Chapitre II. Les modalités de l’harmonisation des statuts personnels
p. 277-320
Texte intégral
1L’analyse précédente a eu pour objectif de faire voir l’intérêt de l’harmonisation et son impact positif sur la matière du statut personnel dans les pays arabes. L’interrogation sur le pourquoi de l’harmonisation a conduit à constater l’importance d’un tel processus dans la transformation des lois relatives au statut personnel en général et dans l’évolution des droits des femmes arabes en particulier. Cependant, au-delà de ces interrogations d’ordre théorique, la vraie difficulté concernant l’harmonisation se trouve ailleurs ; elle se situe au niveau des techniques et des moyens concrets de sa mise en application. Il s’agit donc de s’interroger sur le comment de l’harmonisation. Quel en serait le point de départ ? Quels seraient les éléments à mettre en vigueur ? Quelles seraient les étapes à suivre ?
2Il est certain que tout processus d’harmonisation, quel que soit son domaine d’intervention (commercial, juridique, économique)780, ne peut réussir sans une véritable volonté politique générale de la part des États, acteurs et destinataires de cette harmonisation. Cependant, comme nous l’avons constaté lors du projet d’unification élaboré par la Ligue des États Arabes en 1988, la volonté politique à elle seule ne peut suffire. Ayant considéré comme acquis l’existence d’une telle volonté politique générale781 – en se basant sur les déclarations officielles et officieuses de certains dirigeants ou représentants de gouvernements – notre réflexion ne se penchera pas sur les moyens politiques à fournir pour mettre en œuvre le processus d’harmonisation régionale des statuts personnels. Il s’agira plutôt de réfléchir sur les moyens juridiques à mettre en place et de mener une construction doctrinale pluridisciplinaire prenant appui aussi bien sur le droit comparé que sur le droit international public.
3Droit comparé et droit international public peuvent en effet jouer un rôle déterminant dans le processus d’harmonisation régionale. D’une part, le droit comparé en tant qu’outil informatif nous éclaire et nous informe sur les différents systèmes juridiques au-delà d’une simple lecture des règles et des jurisprudences que l’on compare782. Car comparer différents droits implique avant tout une approche à un niveau plus approfondi, c’est-à-dire en tenant compte du contexte spécifique de chaque pays, de ses racines historiques et de son évolution783. D’autre part, le droit international public intervient dans ce chapitre en tant qu’outil d’évaluation pour nous permettre de vérifier l’évolution des droits nationaux et leur respect de l’ordre international. En tant qu’outil critique au sein du processus d’harmonisation, le droit international public, permettra de mesurer le degré de compatibilité ou de non compatibilité de la norme régionale harmonisée avec la norme internationale, particulièrement en matière de l’universalité des droits de l’Homme784.
4Cette réflexion se veut donc une étape préalable et indispensable à toute intervention politique régionale dans ce processus d’harmonisation. Elle se veut une première étape qui ouvrira par la suite la voie à tout consensus politique régional sur cette question. Cette démarche, consistant à ouvrir une perspective d’analyse autour des moyens et des éléments juridiques à déployer dans la mise en place de l’harmonisation de la matière du statut personnel, n’a pas l’ambition d’apporter des solutions immédiates à cette question. Elle veut, néanmoins, fournir des éléments d’analyse critique permettant de réfléchir sérieusement à la construction d’un espace juridique régional arabe efficace.
5Pour mettre en place le processus d’harmonisation des statuts personnels, il est indispensable d’avoir un cadre politico-juridique adapté, c’est-à-dire une structure rigoureuse. Toutefois, celle-ci ne doit pas supprimer toute capacité d’intervention étatique elle devra permettre un certain degré d’exception et même d’une certaine transgression de la part des États. C’est là où réside le fondement même de l’harmonisation785. L’harmonisation ne signifie pas l’unification, celle-ci étant une ambition trop lourde à être assumée. La technique de l’harmonisation semble être la plus adéquate, d’autant plus que plusieurs éléments concourent actuellement –comme nous l’avons analysé dans le chapitre précédent– à favoriser l’émergence d’un droit du statut personnel harmonisé.
6Sur la base de ces observations, l’objet de ce chapitre tentera de déterminer comment l’harmonisation du droit du statut personnel peut se réaliser dans l’espace régional arabe. Nous présenterons quelques éléments juridiques préparatoires, des pré-requis qui peuvent contribuer à l’émergence d’un droit du statut personnel harmonisé (A). Puis, nous réfléchirons sur certaines questions qui sont encore en suspens dans plusieurs pays arabes. Ces questions sont des défis que l’harmonisation devra relever afin de favoriser le développement d’une nouvelle conception du statut personnel (B).
SECTION 1. LA MISE AU POINT D’UNE MÉTHODE D’HARMONISATION
7Le droit du statut personnel peut devenir un vecteur pour l’ébauche d’un espace normatif (juridique et judiciaire) arabe commun. Mais il ne faut pas se leurrer, car mettre en place un espace normatif arabe à partir de l’harmonisation du droit du statut personnel ne peut que s’effectuer par étapes. C’est un travail complexe et de longue haleine qui demande l’élaboration d’une série d’éléments préalables au lancement du projet au niveau politique. Complexe, car l’harmonisation s’effectue sur un espace dans lequel et à des niveaux différents s’imbriquent des ordres juridiques avec des acteurs multiples, entre lesquels se nouent des rapports à sens et de nature différents. Le point d’équilibre de cette configuration pourrait être néanmoins recherché dans le cadre de la Ligue des États Arabes en tant qu’organisation régionale. Celle-ci pourrait devenir le cadre adéquat à toute construction d’un espace juridique arabe commun.
8Certains éléments sont donc indispensables, car ils constituent une étape préliminaire à toute construction régionale786 et avant même d’envisager les modalités d’une concertation politique entre les pays arabes. Dans ce cadre seront menées, entre autres, des recherches sur le substrat juridique commun aux pays arabes (concepts d’État, d’État de droit, de démocratie). Ces recherches se pencheront également sur les différents acteurs politiques, juridiques et religieux et leurs dialogues avec les juristes académiques787. Ainsi, pour envisager le lancement du processus d’harmonisation juridique entre les différents statuts personnels, il est important, d’une part, de mettre en place les principales étapes indispensable à une réflexion doctrinale autour de l’harmonisation juridique (1) Il est, d’autre part, important d’envisager la création d’un cadre institutionnel arabe dynamique qui supervisera les étapes de cette harmonisation (2).
§1. La construction du processus d’harmonisation
9Il est évident que l’harmonisation des statuts personnels ne pourra prendre forme que si certaines conditions sont réunies à l’étape préliminaire ou préparatoire, c’est-à-dire avant même tout accord politique régional. Car il est inutile, sinon aberrant, de commettre les mêmes erreurs qu’en 1988, quand on a lancé un projet de code arabe unifié du statut personnel. Ce dernier n’a pas suffisamment été étudié sur le plan juridique et a été plutôt une réaction politique à des circonstances momentanées, au lieu d’être un projet préalablement bien réfléchi788. Deux éléments déterminants peuvent intervenir dans le processus d’harmonisation juridique : il s’agit d’une part du droit comparé comme outil d’information précieux (A) et, d’autre part, de la société civile comme facteur décisif et baromètre essentiel pour mesurer la nécessité ou le non nécessité de l’harmonisation, son acceptation ou son non acceptation (B).
A. Le rôle du droit comparé
10Le droit comparé peut avoir un rôle clef dans la détermination du degré d’harmonisation juridique. L’apport des études comparatives consiste en la recherche de modèles doctrinaux aptes à circuler d’un système juridique à un autre et d’atténuer les divergences juridiques qui peuvent entraver le rapprochement juridique. Selon les comparatistes, lorsqu’on décide de lancer un processus d’intégration (harmonisation ou unification) deux approches peuvent se présenter : une approche descendante et une approche ascendante789.
11Dans le cadre de la première approche « descendante », les principes sont élaborés au niveau international et le droit comparé joue alors un rôle subsidiaire d’interprétation. Ce type d’approche a été utilisé après la Deuxième Guerre mondiale. Ainsi, des fragments de droit commun ont été élaborés de manière éparse, au niveau régional ou mondial.
12Au niveau des principes économiques, on a les exemples de « la Communauté économique européenne » (CEE) puis de « l’Union européenne » (UE), ou du « Mercado común del sur » (MERCOSUR) pour l’Amérique latine, ou encore de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA) et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au niveau mondial. D’un autre côté, au niveau des principes généraux, on a les exemples de la Convention européenne des droits de l’Homme, de la Convention interaméricaine des droits de l’Homme ou encore la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ce modèle d’intégration s’est effectué à partir du droit international dans le cadre de la construction d’un droit commun international unie autour de valeurs communes790.
13Quant à la deuxième approche, l’intégration « ascendante », elle consiste en l’élaboration de principes communs par comparaison des droits nationaux, de leurs spécificités et des raisons qui entourent l’adoption de telle ou autre solution juridique. C’est essentiellement sur cette deuxième approche que nous nous baserons dans notre réflexion sur l’harmonisation des statuts personnels dans les États arabes.
14En se fondant sur le droit comparé, cette approche a pour mérite d’une part, d’évaluer791 la nécessité de l’harmonisation, d’établir non seulement sa possibilité, mais aussi son opportunité au niveau régionale. Cela permet ainsi de mesurer le degré d’acceptation et de motivation des sociétés dans chaque pays, leur prise de conscience de la technique de l’harmonisation et des changements qu’elle est censée apporter au niveau des législations, particulièrement au niveau des droits des femmes dans l’institution familiale. D’autre part, cette approche permet de mettre en évidence la diversité et la complexité des situations juridiques dans chaque pays. De plus, l’examen détaillé de chacun des droits en présence et la comparaison de leurs insuffisances respectives, peut permettre de déterminer les causes de ces insuffisances afin de distinguer les cas dans lesquels un problème doit être réglé par un processus de réforme interne des droits (par exemple les règles de procédure), ou par un processus d’harmonisation régionale.
15Comparer ainsi les divergences des États au niveau du statut personnel revient à relever les insuffisances et les lacunes dans chaque État. Relever les différences au niveau de la formation du mariage (polygamie, tutelle, clause de monogamie, etc.) ou de sa dissolution (divorce judiciaire ou répudiation) ne peut être qu’utile. Cela permettra de trouver des solutions adéquates pour chaque État selon son système juridique, selon ses particularités locales et selon son degré d’acceptation des nouvelles règles juridiques ; d’où l’importance de l’intervention du droit comparé à ce stade préliminaire du processus d’harmonisation.
16Cependant, le droit comparé n’a pas le rôle exclusif dans les étapes de l’harmonisation juridique, d’autres considérations pouvant être déterminantes pour lancer effectivement ce processus.
B. Le rôle de la participation civile
17Dans quelle mesure la participation citoyenne dans les pays arabes peut-elle contribuer au lancement du processus d’harmonisation du droit du statut personnel et devenir un élément indispensable dans les étapes de l’harmonisation ? Cette partie montrera que l’harmonisation juridique régionale n’est concevable que si les institutions politiques s’appuient sur la capacité des sociétés civiles à forger les assises humaines, culturelles et historiques de l’ensemble régional arabe. L’implication des citoyens arabes dans le processus d’harmonisation passe, d’une part par la participation de la société civile au processus d’harmonisation et à la transformation des lois relatives au statut personnel (1) et, d’autre part, par la mise en place et le développement de certains éléments notamment les forums de discussions arabes comme moyens d’informations et de rencontre (2).
1. L’implication de la société civile dans le processus d’harmonisation
18Il est important de signaler que lors de l’élaboration du code unifié du statut personnel par la Ligue des États Arabes en 1988, aucune participation démocratique n’a été proposée et aucune diffusion médiatique n’a été effectuée792. Le projet n’est pas sorti des enceintes de la Ligue et y demeure encore aujourd’hui. Ce Code n’est-il pas destiné à être appliqué par les citoyens de ces États ? Comme le signale Sami Aldeeb, « il est certes louable que les Ministres Arabes de la Justice aient pris l’initiative de préparer des projets de lois uniformes. Mais s’agit-il de lois imposées d’en haut, conçues dans les hautes sphères ? Ou s’agit-il au contraire d’une loi faite pour les citoyens ? »793.
19Ces remarques et ses interrogations posent en effet le problème de la participation citoyenne dans un sens large, au processus d’harmonisation que nous proposons d’analyser. Il s’agit donc d’éviter de commettre les mêmes erreurs et d’envisager une voie, autre que celle choisie par la Ligue à cette époque. Il s’agira en particulier d’ouvrir l’espace public au débat autour de la question de l’harmonisation du droit du statut personnel, d’impliquer notamment, les associations féministes, les organisations de défense des droits de l’Homme, les organisations familiales, les ONG. Autrement dit, les réseaux émanant de la société civile794 qui sont en premier lieu concernés par la question du statut personnel et par son harmonisation.
20La société civile est actuellement en pleine ébullition dans les pays arabes, comme le signale à juste titre Sarah Ben Néfissa. De nos jours, nous assistons à la naissance de nouvelles vocations associatives qui ne cherchent pas à assister, mais à mobiliser les citoyens arabes sur des thèmes qui les concernent (corruption, environnement, patrimoine, défense du consommateur, etc.). Ces associations manifestent une volonté de participer à la définition de la chose publique en se positionnant comme partenaires des pouvoirs publics dans les choix et la conduite du développement795. L’importance de la société civile dans le lancement du processus d’harmonisation n’est pas négligeable, d’autant plus qu’au niveau des pays arabes le tissu associatif commence à s’impliquer d’une manière de plus en plus apparente et efficace dans les questions relatives au statut personnel et notamment dans celles relatives aux droits des femmes796. Outre la question des droits de l'Homme, qui est devenue un thème incontournable du débat politique arabe, elles mettent l'accent sur des sujets encore tabous dans ces sociétés, tels que la protection des filles-mères (Maroc), l'instauration d'un mariage civil dans des pays multiconfessionnels (Liban) ou la surveillance des élections797.
21Les réformes engagées par le Maroc ou par la Tunisie ont montré, dans la première partie de cette recherche, le rôle que pouvait jouer la société civile à travers les mouvements associatifs de défense des droits des femmes et des droits de l’Homme dans la transformation du droit et dans l’émergence d’une conscience publique autour des questions relatives au statut personnel798. L’activation des sociétés civiles dans les pays arabes, outre le fait qu’elles peuvent participer à la démocratisation799, peuvent également contribuer à ouvrir le débat autour de la pertinence de l’harmonisation des statuts personnels, et fournir des éléments de réflexions autour de cette question qui pourront être utilisés dans la construction d’un espace juridique harmonisé arabe.
2. L’émergence des forums de discussions comme forme participative
22Le développement vertigineux des techniques de communication, notamment des sites internet, s’est souvent accompagné d’un phénomène fort intéressant qui a ouvert l’espace virtuel à un large public de connectés : il s’agit des forums de discussions. Ces forums ouverts sur plusieurs sites d’internet, notamment les sites juridiques, constituent en effet une nouvelle plate forme de discussion sur laquelle les informations s’échangent et les communications se multiplient au-delà des frontières étatiques. Outre le fait qu’ils facilitent l’émergence d’un nouveau marché mondial d’échange de l’information, ces forums constituent un nouvel espace de débat public qui permet de libérer les échanges de communication de la société et d’exercer, entre autre, une forme de pression politique sur les gouvernements800.
23Ce nouvel espace informatif n’a pas manqué de s’introduire dans les sociétés arabes, notamment avec le développement des sites juridiques ouverts non seulement aux professionnels juridiques, mais également à tout un public. L’observation des sociétés arabes met en lumière ces modes inédits d’échange et de participation au débat public (politique, économique, juridique ou social). Certains sites juridiques seront en effet très actifs et vont offrir à un large public un espace de communication interactif autour de thèmes pratiques et utiles, tels que les conditions du mariage en droit musulman, les formalités du contrat de mariage dans les pays arabes, le mariage d’une femme avec un étranger, les procédures du divorce, les formalités de la répudiation dans les pays arabes. Nous citons, comme exemple, le site du droit tunisien : « Jurisite Tunisie » ou encore celui de « The Machreq/Maghreb Gender Linking Information »801. Ces sites, ainsi que d’autres, ont pour vocation de proposer aux jeunes, aux associations, aux diverses institutions concernées par les questions juridiques un large éventail de ressources utiles et pertinentes et de comparer ainsi les différentes dispositions législatives au niveau de chaque pays arabe.
24Ces espaces permettent ainsi d’ouvrir un large débat autour de différentes questions, d’échanger des informations, de partager des expériences, de poser des questions, de lancer des idées et des projets. Ils peuvent devenir également un espace où peut se cultiver le projet d’une harmonisation du droit du statut personnel et dans lequel on peut mesurer la faisabilité ainsi que la pertinence d’un tel projet au niveau régional arabe. La construction d’un espace public ouvert à travers les forums de discussions est donc un autre paramètre important à prendre en considération dans le lancement du processus d’harmonisation, mais il n’est pas le seul, sans une consultation publique démocratique, et sans la mise en place d’un cadre institutionnel dynamique, l’harmonisation ne pourra que piétiner et trébucher devant la contestation citoyenne.
§2. La recherche d’un cadre institutionnel propice
25Toute harmonisation requiert un cadre juridique adéquat. Il est important de réfléchir sur les organes politiques et juridiques qui prendront en charge cette harmonisation et prépareront le terrain juridique sur lequel devra s’élaborer les étapes de ce processus. Notre objectif est de proposer une série de pistes de recherche sur cette question et d’y ouvrir le débat doctrinal. Aussi cette question – celle relative à l’harmonisation du droit du statut personnel et plus globalement celle de la construction d’un espace normatif arabe – est-elle particulièrement pauvre en travaux doctrinaux et en recherches universitaires, alors que c’est une question qui est souvent abordée par les politiciens ou les représentants des gouvernements des pays membres de la Ligue des États Arabes802.
26Notre recherche se situe loin des discours des politiciens et des diplomates ; elle se veut une construction juridique, une démonstration d’une possible harmonisation des statuts personnels, à travers certains éléments qui existent déjà ou qui devraient exister pour mener à bien ce processus. Ces éléments sont particulièrement situés au niveau des organes régionaux (A) et au niveau des centres de recherches (B) tous les deux contribuent et peuvent contribuer au processus d’harmonisation, et y sont même des éléments indispensables, qu’on ne peut contourner.
A. Les organes régionaux
27Favoriser la gestation de l’espace normatif arabe en commençant par l’harmonisation du droit des statuts personnels, requiert la réunion de plusieurs éléments. Ces éléments se situent particulièrement au niveau de l’organisation régionale arabe, qu’est la Ligue des États Arabes (1), et au niveau des États membres qui ont adhéré au processus d’harmonisation(2).
