Chapitre II. Le système de la foi chez Guillaume d’Ockham
Vers une naturalisation de la croyance religieuse
p. 63-86
Texte intégral
1Le premier personnage de notre pièce est un théologien franciscain dont le nominalisme est indubitable puisqu’il en a souvent été considéré comme le paradigme. Il s’agit de Guillaume d’Ockham, né vers 1288, formé au couvent franciscain de Londres et à Oxford1. Il lit les Sentences vers 1317-1318. À partir de 1324, il est en Avignon pour répondre de certaines accusations d’hérésie. Au contact de Michèle de Césène, il abandonne progressivement les questions spéculatives pour celles ecclésiologiques, liées à la pauvreté évangélique et au pouvoir du Pape. C’est néanmoins à Avignon, semble-t-il, qu’il achève ses Quodlibeta. Après 1328, il se réfugie auprès de l’Empereur et se consacre exclusivement à la polémique ecclésiologique et politique2.
2Quand il aborde la question de la foi, Ockham s’inscrit dans un cadre hérité de Duns Scot3. Le docteur subtil avait mis en cause la possibilité de prouver naturellement la nécessité de la foi infuse, introduisant la question de son utilité par rapport à la foi acquise4. Dans ce cadre, selon Ockham, la nature de l’acte de foi soulève un double problème. Il faut d’abord expliquer comment la foi acquise peut être engendrée, c’est-à-dire qu’il faut expliquer comment un assentiment certain à quelque chose de non évident est possible. Cette première question suppose de clarifier le statut épistémique du témoignage qui est le principal motif externe de la croyance religieuse. Le second problème est celui de la cohésion du système de la foi et de la possibilité d’identifier qui est fidèle. C’est à ce niveau qu’Ockham réintroduit la foi infuse. La réflexion de Guillaume d’Ockham sur le rôle de la volonté dans l’acte de foi va donc tourner autour de deux questions, d’une part la recherche d’un fondement de la foi, et d’autre part, la recherche des conditions du mérite d’une telle croyance. Mais de façon plus large, encore, le problème qu’affronte le franciscain est de déterminer comment la spécificité de l’acte de foi peut s’intégrer dans le système naturaliste par lequel il rend compte du statut de nos états mentaux cognitifs5.
LA FOI ACQUISE ET LE PROBLÈME DU TÉMOIGNAGE
3Quand il examine le statut psychologique de la foi acquise, Ockham l’inscrit très clairement dans un processus d’éducation et d’habituation. Elle est, en effet, définie comme assentiment aux credibilia, et un tel assentiment est produit par la répétition d’actes, répétition qui engendre à son tour un habitus. La foi acquise est donc produite naturellement et renforcée par l’audition de prêches, et la vision de miracles :
À l’autre objection, je réponds qu’un homme prêche la révélation et les miracles non pas parce qu’ils causent un assentiment évident, mais parce que, parfois, ils causent un acte de foi, par exemple chez l’infidèle, parfois ils augmentent la foi déjà acquise6.
4Cette naturalité de la foi acquise est prouvée par un exemple repris à Duns Scot7. Un enfant païen élevé chez les chrétiens sera amené naturellement à croire les articles de foi et à aimer Dieu par-dessus tout, au moyen d’une foi et d’une charité acquises :
Mais pour poser la foi acquise et l’espérance et la charité, on a une expérience certaine. Car un païen élevé parmi des chrétiens croit ainsi tous les articles de foi. De la même façon, une personne, hérétique à propos d’un article, peut croire véridiquement un autre article. Mais aucun d’eux n’a une foi infuse ; c’est évident ; donc c’est une foi acquise. De la même façon à propos de la charité acquise puisqu’un infidèle élevé parmi les païens peut par l’éducation aimer Dieu par-dessus tout pour des raisons purement naturelles. Il peut aussi louer Dieu, le chanter et le prier8.
5La pratique extérieure du culte chrétien relève d’un processus naturel d’éducation qui est produit par la répétition des actes et par l’enseignement : un intellect neutre, comme celui d’un enfant, pourra être entraîné à donner fermement son assentiment aux articles du dogme. Le problème de l’acte de croire renvoie donc, au premier abord, à l’habitude et à la coutume. C’est de cette façon qu’est ancrée, ensuite, dans l’individu une disposition à vivre conformément à cette croyance.
6Néanmoins, puisque la foi, à défaut d’être évidente, n’en est pas moins certaine, à la différence de la simple opinion qui s’accompagne d’hésitation, il faut se demander d’où provient cette certitude. Qu’est-ce qui garantit la foi acquise et permet de produire un assentiment ferme à une proposition dont la vérité n’est pas immédiatement manifeste, et qu’est-ce qui la singularise, de ce fait, au sein des actes de croyance ? De façon générale, Ockham défend une conception naturaliste de l’assentiment de telle sorte que l’on peut rendre compte de la production de l’assentiment au moyen d’une chaîne causale naturelle (c’est-à-dire non libre) fondée sur la connaissance intuitive des termes et de leur liaison dans des propositions, et sur des schèmes inférentiels, tels que l’intellect adhère naturellement aux propositions qui se présentent à lui9. Le rôle de la volonté se limite d’une part à causer l’appréhension des termes (en tant que cause partielle), d’autre part à intensifier l’attention à un objet.
7Mais la considération du statut de la foi acquise doit conduire à modifier sensiblement ce schéma. De fait, l’examen du processus psychologique d’adhésion à un prêche conduit Ockham à poser la volonté comme fondement nécessaire de la foi acquise. La place de la volonté dans l’assentiment de foi est examinée à deux reprises, au moins, et de façon assez convergente. La première analyse se trouve dans la question 5 des Quaestiones variae, « De intellectu agente », qui s’interroge sur la dimension active de l’intellect. C’est vraisemblablement un texte de « jeunesse », contemporain des Sentences, et qui aborde un problème qu’Ockham ne traitera plus par la suite10. Il est donc difficile de déterminer jusqu’à quel point les positions qui y sont exprimées peuvent être considérées comme strictement ockhamistes. Néanmoins, la richesse de l’analyse de l’assentiment qui y est développée a incité plusieurs spécialistes d’Ockham à lui attribuer une place importante11. Surtout, il y a un point important pour la perspective qui est la nôtre ici, à savoir l’élaboration d’une tradition nominaliste sur la question de la foi : très rapidement, ce texte a été annexé dans les manuscrits et dans les éditions imprimées au livre II des Sentences dont il est devenu la question 25, ce qui lui a, indubitablement, assuré une plus grande visibilité et un statut différent12. Comme on le verra, en outre, ce texte sera par la suite considéré, à tort ou à raison, comme représentatif de la position ockhamienne.
8Analysant le processus d’assentiment, Ockham élabore une typologie fondée sur la nature de la proposition à laquelle on donne son assentiment (nécessaire par soi, contingente ou neutre), et qui met en évidence chaque fois les causes de l’assentiment. Tous les assentiments considérés sont causés de façon strictement naturelle, par la causalité des termes appréhendés et de la proposition dans laquelle ils entrent, et éventuellement par une proposition supplémentaire qui sert de prémisse à une inférence. Si on laisse de côté l’action de la volonté dans l’appréhension de la proposition, c’est uniquement dans le cas des propositions neutres contingentes qui ne peuvent pas être inférées d’une autre proposition que la volonté peut causer l’assentiment :
Si la proposition est contingente, alors l’intellect lui donne son assentiment parfois en vertu d’une autorité, parfois en vertu de la volonté parce qu’il veut croire. Dans le premier cas, l’assentiment à l’autorité cause l’assentiment à la proposition contingente. Dans le second cas, la volition avec les connaissances incomplexes et l’appréhension du complexe, cause l’assentiment13.
