« Jeans as a Fact of Art »
Détournements glam du groupe Les Petites Bonbons
“Jeans as a Fact of Art”. Glam détournements by Les Petites Bonbons
p. 207-253
Résumés
Le collectif américain Les Petites Bonbons, constitué notamment par les artistes Jerry Dreva et Robert Lambert, détourne les codes visuels et comportementaux de la scène glitter rock d’Hollywood dès le début des années 1970 par le prisme de la performance et de l’art postal, afin de mener un travail sur les identités de genre et les processus de starification d’une subculture. En exposant la construction même de la célébrité et de son mythe par des mises en scène publiques, documentées par la presse spécialisée de l’époque, Jerry Dreva et Robert Lambert entendent retourner sur elle-même la superficialité des médias de masse. Les Petites Bonbons renouvellent dès lors les protocoles habituels liés au domaine de la performance par une infiltration des canons esthétiques et comportementaux de la culture glam, en investissant largement le champ de la mode, après avoir perfectionné leurs détournements graphiques par voie postale.
The American art group Les Petites Bonbons, formed in particular by the artists Jerry Dreva and Robert Lambert, hijacked the visual and behavioral codes of the Hollywood glitter rock scene from the beginning of the 1970s through performance and mail art, in order to explore gender identities and to subvert the starification process of a subculture. By exposing the very construction of celebrity and its myth through public staging, documented by the specialized newspapers of this period, Dreva and Lambert intended to turn the superficiality of mass media back on itself. Les Petites Bonbons have therefore renewed the usual protocols linked to the field of performance art by infiltrating the aesthetic and behavioral canons of glam culture, investing widely in the field of fashion, after having perfected their graphic détournements through a regular practice of mail art.
Entrées d’index
Mots-clés : contre-culture, culture matérielle, glitter rock, mail art, performance
Keywords : counter-culture, material culture, glitter rock, mail art, performance
Texte intégral
Nous n’avons aucun art. Nous n’avons que la Vie qui est unique et Gay. LES PETITES BONBONS suppriment la limite entre l’art et la vie pour re/créer un jeune univers érotique extatique1.
1Ce court extrait du manifeste intitulé « bon bon mots » renseigne dès 1972 la communauté mail art américaine et la scène activiste gay des activités du collectif artistique Les Petites Bonbons2. Créé en 1971 à Milwaukee (Wisconsin) par les artistes Jerry Dreva (« Jerry Bonbon »), Robert Lambert (« Bobby Bonbon ») et Chuckie Betz (« Chuckie Bonbon »)3, le groupe s’installe quelques mois plus tard à Los Angeles pour investir la scène glitter rock d’Hollywood (version américaine du glam rock), afin de mener de front un travail sur le genre et le rôle de l’artiste par le prisme de la performance et de l’art postal. Conscients de la façon dont les identités sont façonnées par des systèmes d’autopromotion, les Petites Bonbons détournent les codes visuels et comportementaux de la culture glam afin de promouvoir à leur tour leur propre image d’artistes. Si le collectif ne fonctionne pas comme un véritable groupe de musique, ses membres apparaissent toutefois dans certains tabloïds rock de l’époque.
2En exposant la construction même de la célébrité et de son mythe par des mises en scène publiques, Jerry Dreva et Robert Lambert entendent retourner sur elle-même la superficialité des médias de masse4. L’historienne de l’art Kirsten Olds, qui a consacré deux essais au groupe, précise à cet égard que « la scène glitter rock leur a fourni un lieu pour actualiser leurs idées sur l’art en tant que pratique de la vie, dont leur jeu d’identités était l’aspect constitutif. Faisant allusion à leur vie comme performance, les Bonbons déclaraient : “Nous voulons être une exposition itinérante.”5 » Cette mise en scène de soi explore les questions que le groupe avait déjà identifiées dans leur pratique du mail art qui, à son tour, leur a permis de diffuser leur rapport à la performance auprès d’un public élargi. L’art postal incarne pour les Petites Bonbons un espace de liberté idéal, tant pour exprimer une sexualité alternative que pour s’émanciper au mieux du système élitiste des institutions culturelles : « Les Bonbons ont exploré la relation entre l’image diffusée et son actualisation performative. […] Lorsqu’ils ont assumé des identités textuelles en faisant circuler du courrier artistique ou qu’ils se sont révélés dans des boîtes de nuit hollywoodiennes ou qu’ils se sont autoproclamés “Gay Life artists”, les Bonbons ont construit des identités changeantes et ont affirmé que le changement lui-même était une performance6. »
3Les Petites Bonbons renouvellent à cette époque les protocoles habituels liés au domaine de la performance pour mener une réflexion approfondie autour des identités de genre, de la figure de la star et de l’illusion médiatique par une infiltration des canons esthétiques et comportementaux d’une scène musicale. Les collages, envois postaux, fanzines, photographies et vêtements conçus par le collectif offrent de nombreux supports destinés à enrichir le propos d’un art activiste gay des années 1970, au moment où la politique de libération homosexuelle avait acquis une certaine visibilité nationale.
« Gay Life artists7 ». Engagement mail art
4Les membres des Petites Bonbons sont en effet impliqués dans les activités du Gay Liberation Front (GLF), puis de son successeur le New Gay Underground, et emploient dans leurs textes un langage qui correspond à la rhétorique de ces organisations. La liberté d’expression, adoptée dans les domaines élargis de la sexualité, de l’art, de l’habillement et de la parole, fait partie intégrante de la vision du monde des Petites Bonbons et du GLF. Ces libertés permettent selon eux de s’affranchir de la morale conventionnelle. La participation des membres du groupe aux activités du GLF a cependant été de courte durée. Selon Jerry Dreva, cette période était en premier lieu marquée par une exploration de soi-même et par sa propre affirmation en tant qu’homosexuel8. Le combat des Petites Bonbons se situe en effet sur plusieurs niveaux, et avant tout dans le champ de l’art, lorsqu’ils apposent sur l’un de leur flyer la mention « please imagine a Gay universe » [fig. 1].
5La conception de cet espace se retrouve pleinement dans la pratique mail art des Petites Bonbons, lorsque Jerry Dreva et Robert Lambert diffusent des œuvres au sein d’un réseau artistique alternatif pour valoriser leur engagement autour d’une liberté sexuelle dans les milieux lesbiens, gays, bisexuels, transsexuels (LGBT) de l’époque. Les collages, dessins, peintures et autres objets conçus par le collectif circulent par voie postale sous la forme de press kits, constituant les marqueurs d’une vie en marge devenue art et simplement emballée dans des enveloppes singulières qui contiennent la convergence de mondes multiples [fig. 2]. Ces envois, accompagnés d’affiches, de tracts, de jouets en tout genre et de motifs peints sur divers supports, participent à l’autopromotion des Petites Bonbons au sein de réseaux artistiques, comme celui de l’Eternal Network9. Kristen Olds rappelle que « le mail art était peu coûteux, ne nécessitait aucune infrastructure autre que le système postal et permettait une publicité de bouche-à-oreille et une collaboration organique, ce qui donnait le sentiment qu’une scène alternative était en train d’être créée10 ».
6La participation des Petites Bonbons au sein de ce réseau mail art leur permet d’explorer leur identité gay à travers des thématiques propres aux subcultures de l’époque, qui les différencient des luttes homosexuelles plus « traditionnelles ». Cette différence se retrouve dans le nom même du groupe, sorte d’« antithèse de tous les noms d’organisations politiques précédentes11 », et apparaît également dans les choix des mots employés par le collectif, destinés à s’insurger contre la codification de l’identité homosexuelle :
Les mots des Bonbons […] indiquent leur volonté de revenir à des étiquettes identitaires qui reflètent des expressions plus fluides du genre et de la sexualité (similaires aux appels à la libération sexuelle affichés dans les « bon bon mots » et dans les déclarations du GLF). En adoptant des mots certes hors du commun comme « faggot » et « fairy », les Bonbons affichent leur distance croissante face aux modèles assimilationnistes de l’activisme gay, générés par une politique de respectabilité et par une volonté de garantir les droits homosexuels – approches qui fonctionnaient dans une structure sociale, plutôt que de chercher à la démanteler12.
7Les slogans affichés dans les œuvres mail art des Petites Bonbons attestent de cet engagement singulier, notamment lorsque Jerry Dreva appose des traces de rouge à lèvres entourées du terme « Revolution » sur l’une de ses compositions pour valoriser son approche qu’il formule en ces termes : « Notre existence est en pleine évolution, elle n’est pas figée. Notre science est l’utopie. Notre réalité est Éros. Nous voulons la Révolution13. » [fig. 3] Cette révolution prend aussi forme dans les images que Robert Lambert réalise à partir de sources visuelles propres aux subcultures gays des années 1950 et 1960. Il réalise vers 1974 un collage dans lequel son visage remplace celui d’un dandy courtisan et de trois autres figures masculines (motard, bûcheron, cow-boy) [fig. 4], dont le style de représentation emprunte aux dessins érotiques de Tom of Finland, qui avait déjà touché un large public depuis la fin des années 195014. Les différentes incarnations de Robert Lambert jouent ici sur des rôles artificiels de la sexualité masculine, et reflètent un « changement dans la construction de l’identité homosexuelle après les émeutes de Stonewall, lorsque les hommes gays s’appropriaient les symboles de la “masculinité hégémonique” pour créer une nouvelle image […] et affirmer leur position en tant qu’hommes. Ce changement s’est produit alors que la sexualité gay a également été emballée par d’éminents périodiques (comme l’ancien journal activiste Gay Power) comme un style de vie plutôt qu’une forme de révolution politique et sociale15. » Robert Lambert photocopie à l’époque ce collage pour créer différentes versions sur lesquelles il appose les mentions « Travesty » et « Butch Bonbon ».