1. Au niveau de la Ligue des États Arabes
28Imaginer l’harmonisation juridique encadrée par la Lige des États Arabes, en tant qu’organisation régionale, supposerait à la fois que cette organisation devienne un laboratoire dans lequel s’expérimente la construction d’un espace juridique arabe commun (commençant par le droit du statut personnel), ainsi qu’une organisation productrice de normes juridiques opposables à ses États membres803. La notion même d’espace juridique arabe suppose ainsi un dépassement de la souveraineté nationale et l’application dans l’ordre interne des États de normes communes. Ces normes seront opposables à tous les États adhérant à cet espace juridique, d’où la notion de normes supranationales transcendant les normes nationales, produite par une organisation régionale804. Il faut néanmoins rappeler que cet ordre ne substitue pas des normes supranationales à la diversité des systèmes nationaux destinés à disparaître, mais superpose les unes aux autres. Il se fait selon un modèle nouveau, fort complexe que Delmas-Marty qualifie de « pluralisme ordonné »805. « Pluralisme », en ce sens que les normes supranationales ne marquent pas l’extension hégémonique d’un seul système (aucun pays ne se trouvant en position d’imposer sa loi aux autres), mais s’élaborent au confluent des diverses traditions ; et en respectant la richesse et la variété des problèmes et des solutions juridiques.
29C’est à ce stade que la Ligue arabe intervient pour résoudre le paradoxe qui consiste à prétendre à la fois favoriser l’harmonisation et préserver les différences juridiques. Aussi, la Ligue intervient-elle pour ordonner la pluralité des solutions juridiques dans chaque ordre juridique interne, tout en préservant le droit à la différence dans chaque pays. Elle fixe les limites que les États ne doivent pas dépasser dans leurs législations : autrement dit, elle pose un seuil de « compatibilité normative » à respecter au niveau régional (respect de certains principes communs)806. On peut également imaginer la mise en place d’une institution juridique (Comité arabe de coopération juridique) spécialisée principalement dans le droit du statut personnel qui sera chargé de l’harmonisation juridique sous l’autorité du Conseil des Ministres arabes de la Justice. Ce Comité aura pour mission d’évaluer le degré d’évolution des législations arabes en matière du statut personnel en prenant en compte les avis des experts nationaux de chaque État et leurs travaux doctrinaux (à titre d’exemple, apprécier et mesurer les effets propres d'une action gouvernementale, en vue d’améliorer le statut des femmes au sein de la famille).
30L’institution en question agira en tant qu’observatoire régional pour mesurer et expérimenter les différentes possibilités d’un droit commun et mettre en place un nouveau droit structuré autour de conceptions juridiques communes. Outre le fait de mettre en évidence les méthodes d'élaboration des normes juridiques communes en matière du statut personnel, cette institution étudiera également les mécanismes de réception dans les ordres juridiques des pays membres et candidats au processus d’harmonisation ; car il est évidemment inutile d’édicter de nouvelles normes, si l’on ne sait pas comment les introduire dans les ordres étatiques nationales. D’où l’importance aussi que cette institution puisse disposer d’attributions efficaces selon son domaine d’intervention, mais surtout d’une capacité décisionnelle élargit, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas handicapée par la règle de l’unanimité qui régie la plupart des organes de la Ligue807 : la majorité requise des deux tiers pourrait permettre de dépasser certains obstacles politico-juridiques et permettre la mise en place des décisions à l’égard des États favorables808.
31Attribuer à cette institution une compétence d’avis ou de suggestions, ne serait d’aucune efficacité ; il importe donc de réfléchir à une autre solution. Seule une compétence décisionnelle élargie pourrait mener à une application efficace des décisions, et laisser aux États les moins favorables le temps nécessaire pour suivre le processus d’harmonisation et ainsi accommoder leurs législations nationales aux décisions régionales.
2. Au niveau des États
32Rappelons que l’harmonisation est un choix avant tout politique. Si la volonté politique de construction d’un espace normatif juridique et judiciaire existe, l’harmonisation pourra être facilitée, quelles que soient les réserves émises par certains États. Mais cela n’est pas non plus suffisant : encore faut-il réfléchir et déterminer les moyens et les techniques par lesquels les États peuvent participer et contribuer au processus d’harmonisation. Il est évident que cette question est fondamentale pour ouvrir le débat autour de l’aménagement d’un cadre régional adéquat qui sera composé d’États consentants et adhérents au processus d’harmonisation. Concrètement comment cette question peut-elle être traitée ?
33En prenant appui sur l’expérience européenne809, il peut être envisageable de créer des commissions d’experts810 des droits nationaux et de droit comparé chargés de mener des consultations ouvertes et transparentes et des analyses d’impact de l’évolution des statuts personnels dans les différents systèmes juridiques arabes. Ces experts nationaux pourront, par la suite, élaborer une synthèse concernant les questions susceptibles d’être harmonisée et choisir la solution la plus adéquate. Des questions telles que la répudiation, la polygamie pourront ainsi être harmonisées progressivement sur l’espace juridique de chaque État. Ces experts seront attachés à un Comité d’experts régional sur le droit du statut personnel, faisant partie de la Ligue des États Arabes.
34Seront intégrées dans le même cadre de l’harmonisation régionale, les activités intergouvernementales et les activités de coopération juridique menées par les États entre eux. Les programmes de coopération juridique viseront à assister les États participant au processus d’harmonisation dans la poursuite de leurs réformes institutionnelles, législatives et administratives. Ces programmes consisteront principalement à travailler avec les autorités gouvernementales pour préparer et mettre en place une législation et un cadre opérationnel adaptés aux besoins et caractéristiques spécifiques de chaque pays tout en étant compatible avec les principes fondamentaux de l’égalité citoyenne. Ces programmes tentent également d’assurer que le nouveau droit harmonisé soit mis en œuvre conformément aux valeurs et principes communs (respect des droits des femmes, respect de l’égalité entre l’homme et la femme au sein de la famille), envers lesquelles les États ont pris un engagement en adhérant au processus d’harmonisation. Outre l’importance d’un encadrement régional à la fois au niveau de la Ligue et des États membres, il est également important de réfléchir à l’harmonisation du droit du statut personnel sur un autre plan moins large que le premier et plus empirique, il s’agit du cadre de la recherche.
B. Le cadre de la recherche
35Il s’agit dans cette partie de plaider pour l’harmonisation juridique dans le cadre de la recherche scientifique. En effet, la comparaison et l’étude de l’interchangeabilité des principes de base et de leur vocation à être transposées d’un lieu à un autre doivent relver du ressort des recherches et enseignements aux universités et instituts de droit. Ceci aura pour objectif de faire sortir cette question de son cadre politique restreint et de l’immerger dans un cadre plus vaste, celui de l’enseignement et de la recherche. Ce nouveau cadre aura l’avantage d’offrir une réflexion objective, dynamique, loin des divergences idéologiques (qui freinent souvent le débat politique entre les États), plus proche de la réalité juridique et sociale des pays arabes. Pour cela, universités et centres de recherches formeront un socle indispensable pour lancer la réflexion et le débat non seulement autour de l’harmonisation du droit du statut personnel, mais aussi autour d’une question plus globale, celle de la construction d’un espace normatif arabe harmonisé. L’harmonisation n’aura de chance de réussir que si elle a une place dans l’enseignement du droit. On peut imaginer que le statut personnel national soit enseigné en parallèle avec d’autres droits nationaux pour favoriser un travail de comparaison et de réflexion autour d’une harmonisation possible. L’enseignement de deux ou plusieurs systèmes du statut personnel à la fois aux juristes nationaux n’est pas un signe de faiblesse, mais un atout : les jeunes juristes apprendront que la solution à un problème juridique est rarement unique et que différentes solutions peuvent coexister811.
36L’étude de différents systèmes juridiques peut en effet contribuer à la fois à la compréhension du droit national et des droits étrangers et peut également favoriser la recherche de solutions juridiques les plus adéquates à chaque environnement juridique. D’ailleurs, comme le signale Legrand à juste titre « la différence (ne peut que) contribuer à un meilleur entendement du droit »812, et « le multi juridisme (ne peut que) favoriser une meilleure compréhension de la société »813. Cette approche multi-juridique peut favoriser par ailleurs, une certaine ouverture d’esprit, car comparer divers systèmes invite sans aucun doute à l’appréciation critique du système national principalement et à une mise en évidence de ses lacunes ou de ses avantages. Au niveau des États arabes et afin de favoriser la mise en place du processus d’harmonisation, il serait indispensable de mettre en œuvre une telle approche multi-juridique lors des enseignements universitaires et dans les centres de recherches.
37Actuellement, on perçoit une lacune à ce niveau dans les formations universitaires. En effet, ces dernières ne dispensent que principalement d’études relatives au droit national, au droit international et au droit communautaire. La notion de droit comparé dans sa dimension empirique (comparaison par exemple des lois relatives au statut personnel sur un espace juridique précis, européen ou arabe) ne fait pas encore partie du programme universitaire dans les pays arabes814. Cependant, cette approche comparative commence à faire ses premiers pas dans le cadre des centres de recherches. En effet, ces derniers, s’intéressent de plus en plus à la dimension comparative du droit, et mettent en exergue, lors de débats doctrinaux, de colloques ou de séminaires, des études comparatives sur les divergences ou les convergences conceptuelles qui peuvent être dégagées des différentes législations arabes et des différentes pratiques juridiques. Nous faisons ici référence particulièrement au Centre CAWTAR et au Centre du CEDROMA815.
38Le Centre de la Femme Arabe d’Apprentissage et de Recherches à Tunis (CAWTAR : Center of Arab Women for Training and Research) constitue une institution très active et efficace en matière de promotion des droits de la femme arabe. Son objectif est d'encourager les experts, chercheurs et journalistes arabes à s’informer et informer les femmes de leurs droits dans les législations arabes. Ses recherches, de dimension comparatives, sont destinées à partager et à faire connaître les différentes législations des pays arabes relatives aux droits des femmes et à leurs statuts juridiques à la fois au niveau familial, politique, économique et social. Ses diverses publications816 peuvent contribuer à susciter l’intérêt des chercheurs et étudiants pour mener et développer des études comparatives relatives à la sphère juridique arabe.
39Le Centre d'études des droits du monde arabe au Liban (CEDROMA) a pour vocation de favoriser une meilleure connaissance des droits des pays du monde arabe (Maghreb et Machrek) dans le cadre d'une approche de droit comparé, et tout particulièrement en relation avec le droit français. Le Centre organise des colloques, séminaires et rencontres interuniversitaires afin de mettre en exergue une approche comparative sur les divergences et les convergences conceptuelles d’un système juridique à un autre. Cela a pour avantage de présenter les différents degrés d’évolution juridique des pays arabes, d’en tirer des conséquences pratiques et de susciter des interrogations pertinentes sur quelconque rapprochement entre les systèmes juridiques. Les publications817 du Centre sont également variées, elles ne se rapportent pas uniquement au droit du statut personnel, mais concernent le droit arabe dans sa globalité : droit constitutionnel, droit civil, droit pénal, etc.
40Souligner le rôle des Centres de recherches relatives au droit arabe dans le processus d’harmonisation, c’est d’une part, proposer d’extraire le projet d’harmonisation du terrain strictement politique et du débat idéologique818 et d’impliquer d’une façon active d’autres acteurs issues particulièrement de la société civile, qui peuvent contribuer à leur tour à la production d’un débat efficace autour de la question de l’harmonisation, de son degré d’efficacité ou de non efficacité, de son importance ou non importance. C’est, d’autre part, dégager l’importance de la démarche comparative dans la construction d’un droit du statut personnel harmonisé.
41Avoir en effet une démarche comparative en abordant le droit du statut personnel sous ses différents aspects politiques, juridiques et religieux permet à la fois une meilleure appréhension de son évolution ainsi qu’une meilleure analyse de ses faiblesses et de ses lacunes dans chaque système juridique ; car c’est seulement en s’ouvrant sur d’autres systèmes juridiques qu’on s’aperçoit de ses propres faiblesses et que la critique peut être constructive. Aussi le parti pris de cette analyse est-il de susciter des interrogations sur les moyes et les techniques juridiques à mettre en place au niveau régional arabe afin de lancer le processus d’harmonisation et de favoriser l’émergence d’une nouvelle conception juridique du statut personnel dans les pays arabes.
SECTION 2. LE REDRESSEMENT DES SITUATIONS COMPLEXES
42Nous semblons être confrontés, aujourd’hui plus que jamais, à des replis identitaires, à des revendications régionales et à des particularismes culturels qui émergent de plus en plus dans le monde819 et qui touchent, notamment, l’espace régional arabe. En effet, la revendication d’une spécificité arabo-musulmane à travers le droit du statut personnel tient beaucoup à un contexte international nouveau, celui du processus de mondialisation très largement engagé et accepté en matière économique, mais moins convaincant sur d’autres plans : le phénomène de mondialisation engendre des contraintes, des débats, des craintes fixées particulièrement sur le terrain culturel. A la dynamique d’uniformisation culturelle qui accompagne la mise en place d’une économie-monde, répondent aujourd’hui des manifestations très fortes d’identité et des résistances culturelles où semblent se rassembler tout ce qui est rejet des effets négatifs, pervers ou tout simplement frustrants de la mondialisation820. Le statut personnel est au cœur de cette tension entre l’aspiration à l’universel et la revendication de particularismes et, sa maîtrise constitue désormais un véritable enjeu culturel. Dans ce contexte, comment l’harmonisation des statuts personnels dans les pays arabes peut-elle trouver sa place ? Quels sont les défis à surmonter pour les juristes et théoriciens arabes ? Quel droit l’harmonisation régionale peut-elle produire dans pareil contexte ?
43La construction d’un droit du statut personnel harmonisé dans l’espace juridique arabe requiert un certain nombre d’éléments indispensables, des méthodes d’évaluation un cadre institutionnel, étatique et régional, autant d’éléments préparatoires qui interviennent avant même le lancement des négociations politiques interétatiques. Toutefois, et alors même que l’on ait pu assembler ces éléments pour répondre à la question relative à comment déclencher l’harmonisation au niveau régional arabe, il est clair que ces éléments sont encore insuffisants et qu’ils ne peuvent se suffirent à eux-mêmes. Nous nous retrouvons à nouveau face à une problématique : il ne s’agit plus d’élaborer des moyens et des techniques juridiques pour déclencher le processus d’harmonisation ; il s’agit dans cette étape décisive de s’interroger sur l’objet de l’harmonisation. Plus particulièrement notre réflexion portera sur le droit harmonisé du statut personnel face, d’une part, au défi d’une idéologie universaliste des droits de l’Homme et, d’autre part, face aux revendications d’un particularisme identitaire régional.
44Il s’agit d’apporter ici une réflexion complémentaire et de prolonger l’analyse en prenant en considération les deux principaux paramètres qui interviennent au niveau du processus d’harmonisation et auxquels les juristes arabes sont systématiquement confrontés à savoir les droits de l’Homme dans leur dimension universaliste (1) et le droit musulman dans sa dimension culturelle et identitaire (2).
§1. Le statut personnel et les normes universelles : conflit ou cohabitation
45La question de l’universalité des droits de l’Homme est au cœur du débat relatif aux spécificités des statuts personnels dans les États arabes. Elle prend souvent une dimension conflictuelle entre les normes de production interne et les normes de production internationale. Cette partie se veut une réflexion autour des défis de l’universalité et l’appel ou la préservation des particularismes culturels, religieux et identitaires821. Comment concilier ces deux pôles antagoniques pour produire une nouvelle conception juridique du statut personnel ? Que peut apporter l’harmonisation des statuts personnels à ce problème ?
46Partant de ces observations, il s’agit dans un premier temps de mesurer les niveaux de tensions entre l’universalité des droits de l’Homme et le particularisme juridique revendiqué par les pays arabes, en particulier au niveau du droit du statut personnel (A), et de poser les jalons d’une cohabitation possible entre l’universalité des droits et le particularisme des statuts personnels (B).
A. Les tensions entre l’universalité des droits de l’Homme et le particularisme des statuts personnels arabes
47Cette question des tensions ou conflits entre le particulier et l’universel va se manifester d’autant plus que les différents statuts personnels, sur l’aire géographique arabe, traduisent une incompatibilité évidente avec l’idéologie universaliste des droits de l’Homme (1). Sur un autre plan, ce conflit apparaîtra lors de l’adhésion de ces États aux conventions internationales, particulièrement celles qui sont en rapport étroit avec le droit du statut personnel. Ces États vont, en effet, relativiser la portée universelle de ces instruments internationaux, en revendiquant des spécificités juridiques par la pratique des réserves (2).
1. Le droit du statut personnel face à l’universalité droits de l’Homme
48Même si plusieurs pays arabes se sont engagés sur la voie de la suppression des inégalités entre l’homme et la femme au sein de la famille, le statut personnel porte encore en lui les germes d’une inégalité ancestrale entre les conjoints822. En effet, comme nous avons pu le voir dans la première partie de cette recherche, la plupart des pays arabes continue à maintenir les femmes dans une situation d’inégalité en se réfugiant derrière les règles islamiques, notamment par rapport à l’autorité paternelle au sein de la famille, à la responsabilité vis-à-vis des enfants, à la dot et à l’inégalité successorale. Nombreuses sont encore les législations arabes qui ne procurent pas de garanties juridiques pour les femmes, quand elles subissent la polygamie de leur mari, ou quand elles sont répudiées injustement ; nombreuse sont également les femmes qui ne peuvent contracter librement leur mariage (présence d’un tuteur, interdiction d’épouser un non musulman) ou qui perdent la garde de leurs enfants une fois remariées823. Ces pratiques vont à l’encontre des principes sur l’égalité entre les hommes et les femmes et constituent des contraintes et des obstacles à l’universalité prônée par les différentes conventions relatives aux droits de l’Homme824.
49Les réticences sont, en effet, encore importantes à l’égard de l’introduction des normes universelles relatives aux droits de l’Homme particulièrement, dans le statut personnel825. Comme le remarque Léna Gannagé pour le cas du Liban « le poids des particularismes communautaires est tel que l’État n’a pas réussi à inscrire dans la Constitution un seul droit fondamental qui soit commun à tous. Penserait-on par exemple à l’égalité de l’homme et de la femme ? Elle n’est pas reconnue par le droit des communautés musulmanes libanaises, elle n’est pas poussée jusqu’à son terme par celui des communautés chrétiennes. Voudrait-on affirmer l’égalité des enfants naturels et légitimes ? Elle n’est reconnue par aucune des communautés religieuses, avec des degrés divers dans la discrimination : là où le droit applicable aux communautés chrétiennes maintient celle-ci pour l’essentiel sur le terrain successoral, le droit musulman ignore la filiation naturelle à l’égard du père et prohibe à ce titre l’action en recherche de paternité ». Défendu par les autorités religieuses et par les courants conservateurs, le maintien du statut personnel, loin des principes relatifs aux droits de l’Homme, se nourrit d’un discours identitaire très exacerbé. Ce discours prend volontiers pour cible les systèmes juridiques occidentaux où l’avènement des droits individuels a conduit à une dislocation de la cellule familiale. A ce modèle qu’il juge volontiers décadent, il oppose les valeurs défendues par les droits religieux et la nécessité d’en garantir la pérennité826. Il rejette ainsi toute tentative de réforme du statut personnel au nom du respect des identités culturelles.
