Terres communes, diversité d’usage et biodiversité
Éléments de réflexion bocagère sur des luttes contemporaines
p. 109-119
Résumé
Les « communs » constituent une référence fréquemment mobilisée dans les luttes contemporaines pour la défense de terres face à des projets impliquant une transformation de leurs usages. Leur invocation peut apparaître comme celle d’un « anti-monde », s’opposant au moins sur trois points au modèle d’exploitation de la terre de l’agriculture conventionnelle : le régime de propriété, la diversité des usages, la diversité biologique qui lui est associée. La lutte de Notre-Dames-des-Landes a dessiné les traits d’un antimonde de ce type sous la figure paysagère du bocage. À partir de quelques considérations historiques sur cette forme paysagère, nous analysons comment la référence aux communs du xviiie siècle peut soutenir une ambition politique et écologique articulant la double diversité des usages et du vivant.
Texte intégral
Introduction
1Les mobilisations contemporaines contre les grands projets entraînant la conversion de terres agricoles1 dessinent les traits d’un rapport à la terre qui s’oppose sur trois points centraux à celui qui sous-tend l’agriculture conventionnelle. Ces trois points concernent respectivement le régime d’appropriation de la terre, la diversité de ses usages et le niveau de biodiversité qu’elle abrite. Réunis, ils décrivent un « antimonde2 » qu’il s’agirait de réinvestir et de défendre contre le système articulé de l’État et du Marché et renvoyant à un temps où les « communaux » n’étaient pas encore réduits à la portion congrue dans les campagnes françaises.
2Nous allons étudier dans ce chapitre, en nous appuyant en particulier sur le cas de Notre-Dame-des-Landes, la façon dont cette quête d’un « antimonde » peut incarner une ambition politique et écologique portée par un collectif d’humains et de non-humains, celle de faire d’un paysage, le bocage, un corps politique. Nous partirons au fond de la formule politiquement intrigante, employée par un collectif d’occupant·e·s en écho à un slogan devenu célèbre : « Nous sommes la communauté des êtres de nature qui se défend […]. Nous sommes le bocage3. » Après avoir décrit plus précisément les caractéristiques du rapport collectif à la terre dont le bocage serait l’incarnation paysagère, nous examinerons à partir de quelques considérations historiques les apports théoriques de l’approche bocagère du Commun.
À la recherche d’un « antimonde »
3L’étude de quelques textes rédigés par des collectifs d’occupant·e·s de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes va nous permettre d’identifier trois caractéristiques qui sont autant de critiques du modèle agricole conventionnel4.
Trois caractéristiques d’un autre rapport à la terre
4La première porte donc sur le mode d’appropriation de la terre et se définit par la critique de la conception absolutiste de la propriété privée et d’une certaine « idéologie du propriétaire » qui lui est associée. Il s’agit là sans aucun doute du fait le plus saillant de ces mobilisations, qui justifie précisément les références appuyées à la question des « communs ». Dans leur diversité, les collectifs en lutte pour la défense de terres agricoles partagent cette ambition d’inventer ou de réactiver un rapport collectif qui ne reléverait pas de l’appropriation, mais renverrait plutôt à une manière d’habiter la terre collectivement5. « Comment faire pour habiter ce bocage et y construire des formes d’organisation collective […] pour décider des usages présents et futurs de ces terres6 ? », s’interrogent les auteurs de l’un des textes. Dans cette optique, la construction de communaux apparaît comme une réponse possible. La réflexion menée dans un autre texte sur la question foncière consiste ainsi à se demander si « des formes originales de type “communaux”, peuvent être imaginées et s’instituer juridiquement, ou simplement s’établir et persister de fait sans chercher de reconnaissance juridique7 ». S’inspirant d’une version forte du Commun8, celui-ci apparaît ainsi comme une voie permettant de s’extraire de l’alternative entre propriété publique et privée ou entre l’État et le Marché.
5Le deuxième point concerne la question des types d’usage de la terre. Ces textes mettent, en effet, en avant une forme d’organisation collective qui valoriserait la diversité des usages mis en pratique sur un espace partagé. L’ambition est ainsi de défendre « un territoire voué aux usages des individus et des groupes qui l’habitent, le défendent ou le cultivent, qu’ils habitent ou non de manière continue sur la zone, qu’ils la traversent ou s’y promènent, y cueillent des plantes ou des champignons, y chassent du gibier ou y observent les tritons9… ». Cette deuxième ligne de partage opposerait à la logique productiviste et monofonctionnelle de l’agriculture conventionnelle la valorisation de la multifonctionnalité et de la diversité des usages.