8Ces œuvres circulent au sein de l’Eternal Network, ce qui permet aux Petites Bonbons de communiquer avec les milieux artistiques dès le début des années 1970 : notamment les collectifs Asco, Western Front, General Idea, et les artistes Ray Johnson, Clemente Padin et Genesis P-Orridge avec sa troupe COUM Transmissions. Robert Lambert sera confronté à la radicalité des actions de COUM, notamment lorsqu’il assiste à la performance intitulée Cease to Exist16 au Los Angeles Institute of Contemporary Art en 1976 [fig. 5]. Cette performance offre des pistes de réflexion pour déprogrammer les normes comportementales, ce qui coïncide à l’époque avec l’activisme des Petites Bonbons autour d’une déconstruction des identités de genre. Les expériences radicales de COUM Transmissions envisagent en effet une libération des corps, mais à travers une déconstruction physique extrême qui transite par des phases d’automutilation et de scatologie. En témoignent les propos tenus par Genesis P-Orridge quelques années après la réalisation de la performance Cease to Exist :
À Los Angeles en 1976, à l’Institute of Contemporary Arts (LAICA), Cosey [Fanni Tutti] et moi avons fait une performance dans laquelle j’étais nu. J’ai bu une bouteille de whisky et je me suis allongé sur un lit de clous. Je me suis fait alors un lavement avec un mélange de sang, de lait et d’urine. Ensuite, j’ai pris un clou de vingt-cinq centimètres que j’ai essayé d’avaler, ce qui m’a fait vomir. Puis j’ai léché le sol et Cosey a fait de même. Elle était nue et a tenté de se couper du vagin jusqu’au nombril à l’aide d’une lame de rasoir et s’est injecté le sang à l’intérieur du vagin. Le sang s’est mis à en couler. Nous l’avons aspiré avec une seringue, puis injecté dans des œufs peints en noir, que nous avons ensuite tenté de manger… ce qui nous a fait vomir de nouveau, vomissures que nous avons utilisées pour de nouveaux lavements. J’ai eu alors besoin d’uriner. Je me suis vidé dans une grande bouteille en verre que j’ai bue tandis que c’était encore chaud. (Tout cela était improvisé)17.
9Les actions extrêmes de COUM entendent agir comme un électrochoc sur la conscience du spectateur, pour tenter de déconstruire les « normes sociales et culturelles en vigueur [qui] sont autant de barrières à la manifestation de la spiritualité et des possibilités du corps18 », selon Genesis P-Orridge. Le recours au gore permettrait de tester les seuils de tolérance affective de l’individu pour mieux les dépasser, dans un rapport à l’image agressive et au bruit où le « divertissement devient une douleur, et où la douleur devient divertissante19 », d’après les termes qu’adresse Genesis P-Orridge au critique musical Jon Savage. La radicalité des méthodes employées a pour objectif de s’insurger contre les standards de la culture dominante et de ses divertissements, dans la lignée des théories de Guy Debord pour qui seul le détournement du spectacle peut vaincre le capitalisme, puisque « le spectaculaire diffus accompagne l’abondance des marchandises, le développement non perturbé du capitalisme moderne20 ». Le projet d’affecter les comportements des individus en agissant sur leur environnement social était déjà au centre des recherches de Debord lorsqu’il participe à l’émergence de l’International lettriste (IL).
10Le philosophe Patrick Marcolini rappelle que « faire du scandale une forme d’art à part entière comme le concevaient les membres de l’IL, c’était s’inscrire dans une certaine histoire de l’“esprit moderne”, caractérisé par la promotion du Nouveau au rang de critère pour le jugement de goût, et par la découverte des ressources esthétiques de la surprise, de l’extraordinaire et du bizarre21 ». Le projet de l’International lettriste marque les ébauches d’une modification complète du mode de vie, et trouve écho dans les vues déprogrammatrices des Petites Bonbons lorsqu’ils détournent à leur tour des éléments culturels dominants de leur époque pour les remettre en question. Le détournement se manifeste dès lors par des tactiques d’infiltration de certaines subcultures et par une « esthétique du montage », visant dans les deux cas à « attaquer les modes de conscience et de perception façonnés par la civilisation capitaliste : il s’agit de créer une situation révolutionnaire par la multiplication de ces conditionnements, et à la faveur des effets de turbulence induits par cette multiplication22 ».
11Ces techniques apparaissent dans le travail de Robert Lambert et Jerry Dreva, lorsqu’ils investissent le monde de la bande dessinée américaine en remplaçant les visages de certains héros par leur propre image. C’est le cas d’une planche extraite du comics Thor, dans laquelle Jerry Dreva et Robert Lambert prennent tour à tour le rôle de figures mythologiques (Pluton et Hercule) et de succubes dans un cadre infernal [fig. 6]. Ces collages sont envoyés à certaines stars de la scène glam avec lesquelles les deux artistes sont en lien par correspondance, via des colis remplis d’objets insolites. Jerry Dreva se rappelle à ce propos que « les pièces étaient beaucoup plus individualisées (un colis complet refait à chaque fois) lorsque nous pensions que le travail était abouti, comme les collages avec des bandes dessinées conçus pour certaines stars avec leurs portraits ou avec nos visages23 ». Si Robert Lambert ne se revendique pas des théories de Debord, il est néanmoins intéressant de voir combien la bande dessinée présente un format récurrent dans les détournements envisagés par les deux artistes. Robert Lambert précise en effet que ces images modifiées lui permettaient de « regagner le territoire cédé à la zone commerciale. Nous avons aimé réutiliser la publicité – ils avaient déjà fait les graphismes ! Il y avait au moins une douzaine de bandes dessinées, tous nos destinataires les plus importants les ont eues (Bowie, Iggy Pop, Lou Reed, Warhol). Ils ont tous des versions différentes24. »
12Si la première star à avoir reçu les lettres des Petites Bonbons était Iggy Pop, les documents et collages que Jerry Dreva envoie à David Bowie iront jusqu’à inspirer le musicien en 1980 pour la couverture de son single « Ashes to Ashes », qui a fait l’objet de trois éditions différentes [fig. 7] : « Les 100 000 premiers exemplaires étaient recouverts de timbres que Bowie avait conçus à partir d’une idée de Dreva25. » En hommage à Jerry Dreva, David Bowie a inclus la mention « Bon Bon » sur l’un des timbres utilisés pour sa pochette d’album. Cette initiative témoigne de l’importance de l’art postal à travers le spectre des Petites Bonbons, qui investissent aussi le champ de la performance dans le contexte de la scène glitter pour donner une autre dimension à leur pratique du détournement : « Les Bonbons ont associé leur correspondance à une pratique de la performance physique, créant une forme d’art intermédia se renforçant mutuellement. Ils ont utilisé leur corps pour explorer les problématiques qu’ils avaient déjà soulevées dans leur art postal, qui leur a permis de faire connaître leur performance26. » Si Robert Lambert et Jerry Dreva se mettaient déjà eux-mêmes en scène dans leurs collages, ils développeront davantage cet aspect en infiltrant tout un pan du rock californien au début des années 1970.
« I’ll Be your Mirror27 ». Performances glam
13Originaire du Royaume-Uni en 1971, le glam rock recoupe la mode, la performance, la photographie, le cinéma, ainsi que la musique populaire et l’androgynie. Si cette tendance n’a jamais eu autant de succès aux États-Unis qu’en Angleterre, Los Angeles s’est rapidement transformée en capitale du glitter rock avec des clubs emblématiques du genre comme le Rodney Bingenheimer’s English Disco, ouvert de 1972 à 1975. La salle accueillait des stars du glam comme Iggy Pop, David Bowie ou encore les membres du groupe New York Dolls, accompagnés de nombreuses groupies, dont la visibilité croissante allait les propulser elles-mêmes sur le devant de la scène, en brisant les règles du style et de la sexualité. Le décorum de cette scène et ses systèmes d’autopromotion ont été détournés par Les Petites Bonbons pour révéler de nouveaux enjeux artistiques engagés. Enjeux qui avaient déjà été développés – nous l’avons montré plus haut – par leur pratique de l’art postal auprès de figures tutélaires du monde de l’art et de la musique, tels Andy Warhol, Lucy R. Lippard, ou encore David Bowie et Iggy Pop, ce qui a permis aux Petites Bonbons d’infiltrer le style glitter de l’intérieur.
14C’est grâce au critique rock Richard Cromelin et à son carnet d’adresses que Jerry Dreva et Robert Lambert intègrent le milieu glam américain, composé d’une « culture de relations publiques qui se nourrit indéfiniment de l’industrie du divertissement à Los Angeles28 ». Et Robert Lambert de préciser : « La seule chose que vous devez vraiment faire, c’est être là et vous rendre indispensable pour la caméra. Cette partie était tellement simple. Mais sans Richard, il ne nous serait pas venu à l’esprit de cibler ce milieu, pas plus qu’aucune des autres identités que nous avons assumées. La porte s’est ouverte, nous sommes rentrés29. » Infiltrer cet univers impliquait aussi de contacter les principaux acteurs du mouvement : être au plus près des stars pour amplifier le simulacre. Toujours selon Robert Lambert : « Pour atteindre les groupes, par le biais des labels ou des agences, ou par l’organisation d’interviews, nous savions où nos cibles seraient hébergées – souvent, nous nous contentions de préparer un colis pour leur laisser à l’hôtel30. »
15Les Petites Bonbons déposent à ces occasions des colis remplis de bijoux et de jouets en plastique modifiés, de bandes dessinées détournées, de collages, de textes engagés et de tee-shirts avec le logo du groupe [fig. 8]. Les New York Dolls ont par exemple reçu des découpes de poupées en papier avec leurs têtes collées dessus, tandis que David Bowie a été le destinataire d’un ensemble d’œuvres composées d’une citation d’Antonin Artaud et d’une photographie géante scintillante de lui. L’un des collages du collectif reprend même certaines paroles que David Bowie écrit pour sa chanson « After All » (1970) sous l’influence de Friedrich Nietzsche et de l’occultiste Aleister Crowley : « We’re painting our faces and dressing in thoughts from the sky, from paradise. » [fig. 9]
16Ces prises de contact permettent aux Petites Bonbons de s’infiltrer progressivement dans les circuits du mouvement glam, en rencontrant les musiciens lors de leurs tournées et en faisant partie intégrante de la couverture médiatique de ces événements. Par leur appropriation des attitudes et accessoires glam aux côtés des stars emblématiques du genre, les membres du collectif ont su construire un faux-semblant en se présentant comme un groupe de rock, sans morceaux ni concerts. Le critique musical Simon Reynolds rappelle en effet que Les Petites Bonbons « possédaient l’image, le style de vie et la notoriété de rock stars. Ils se passaient simplement d’écrire, d’enregistrer et de faire des concerts31. » Ces derniers apparaissent pourtant dans la presse musicale de l’époque, au sein des magazines Creem, Record World, Rock Scene et New Musical Express, ainsi que dans des distributions plus généralistes comme Newsweek et People, reproduisant des photographies du groupe, en compagnie de Rodney Bingenheimer notamment [fig. 10]. Les Petites Bonbons iront jusqu’à intégrer leur image dans les journaux qui auraient oublié leur présence. C’est le cas de leur rencontre avec David Bowie à l’Union Station de Los Angeles en 1973. Si Star Magazine couvre à l’époque l’événement en publiant dans ses pages une photographie de la star avec la groupie Patty Clark, les Petites Bonbons détournent cette même image en incrustant un cliché d’eux en présence de David Bowie et en rayant une partie du titre de la publication pour la remplacer par leur nom [fig. 11 et 12].