9Or, précisément, une telle situation, pour Ockham, est celle de l’acte de foi, puisque la foi a un contenu indécidable logiquement et empiriquement. L’acte de foi peut être causé soit par la causalité des termes de la proposition et l’action conjointe d’une proposition à laquelle on a déjà donné son assentiment (en l’occurrence l’autorité d’un témoignage), soit par la causalité des termes et la volonté. Ockham examine d’abord le premier cas, en considérant que la proposition antérieurement admise est de la forme « cet homme est généralement vérace dans ses propos et ses actes14 ». Ce qui l’intéresse, ici, c’est le fonctionnement de l’autorité épistémique qui garantit le témoignage dont dépend l’acte de foi :
Si quelqu’un croit qu’un homme est toujours vérace dans ses propos et ses actes, et ceci par une foi acquise, si alors cet homme lui disait de façon assertive et de bonne foi que quelque chose est certainement vrai, chose qu’auparavant il ne croyait pas être vraie, en croyant ainsi le premier complexe, il ne peut pas refuser son assentiment au second complexe. Car s’il croit et estime que cet homme est fermement vérace dans ses propos et actes, et qu’ensuite il rejette le second complexe, alors il estime que ce complexe est faux. Donc, il n’estime pas que celui qui énonce ce complexe est généralement vérace dans ses propos, et ainsi il suit une contradiction15.
10L’analyse de ce premier cas est l’occasion de préciser le fonctionnement de la croyance fondée sur l’autorité. Une telle croyance dépend de l’acceptation antérieure d’une autre proposition garantissant la véracité du témoin. L’attribution d’une autorité suffisante au témoin repose sur un ensemble de facteurs (dont on peut se demander, par ailleurs, s’ils peuvent être effectivement vérifiés) : la véracité du témoin doit être vérifiée de façon quasi inductive en contrôlant ses propos antérieurs (jusqu’à présent, il a toujours été vérace), ensuite le mode d’assertion de la proposition par ce témoin doit être ferme et convaincu (il énonce la proposition de façon assertive), enfin, il ne doit y avoir chez lui nulle intention de tromper (il est de bonne foi). À partir de là, l’assentiment est, selon Ockham, entièrement naturel, c’est-à-dire non libre, puisque la volonté n’intervient pas, et ne peut pas intervenir, dans le processus d’assentiment. De fait, les propositions énoncées par le témoin qui fait autorité jouissent de la même garantie épistémique et morale que celle que l’on a reconnue au témoin en question, lequel est vérace et n’a jamais été pris en situation de mensonge. Le dissentiment à la proposition énoncée par ce témoin est donc contradictoire avec le privilège épistémique et moral qui lui a été reconnu. Dans cette perspective, le rôle de la volonté est restreint à une simple capacité de suspension de l’assentiment, causée indirectement par la non-appréhension de la proposition. Mais une fois la proposition complètement appréhendée, l’assentiment à la proposition de foi est structurellement identique à l’assentiment à une proposition connue par soi, et l’assentiment ne peut pas être empêché :
Donc il est nécessairement requis que soit il ne donne ni ne refuse son assentiment, ce qu’il peut faire si la volonté détourne l’intellect de l’appréhension de ce complexe ; soit s’il appréhende ce complexe, en même temps qu’un acte de foi portant sur le premier complexe, il donne nécessairement son assentiment au second complexe. Il ne sera en aucune façon au pouvoir de la volonté d’empêcher cet assentiment, une fois les termes du complexe appréhendés, pas plus qu’elle ne peut empêcher l’assentiment relativement à une proposition connue par soi, une fois appréhendée. Donc cette foi et l’acte de croire au second complexe sont causés par la connaissance des termes de ce complexe et leur appréhension, et par l’acte d’assentiment au premier complexe par lequel on estime qu’un homme est toujours vérace dans ses propos et ses actes. Ceci étant posé, il suit immédiatement et nécessairement, sans aucune activité de l’intellect ou de la volonté, un assentiment au second complexe16.
11L’assentiment dépend ici de deux propositions. La première a déjà été acceptée (par un acte de foi ou de confiance) antérieurement et énonce que le témoin est toujours vérace. Quant à la seconde, elle consiste dans l’article du dogme énoncé par ce témoin, et dont la vérité est garantie sur cette base.
12Très clairement, ici, la foi se trouve reconduite à sa dimension de confiance envers une autorité qui fonctionne comme une prémisse dans une inférence17. Dans cette situation, on donnera immédiatement l’assentiment à ce que cet homme vérace aura énoncé. Supposons que Pierre rencontre Jean, homme de bonne foi, qui a toujours dit le vrai jusqu’à présent, et qui conforme ses actes à ses propos. Pierre reconnaît Jean comme une autorité, c’est-à-dire une source de vérité. Si Jean dit à Pierre : « Dieu est un et trine », proposition empiriquement indécidable, Jean donnera immédiatement son assentiment à cette proposition, qu’il croira sur la base de la confiance accordée à Jean. Ockham va jusqu’à estimer que la volonté ne peut intervenir dans cet assentiment qui est strictement naturel.
13Une fois explicité, au moyen de ce casus de l’homme vérace, le fonctionnement de l’assentiment causé par l’autorité, on peut encore se demander d’où vient l’adhésion au principe « cet homme est vérace », qui est une condition nécessaire de l’assentiment de foi. Dans la mesure où toute la confiance accordée à l’article de foi provient de la garantie épistémique que lui octroie l’autorité, il faut s’interroger sur la valeur épistémique de cette même autorité. Reprenant la typologie des connaissances qui fonde son analyse de l’assentiment, Ockham identifie cinq causes possibles d’adhésion au principe d’autorité. L’assentiment à ce principe peut être causé par une proposition connue par soi, déduit syllogistiquement, causé par une connaissance intuitive (en l’occurrence par la connaissance intuitive de ce dont témoigne l’homme vérace), causé par la croyance en une autorité supérieure, ou enfin causé par la volonté :
Puisqu’il estime cet homme vérace dans ses propos et ses actes, de telle sorte qu’il donne son assentiment fermement au complexe « celui est vérace dans ses propos et ses actes », je demande alors : par quoi est causé cet acte d’assentiment ou de croyance ? (1) Soit par la connaissance des termes seulement, et l’appréhension d’un complexe, (2) soit par une autre connaissance scientifique évidente du pourquoi ou du fait, (3) soit par une connaissance intuitive des extrêmes, (4) soit par un autre acte de croyance par lequel on donne son assentiment à un complexe antérieur dont on infère ce complexe avec évidence, (5) soit cette proposition sera neutre relativement à tous ces types de connaissance, et alors si l’on donne son assentiment, ce sera par un acte de volonté18.
14Ockham exclut que l’assentiment à l’autorité puisse relever de l’une des trois premières catégories puisque celles-ci concernent l’assentiment évident en raison de son objet. Or, ce qui distingue la foi, dont il est question ici, des autres habitus épistémiques naturels, c’est précisément que son objet est empiriquement indécidable et ne peut pas causer un assentiment évident. C’est cette spécificité de l’objet de foi (qui renvoie à la définition paulinienne dans Hébreux, 11, 1) qui fonde par ailleurs la réflexion ockhamienne sur l’impossibilité d’une théologie scientifique au sens propre du terme19. Il est donc exclu que la croyance à l’autorité de l’homme vérace soit justifiée par une évidence déductive ou empirique :
Ce n’est ni le premier, ni le second, ni le troisième, puisque toutes ces connaissances sont évidentes par leur objet. […]. Or, l’acte de foi acquise, en tant qu’on le distingue des autres habitus naturellement acquis, n’est pas évident par son objet, quel que soit le cas dont on parle, comme c’est manifestement évident, puisqu’autrement il ne se distinguerait pas des autres habitus, donc etc.20.