6Le troisième et dernier point concerne la diversité des habitants non humains des espaces défendus. Fait notable de ces luttes contemporaines, la critique de l’organisation des activités productives et de l’aménagement du territoire qu’elle requiert est étroitement associée à la valorisation de la biodiversité des territoires visés. Cette association, affirmée dans un « Manifeste des habitants non humains de la ZAD10 », est décrite avec précision dans le cas de Notre-Dame-des-Landes par le collectif des « Naturalistes en lutte ». Elle s’incarne d’ailleurs de façon tout à fait concrète, à l’occasion des tentatives d’expulsion de la zone, dans la dénonciation d’une violence exercée contre les occupant·e·s humain·e·s, mais aussi contre ses habitants non humains11. C’est ainsi que le « faire commun » revendiqué renvoie également à « la nécessité de faire communauté avec le vivant qui [les] entoure12 ».
Une référence historique
7C’est sous ce triple aspect que les communaux sont donc invoqués comme un antimonde fait d’usages collectifs et diversifiés de la terre et favorisant la biodiversité. Cette invocation est aussi celle de la mémoire d’une organisation sociale ancienne et de « formes antérieures d’occupation du foncier13 ». Elle renvoie ainsi à un paysage et à une économie rurale qui existaient avant les grandes transformations agricoles de la fin du xviiie siècle et qui auraient précisément réuni les trois caractéristiques valorisées par les mouvements contemporains.
8Cette thèse peut être étayée de preuves historiques solides, comme en témoignent par exemple les travaux de l’historien Jean-Marc Moriceau. Décrivant en effet la façon dont les campagnes, dès le xiiie siècle, bruissaient de la multitude des activités qui y étaient menées, l’historien souligne qu’alors
presque partout, le sol est utilisé pour produire des récoltes végétales ou animales : champs emblavés, labourés ou pâturés ; forêts « jardinées », exploitées en taillis ou en futaie ; friches et landes incendiées et ponctionnées ; réseau hydrographique aménagé pour les moulins ou les chalands ; étangs mis alternativement en « assec » et en « évolage »14…
9Si l’on considère ensuite que, d’une part, cette diversité de pratiques était encadrée par un régime juridique relativement flou, incluant un vaste ensemble de droits d’usage collectifs15 et que, d’autre part, à cette diversité d’usages faisait écho une diversité biologique « infiniment plus forte qu’aujourd’hui », il ne paraît pas absurde, comme l’écrit Jean-Marc Moriceau, de se demander si l’exploitation usagère des terres ne formait pas alors au fond un « modèle de gestion écologique durable16 ».
10Bien sûr, l’historien, pas plus que les collectifs mobilisés d’ailleurs17, n’entend défendre l’idée qu’il faudrait exhumer ce modèle d’organisation sociale du passé pour l’appliquer en l’état à la situation actuelle. Cette identification d’un moment historique où les socio-écosystèmes apparaissent comme l’image inversée des systèmes productivistes contemporains indique plutôt la direction d’une recherche visant à comprendre comment s’est désarticulé le lien entre un rapport collectif à la terre, une diversité d’usages et un niveau relativement élevé de biodiversité.
Le bocage dans les révolutions agricoles
La modernisation de l’après-guerre
11Le bocage est revenu au centre de l’attention au moment même où il semblait sur le point de disparaître, c’est-à-dire dans le dernier quart du xxe siècle. La grande modernisation agricole de l’après-guerre, menée de concert par l’État et le syndicat majoritaire dans le cadre de la cogestion, a mis en place sur le plan foncier une politique de remembrements, qui constituait, en effet, une vaste offensive contre les haies bocagères18. S’opposant au passage des machines et aux promesses d’économies d’échelle qu’autoriserait l’agrandissement des exploitations, les haies sont alors décrites comme des obstacles à l’utilisation rationnelle du territoire. Concernant les modes de mise en valeur, la logique de spécialisation des exploitations et d’intégration dans les filières agroindustrielles conduit à une réduction importante de la diversité des usages du sol sur une même exploitation et plus largement dans une même région de production. Dans le même temps, le nouveau système agrotechnique, fondé sur l’usage massif d’engrais synthétiques et de produits phytosanitaires, cause des dégâts environnementaux de plus en plus visibles et entraîne une érosion inquiétante de la biodiversité ordinaire. C’est dans ce contexte que le bocage devient l’emblème d’une alliance ancienne entre les hommes et la nature menacée par une modernisation destructrice d’usages anciens19 et de biodiversité20.