17Jerry Dreva et Robert Lambert jouent ici avec la réception de l’image auprès d’un public d’affiliés, en s’emparant du fantasme lié au processus de starification : « Nous voulions considérer les Bonbons comme un groupe de rock. C’était le fantasme du moment et nous y réfléchissions tous. C’est l’un des seuls fantasmes disponibles dans la culture où quelqu’un qui n’a apparemment pas de formation particulière peut simplement sortir et se construire une identité de star32. » Leur rapport à la performance est ici nourri par le mythe hollywoodien – véhiculant l’idée que tout le monde peut devenir une star –, et comme les Petites Bonbons aspirent à faire du mythe une réalité, ils en exposent aussi les mécanismes. Ils incarnent dès lors la façon dont la célébrité est fabriquée, pour révéler le processus qui a créé leur propre identité de groupe sur la base d’un jeu de miroir médiatique qui apparaît sur leur « Poetic License », diffusée par voie postale [fig. 13] : « Nous voulons que vous nous fabriquiez, nous voulons que vous vous fabriquiez vous-même33. »
18Les Petites Bonbons s’adressent ici à une communauté de fans, un « fandom » proprement glam, soucieux de suivre les tendances définies par leurs idoles : « Dans leur jeu avec une fausse célébrité, les Bonbons ont à la fois imité et ridiculisé le culte du fandom de la scène glitter de L. A., qui, selon Barney Hoskyns dans Glam! Bowie, Bolan and the Glitter Rock Revolution, n’a pas été défini par ses artistes mais par la fervente passion et la quantité de groupies et de fans. Pour les Bonbons, le fandom était un mode de production en soi34. » Les Petites Bonbons ont rapidement compris que la communauté glitter offrait un terrain idéal pour diffuser leurs œuvres auprès d’un public qui comprendrait leur démarche, et qui pourrait lui-même relayer leur univers au sein de réseaux parallèles. L’identité de la communauté de fans peut dès lors être transposée au travail identitaire du groupe : « Les Bonbons ont réalisé que les fans jouent un rôle important dans la formation de l’identité et dans la contribution à la renommée des stars sur lesquelles ils écrivent, achètent et collectionnent des souvenirs liés à telle scène, et en fonction de laquelle ils modélisent ensuite leurs propres ressemblances. […] Les fans sont, en un sens, des miroirs, et en tant que fans eux-mêmes, les Bonbons ont participé à une formulation discursive de la célébrité35. »
19Cette construction identitaire transite par la figure de la groupie, faisant partie intégrante de la démarche des Petites Bonbons. Leur rôle en tant que fans a permis à Jerry Dreva et Robert Lambert de construire leur propre célébrité en accompagnant les principales admiratrices du milieu glitter en soirée, comme Lori Lightning, Queenie ou encore Sable Starr, qui avaient chacune leur notoriété. En apparaissant sur les clichés des soirées glitter aux côtés de ces groupies [fig. 14], les Petites Bonbons deviennent le centre de potins diffusés dans la presse de l’époque, et passent dès lors du statut de fans à celui de stars. Cette transition se réalise sur le jeu d’une visibilité construite par les membres du groupe à partir d’une déconstruction identitaire qui occupait déjà leur rapport à l’écriture et à l’image dans leur pratique foisonnante du mail art. Le succès de Robert Lambert et de Sable Starr lors de leur passage au « Real Don Steele Show » – émission télévisée de soirées dansantes animée par le DJ Don Steele – a par exemple joué dans cet effet de popularité immédiate [fig. 15].
20Le style vestimentaire est ici essentiel. Les Petites Bonbons adoptent le décorum glam en bricolant leurs propres vêtements, bottes à plateforme et autres accessoires de mode pour définir leurs mises en scène performées. Les tenues en jean que Robert Lambert porte pour la performance qu’il réalise lors de la « Decca Dance » en 1974 sont typiques de ce rapport à l’imagerie glam exploitée par le groupe [fig. 16 et 17] : « Quelques instants avant le début de la cérémonie, Lambert a enfilé un jean en lambeaux avec des bottes en cuir noir qui remontent jusqu’aux genoux. Équipé de menottes chromées, l’artiste avait fait ressortir les poils de son torse luisant et avait vaporisé sa barbe d’une laque brillante argentée, tout en portant un rein de bœuf frais suspendu à son cou par une chaîne en argent36. » [fig. 18] Le personnage incarné par Robert Lambert à cette occasion semble tout droit sortir de l’imaginaire de Tom of Finland, par le prisme des codes visuels de la scène glitter. Les vestes en jean portées par les Petites Bonbons à cette soirée avaient été réalisées par Robert Lambert un an avant son départ pour Hollywood : des vestes composées de velours, de cuir et de broderies avec clous chromés et strasses qui forment de nombreux motifs, dont un cœur rouge qui enlace la mention « Les Petites Bon Bons » apposée au dos de chaque pièce. Ces tenues font l’objet d’un article intitulé « Jeans as a Fact of Art… », publié dans le premier numéro du fanzine de Robert Lambert, Egozine [fig. 19]. Le texte décrit ces tenues comme un « hommage au jean qui se heurte à la controverse de la chanson de Bowie “Oh You Pretty Things” : des vêtements à porter comme une armure individuelle pour accompagner le choc culturel à venir37 ».
21En confrontant la mode de la culture glam à l’esthétique du jean, originellement associée à la classe ouvrière, voire à une culture masculine, les Petites Bonbons génèrent un choc qui anticipe les hybridations vestimentaires du mouvement punk, dans un genre et un esprit bien différent : épingles de sûreté, agrafes et pinces à linge, médailles militaires, cadenas, badges et pins de groupes, chaînes de toilettes, ouvre-bouteilles et laisses pour chiens, lames de rasoir et couteaux de poche… autant d’éléments qui viennent compléter le style unisexe de la mode punk à partir des sous-cultures queer et BDSM38. Ces différentes sources, récemment étudiées par l’auteur et musicien Matteo Torcinovich dans Punkouture39, intègrent une dimension sexuelle engagée dans les domaines de l’habillement, de la coiffure et du maquillage. Interrogée par le fanzine No Future en 1977, Vivienne Westwood revendique cette approche vestimentaire : « Nous avons commencé à penser aux vêtements sexuels et aux matériaux comme le caoutchouc pour rendre les gens beaucoup plus conscients de leur corps, pour qu’ils puissent s’afficher de manière à se confronter aux autres40. »
22Cette confrontation se manifeste par une profusion d’objets bricolés, dont la diversité des supports se retrouvait déjà dans la démarche des Petites Bonbons dès le début des années 1970. En témoigne la double page d’Egozine intitulée « Accessories: The Bonbon Look!! » [fig. 20]. L’article présente les accessoires que Robert Lambert utilise pour « condamner l’ancien en le retournant contre lui-même afin de concevoir de nouvelles normes chics à la frontière de l’ennui41 ». Parmi ces accessoires, dont les marques et les provenances sont citées dans le texte illustré d’un dessin de Lambert, on compte des lunettes de soleil rouges à monture arlequin, des écharpes, des chaussures compensées italiennes bleues « Whale Toe », un coffret de maquillage avec ses crayons, des assortiments de broches en tout genre, des étuis à cigares – l’un, daté de 1925, est nacrée et en écaille de tortue ; l’autre, de 1910, est sculpté en loupe d’orme –, une ceinture victorienne crochetée avec fermoir et chaîne en argent, des boîtes d’allumettes de style édouardien en étain et en laiton, de nombreux bijoux en argent, des coquillages et divers objets en plastique. Ces éléments, utilisés par les Petites Bonbons dans leurs infiltrations médiatiques par le prisme du glitter rock, contribuent à l’élaboration d’une culture matérielle alternative, destinée à poursuivre le projet d’une déconstruction des stéréotypes de genre.
« Shapes of Things42 ». Culture matérielle camp
23Si la culture matérielle s’est dans un premier temps développée dans les domaines de l’anthropologie, de la sociologie et de l’archéologie pour identifier les preuves matérielles qui peuvent être attribuées à la culture43, elle participe depuis ces dernières années à un renouvellement méthodologique de l’histoire de l’art. En témoignent les récentes études de Maxime Boidy autour de la question des visual studies, ou encore celles de Michael Yonan qui examine dans son article « Toward a Fusion of Art History and Material Culture Studies » la transformation de l’histoire de l’art en une culture visuelle et les rapports que cette même discipline pourrait davantage entretenir avec la culture matérielle44. Il s’agit ici de considérer les images conçues par Les Petites Bonbons tout en analysant la nature même des objets qui les produisent, de manière à ne pas séparer l’image de son support. C’est la mise en garde que Michael Yonan adresse au regardeur, lorsqu’il indique qu’« en imaginant l’histoire de l’art comme l’histoire de la vision, le danger que l’image se détache de son émetteur matériel et des contextes matérialistes de sa vision est grand45 ».
24Le médium principal des Petites Bonbons étant l’apparition publique, l’incursion dans la mode est dès lors indispensable, ce qui nécessite d’analyser en détail les objets propres à la scène glam pour mieux comprendre le contexte de création et de circulation dans lequel les œuvres du groupe évoluent : c’est-à-dire les accessoires, coiffures, vêtements, et tout ce qui a trait à ce que l’historien de l’art Jules David Prown nomme l’« ornement » (« adornment ») pour définir l’une des six catégories qui, selon lui, composent la culture matérielle46. Bruno Latour suggérait quant à lui, en 1985, de « regarder d’abord les mains, les yeux et le contexte matériel de ceux qui savent. […] L’adjectif “matériel” nous renvoie à des pratiques simples par lesquelles toutes choses sont connues, y compris les économies, les cerveaux, l’esprit et les paradigmes47. » L’analyse des objets détournés par Les Petites Bonbons permet d’identifier une culture matérielle alternative, alors en vogue à cette époque-là. Les interprètes du mouvement glitter avaient en effet « façonné un environnement culturel caractérisé par l’expérimentation, la posture, les bottes à plate-forme scintillantes, les traces de rouge à lèvres et une suppression globale des barrières entre les sexes, les genres et les guitares48 ». Dans son ouvrage Sous-culture. Le sens du style (1979), Dick Hebdige avait déjà montré combien les rockers glam se définissaient selon un style spécifique tout en construisant de nouvelles identités49.
