.
82L’amitié est fidèle, comme celle de l’exécuteur testamentaire désigné pour faire respecter les dernières volontés du défunt.
83L’amitié prend en charge les difficultés de l’autre, à la manière de celle du mandataire de fin de vie choisi pour soulager les ultimes angoisses.
84L’amitié permet de relativiser les problèmes et donne ainsi des ailes, comme celle dont fait preuve la caution, lorsqu’elle facilite l’obtention du crédit en acceptant de garantir la dette d’autrui.
85L’amitié n’est pas dogmatique, elle ne crée pas des systèmes ou des règles ; elle est par nature médiatrice, privilégiant en toute circonstance l’intérêt commun.
86L’amitié ne juge pas, elle ne blesse pas, elle donne simplement des conseils pour aider l’autre, à la manière de l’amicus curiae qui éclaire les juges dans la recherche de la meilleure solution.
87L’amitié n’est pas envieuse, elle s’émerveille au contraire de ce qu’est l’autre ; elle se réjouit pleinement, et sans aucune réserve, du bonheur qui peut être le sien, en y apportant éventuellement sa pierre, par exemple en procédant à de petits dons manuels, parfaitement valables même s’ils s’affranchissent du formalisme légal.
88L’amitié fait confiance, ainsi qu’en témoigne cette jurisprudence considérant qu’entre amis, il n’est pas naturel de recourir à un écrit pour constater la naissance d’une dette.
89L’amitié enrichit sans qu’on s’en rende compte, car les relations entre amis sont toujours hors commerce.
90L’amitié ne s’éteint pas par le non-usage, elle répond au contraire toujours présent, indifférente à la longueur des séparations ou au poids des silences.
91L’amitié s’intéresse, comme le révèle le Code civil lorsqu’il permet au juge des tutelles d’introduire dans le conseil de famille des amis de l’enfant qu’il convient de protéger.
92L’amitié n’est pas, en revanche, elle-même intéressée, comme le rappelle la Cour de cassation en précisant que si des travaux ont été effectués dans un appartement loué par un locataire par amitié envers son bailleur, l’ex-locataire ne peut ensuite revendiquer le droit d’être dédommagé.
93L’amitié protège, y compris contre les siens, ainsi que le suggère le Code civil lorsqu’il permet au juge aux affaires familiales d’accorder à un ami, « si tel est l’intérêt de l’enfant », le droit de rencontrer celui-ci.
94Enfin, c’est son seul défaut, l’amitié peut aveugler, comme le rappelle à sa manière le Code de procédure civile lorsqu’il prévoit la possibilité pour un plaideur de demander la récusation d’un juge lorsqu’il y a « amitié (ou d’ailleurs inimitié) notoire entre le juge et l’une des parties ». Mais, à la réflexion, tout autre doit être la véritable amitié. Dans ce pouvoir de critique constructive qui naît d’une absolue liberté, d’une immense confiance, et de cette certitude que, demain, et quoi qu’il arrive, l’amitié sera plus forte encore qu’aujourd’hui.
95Car, comme le disait le poète romantique allemand Christian Dietrich Grabbe,
« Ton véritable ami n’est pas celui qui tend le miroir
Des flatteries dans lequel ton regard se complaît
Ton véritable ami est
Celui qui te montre tes défauts
Et t’aide à les effacer avant que les ennemis
Ne les découvrent ».
55. Celle de l’esprit
96Il y aurait de multiples façons de parler de l’esprit. J’en évoquerai une seule, tant elle me paraît symbolique, superbement représentative de toutes les autres, et aussi au cœur d’un des plus grands mystères de notre humanité. C’est l’esprit qui anime l’être qui souffre. Et pour lequel, bien souvent, la souffrance n’est pas l’occasion de se plaindre, d’envier la situation des autres, d’attirer l’attention sur ses difficultés et ses angoisses, mais tout au contraire la source d’un dépassement de soi. D’une force supplémentaire, d’un esprit conquérant qui surabonde et irradie, au point, finalement, d’apporter aux « bien portants » le souffle et l’espoir qu’eux-mêmes n’ont pas toujours su entretenir !
