Préface
p. 7-8
Texte intégral
1Issue d'un père tunisien et d'une mère française de la Réunion ; ayant dans sa famille des musulmans, des chrétiens, des hindouistes venant de tous les horizons ; vivant en France dans le milieu universitaire si bigarré de Perpignan et Montpellier, mademoiselle Faïza Tobich porte en elle ce qu'il y a de mieux dans la mondialisation : le multiculturalisme dans la paix et le bonheur des familles. Elle était donc bien placée pour nous offrir un travail nouveau et personnel sur un sujet délicat mais très important pour l'avenir du monde arabo-musulman.
2Sujet délicat que celui du statut personnel musulman, tant il est lié à la sensibilité des adeptes du Prophète Mohammed. Beaucoup en Occident s'étonnent de ce que la personnalité musulmane s'attache avec autant de force à ce statut de la femme, statut très ancien et commun à bien des peuples de l'antiquité et du moyen âge. Mais cet attachement est un fait, un fait dont il faut tenir compte et que mademoiselle Tobich aborde ici avec finesse.
3La première partie de ce livre établit un constat : les législations du statut personnel des pays arabes sont très différentes. L'auteur nous en convainc en étudiant spécialement quatre pays (Maroc, Tunisie, Liban, Égypte). Malgré leur référence à une même source religieuse les codes de statut personnel musulman sont à la limite inconciliables (sans parler des codes concernant les non-musulmans). Cela tient d'abord au droit musulman lui-même qui n'est pas un droit uniforme, identique à lui-même en tout temps et en tout lieu. Le droit musulman est un droit à divergences, du fait de l'existence des écoles juridiques (ou rites, comme le malékisme, le hanéfisme, etc.), mais aussi du fait de l'existence d'une multitude de savoirs, de décisions, de traditions dans chaque école, et faut-il ajouter, dans chaque pays. Car les juristes de chaque pays musulman ont modulé ces savoirs en fonction de leurs traditions, de l'histoire du pays (où la colonisation est souvent passée), de ses politiques, de ses ambitions, etc.
4Les codes de statut personnel tels qu'il existent à l'heure actuelle sont le résultat de ces savoirs et de ces histoires croisées et on ne peut parler d'unité. Faiza Tobich montre bien que ces codes, malgré la qualité de certains d'entre eux, ne sont pas parvenus à convaincre. Elle met bien en évidence que chaque système national s'enracine dans une histoire complexe, dans une situation sociale difficile, et pour certains d'entre eux dans une configuration religieuse explosive. On appréciera en particulier chez elle la clarté de l'exposé qui rend accessibles des législations inextricables.
5Mais notre auteur n'en reste pas là. La deuxième partie de son livre est au contraire de la première, optimiste, même si elle commence par l'analyse d'un échec, celui du projet de code de statut personnel produit par la Ligue arabe. Ce projet n'eut pas de suite, d'abord parce que la Ligue arabe n'a pas de volonté propre, ou, si l'on veut, parce qu'elle n'est que le miroir des désaccords arabes. Plus profondément peut-être parce que le monde arabe et musulman éprouve une véritable terreur devant la tâche, chaque jour plus urgente, mais chaque fois éludée, tâche qui consiste à réformer le sacré. Il ne faut pas s'étonner dès lors que le code de la Ligue soit le produit d'un traditionalisme timoré (ou agressif chez certains).
6La suite du travail de Faïza Tobich est la proposition d'adopter la technique de l'harmonisation. L'harmonisation n'est pas un vœu pieux, c'est une technique juridique à laquelle on doit recourir dans les cas difficiles. Et l'auteur nous montre bien ce qu'est l'harmonisation et ce qu'elle n'est pas. Surtout, elle montre qu'elle est la seule voie réaliste pour faire bouger le statut personnel de la femme, pour toutes les femmes du Maghreb et du Moyen Orient. Puissent les responsables de ces pays adopter la voie que le bon sens leur propose.
7Bien sûr tout le long de son travail, au delà des discussions techniques, Faiza Tobich ne perd pas de vue l'essentiel : le statut de la femme doit être amélioré et mis en conformité avec les droits de l'homme. S'il le faut, et on nous dit bien qu'il le faudra, le droit musulman doit être réexploré, réinterprété, refondé. Car ce n'est pas seulement la femme qui souffre, mais aussi la famille, et avec elle, toute la société ...
8Encore un point à souligner car il passera peut être inaperçu tant Faiza Tobich sait se faire discrète : elle n'oublie pas, et tout juriste ne doit pas ignorer, ou feindre d'ignorer, que le droit n'est pas une tribune idéologique où l'on étale des convictions plus ou moins justifiées, plus ou moins prétentieuses... non. Le droit est une technique pour résoudre les conflits de gens qui souffrent. Le droit est une technique d'amour visant à restaurer l'amour dans les familles s'il se peut, ou du moins à limiter le mal de l'éclatement d'une famille. Si le juriste perd de vue cette attitude humble, cet idéal de service, alors il est dans le non-droit, il impose un pouvoir ou une idéologie. Il ne sert pas le droit ni la famille, il se sert d'eux.
Auteur
Chargé de recherches au CNRS IREMAM – Aix-en-Provence
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Droit musulman
Tome 1 : Histoire. Tome 2 : Fondements, culte, droit public et mixte
Hervé Bleuchot
2000