Quelques mots d’introduction
p. 7-10
Texte intégral
1Les raisons qui m’ont poussé à écrire ce livre sont nombreuses, mais je préfère en retenir ici une seule, qu’on pourrait d’ailleurs exprimer sous forme d’interrogation : est-il encore possible, pour qui a choisi de consacrer sa vie professionnelle à l’enseignement du Droit, de se cantonner à la transmission de règles purement techniques tandis que meurent les enfants de Beslan et ceux de Bagdad ou, plus près de nous, se trouvent marqués à jamais certains adolescents victimes d’agissements prédateurs sur Internet ?
2Poser la question est, à mes yeux, y répondre. Oui, parler est aujourd’hui non seulement une obligation mais encore un droit. Le droit de s’évader, le temps nécessaire, de l’univers de cette technicité dans lequel la plupart, et moi le premier, nous replions trop souvent. Oh certes, il n’est pas difficile de trouver à notre habituel comportement de multiples justifications, toutes plus solides les unes que les autres. Notamment d’évoquer le danger qu’il y a dans notre monde actuel, lorsqu’on abandonne quelques instants ses traditionnels centres d’intérêt, de perdre irrémédiablement pied dans son domaine de compétence. De fait, les choses vont si vite… Pourtant, vient un moment où ce type d’argument ne convainc plus tout à fait, révélant en quelque sorte ses propres limites. Rester performant, oui, évidemment, mais dans quel monde et pour quel avenir ?
3Alors, j’ai décidé de prendre un risque (au demeurant, bien limité au regard de ceux que courent, quotidiennement, des millions, voire des milliards, d’être humains !). Celui de sortir de mes zones balisées de savoir, de mes sentiers très battus, et d’aller au-devant de lectrices et lecteurs inconnus, en ouvrant avec celles et ceux qui le voudront bien, de véritables dialogues. Des débats d’idées et sans doute même des controverses, fortes, délicates mais toujours délibérément humaines. Bref, en tendant entre nous des fils. Car là, me semble-t-il, réside le vœu profond de l’immense majorité de nos contemporains. En ce début de troisième millénaire, l’heure n’est plus aux idées préconçues et, moins encore, au dogmatisme. Elle est tout au contraire à l’ouverture, à l’écoute, au partage des expériences, des connaissances… et aussi des doutes. Avec, en arrière-plan, le sentiment discret mais tenace que, contrairement à une idée reçue, tout ne va pas si mal que cela que dans notre monde. Qu’il s’y passe même, chaque jour, à côté de nous et parfois en nous, des choses extraordinaires, mais que, paradoxalement, celles-ci éprouvent le plus grand mal à émerger. Les plus grandes difficultés à se faire entendre, écrasées qu’elles sont aussitôt par un fracas incessant de mauvaises nouvelles ! En d’autres termes, l’écho que le moment est peut-être venu pour chacun de nous de faire ouvertement état de toutes ces beautés de la vie, et de puiser en elles de nouvelles forces pour orienter encore davantage notre monde vers ce tout meilleur dont il est à l’évidence capable.
4Ajouterais-je qu’écrire ainsi sur la beauté de la vie constitue pour moi une immense joie. Un juste retour des choses, serais-je même tenté de dire, tant la vie m’a comblé. Non que je ne connaisse pas, comme tout être humain, mon lot d’épreuves, de doutes, d’angoisses. Mais, globalement, la vie m’a énormément donné, dans mes affections, mes passions, mes amitiés, ma profession. Et lui rendre aujourd’hui, avec toute la gratuité qui est la sienne, tous ces trésors de bienfait est une chance merveilleuse que, pour rien au monde, je n’aurais voulu laisser passer !
5C’est dire que ce livre puisera largement dans ma vie, et dans toutes ses étapes, ses situations, ses rencontres, ses événements. Dans mes souvenirs de jeunesse. Dans une existence d’époux, et de père. Dans les multiples amitiés qui m’ont construit et toujours soutenu. Et aussi, naturellement beaucoup, dans le métier d’enseignant, embrassé il y a maintenant plus de trente ans, et qui m’a toujours passionné. Et m’enchante encore tant, contrairement à son apparence de répétitivité, il est sans cesse renouvelé, ouvert sur les autres, et nécessairement inscrit au cœur du monde, de ses transformations et de ses interrogations.
6Avec enfin, à la manière d’un fil rouge ou, plutôt, multicolore, le Droit. Oui, j’aime passionnément le Droit et le remercie, d’une certaine manière, de m’avoir permis de mieux comprendre le sens de la Vie. Même si j’entends ici déjà le lecteur, sinon s’en offusquer, du moins s’en étonner ! Le Droit, en effet, n’a pas toujours bonne presse. Car perçu comme une matière difficile, technique, austère, voire archaïque. Or il est, si j’ose dire, tout… sauf cela ! Le Droit est d’abord, et fondamentalement, une matière simple, où toutes les choses peuvent être dites clairement, où le raisonnement suivi demeure toujours accessible. Certes, comme toute autre discipline, il nécessite des connaissances, mais il suppose aussi et surtout rigueur, bon sens et humanité. Beaucoup d’humanité. Car les règles qu’il peut connaître sont, comme par malice, très loin de fournir une réponse aux multiples questions, toujours inattendues, que la Vie lui réserve. Au point que Jean Carbonnier, très grand juriste des temps modernes, écrivait que « le droit est un jaillissement en dehors des règles » !