97Une vision angélique de la souffrance ? Peut-être, sous un certain regard, tant il est, au demeurant, difficile de parler d’elle. De mettre sur un simple papier toutes ces douleurs, ces épreuves, ces angoisses, ces moments de découragement et de doute. Les mots n’ont alors guère de sens, paraissant infiniment courts. Le cardinal Veuillot l’avouait, au milieu des terribles souffrances qu’il endurait à la fin de sa vie : « Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même j’en ai parlé avec chaleur. Dîtes cependant aux prêtres de n’en rien dire ; nous ignorons ce qu’elle est ».
98Pourtant, chacun de nous n’est-il pas en mesure, très concrètement, de discerner autour de lui, tout près de lui, des êtres dont le rayonnement est à la mesure des épreuves qu’ils vivent ? Qui sont une vraie lumière, éclairant tous les autres. Et qui, par contraste, rejettent dans l’ombre nos petits soucis quotidiens, nos petites médiocrités, nos chimères.
99J’en évoquerai simplement trois. Deux dont j’ai fait la connaissance par la presse, et un troisième qui m’est proche.
100Clavel Kayitaré, arrivé à l’âge de huit ans du Rwanda. Aujourd’hui, il a vingt ans, et a le genou gauche « soudé » au niveau de l’articulation, car ce genou a été broyé par des éclats d’obus, lors du conflit opposant Hutus et Tutsis, au cours duquel il a lui-même perdu son père et sa mère. Pourtant, il refuse de donner le nom des meurtriers parce que, dit-il, « il faut que cela s’arrête ». Et effectue par ailleurs des courses de cent mètres comme les autres, quatre fois par semaine, sur un stade d’Issy-les-Moulineaux.. Si bien qu’aux jeux olympiques de Pékin, il se verrait bien faire un tour d’honneur avec les drapeaux français et rwandais. Nous aussi…
101Jeanne Barbey. À vingt-huit ans, elle est déjà une pianiste confirmée. Pourtant, atteinte depuis sa naissance de mucoviscidose, elle sait que sa vie est fragile, et que la moindre grippe peut sacrément la contrarier. Mais, en même temps, comme elle le dit si justement, « l’incertitude de l’avenir n’est pas une raison suffisante pour ne pas être heureuse ». Tout au contraire même, le présent est alors donné en abondance pour illuminer la vie et faire chanter les cœurs… avec tous ses amis choristes qui l’accompagnent dans ses concerts. Merci, Jeanne.
102Maurice Dourel. Je le côtoie dans le petit village du Tarn, Les Salvages, où je passe mes vacances. Depuis 1985, où il a subi à cette fin une trachéotomie, il vit en permanence sous oxygène, détenant de la sorte le record de France ! Dire qu’il ne vit aucun moment difficile n’aurait pas de sens. Mais dire qu’il a su transformer son handicap en une force extraordinaire, son inquiétude en espérance, sa peur en soif de vie, avec les autres et pour les autres, c’est aussi dire l’absolue Vérité, et témoigner, très simplement, très humainement, de la force de l’Esprit…
56. Et celle de la fidélité
103Fidélité à soi-même. À ses idées, à ses convictions, à ses passions. À ses origines. À sa terre. Fidélité à l’autre. À ses attentes, à ses projets, à nos projets communs.
104Une exigence difficile mais si importante, source d’une grande force intérieure. Car dans un monde en proie à l’instabilité, aux mutations incessantes, la fidélité est synonyme de persévérance, de constance, d’attachement à l’essentiel. Offrant le précieux avantage d’un travail qui s’inscrit dans la continuité. Et donc dans la construction régulière et progressive de lendemains sereins, ou encore, nous souffleraient en chœur Christophe Colomb, Edison, Pasteur ou Watt, au bénéfice d’extraordinaires paris auxquels fort peu de gens croyaient réellement au départ.