50Cette situation trouve également une explication dans « la pensée juridique musulmane (qui ne se) sépare pas de la pensée religieuse : les concepts juridiques sont des concepts politico-religieux »827. En effet, comme l’a écrit Jacques Berque, « pour le droit musulman, le droit est une projection de l’absolu et son application fait partie de l’obéissance de cet absolu »828. Aussi « la conséquence naturelle de cette conception totalitaire est un mélange du spirituel et du temporel »829. Cela implique une conception particulière des droits de l’Homme, qui puise ses sources dans la charîca, « et non dans la volonté de l’État, du peuple ou des parlements : en effet, le pouvoir législatif appartient à Dieu qui, dans son saint Coran, a fixé une fois pour toutes les limites du juste »830. Plusieurs États vont ainsi revendiquer une conception islamique des droits de l’Homme au nom d’une régionalisation galopante des instruments de protection des droits de l’Homme, comme cela s’est produit au niveau américain ou européen831. Il faut cependant ne pas perdre de vue que si cette régionalisation peut contribuer à la diffusion de l’universalité, parce qu’elle reflète une plus grande homogénéité que la proclamation onusienne (elle est à même d’en permettre le dépassement, par le possible recours à une juridiction nationale)832. Elle peut être aussi être dangereuse en devenant le refuge de contestations plus ou moins exacerbées, voir fondamentalistes833.
51Actuellement, dans l’espace juridique arabe, deux conceptions s’affrontent sur le rapport statut personnels/droits universels : les premiers font valoir l’aptitude de l’idéologie universaliste à faire évoluer le statut personnel, en prenant appui sur les déclarations et les conventions internationales protectrices des droits de l’Homme. Les seconds préfèrent se prévaloir d’une « conception particulariste »834 des droits de l’Homme, selon laquelle chaque homme demeure marqué par son identité culturelle, et a le droit de s’en prévaloir835. Une conciliation est-elle possible entre ces deux conceptions ? A ce stade, il n’est pas facile de donner une réponse catégorique, surtout que les États arabes vont faire usage de l’instrument des réserves pour maintenir leurs particularismes au niveau du statut personnel.
2. La pratique des réserves, moyen de revendication d’un particularisme juridique
52Tout en adhérant, signant et ratifiant traités, chartes et conventions du droit international général, les États arabes rejettent ou formulent des réserves836 à l’encontre de certaines de leurs dispositions. Ces réserves sont principalement émises à l’encontre d’instruments internationaux qui sont en rapport direct avec le droit du statut personnel : il s’agit notamment de la convention de New York sur le consentement au mariage, l’âge minimum et l’enregistrement du mariage, du 10 décembre 1962, ou la convention internationale sur la nationalité de la femme mariée, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de 1966, ou encore le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les réserves formulées à l’encontre de certaines dispositions relatives à l’égalité entre l’homme et la femme, relèvent que les objectifs visés par le droit international – l’universalisme – sont loin d’être atteints837. Il ne s’agit pas ici de dresser un tableau de la pratique conventionnelle de chaque État, ce n’est pas le lieu, il s’agit plutôt de fournir des pistes de réflexions pour les juristes qui ne pourront négliger ces éléments dans l’ébauche d’un futur droit harmonisé du statut personnel. Il s’agit, par ailleurs, de donner un aperçu sur les particularismes qui peuvent ressortir des réserves émises par les États arabes et de mesurer le degré d’adhésion de ces États aux conventions internationales.
53Les diverses études838 menées au sujet de la pratique des réserves font ressortir un bilan plus ou moins variable dans l’espace juridique arabe. En effet, les conclusions tirées de ces travaux se modifient d’année en année avec néanmoins quelques constantes. « Au rang de ces dernières on peut citer la splendide ignorance par l’Arabie Saoudite de la plupart des conventions, la méfiance presque systématique du groupe des pays arabes à l’égard des conventions relatives à la situation de la femme, le peu d’adhésion aux quelques procédures de contrôle de l’application des conventions qui existent, notamment le Protocole sur les droits civils et politiques et la convention sur la torture et les traitements infamants »839. Comme le signalent Jean-Robert Henry et Babadji « on retrouve les réserves là où on s’attendait à les trouver, c’est-à-dire à propos des dispositions des différentes conventions susceptibles d’être en contradiction avec les dispositions de la loi islamique. Or, cette dernière est schématiquement cantonnée à ce qui est dénommé le statut personnel et les successions »840.
54Aussi, les réserves des pays arabes sont-elles formulées à propos d’un nombre limité de conventions, en particulier la convention de Copenhague sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) de 1979. Notamment, à propos du principe de l’égalité entre les époux énoncé par l’article 16. Celui-ci engage les États à assurer de manière égale à l’homme et à la femme « les mêmes droits et responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution » et à prendre « toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux »841.
55Ces réserves sont relatives à l’octroi aux femmes des mêmes droits et des mêmes responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution, en tant que parents, quel que soit leur état matrimonial, pour les questions se rapportant à leurs enfants, en matière de tutelle, de curatelle, de garde, d’adoption des enfants ou des institutions similaires, par rapport au nom de la famille et la jouissance des mêmes droits à chacun des époux, en matière d’acquisition, de gestion, d’administration des biens, tant à titre gratuit qu’à titre onéreux. Pour justifier ces réserves, les États arabes s’appuient principalement sur la religion pour opérer une distinction entre la famille, lieu privé et domaine réservé et les autres espaces publics où la mention de la religion est souvent absente842. Ils conditionnent l’adhésion aux conventions internationales à leurs compatibilités avec la loi islamique, la char¨ᶜa. C’est, par exemple, le cas de la Libye qui adhère à la convention de Copenhague mais précise que « cette adhésion ne saurait aller contre les lois régissant le statut personnel issues de la char¨ᶜa islamique », c’est également le cas du Qatar qui signe la convention sur les droits de l’enfant, mais formule une réserve similaire rédigée en des termes aussi généraux843. Autre exemple non dénué d’ambiguïté, celui de la Tunisie, qui déclare à propos de la convention de Copenhague ne prendre « aucun acte législatif ou réglementaire (…) qui irait à l’encontre des dispositions de l’article 1er de la Constitution »844.
56Dans le même ordre d’idée, l’Egypte et le Maroc illustrent très bien, par les arguments qu’ils avancent souvent très réservés, le positionnement idéologique de certains États. Ainsi pour justifier leur non-adhésion au principe d’égalité entre les époux lors de la dissolution du mariage (article 16 convention de Copenhague), ces deux États remontent en amont de cette dissolution pour montrer que lors de la formation du mariage, la femme bénéficie d’un traitement privilégié. Ceci justifie que ne lui soit accordé le droit d’obtenir le divorce que sur intervention du tribunal, alors que pour le mari l’intervention du juge ne consiste qu’à lui donner acte de sa volonté de rompre la relation matrimoniale. Ainsi, « les dispositions de la charîᶜa font notamment obligation à l’époux de fournir à son épouse une dot appropriée, de subvenir totalement à ses besoins et de lui verser une allocation en cas de divorce, tandis qu’elle conserve la totalité de ses droits sur ses biens sans avoir à les utiliser pour subvenir à ses besoins. C’est pour cette raison que la charîᶜa n’accorde le divorce à la femme que sur décision du tribunal tandis qu’elle n’impose pas cette condition à son époux »845.
57Il apparaît clairement que cette pratique des réserves limite considérablement la portée des différentes conventions internationales, mais en même temps elles reflètent le pluralisme juridique et culturel de l’ordre international, qui tend vers une cohabitation pacifique entre le particulier et l’universel.
B. La cohabitation entre l’universel et le particulier
58Le nouveau discours sur les droits de l’homme fait moins référence à la libéralisation complète de l’Homme, il paraît moins prométhéen. Son universalité tend à être limitée par la question du relativisme culturel, qui beaucoup plus que le relativisme politique ou le relativisme économique d’autrefois, postule la différence durable entre les sociétés et limite les valeurs humaines partageables à un modeste dénominateur commun. La tendance est donc de tenter de lier les normes universelles aux normes issues de l’héritage culturel arabo-musulman ou bien d’afficher un droit à la différence et de relativiser la portée universelle des droits de l’Homme (1), tout en respectant un noyau dur de valeurs communes partagées entre tous les États quelque soit leurs tendances idéologiques ou leurs héritages culturels (2).
1. Le droit à la différence
59En affichant leurs particularismes juridiques, en particulier au niveau du droit du statut personnel, les États arabes relativisent non seulement le caractère absolu du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme, mais clament et revendiquent ouvertement un droit à la différence846 sans pour autant nier cette universalité. Comment expliquer ce paradoxe de l’aspiration à l’universalité et la mise en évidence des particularismes ?
60Relativiser le caractère absolu de l'universalité, revient à dire comme le remarque Mireille Delmas-Marty que « l'universalité des droits de l’homme renvoie davantage à l’univers mental qu’à l’univers réel. Affirmée par la déclaration ‘universelle’ de 1948, elle est pour l’essentiel à construire »847. C’est également opter pour une perception plurielle du droit qui ne nie pas l’existence de différences, historiques, culturelles, religieuses qui caractérisent l’ordre juridique international. L’universalité des droits et libertés constitue « un processus de construction permanente dans le creuset des cultures qui sont elles-mêmes en évolution constante »848. « Elle suppose une participation équitable des grandes formes de civilisation, une prise en compte des cultures juridiques non-occidentales, comme le demande le sociologue et anthropologue du droit, Masaji Chiba »849. C’est d’ailleurs ce que tend à illustrer les débats organisés lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme tenue à Vienne du 14 au 25 juin 1993. Si le premier point de la Déclaration et Programme d’action de Vienne réaffirme le caractère universel des droits de l’Homme ainsi que l’engagement solennel de tous les États de les faire respecter, ceci ne doit pas occulter des critiques quant à la relativité culturelle des droits de l’homme qui ont été formulées lors de la conférence par des gouvernements d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord850.
61Le discours sur la relativité culturelle et les particularismes régionaux, qui a éclaté lors de cette conférence851, nous met face à la réalité de l’ordre international : non unifiée et encore moins monolithique, mais plurielle et multiculturelle, une réalité construite autour de valeurs communément reconnues. Revendiqué par les pays non-occidentaux, exprimé et conditionné par la conférence de Vienne, ce discours porte en lui les germes d’une nouvelle méthode de compréhension de l’universalité des droits de l’Homme. Cette méthode permet de prendre en compte de manière dynamique des facteurs particuliers tels que la culture de l'individu, son histoire, sa religion, des facteurs qui contribuent au façonnement de son identité852.
62C’est dans ce cadre que tourne actuellement le débat sur les droits de l’Homme dans les pays arabes et particulièrement sur les spécificités juridiques qu’ils revendiquent au niveau du statut personnel. Ce débat est marqué par les caractéristiques du discours relatif aux particularismes identitaires et au droit à la différence, mais en même temps ce discours ; tout en revendiquant le relativisme des conventions internationales, s’inscrit dans le respect de l’essence des conventions universelles et de leurs valeurs. La tension entre l’universel et le particulier prend souvent dans ces pays une dimension à la fois interne (aspirations contradictoires à l’identité et à l’universel) et externe (lutte contre les modèles occidentaux). Cette tension était par exemple bien visible dans la déclaration de Tunis de novembre 1992, préparatoire de la réunion de Vienne de 1993 : elle proclame l’universalité des droits de l’Homme et lie ceux-ci au développement et à la solidarité internationale, mais insiste aussi sur la préservation des traditions culturelles853.
63Cependant, il est important de noter que si la constatation du relativisme des droits de l’Homme n’est plus contestable sur le plan des relations internationales, il reste à déterminer la portée exacte qui doit lui être reconnue. En effet, les divergences autour de l’application des droits fondamentaux dans les relations internationales confirment à cet égard l’existence de deux catégories de doctrines relativistes854.
64La première ne se contente pas de constater le défaut d’universalité des droits de l’Homme, elle nie également leur vocation à l’universel. C’est qu’elle se réclame d’un relativisme radical des cultures qui, en exaltant un droit illimité à la différence, conteste l’existence, même potentielle, de valeurs communes à tous. La seconde considère, en revanche, la « relativité des cultures elle-même relative »855, c’est-à-dire comme n’excluant pas, au-delà des différences culturelles, la nécessité de valeurs universelles. Les droits de l’Homme permettraient à cet égard de « poser les bornes au-delà desquelles le droit à la différence ne peut plus déployer ses effets »856.Ceci revient à adhérer à un ensemble de valeurs communes partagées entre les États, quelque soit leurs particularismes culturels, religieux ou identitaires.
65De cette façon, cette articulation entre le particulier et l’universel, entre l’ordre juridique international et ordres juridiques internes, ne sera pas analysé uniquement en terme de conflit et de tension, mais plutôt en terme de cohabitation et pourquoi pas de conciliation entre ces deux pôles. Cela permettra aux États tout en préservant leurs spécificités culturelles et identitaires, d’adhérer à un ensemble de valeurs communes, à une sorte de dénominateur commun partagé et respecté par tous les États dans leurs différences. C’est également, et surtout, un défi que les juristes arabes doivent relever dans l’esquisse future d’un droit harmonisé du statut personnel, afin d’éviter des tensions inutiles entre les normes issues de l’ordre international et les normes issues de l’ordre national ou régional.
2. Le respect d’un noyau dur commun
66La cohabitation entre le particulier et l’universel ne peut se réaliser sans le respect par les États d’un ensemble de valeurs communes, qui constitue un noyau dur de droits fondamentaux. Comment le partage de ces valeurs peut-il permettre la cohabitation entre le particulier et l’universel, surtout au niveau de la matière du statut personnel, lieu privilégié de tiraillement entre ces deux pôles ?
67Cette cohabitation requiert deux conditions : d’une part, les cultures doivent pouvoir se nourrir les unes des autres. Pour ce faire, elles doivent se reconnaître mutuellement et il ne faut pas que l'on s'étonne si des divergences se font jour au cours de ces échanges. D’autre part, il faudrait afficher une volonté de dépasser certaines spécificités pour mettre en avant les points d'accord plutôt que de discorde. Ce serait une erreur fatale que d'écarter une de ces deux conditions : toute volonté de dialogue, même imparfaite, doit être soutenue857. C’est d’ailleurs dans ce sens que Delmas-Marty suggère l’harmonisation des systèmes de droit, plutôt que l’unification sur un seul modèle hégémonique ; l’harmonisation admettrait les différences (donc un certain relativisme), mais à condition d’être compatibles avec les principes fondateurs communs858. Dans le cadre du droit du statut personnel, certains pays arabes tentent d’opérer une cohabitation ou encore une conciliation entre leurs ordres juridiques internes et l’ordre juridique international, entre le particulier et l’universel. Ceci passe à la fois par l’adhésion aux principales conventions relatives aux droits de l’Homme et en même temps par l’initiation de réforme dans le domaine du statut personnel.
68Concernant le premier point, il faut observer que la plupart des États arabes ne rejettent pas les conventions universelles relatives aux droits de l’Homme, mais y adhèrent859 et participent à des degrés divers au système conventionnel. Certes, le jeu des réserves est présent pour affirmer et confirmer les particularismes de ces États, il ne modifie cependant pas globalement la volonté de participation, « sinon qu’il souligne la grande diversité des attitudes nationales arabes dans la lecture des modes de compatibilité et des zones d’incompatibilité entre les normes universelles et les normes musulmanes elles-mêmes très difficiles à définir et à interpréter. Hormis le cas saoudien, le principe d’une normativité universelle en matière de droits de l’Homme n’est jamais vraiment remis en cause : si certaines réserves se font sur le mode de résistance, plus ou moins affirmée, à tel ou tel contenu jugé provisoirement trop occidental de la norme universelle, d’autres au contraire (comme celle du Maroc) recherchent la conciliation, en laissant entendre que la norme musulmane rejoint par d’autres voies la norme universelle, et qu’il n’y a donc pas contradiction entre les deux »860.
69Concernant le second point, on ne peut nier que la montée en puissance du discours sur les droits de l’Homme, comme discours juridique universel minimal, a fait sensiblement évoluer le droit du statut personnel dans plusieurs pays arabes861, et a déclenché une prise de conscience générale sur l’importance des réformes vers un droit égalitariste. Ces dernières années, plusieurs pays, même les plus conformistes (comme ce fut le cas du Maroc avec l’ancienne version de la Moudawwana) ont entrouvert la voie pour des réformes substantielles des lois relatives au statut personnel et, pour une protection juridique des droits des femmes au sein de la famille. Et quand bien même les discriminations existent encore, elles commencent à régresser d’une façon considérable862.
70Il est également vrai que les réformes, qui sont entreprises par plusieurs pays arabes en matière du statut personnel, ne se fondent pas sur le discours des droits de l’Homme, mais sur le discours religieux, qui légitimera toute intervention étatique dans ce domaine réservé. Mais, il est aussi vrai que ces réformes –aussi minimes soient-elles, reflètent une nouvelle démarche politico-juridique de la part de ces États ; qui tentent (à l’exception des plus rigoristes, tel que l’Arabie Saoudite) de se conformer à des degrés divers et sur des modes différents au système conventionnel relatif aux droits de l’Homme et d’intégrer le droit du statut personnel dans ce système.
71Ainsi, tout en préservant leurs spécificités culturelles, identitaires et religieuses, ces États s’accordent à reconnaître et à défendre une conception « minimaliste » de la morale universelle et des droits de l’Homme863, « un noyau dur »864 de références et de valeurs communes partagées par la communauté internationale dans son ensemble. En effet, en dépit de ces particularismes régionaux, culturels et identitaires, et malgré les différences d’interprétation et d’application, les droits de l’Homme en tant « qu’objectif à atteindre »865 et en tant que principe indétrônable, n’a jamais été remis en cause. Comme le signale Antonio Cassese : « Les États continuent à voir dans les trois documents (la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et de deux Pactes internationaux) un ensemble de valeurs que l’on doit s’efforcer de réaliser »866. La réalisation concrète de ces valeurs ainsi que leur mise en application, n’est pas sans embûches, c’est un processus évolutif dans lequel les États doivent continuer à s’engager.