15Il reste, alors, deux possibilités. Soit l’adhésion au principe d’autorité relève d’une autre croyance, soit elle relève de la volonté. Ockham exclut alors la quatrième possibilité, au moyen de l’argument de la régression à l’infini. De fait, Ockham suppose que l’adhésion au principe d’autorité puisse être causée par une croyance antérieure de la forme : « je crois que toute personne qui accomplit telles actions (comme des miracles) est vérace ». En quelque sorte, l’autorité du témoin est garantie à un niveau non plus théorique, mais pratique. Cette garantie pose, sans doute, un ensemble de problèmes : la véracité comme la moralité des actions ne semblent pas pouvoir se contenter d’une seule instance, mais plutôt réclamer une forme de répétition inductive. Ce n’est pas en ayant entendu une seule fois un témoin que je puis juger en toute confiance de son discours. Il faut donc soit avoir une expérience répétée de la véracité et de la bonté du témoin, soit s’en remettre à l’autorité d’un autre témoin. Néanmoins, ce n’est pas cette question qui intéresse ici Ockham. Le point important pour lui est que la croyance à la véracité du témoin est à son tour causée par une autre croyance de la forme « Toute personne qui fait X est vérace », croyance dont il faut de nouveau chercher la cause. Pour éviter la régression à l’infini, il faut donc s’arrêter à un primum creditum. Cette croyance initiale ne peut pas être une évidence par soi, la possibilité a été exclue, il ne reste donc qu’une solution, qu’elle soit causée par un acte de la volonté libre, c’est-à-dire automotrice :
Si l’on admet le quatrième cas, par exemple qu’un tel donne son assentiment au complexe « celui-ci est vérace etc. », parce qu’il donne son assentiment à un complexe antérieur « nul ne peut faire de telles actions s’il n’est pas vérace », je demande par quoi est causé l’acte de croire ce complexe ? Et il est manifeste qu’il ne peut pas être causé d’une des trois façons exposées plus haut. Et s’il était causé de la quatrième façon, il faut poser la même question qu’avant, et il y aura un processus à l’infini ce qui est gênant, ou l’on s’arrêtera à un complexe auquel il donne fermement son assentiment. […]. D’où vient donc la cause de l’acte d’assentiment à un tel complexe ? Je réponds que c’est d’une connaissance incomplexe des termes, une appréhension du complexe et un acte de vouloir, par lequel quelqu’un veut donner son assentiment à ce complexe même s’il ne possède aucune évidence21.
16Il faut donc que tout acte de foi soit, en dernier recours, reconduit à une décision initiale de la volonté libre, de sorte que la foi peut légitimement être définie comme « assentiment non évident sous le commandement de la volonté ». Tout acte de foi n’est pas nécessairement volontaire, mais le premier acte de foi est un acte de la pure volonté libre qui se décide sans motif face à une proposition indécidable. Plus précisément, la volonté ne porte pas directement sur le contenu de foi indécidable, mais sur la confiance qu’il faut accorder à une autorité dont on inférera ensuite les credibilia. C’est au magistère de l’Église ou au témoignage des apôtres que je décide de croire plus qu’au dogme de l’Incarnation ou à La Trinité, la croyance à ces dogmes étant, en quelque sorte, seconde. De fait, Ockham ne dit pas explicitement ici que la volonté, à la façon de ce que défend Thomas d’Aquin par exemple, vise à suppléer les déficiences de l’intellect dans son appréhension de l’objet et à garantir, par là, la certitude de l’assentiment, à défaut de son évidence22. La volonté est la condition d’existence de la foi, plus qu’un principe de justification23.
17Ce qu’il importe de noter, dans l’immédiat, c’est que dans la classification des assentiments à laquelle se livre Ockham, le volontarisme doxastique apparaît comme une exception à un système naturaliste. C’est cette exception qui permet de distinguer finalement la foi de l’opinion24. Ockham exclut en effet expressément l’intervention de la volonté dans l’assentiment d’opinion. Ainsi, il reconduit nettement la foi acquise à sa dimension de conviction ou de confiance en une autorité, guidée par la volonté. Plusieurs difficultés subsistent dans ce texte, qui ne vise pas, il faut le rappeler, à fournir un traitement exhaustif de la question de la foi. La principale difficulté est de savoir comment l’on peut décider de croire, comment la volonté peut, par elle seule, causer un assentiment. Ce point nodal pour tout volontarisme est repris de façon plus précise dans un texte plus tardif.
18Dans la question 6 du quatrième Quodlibet, Ockham se demande si l’audition d’un prêche renforcée par la vision d’un miracle cause un habitus différent de celui de la foi, c’est-à-dire un habitus certain et évident. À cette question, Ockham répond négativement en soutenant que la vision de miracles cause un acte de foi, ou renforce un habitus de foi déjà existant. La thèse d’Ockham repose sur le fait qu’un miracle ne cause pas l’évidence et de ce fait ne peut causer autre chose qu’un acte de foi (ou une opinion dans le cas d’un faux miracle)25. La première objection porte précisément sur ce point et revient sur la question du volontarisme :
Mais contre cela : la volonté ordonne de façon vertueuse à l’intellect de donner son assentiment à un article de foi ; donc, en ordonnant de façon vertueuse, elle présuppose que la droite raison doit ordonner une telle chose, autrement, elle ne serait pas vertueuse, puisqu’elle n’ordonnerait pas en connaissance de cause. À propos de cette droite raison, je demande : est-elle évidente ou non ? Si elle est évidente, on a le cas en débat. Si elle ne l’est pas, on adhérerait à cette raison parce qu’on le veut. Cette volition peut être vertueuse, puisqu’elle peut ordonner cette adhésion de façon vertueuse, et par conséquent, cette volition présuppose la droite raison. Et à son propos, je m’interroge : soit elle est <n’est pas> évidente, comme avant, et on aura un processus à l’infini, soit il y aura une raison évidente et on aura le cas débattu26.
19L’objection soulève le problème du motif de la volonté à l’œuvre dans l’assentiment de foi. De fait, la volonté de croire chez le fidèle, et contrairement à l’hérétique par exemple, est une volonté vertueuse, et à ce titre elle est fondée sur la droite raison27. De ce fait, la volonté mue par la droite raison est dotée d’une forme d’évidence.
20Pour répondre à l’objection, Ockham commence par une distinction préalable. L’attitude face à une preuve ou une pseudo-preuve (dans le cas d’un prêcheur infidèle ou hérétique) en faveur d’un objet de croyance est double. Soit l’on est ignorant et incapable de réfuter les arguments, auquel cas l’assentiment est nécessité par l’inférence et il ne peut pas prétendre être vertueux. De fait, un tel assentiment à la conclusion d’un argument est strictement naturel, et comme on l’a vu, la volonté ne peut détourner l’intellect de son assentiment, une fois l’inférence acceptée. Soit l’on sait réfuter l’argument qui n’est pas, alors, contraignant, et dans ce cas l’assentiment est contingent, et la volonté peut l’ordonner de façon vertueuse. Néanmoins, et c’est le point important à mon sens, comme on le verra, cet ordre de la volonté vertueuse n’est pas pour autant méritoire puisque lui fait encore défaut la charité qui est une condition nécessaire du mérite28. À partir de là, Ockham concède à l’objection que la volonté vertueuse suppose la droite raison, de sorte qu’elle n’est pas purement automotrice, mais qu’elle prescrit en connaissance de cause29. Cela étant concédé, Ockham estime qu’il faut répondre en deux temps à l’objection contre le primat de la volonté. Cette réponse consiste à réinvestir les positions déjà développées dans la question 5 des Quaestiones variae. En premier lieu, face à un prêcheur de bonne foi qui argumente correctement et qui s’appuie sur des miracles, la volonté n’a aucun rôle à jouer, et l’assentiment est produit naturellement :
Et quand on demande si cette raison présuppose un acte de volonté en raison duquel elle prescrit, en un sens on peut répondre que ce n’est pas le cas. En effet, bien qu’une telle personne sache réfuter les arguments, comme cependant les arguments sont tout à fait manifestes, il n’a pas d’argument dans le sens contraire, et il estime que celui qui prêche les articles est vérace pour la raison qu’il ne trouve en lui nulle fausseté, et qu’il voit la prédication confirmée par des miracles. Tous ces faits, sans aucun acte de volonté, causent en même temps cette prescription selon laquelle l’assentiment à ces articles doit être commandé30.