25Jerry Dreva et Robert Lambert explorent cet aspect à travers une approche artistique qui revêt les caractéristiques du style camp – notion au centre de l’exposition « Camp: Notes on Fashion » organisée en 2019 au Metropolitan Museum of Art de New York. Les éléments clés du camp – l’artifice, la frivolité et les excès choquants définis par Susan Sontag dès 1964 dans « Notes on “Camp” » – correspondent parfaitement à l’esprit des Petites Bonbons et à leur décorum destiné à défendre une pluralité sexuelle et à critiquer les filtres médiatiques tout en assumant pleinement le goût pour le spectacle et la célébrité. « Le goût camp ne propose pas de prendre au sérieux ce qui est de mauvais goût : il ne se moque pas de l’œuvre achevée, du drame authentique, mais parvient à apprécier, à trouver un goût de réussite à des tentatives passionnées qui ont abouti à l’échec50. » Et Susan Sontag d’ajouter : « le camp est une qualité qui se découvre également dans les objets ou la conduite de diverses personnes. Il y a des films, des meubles, des vêtements, des chansons populaires, des romans, des personnes, des immeubles, porteurs de la qualité camp51… » C’est précisément dans cet esprit que les Petites Bonbons intègrent les objets de la culture visuelle glam à leurs œuvres, rassemblant à la fois leur intérêt pour la politique gay et les réseaux artistiques à travers la création d’un espace « entre » : un univers engagé qui rassemble l’activisme, l’art postal et la performance.
26Les questions identitaires soulevées par les performances des Petites Bonbons anticipent en effet ce que Judith Butler nommera les « parodies de genre », en « insistant sur le fait que ce n’est pas le genre qui est parodié, mais l’idée de l’original »52. Les Petites Bonbons placent cette idée au centre de leurs pastiches glam, par le prisme de performances « drag » qui consistent, selon Renate Lorenz, à montrer « des activités quotidiennes, des costumes, des incarnations et des récits d’une manière qui permet de comprendre toutes les pratiques quotidiennes de subjectivation en tant que performance et répétition mimétique53 ». Les costumes, le maquillage élaboré, les attitudes sexuellement provocantes sur scène et les paillettes de la scène glitter ont naturellement intéressé les Petites Bonbons dans l’idée que les identités de genre et de sexe en particulier étaient des constructions actives plutôt que des incarnations naturelles. Le choc glam transforme l’engagement politique de Jerry Dreva et de Robert Lambert qui se manifeste dès lors moins dans la rue que dans les night-clubs de Los Angeles.
« Personality Crisis54 ». Déconstructions glam
27Dans le catalogue de la récente exposition « Axis Mundo: Queer Networks in Chicano L.A. », le commissaire David Evans Frantz rappelle que « le glam a mis en évidence la potentialité du style et de la surface sur la substance. La tendance du genre à renverser les rôles de genre par le travestissement, le camp et les costumes, ainsi que le flirt public avec l’homosexualité pratiqué par des stars comme David Bowie et Marc Bolan, sont autant d’éléments qui ont alimenté et contribué à la visibilité croissante des communautés gays et lesbiennes à l’époque55. » Cette visibilité se manifeste notamment par le caractère androgyne exploité par David Bowie et ses divers personnages. Dick Hebdige rappelle que la star « innovait radicalement en matière d’apparence visuelle (maquillage, cheveux teints, etc.), créant un nouveau look sexuellement ambigu à destination de jeunes gens et de jeunes filles suffisamment audacieux pour oser défier les conventions stylistiques notoirement conservatrices des milieux populaires56 ». Les concerts du musicien britannique attiraient une foule impressionnante de sosies du chanteur aux looks élaborés. Ces fans, « perchés sur des chaussures à plate-forme ou traînant les pieds dans des sandales en plastique des années 1950 (comme leur héros lui-même dans son dernier matériel promotionnel), avec leur manière indéfinissable de tenir leur cigarette ou de mouvoir les épaules, étaient engagés dans une espèce de performance théâtrale qui suscitait la gêne et l’indignation de toute une série de spécialistes de la scène rock préoccupés par l’“authenticité” et le contenu contestataire de la culture juvénile57 ».
28Le style androgyne de la nébuleuse glam, largement adopté par les affiliés du mouvement, a tout particulièrement intéressé Jerry Dreva et Robert Lambert dans leur rapport au genre et à sa déconstruction. La rébellion des groupes contre les normes sexuelles et comportementales de l’époque oriente en effet les Petites Bonbons à déclarer, dans leur manifeste « bon bon mots », qu’ils « soutiennent tout ce qui est gay, c’est-à-dire dynamique et affirmant la vie58 », tout en ajoutant ailleurs qu’ils « s’opposent à tout ce qui est normé, statique et orienté vers la mort59. » Leur travail autour du genre interroge la notion de straight, qui renvoie dans leur manifeste davantage aux compromis de la conformité bourgeoise qu’à une pratique sexuelle. Les Petites Bonbons remettent dès lors en question les frontières entre queer et straight, et se revendiquent politiquement comme « gay pansensualists ». Cette démarche se place dans la lignée de la culture glitter des années 1970 qui a été décriée comme :
une décadence politiquement impuissante et avilie – une accusation qui fait écho à la description du camp par certains critiques comme un simple style. De telles évaluations neutralisent la manière dont les deux phénomènes ont façonné les notions reçues sur la nature construite des identités de genre et sexuelles, la masculinité en particulier. Ainsi, la considération des Bonbons autour du genre et de la sexualité comme étant fluides et autodéterminés, non limités par les conditions biologiques du sexe ou des normes culturelles, s’aligne sur une attitude camp, qui épouse « le genre sans organes génitaux ». Les textes et les performances des Bonbons remettent en question les rôles de genre existants, mais sans le sérieux et la virulence qu’ils percevaient dans le travail des militants homosexuels contemporains60.
29La révolution des Petites Bonbons s’éloigne en effet des codifications du GLF lorsqu’ils instrumentalisent la fiction glam et ses conventions pour soulever des problématiques qui apparaissent notamment dans le méta-message de David Bowie autour de la libération du genre, visant à « s’évader de sa classe sociale, de son sexe, de son identité personnelle, de tout engagement trop évident61 ». Dick Hebdige rappelle en effet que « c’est à Bowie que l’on doit d’avoir introduit la question de l’identité sexuelle au sein du rock et de la culture juvénile, où elle était jadis refoulée, ignorée ou tout au plus objet de vagues allusions. Dans le glam rock, ou en tout cas chez les artistes les plus sophistiqués de l’univers glitter, comme Bowie et Roxy Music, ce n’était plus la classe sociale ou la jeunesse qui jouaient un rôle subversif, mais la sexualité et la remise en question des stéréotypes de genre62. » Ces pistes de réflexion apparaissent dans l’œuvre imaginée par David Bowie, dont le parcours ne s’attarde pas sur les enjeux politiques plus concrets de son époque : « Non seulement Bowie manifestait une indifférence patente pour les questions politiques et sociales de l’époque ou pour la situation de la classe ouvrière, mais l’intégralité de son esthétique reposait sur un évitement délibéré du monde “réel” et du langage prosaïque dans lequel ce monde était généralement décrit, vécu et reproduit63. » C’est surtout auprès de ses fans que le message politique apparaît de manière croissante : ces derniers affrontaient
les diverses formes de chauvinisme (sexuel, de classe, territorial) et cherchaient, avec plus ou moins d’énergie, à les contourner, les subvertir ou les combattre. Dans un seul et même mouvement, ils s’efforçaient (1) de contester le puritanisme traditionnel de la classe ouvrière, si profondément ancré dans la culture des adultes, (2) de résister à la façon dont la classe ouvrière était réduite par les médias à cette image de puritanisme et (3) de récupérer des images, des styles et des idéologies rendus accessibles par la télévision et le cinéma (comme par exemple la vague de nostalgie du début des années 1970), les magazines et les journaux (le monde de la haute couture, l’émergence d’un féminisme consumériste et glamour, cf. Cosmopolitan) et de les mettre au service de la construction d’une identité alternative capable de transmettre une différence perceptible, une altérité. En d’autres termes, ce qu’ils contestaient, c’était la “nécessité” et la “naturalité” des stéréotypes de classe et de genre64.
30Cette dimension engagée, également très présente dans l’approche des Petites Bonbons, contraste avec le parcours de David Bowie qui alimente par ailleurs une industrie musicale globalisée. Le musicien est pourtant proche des Petites Bonbons, qui joueront un rôle décisif dans la reconnaissance de ce dernier au sein de la communauté homosexuelle de l’époque en lui apportant leur soutien. Genesis P-Orridge rappelle en effet que « Jerry Dreva et les autres membres des Bon-bons ont donné à Bowie une dose de crédibilité supplémentaire au sein de l’underground gay de L. A. et de la scène mail art. Ils l’ont aidé à rejoindre un public auquel il lui aurait peut-être fallu plus de temps pour accéder65. » Ce lien entre les Petites Bonbons et David Bowie s’affirme d’autant plus lorsqu’Angela Bowie donne une paire de gants dorés à Robert Lambert et Jerry Dreva [fig. 21]. Les deux artistes américains se serviront de l’identité visuelle de l’objet pour promouvoir leur image ; d’abord sous la forme d’une photographie illustrant le tract d’un événement en présence des Petites Bonbons au Roxy Theatre le 3 janvier 1974, « The Angela Bowie Golden Gloves Award, presented to Boby Bonbon at the Roxy Theatre, Hollwood », puis dans un montage publié en 1975 dans le numéro spécial « Glamour Issue » de FILE Megazine [fig. 22]. Ces photographies témoignent de l’importance du vêtement dans les systèmes d’autopromotion des Petites Bonbons et dans la façon dont le changement de style amorce une transformation identitaire.
« Changes66 ». Vers une ego-histoire subversive
31Les métamorphoses des Petites Bonbons suivent les tendances éphémères de l’époque, à travers l’ère glitter dans un premier temps qui, selon Robert Lambert, « n’avait duré qu’une courte période et nous étions passés à autre chose quelques semaines plus tard. Mes cheveux décolorés n’ont même pas eu le temps de pousser que nous nous étions déjà tournés vers le cuir et la scène S&M avec Jerry67. » Cette transition vestimentaire amène les Petites Bonbons à investir de nouvelles sous-cultures, de manière à poursuivre leur réflexion autour des identités de genre par la réalisation de performances qui interrogent le processus d’incarnation drag :
Nous avons constaté durant cette période que tout était drag ; tous les vêtements sont des costumes, hyper-genrés ou non. La culture Vogue a fini par reprendre cela : secrétaire, écolière, personnalité mondaine – même Cindy Sherman. […] Il y a une grande différence entre le fétichisme drag, le fait d’incarner de manière convaincante le rôle de la femme telle qu’elle est traditionnellement présentée dans notre culture, et utiliser simplement cet arsenal d’objets et d’apparences sexualisés comme une arme politique destinée à provoquer. Il s’agit ici d’en savoir plus sur la dislocation des attentes, sur les stéréotypes concédants mais fracturants, sur la façon dont un homme ose afficher le féminin, ou un homosexuel affiche son hypermasculinité68.