72C’est sûrement en s’engageant sur la voie de cette cohabitation que l’harmonisation du statut personnel au niveau régional pourra avoir plus de chance pour réussir. En effet, si l’universalité des droits et des libertés peut se conjuguer avec la reconnaissance du pluralisme des cultures, cela n’implique aucunement une tolérance envers des pratiques discriminantes et, cela n’est envisageable que jusqu’à un certain point867. Norbert Rouland va d’ailleurs dans ce sens : « Il existe un certain nombre de valeurs universelles (que les droits de l’homme) instituent, devant lesquelles doivent fléchir les différences culturelles et autres tribalismes » ; et d’ajouter « Les droits de l’homme ont une portée universelle, qui dépasse la culture qui les a engendrés : nulle part l’esclavage, les sacrifices humains, les mutilations sexuelles ne sont justifiées »868.
73Ainsi, l’harmonisation que nous envisageons devrait éviter les principales discriminations sur la base du sexe et sur la base de la religion. Pour ne prendre que quelques exemples : l’empêchement successoral pour disparité de culte (prohibition de succession entre musulmans et non-musulmans) peut être écarté, étant contraire au droits de l’Homme qui interdit toute discrimination sur base de la race, de la religion ou du sexe. De même, pour ce qui est de la polygamie, on peut la limiter à des cas exceptionnels comme le véritable esprit du Coran l’a voulu, et sans se perdre dans des débats doctrinaux stériles, l’on peut soutenir que le but final du Coran était, en effet de l’interdire. L’on sait que celui-ci a d’abord voulu limiter la polygamie en instituant la tétragamie, puis il a exigé une justice totale dans le traitement des épouses, tout en précisant que pareille justice est impossible (car subordonnée à une condition d’équité impossible)869.
74On peut également limiter ou subordonner la répudiation à des conditions qui la rapprochent du divorce, de sorte qu’elle ne méconnaisse pas les droits de la défense, et préserve un minimum de garanties juridiques pour la femme. Certes, l’idéal serait de supprimer toutes ces institutions, mais faute de pouvoir y intervenir d’une manière radicale, surtout dans un domaine aussi sensible que le statut personnel, il serait intéressant de réfléchir sur des moyens juridiques plus adaptés qui permettraient d’y mettre une certaine limite. Ces moyens permettraient ainsi de préserver un degré de particularisme tout en respectant un seuil minimum de valeurs universelles.
75La conciliation entre les principes universels et les particularismes juridiques (notamment musulmans) est une réalisation sensible, mais pas impossible. Pour y parvenir, il conviendrait probablement de puiser les solutions adéquates du legs traditionnel, particulièrement du droit musulman, qui demeure sans aucun doute un jalon important dans l’évolution régionale du statut personnel.
§2. Le statut personnel et le droit musulman : divorce ou conciliation
76On ne peut échapper à la variante du droit musulman dans la compréhension du statut personnel dans les pays arabes, encore moins dans le lancement du processus d’harmonisation juridique, car, comme nous l’avons précédemment vu, la situation actuelle de ces pays fait qu’il est impossible d’aborder le juridique sans soulever le couvercle du « religieux ». Il est également important que cette construction vise à mettre en place une nouvelle conception du statut personnel, moins discriminante envers les femmes et plus adaptée aux nouveaux besoins de ces sociétés. Peut-on donc parvenir à intégrer ces éléments (nouvelle conception et droit religieux) et à les ajuster de façon qu’ils ne contredisent pas entre eux ? Ou doit-on les séparer en favorisant un élément au détriment de l’autre ?
77Il s’agira de prendre comme point de départ le paramètre religieux, plus précisément le droit musulman, comme source du statut personnel pour réfléchir autour de son degré d’implication dans le processus d’harmonisation. Ainsi, nous nous interrogerons dans un premier temps, sur les possibilités d’une séparation entre le droit musulman et le droit du statut personnel (A) avant de nous pencher, dans un deuxième temps, sur les nouvelles approches du droit musulman (B).
A. La fin de l’exclusivisme religieux dans le droit du statut personnel ?
78Cette interrogation s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus globale : celle d’une séparation entre le « religieux » et le juridique sur l’espace régional arabe870. Une telle séparation est-elle concevable ? Dans quelle mesure un droit harmonisé du statut personnel peut-il évoluer loin du référent religieux ?
79Deux positions peuvent se dégager, l’une envisage la production d’un statut personnel areligieux (1), alors que l’autre ne conçoit l’évolution du statut personnel qu’à l’intérieur du cadre religieux (2).
1. Pour un droit harmonisé du statut personnel loin du référentiel religieux
80Ce sont les militants d’organisations de défense des droits de l’Homme, particulièrement les associations féministes, qui revendiquent une séparation radicale entre le domaine juridique et le domaine religieux pour défendre un droit du statut personnel loin de tout référentiel religieux871. En effet, ces féministes militantes proposent de se défaire de toute intervention religieuse et de la balayer totalement du paysage législatif arabe afin de mettre en application les principes de liberté et d’égalité entre l’homme et la femme au sein de la famille. Car, selon elles, tout discours juridique entaché de religiosité est un discours dogmatique et corrompu qui ne fait qu’ajourner la question de l’égalité. Par ailleurs, l’inscription des droits des femmes et par extension du statut personnel dans le cadre d’une spécificité arabo-musulmane, revient pour ces féministes à détruire, à renier les valeurs universelles et à enfermer les femmes arabes dans une sphère immuable, au nom de l’identité religieuse. Seule l’idée de laïcité peut éviter ce piège et garantir l’équilibre et l’égalité des droits aussi bien dans les textes juridiques, que dans la vie pratique.
81Cependant, comme le remarque Sana Ben Achour « c’est par les Tunisiennes que la laïcité est le plus ouvertement revendiquée ; valeur qu’elles ont en partage avec les féministes algériennes et marocaines du mouvement autonome des femmes (…). Conscientes de l’ambivalence du Code du Statut Personnel tant comme vecteur d’émancipation que de conservation et des limites de l’ijtihad moderne, elles posent au fondement de leur engagement pour l’égalité le principe de laïcité et revendiquent la séparation de l’État et de l’islam, du droit et de la religion. Ce principe prend au fil des années de nouveaux contours et une plus grande épaisseur »872. Les autres associations, qu’elles soient du Maghreb ou du Machreck, n’inscrivent pas la question laïque dans leurs programmes, ou ne l’aborde qu’avec beaucoup de timidité873. Elles sont donc, à l’heure actuelle, minoritaires à oser introduire ce « cheval de Troie occidental »874 en terre arabo-musulmane.
82Cette démarche laïque, aussi sérieuse soit-elle, demeure à l’heure actuelle dissidente et peu écoutée dans l’espace juridique arabe875. Faut-il rappeler que même les réformes les plus progressistes, comme celles véhiculées par le CSP tunisien, ne se sont pas appuyées sur le paradigme laïc et qu’ils ont été accompagnées de justifications religieuses876, perpétuant ainsi l’articulation entre le statut personnel et le référentiel religieux ? Toute revendication juridique concernant le statut personnel se heurte actuellement aux rejets pour non-conformité à l’islam, au droit musulman, à l’authenticité arabo-musulmane ; il serait donc inefficace de soulever la question laïque dans pareil contexte. Cette dernière ne sera que rejetée encore une fois. De tels propos peuvent choquer certains défenseurs de la laïcité, mais il s’agit ici de se placer sur un plan réaliste et pragmatique877.
83Aussi, partant de l’échec des revendications laïques dans la matière du statut personnel878, il serait plus pratique et plus réaliste de se pencher sur une autre démarche que celle que peut offrir la laïcité. Car il ne faut pas oublier qu’en l’état actuel des mentalités, toute intervention étatique dans le domaine du statut personnel doit se situer à l’intérieur des frontières de la religion. Les tentatives visant à instaurer une sécularisation abrupte des statuts personnels, à l’instar de ce qui se pratique en France, semblent vouées à l’incompréhension et à la résistance des masses, donc à l’échec.
84A l’heure actuelle, devant la montée du fondamentalisme islamique, greffer un concept étranger sur le terrain juridique arabe n’est pas une évidence et elle l’est encore moins, voire même impossible, lorsqu’il s’agit du statut personnel. De plus, une telle greffe pourrait bien aboutir au mouvement inverse, favorisant la remise en cause des maigres acquis en la matière879. Cela ne signifie pas non plus accepter le statu-quo et les marchandages des religieux conservateurs qui veulent garder une mainmise sur la matière du statut personnel. Ce n’est pas le but de l’harmonisation, qui tout en se référant au droit religieux, doit permettre au statut personnel d’évoluer et de répondre aux besoins des sociétés arabes.
85Puiser dans le legs traditionnel pour trouver l’issue, reste la meilleure alternative qui pourrait concilier les sociétés arabes avec leur passé et les faire progresser dans le futur. Il s’agit de trouver la voie d’une « modernisation islamique »880, c’est-à-dire d’une modernité basée sur des interprétations audacieuses de la loi religieuse, des interprétations conciliatrices entre le passé et le présent permettant une évolution endogène des sociétés arabes, acceptée par les peuples, appliquée par les juges et donc véritablement efficace.
2. Pour un droit harmonisé du statut personnel respectueux du référentiel religieux
86Le statut personnel est la branche du droit la plus proche des systèmes de valeurs ; il est juridiquement et moralement fondé sur le droit religieux. Pour les pays arabes, le droit musulman est non seulement une source de légalité, mais également une source de légitimité pour des réformes substantielles. Même les quelques aménagements apportés au statut personnel se sont faits généralement en prenant appui sur la religion : il en est ainsi dans toutes les législations arabes, notamment de la législation tunisienne, taxée souvent par d’autres pays arabes de législation laïque881. Ainsi, même si certains pays vont s’engager sur la voie des réformes, particulièrement en accordant plus de garanties juridiques pour les femmes, il ne s’agira aucunement d’une rupture avec la normativité traditionnelle. Autrement dit, le référentiel religieux ne sera jamais absent de la configuration juridique de cette matière882. Les dernières réformes entreprises par certains pays arabes l’attestent. Pour ne prendre que l’exemple de la répudiation, l’aménagement de ces modalités, par certains pays, ne signifiait aucunement sa suppression ou sa substitution à une véritable procédure de divorce.
87La dernière loi égyptienne appelée « qânûn al khulᶜ » oblige seulement le mari à authentifier la répudiation auprès du ma’zûn, officier d’état civil, dans les trente jours. Par ailleurs, la dernière version de la Moudawwana marocaine ne met pas radicalement fin à la répudiation. Formellement maintenue, elle est seulement encadrée dans une procédure qui n’en modifie pas l’essence. Le tribunal doit intervenir pour que deux adouls (notaires) en dressent acte. Il se doit de tenter de concilier les époux ; il est aussi tenu de fixer la somme que le mari doit consigner883. Il s’agit dans les deux cas de réformes procédurales, qui certes, peuvent garantir certains droits aux femmes ou en dissuader certains maris, mais il ne s’agit aucunement d’une abolition de la répudiation ou sa transformation en divorce judiciaire. Quoiqu’il en soit, ces réformes ne prétendent nullement rompre avec l’héritage islamique. Aussi, le Roi Mohammed VI présenta-il la réforme de la Moudawwana comme étant une réforme se situant dans le respect des traditions religieuses : « (…) il est nécessaire de s’inspirer des desseins de l’Islam tolérant qui honore l’Homme et prône la justice, l’égalité et la cohabitation harmonieuse, et de s’appuyer sur l’homogénéité du rite malékite, ainsi que sur l’Ijtihâd qui fait de l’Islam une religion adaptée à tous les lieux et à toutes les époques, en vue d’élaborer un code moderne de la famille, en parfaite adéquation avec l’esprit de notre religion tolérante »884. En excluant toute référence laïque du statut personnel, le choix est réduit à maintenir l’empreinte religieuse dans le juridique.
88Il serait donc judicieux et pratique de penser l’harmonisation du statut personnel non loin d’un certain référentiel religieux, c’est-à-dire tout en s’inspirant des concepts les plus progressistes du droit musulman. Ceci pourrait se faire en prenant par exemple appui sur la panoplie de techniques juridiques qu’offre le droit musulman. Les techniques de ruses, telles que le talfîq, l’ijtihâd, l’intérêt général (al maṣlaḥa) ou encore la nécessité (aḍḍarûra)885, peuvent contribuer à contourner la rigueur d’une règle juridique et de trouver des solutions plus adéquates qui peuvent répondre le mieux aux besoins des sociétés. De cette façon, probablement et pour reprendre l’expression de Mohammed Charfi, on pourrait établir une synthèse entre « l’héritage musulman et les impératifs de la modernité »886. Il s’agira pour les juristes arabes qui lanceront le processus d’harmonisation d’établir un équilibre entre le legs traditionnel et la modernité, une conciliation qui ne rejette et ne nie pas ces deux éléments, indispensables pour le développement du droit du statut personnel.
89Actuellement, le combat pour la réforme du statut personnel se livre d’abord dans la plupart des pays arabes sur le terrain de l’interprétation. Réformateurs et conservateurs s’affrontent ainsi sur des lectures différentes des prescriptions coraniques. Les premiers revendiquent une lecture « décontextualisée » des normes juridiques contenues dans le Coran, sans pour autant renier ces normes ; les seconds s’efforcent, en ayant recours à des techniques d’interprétation différentes, d’adapter les prescriptions du droit musulman aux relations familiales actuelles887. Ainsi tout en proposant des interprétations différentes, les deux camps vont s’appuyer sur l’argument religieux pour ne jamais sortir du cadre de la légitimité interprétative du statut personnel.
90Aussi, toute harmonisation relative au droit du statut personnel aura-t-elle à ne pas négliger le référentiel religieux, comme faisant partie intégrante de la configuration juridique du statut personnel, autrement elle sera inefficace voire même inapplicable à l’espace juridique arabe. Toutefois, il ne s’agira pas non plus de prendre appui sur ce référentiel pour justifier l’immobilisme888 de ce droit et de lui appliquer une conception rigoriste, en se référant aux interprétations les plus conservatrices et les plus puristes. Car il ne faut pas oublier que le but de l’harmonisation, outre le fait de dissiper les divergences, est surtout de transformer la matière du statut personnel, de l’adapter aux transformations structurelles des sociétés arabes (travail des femmes, déstructuration du modèle traditionnel familial)889, afin que cette matière puisse à la fois concilier le legs traditionnel avec les exigences de la modernité ; établir des passerelles entre le droit musulman et le droit positif. Afin de réaliser cette conciliation inéluctable, il s’agira pour les juristes de prendre comme point de départ le corpus du droit musulman, en tant que dénominateur commun entre les pays arabes. Ce droit dans sa diversité pourrait offrir des alternatives et ouvrir des possibilités pour l’évolution du statut personnel, d’autant plus que le débat actuel dans plusieurs pays arabes et musulmans tournerait autour d’un renouvellement de ce droit, d’une nouvelle approche présentée et préparée par des penseurs d’un autre genre.
B. Les voies du renouvellement
91La recherche d’un dénominateur commun par lequel un consensus pourrait être trouvé pour faire évoluer et lancer le processus d’harmonisation des statuts personnels semble se trouver dans le droit musulman. Ce droit existe et est à la base des principales règles du statut personnel, même s’il est non homogène dans les pays arabes. Constuire un droit du statut personnel harmonisé reviendrait donc à prendre comme point de départ le droit musulman et à s’interroger sur la possibilité d’organiser sa réactualisation afin qu’il s’adapte mieux aux nouvelles configurations sociales des sociétés arabes. Le débat portant sur cette question est très intéressant, d’autant plus qu’il prend une nouvelle approche avec l’émergence d’un nouveau discours autour du droit musulman ; discours lancé par de nouveaux acteurs.
92Ce discours est en particulier porté par des femmes intellectuelles qui tentent de percer dans une voie qui fut longtemps réservée non seulement aux hommes, mais à une catégorie d’hommes : les religieux. En se réappropriant le droit de l’interprétation du droit musulman, ces nouvelles féministes offrent une approche alternative qu’il est important de ne pas négliger. Notre pari est de prendre appui sur ces nouvelles perspectives : le nouveau discours autour d’un droit musulman contemporain (1) ainsi que les nouvelles approches féministes (2) pour contribuer à l’harmonisation des statuts personnels dans les États arabes. Il s’agit autrement de mettre en avant des éléments susceptibles de surgir dans chaque perspective de transformation du statut personnel ; des éléments qui s’inscrivent également dans la conviction d’une réforme possible du statut personnel.
1. Les nouvelles approches pour une réforme du droit musulman
93L’obstacle à la transformation des règles du statut personnel se nourrit de l’idée de la sacralité du droit musulman et de son caractère immuable. Dans les pays arabes (de confession musulmane), le statut personnel se présente, en dépit de sa forme positive et de sa valeur législative, comme un ensemble de normes fixes, pérennes, consacrant le modèle traditionnel de la famille patriarcale. Il est vrai que le droit musulman, œuvre des savants exégètes, fuqahŸč, trouve ses sources scripturaires dans le Coran et la tradition du Prophète –la Sunna– mais il est également vrai que ces règles, comme nous l’avons vu dans la partie introductive de cette recherche, dérivent d’autres sources élaborées par les fuqahŸč, notamment l’iğmŸᶜ (l’unanimité ou le consensus des juristes sur une question de droit), ou le qiyŸs (le raisonnement analogique)890. Celles-là sont donc une production humaine, susceptible d’évoluer et de se transformer selon le contexte historique. D’ailleurs, plusieurs auteurs se sont appuyés sur la thèse de non immuabilité du droit musulman pour proposer des réformes institutionnelles dans les pays arabes891.
94Qu’en est-il actuellement du droit musulman ?
95Comme le signale Hervé Bleuchot, le droit musulman est à l’heure actuelle dans une situation « éclatée ». Le droit musulman a certes toujours été très varié et même instable dans sa formulation autant que dans ses formations concrètes, mais depuis le xixe siècle et au xxe siècle surtout, que l’on analyse les législations effectives ou les théories des uns et des autres, le phénomène n’a fait que s’accentuer. Tout un ensemble de facteurs explique cette situation. Au départ même on peut invoquer les événements structurels du droit musulman : rites multiples, divergences innombrables, ruses dans les pratiques, coutumes locales, etc. Ensuite, il faut distinguer les effets de l’histoire ancienne et récente et notamment la perte de pouvoir des ulémas sous l’action des colonisateurs et des gouvernements arabo-musulmans. Actuellement les théories des réformistes, des modernistes et même des islamistes posent nettement la nécessité d’une réforme profonde du droit musulman892.
96Partant de ces observations, peut-on dire que c’est la réforme du droit musulman qui pourrait contribuer à la fois à la réforme du statut personnel et au déclenchement du processus d’harmonisation ?