12Sous cet angle, il apparaît que cette réorganisation étatique des campagnes françaises contribue à dénouer un lien qui s’était établi auparavant entre une diversité d’usages de l’espace rural et la diversité du vivant. Pour examiner l’articulation de cette double diversité avec un mode d’appropriation de la terre, il nous faut maintenant revenir un peu plus en amont dans l’histoire du bocage et observer les origines de ce que Marc Bloch avait décrit comme la lutte pour l’individualisme agraire21.
La révolution agricole de la fin du xviiie siècle
13Mais, poursuivre cette recherche de repères historiques en remontant le xixe siècle jette un trouble sur le récit limpide qui se profilait, décrivant l’engagement du bocage dans un continuum de luttes contre les entreprises de modernisation successives mettant à mal une organisation collective des usages de la terre proto-écologique. Car, c’est, en effet, d’une tout autre manière que le bocage a traversé la révolution agricole qui a débuté à la fin du xviiie siècle, pour la simple et bonne raison qu’il ne s’opposait pas réellement aux desseins des « modernisateurs », en particulier celui d’affermir la propriété privée dans les campagnes. S’il faut sans doute nuancer cette affirmation22, le bocage a, en effet, traditionnellement été décrit par les historiens comme la trace paysagère d’un individualisme agraire, opposé au système des openfields propices aux usages collectifs. Comme le résume l’historienne Magali Watteaux, selon la thèse classique, « l’individualisme caractérise et même induit les bocages23 ». C’est ce que confirme d’ailleurs le fait que les agronomes et autres promoteurs de la nouvelle agriculture encouragèrent l’embocagement24. Autrement dit, la quête d’une référence historique en matière d’organisation collective des usages de la terre ne semble pas devoir déboucher naturellement sur la valorisation du bocage. De ce point de vue, si l’on cherche ainsi à décrire le bocage dans le cadre théorique que nous avons défini précédemment, celui-ci renverrait plutôt au xixe siècle à l’articulation d’un mode d’appropriation consacrant la montée progressive de l’individualisme agraire et de la propriété privée pleine et entière avec le maintien d’une grande diversité d’usages de la terre, permettant la présence d’une biodiversité relativement importante.
14Ces rapides considérations historiques permettent de faire apparaître une tension dans le discours des collectifs mentionnés entre la volonté d’incarner le bocage et l’invocation des communaux. Il ne s’agit pas toutefois ici, précisons-le, de vouloir rectifier ce qui serait une sorte de contresens historique, mais plutôt de défendre l’idée qu’aborder l’histoire des transformations du bocage sous l’angle des rapports entre un régime de propriété et une diversité culturelle et biologique invite à revenir sur ce moment décisif qui s’ouvre à la fin du xviiie siècle. Si cette tension mérite, en effet, d’être examinée, c’est qu’elle est en quelque sorte associée à un inconfort de pensée, celui de constater qu’un paysage dont les vertus écologiques nous semblent aujourd’hui indéniables est le produit d’un rapport à la terre qui a noué étroitement la propriété privée pleine et entière à une diversité d’usages. Il apparaît donc que le Commun et la diversité ne sont pas nécessairement attachés l’un à l’autre et que, par conséquent, leur réunion dépend d’une intention collective et d’une construction politique.
Une ambition politique et écologique
Le bocage entre légendes noire et dorée
15À partir de la fin du xviiie siècle, le bocage fit l’objet d’une légende noire qui n’allait cesser de prendre de l’ampleur au xixe siècle au sein d’une littérature associant la forme paysagère à des comportements culturels25. Décrivant les traits de caractère des paysans comme s’identifiant à ceux du paysage, cette littérature représente les hommes et les femmes du bocage comme des individus arriérés, bornés, repliés sur eux-mêmes, passéistes ou contre-progressistes. En tension évidente avec les thèses agronomiques qui font des clôtures le levier du progrès agricole, cette lecture politique hérite largement de la Révolution française et de la contre-révolution vendéenne, qui placent le bocage du côté des conservateurs ou des anti-Lumières.