105En droit aussi, la fidélité est largement présente, ainsi que le révèle la superbe thèse de doctorat que vient de lui consacrer, à l’Université des sciences sociales de Toulouse, Mademoiselle Sonia Benhadj Yahia. Le législateur n’hésite pas ainsi à s’y référer souvent : devoir de fidélité, naturellement, que le célèbre article 212 du Code civil fait naître entre les époux, mais aussi reproduction fidèle et durable d’un document, compte rendu fidèle des débats judiciaires, inventaire fidèle des biens de la succession, ou encore image fidèle de la situation financière de la société à laquelle doivent veiller nos amis experts-comptables lors de l’établissement des comptes annuels. Une exigence de fidélité dont, à la lumière de la thèse précitée, nous retirerons trois enseignements principaux.
106D’abord, le nécessaire respect de la confiance accordée. Prenons l’exemple du mandataire auquel une personne –le mandant-confie le soin de passer un acte juridique en son nom et pour son compte. Le Code civil, dans son article 1989, le dit très clairement : « le mandataire ne peut rien au-delà de ce qui est porté dans son mandat », de sorte, par exemple, que le mandat exclusif de vendre un immeuble ne confèrera nullement au mandataire le pouvoir de faire effectuer des travaux dans l’immeuble, fût-ce pour en accroître la valeur. Et, pour mieux signifier encore ce devoir d’un très fidèle respect de la mission confiée, l’article 1993 ajoute que « tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant ».
107C’est dire que le respect de la confiance accordée doit s’exprimer jusqu’aux détails, jusqu’aux marges de la mission confiée, et même sans doute au-delà d’elle, dans ce qu’on pourrait aller son suivi. Dans sa belle thèse sur le comportement du contractant (Presses univ.Aix-Marseille), mon collègue Bertrand Fages le révèle en effet, à la lumière d’une jurisprudence de plus en plus explicite : la bonne exécution du contrat, c’est celle qui, une fois même les obligations exécutées, témoigne de l’absolue fidélité aux engagements souscrits, et va donc empêcher le contractant de revenir indirectement, par une attitude contestable, sur la qualité de la prestation qu’il a fournie. Bref, être fidèle, c’est l’être ostensiblement, dans la clarté, mais aussi le demeurer discrètement, dans l’ombre, là où ne l’attendrait pas –ou plus-nécessairement.
108Cela étant, et c’est là un second enseignement que suggère le droit, fidélité ne signifie aucunement passivité. Tout au contraire, la fidélité doit savoir parfois faire preuve d’imagination pour répondre véritablement à la confiance accordée. Reprenons ainsi l’exemple du mandataire. Que nous dit la jurisprudence ? Que si un conseil juridique a été chargé d’effectuer un paiement pour le compte de son client mandant, il ne doit pas se borner à envoyer le chèque, il « doit aussi vérifier l’arrivée du pli à sa destination » ; ou encore qu’un huissier, « n’étant pas un mandataire dépourvu de toute initiative », doit, sauf instructions formelles contraires de son client quant à la date de la vente, « la fixer de la façon la plus propice aux intérêts de celui-ci et la déplacer ou la maintenir en fonction de ces mêmes intérêts ». En d’autres termes, il incombe au mandataire de prendre les initiatives qui vont au mieux des intérêts de son mandant, et sa responsabilité serait donc engagée si, tout au contraire, il se croisait les bras au nom d’une fidélité mal comprise.
109Allons même plus loin. Il est des cas où la fidélité peut imposer de désobéir ! Désobéir pour demeurer alors fidèle à une norme supérieure, surpassant celle que voulait promouvoir le mandant ou le supérieur direct. Les juristes de droit pénal justifient cette attitude par la doctrine dite des « baïonnettes intelligentes », aux termes de laquelle le subordonné est donc conduit à méconnaître les ordres illégaux que lui avait donnés son supérieur hiérarchique. Le Code pénal lui fait, en effet, une très juste place puisque si son article L. 122-4 précise tout d’abord que « n’est pas pénalement responsable, la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime », il ajoute aussitôt « sauf si cet acte est manifestement illégal ».