97La réforme du droit musulman et, plus généralement, la critique du legs traditionnel sont amorcées par plusieurs penseurs et juristes arabes. Ce mouvement, comme le note Abdou al Filali al Ansary, « n’a pas de maître à penser bien en vue, mais se présente comme le travail collectif d’un nombre important de penseurs. Il semble se faire à travers de multiples entreprises, conduites séparément et simultanément »893. Ce mouvement de penseurs modernes894 commence à s’approprier progressivement l’espace qui fut longtemps réservé aux hommes religieux, les fuqahŸč, spécialistes et professionnels de la matière religieuse. Désormais, le savoir religieux n’est plus l’apanage des oulémas, d’autres penseurs, historiens, psychanalystes, anthropologues ou politologues investissant l’espace du religieux et faisant concurrence avec leurs nouvelles approches, leurs nouvelles méthodes, aux corps traditionnels des religieux. Ils témoignent d’une pensée islamique moderne, en ce sens qu’ils prônent l’incorporation des sciences sociales modernes (linguistique, sémiologie, histoire comparée des religions, sociologie, notamment) dans l’étude de l’islam et dans l’interprétation des textes895. Il s’agit d’une nouvelle donne qui aura sûrement un impact positif sur l’évolution des sociétés arabes.
98Ainsi, ces penseurs modernistes, sans renier les apports du droit musulman classique, proposent de soumettre la religion dans toutes ses productions et manifestations à la critique et de travailler les discours en procédant à une lecture dé-constructive. Tout en reconnaissant qu’il ne s’agit pas de « dé-religioser » la société, ces auteurs tentent d’enraciner l’idée d’une « laïcité musulmane »896. Pour Mohamed Arkoun, il ne s’agit pas « d’une position contre la religion mais d’une attitude philosophique de l’esprit devant les problèmes de la connaissance, y compris de la connaissance religieuse qui est une donnée concrète de l’expérience humaine en tant que dimension psychologique qui contribue à structurer l’imaginaire social »897. D’autres penseurs posent en termes encore plus nuancés la place de l’islam dans la société. En même temps qu’ils appellent à libérer la société de l’emprise religieuse et du contenu institutionnel de l’islam, (ce qui doit se traduire par l’élimination du droit musulman [le fiqh]) ils s’opposent à la laïcité conçue comme séparation de la foi et de la rationalité. Hichem Djaït écrit : « tout ce qui s’appelle lois sur l’héritage, la législation matrimoniale, la législation sexuelle même sera libéré du poids du fiqh, soumis aux catégories de la raison universelle (...) Partout et avant tout, la femme doit cesser d’être répudiée au gré du maître, son égalité à l’héritage assurée, la polygamie abolie. A un autre niveau l’État doit évoluer à l’intérieur d’une sphère autonome, selon les pures lois de la politique et du bien social, loin de toute nostalgie intégriste (...) En même temps il faut redonner à l’islam la capacité de répondre aux besoins spirituels de l’homme et notamment de répondre aux interrogations inquiètes de l’homme contemporain »898.
99Plusieurs auteurs appellent également à libérer la régulation juridique de l’emprise du droit musulman, à réaliser dans la paix et la sérénité la conciliation entre l’appartenance à la civilisation arabe et à la religion musulmane d’une part et l’aspiration à la modernité d’autre part899. D’autres, dont le doyen Belaïd, s’attachent à retrouver l’esprit libéral du Coran900, à lever le malentendu sur les libertés et l’islam, à dépasser les discours réducteurs stigmatisant l’islam comme incapable de transformations et les droits de l’Homme comme produit occidental d’importation. Beaucoup admettent que les droits de l’Homme, en l’occurrence l’égalité entre les hommes et les femmes, la non-discrimination à raison de la couleur, de la race, de la religion, la liberté d’opinion et d’expression, constituent désormais « le paramètre d’appréciation des grands systèmes politiques »901. Aussi, évitant l’amalgame entre la pratique des États musulmans, les valeurs du message coranique, les législations positives modernes et les règles du droit musulman classique, ils invitent les musulmans à procéder d’urgence au réexamen critique du patrimoine culturel islamique902.
100Dans cette perspective, toutes ces contributions doctrinales ont pour mérite d’abord, d’ouvrir une brèche dans un domaine qui est longtemps resté figé, depuis « l’ossification du système juridique »903 et sa sacralisation à partir du quatrième siècle de l’hégire avec la fermeture de la porte de l’ijtihad. Elles peuvent, ensuite, contribuer dans un premier temps, à ouvrir le débat autour de thématiques sensibles dans plusieurs pays arabes, telles que l’abolition de la polygamie et de la répudiation, l’égalité homme/femme, l’égalité en matière successorale. Dans un second temps, elles peuvent contribuer au déclenchement des réformes au niveau du statut personnel, ainsi qu’à son harmonisation sur l’espace juridique arabe. A l’intérieur de ces différents travaux doctrinaux émergent de nouvelles approches, de nouvelles contributions lancées par des féministes arabes et musulmanes, qui revendiquent une participation dynamique à la refonte du droit musulman904.
2. Les nouvelles voix féministes
101La production féminine qui se rapporte à la question du statut personnel, de l’inégalité homme/femme dans les sociétés arabes, est multiple et varie d’un contexte à un autre ; elle émane aussi bien de juristes, d’historiennes, de sociologues que de femmes de lettres905. Cette production féminine, aussi variée soit-elle, a pour mérite non seulement de dénoncer les discriminations dont les femmes sont victimes, mais surtout de s’interroger sur les méthodes et moyens à mettre en œuvre pour l’amélioration de la condition des femmes dans les sociétés arabes et particulièrement au niveau des lois du statut personnel.
102En s’appropriant l’espace du religieux, longtemps réservé aux hommes religieux –les oulémas– et en dénonçant le monopole masculin de l’interprétation du patrimoine traditionnel, ces féministes s’inscrivent dans un mouvement de renouveau intellectuel et religieux d’un autre genre. Ce mouvement offre ainsi une approche alternative du statut personnel et des droits des femmes, qui s’exprime, à l’intérieur du cadre religieux, en proposant un retour aux sources, une relecture du droit musulman et une réinterprétation des textes sacrés du Coran. L’enjeu n’est pas anodin, il s’agit pour ces féministes, de se réapproprier une histoire de laquelle elles ont été longtemps occultées tout en fondant de l’intérieur une prise de parole savante et différente dont « l’enjeu est le pouvoir d’interpréter le passé et donc le présent » et de battre en brèche le privilège masculin de déchiffrer le patrimoine juridique et religieux.906. Outre le fait qu’il présente une nouvelle stratégie féministe dans le combat pour l’égalité, il peut également être un élément indispensable dans toute réflexion sur l’harmonisation des statuts personnels dans l’espace juridique arabe. Quelles sont les particularités de ce mouvement, comment s’investit-il dans la critique et l’interprétation du patrimoine juridique et religieux ?
103La recherche universitaire a défini le féminisme musulman comme un mouvement réformateur qui a permis un dialogue entre les femmes religieuses et les femmes laïques, tout en ouvrant la voie à de nouvelles solutions en faveur de l’égalité des genres. Ces nouvelles féministes musulmanes des temps modernes ne sont pas forcément des théologiennes ; elles peuvent êtres historiennes, anthropologues comme islamologues. Toutes n’ont pas le même champ de recherche, mais elles ont en commun de vouloir étudier la religion selon les exigences de l’académisme universitaire, à l’aide de méthodes exactes, recherchant une connaissance indépendante. Ces féministes réclament particulièrement leur droit à l’ijtihad, de même que leur droit à prendre part aux prières, voire à mener ces prières. Bien que cette nouvelle tendance ne soit pas acceptée par tous au sein de la communauté musulmane, elle a pour mérite de susciter de nouveaux débats autour de la réforme de l’islam et des droits des femmes. Parmi les féministes musulmanes les plus connues, nous pouvons citer Shahla Sherkat d’Iran ; Amina Wadud, Asma Barlas, Riffat Hassan, Azizah al-Hibri, Leila Ahmed, et Margot Badran, qui vivent aux États-Unis et Ziba Mir-Hosseini du Royaume-Uni et d’Iran. La sociologue marocaine Fatima Mernessi a également fait d’importantes contributions intellectuelles dans ce domaine. L’organisation de femmes malaises Sisters in Islam et l’organisation de femmes nigériennes Baobob qui sont affiliées au réseau transnational féministe Femmes sous lois musulmanes, s’inscrivent également dans ce cadre féministe907.
104En travaillant pour les droits humains des femmes, elles écrivent à la fois sur les lois musulmanes et les conventions internationales. Leur démarche consiste à prouver que les inégalités ancrées dans les lois ne sont ni des manifestations de la volonté divine, ni les pierres angulaires d’un système social irrémédiablement régressif, mais bien des constructions humaines, susceptibles de transformation. Innocentant l’islam du statut inférieur réservé aux femmes dans la société, et lavant les féministes du préjugé de l’acculturation, ces femmes ébranlent les assises du discours dogmatique sur l’islam, les droits, les femmes et forcent les oulémas à tenir compte de la légitimité de leur démarche.
105Plus particulièrement, au niveau des pays arabes, d’autres travaux sont dans la continuité du féminisme musulman, notamment de ceux des marocaines Farida Bennani908 et Zineb Miadi909, dont les recherches en droit tentent de produire un discours qui, de l’intérieur de l’islam, fonde les droits humains et l’égalité. Les travaux des tunisiennes Mongia Es-Swayhi, Neila Sellini et Iqbal al-Gharbi procèdent également de la même démarche. Elles soutiennent et démontrent, à travers quelques modèles fondateurs, l’historicité de l’exégèse du Coran, l’importance du contexte social dans les interprétations données et les méthodes employées à cet effet910. S’inscrivant dans la même démarche que celle proposée par Nasr Hamid Abû Zeid911, elles concentrent leurs recherches sur l’analyse littéraire du Coran pour revendiquer une herméneutique humaniste du texte religieux.
106L’émergence de relectures féministes912 des textes fondateurs de l’islam est imputable à deux mouvements : à un mouvement de réforme officiel entrepris par certains États arabes, le cas de l’Egypte et du Maroc en sont de bons exemples, ainsi qu’au mouvement spontané de débats et de polémiques qui émerge de la société civile arabe, conduit particulièrement par des réseaux féministes régionaux. Ainsi, les recherches de ces féministes les ont menées à identifier deux tendances actuelles concernant l’interprétation du statut personnel et du droit musulman : l’une est autoritaire, rétrograde et patriarcale, qui nie les droits des femmes, et l’autre est plus progressiste prônant une reforme du droit musulman de la famille pour donner plein effet au droit des femmes. Cette dernière tendance a pris plus d’ampleur dans les pays musulmans, grâce aux efforts des activistes féministes, aboutissant bien souvent à l’amendement des lois nationales pour mieux reconnaître les droits des femmes.
107Toutefois, en soulevant la question de l’inégalité des statuts personnels dans un cadre théologico-juridique, ce genre de féminisme perpétue l’inscription du statut personnel dans un cadre religieux et ne favorise aucun autre discours relatif par exemple à la laïcité ou aux droits de l’Homme. En prenant uniquement appui sur le droit musulman ou sur le corpus traditionnel, ces féministes considèrent, par ricochet, tout autre discours areligieux, comme étant un discours dissident, dérangeant qui ne peut convenir. Le risque de dogmatisme et de conservatisme reste donc présent dans cette démarche, même si la plupart des féministes que nous avons citées sont pour une interprétation progressiste du legs traditionnel. Il n’en demeure pas moins qu’en prenant appui sur le référentiel religieux, ces féministes légitiment leur démarche et risquent moins de voir leurs discours contestés ou taxés d’occidentalisés par rapport à d’autres démarches féministes913.
108Cette nouvelle démarche féministe amorce surtout une nouvelle phase pour les pays arabo-musulmans, où les femmes se posent dorénavant à côté des hommes en tant que participantes légitimes à l’interprétation de la norme religieuse. La sphère du religieux échappe ainsi au monopole masculin des oulémas et s’ouvre à de nouvelles actrices qui se veulent porteuses d’une nouvelle perspective d’égalité au sein des sociétés arabes et musulmanes. Dans le cadre de l’harmonisation des statuts personnels, ces voix féministes peuvent avoir des conséquences importantes sur l’évolution de la conception des statuts personnels, ces conséquences peuvent se mesurer du point de vue épistémologique et politique.
109Epistémologique, parce que si l’on suit leurs arguments jusqu’à sa conclusion logique, certaines règles, qui ont été jusqu’à présent revendiquées comme « islamiques » et comme contenues dans le droit musulman ou dans la « charîᶜa », ne sont en fait que les visions et les perceptions de certains oulémas, et en tant que telles, ces pratiques et ces normes sociales qui ne sont ni sacrées ni immuables, mais humaines et changeantes914.
110Politiques, parce que de telles analyses peuvent à la fois dégager les musulmans d’une position défensive, et leur permettre de dépasser les anciens préceptes pour chercher de nouvelles questions et de nouvelles réponses aux problèmes contemporains des sociétés arabes915 sans pour autant faire table rase de leur passé historique. Elles peuvent concrètement ouvrir la voie à une plus grande participation féminine dans tout projet de révision concernant les lois du statut personnel, qui, lorsqu’on sait, à titre d’exemple, qu’aucune femme, en 1988, n’a partcipé à l’élaboration du projet de Code arabe unifié du statut personnel. Pourquoi ne seraient-elles pas un élément déclencheur à l’harmonisation juridique ?
CONCLUSION DU CHAPITRE
111Les développements qui précèdent ont tenté de mettre en évidence la possibilité d’une harmonisation des statuts personnels sur l’espace régional arabe et d’ouvrir une nouvelle perspective concernant les moyens à mettre en place afin de la réaliser. Il apparaît clairement que le processus d’harmonisation est plus pratique et plus réaliste que celui de l’unification. Contraignante pour les États, l’unification est donc évincée au profil de l’harmonisation par plusieurs auteurs916.
112Le choix de l’harmonisation et de son application aux statuts personnels arabes nous semble prometteur. L’harmonisation ouvre, en effet, une nouvelle voie pour atténuer les divergences entre les différents statuts personnels des pays arabes et pour favoriser leur réforme. Il ne s’agit plus d’aborder le statut personnel sous un angle uniquement descriptif, c’est-à-dire en présentant les réalisations juridiques qui ont été effectuées par certains pays arabes, plusieurs auteurs se sont déjà attelés à cette mission917. Il s’agit plutôt d’aborder le statut personnel sous un angle prospectif, c’est-à-dire orienté vers l’avenir, vers ce qui « doit être » et vers ce qui « doit être fait ».
113Suite donc aux analyses antérieures, il est apparu que l’harmonisation pouvait offrir une possibilité non négligeable pour réfléchir autour des problèmes que soulève le statut personnel et proposer ainsi des solutions concrètes et adaptées à l’environnement régional arabe. Comme nous avons pu nous en apercevoir, ces problèmes ne sont pas minimes. Certains sont plus apparents que d’autres, notamment quand il s’agit des inégalités entre l’homme et la femme, des discriminations entre les citoyens d’un même État, ou encore quand il s’agit des rapports entre le droit et le religieux. Enjeu idéologique à forte change identitaire, le statut personnel ne peut être laissé entre les mains des interprétations aléatoires, des tergiversations et des marchandages politico-religieux, qui bloquent son évolution. Il doit dorénavant apporter des réponses concrètes aux problèmes des sociétés arabes et non plus être le reflet de tel ou tel régime politique. Il est donc urgent que ces États prennent les mesures adéquates pour inclure leurs statuts personnels dans leurs chantiers de réformes et que les États les moins avancés ne se renferment plus sur des lois désuètes qui ne correspondent plus à la réalité sociale. Les solutions existent toujours, reste que leur mise en place dépendra, dans une large mesure, de la volonté politique des États arabes et de la crédibilité de leur engagement sur la voie des réformes. Conscient de cette réalité, il s’agit néanmoins pour nous d’ouvrir une brèche et de proposer modestement un nouveau débat juridique, une nouvelle étape qui ne demande qu’à être franchie.
Notes de bas de page
780 Voir notamment : HALPERIN (J-L), L’impossible Code Civil, PUF, 1992 ; GRAZIANO (Thomas), « Droit comparé et harmonisation du droit privé européen », in Revue suisse de droit international et européen, 2004, vol. III ; CAPPELLETTI (Mauro), Le droit comparé et son enseignement face à la société moderne, Padova, CEDAM, 1973 ; VAN HOECKE (Mark), Epistemology and methodology of comparative law, Oxford ; Portland, Ore : Hart publ., 2004.
781 Selon Dr. Hitti, représentant de la Ligue des États Arabes à Paris, la volonté politique d’une construction juridique arabe commune existe depuis l’élaboration du projet d’un Code arabe unifié du statut personnel. Sa mise en œuvre concrète n’a pas pu jusqu’à présent se réaliser, faute de moyens efficaces et d’études sérieuses réalisées dans ce sens. Il faut rajouter à cela le contexte régional et international que traversent les États arabes, qui ne semble pas être pour le moment très propice au lancement d’un projet d’une telle envergure.
782 Voir notamment : IZORCHE (M.-L.), « Propositions méthodologiques pour la comparaison », in Revue Internationale de droit comparé, 2001, p. 289 ; VAN HOECKE (M.), « Deep level of comparative law », Conférences, in Epistemology and Methodology of Comparative law il light of Europeen Integration, Bruxelles, october 2002 ; CAPPELLETTI (Mauro), Le droit comparé et son enseignement face à la société moderne, Padova, CEDAM, 1973 ; CAPPELLETTI (Mauro), dir., Nouvelle perspective d’un droit commun de l’Europe, Leyden ; Sijthoff ; Bruxelles : Bruylant ; Stuttgart : Klett-Cotta, 1978 ; MARKESINIS (Basil S.), Essays on foreign law and comparative methodology, Oxford ; Portland (Or.) : Hart, 2001. Le droit comparé aborde le droit dans sa dimension nationale avec une ouverture aux droits des autres États. Entrent aussi, dans le corpus des études comparatives, le droit international qui emprunte souvent aux différentes traditions nationales dont il fait la synthèse, mais aussi le droit supranational (notamment le droit communautaire) et le droit transnational, qui est bien souvent non étatique et dont nous avons des illustrations à propos de l’arbitrage commercial international. Il a été dit que le droit comparé est complexe ; en fait, c’est son objet qui est d’une complexité de plus en plus grande avec des interactions toujours plus nombreuses entre les différents systèmes juridiques, d’une part, et une réflexion élargie sur ce qui est susceptible d’entrer dans l’univers du droit, de la part des anthropologues et ceux qui mettent en évidence le pluralisme juridique, d’autre part. Voir à propos de cette question, notamment : SACCO (R.), L’avenir du droit comparé, éd., Société de législation comparée, 2000 ; La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, Economica, 1991 ; MARKESINIS (Basil S.), Essays on foreign law and comparative methodology, Oxford, 2001.
783 C’est d’ailleurs ce que nous avons tenté de faire dans la première partie de cette recherche en comparant quatre statuts personnels dans quatre pays arabes.