32La dimension politique des transformations drag, qui prendra un autre tournant dans le parcours de l’artiste genderqueer Vaginal Davis69, se retrouve dès le milieu des années 1970 dans la démarche de Genesis P-Orridge. Dans l’une des lettres qu’il envoie à Jerry Dreva en 1975 pour lui expliquer son travail avec COUM Transmissions, le performer anglais joint à son courrier une série de photographies dans lesquelles il porte tour à tour plusieurs tenues dans la même journée : un manteau, un pantalon et une robe, parfois accompagnés d’un béret ou d’un chapeau [fig. 23]. Ces changements de styles servent à déprogrammer les normes comportementales dans l’esprit de l’artiste, qui avait déjà exploré cette piste en 1969 lorsqu’il porte quotidiennement de nouveaux vêtements sur une période de trois mois avec la troupe de performance londonienne Transmedia Explorations70.
33Ce processus de déconstruction radicale transite par une permutation vestimentaire que Robert Lambert intègre au même moment dans le montage New Faces of R. J. Lambert: Pastice in Process, qu’il publie dans le premier numéro d’Egozine [fig. 24]. Cette compilation de portraits présente les différentes tenues, attitudes et coupes de cheveux que l’artiste a adoptées entre 1967 et 1974 pour envisager sa vie comme un art, tout comme ont pu le faire les membres de Transmedia Explorations. Si ces photographies peuvent être comparées à celles que Genesis P-Orridge envoie à Jerry Dreva, la temporalité des images utilisées par Robert Lambert s’étale cependant sur des années, contrairement à l’œuvre du performer anglais. Ces portraits illustrent bien l’esprit du manifeste « bon bon mots », quand les Petites Bonbons affirment qu’ils « sont en constante évolution, en perpétuelle re/création71. » La mise en scène de l’artiste et de son image était d’ailleurs déjà au centre de la démarche des Petites Bonbons au début des années 1970, lorsque le groupe détourne les processus de starification de la scène glitter et la transformation de l’égo que cela implique.
34Robert Lambert explorera davantage cet aspect avec son projet Egozine, un fanzine sur sa propre vie et sur les activités des Petites Bonbons qu’il publie dès 1975 pour valoriser à la fois les activités des plasticiens avec lesquels il est en contact et pour renverser la fonction même du fandom en devenant son propre fan [fig. 25]. L’historien de l’art Daniel J. Cameron décrit à cet égard Egozine comme « un tabloïd d’apparence commerciale qui traite les détails de [l]a vie [de Robert Lambert] comme une fantaisie journalistique par procuration72 ». Robert Lambert parle quant à lui d’un fanzine d’« intérêt personnel éclairé73 », tout en ajoutant, dans son livre en cours de rédaction Just Outrageous, que « l’idée de l’auto-mythologie [l’]a intrigué74 ». L’artiste revient sur l’origine de sa démarche, dont le concept provient à la fois du « Ego Poem » de Jerry Dreva, et du projet Fanzini édité par John Jack Baylin75 :
Jerry et moi avons beaucoup réfléchi à la célébrité et à la vie privée, car une grande partie de notre implication dans la révolution gay était liée à la révélation de secrets, à la révélation de désirs cachés, d’identités, de vérités non dites, et à l’examen de la nature même du public et du privé. Nous avons rejoué l’expression warholienne un « quart d’heure de célébrité », en considérant que tout le monde est né célèbre ; les annonces sont diffusées, votre nom est dans le journal, c’est un événement. Nous tenons maintenant pour acquis la ligne fluide entre le privé et le public qu’Internet a brouillée, mais à l’époque, il n’y avait pas de terrain d’entente ; le privé était plat, sans particularités, sans incidents, le domaine public était passionnant et glamour. Nous avons remis en question cette barrière. […] Le monde est une scène, la vie est un spectacle, une performance. Egozine a défié cette barrière bien avant la télé-réalité, ou même bien avant le contenu lifestyle des années 1980, comme Martha Stewart Living76.
35Le projet de Robert Lambert mène une réflexion autour de la notion d’égo en se considérant lui-même comme le support d’une œuvre qu’il s’agit de façonner quotidiennement : « Notre premier sujet, R. J. Lambert, a longtemps vu sa vie et son personnage comme la toile et la peinture d’une œuvre d’art ultime, ne serait-ce que de manière subliminale dans un premier temps ; sa production couvre environ les vingt dernières années. Son sentiment de périodicité récapitule la dimension historique de différentes époques, et englobe ainsi le souffle de notre maladie, de la création à la solution… Bienvenue dans l’ère post-culturelle77 ! » Cette mise en scène de son propre égo, à partir d’éléments très personnels de sa vie (publication de dessins d’enfant, de photos de famille et de textes intimes), anticipe à la fois le format du perzine78, et des problématiques très récentes autour des réseaux sociaux en ligne, principalement Facebook et Instagram, au sein desquels l’individu donne accès à une partie de sa vie privée.
36L’éditorial du premier numéro d’Egozine aborde ces enjeux liés au pouvoir de l’information par le prisme de la réclame publicitaire, stratégiquement diffusée par les réseaux télévisés des années 1970. Robert Lambert révèle ici combien lui et son entourage ont su prendre conscience « d’une nouvelle façon de programmer la réalité, le montage et la surcharge d’informations79 ». La direction d’Egozine propose ainsi d’organiser au mieux son propre pastiche, afin d’échapper à la banalité de la culture mainstream des années 1970. Une banalité qui plonge les individus dans une « ère post-culturelle », selon Robert Lambert, et qu’il s’agit de reconfigurer en s’émancipant des processus de contrôle médiatiques : « La programmation puise dans les images du monde, dans la représentation d’une femme hystérique dans un supermarché, ou dans les illusions d’un miroir standardisé… Les rues valent mieux que la télévision : les faits réels sont plus exaltants que n’importe quelle fiction80. »
37Cette frontière entre fiction et réalité sera interrogée par les Petites Bonbons lorsqu’ils matérialisent l’univers chaotique et homo-érotique des Garçons sauvages de William S. Burroughs dans les rues de South Milwaukee sous la forme de performances nocturnes durant l’été 1975. La fiction burroughsienne a ici des incidences dans le quotidien des Petites Bonbons à travers cette « véritable aventure de la vie81 » que le collectif mentionne sur l’affiche de l’événement [fig. 26]. Celle-ci reprend également l’une des phrases que William S. Burroughs écrit dans son essai « My Mother and I Would Like to Know », publié initialement dans The Evergreen Review en juin 1969 : « Notre objectif est le chaos total82. » Cet objectif commun répond à une urgence éprouvée par les Petites Bonbons, un état d’alerte qu’ils formulent par la performance à partir du scénario prospectif du romancier américain, lequel prend une tournure différente dans le présent de ces artistes : « L’avenir est là pour ceux qui le vivent. Pastichez-vous ou mourrez83 ! » La transformation physique promet ici une évolution psychique de l’individu, dans la lignée des performances glam que Robert Lambert et Jerry Dreva réalisent pour renverser l’image de la star et de son industrie musicale.
38La stratégie du pastiche avait déjà été explorée par John Waters dans les années 1960 à travers un univers cinématographique « trash », qui occupe au moins une page d’Egozine. Robert Lambert réalise ainsi un collage en confrontant deux mondes radicalement différents : celui de Fra Filippo Lippi, et celui de l’égérie des films de John Waters, Divine (Glenn Milstead), qui tient entre ses mains une reproduction de L’Adoration des mages (1440-1460), attribuée au peintre florentin de la Première Renaissance et conservée à la National Gallery of Art de Washington [fig. 27]. Le motif d’une étoile filante portant la mention « Love », et la phrase « Evening Star… » apposée dans le coin inférieur gauche de l’image, viennent compléter le collage comme pour interroger le processus de starification liée au cinéma hollywoodien et à la figure du Christ. Une comparaison volontairement exagérée, qui correspond à l’esthétique camp de l’univers de John Waters, puisque, comme le rappelle le théoricien des star studies Richard Dyer, « le camp est une question d’exagération et de parodie de la normalité84 ». Un principe qui occupe les actions des Petites Bonbons, et qui aura investi l’ensemble des parcours artistiques de Jerry Dreva et Robert Lambert tout au long des années 1970.
*
39Nous avons vu combien l’esthétique camp élaborée par l’art postal des Petites Bonbons et par leurs tactiques d’infiltration de la scène glitter met en relief les engagements de leur « vie d’artistes gays », tout en interrogeant les systèmes d’autopromotion de l’industrie musicale et ses modèles. Les membres du groupe se placent ainsi dans la continuité d’artistes qui ont adopté le camp comme un outil artistique engagé : des collectifs canadiens General Idea et Image Bank, en passant par le duo britannique Gilbert et George, jusqu’aux mises en scène excentriques des Gazolines en France et des Cockettes dans le San Francisco des années 197085. Influencées par le Living Theatre et par le Play-House of the Ridiculous, ces dernières parodient en effet des comédies musicales américaines à travers des tenues extravagantes qui remettent en question les normes vestimentaires et comportementales, tout en proposant l’idée de mettre en scène leur style de vie alternatif [fig. 28]. Les membres des Cockettes, peu avant les Petites Bonbons, utilisent le camp pour donner une autre dimension aux discours activistes établis précédemment par les rares mouvements de libération des droits homosexuels, comme la Mattachine Society et les Daughters of Bilitis. Les performances des Petites Bonbons, intimement liées au divertissement et à leur propre mode de vie, insistent sur une critique de la culture de masse et des mœurs dominantes, en faveur d’un changement social et politique par une révolution du style vestimentaire.