16Caricaturale, cette légende noire, dont l’écho continuera à se faire entendre durant le moment de la modernisation de l’après-guerre, est néanmoins intéressante par la façon qu’elle a de constituer le bocage en sujet politique. Il y a une similarité frappante avec le mouvement contemporain qui clame « Nous sommes le bocage », à ceci près que cette identification avec le paysage est cette fois défendue positivement et en première personne. Faut-il voir dans cette affirmation nouvelle la volonté d’écrire une contre-histoire d’un bocage, d’opposer une légende dorée à la légende noire ?
17On repère indéniablement dans certains discours militants l’expression d’une forme de romantisme bocager qui appuie cette hypothèse26. Mais s’en tenir à cette lecture nous semble encore une fois conduire à une simplification de ce qui se joue dans les mobilisations actuelles, à nier la part de nouveauté qu’il y a dans cette réinvention du bocage comme sujet politique.
Une écologie des Lumières
18En réalité, cette ambition politique et écologique de reconstruire un rapport collectif à la terre conduit au cœur d’un débat déjà ancien27, celui qui porte sur le rapport de l’écologie politique à la Modernité ou aux Lumières28. Nous défendons plus précisément ici l’idée que cette ambition désigne une voie permettant de s’extraire de l’alternative entre écologie conservatrice et écologie moderne, en pointant en direction de ce moment évoqué plus haut où une pensée progressiste s’est articulée dans les campagnes avec ce qui n’était qu’une conception parmi d’autres du mode d’appropriation de la terre, la propriété privée pleine et entière. Relire notamment les textes des agronomes29, médecins ou autres observateurs des campagnes de cette époque, c’est y redécouvrir la façon dont « l’esprit des Lumières » ne s’exprimait pas simplement dans la valorisation de la maîtrise de la nature, mais aussi dans celle de la diversité innombrable des usages possibles de la terre. C’est revenir sur un moment de l’Histoire où certains « progressistes », commettant certes de nombreuses erreurs d’interprétation que notèrent les historiens, n’en avaient pas moins pour autant les yeux encore rivés sur les campagnes.
19Pour revenir sur la question des haies vives du bocage, dont les écologues retrouveront les vertus à la fin du xxe siècle, il est remarquable de constater avec quelle passion certains auteurs traitent de ce sujet à la fin du xviiie siècle. Nous nous contenterons ici de citer le mémoire du docteur Pierre-Joseph Amoreux, publié en 1787, sur ces haies qui « répandent dans les champs la plus agréable variété30 ». La valorisation quasi permanente de la diversité des usages de la haie, mais aussi celle de la diversité de la faune et de la flore, que l’on y trouve, interpelle tant il apparaît qu’il y avait là la description d’une richesse de savoirs que l’on pourrait qualifier aujourd’hui « d’agroécologiques » et qui indiquait une direction tout autre que celle qui fut, de façon générale, historiquement suivie par les modernisations successives de l’agriculture. C’est ce qu’atteste, par exemple, le passage suivant :
Les haies sont de mille usages dans l’économie rurale, pour les hommes et pour les bestiaux. Celles en petits mûriers seraient très profitables pour l’éducation des vers à soie, les haies fleuries seraient agréables et nécessaires aux abeilles qui viendraient établir leurs colonies au milieu des buissons et fourniraient des peuplades aux ruches domestiquées trop négligées parmi nous, quoique d’un bon produit31.
20Mais, si ce texte a retenu notre attention, c’est aussi parce qu’il témoigne de la façon dont la valorisation de la diversité vient s’arrimer à la volonté d’affermir la propriété privée. Au cours de son développement, l’auteur rappelle, en effet, que le premier avantage des haies est « qu’elles assurent à chacun la possession de son bien et en assignent invariablement les limites32 ». Et il précise dès les premières lignes du texte sur l’utilité de ces dernières :
Or déterminer les propriétés, assurer la jouissance des productions, fournir les moyens de les augmenter et de rendre les terres de plus grande valeur, c’est établir la félicité publique ; et c’est à quoi peuvent servir les haies33.