784 Voir notamment : STERN (Brigitte), « Vers la mondialisation juridique ? », in Revue générale de droit internationale public, 1996, pp. 56-80 ; DELMAS-Marty (M.), Globalisation économique et universalisme des droits de l’Homme, Montréal, éd., Thémis, 2004 ; VELEZSERRANO (Luis), « Universalité des droits de l’Homme et diversité des cultures », Actes du 1er colloque interuniversitaire sur les droits de l’Homme, Fribourg, 1882, Fribourg, éd., universitaires, 1984.
785 Voir notamment à propos de l’idée d’une marge nationale d’appréciation : DELMASMARTY (M.), IORCHE (M.-L.), « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du droit. Réflexion sur la validité formelle d’un droit commun pluraliste », in Revue internationale de droit comparé, 2000, n° 4, p. 753.
786 Voir notamment à propos de la construction européenne : HERMANT (Daniel), dir., Nationalismes et construction européenne, Paris, l’Harmattant, 1992 ; BOURDELIN (Didier), De l’Europe des quinzes à l’Europe contient, Paris, éd., Ellipses, 1996 ; HERBETH (Alain), La construction européenne, Toulouse, éd., Milan, 1996.
787 Il s’agit de réfléchir sur le rôle de la pensée juridique dans les systèmes juridiques et le rôle des doctrines juridiques nationales et du droit comparé dans la construction d’une doctrine juridique arabe. Voir notamment : DELMAS-MARTY (M.), dir., Critique de l’intégration normative : l’apport du droit comparé à l’harmonisation des droits, Paris : PUF, 2004 ; LEGRAND (Pierre), « l’analyse différentielle des juriscultures », in Revue internationale de droit comparé, n° 4, 1999, pp. 1053-1071.
788 D’ailleurs le manque de publications et de travaux préparatoires, atteste de cet état des choses.
789 DELMAS-MARTY (M.), dir., Critique de l’intégration normative : l’apport du droit comparé à l’harmonisation des droits, Paris : PUF, 2004.
790 MIALOT (C.), DIMA EHONGO (P.), « Intégration normative à géométrie et géographie variables », in DELMAS-MARTY (M.), dir., Critique de l’intégration normative : l’apport du droit comparé à l’harmonisation des droits, Paris : PUF, 2004, p. 31 et s. ; VAN HOECKE (Mark), Epistemology and methodology of comparative law, Oxford ; Portland, Ore : Hart publ., 2004.
791 Ibid., p. 38 et s. La diversité des situations peut certes être invoquée en faveur de l’harmonisation –censée atténué les divergences– mais elle peut être aussi avancée à son encontre. L’évaluation de l’opportunité permet ainsi de vérifier que la diversité constatée est bien la source des problèmes que l’harmonisation est censée résoudre.
792 Lors de nos entretiens avec certains chercheurs et la consultation de certains supports médiatiques de cette époque, nous nous sommes aperçu que le projet été resté sous silence. Seul Sami Aldeeb en a fait référence dans son article. ALDEEB ABU SAHLIEH (S.), « Unification du droit arabe et ses contraintes », in Conflit et Harmonisation, Mélanges en l’honneur d’Alfred E. Von Overbeck, 1990, pp. 177-204. Actuellement certaines ONG arabes abordent dans leurs discours la question d’un droit arabe commun, notamment, l’Union des Avocats Arabes. Cette ONG contribue également au développement du droit et à l'unification des législations et de la nomenclature juridique dans les pays arabes. L'UAA a participé à la création de l'Institut arabe des droits de l'homme (IADH), ONG en relations officielles avec l'UNESCO. Par ailleurs, le projet d’un Code Civil arabe unifié a été abordé par Augi Mustapha lors d’une conférence organisée par le Centre d’Etudes des Droits du Monde Arabe, le CEDROMA, en 2003, mais aucune publication ne fut proposée à ce sujet.
793 Ibid., p. 741.
794 Il n’y a pas une définition exhaustive de la Société Civile, d’après Jürgen Habermas « le cœur de la société civile est constitué par un tissu associatif qui institutionnalise dans le cadre d’espaces publics organisés les discussions qui se proposent de résoudre les problèmes surgis concernant les sujets d’intérêt général », HABERMAS (Jürgen), Droit et démocratie : entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997. La société civile est donc extérieure au secteur public. Faisant partie des activités de la société civile, les efforts délibérés d’associations non lucratives et non officielles pour peser sur les politiques, les normes et/ou de plus profondes structures sociales. En un mot, la société civile existe quand les gens mènent des efforts concertés visant à transformer les règles par le biais d’associations bénévoles. La société civile désigne un collectif alors que les groupes civiques en sont les éléments individualisés. Voir notamment : DUCHATEL (Jules), CANET (Raphaël), dir., La crise de l’État, revenche des sociétés, Canada, Québec, Athéna Editions, 2006 ; PERLAS (Nicanor), Shaping globalization : civil society, cultural power and threefolding, Barret-sur-Méouge (Hautes-Alpes), Y. Michel, 2003 ; BEN NEFISSA (S.), ABD AL-FATTAH, dirs., ONG et gouvernance dans le monde arabe, Paris/Le Caire, Karthala/Cedej, coll. Kalam, 2004.
795 BEN NEFISSA (S.), ABD AL-FATTAH, dirs., ONG et gouvernance dans le monde arabe, Paris/Le Caire, Karthala/Cedej, coll. Kalam, 2004.
796 Voir notamment : EL OUFI (Noureddine,) dir., La société civile au Maroc : approches, Rabat, Société marocaine des Editeurs réunis, 1992 ; EL AMOURI (Hamid), Sociétés civiles et unités du Maghreb, thèse de doctorat, Paris 10ème, ROBIN (Maurice) dir., 1996 ; DOUAGHI (Chawqui), La vie publique au Liban : expressions et recompositions du politique, Beyrouth, Editions du CERMOC, 1991 ; KARAM (Karam), Le mouvement civil au Liban. Revendications, protestations, mobilisations associatives dans l'après-guerre, Paris, Karthala, 2006 ; « Les associations au Liban : entre caritatif et politique », in Sarah Ben Néfissa (dir.), Pouvoirs et associations dans le monde arabe, Paris, CNRS-IREMAM, 2002, p. 57-75.
797 BEN NEFISSA (S.), ABD AL-FATTAH, dirs., ONG et gouvernance dans le monde arabe, op. cit., p. 25 et s.
798 Nous faisons référence à la campagne nationale menée par les associations féministes marocaines en 1991 en vue de l’obtention d’un million de signatures pour contester les lois inéquitables du code du statut personnel, la Moudawana. Au Liban également, le mouvement social du Rassemblement pour le Mariage Civil de 1998 a mis en exergue des éléments essentiels de l'émergence et du développement du tissu associatif et de l’intérêt que suscitent les questions relatives au statut personnel. Des réseaux féministes, tels que le Collectif Maghreb-Egalité contribue notamment à la refonte du statut juridique des femmes arabes, en organisant des conférences, des débats ouverts à tout public.
799 Voir notamment les publications réalisées par POGAR (Programme on Governance in the Arab Region) : Arab Civil Societies and Public Governance Reforms, An Analytical Framework and Overview, prepared by Salim Nasr for UNDP-POGAR. 2005 ; Civil Society and Reform. Proceedings of the regional seminar on the Arab civil society and its role in reform, Alexandria, 21-22 June 2004. UNDP-POGAR with the cooperation of the Arab Organization of Human Rights and the United Nations Office of the High Commissioner of Human Rights. 2004 ; HAWTHORNE (Amy), « Middle Eastern Democracy : Is Civil Society the Answer ? » in Carnegie Paper, n° 44, March 2004.
800 Voir notamment : DUFOUR (A.), Internet, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1998 ; CHAMONEIX (J.-P.), « Internet : vers une véritable information sans frontières ? Nouvelles technologies et lex mercatoria », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du xxe siècle. A propos de 30 ans de recherche du CREDIMI, Mélanges P. Kahn, Litec, 2001, p. 281 et s.
801 Jurisite Tunisie : http://www.jurisitetunisie.com/index.html The Machreq/Maghreb Gender Linking Information ou Projet de Liaison et d’Information sur le Gendre pour la Région du Machreq/Maghreb : http://www.macmag-glip.org/French/index.html
802 Une recherche fut néanmoins réalisée sur le sujet d’un système arabe unifié d’arbitrage commercial, voir BSILI (Adel), Vers un système arabe unifié d’arbitrage commercial (l’apport de la Convention d’Amman), Mémoire DEA, Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis, HACHEM (Mohammed Larbi), dir., 1989. Dans son étude, Bsili tente de prouver que la construction d’un espace normatif arabe commun doit être orientée davantage vers une option économique plutôt que politique et que la coopération économique doit être favorisée par l’adoption de techniques juridiques appropriées, parmi lesquelles l’arbitrage commercial. Afin de contourner ces lacunes, nous nous sommes largement appuyées sur des travaux réalisés dans le cadre de la construction européenne, en nous inspirant particulièrement du projet européen d’harmonisation juridique du droit de la famille.
803 La Ligue des États Arabes est une construction politique qui cherche à dépasser la souveraineté des États sans l’abolir. On y arrive par les règles qui sont négociées, légitimées et qui sont censées produire de la stabilité dans le comportement des acteurs qui y souscrivent. Donc c’est un espace normatif.
804 Voir notamment : CLEMENTS (Franck), Arab regional organisations, New Branswick (N.J), London : Transactions books, 1992 ; FLORY (M.), PIERRE-SATEH (A.), dir., Le système régional arabe, Paris, Editions du CNRS, 1989. Il ne faut cependant pas oublier que la Ligue n’a pas encore atteint un tel degré de développement normatif pour produire des normes supranationales opposables à ses États membres. Comme nous l’avons vu dans la partie relative à la Ligue des États Arabes, cette organisation a un système fonctionnel très lourd et des lacunes structurelles qui doivent être réformés pour lui permettre une certaine efficacité au niveau régional.
805 DEMLAS-MARTY (M.), Le pluralisme ordonné, Paris, éd. du Seuil, 2006. Il s’agit d’ordonner la diversité juridique en respectant la notion de la marge nationale, que nous avons pu aborder précédemment. Cette notion doit être entendue non seulement comme un droit à la différence pour chaque État, mais aussi comme une limite à ne pas dépasser par les États.
806 Ibid., p. 24 et s.
807 BOUONY (L.), Le régime des décisions dans la Ligue des États arabes, réalités et perspectives, in Annuaire Français de Droit International Public, 1983, pp. 543-563.
808 Tel est le cas par exemple au niveau des Communautés européennes, c’est-à-dire au niveau de la Commission, du Conseil et du Parlement ; dans lesquels la prise de décision s’effectue à la majorité qualifiée. Voir notamment : BOURDELIN (Didier), De l’Europe des quinzes à l’Europe contient, Paris, éd., Ellipses, 1996 ; HERBETH (Alain), La construction européenne, Toulouse, éd., Milan, 1996.
809 L’Union Européenne a organisé plusieurs Conférences sur le droit de la famille. Voir notamment : BOELE-WOELKI (Katharina), Perspectives for the unification and harmonization of family law in Europe, Belgique, Editions : antwerpen ; New York, Intersentia, 2003 ; DUMON (Wilfried), NUELANT (Tanja), Observatoire européen des politiques familiales nationales : tendances et évolutions, Belgique : Leuven : Observatoire européen des politiques familiales nationales, 1994.
810 Vu le manque de travaux dans ce domaine, nous pouvons nous inspirer de l’organisme créé le 1er septembre 2000 : la Commission permanente pour le Droit Européen de la Famille (Commission on European Family Law - CEFL). La CEFL réunira environ 25 experts dans le domaine du droit de la famille et du droit comparé. Les experts seront originaires de tous les États membres de l'Union Européenne et d'autres États européens :
http://www.ejcl.org/53/annF.html
811 Voir notamment : GRAZIANO (Thomas Kadner), « Droit comparé et harmonisation du droit privé européen, étude de cas », in Revue Suisse de droit internationale et européen, vol. 3, 2004, p. 10-36.
812 Ibid., p. 783.
813 LEGRAND (Pierre), « Comparer », in Revue internationale de droit comparée, 1996, p. 779.
814 Nous nous sommes référée aux programmes enseignés dans les universités de droit et de science politiques tunisienne et libanaise pour relever ces lacunes. Voir notamment le site de l’université libanaise qui regroupe cinq sections situées notamment à Beyrouth, et au Mont Liban, http://www.ul.edu.lb/francais/droit.htm ainsi que le site de la Faculté de droit et des sciences économiques et politiques de Sousse http://www.fdseps.rnu.tn/media–html/def–fra.htm et de Tunis http://www.fdspt.rnu.tn/fr/indexfr.html
815 Deux Centres auprès desquels nous avons pu avoir des informations pratiques et utiles sur l’évolution du droit du statut personnel dans les pays arabes.
816 CAWTAR, Arab women’s Development report 2001 : Globalization and Gender : Economic Participation of Arab women ; Arab Women and Labor 1998 ; Gender and development in the Middle East and North Africa : Women in the Public Sphere, 2004.
817 CEDROMA, Recueil des Constitutions des pays arabes, éditions Bruylant, Bruxelles, 2000 ; Les « Cours judiciaires suprêmes dans le monde arabe », Actes du colloque de Beyrouth, éditions Bruylant Bruxelles, 2001 ; « Droit et Religion", Actes du colloque de Beyrouth, éditions Bruylant Bruxelles, 2003 ; « Les principes généraux du droit : droit français, droit des pays arabes, droit musulman (dénominateurs communs)", Actes du colloque de Beyrouth, éditions Bruylant, Bruxelles, 2005.
818 Au niveau participatif le projet d’un code arabe unifié du statut personnel lancé par la Ligue en 1988, s’est limité au cadre stricte des États, ces derniers n’ont réalisé aucune étude préalable relative à la mise en œuvre de ce projet, encore moins des études comparatives relatives aux différents solutions juridiques dans chaque pays et diffusées à un large public (universitaires, chercheurs, médias, citoyen ordinaire). Une de ses faiblesse résidait ainsi dans le fait que seule la Ligue s’été impliquée dans ce projet, en réponse à des revendications idéologiques relatives au rêve du panarabisme et du nationalisme arabe. Voir notamment : CARRE (Olivier), Le nationalisme arabe, Paris, Payot et Rivages, 2004 ; MELLAH (Fawzi), De l’unité arabe : essai d’interprétation critique, Paris, l’Harmattan, 1885.
819 Voir notamment : EBERHARD (Christoph), Droits de l’homme et dialogue interculturel. Vers un désarmement culturel pour un Droit de Paix, Thèse de Doctorat en Droit, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Le ROY (Etienne), dir., 2000, p. 47 et s. ; BEDJAOUI (Mohammed), « La difficile avancée des droits de l’homme vers l’universalité », in Revue Universelle des Droits de l’Homme, vol. 1, 1989, pp. 5-12.
820 Voir notamment : HENRY (Jean-Robert), Nouveaux enjeux culturels au Maghreb, Paris, Editions du CNRS, 1986 ; « Les États maghrébins à l’épreuve de la mondialisation », in Annuaire de l’Afrique du Nord, 1987, p. 45 et s.
821 Comme l’exprime Hafidha Chekir « Il est aujourd’hui clairement admis que lorsqu’on parle d’universalité, il s’agit des droits humains attribués à la personne humaine, de l’un ou de l’autre sexe, sur la base de l’égalité entre les sexes et sans aucune discrimination entre les droits, tels qu’ils ont été reconnus et consacrés par les instruments internationaux adoptés par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Par contre lorsqu’on évoque les spécificités ou le relativisme culturel, on se réfère aux références, aux traditions et aux valeurs civilisationnelles qui identifient et imprègnent les sociétés, sans pour autant, avoir une connotation juridique. Pourtant l’universalité et la spécifique apparaissent de nos jours comme des concepts antinomiques, en opposition et parfois même en contradiction, tantôt au profit de l’un, tantôt au profit de l’autre, selon les régions et les courants de pensée, mais toujours au détriment de certains droits humains et particulièrement les droits humains des femmes ». CHEKIR (Hafidha), « Les réserves présentées par la Tunisie », in Actes du Colloque de Tunis sur la Non-discrimination à l’égard des femmes entre Convention de Copenhague et le discours identitaire, CERP et UNESCO, Tunis, 1989, p. 48 et s. ; également du même auteur, « La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes », in Revue tunisienne de droit, 1989, p. 71 et s
822 Voir notamment : LTAEIF (Wassila), La liberté de mariage au Maghreb : dimension historique et perspective contemporaine, Thèse pour le Doctorat en droit, Faculté de Droit de Rouen, 2004 ; BENNOUNE (Karima), “Between Betrayal and Betrayal : Fundamentalism, Family Law and Feminist Struggle in Algeria”, in Arab Studies Quarterly, vol. 17, n°1 et 2, 1995, pp. 51-76.
823 Voir notamment : NASIR (J.-J.), The islamic law of personnal statuts, Pays-Bas, Arab and Islamic law series, London : Graham and Trotman, 2002 ; AL-AHNAF (M.), « Maroc : le Code du statut personnel », in Monde arabe Maghreb-Machrek, n°145, 1994, pp.3-23 ; AL HIBRI (A.), « Marriage laws in muslims countries, a comparative study of certain Egyptian, Syrian, Maroccan and Tunisian marriage laws », in International Review of comparative Public Policy, n° 8, 1992, p. 34-60 ; EL AYADY (M.), « La femme dans le débat intellectuel au Maroc », in Prologues, Hors Série, n° 3, La réforme du droit de la famille : cinquante années de débat, Casablanca, 2002, p. 15 ; HAJJAMI (Aïcha), « Problématique de réforme du statut juridique de la femme au Maroc : entre référentiel et procédure », in Revue de droit et d’économie, Fès, n° 19, 2002.
824 « La Déclaration Universelle des Droits de L’Homme de 1948 est le point de départ de l’édification d’un corpus normatif extrêment étoffé dont le point d’orgue a certainement été la Conférence mondiale sur les droits de l’homme de Vienne (14-25 juin 1993). La plupart des textes adoptés après 1948 –au plan universel comme au plan régional- n’ont d’ailleurs pas manqué d’avouer leur dette à l’égard de la Déclaration ». Pour des détails sur les autres instruments internationaux voir : LEVINET (M.), Théorie générale des droits et libertés, Bruylant, 2006, p. 201.
825 GANNAGE (Léna), « religion et droits fondamentaux dans le droit libanais de la famille », in Droit et Religion, Bruxelles, CEDROMA/ Bruylant, 2003, p. 517 et s.
826 Voir notamment : PAPI (Stéphane), La pérennité de l’Islam et l’influence occidentale dans l’ordre juridique du Maghreb, (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie), Thèse de doctorat, Université de Nice Sophia-Antipolis, CHARVIN (Robert), dir., 2004.