21On est donc, exactement, dans la situation d’un assentiment produit naturellement par l’adhésion antérieure à un témoin vérace. Dès lors, et c’est le second point31, l’intervention de la volonté se joue à un autre niveau, celui de la reconnaissance du prêcheur comme vérace :
On peut répondre autrement que cette raison présuppose un acte de volonté, non pas relativement à cette proposition qui doit être prescrite de la sorte, mais un acte par lequel la volonté ordonne l’assentiment relativement à ces propositions « ce sont de vrais miracles », « ce prêcheur est un homme vérace », etc.32.
22La volonté intervient quand il faut garantir la confiance accordée à une autorité, qui fonctionne comme un méta principe, conformément à ce qui était déjà avancé dans la question 5 des Quaestiones variae. Il y a donc un acte initial de volonté pure qui ne porte pas sur la proposition qui énonce le point de dogme, mais qui enclenche le processus de l’assentiment de foi en reconnaissant comme fiable une certaine autorité. Cet acte de volonté n’est pas mû par la droite raison et de ce fait n’est pas en soi vertueux :
Mais l’acte de la volonté par lequel elle ordonne le premier acte de croire à tout le processus n’est, ni ne peut être, intrinsèquement vertueux puisqu’il ne présuppose pas la droite raison33.
23Ockham réitère ici l’élément clé de sa position volontariste déjà formulée dans les Quaestiones variae : il y a un primum creditum qui dépend entièrement et exclusivement de la volonté, en dehors de tout motif rationnel de crédibilité. C’est ce premier acte de volonté qui définit en tant que tel l’acte de foi, y compris les assentiments de foi ultérieurs qui sont donnés en étant inférés.
24Le volontarisme doxastique d’Ockham est donc limité, mais il est intransigeant. En même temps, il est indéniable que ce premier acte de croyance volontaire constitue une sorte de point aveugle dans le système ockhamiste, dans la mesure où l’on a du mal à se représenter en quoi il consiste34. Même si Ockham ne résout pas cette difficulté explicitement, il semble qu’un détour par la question de la foi infuse puisse apporter des éléments d’interprétation.
LA FOI INFUSE ET LA COHÉSION DU SYSTÈME DE LA FOI
25Comme on l’a dit, Ockham s’inscrit dans la continuité de Duns Scot, notamment en défendant la thèse que l’on ne peut pas prouver par la raison naturelle la nécessité des habitus surnaturels, et en particulier de la foi infuse35. Pour le prouver, Ockham reprend l’argument de l’enfant païen élevé chez les chrétiens (qui était simplement utilisé par Duns Scot comme preuve de l’existence de la foi acquise)36 auquel il applique le principe d’économie, ou rasoir d’Ockham37 :
Mais toutes les opérations que nous expérimentons, au moyen de ces dispositions surnaturelles, nous pouvons les expérimenter au moyen de dispositions naturelles. C’est patent en raisonnant sur l’acte de foi, d’espérance ou de charité, puisqu’un païen élevé parmi les chrétiens peut croire tous les articles de foi, et aimer Dieu par-dessus tout. Donc, etc.38.
26Le casus de l’enfant païen est donc détourné pour montrer qu’il n’y a pas de preuve expérimentale de l’existence de la foi infuse, puisque d’un point de vue phénoménal, seuls des actes naturels nous apparaissent. Le principe d’économie permet de rejeter comme superflues, à titre de principe explicatif, les vertus surnaturelles infusées : tout ce dont on peut rendre compte, en terme de comportement, au moyen d’un habitus surnaturel, on peut en rendre compte au moyen d’un habitus naturel. Par la simple éducation, un païen peut obtenir une foi acquise qui lui permettra de développer le même type de comportement qu’un chrétien. Par conséquent, ni l’expérience, ni le raisonnement (fondé sur l’expérience) ne permettent de poser la foi infuse.
27Le rôle de la foi infuse est encore limité à un autre niveau, là aussi de façon convergente, quoique légèrement différente, avec Duns Scot. Ockham soutient, en effet, que la foi infuse est inopérante par elle-même, et qu’elle ne peut produire un acte de foi, c’est-à-dire un assentiment à un contenu de foi précis, qu’au moyen de la foi acquise. Ockham utilise, pour le montrer, l’exemple classique de l’enfant sauvage baptisé. Un tel enfant disposera de la foi infuse par le baptême, mais sera par lui-même incapable de produire un assentiment spécifique à un article de foi. Il aura besoin d’être enseigné, de recevoir une information sur la foi, c’est-à-dire de posséder la foi acquise relative à cet article :
C’est patent, car un enfant baptisé, élevé solitairement quelque part où il ne sera pas instruit des articles de foi, aura une foi infuse et l’usage de la raison. Et cependant il ne peut choisir aucun acte de croire quelque article que ce soit. Donc, en vue de cet acte de choisir un article particulier est requise nécessairement une foi acquise portant sur cet article, par exemple par l’audition. En effet, la foi acquise selon le Prophète provient de l’audition, ou de la vision, par exemple si l’on voyait un article écrit dans un livre et que l’on y croyait39.
28On peut alors se demander à quoi sert la foi infuse chez Ockham, d’autant que, à la différence de Duns Scot40, il ne reprend nulle part l’idée que ce type de foi pourrait avoir pour fonction d’augmenter l’intensité, et donc la certitude, de l’acte de foi. Pour comprendre la nature et la fonction de la foi infuse chez Ockham, il faut revenir sur le sens qu’il lui accorde.
29Dans le troisième livre des Sentences, Guillaume d’Ockham semble encore hésiter entre deux positions, dont l’une est héritée de Duns Scot41. En un premier sens, que l’on pourrait qualifier de modèle inférentiel, la foi infuse est une sorte de premier principe qui permet d’inférer les articles de foi. Elle est ce qui permet de donner son assentiment à la proposition « tout ce qui est révélé par Dieu est vrai ». En donnant son assentiment à cette proposition, on peut en faire la prémisse d’un syllogisme par lequel on infère ensuite les articles de foi spécifiques :
En un sens, la foi infuse a un complexe pour objet immédiat qui peut être une prémisse et un principe partiel inférant tout article en particulier. Et c’est ce complexe : « tout ce qui est révélé par Dieu est vrai en tant que c’est révélé être vrai ». Car on peut en inférer tous les articles de foi. En effet, on peut argumenter relativement à n’importe quel article « tout révélé par Dieu est vrai en tant que le révélé est vrai, or que Dieu est un et trine, incarné, etc. est révélé par Dieu, donc etc. ». De là, de même que ce complexe est un principe inférant tout article en particulier, de même la disposition de la foi infuse, dont ce complexe est l’objet immédiat, incline de façon médiate à l’acte de choix portant sur tout article en particulier en vertu de ce complexe. Et ainsi il y a une seule foi envers tous les articles de façon médiate et non de façon immédiate42.
30La foi infuse a donc le complexe « tout ce qui est révélé par Dieu est vrai » pour objet immédiat, et les articles de foi, inférés avec le concours de la foi acquise habituelle, comme objet médiat, et elle produit de façon inférentielle un acte de foi acquise portant directement sur un article de foi. Dans la perspective d’un transfert d’évidence des prémisses à une conclusion, la foi infuse joue ainsi un rôle de garante en vertu de sa supériorité, comme les prémisses dans un syllogisme. La foi infuse introduit ainsi une garantie d’ordre supérieur à tout témoignage humain.
