Agriculture
p. 95-96
Texte intégral
1Les activités agricoles sont historiquement un champ d’interactions et de tensions systémiques entre les communs, les États et le Marché. C’est autour de la mobilisation de ressources naturelles (terres, pâtures, eau, estives montagneuses, polders…) et de la prévention des risques naturels (inondations, incendies, avalanches…) que se déploient les formes historiques de communs (E. Ostrom), de syndicats d’ayants-droit, de prudhommies et la mobilisation de forces de travail en commun (moisson, travaux d’entretien), avant l’ère de la mécanisation. C’est autour de l’appropriation des communaux ruraux que se déploient dès le haut Moyen Âge en Europe, les enclosures qui vont favoriser le déploiement de la production intensive de laine approvisionnant l’industrie et le marché textile, avec l’assentiment du pouvoir royal (statut de Merton, 1235, Royaume-Uni). Ces spoliations sont légitimées sous la forme de propriétés privées au tournant du xixe siècle par des États engagés dans la modernisation libérale et la course à la puissance. C’est autour du xviiie siècle que se déploie, en France, la lutte pour l’individualisme agraire1 et l’anathème des partisans de l’agriculture nouvelle vis-a-vis des usages communs et des pratiques coutumières qui traversent la propriété rurale. L’agriculture est encore un champ d’expression de la dichotomie entre humains et non-humains, au tournant de l’ère moderne, avec la réification de la nature et l’avènement de l’utilitarisme qui va conduire la révolution verte de la modernisation agricole. Engagée dans la seconde partie du xxe siècle, cette transformation moderne des activités agricoles est à l’origine d’une emprise de la logique de Marché sur les activités agricoles que les politiques publiques des pays occidentaux vont favoriser et accompagner. L’activité agricole est aujourd’hui au cœur de la transition écologique avec l’émergence d’un ensemble de facteurs qui militent pour le retour de dynamiques territoriales de communs articulées au Marché et aux collectivités territoriales. Ces dynamiques interrogent la fonction de l’État et la logique des filières de production. Elles s’accompagnent d’un retour de l’activité agricole dans le champ du bien commun, notamment à travers le déploiement et l’actualisation d’activités agricoles non marchandes ou dans des espaces communs non appropriés ou revendiqués comme communs2 (jardins, agricultures d’interstice, agriculture urbaine…). Ce retour du Commun dans le champ de l’agriculture est associé à la recherche des formes de couplage et de synergie entre entités humaines et non humaines qui sont de nature à favoriser la pérennité de milieux de vie fragiles, la biodiversité et la mise à profit des équilibres biotiques. Cette dynamique est observée sur le plan mondial avec la revendication d’une souveraineté alimentaire dans des contextes qui tendaient à asservir les politiques agricoles à des impératifs de sécurité alimentaire gérés par les Marchés internationaux au détriment des productions indigènes.
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