7Alors oui, j’aime profondément ce droit, et aurai même parfois tendance, dans les pages qui vont suivre, à le personnifier, comme on le fait d’un ami très sûr de plus de trente ans. Et ce d’autant que, dans les multiples débats qui animent actuellement notre société et notre monde, il offre l’avantage d’être un interlocuteur de toute première importance. Non qu’il détiendrait, comme par magie, les clefs ou même les portes de notre avenir. Mais parce qu’il présente, avec une certaine humilité, le grand mérite de devoir se poser, au gré des sollicitations de chacun, les bonnes questions. Celles qui, en fonction des réponses qu’elles recevront, rendront notre quotidien plus ou moins rayonnant, et surtout orienteront décisivement demain…On pense ici, par exemple, à l’interrogation suscitée par la célèbre affaire Perruche, amenant à se demander si la naissance d’un enfant handicapé peut ou non donner lieu à une réparation particulière mais, au-delà, à d’innombrables autres questions, moins médiatisées, et où l’enjeu humain se révèle également essentiel. Et ce dans les domaines les plus divers du droit : famille, contrats, successions, vie des entreprises, relations de travail, infractions pénales, preuve, relations internationales, propriété, environnement…
8Dans tous ces cas, le droit est en effet confronté en permanence à des questions précises, qui appellent des réponses précises. Sans disposer de la possibilité de fuir. Ce qui, d’un côté, est sans doute fragilité. Mais, de l’autre, grande force. Car le Droit doit ouvrir le débat. Un vrai débat, humain, profond, souvent difficile, mais toujours source, pour notre société et nous-mêmes, d’un grand enrichissement.
9Tel est donc le sens que j’aimerai donner à ce livre. Celui d’une sorte de chronique d’ensemble de la vie, de ses beautés, de ses forces, de ses impertinences, de ses interrogations, et de ses possibles lendemains. Une chronique probablement banale sous certains regards, superficielle même au regard de la complexité de notre condition humaine, de l’extrême imbrication contemporaine des individus et, aussi, de la spécialisation sans cesse croissante des secteurs disciplinaires et professionnels. Sans aucun doute. Mais avec pourtant la volonté, maintenue tout au long de l’entreprise, de traiter la globalité. Car, plus j’avance en âge et gagne, si l’on peut dire, en compétence humaine et technique, et plus j’ai la conviction que toutes les questions qui me sont posées ou encore préoccupent celles et ceux qui m’entourent forment un tout. Unies par un lien certes invisible mais extraordinairement puissant. Un lien que l’on croit parfois découvrir mais qui se dérobe aussitôt, comme pour mieux nous attirer là où il nous réunira sans doute tous un jour.
10Ainsi s’explique également le parti pris dans cet ouvrage de rapprocher le droit d’autres disciplines et même, parfois, de réaliser sa brutale immersion au milieu de faits d’une simplicité très quotidienne. Ce qui, sans doute, surprendra certains. Mais, là encore, le goût du risque aura été le plus fort. Comme, sans doute aussi, le sentiment de procéder à une sorte de rapport de synthèse lors d’un colloque, où mon rôle se réduirait à écrire ce que tous les acteurs de la vie me dicteraient, à mettre simplement en forme et en cohérence le meilleur de ce que chacun d’eux aurait aimablement cherché à me souffler.
11Voilà, le décor est campé. J’ajouterai simplement que ma démarche initiale entendait s’adresser essentiellement aux jeunes, c’est-à-dire à celles et ceux pour lesquels le présent n’est que l’antichambre, parfois bien difficile, d’un demain qu’ils sont appelés à construire. Et, paraphrasant mon compatriote de Castres Jean Jaurès, dans son Discours à la Jeunesse prononcé au lycée d’Albi en 1903, de leur transmettre « quelques-unes des choses que je porte en moi ». Mais au fur et à mesure de l’écriture, le projet s’est élargi à l’ensemble des moins jeunes, embarqués comme moi au beau milieu du merveilleux fleuve de la vie. Avec alors une intention toute particulière pour les non-juristes auxquels je me suis efforcé de rendre le droit accessible, quitte –et je m’en excuse auprès de mes amis juristes-à pratiquer de temps à autre quelques approximations terminologiques.
12Ces mêmes amis seront peut-être aussi surpris de constater que, si de nombreuses décisions de justice sont évoquées, aucune référence n’en est donnée. Qu’ils soient cependant rassurés. Tous les arrêts cités existent. Je les ai effectivement rencontrés, mais ai souhaité en quelque sorte les détacher du temps, tant ils posent pour la plupart d’entre eux des questions d’éternité !
13Et maintenant place à la vie, à cette vie qui, quoique nous puissions parfois en dire, nous est, à toutes et à tous, si chère…
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