31En un second sens, qui obéit cette fois à un modèle causal, la foi infuse est une cause universelle équivoque qui incline immédiatement, mais de façon partielle, à l’ensemble des articles de foi. Ockham ne rejette pas explicitement le premier sens, mais dans ses œuvres plus tardives (comme les Quodlibeta, ou la q. 6, a. 8 des Quaestiones uariae)43, il ne retient plus que le second sens, lequel sera considéré ultérieurement comme la position propre à Ockham44. Or, il semble que, en préférant le modèle causal au modèle inférentiel, Ockham renonce à toute spécification épistémique de la foi infuse, pour la limiter à un rôle de condition nécessaire :
On peut répondre sans assertion que de même que le soleil, en tant que cause universelle, concourt immédiatement, avec toutes les causes secondes à titre partiel, à produire ses effets, comme c’est patent du feu, de l’homme et de l’âne, de même la foi infuse est une disposition universelle inclinant, par sa causalité, universellement et immédiatement à tous les actes relatifs à n’importe quel article auquel incline la foi acquise qui est nécessaire au chrétien. Et on pose cette foi infuse parce qu’il plaît à Dieu que soit infusé un principe susceptible d’incliner à tous les actes de cette sorte45.
32Que signifie, en effet, que la foi infuse soit cause équivoque universelle ? Pour l’expliquer, Guillaume d’Ockham recourt à l’analogie du soleil, cause partielle de la génération. De fait, le mouvement du soleil est une condition nécessaire de la génération d’animaux d’espèces différentes46. Néanmoins, Guillaume ne précise pas davantage ce qu’il entend véritablement par là. Si l’onprendausérieuxl’idéequelafoiinfuseestunecauseefficienteimmédiate, universelle et équivoque, on peut en tirer plusieurs conclusions47. Au sens large, Ockham soutient que la foi infuse est une condition nécessaire de l’acte de foi en général. Dire que la foi infuse est une cause efficiente, c’est dire qu’une fois la cause posée, son effet s’ensuit. Si en outre, elle est immédiate, cela signifie soit qu’elle produit son effet sans intermédiaires, ce qui dans le cas de la foi infuse est exclu (elle serait alors cause totale, suffisante par soi), soit qu’elle est l’une des causes dont l’existence entraîne celle de l’effet, et dont l’absence interdit l’existence de l’effet. En d’autres termes, celui qui n’a pas la foi infuse ne peut avoir véritablement la foi acquise, mais seulement une opinion ferme48. Ensuite, la foi infuse est universelle, c’est-à-dire qu’elle cause une pluralité d’effets avec le concours d’autres causes. Enfin, elle est équivoque en ce que ses effets sont génériquement semblables, mais spécifiquement divers. On a donc bien l’idée, chez Ockham, que la foi infuse, sans être pourvue d’un contenu spécifique, est une condition nécessaire, mais pas suffisante, de la production des actes de foi acquise, et que son absence institue un partage entre la foi et l’opinion, entre le fidèle et l’infidèle.
33Ainsi, la foi infuse a principalement pour fonction de concourir à la production de l’acte de foi acquise, d’assurer l’unité du système de la foi par-delà la variation de la foi acquise, et finalement de garantir la permanence de la notion de foi :
Je réponds que la foi acquise est différente relativement à la proposition « Christ mourra » et « Christ ne mourra pas ». Mais la foi infuse a toujours été la même. Et alors on peut dire qu’une cause par soi seule a un seul effet, et de façon concourante avec une autre cause partielle, elle a un autre effet contraire. Ainsi on peut dire que la foi infuse, avec la foi acquise et l’intellect, incline parfois à la proposition « Christ mourra » et après l’apôtre a su la proposition « Christ est mort » par la vision, et au moyen de cette vision avec la foi infuse et celle acquise, il sait que le Christ est mort, et aussi il sait et croit qu’il ne mourra pas, de sorte que la foi infuse est toujours la même, mais celle acquise varie49.
34À un second niveau, ensuite, la foi infuse est ce qui permet de distinguer le fidèle de l’infidèle ou de l’hérétique. En effet, tant l’hérétique que l’infidèle peuvent adhérer, naturellement, à certains des articles de foi. En revanche, il est impossible qu’ils aient la foi infuse puisque celle-ci est détruite par l’erreur opiniâtre sur un article de foi. Quoiqu’Ockham hésite à ce propos50, dans certains textes il semble soutenir que toute erreur dans la foi acquise entraîne la destruction de la foi infuse, de sorte que nul ne puisse être fidèle par la foi infuse et infidèle par la foi acquise :
Je pose que la foi infuse est une numériquement, laquelle foi ne se tient pas avec l’erreur sur quelque article que ce soit. Mais savoir si la foi infuse est corrompue par l’erreur à propos de quelque article que ce soit en raison de l’opposition formelle à n’importe quelle erreur, ou si elle est seulement corrompue de façon déméritoire, c’est un doute pour beaucoup ; et aucune partie <de l’alternative> ne peut pour nous être établie, sinon par les autorités. […] La troisième objection est la suivante : de la sorte, le même homme est à la fois fidèle puisqu’il a une foi acquise à propos d’un article, et infidèle puisqu’il se trompe sur un autre article. […] Au troisième argument, je réponds que cet homme serait un infidèle car lui manquerait la foi infuse51.
35Ockham suggère ici deux types d’effet psychologique de l’erreur : une erreur peut soit détruire la vérité opposée (donc, autant l’article de foi acquise que la foi infuse qui fonde cet article), soit plus faiblement, remettre en cause le salut de celui qui la soutient, sans pour autant détruire la foi infuse. Dans le premier cas, toute erreur relative à la foi entraîne la disparition des principes qui fondent le système de la foi. Dans le second cas, en revanche, l’erreur ponctuelle affecte ponctuellement le système de la foi, sans en remettre en cause les fondements. C’est finalement la première solution qui est retenue par Ockham, en raison des autorités scripturaires52.
CONCLUSION
36Si l’on résume : la vertu surnaturelle de foi, que seule l’autorité scripturaire nous enjoint à poser, est cause générale de l’assentiment de foi. Elle joue un rôle de condition nécessaire et de critère de distinction entre le chrétien et l’infidèle, mais n’a pas directement de fonction épistémique de garantie de la foi. Il semble que, en un sens, on atteigne ici le point aveugle du système de la foi de Guillaume d’Ockham. En excluant la foi infuse du champ épistémique, Ockham semble devoir s’interdire toute forme de garantie surnaturelle. On peut alors se demander comment est possible cet acte de volonté qu’il place au fondement de la foi, et qui permet de mettre un terme à la régression dans l’ordre des justifications. Comment peut-on décider de croire ? Une solution pourrait être de fonder cet acte de volonté initial sur la foi infuse et sur la charité, de sorte que ce sont les vertus surnaturelles qui permettraient de rendre compte de ce mouvement de la volonté. Mais Ockham ne le dit jamais explicitement. Il le laisse seulement entendre dans la question 6 du quatrième Quodlibet, que l’on a citée plus haut, quand il soutient que seule la foi orientée par la charité est méritoire53. La volonté purement automotrice serait alors une forme particulière de volonté, informée par la charité. Cette lecture est renforcée par l’affirmation récurrente chez Ockham selon laquelle la charité est une cause partielle nécessaire de tout acte méritoire54. Pour que la foi, comme acte de croire aux vérités du dogme chrétien, soit véritablement méritoire, il faudrait que la volonté libre qui décide de croire soit infusée par la charité, mais Ockham ne caractérise nulle part comme telle cette volonté de croire.
37Il reste donc, si l’on s’en tient à la seule lettre, que l’acte de foi est l’acte d’une pure volonté libre qui décide de croire par elle-même. C’est cette thèse fortement volontariste qui va être retenue, ultérieurement, par certains lecteurs55, comme caractéristique de la position ockhamiste. C’est donc ce premier moment de la foi, cette pure exception volontariste, qui va, entre autres questions, retenir l’attention des nominalistes ultérieurs qui recueillent tout ou partie de l’héritage ockhamiste. En particulier, la tension entre naturalisme et volontarisme va apparaître comme l’un des éléments clé de cette position nominaliste.
Notes de bas de page
1 Sur le contexte de l’activité ockhamienne, voir W. Courtenay, « The Academic and Intellectual Worlds of Ockham », dans P. V. Spade (éd.), The Cambridge Companion to Ockham, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 17-30.