40Cette révolution se poursuivra dans la ball culture des années 1980 à travers les communautés drag latinas et noires qui irriguent la culture drag new-yorkaise, dans la lignée du bal House of LaBeija créé par Lottie et Crystal LaBeija en 1977 et jouant un rôle décisif dans l’accueil des sans-abri LGBT. Les objectifs de la ball culture dans ses modes de représentation diffèrent cependant de ceux des Petites Bonbons, qui se sont accaparé de nombreux styles, notamment à travers des performances drag, pour créer davantage une fracture qu’une imitation. Cette différence se retrouvait déjà dans la participation de certains membres du collectif à des concours drag des années 1970 :
Chuckie Bonbon a participé au concours annuel de drag-queens pour Halloween au Club Neptune à Milwaukee, en reprenant un look qu’il avait utilisé plusieurs fois, notamment pour une publication dans le magazine People. Il s’est lui-même teint les cheveux en vert avec une boîte de Rit, puis il a collé des plumes de paon à ses paupières pour en faire des cils et ensuite un collier – et je crois bien qu’il avait aussi des poissons rouges dans ses chaussures compensées. Les juges ont dit : « S’il s’agissait d’un concours de costumes, tu aurais gagné, mais c’est un concours drag. » Une queen noire très élégante a donc gagné, et elle était parfaite. Chuckie était complètement d’accord avec leur décision86.
41Les mises en scène des Petites Bonbons et leur changement de style ont influencé de nombreux acteurs des clubs contemporains ; les Nouveaux Romantiques du Blitz Club à la toute fin des années 1970, puis les membres new-yorkais du Club Kids, fondé par Michael Alig et James St. James. Ces derniers amplifient le caractère provocant de leur style vestimentaire et infiltrent à leur tour une autre scène musicale en posant sur de nombreux clichés de soirées aux côtés de Nina Hagen [fig. 29] – avant de présenter un aspect plus sombre du collectif lorsque Michael Alig est emprisonné pour le meurtre de son trafiquant de drogue, Angel Melendez. Les membres du Club Kids investissent également la presse papier (Newsweek, People, Time Magazine) et les médias télévisés des années 1990 (« Donahue », « Geraldo », « The Joan Rivers Show », « The Jane Whitney Show »). Cette grande visibilité leur permet d’afficher publiquement l’univers extravagant qu’ils construisent dans les clubs new-yorkais pour « confronter le conformisme au tabou, au surréel et au choquant87 », selon le promoteur de clubs londoniens Matthew Glamorre. Un monde dans lequel, précise l’auteur Phil Jackson, « le modèle de vie conforme à l’establishment reste à la porte, attendant de vous réclamer lors de votre départ. La dure réalité de la construction sociale standardisée attend, comme un prédateur en équilibre, pour mieux revenir dès le lendemain matin88. »
42Les Petites Bonbons n’ont pas attendu de sortir de cet espace de liberté pour s’émanciper au mieux des systèmes normatifs de leur époque. Le format « autobiographique » de leurs performances, « axées sur la vie », leur a en effet permis d’envisager le monde comme un phénomène esthétique, tout en posant de nouveaux jalons pour les révolutions qui allaient suivre dans le champ de la mode et de la performance.
Bibliographie
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10.1086/662520 :Notes de bas de page
1 « We have no art. We have only Life which is one and Gay. LES PETITES BONBONS are erasing the straight line between art and life and are re/creating an ecstatic erotic Youniverse. » Les Petites Bonbons, « bon bon mots », Gay Sunshine, 16, janvier-février 1973, p. 12-13, ici p. 13. Sauf mention contraire, toutes les traductions sont de l’auteur.
2 Le document sera reproduit l’année suivante dans le numéro 16 du journal Gay Sunshine. On retrouve, dans les textes de l’époque, plusieurs façons d’écrire le nom du collectif : Les Bon Bons, Les Petits Bonbons, Les Petites Bon-Bons, Les Petites Bonbons, ou encore Les Petites Bon Bons. J’ai opté pour Les Petites Bonbons tout au long de cet article.
3 Les Petites Bonbons se fondent sur les assises du collectif engagé de Chuckie Betz, les Radical Queens. Les premiers membres des Bonbons sont Chuckie Betz, Jerry Dreva, Robert Lambert, J. P., Gary Pietrzak, Mark Slizewski, Jim Sullivan et Dick Varga.
4 Voir Max Benavidez et Chon A. Noriega, Gronk, Los Angeles, UCLA Chicano Studies Research Center, 2007, p. 52.
5 « The glitter-rock scene afforded them a place to actualize their ideas of art as a life practice, of which their play of identities was the constitutive aspect. Alluding to their life-as-performance, the Bonbons claimed, “We aim to be a walking exhibition.” » Kirsten Olds, « Quivery and Costumed: Glitter Rock, Les Petites Bonbons, and the Performance of Identity in California circa 1973 », Art Practical, 7.1, septembre 2015 (https://www.artpractical.com/feature/quivery-and-costumed/, consulté le 25 août 2019).
6 « The Bonbons explored the relationship between the circulated image and the performative actualization of it. […] When they assumed textual identities by circulating mail art or reveled in Hollywood nightclubs or christened themselves “Gay Life artists”, the Bonbons constructed shifting identities and asserted the shifting itself as a performance practice. » Kirsten Olds, « “Gay Life Artists”: Les Petites Bonbons and Camp Performativity in the 1970s », Art Journal, 72/2, été 2013, p. 16-33, ici p. 17.
7 « LES PETITES BONBONS are a group of Gay Life artists who live and play in and around Milwaukee, Hollywood and the World. We are the playful remnant of Milwaukee Gay Liberation Front, Radical Queens, and our own former ideological and rhetorical selves. We seek thru rejoicing and personal creative mythology to rejoin the Whole World at Play. » Les Petites Bonbons, « bon bon mots », art. cité, p. 12.
8 Voir Jerry Dreva, « Have You Heard from Dreva? », High Performance, 1, printemps 1980, p. 18-31.
9 Sur le sujet, voir Chuck Welch (ed.), Eternal Network: A Mail Art Anthology, Calgary, University of Calgary Press, 1995 ; Michael Crane et Mary Stofflet (eds), Correspondence Art Source Book for the Network of International Postal Art Activity, San Francisco, Contemporary Arts Press, 1984 ; John Held, Mail Art: An Annotated Bibliography, Metuchen, Scarecrow Press, 1991.
10 « […] mail art was low-cost, required no infrastructure other than the postal system, and allowed for word-of-mouth publicity and organic collaboration, which encouraged the sense that an alternative scene was being created. » K. Olds, « “Gay Life Artists” », art. cité, p. 22.
11 « It was the antithesis of all the previous political group names, all the formal serious-minded Liberation Fronts and Alliances. » Robert Lambert, entretien de l’auteur avec l’artiste, 21 mai 2020. Si l’expression « Les Petites Bonbons » fait référence à un spectacle planifié par les Radical Queens qui n’a jamais été monté, Robert Lambert précise également que ce nom avait généré « une identité collective qui nous a fait paraître plus grand en effaçant l’individualité de ses membres, tout en permettant à chaque “membre” de représenter individuellement la signification du groupe à l’extérieur sans jamais compromettre aucune cohésion ou front uni, car il n’y en avait pas. » (« It created a collective identity that made us appear larger by erasing the individuality of its members, while allowing the output of any individual “member” to represent the meaning of the whole group without ever compromising any cohesion or united front, because there wasn’t any. ») Ibid.
12 « The Bonbons’ word […] might also signal the group’s desire to return to identity labels that reflected more fluid expressions of gender and sexuality (similar to the calls for liberated sexuality in both “bon bon mots” and the GLF’s statements). In embracing admittedly outré words like “faggot” and “fairy,” the Bonbons suggested their growing distance from assimilationist models of gay activism, such as the advocacy for a politics of respectability and the orientation to securing gay rights, approaches that worked within the existing social structure, rather than seeking to dismantle it. » K. Olds, « “Gay Life Artists” », art. cité, p. 22-23.
13 « Our being is becoming, not stasis. Our science is utopia. Our reality is eros. Our desire is Revolution. » Jerry Dreva, Revolution, c. 1973, peinture fluorescente et encre sur papier journal imprimé, 57,8 x 37,1 cm, Pittsburgh, The Andy Warhol Museum.
14 Touko Valio Laaksonen emprunte le pseudonyme de « Tom of Finland » lorsqu’il envoie quelques-uns de ses dessins en 1957 au magazine américain Physique Pictorial. L’univers de l’artiste finlandais, composé de bûcherons, motards, policiers et autres figures viriles aux muscles et organes génitaux surdimensionnés, présente une nouvelle compréhension de l’idéal masculin. Voir Micha Ramakers, Dirty Pictures: Tom of Finland, Masculinity, and Homosexuality, New York, St. Martin’s, 2000.
15 « These frames reflect a shift in the construction of homosexual male identity after the Stonewall Revolution, when gay men appropriated symbols of “hegemonic masculinity” to create a new image, […] to assert their position as men. This shift came about as gay sexuality also became packaged by prominent periodicals (such as the erstwhile activist journal Gay Power) as a lifestyle rather than a form of political and social revolution. » K. Olds, « “Gay Life Artists” », art. cité, p. 24.
16 Le nom « Cease to Exist » renvoie au titre musical de Charles Manson, lorsqu’il collabore avec les Beach Boys pour leur album 20/20, avant de commanditer le meurtre de Sharon Tate auprès des membres de sa communauté (« The Manson Family »). Le morceau apparaît sur l’album sous le nom de « Never Learn Not To Love ».
17 « In Los Angeles, in 1976, at the Institute of Contemporary Arts (LAICA), Cosey and I did a performance where I was naked. I drank a bottle of whisky and stood on a lot of tacks. And then I gave myself enemas with blood, milk and urine, and then broke wind so a jet of blood, milk and urine combined shot across the floor in front of Chris Burden and assorted visual artists. I then licked it off the floor, which was a not clean concrete floor. Then I got a to-inch nail and tried to swallow it, which made me vomit. Then I licked the vomit off the floor and Cosey helped me lick the vomit off the floor. And she was naked and trying to sever her vagina to her navel-well, she cut it from her vagina to her navel with a razor blade, and she injected blood into her vagina which then trickled out, and we then sucked the blood from her vagina into a syringe and injected it into eggs painted black, which we then tried to eat. And we vomited again, which we used for enemas. Then I needed to urinate, so I urinated into a large glass bottle and drank it all while it was still warm. (This was all improvised.) » Genesis P-Orridge, dans Vivian Vale et Andrea Juno (eds), RE/Search #6/7: Industrial Culture Handbook, San Francisco, Re/Search Publications, 1983, p. 17.
18 Éric Duboys, Industrial Music for Industrial People, Rosières-en-Haye, Camion Blanc, p. 25.
19 « Where entertainment became pain, and where pain became entertainment. » Genesis P-Orridge cité par Simon Ford, Wreckers of Civilisation: The Story of COUM Transmissions & Throbbing Gristle, Londres, Black Dog Publishing, 1999, p. 6. Cette idée apparaît également dans le sous-titre, « Entertainment through Pain », de l’album Greatest Hits composé par le groupe de musique industrielle Throbbing Gristle en 1981.