21C’est précisément cette équation entre « propriété privée » et « félicité publique », qui se forme notamment dans les discours sur l’amélioration de l’agriculture à la fin du xviiie siècle, qui rend problématique l’héritage de cette pensée pour des mouvements écologistes en faveur d’un retour des communs. Cette obsession de la clôture des terres, censée moderniser les campagnes et en faire ce que l’on pourrait appeler anachroniquement et paradoxalement des sociétés « ouvertes », au sens du philosophe Karl Popper34, est, en effet, de ce point de vue un obstacle sérieux. Toutefois, en montrant comment celle-ci n’est que l’une des composantes des « Lumières agricoles35 », aux côtés notamment de la valorisation d’une certaine diversité d’usages de la terre, il nous semble désormais possible de lier les luttes contemporaines à ce moment où la pensée progressiste ne s’était pas encore détachée de la question agraire.
Conclusion
22Retraçant l’histoire des variations du bocage, Jean-Marc Moriceau s’interroge : « on peut se demander, avec Annie Antoine, si une société héritera un jour d’un paysage qui corresponde exactement à ses besoins36 ». La réponse de l’historien est négative et il n’y a pas lieu de penser que les mobilisations contemporaines pour la défense de terres agricoles doivent la changer. À Notre-Dame-des-Landes, par exemple, ce n’est pas l’adéquation parfaite du bocage avec les besoins du collectif d’occupant·e·s qui crée l’alliance du mouvement avec le paysage. Ce qu’il y a de neuf, au moins dans l’histoire récente des sociétés occidentales, c’est la façon dont un collectif entend se penser lui-même comme un paysage, c’est-à-dire comme une association d’êtres humains et non humains dont la configuration spatiale et l’organisation fonctionnelle ne relèvent donc ni d’un déterminisme environnemental, ni d’une approche culturaliste, mais de l’invention d’une forme de vie politique nouvelle. L’enjeu inédit de ces luttes est au fond de construire une organisation politique qui ne trahit pas les voix qui, en affirmant « nous sommes le bocage », redéfinissent profondément la définition de ce que c’est qu’un corps politique37.
23Mais, de ce point de vue, nous pourrions dire que, pas plus que d’un paysage, cette « société du bocage » n’hérite d’institutions qui correspondent exactement à ses besoins. C’est pourquoi cette ambition de construire collectivement de nouvelles façons d’habiter la terre appelle une certaine inventivité politique. C’est dans ce contexte que nous pouvons replacer le réinvestissement contemporain du thème des communs. Au-delà de la seule contestation des deux grandes institutions qui ont présidé au développement des sociétés occidentales depuis la fin du xviiie siècle, l’État et le Marché, ce réinvestissement indique une exigence de créativité politique, juridique, économique ou encore éthique pour bâtir un rapport à la terre qui répond à cette triple ambition : repenser la propriété, développer la diversité des usages de la terre, et en particulier de ses usages non marchands, et faire place, enfin, à la diversité de ses habitants humains et non humains.
Notes de bas de page
1 Des plumes dans le goudron, Résister aux grands projets inutiles et imposés. Politiser les territoires de NDDL au No Tav, Paris, textuel, 2018.
2 Voir l’entrée « antimonde » dans R. Brunet, R. Ferra, H.Thery, Les mots de la géographie. Dictionnaire critique, Paris, GIR RECLUS/La Documentation française, 1993.
3 « Manifeste des habitants non humains de la ZAD » (https://zad.nadir.org/spip.php?article1240).
4 Un premier, mis en ligne en 2014, intitulé « De la ZAD aux communaux. Quelques pistes à explorer pour aller plus loin… » (https://zad.nadir.org/spip.php?article3067), un deuxième rédigé au début de l’année 2015 intitulé « Foncier – un état des lieux. Pour penser l’avenir de la ZAD » (https://zad.nadir.org/spip.php?article3335) et enfin un texte de François de Beaulieu datant de 2014, publié sur le site des Naturalistes en lutte dont le titre est le suivant : « L’usage des communs à Notre-Dame-des-Landes d’hier à aujourd’hui » (https://naturalistesenlutte.wordpress.com/2014/06/24/lusage-des-communs-a-notre-dame-des-landes-dhier-a-aujourdhui/).