2 La réflexion sur la foi n’est pas absente cependant de ces œuvres, et semble marquer une inflexion doctrinale. Voir C. Grellard, « La fides chez Guillaume d’Ockham : de la psychologie à l’ecclésiologie », Archa Verbi, à paraître et V. Leppin, Geglaubte Wahrheit. Das Theologieverständnis Wilhelms von Ockham, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1995.
3 Sur Duns Scot, voir S. Staudinger, Das Problem der Analyse des Glaubensaktes bei Johannes Duns Scotus. Veröffentlichungen der Johannes-Duns-Skotus-Akademie für Franziskanische Geistesgeschichte und Spiritualität Mönchengladbach 22, Kevelaer, Butzon und Bercker, 2006.
4 Jean Duns Scotus Lectura super Sententiarum, L. III, d. 23, q. unica, § 48, p. 115 : « Ad quaestionem tamen dico quod oportet ponere fidem infusam, propter auctoritates Scripturae et sanctorum ; sed non potest demonstrari fidem inesse alicui, nisi praesupposita fide quod velit credere Scripturae et sanctis (sed infideli numquam ostendetur). »
5 Sur cette question, voir notamment, C. Panaccio, « Ockham’s externalism », dans G. Klima (éd.), Intentionality. Cognition and Mental Representation in Medieval Philosophy, Berlin, Springer Verlarg, à paraître.
6 Guillaume d’Ockham Quodlibeta, IV, q. 6, p. 327 : « Ad aliud dico quod homo praedicat revelationem et miracula, non quia causant assensum evidentem, sed quia aliquando causant actum fidei, puta in infideli, aliquando augmentant fidem prius adquisitam. »
7 Voir Jean Duns Scotus Lectura super Sententiarum, L. III, d. 23, q. un., § 15, p. 101 : « Item, si unus puer iudaeus nutriretur inter nos, numquam baptizatus et more nostro divino disciplinatus, ipse fide acquisita ex auditu crederet et adhaereret omnibus quibus nos credimus, sicut etiam ego fide acquisita ex auditu aliorum (scilicet parentum, quorum veritati credo) credo multa tempora transivisse et mundum non incepisse me cum, et credo Romam esse quam numquam vidi, ex relatu fide dignorum ; sic revelatis in Scriptura - per fidem acquisitam ex auditu - firmiter adhaereo, credendo Ecclesiae approbanti veritatem illorum auctorum. »
8 Guillaume d’Ockham Quaestiones in Sententiarum, L. III, q. 9, p. 281 : « Sed ad ponendum fidem adquisitam et spem et caritatem, habetur certa experientia. Nam paganus nutritus inter Christianos ita credit omnes articulos fidei. Similiter, haereticus circa unum articulum potest vere credere alium articulum. Sed neuter istorum habet fidem infusam ; patet ; igitur adquisitam. Similiter est de caritate adquisita, quia unus infidelis instructus inter paganos potest per doctrinam diligere Deum super omnia ex puris naturalibus. Potest etiam laudare Deum, cantare et orare. »
9 Voir Claude Panaccio, « Le savoir selon Guillaume d’Ockham », in : R. Nadeau (éd.), Philosophies de la connaissance, Québec/Paris, Presses de l’université de Laval/Vrin, 2008, p. 91-109 : 31-36, Lili Alanen & Miko Yrjönsuuri, « Intuition, jugement, et évidence chez Ockham et Descartes », dans R. Rashed & J. Biard, Descartes et le Moyen Âge, Paris, Vrin, 1997, p. 155-174 : 154-174.
10 En outre, Ockham ne semble nulle part ailleurs considérer que l’intellect soit actif. Néanmoins, Ockham semble soutenir que sa thèse reste valable quelle que soit la faculté active, c’est-à-dire que ce soit l’intellect ou la volonté (par exemple Guillaume d’Ockham Quaestiones variae p. 188). Par ailleurs, de façon générale, les éditeurs s’avouent incapables de dater précisément la question et supposent qu’elle a pu être disputée plusieurs fois. Voir Guillaume d’Ockham Quaestiones variae, p. 12* : « Quonam tamen tempore et quo ordine Ockham eas disputaverit, certo sciri non potest. Dissensio inter codices suggerit eas diversis temporibus fuisse disputatas. »
11 Voir Alanen & Yrjönsuuri « Intuition, jugement, et évidence », p. 158-165, Ernesto Perini-Santos, La théorie ockhamienne de la connaissance évidente, Paris, Vrin, 2006, p. 71-76, Cyrille Michon : Nominalisme. La théorie de la signification d’Ockham, Paris, Vrin, 1994, p. 55-71.
12 Voir la note des éditeurs à ce propos, p. 1* & 12*. La question se trouve annexée au livre III dans certains manuscrits. Voir p. 12*. Gervasius Waim, quand il présente les positions volontaristes d’Ockham sur la foi, s’appuie sur ce texte : « Venerabilis inceptor in secundo sententie q. xxv in solutione ad xx argumentum dicit quod ab apprehensione complexe et actu voluntatis quo aliquis vult assentire tali complexo producitur assensus fidei. » (Gervasius Waim Tractatus notitiarum, f. 55va [Mazarine 3598, foliotation ajoutée à la main]).
13 Guillaume d’Ockham Quaestiones variae, q. 5, p. 173 : « Si sit contingens, tunc illi assentit intellectus aliquando propter auctoritatem, aliquando propter voluntatem quia vult credere. Si primo modo, assensus respectu auctoritatis causat assensum respectu illius propositionis. Si secundo modo, tunc volitio cum notitiis incomplexis et apprehensione complexi causat illum assensum. » (traduction D. Piché dans Guillaume d’Ockham Intuition et abstraction, Paris, Vrin, 2005, p. 205).
14 La notion d’homo verax renvoie probablement au chapitre 10 du livre IV de l’Ethique à Nicomaque où Aristote aborde la question de la sincérité. Est sincère celui qui accorde ses paroles et ses actes : « Medius autem authekastos quis existens verax et vita et sermone, existencia confitens esse circa ipsum et neque maiora neque minora. » (Aristote, Ethica Nicomachea, IV, 13, Translatio Roberti Grossteste. Recensio pura, Aristoteles latinus XXVI 3, edidit R. Gauthier, Bruxelles-Leiden, Desclée de Brouwer-Brill, 1972, p. 221, 12-14, 1127a 24-26).
15 Guillaume d’Ockham Quaestiones variae, q. 5, p. 184-185 : « Si aliquis credat aliquem hominem universaliter veracem in dictis et factis, et hoc fide adquisita, si tunc dicat sibi assertive et bona fide aliquid esse certitudinaliter verum quod prius non credidit esse verum, ille sic credens primo complexo non potest secundo complexo dissentire. Quia si credat et reputet eum firmiter veracem in dictis et factis, et post dissentiat secundo complexo, reputat tunc illud complexum esse falsum. Igitur non reputat dicentem illud complexum universaliter veracem in dictis, et sic sequitur contradictio. »
16 Guillaume d’Ockham Quaestiones variae, q. 5, p. 185 : « Igitur oportet necessario quod vel nec assentiat nec dissentiat, quod potest fieri si voluntas avertat intellectum ab apprehensione illius complexi ; vel si apprehendat illud complexum, stante actu fidei respectu primi complexi, necessario assentiet secundo complexo. Nec erit aliquo modo in potestate voluntatis impedire illum assensum, facta apprehensione illius complexi, non plus quam potest impedire assensum respectu propositionis per se notae, facta prius eius apprehensione. Ista igitur fides et actus credendi secundo complexo causabitur ex notitia terminorum huius complexi et apprehensione eius et ex actu assentiendi primo complexo quo reputat hominem universaliter veracem in dictis et factis. Quia istis positis, sine omni activitate intellectus vel voluntatis, statim sequitur necessario assensus respectu secundi complexi. »
17 C’est une position assez fréquente au Moyen Âge (on la trouve chez Duns Scot par exemple), à ceci près que l’autorité considérée, en général, est celle de Dieu lui-même. Voir plus bas, les remarques sur ce que je qualifie de conception inférentielle de la foi infuse. Sur la fides comme confiance, voir les analyses de Olga Weijers, « Some notes on fides and related words in medieval latine », Archivium latinitatis medii aevi, 40 (1977) 77-102, Joël Biard, « Certitudo », p. 153-162.