110C’est dire que la véritable fidélité oblige à discerner l’essentiel. Ce que l’on ne saurait transgresser, ce sur quoi l’on ne saurait transiger. Ainsi d’ailleurs que vient de le rappeler à son tour la loi du 8 mars 2005 portant statut général des militaires, dont l’article 8, après avoir lui-même dit que « les militaires doivent obéissance aux ordres de leurs supérieurs et sont responsables de l’exécution des missions qui leur sont confiées », ajoute qu’« il ne peut leur ordonné et ils ne peuvent accomplir des actes qui sont contraires aux lois, aux coutumes de la guerre et aux conventions internationales ». Avec ici, on le notera, une dernière précision, elle-même d’importance : « La responsabilité propre des subordonnés ne dégage leurs supérieurs d’aucune de leurs responsabilités ».
111D’où le troisième enseignement qui paraît découler de la fidélité : sa réciprocité, simple, éminemment naturelle. Lorsque, du moins, elle est vécue de façon positive, sincère, réelle, avec toute l’intelligence des cœurs qui y participent. La fidélité n’est pas en effet envieuse, ou encore nécrosée par on ne sait quelle jalousie ou étroitesse d’esprit, elle est tout au contraire double satisfaction, double épanouissement, dans la liberté de chacun.
112Considérons ainsi l’article 1998 du code civil : « Le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire conformément au pouvoir qui lui a été donné ». Le mandataire a su être fidèle à la confiance qui lui avait été donnée ; au mandant de l’être à présent, pour respecter celle de son partenaire et, à travers lui, des autres. Prenons encore l’exemple du contrat de franchise, par lequel un franchiseur qui a connu le succès dans son activité de négoce ou de service choisit de réitérer en quelque sorte son succès en confiant sa marque à des franchisés. Le socle d’un tel contrat est, très généralement, constitué par une double exclusivité : à savoir, l’engagement du franchisé de ne distribuer que les produits de son franchiseur et, réciproquement, l’engagement de celui-ci de réserver à son franchisé la commercialisation de ses produits, au moins dans un certain cadre géographique. De telles fidélités croisées offrent le plus souvent, ainsi que l’expérience le montre, un solide terreau pour la réalisation de bonnes affaires, dès lors que les intérêts personnel et commun peuvent réellement converger. Le franchiseur trouvera généralement son bonheur dans les efforts réguliers de son franchisé, et celui-ci se félicitera en retour de voir prospérer la marque de son franchiseur.
113On ajoutera, en terminant, que la force de la fidélité ne s’arrête pas toujours là, dans ce constat de relations sûres et épanouies. L’Histoire en porte témoignage, la fidélité peut aussi être l’expression d’un certain romantisme, d’un véritable panache. Celui d’aller jusqu’au bout de ses convictions, jusqu’au terme des combats les plus désespérés. Malgré toutes les apparences contraires, malgré les pires difficultés, malgré les désertions en série. Dans une vraie fidélité, en effet, on ne marchande pas, on ne fait pas marche arrière, on ne tergiverse pas, on reste aux côtés, jusqu’au bout. Et même par-delà la mort, comme le suggère un dernier article du Code civil, il est vrai peu connu, mais si profond dans son ultime expression : l’article 1991, lorsqu’il indique que « le mandataire est tenu… d’achever la chose commencée au décès du mandat, s’il y a péril en la demeure ».
114Confiance, convictions, force des engagements jusqu’au terme de la fidélité promise, pour conjurer « le péril en la demeure ». Oui, l’Histoire récente porte superbement témoignage de femmes et d’hommes qui ont décidé d’aller au bout ultime de leurs convictions tant le péril était extrême. Quitte à perdre, du moins sur cette terre, leur vie humaine : Jaurès, Jean Moulin, Sophie Scholl, Edith Stein, Maximilien Kolbe, Anne Frank, Jan Palach, Jerzy Popieluszko, et tant d’autres encore, sans doute inconnus mais dont la flamme est toujours là, qui nous illuminera éternellement. Comme si la fidélité humaine était transfiguration, pour la vie et par-delà la mort !
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La notion de personne
Étude visant à clarifier le statut juridique de l’enfant à naître
Aude Bertrand-Mirkovic
2003
Le couple et la convention européenne des droits de l’homme
Analyse du droit français
Patrice Hilt
2004
Des comportements fautifs du créancier et de la victime en droit des obligations
Yannick Le Magueresse
2007