20 Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992 [1967], p. 37. Sur l’Internationale situationniste, voir Thomas F. McDonough, « Rereading Debord, Rereading the Situationists », October, 79, hiver 1997, Guy Debord and the Internationale Situationniste, p. 3-14 ; id., « Unrepresentable Enemies: On the Legacy of Guy Debord and the Situationist International », Afterall, 28, automne-hiver 2011, p. 43-55 ; Mikkel Bolt Rasmussen, « Counterrevolution, the Spectacle, and the Situationist Avant-Garde », Social Justice, 33/2, 2006, Art, Power, and Social Change, p. 5-15 ; id., « The Situationist International, Surrealism, and the Difficult Fusion of Art and Politics », Oxford Art Journal, 27/3, janvier 2004, p. 365-387.
21 Patrick Marcolini, Le mouvement situationniste. Une histoire intellectuelle, Montreuil, L’Échappée, 2012, p. 56.
22 Ibid., p. 165.
23 « […] the pieces were much more individualized – a complete package made anew each time – when we came onto something that we thought looked good – like collaging the comic books for individual stars with their own images or our images. » Jerry Dreva, dans Robert Lambert, Just Outrageous: The Story of Les Petites Bon-Bons, à paraître.
24 « […] to regain territory ceded to the commercial zone. We liked repurposing advertising – they’d already done the graphics! There were at least a dozen of the comic books, all our most important recipients got them (Bowie, Iggy Pop, Lou Reed, Warhol). They all got different ones. » Robert Lambert, entretien de l’auteur avec l’artiste, 21 mai 2020.
25 « The first 100,000 copies covered with stamps that Bowie designed based on an idea from Dreva. » M. Benavidez et C. A. Noriega, Gronk, op. cit., p. 54.
26 « The Bonbons paired their correspondence with a physical performance practice, creating a mutually reinforcing intermedia art form. They used their bodies to explore issues they raised in their mail art, and used their mail art to publicize their performance. » K. Olds, « “Gay Life Artists” », art. cité, p. 25-26.
27 D’après le titre de la chanson composée par Lou Reed pour Nico en 1966 et qui apparaît sur l’album The Velvet Underground & Nico.
28 « A PR culture that feeds off the entertainment industry is endemic to LA », Robert Lambert, entretien de l’auteur avec l’artiste, 21 mai 2020.
29 « And all you really have to do is be there and present yourself in a way that causes the camera to seek you out. That part was so easy. But without Richard it wouldn’t have occurred to us to target that milieu any more than any of the other identities we assumed. The door opened, we went through. » Ibid.
30 « To reach bands, through the labels or PR firms or by interview dates we knew where our targets would be staying – often we’d then just put a package together and leave it for them at the hotel. » Ibid.
31 Simon Reynolds, Le choc du glam, trad. de l’angl. par H. Loncan, Toulouse, Audimat Éditions, 2020 [2006], p. 534.
32 « We had that consciousness of the Bonbons being a Rock and Roll band. That was the current fantasy and we were all thinking about it. It’s one of the only fantasies available in the culture where somebody who doesn’t ostensibly have any particular training can just go out and make themselves a star. » R. Lambert, Just Outrageous, op. cit.
33 « We want you to make us, we want you to make yourself. » Les Petites Bonbons, « Poetic License », c. 1973, marqueur rose et autocollants sur photocopie, 21,6 x 27,9 cm, The Bon Bon File, University of California, Berkeley Art Museum and Pacific Film Archive.
34 « In their play with faux celebrity, the Bonbons both mimicked and lampooned the cult of fandom that epitomized the glitter scene in L.A., which, according to Barney Hoskyns in Glam! Bowie, Bolan and the Glitter Rock Revolution, was defined not by its artists but by the fervent passion and quantity of groupies and fans. For the Bonbons, fandom was a mode of production in itself. » David Evans Frantz, « Chicano Chic: Fashion/Costume/Play », dans Ondine Chavoya C., David Evans Frantz et Macarena Gómez-Barris (eds), Axis Mundo: Queer Networks in Chicano L.A., cat. expo., West Hollywood, MOCA Pacific Design Center (9 septembre-31 décembre 2017), Munich, Prestel, 2018, p. 56-77, ici p. 60.
35 « The Bonbons realized that fans play an important role in shaping the identity and contributing to the fame of the stars that they write about, purchase and collect memorabilia related to, and model their own likenesses after. […] Fans are, in a sense, mirrors, and as fans themselves, the Bonbons participated in a discursive formulation of celebrity. » K. Olds, « “Gay Life Artists” », art. cité, p. 27.
36 « Moments before the ceremony began he slipped off to don tattered jeans, knee-high black leather boots and chrome handcuffs, his glistening muscle torso hair and beard sprayed silver and a large fresh beef kidney hung from his neck by a silver chain. » Robert Lambert (ed.), Egozine, 1/1, 1975, n. p.
37 « In Homage to Denim vs. the Oh You Pretty Things controversy, vestments to be worn as character armour in the ensuing clash with culture. » Robert Lambert, « Jeans as a Fact of Art… », Egozine, 1/1, 1975, n. p. L’expression « In Homage » renvoie à la façon dont les artistes de l’Eternal Network rendaient régulièrement hommage à des figures emblématiques de l’histoire de l’art.
38 BDSM, pour bondage, discipline, domination, soumission, sado-masochisme.
39 Voir Matteo Torcinovich (ed.), Punkouture: Fashioning a Revolt: 1976 to 1986, Hambourg, Gingko Press, 2019.
40 « We began to think about sexual clothing and materials like rubber to make people much more aware of their bodies and to flaunt themselves, in order to confront people. » Vivienne Westwood citée par M. Torcinovich (ed.), Punkouture, op. cit., p. 190.
41 « […] to condemn the old by allowing it to testify against itself and set new standards for chic in the borderground of boredom. » Robert Lambert (ed.), Egozine, 1/1, 1975, n. p.
42 D’après le titre du morceau composé par le groupe The Yardbirds en 1966 et repris par David Bowie pour son album Pin Ups paru en 1973.
43 Voir Carl Knappett, Thinking through Material Culture: An Interdisciplinary Perspective, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2005 ; Christopher Tilley et al. (eds), Handbook of Material Culture, Londres, Sage, 2006 ; Mary C. Beaudry et Dan Hicks (eds), The Oxford Handbook of Material Culture Studies, Oxford, Oxford University Press, 2010 ; Benjamin W. Roberts et Marc Vander Linden (eds), Investigating Archaeological Cultures: Material Culture, Variability, and Transmission, New York, Springer, 2011.
44 Sur la culture matérielle dans le champ de l’histoire de l’art, voir W. David Kingery (ed.), Learning from Things: Method and Theory of Material Culture Studies, Washington, Smithsonian Institution Press, 1996 ; Jules David Prown, Art as Evidence: Writings on Art and Material Culture, New Haven, Yale University Press, 2001 ; Michael Yonan, « Toward a Fusion of Art History and Material Culture Studies », West 86th: A Journal of Decorative Arts, Design History, and Material Culture, 18/2, hiver 2011, p. 232-248 ; Maxime Boidy, « Visual Culture Studies : les matérialismes du visible », dans Maxime Cervulle, Nelly Quemener et Florian Vörös (dir.), Matérialismes, culture & communication, tome 2, Paris, Presses des Mines (Matérialismes), 2016, p. 125-139.
45 « By imagining the history of art as the history of vision, the danger that the image shall become detached from its material transmitter, and from the materialist contexts of its viewing, is great. » M. Yonan, « Toward a Fusion of Art History and Material Culture Studies », art. cité, p. 239.
46 Voir Jules David Prown, « Mind in Matter: An Introduction to Material Culture Theory and Method », Winterthur Portfolio, 71/1, printemps 1982, p. 1-19.
47 Bruno Latour cité par M. Boidy, « Visual Culture Studies », art. cité, p. 135.
48 « […] shaped a cultural environment characterized by experimentation, posturing, glittering platform boots, smeared red lipstick, and a general breaking down of barriers between genders, genres, and guitars. » M. Benavidez et C. A. Noriega, Gronk, op. cit., p. 52.
49 Dick Hebdige, Sous-culture. Le sens du style, trad. de l’angl. par M. Saint-Upéry, Paris, Zones, 2008 [1979].
50 « Camp taste doesn’t propose that it is in bad taste to be serious; it doesn’t sneer at someone who succeeds in being seriously dramatic. What it does is to find the success in certain passionate failures. » Susan Sontag, « Notes on “Camp” » [1964], dans id., Against Interpretation and Other Essays, New York, Dell Publishing, 1966, p. 275-292, ici p. 291.
51 « Camp is as well a quality discoverable in objects and the behavior of persons. There are “campy” movies, clothes, furniture, popular songs, novels, people, buildings… » Ibid., p. 277. Beaucoup d’écrivains qui ont étudié le camp dans les années 1970, comme Richard Dyer et Jack Babuscio, l’ont positionné comme distinctement gay. Là où Susan Sontag et Jack Babuscio considèrent le camp comme une sensibilité et non pas comme une stratégie, d’autres théoriciens, comme Moe Meyer, le situent comme un outil critique adopté par les marges, tout en ne posant pas le camp comme étant uniquement gay. Voir Richard Dyer, « It’s Being So Camp as Keeps Us Going » [1976], dans id., The Culture of Queers, Londres, Routledge, 2002, p. 49-62 ; Jack Babuscio, « The Cinema of Camp, aka Camp and the Gay Sensibility » [1978], dans Fabio Cleto (ed.), Camp: Queer Aesthetics and the Performing Subject, Édimbourg, Edinburgh University Press, 1999, p. 117-135 ; Moe Meyer, The Politics and Poetics of Camp, Londres, Routledge, 1994.
52 Renate Lorenz, Art queer. Une théorie freak, trad. par M.-M. Bortolotti, Paris, B42, 2018 [2012], p. 73.
53 Ibid.
54 D’après le titre du morceau composé par les New York Dolls pour leur premier album éponyme, paru en 1973.
55 « Glam prominently placed the potentiality of style and surface over substance. The genre’s proclivities for upending gender roles though transvestism, camp, and costuming, and the public flirtation with homosexuality practiced by stars such as David Bowie and Marc Bolan, both fed on and contributed to the growing visibility of gay and lesbian communities at the time. » D. E. Frantz, « Chicano Chic », art. cité, p. 59.