18 Guillaume d’Ockham, Quaestiones variae, q. 5, p. 186 : « quia iste reputat eum veracem in dictis et factis ita quod assentiat firmiter huic complexo ‘iste est verax in dictis et factis’, quaero tunc : a quo causatur iste actus credendi sive assentiendi ? Aut ex notitia terminorum tantum et apprehensione complexi, aut ex aliqua alia notitia evidenti scientifica scientia propter quid vel quia, aut ex notitia intuitiva extremorum, aut ex alio actu credendi quo assentit alicui complexo priori ex quo istud evidenter sequitur, aut propositio ista erit sibi neutra quantum ad omnes praedictas notitias, et tunc si assentiat, hoc erit per actum volendi ». Sur ce texte, voir Perrini-Santos, La théorie ockhamienne de la connaissance évidente, Paris, Vrin, 2006, p. 73-74.
19 Voir Guillaume d’Ockham, Scriptum in Sententiarum, L. I, prol., q. 7, p. 183-206. Dans ce texte, de façon semblable, Ockham s’appuie sur l’impossibilité d’un accès évident aux credibilia pour rejeter la scientificité de la théologie. Dans le cas contraire, l’infidélité serait impossible. Sur ce point, voir Robert Guelluy, Philosophie et théologie chez Guillaume d’Ockham, Louvain/Paris, E. Nauwelaerts/Vrin, 1947, p. 231-243, Joël Biard, Guillaume d’Ockham et la théologie, Le Cerf, Paris, 1999, p. 43 et Id., Guillaume d’Ockham. Logique et philosophie, Paris, PUF, 1997, p. 94-95.
20 Guillelmus de Ockham, Quaestiones variae, q. 5, p. 187 : « Nec primum, nec secundum, nec tertium potest dari quia omnis talis notitia est evidens ex obiecto, sed diversimode. (…). Sed actus fidei adquisitae, ut distinguitur ab aliis habitibus naturaliter adquisitis, non est evidens ex obiecto aliquo dictorum modorum, sicut manifeste patet, quia aliter non distingueretur ab aliis habitibus, igitur etc. »
21 Guillaume d’Ockham, Quaestiones variae, q. 5, p. 187-188 : « Si detur quartum, puta quod iste assentit huic complexo ‘iste est verax in dictis’ etc. quia assentit huic complexo priori ‘nullus potest facere talia facta qualia iste facit nisi esset verax’, quaero tunc : a quo causabitur actus credendi huic complexo ? Et patet quod non potest causari primo modo, secundo vel tertio superius exposito. Et si causabitur quarto modo, quaerendum est de illo priori sicut de isto et erit processus in infinitum quod est inconveniens, vel stabitur ad aliquod complexum cui aliquis firmiter assentit. (…). Unde ergo causabitur actus assentiendi respectu talis complexi ? Respondeo quod a notitia incomplexa terminorum et apprehensione complexi et ex actu volendi quo aliquis vult assentire tali complexo, quantumcumque nullam evidentiam habeat. »
22 Ockham se distingue aussi du volontarisme des franciscains du xiiie siècle en limitant la volonté à un rôle fondateur, originaire mais ponctuel.
23 Il faut noter que l’argument de la régression à l’infini dans l’ordre des justifications du témoignage, y compris celui de Dieu à travers la Révélation, est déjà utilisé par Robert Cowton (fl. 1310), dans une perspective différente, dans un argument quod non qui vise à montrer à la fois que l’on ne peut avoir de certitude à ce propos et que l’on ne peut fonder ce témoignage dans l’habitus de foi acquise puisque cela ferait dépendre la foi infuse de la foi acquise en tant que principe de toute inférence ultérieure. Voir Robert Cowton, In tertium Sententiarum, d. 23, q. unica, dans H. Theissing, Glaube und Theologie bei Robert Cowton OFM, Münster, Aschendorf, 1969, p. 325 : « Quod autem ponendo fidem infusam modo praedicto ponatur iste articulus Deus est trinus et unus ab infinitis articulis dependere, declaro sic : Tu dicis te credere hunc articulum Deus est trinus et unus, quia credis istud totum complexum, scilicet Deum esse testem, qui istum articulum revelavit. Tunc quaero : Unde scias quod Deus est verax revelator ? Et sic in infinitum. Et per consequens de dicto articulo numquam habebo cognitionem certam. Si dicatur sic : Credo huic articulo Deus est trinus et unus et quand quaeris : Quomodo credo ? Dico quod habitus fidei. Contra : si istud sit verum sequitur quod verior et perfectior est cognitio per fidem adquisitam quam infusam. Probatio : Perfectior est cognitio principii quam conclusionis et cognitio conclusionis dependet a cognitione principii. Si igitur de illo articulo Deus est trinus et unus habetur cognitio, quia creditur Deum qui revelavit istum articulum esse veracem in revelatione et quod sit verax revelator credis fide acquisita. Igitur certitudo fidei infusae dependet ex cognitione fidei acquisitae quod est falsum. »
24 Guillaume d’Ockham, Quaestiones uariae, q. 4, p. 134 : « Non per solum imperium voluntatis causatur actus opinandi, quia opinio non est sine ratione et medio saltem probabili : Et similiter Philosophus dicit ibi quod intellectus tunc excaecatur - dubium est quo modo : Ad primum respondetur quod Philosophus intelligit quod si intellectus non solum apprehendat hoc complexum ‘omne dulce est gustandum’, sed quod assentiat sibi per actum opinandi : si tunc stet in voluntate volitio efficax - sicut prius dictum est - cum dictamine respectu huius quod hoc est dulce, demonstrato aliquo, tunc conclusum est voluntati, sicut dictum est. »
25 Guillaume d’Ockham, Quodlibeta, IV, q. 6, p. 323 : « Ad istam quaestionem dico quod audiens praedicationem et videns miracula fieri, non adquirit per hoc notitiam evidentem de illis articulis, sed solum adquirit fidem. » Le quatrième Quodlibet est daté par les éditeurs de l’automne 1323 (p. 38*). Sur ce texte, voir les analyses de Perrini-Santos, La théorie ockhamienne de la connaissance évidente, p. 76-84.
26 Guillaume d’Ockham, Quodlibeta, IV, q. 6, p. 323-324 : « Sed contra : voluntas virtuose imperat intellectui quod assentiat articulo fidei ; igitur virtuose imperando praesupponit rationem rectam quod sic est imperandum, aliter non esset virtuosa, quia non imperaret scienter. De illa ratione recta quaero : aut est evidens aut non est evidens. Si est evidens, habetur propositum. Si non, igitur adhaeret illi rationi quia vult. Illa volitio potest esse virtuosa, quia virtuose potest imperare illam adhaesionem ; et per consequens illa volitio praesupponit rectam rationem. Et de illa quaero : aut <non> est evidens, ut prius, et erit processus in infinitum ; vel erit aliqua ratio evidens, et habetur propositum. » La cohérence de l’argument impose, me semble-t-il, la correction de l’alternative finale. L’objection se trouve chez Gauthier Chatton. Voir Gauthier Chatton, Collatio ad Librum Primum et Prologus, prol. q. 1, a. 5, p. 67 : « Quia voluntas potest virtuose imperare intellectui quod assentiat, aut intellectus potest rationabiliter dictare sic esse imperandum, vel non. Si non, igitur, non esset voluntas virtuosa, quia non imperat scienter, rationabiliter, et ex deliberatione, nec faceret quia bonum. Si sic, igitur aliqua est ratio quae hoc dictat. (…). Et quaero de illa ratione sicut prius : aut est evidens in persuadendo, circumscripto imperio voluntatis, et habetur propositum ; aut non, sed mediante imperio voluntatis solum. Quaero de illo actu voluntatis, et sic in infinitum ; vel stabitur ad aliquam ratinem persuasivam, circumscripto imperio voluntatis. »
27 Sur la droite raison chez Ockham, voir David W. Clarck, « William of Ockham on Right Reason », Speculum 48 (1973) p. 13-36 et S. Müller, Handeln in einer kontingenten Welt. Zu Begriff und Bedeutung der rechten Vernunft (recta ratio) bei Wilhelm von Ockham, Tübingen, Francke, 2000.