5 S.Vanuxem, La propriété de la terre, Marseille, Wildproject, 2018.
6 « De la ZAD aux communaux », art. cité.
7 « Foncier – un état des lieux. Pour penser l’avenir de la ZAD », art. cité.
8 P. Dardot, C. Laval, Commun. Essai sur la révolution au xxie siècle, Paris, La Découverte, 2014.
9 « De la ZAD aux communaux », art. cité.
10 « Manifeste des habitants non humains de la ZAD » (https://zad.nadir.org/spip.php?article1240).
11 « L’utopie naturaliste contre la dystopie étatique » (https://naturalistesenlutte.wordpress.com/2018/05/16/lutopie-naturaliste-contre-la-dystopie-Étatique/).
12 « L’utopie naturaliste contre la dystopie étatique », art. cité.
13 « Foncier – un état des lieux. Pour penser l’avenir de la ZAD », art. cité.
14 J.-M. Moriceau, Terres mouvantes. Les campagnes françaises du féodalisme à la mondialisation, 1150-1850. Essai historique, Paris, Fayard, 2002, p. 19.
15 La vaine pâture collective, les droits d’affouage, de glanage, etc.
16 J.-M. Moriceau, Terres mouvantes, op. cit., p. 103.
17 La façon dont la valorisation du Commun par ces collectifs est fréquemment critiquée sous pretexte qu’elle incarnerait une forme d’idéalisation un peu naïve du « temps des communaux » ne nous semble pas faire droit aux réflexions menées.
18 M.-A. Philippe, N. Polombo, « Soixante années de remembrement », Études foncières, 140, août 2009, p. 43-49.
19 I. C. G. Clos-Arceduc, « Sur la destruction du bocage », Études rurales, 2, 1961, p. 99-101.
20 « Les bocages, histoire, écologie, économie », Table ronde, CNRS/Inra, 1976 ; A. Antoine, D. Marguerie, université de Haute-Bretagne, Bocages & sociétés, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
21 M. Bloch, « La lutte pour l’individualisme agraire dans la France du xviiie siècle », 1930, vol. 2.
22 A. Antoine, Terre et paysans en France : aux xviie et xviiie siècles, Paris, Ophrys, 1998 ; J.-M. Moriceau, Terres mouvantes, op. cit.
23 M.Watteaux, « Sous le bocage, le parcellaire… », Études rurales, 175-176, 31 décembre 2005, p. 53-80.
24 A.Young, Voyages en France en 1787, 1788 et 1789, Paris, Armand Colin, 1931.
25 A.Antoine, « Archéologie du paysage et histoire culturelle de l’Ouest », Persée-Portail des revues scientifiques en SHS, 103, 1996.
26 On retrouve l’expression de ce romantisme dans l’ouvrage de J.-B.Vidalou sur ce que signifie la forêt dans les luttes contemporaines. Voir J.-B.Vidalou, Être forêts. Habiter des territoires en lutte, Paris, La Découverte, 2017.
27 L. Ferry, Le nouvel ordre écologique, Paris, Grasset, 1992.
28 P. Charbonnier, « Les aventures écologiques du libéralisme », AOC, 26 avril 2018 ; Id., « Quand les réactionnaires se mettent au vert », 3 mai 2018 ; Id., « Le socialisme entre le jardin et la planète », 25 mai 2018.
29 A. J. Bourde, Agronomie et agronomes en France au xviiie siècle, Paris, SEVPEN, 1967.
30 P. J. Amoreux, Mémoire sur les haies destinées à la clôture des prés, des champs, des vignes & des jeunes bois : où l’on traite des différentes espèces de haies, de leur construction & de leurs avantages…, Paris, Chez Cuchet, libraire, 1787.
31 Ibid., p. 200-201.
32 Ibid., p. 198.
33 Ibid., p. 4.
34 K. Popper, La société ouverte et ses ennemis, Paris, Seuil, 1979.
35 P. M. Jones, Agricultural Enlightenment : Knowledge, Technology, and Nature, 1750-1840, Oxford, Oxford University Press, 2016.
36 J.-M. Moriceau, Terres mouvantes, op. cit.
37 Sur ce point, voir l’analyse que donne Bruno Latour du slogan « Nous ne défendons pas la nature. Nous sommes la nature qui se défend », dans B. Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La Découverte, 2017.
Auteur
Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris, Sorbonne Université
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