827 LEVINET (M.), Théorie générale des droits et libertés, op., cit., p. 230.
828 BERQUE (J.), Relire le Coran, Paris, Albin Michel, 1993, p. 47. Cité par LEVINET (M.), op., cit., p. 230.
829 BLANC (F-P), Le droit musulman, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1995, « Avant-propos », p. 3.
830 LEVINET (M.), op., cit., p. 230.
831 Ainsi le Conseil de la Ligue des États arabes a adopté en 1994 une Charte arabe des droits de l’Homme ; qui n’a cependant, fait l’objet d’aucune ratification (sept États parties étaient requis pour son entrée en vigueur). Dans le cadre de l’Organisation de la Conférence Islamique (O.C.I), un texte a également été adopté en 1990 : la Déclaration du Caire sur les droits de l’Homme en Islam. Tous ces instruments ne sont en réalité que des déclarations de foi, qui viennent confirmer encore une fois le discours identitaire proclamé par ces États. Voir MAHIOU (A.), « La Charte arabe des droits de l’Homme », in Mélanges Hubert Thierry, Pédone, 1998, pp. 107-125.
832 LEVINET (M.), op., cit., p. 272.
833 Nous faisons particulièrement référence au texte de la Charte arabe des droits de l’Homme qui dans son préambule déclare « proclamant la foi de la nation arabe dans la dignité humaine, depuis que Dieu a privilégié cette nation en faisant du monde arabe le berceau des révélations divines… » (1er alinéa).
834 L’expression est empruntée à MEZGHANNI (Ali), Lieux et Non-lieu de l’identité, Tunis, Sud Editions, 1998, spéc., p. 214.
835 Sur l’affrontement entre ces deux conceptions des droits de l’Homme, Voir MEZGHANNI (Ali), op. cit., spéc., p. 214 ; BEN ACHOUR (Y.), Le rôle des civilisations dans le système international, droit et relations internationales, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 276-278.
836 Les réserves sont définies par la convention de Vienne sur le droit des Traités de la manière suivante « L’expression réserve s’étend d’une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État ». Les réserves obéissent en droit international à un certain nombre de règles qui ont été codifiées par la convention de Vienne sur le droit des Traités. Elles ont été définies par l’article 19 de la convention comme suit : « Un État, au moment de signer, de ratifier, d’accepter, d’approuver un traité ou d’y adhérer, peut formuler des réserves, à moins : a) que la réserve ne soit interdite par le traité, b) que le traité ne dispose que seules des réserves déterminées, parmi lesquelles ne figure pas la réserve en question, peuvent être faites, ou c) que dans les autres cas que ceux visés aux alinéas a) et b), la réserve ne soit incompatible avec l’objet et le but du traité ». Sur la question des réserves, voir notamment : DUPUY (Pierre-Marie), Droit international public, Paris, Précis Dalloz, 1992, p. 187 et s. ; BASTID (Suzanne), Les taités dans la vie internationale, conclusion et effets, Paris, Economica, 1985, p. 71 et s. ; COHENJONATHAN (G.), « Les réserves à la Convention européenne des droits de l’homme (à propos de l’arrêt Belilos du 29 avril 1989), in Revue Générale de Droit International Public, 1989, p. 277.
837 BEDJAOUI (Mohammed), « La difficile avancée des droits de l’homme vers l’universalité », in Revue Universelle des Droits de l’Homme, vol. 1, 1989, pp. 5-12.
838 BOUSSNINA (Lamia), Les réserves des États arabes à la convention internationale relative à l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, Mémoire pour l'obtention du DEA en sciences politiques, Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis, 2004 ; BOURAOUI (Soukeina), « Les réserves des États parties à la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes », in La non-discrimination à l'égard des femmes entre la Convention de Copenhague et le discours identitaire, Colloque de Tunis, janvier 1988, Tunis, UNESCO-CERP.1989 p.27 et s.
839 HENRY (Jean-Robert), BABADJI (Ramadane), « Universalisme et identité juridiques : Les droits de l’Homme et le monde arabe », in Annuaire de l’Afrique du Nord, 1995, p. 82.
840 Ibid., p. 85.
841 Retrouvez les dispositions de cette convention sur le site :
http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/
842 Voir notamment : BEN ACHOUR (Yadh), Normes, foi et loi, Tunis, CERES productions, 1993 ; BOUSSNINA (Lamia), Les réserves des États arabes à la convention internationale relative à l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, Mémoire pour l'obtention du DEA en sciences politiques, Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis, 2004.
843 HENRY (Jean-Robert), BABADJI (Ramadane), « Universalisme et identité juridiques : Les droits de l’Homme et le monde arabe » …,op. cit., p. 87.
844 Hafida Cheikir qui s’est penchée sur la question des réserves émises par la Tunisie, montre au vu de cet article 1er qu’il « est incontestable que le contenu d’une pareille convention n’est pas de nature à porter atteinte à la forme républicaine du régime ni à la langue de l’État tunisien, mais c’est plutôt par rapport à la religion qu’une telle déclaration est avancée ». Elle poursuit « En somme, il s’agit pour l’État tunisien de ne pas édicter de textes juridiques pour l’application de la convention qui iraient à l’encontre de la religion musulmane ». CHEKIR (Hafida), « La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes », in Revue tunisienne de droit, 1989, p. 71 et s. ; « Les réserves présentées par la Tunisie », in La non-discrimination à l'égard des femmes entre la Convention de Copenhague et le discours identitaire, colloque de Tunis, janvier 1988, Tunis, UNESCO-CERP.1989 p.48 et s.
845 Réserve de l’Egypte lors de la ratification en date du 18-03-1981. Le même raisonnement se retrouve dans la réserve marocaine à propos de la même disposition lorsque ce pays a adhéré à la convention le 21-06-1993. HENRY (Jean-Robert), BABADJI (Ramadane), « Universalisme et identité juridiques : Les droits de l’Homme et le monde arabe », op. cit., pp. 88-89.
846 Voir sur la question du droit à la différence ROULAND (Robert), dir., Le droit à la différence, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2002. En effet, en 1948, les différences n'étaient pas à l'ordre du jour. Aucun pays ne vota contre la Déclaration universelle, et les huit pays qui s'abstinrent n'étaient pas en désaccord avec les principes énoncés par la Déclaration, mais seulement avec certains articles. Parmi eux, six pays communistes – la Biélorussie la Pologne, la Tchécoslovaquie, l'Ukraine, l'URSS et la Yougoslavie – considéraient qu'ils auraient fallu insister sur les devoirs de l'individu. L'Afrique du Sud était en outre opposée à la déclaration de droits économiques, sociaux et culturels et, enfin, l'Arabie saoudite émit des critiques sur la liberté religieuse. Les différences étant ainsi cachées, ce n'est que plus tard qu'elles réapparurent. Voir notamment : VEDEL (Georges), « Les droits de l’Homme : quels droits ? Quel homme ? », in : Mélanges l. R.J. Dupuy, 1991, pp. 349-362.
847 DELMAS-MARTY (Mireille), Trois défis pour un droit mondial, Paris, Editions du Seuil, 1998, pp.25-26.
848 MARIE (Jean-Bernard), « de l’universalité des principes à l’universalisation des pratiques », in Mélanges Silvio Marcus-Helmos, Bruylant, 2003, p. 226.
849 CAPELLER (Wanda), KITAMURA (Takanori), Une introduction aux cultures juridiques non-occidentales. Autour de Masaji CHIBA, Bruylant, 1998, cité par LEVINET (Michel), Théorie générale des droits et libertés, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 207.
850 EBERHARD (Christoph), Droits de l’homme et dialogue interculturel. Vers un désarmement culturel pour un Droit de Paix, Thèse de Doctorat en Droit, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Le ROY (Etienne), dir., 2000 ; Droit de l’Homme et dialogue interculturel, Paris, éd., des écrivains, 2002. Selon Eberhard « La remise en question des droits de l’homme comme symbole d’une vie juste au niveau global sous forme de critique de leur universalité s’accompagne d’une attitude de plus en plus critique envers la transplantation de l’État de droit à "l’occidentale" : le transfert de modèles juridiques qui était perçu comme clef au développement et aux reconstructions nationales au lendemain des indépendances des pays précédemment colonisés n’a pas su tenir ses promesses. Souvent il a donné naissance à des avatars autoritaires et violents, que n’ont pas su museler l’antidote classiquement pressenti que sont les droits de l’homme. Et il semble que l’on ne puisse plus se contenter aujourd’hui de réfléchir à la problématique de l’État de Droit ou Rule of Law — intimement liée à celle d’une approche "pragmatique" des droits de l’homme, c’est-à-dire visant à être effective sur les divers terrains — de manière globale. Le rêve d’une panacée universelle s’évanouit et ainsi émerge l’exigence de porter une attention accrue sur le "local", pour réfléchir non pas à une réalisation idéelle de l’État de Droit et des droits de l’homme sur toute la surface du globe mais de comprendre comment bâtir des États de Droit concrets, comment incarner l’idéal des droits de l’homme dans les divers contextes historiques, sociaux, culturels et économiques ». A notre avis les États quelque soit leurs spécificités culturelles doivent se pencher sérieusement sur cette question, car la conjugaison entre le particularisme et l’universalisme ne peut se réaliser sans une ouverture sur l’autre, sans un dialogue interculturel, qui dépasse les préjugés idéologiques entre l’Occident et l’Orient.
851 Dans le rapport final de la Conférence il est souligné dans le paragraphe n° 5 que « Tous les droits de l'homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l'homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d'égalité et en leur accordant une égale valeur. S'il convient de ne pas perdre de vue l'importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu'en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales ». Voir le texte de la Conférence sur le site :
http://www.unhchr.ch/french/html/menu5/wchr–fr.htm
852 ROULAND (Norbert), « Les fondements anthropologiques des droits de l'homme », Revue générale de droit, Faculté de droit d'Ottawa, n° 25, 1994, p 9-47.
853 HENRY (Jean-Robert), BABADJI (Ramadane), « Universalisme et identité juridiques : Les droits de l’Homme et le monde arabe », op. cit., p. 80.
854 Pour comprendre ces deux doctrines, voir ABOU (S.), Cultures et droits de l’Homme, leçons prononcées au Collège de France, Paris, Editions Perrin, Presses de l’Université Saint Joseph, 1990.
855 Ibid., p. 290.
856 GANNAGE (Léna), « Le relativisme des droits de l’Homme dans l’espace méditerranée », in Revue internationale de droit comparé, n° 1, janvier-mars, 2006, pp. 115-116.
857 ROULAND (Norbert), « A propos des droits de l’Homme : un regard anthropologique », in Droits fondamentaux, n° 3, janvier décembre, 2003.
858 DELMAS-MARTY (Mireille), Trois défis pour un droit mondial, Paris, Editions du Seuil, 1998, p. 26 et s.
859 Plusieurs États ont en effet signé ces conventions, notamment l’Algérie (1989 : les deux pactes), la Libye (1989 : convention de Copenhague et sur la torture, 1993 : convention sur les droits de l’enfant), la Jordanie (1991 : convention sur la torture et 1992 convention de Copenhague), le Maroc (1993 : convention de Copenhague et convention sur la torture), la Tunisie (1968 : convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum au mariage et l’enregistrement des mariages), etc.
860 HENRY (Jean-Robert), BABADJI (Ramadane), « Universalisme et identité juridiques : Les droits de l’Homme et le monde arabe », op. cit., p. 91.
861 Les nouvelles dispositions du nouveau code marocain, la Moudawwana, ainsi que les nouvelles dispositions de la loi égyptienne relative au khulᶜ attestent de cette nouvelle orientation législative.
862 Voir notamment : Al Mar’a al ‘Arabiyya. Al waḍ ‘al Qânûnî wal iğtimâ ‘î (La femme arabe. Conditions juridique et sociale), Manšûrât al Ma ‘had al ‘Arabî li Ḥuqûq al Insân, 1996 ; Aṣ-Ṣâwî (Ahmed), Al Ḥasâd, ‘Amâni ‘alâ al khul ‘. Dirâsa taḥlîliyya (deux ans après le khulᶜ, analyses), Markaz Kaḍâya al Mar’a al Misriyya, 1ère édition, 2003.
863 Voir notamment : DELMAS-MARTY (M.), Trois défis pour un droit mondial, Paris, Editions du Seuil, 1998 ; CASSESSE (A.), « les droits de l'Homme sont-ils véritablement universels ? », Revue Universelle des droits de l’Homme, Vol.1, 1989, pp.13-18
864 HENRY, op., cit., p. 79.
865 CASSESSE (A.), « les droits de l'Homme sont-ils véritablement universels ? », Revue Universelle des droits de l’Homme, Vol.1, 1989, p. 15.
866 Ibid., p. 13 et s.
867 Rapport de Mme Radhika Coomaraswamy (Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes, ses conséquences), Pratiques culturelles au sein de la famille qui constituent des formes de violence contre les femmes (Commision des droits de l’homme des Nations Unies, E/CN.4/2002/83, 31 jan. 2002, § 1) : « le relativisme culturel sert souvent d’excuse pour permettre des pratiques inhumaines et discriminatoires à l’encontre des femmes au sein de la communauté ». Cité par LEVINET (M.), Théorie générale, des droits et libertés, op. cit., p. 206.
868 ROULAND (N.), Aux confins du droit, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 201.
869 Voir notamment : BOUGUERRA (M.), « Le code du statut personnel, un code laïc ? » in Mélanges Sassi Ben Halima, Tunis, CPU, 2005, p. 529 et s. ; GAFSIA (N.), La réouverture par Bourguiba des portes de l’ijtihad : formation et dissolution du lien matrimonial en Tunisie, Mémoire DEA : Etudes africaines, option anthropologie juridique et politique, Paris 1, 1997
870 Il n’est aucunement question dans cette partie de traiter de la problématique de la laïcité et de son application à l’Islam. Notre interrogation se limite au droit du statut personnel dans son rapport avec le droit musulman. On peut seulement signaler pour aller dans la continuité de Ghalioun, que la laïcité comme une prise de conscience de la rupture épistémologique ou philosophique avec la religion que constitue la modernité n'a pas été utilisée comme porte-drapeau du combat pour l'émancipation politique et intellectuelle. « N'ayant été investie d'aucune cause ou valeur positive, elle n'a accumulé aucun crédit symbolique et elle ne pouvait être, par conséquent, productrice de sens. (Dans les pays arabes) Mis à part un certain nombre très limité d'intellectuels, aucune force politique ou sociale ne met la laïcité sur son agenda ou n'éprouve le besoin d'en faire une cause particulière. Toutes ou presque se battent pour la démocratie, la liberté d'opinion et de conscience, une meilleure justice sociale, l'État de droit, sans jamais penser que l'adhésion à l'idéologie laïque détermine ces combats ou conditionne la victoire ». GHALIOUN (Burhan), « Islam ; laïcité et modernité » in Confluences Méditerranée, n° 33, Printemps, 2000. Pour plus de développement sur ce concept et ses rapports conflictuels avec l’islam, voir notamment : BLANC (F-P), MONNEGER (F.), Islam et-en laïcité, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 1992 ; CARRE (O.), L’Islam laïque ou le retour à la grande tradition, Paris, A. Colin, 1993 ; ROY (O.), La laïcité face à l’islam, Paris, Hachette Littératures, 2006.
871 DAOUD (Z.), Féminisme et politique au Maghreb, soixante ans de lutte, Edition Eddif, ACCCT, Casablanca- Maroc, 1993
872 BEN ACHOUR (S.), « Les chantiers de l’égalité au Maghreb », in Mélanges offerts au doyen Sadok Belaïd, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2004, p. 28 et s.
873 Tel est par exemple, le cas de l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH). Celle-ci bien que faisant référence aux Pactes et accords internationaux relatifs aux droits de l’Homme, ne soulève que rarement la question laïque dans ses débats. Voir sur ces différentes associations militantes, CASEY (C.), Débat autour de la réforme du Code de statut personnel au Maroc : vers une recomposition du champ politique ? Mémoire de DEA en science politique, Université Lumière 2, 2003.
874 Nous empruntons cette expression de Yadh Ben Achour, Politique, religion et droit dans le monde arabe, Tunis, éd., Cérès, 1992, p. 17.
875 A l’origine, la « laïcité » est un terme emprunté au langage religieux : le laïc est celui qui n’a pas la qualité de clerc. Cette expression, d'origine purement occidentale véhiculait initialement l'idée d'une séparation organique et formelle entre deux ordres distincts : l'autorité étatique et séculière, d'une part, et l'autorité ecclésiastique religieuse, d'autre part. Mais par l'effet de l'usage et de la tradition, d'un côté, et par suite de l'influence, de plus en plus grandissante, des mouvements politiques et sociaux des droits de l’Homme et de leurs poids plus que jamais lourd et pesant, de l'autre, la formule « laïcité » a dû acquérir, au fil des années, un contenu autrement plus large. Cela lui a valu de dépasser le cadre strictement organique et formel pour atteindre une dimension matérielle faisant d'elle le symbole de la séparation substantielle entre le spirituel et le temporel, entre la religion et le droit. Selon Bouguerra, ce concept est inapplicable et étranger à l’espace arabo-musulman, en remontant à l’histoire du christianisme et de l’islam, il arrive à conclure qu’ : « Appliqué à la religion islamique, ce schéma ne semble pas pouvoir concorder, car inadéquat et non approprié. L'antinomie entre droit et religion n'ayant pas lieu en Islam, elle ne saurait s'y retrouver. Car, sans se contredire et sans se repousser, comme pour être compatibles entres elles et indissociables l'une de l'autre, ces deux institutions paraissent en mesure de coexister parfaitement et en posture de cohabiter paisiblement ». BOUGUERRA (M.), « Le code du statut personnel, un code laïc ? », in Mélanges Sassi Ben Halima, CPU, Tunis, 2005, p. 25 et s. Ce point de vue n’est pas évident pour les laïcisants qui peuvent rétorquer que l’antagonisme entre la religion et le droit existe et, est d’autant plus difficile à surmonter qu’il n’est pas très visible et qu’il est sans cesse masqué par le discours des clercs. Quoi qu’il en soit, sur le plan pratique, il semble impossible de remporter la bataille en arguant de la nécessité de la laïcité.
876 Voir notamment : GAFSIA (N.), La réouverture par Bourguiba des portes de l’ijtihad : formation et dissolution du lien matrimonial en Tunisie, Mémoire DEA : Etudes africaines, option anthropologie juridique et politique, Paris 1, 1997.
877 Voir au sujet de la laïcité imposée : LAMCHICHI (A.), « Laïcité autoritaire en Tunisie et en Turquie », in Confluences Méditerranée, n° 33, Printemps, 2000.
878 Echec notamment au Liban, lors de la présentation d’une loi relative au mariage civil facultatif, cf. supra, Chapitre 2, Titre II, Première partie.