56 D. Hebdige, Sous-culture, op. cit., p. 64.
57 Ibid., p. 64-65.
58 « LES PETITES BONBONS support all things that are Gay, that is, dynamic and Life-affirming. » Les Petites Bonbons, « bon bon mots », art. cité, p. 13.
59 « […] oppose all that is straight, that is, static and death-oriented. » Les Petites Bonbons cités par K. Olds, « “Gay Life Artists” », art. cité, p. 26.
60 « […] 1970s glitter culture has been disparaged as politically impotent, debased decadence, a charge that echoes the portrayal of camp by some critics as a mere style. Such appraisals neutralize the ways in which both phenomena shaped received notions about the constructed nature of gendered and sexual identities, masculinity in particular. Thus the Bonbons’ expression of gender and sexuality as fluid and self-determined, unlimited by the biological conditions of sex or cultural norms, aligns with a camp attitude, one that espouses “gender without genitals.” The Bonbons’ textual and performance practices questioned existing gender roles, but without the seriousness and occasional stridency they perceived in the work of contemporary gay activists. » K. Olds, « “Gay Life Artists” », art. cité, p. 27.
61 D. Hebdige, Sous-culture, op. cit., p. 65.
62 Ibid., p. 66.
63 Ibid., p. 65.
64 Ibid., p. 93.
65 « Jerry Dreva and the other Bon-bons people gave Bowie a whole lot of extra credibility through the L.A. gay underground and the mail arts scene and helped him cross over into an audience he might have taken longer to access. » Genesis P-Orridge cité par Marc Spitz et Brendan Mullen, We Got the Neutron Bomb: The Untold Story of L.A. Punk, New York, Three Rivers Press, 2001, p. 20.
66 D’après le titre de la chanson composée par David Bowie pour son album Hunky Dory (1971).
67 « This so-called Glitter Era lasted a very short time and within weeks we’d moved on, my bleached hair had not even grown out before Jerry and I turned to leather and the S&M scene. » Robert Lambert, entretien de l’auteur avec l’artiste, 21 mai 2020.
68 « What we were coming to see at that time is that everything is drag, all clothes are costumes, hyper-gendered or not. Vogue culture eventually took this up, secretary, school girl, socialite drag—even Cindy Sherman. […] There’s a big difference between a drag fetish, in being seriously concerned with appearing convincingly as a woman is traditionally presented in our culture, and just using that arsenal of sexualized objects and appearances to provoke as a political weapon. More about dislocation of expectations, of conceding but fracturing stereotypes, about a man daring to display the feminine or of the gay man to appear hypermasculine. » Ibid.
69 Associée à l’apparition du mouvement du zine queercore – branche isolée du punk traitant des problématiques LGBT à travers la publication de magazines auto-édités et à périodicité variable –, Vaginal Davis réalise de nombreuses performances autour des identités de genre. Dans sa performance The White to Be Angry (1996), l’artiste américaine met en scène les codes des suprématistes blancs, intégralement reconfigurés pour repenser le genre sexuel et l’identité communautaire.
70 Troupe créée par l’artiste d’art cinétique Gerald Fitzgerald sur les assises de la troupe Exploding Galaxy, elle-même fondée en 1967 par le performer David Medalla.
71 « LES PETITES BONBONS are constantly changing, constantly re/creating. » Les Petites Bonbons, « bon bon mots », art. cité, p. 13.
72 « […] a commercial-looking tabloid that treats the details of his life as vicarious journalistic fantasy », Daniel J. Cameron, Extended Sensibilities: Homosexual Presence in Contemporary Art, cat. expo., New York, New Museum (16 octobre-30 décembre 1982), New York, The New Museum, 1982, p. 17.
73 « […] enlightened self-interest. » Robert Lambert, dans O. Chavoya C., D. E. Frantz et M. Gómez-Barris (eds), Axis Mundo, op. cit., p. 387.
74 « the idea of self-mythology intrigued me. » R. Lambert, Just Outrageous, op. cit.
75 Le fanzine de John Jack Baylin, Fanzini, est dédié à John Dowd, un New-Yorkais dont le physique rappelait celui d’un personnage dessiné par Tom of Finland. John Dowd a lui-même fourni de nombreux collages pour certains numéros de Fanzini, composés d’images publicitaires, de personnages Disney, de photos d’acteurs pornographiques et de célébrités. Des artistes comme AA Bronson, Peter Hujar et Ray Johnson, notamment, ont contribué à ce projet.
76 « Jerry and I thought a lot about fame and private life, because so much of our gay revolutionary involvement was related to revealing secrets, revealing hidden desires, identities, unspoken truths, examining the very natures of public and private. We carried the Warholian idea of everyone being famous for 15 minutes to considering that everyone is born famous—announcements go out, your name is in the paper, it’s an event. We now take for granted the fluid line between the private and the public that the internet has blurred, but back then there was no middle ground, and the private was flat, featureless, uneventful, the public realm exciting and glamorous. We challenged that barrier. […] All the world’s a stage, all life is show business, performance. Egozine challenged that barrier long before reality TV, or even the lifestyle content of the 1980’s, Martha Stewart Living indeed. » Robert Lambert, entretien de l’auteur avec l’artiste, 21 mai 2020. Le Martha Stewart Living était un magazine mainstream et un programme télévisé hebdomadaire, mettant en vedette la femme d’affaires américaine Martha Stewart pour promouvoir un ensemble de techniques qui permettraient de bien vivre chez soi.
77 « Our first subject, R.J. Lambert, has long seen his life and personae as the canvas and paint of the ultimate art piece, if only subliminally at first; thus his production covers approximately the last 20 years. His feeling of periodicity recapitulates the historical view of eras, and thus encompasses the breath of our disease from inception to solution… Welcome to the Post-Cultural Era! » The Editors, « To our readers », dans Robert Lambert (ed.), Egozine, 1/1, 1975, n. p.
78 Contraction des termes « personal » et « zine » (publication non commerciale à faible diffusion), le perzine est un sous-genre de zine offrant la possibilité à ses rédacteurs de transcrire leurs expériences, opinions et observations personnelles.
79 « […] we have become aware of a new way to program reality, montage and information overload. » Robert Lambert (ed.), Egozine, 1/1, 1975, n. p.
80 « The stances available for programing are all the images in the world, the mad woman in the supermarkets or the imagination let loose in a mirror… The streets are better than tv, the facts more electrifying than any fiction. » Ibid.
81 « A true life adventure », Les Petites Bonbons, « The Wild Boys », dans Robert Lambert (ed.), Egozine, 1/1, 1975, n. p.
82 « Our aim is total chaos. » William S. Burroughs cité par Les Petites Bonbons, dans Robert Lambert (ed.), Egozine, 1/1, 1975, n. p.
83 « The future is here for those who live it. Pastiche or perish! » Robert Lambert (ed.), Egozine, 1/1, 1975, n. p.
84 « […] camp is so much about the exaggeration and send-up of normality. » Richard Dyer, The Culture of Queers, Londres, Routledge, 2002, p. 20.
85 Les Petites Bonbons connaissaient certains membres des Cockettes. Robert Lambert se rappelle notamment d’une soirée passée en compagnie de Pristine Condition : « Lors d’une fête chez Peter Lawford à Malibu, Jerry a voulu amener Pristine Condition des Cockettes avec nous. Elle était habillée en drag queen, ce qui n’a pas plu aux mecs de Laurel Canyon. Joni Mitchell était là, mais elle était en train de faire l’amour sur une plage sous une tour pour maîtres-nageurs sauveteurs lorsque plusieurs d’entre eux nous ont pourchassés sur la Pacific Coast Highway pour nous taper dessus. Quand la nouvelle s’est répandue chez Rodney, tous les garçons dans leurs shorts en satin voulaient aller les frapper – comment osent-ils toucher les Bonbons !!! Ce fut un progrès, en un sens. » (« For a party for at Peter Lawford’s beach house in Malibu, Jerry thought to bring Pristine Condition of the Cockettes with us, in full drag, which didn’t go down well with the Laurel Canyon dudes. Joni Mitchell was there but off having sex under a lifeguard tower on the beach when several of them chased us down the Pacific Coast Highway and beat us up. When news hit Rodney’s, all the boys in their satin hot pants wanted to go beat them up – how dare they touch the Bonbons!!! Progress, in a way. ») Robert Lambert, entretien de l’auteur avec l’artiste, 21 mai 2020.
86 « Chuckie Bonbon entered the annual Halloween drag contest at Club Neptune in Milwaukee; it was a look he reprised several times, even in the People magazine layout. Put a box of Rit dye in a bathtub and dyed himself green, glued peacock feathers to his eyelids as lashes and made a necklace out of them—as I recall there may have been goldfish in his platform shoes. The judges said, “If this was a costume contest, you’d have won, but this is for drag.” A plus-size black queen won, and was perfect. Chuckie completely agreed with their decision. » Robert Lambert, entretien de l’auteur avec l’artiste, 21 mai 2020.
87 « Confronting conformity with taboo, the surreal and the shocking. » Matthew Glamorre, « Foreword », dans Raven Smith (ed.), Club Kids: From Speakeasies to Boombox and Beyond, Londres, Black Dog Publishing, 2008, p. 7. Matthew Glamorre rejoint le groupe Minty que Richard Torry et Leigh Bowery avaient fondé en 1993. Il travaille depuis sur les frontières entre les arts visuels, la musique et la performance.
88 « When you enter these spaces, what the world has offered up as a model for life – conformation to the establishment – is left firmly at the door, waiting to reclaim you when you leave. The harsh reality of the standardised social construct waits, like a poised predator, to return your mind the morning after. » Phil Jackson, « The Pursuit of Pleasure », dans R. Smith (ed.), Club Kids, op. cit., p. 8-11, ici p. 9-10.
Auteur
Nicolas Ballet est historien de l’art, docteur de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Spécialiste des cultures alternatives, de l’art expérimental, des nouveaux médias et des mouvements d’avant-garde, il a consacré ses recherches doctorales à la culture visuelle des musiques industrielles en Europe, aux États-Unis et au Japon (1969-1995). Chercheur postdoctoral au Laboratoire d’excellence Création, Arts et Patrimoines (Labex CAP) en 2020-2021, après avoir été en résidence « INHALab. Association ATHAMAS – Art et antipsychiatrie » en 2019, il enseigne l’histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est l’auteur du livre en deux volumes Genesis Breyer P-Orridge: Nekrophile (Timeless, 2018), et a notamment publié dans Arts, Histo.art, Marges, Octopus Notes et Les Cahiers du MNAM.
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La construction des patrimoines en question(s)
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2017
Les dimensions relationnelles de l’art
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Jean-Philippe Garric (dir.)
2020