879 Pour avoir ignoré cette réalité, et pour avoir voulu forcer la greffe, des hommes comme Atatürk, Reza pahlavi, n’ont fait que violenter leurs sociétés. La réislamisation des sociétés turque, iranienne est aujourd’hui l’aspect le plus patent de leur échec par ailleurs si coûteux en souffrances ô combien inutiles. Voir notamment : PAPI (S.), La pérennité de l’Islam et l’influence occidentale dans l’ordre juridique du Maghreb, (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie), Thèse de doctorat, Université de Nice Sophia-Antipolis, CHARVIN (Robert), dir., 2004 ; BOUGUERRA (M.), « Le code du statut personnel, un code laïc ? », in Mélanges Sassi Ben Halima, CPU, Tunis, 2005.
880 PAPI (S.), La pérennité de l’Islam et l’influence occidentale dans l’ordre juridique du Maghreb, (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie), ibid., p. 394.
881 Voir notamment : El QARAḌAWI (Y.), At-Tarruf al-lâîky : Tounis wa Turkiya (L’extrémisme laïc face à l’islam : les cas de la Tunisie et le la Turquie), Londres, Centre maghrébin de recherche et d’édition, 2001. Un extrait datant d’une publication du Ministère de la Justice confirme le cadre religieux du code du statut personnel « Rien d’étonnant à ce que nous soyons parvenus à mettre sur pied un code moderne qui rencontre l’agrément des savants puisque nous avons puisé dans les sources pures et sans cesse renouvelées de la religion musulmane. On répond à ceux qui s’imaginent que les dispositions du code relatives au mariage sont une violation de la charia et s’inspirent du droit européen : rien n’est plus faux. Pour faire un code moderne, il suffit de faire retour aux vraies sources de l’islam et du droit musulman » La Justice dix ans après, Publication du Ministère de la Justice, Tunis, 1966.
882 Voir notamment : TURKI (A.), Réformes du statut personnel dans un régime en transition : L’exemple du Maroc : de la Moudawana au code de la famille, mémoire de DEA de science politique comparative, Faculté de droit et de science politique, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, 2004 ; BECHIRI (M.), Ḥuqûq al mar’a bayna aš-šarî ‘a wal fiqh wa bayna ḥuqûq al-insân, (droit de la femme entre la charia, le fiqh et les droits de l’homme), doctorat d’État en droit privé, Casablanca, Faculté de droit, 1992 ; ALGHARBI (A.), Le code du statut personnel tunisien entre l’islam et la modernité, Mémoire DEA : Droit, Institutions, Société, Islam et Afrique francophones, Perpignan, 2000.
883 MEZGHANI (Ali), « Quelle tolérance pour les répudiations ? », in Revue internationale de droit comparé, n° 1, janvier-mars, 2006, p. 63.
884 Voir le texte du discours intégral sur le site internet : http://menara.ma
885 Les Ḥyal consistaient en de véritables subterfuges pouvant permettre de suspendre à titre provisoire l'application d'une règle coranique dont la clarté parfois ne fait pourtant pas le moindre doute. Mais il se trouve que les conjonctures économiques et sociales étaient telles que cette suspension était rendue souhaitable, voire même nécessaire et inéluctable. Voir au sujet de ces techniques la partie introductive de cette recherche.
886 CHARFI (Mohammed), « Le droit tunisien de la famille entre l’Islam et la Modernité », in Revue tunisienne de droit, 1973, p. 11.
887 Voir notamment : CHARFI (Mohammed), Islam et liberté, le malentendu historique, Paris, Albin Michel, 1998, spéc. le chapitre sur l’islam et le droit, p. 63 et s., et p. 137 et s. ; BELAÎD (Sadok), Islam et droit. Une nouvelle lecture des versets prescriptifs du Coran, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2000 ; FILALI-ANSARY (A.), Réformer l’islam ? Une introduction aux débats contemporains, Paris, Editions La découverte, 2003 ; MAHAMSSANI (M.S), « Le droit musulman et la vocation universelle de l’islam », Une certaine idée du droit, Mélanges offerts à André Decoq, Paris, Litec, 2004, 439 et s.
888 Comme cela a été le cas au Maroc, où le nouveau souverain a tardé à s’engager dans un processus de réforme des aspects les plus controversés de la Moudawwana. Cette attitude prudente a été dictée par les réactions des mouvements islamistes qui ont organisé une manifestation imposante dès que le gouvernement a fait part en 1999 de son projet de réforme.
889 Voir notamment : MERNISSI (Fatima), Femmes et Pouvoirs, Casablanca, Le Fennec, 1990 ; WARNOCK FERNEA (Elisabeth), Women and the family in the MiddleEast : new voices of change, Austin, Uinversity of Texas press, 1991 ; DOUMANI (Beshara), Family history in the Middle East, Albany, State University of New York Press, 2003.
890 Il ne s’agit aucunement de revoir les sources du droit musulman dans leurs détails. Sur ce sujet voir notre partie introductive.
891 Les premières voies du réformisme musulman ont été amorcées vers le xixe siècle. Ce réformisme religieux prône une révision interne du phénomène islamique à la lumière des nouveaux besoins des sociétés modernes. Il s’agit d’une part, de restaurer les valeurs « authentiques » de l’islam en l’épurant des multiples déviances qui en ont entaché le cours et le message, d’autre part, de réformer les institutions politiques et sociales frappés de stagnation et d’obscurantisme. Il introduit plusieurs distinctions méthodologiques de nature à renouveler la réflexion et à induire des actions de « redressement » politique et social dont les plus urgentes sont alors la réforme de l’enseignement et du statut juridique et social de la femme musulmane. Cet aspect auquel plusieurs travaux sont consacrés, ne sera pas abordé dans cette partie, nous l’avons déjà soulevé dans notre partie introductive. Les travaux qui nous intéressent sont les travaux actuels, qui s’inscrivent dans une pensée intellectuelle contemporaine. Sur les premières réformes, voir notamment : TLILI (B.), « A l’aube du mouvement de réformes à Tunis : un important document de Ahmad Ibn Abi Diyaf sur le féminisme (1856) » in Etudes d’histoire sociale tunisienne du xixe siècle, Faculté des sciences humaines de Tunis, Publication de l’Université de Tunis, 1974 ; DALANOUE (G.), Moralistes et politiques musulmans dans l’Egypte du xixe siècle (1798-1882), thèse de doctorat ès lettres, Paris, 1977 ; BEN ACHOUR (Mohammed el Fadhel), Le mouvement littéraire et intellectuel en Tunisie (xive-xxè s.), présentation et trad. de Noureddine SRAIEB, Tunis, Alif, 1999.
892 BLEUCHOT (H.), Droit musulman, tome I : Histoire, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2000, p. 314 et s.
893 FILALI-ANSARY (A), « Peut-on réformer l’islam de l’intérieur ? », Prologues, Revue maghrébine du livre, n° 7-8, 1996, p. 24.
894 Voir notamment : BENZINE (R.), Les nouveaux penseurs de l’islam, Paris, Albin Michel, 2004 ; TALBI (M.), CHARFI (A.), Plaidoyer pour un islam moderne, la Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 2004.
895 BENZINE (R.), Les nouveaux penseurs de l’islam, op. cit., p. 7 et s.
896 Voir HERZENNI (A.), « Le laïcisme, un atout incontournable », Prologues, Revue maghrébine du livre, n°10, 1997, p. 21.
897 Sur les travaux et la pensée de Mohamed ARKOUN : voir EL AYADI, « Mohamed Arkoun ou l’ambition d’une modernité intellectuelle », Penseurs maghrébins contemporains, Collectif, Tunis, cérès Productions, 1993, p. 69.
898 DJAÎT (Hichem), La personnalité et le devenir arabo-islamiques, Paris, éditions du Seuil, 1974, p.144-149. Sur les différents travaux doctrinaux autour de la question droit/-religion/politique, nous nous sommes également appuyées sur l’article de BEN ACHOUR (Sana), « Les chantiers de l’égalité au Maghreb », in Mélanges offerts au doyen Sadok Belaïd, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2004.
899 Ce sont notamment les travaux de Mohammed Charfi qui s’insèrent dans ce sens. Voir : CHARFI (M.), Introduction à l’étude du droit, Tunis, CERP de la faculté de droit et des sciences politiques et économiques de Tunis, 1983. L’influence de la religion sur le droit international privé des pays musulmans, Cours de l’Académie de droit international de La Haye, Recueil de l’Académie, 1986, pp325-454. Islam et liberté : le malentendu historique, Paris, Albin Michel, 1998.
900 BELAID (S.), Islam et droit, une nouvelle lecture des versets prescriptifs du Coran, Tunis, CPU, 2000.
901 CHARFI (M.), « Droits de l’homme, droit musulman et droit tunisien », Revue Tunisienne du Droit, 1983, p. 405.
902 BEN ACHOUR (S.), « Les chantiers de l’égalité au Maghreb », in Mélanges offerts au doyen Sadok Belaïd, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2004.
903 Ibid., p. 34.
904 Comme le signale Sana Ben Achour « Séparer la production féminine de la production masculine alors même qu’elles ont en partage l’universalisme scientifique et le point de vue critique peut paraître factice et méthodologiquement erroné. Plus même certaines récuseront cet enfermement « féminin » elles dont l’écriture et le geste sont inscrits dans l’affirmation du « Je ». En réalité, il s’agit de mettre l’accent sur l’émergence d’une nouvelle production féminine qui investit l’espace interprétatif masculin et se veut légitime dans sa critique du legs traditionnel.
905 Voir notamment les écrits de MERNISSI (F.), Le prophète et les femmes, édition Albin Michel, 1987 ; La peur-modernité : conflit islam démocratie, Paris, Albin Michel, 1992 ; SADAWI (N.), The hidden face of Eve : women in arab world, London, Zed, 1980 ; PARIS (M.), Femmes et sociétés dans le monde arabo-muulman : État bibliographique, Aix – en - Provence, IREMAM - CNRS, 1989.
906 Voir à ce titre MERNISSI (F.), Chahrazad n’est pas marocaine, Rabat, Ed. Le Fennec, 2ème édition. 1991.
907 Le Premier congrès international sur le féminisme musulman a été organisé à Barcelone, du 27 au 29 octobre 2005, par Junta Islamica Catalan avec le soutien du Centre UNESCO de Catalogne à Barcelone. Des femmes et des hommes de communautés musulmanes du monde entier sont venus débattre du besoin d’un islam libéral, pluraliste, égalitaire et émancipateur. C’est dans ce même esprit que Junta Islamica en appelle au gender jihad (« jihad pour l’égalité des genres »).
Voir notamment les travaux de : MOGHADAM (Valentine), Modernizing Women : Gender and Social Change in the Middle East. Boulder, CO : Lynne Rienner Publishers. 2ème éd., 2002 ; “Islamic Feminism and its Discontents : Towards a Resolution of the Debate”, in Signs : Journal of Women in Culture and Society, vol. 27, no. 4 (summer) : 1135-1171. [Reprinted in Gender, Politics, and Islam, edited by Therese Saliba, Carolyn Allen, and Judith Howard, Chicago : University of Chicago Press, 2002, pp. 15-52] ; WADUD (Amina), Qur’an and Woman : Rereading the Sacred Text from a Woman’s Perspective, 2ème éd., Oxford : Oxford University Press, 2006.
908 Farida Bennani est professeur de charia à Marrakech, au Maroc. Elle est aussi chercheur engagée dans la lutte pour les droits des femmes arabes. Ses recherches portent essentiellement sur la violence contre les femmes, le développement et la pauvreté ainsi que le droit musulman et les conventions internationales. BENNANI (F.), BELARBI (A.), BENABDENBI (F.), dirs., Droits de citoyenneté des femmes au Mghreb : la condition socio-économique et juridique des femmes : le mouvement des femmes, Casablanca, Edition le Fennec, 1997
909 BENNANI (F.), et MIADY (Z.), Sélection des textes sacrés sur les droits humains de la femme en islam, Rabat, Fondation Fridrich Ebert, 1995.BENNANI (F.), La division du travail au sein du couple à la lumière du droit marocain et du fiqh musulman : le sexe comme critère, (En Arabe) Publication de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Marrakech, 1993. Voir également l’article en arabe « Dalîl takrîm an-Nisâ’ fî an-Nu”û” al muqaddasa » (Guide pour honorer les femmes dans les textes sacré) sur le site POGAR (Programme on governance in the Arab Region) :
http://www.pogar.org/publications/gender/nationality/directory.pdf
910 SELLINI-RADHOUI (N.), Târiḫiyyat at-tafsîr al qur’âny wal ‘alaqât al iğtimâ ‘iyya min ḫilâli namâḏiğ min kutubi at tafsîr, (L’historicité de l’exégèse coranique et des relations sociales à travers quelques modèles), Thèse de doctorat d’État, Faculté des Lettres, La Manouba, Université de Tunis, 1997-1998 ; AL GHARBI (I.), « Les femmes dans les mouvements islamistes : aliénation ou tentative de libération ? », in MERIA, Journal d’étude des relations internationales au Moyen-Orient, vol. 1, n° 1, juillet 1006, p.58-71 ; Mongia Es-Swayhi, « Mağellat al Aḥwâl aš-šaḫṣiyya, al Buᶜd al-Iğtihâdî », in Al Ḥayât aṯ-Ṯaqâfiyya, septembre 200-, pp. 49-60 ; « Ḥuqûq al-Mar’a al-Muslima fil Muğtamaᶜ al Islâmî », Manšûrât al- Munaẓẓama al-Islâmiyya lit-Tarbiya wal ‘Ulûm waṯ-Ṯaqâfa, 1994, pp. 1-10.
911 Nasr Hamid Abû Zeid, est professeur égyptien d'études islamiques. Il tente de rompre avec les dogmes et les principes méthodologiques qui régnaient dans les études islamiques d’une manière générale et plus particulièrement chez les spécialistes des études coraniques. La méthode suivie jusqu’alors conistait à complier et à ressasser les idées des Anciens. On couvrait d’éloges ou on excommuniait, sans aucune analyse ni aucune critique véritable. Nasr Hamid propose une méthode analytique critique qui tient compte de ces conditions historiques dans lesquelles ont été produits les écrits des Anciens. Il appelle à une lecture renouvelée du texte au prisme d'une herméneutique humaniste, une interprétation du Coran comme un discours vivant, un discours contextualisé. Ainsi, le Coran, peut être « le produit du dialogue, du débat, du mépris, du désaccord, de l'acceptation et du rejet ». Cette interprétation libérale pourrait ouvrir de nouvelles perspectives sur l'islam et permettre le changement dans les sociétés musulmances. ABÛ ZEID(N.), Naqd al Ḫiṭâb ad-Dînî (Critique du discours religieux), trad. de l’arabe par Chairet Mohamed, Arles, Actes Sud, Paris, Sindbad, 1999.
912 Ce mouvement féministe s’élargit à d’autres pays musulmans, notamment en Iran. Voir à ce sujet particulièrement les travaux de l’anthropologue iranienne Ziba Mir-Hosseini ; Cette dernière traite des discours sur le genre apparus suite à la lutte de femmes iraniennes pour résister à l’imposition par l’État d’interprétations patriarcales de la jurisprudence musulmane traditionnelle. Elle montre bien comment plusieurs femmes iraniennes investissent l’espace de l’interprétation des textes sacrés pour dévoiler le message égalitaire. MIR HOSSEINI (Z.), Islam and gender : the religious debate in contempory Iran, New Haven : Prinston University Press, 1999 ; “The construction of gender in Islamic legal thought and strategies for reform”, in Hawwa Jornal of women in the Middle East and the Islamic world, vol. 1, n° 1, 2003, pp. 1-28.
913 Nous faisons surtout référence à certaines féministes qui prennent appui sur des notions telles que les droits de l’Homme ou la laïcité pour revendiquer la réforme des statuts personnels arabes.
914 Voir notamment : SELLINI-RADHOUI (N.), Târiḫiyyat at tafsîr al qur’âny wal ‘alaqât al iğtimâ ‘iyya min ḫilâli namâḏiğ min kutubi at tafsîr, (L’historicité de l’exégèse coranique et des relations sociales à travers quelques modèles), Thèse de doctorat d’État, Faculté des Lettres, La Manouba, Université de Tunis, 1997-1998.
915 Voir à ce sujet les écrits de BADRAN (M.), “Islamic feminism : what’s in a name ?”, in Al Ahrâm weekly Online, n° 569 janvier 2002, pp. 17-23 ; BARLAS (A.), Believing women in Islam : unreding patriarchal interpretations of the Qur’ân, Austin TX : University of Texas Press, 2002 ; WADUD (A.), Qur’ân and woman reding of the sacret text from a woman’s perspective, New York, Oxford University Press, 1999. Cette tendance féministe à puiser les réformes dans les préceptes religieux, a trouvé un écho positif au Maroc, ainsi qu’en Egypte lors des derniers amendements du statut personnel. D’ailleurs à ce propos, AKASHA Izeldien, dans son article « The rights of women and international law in the muslim world », in Acta Juridica Hungarica, vol., 36, n° 1-2, 1994, pp. 55-78, propose de reformer la charîᶜa afin de fournir un fondement islamique aux droits des femmes du moment où la rupture entre le religieux, le juridique et le politique ne s’est pas encore faite dans les pays arabo-musulmans, est-ce la solution appropriée ? Cette solution n’est peut être pas la plus appropriée, mais elle reste une solution pratique et envisageable, il aurait fallut puiser dans de nouveaux concepts (droits de l’Homme, démocratie, laïcité), mais ce sont des concepts qui sont nées sur le terrain occidental et y faire référence risquerait de soulever des conflits idéologiques interminables, qui pourraient encore une fois reléguer la question des droits des femmes au second plan.
916 Voir notamment : DELMAS-MARTY (M.), dir., Critique de l’intégration normative : l’apport du droit comparé à l’harmonisation des droits, Paris : PUF, 2004 ; MIALOT (C.), DIMA EHONGO (P.), « Intégration normative à géométrie et géographie variables », in DELMAS-MARTY (M.), dir., Critique de l’intégration normative : l’apport du droit comparé à l’harmonisation des droits, Paris : PUF, 2004, p. 31 et s. ; VAN HOECKE (Mark), Epistemology and methodology of comparative law, Oxford ; Portland, Ore : Hart publ., 2004.
917 Voir notamment : BECHIRI (M.), Ḥuqûq al mar’a bayna aš-šarî ‘a wal fiqh wa bayna ḥuqûq al-insân, (droit de la femme entre la charia, le fiqh et les droits de l’homme), doctorat d’État en droit privé, Casablanca, Faculté de droit, 1992 ; CASEY (C.), Débat autour de la réforme du Code de statut personnel au Maroc : vers une recomposition du champ politique ? Mémoire de DEA en science politique, Université Lumière 2, FERJANAI (M.-Ch.), dir., 2003 ; HADRICH (R.), Homme et Femme dans le code du statut personnel tunisien : égalité ou inégalité, Mémoire DEA : Droit, Institutions, Société, Islam et Afrique francophones, Perpignan, 1999.
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Droit musulman
Tome 1 : Histoire. Tome 2 : Fondements, culte, droit public et mixte
Hervé Bleuchot
2000