28 Guillaume d’Ockham Quodlibeta IV, q. 6, p. 325 : « Et illum assensum potest voluntas virtuose imperare, ut intellectus conservet adhaesionem fidei iam causatam respectu articulorum. Sed non potest meritorie imperare ut illi articulo de novo adhaereat, quia numquam imperat meritorie nisi imperet ex caritate, quae caritas non praesupponitur tali fidei. »
29 Guillaume d’Ockham, Quodlibeta IV, q. 6, p. 325 : « Et concedo quod illa volitio virtuosa praesupponit rectam rationem quod sic est imperandum, licet non praesupponat rectam rationem evidentem quocumque modo. Tamen scienter imperat, quia percipit se sic dictare. »
30 Guillaume d’Ockham, Quodlibeta IV, q. 6, p. 325 : « Et quando quaeritur utrum illa ratio praesupponat aliquem actum voluntatis propter quem dictat, potest uno modo dici quod non. Quia quamvis sciat rationes solvere, quia tamen rationes sunt multum apparentes, nec aliquam rationem habet in contrarium, et reputat praedicantem articulos veracem pro eo quod nullam falsitatem reperit in eo, et videt praedicationem per miracula confirmari, omnia ista simul sine omni actu voluntatis causant illud dictamen quod assensus respectu articulorum est imperandus. »
31 Je ne crois pas qu’il faille lire le aliter comme indiquant le second membre d’une alternative exclusive, mais plutôt comme indiquant le second niveau de causalité à l’œuvre dans l’assentiment de foi.
32 Guillaume d’Ockham, Quodlibeta IV, q. 6, p. 326 : « Aliter potest dici quod illa ratio praesupponit actum voluntatis, non respectu huius complexi, quod sic est dictandum, sed actum quo imperat assensum respectu talium complexorum ‘ista sunt vera miracula’, ‘iste praedicans est verax homo’, etc. ; ex quibus statim causatur assensus respectu huius complexi ‘assensus respectu articulorum est dictandus’. »
33 Guillaume d’Ockham, Quodlibeta IV, q. 6, p. 326 : « Sed actus voluntatis quo imperat primum actum credendi in toto processu, non est nec potest esse intrinsece virtuosus, quia non praesupponit rectam rationem. »
34 Voir sur ce point les remarques de Perrini-Santos, La théorie ockhamienne de la connaissance évidente p. 82. Je ne partage pas cependant l’ensemble des conclusions auxquelles il parvient.
35 Sur l’habitus de foi chez Ockham, et sur ses antécédants, voir Leppin, Geglaubte Wahrheit, p. 171-190.
36 Jean Duns Scotus Lectura L. III, d. 23, q. un., § 15 cité ci-dessus note 7.
37 La formulation la plus fréquente du rasoir chez Ockham est la suivante : « frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora ». Voir par exemple, Guillaume d’Ockham, Expositio in libros Physicorum Aristotelis, IV, 1, 13, p. 133.
38 Guillaume d’Ockham, Quaestiones in Sententiarum, L. III, q. 9, a. 1, p. 279 : « Sed omnes operationes quas experimur, mediantibus istis habitibus supernaturalibus, possumus experiri mediantibus habitibus naturalibus. Patet discurrendo per actum fidei, spei et caritatis, quia unus paganus nutritus inter Christianos potest omnes articulos fidei credere, et Deum super omnia diligere. »
39 Guillaume d’Ockham, Quaestiones in Sententiarum, L. III, q. 9, a. 3, p. 290 : « Patet, nam puer baptizatus nutritus solitarie alicubi, ubi numquam instruitur de articulis fidei, ille habet fidem infusam et usum rationis. Et tamen nullum actum credendi circa quemcumque articulum potest elicere. Igitur ad actum eliciendum circa articulum specialem requiritur necessario fides adquisita circa illum articulum, puta per auditum. Quia fides adquisita, secundum Prophetam est ex auditu, vel per visum, puta si videat aliquem articulum scriptum in libro et ei credat. »
40 Voir Jean Duns Scotus, Lectura, L. III, d. 23, q. un., § 48-49, p. 115-116 : « Sed sicut credo Deum esse trinum et unum, ita credo me habere fidem infusam qua hoc credo, et in anima, ut perficiat animam in actu primo, quia haec est lex divina quod, quando perficit, perfecte perficit, sicut quando sanat aliquem secundum corpus, perfecte sanat pro statu in quo est, ita etiam secundum animam ; et quia in anima est imago Dei secundum potentias tres, et deformatae erant per peccatum, Christus, sicut reformando perficit voluntatem per caritatem, sic per fidem intellectum. (…). Nec pono habitum fidei infusae solum propter gradum in actu, sed etiam propter assensum, quia assensus non est totaliter a voluntate. Istud non oporteret appetere, si totus assensus a voluntate esset. Nec fides excludit omnem dubitationem, sed dubitationem vincentem et trahentem in oppositum credibilis. »
41 Voir jean Duns Scotus, Lectura, L. III, d. 23, q. un., § 22, p. 104 : « Tamen potest dici quod fides infusa similis est in aliquo fidei acquisitae, immo in multis, quia sicut fides acquisita credit veracitati testis asserentis huiusmodi credibilia esse vera, et quia credit veracitati illius, ideo assentit conclusioni assertae ab eo, sic haec fides infusa assentit alicui revelato a Deo, quia credit veracitati Dei asserentis. Et quia Deus, illud quod asserit, illud supernaturaliter revelat, ideo fides - assentiens illi quod revelatum est - quia assentit veracitati revelantis, est supernaturalis habitus ; revelat autem credibilia quando infundit habitum. »
42 Guillaume d’Ockham, Quaestiones in Sententiarum, L. III, q. 9, a. 3, p. 289 : « Uno modo quod fides infusa habet aliquod complexum pro obiecto immediato quod potest esse praemissa et principium partiale inferens omnem articulum in speciali. Et est istud complexum ‘omne revelatum a Deo est verum sicut revelatur esse verum. Nam istud potest inferre omnem articulum fidei. Potest enim sic argui respectu cuiuslibet articuli ‘omne revelatum a Deo est verum sicut revelatum est esse verum’. Sed Deum esse trinum et unum, incarnatum et passum etc., est revelatum a Deo. Igitur etc. Unde sicut istud complexum est principium inferens omnem articulum in speciali, ita habitus fidei infusae, cuius hoc complexum est immediatum obiectum, inclinat mediate ad actum elicitum circa omnem articulum in speciali virtute huius complexi. Et sic est una fides omnium articulorum mediate, non immediate. »
43 Guillaume d’Ockham, Quaestiones uariae, q. 6, a. 8, p. 247 : « Respondeo quod tantum est una fides numero infusa inclinans immediate ad assentiendum cuilibet articulo tam ad principia quam ad conclusiones. Quod enim sit una numero patet per auctoritatem Apostoli. Quod autem inclinet immediate ad assentiendum cuilibet articulo apparet magis rationabile, - si potest salvari -, quam quod mediate inclinet ad assentiendum uni complexo universali et mediante illo inclinet ad assensum articulorum, secundum viam alibi positam. Potest igitur poni quod sicut sol est causa aequivoca et non univoca respectu productorum hic inferius, et est causa immediata ad producendum partialiter distincta secundum speciem, et causa universalis et aliae causae particulares univoce producentes diversificantur secundum speciem, sicut effectus eorum diversificantur secundum speciem. Patet exemplum de generatione aeris, asini, bovis etc., ita quod sol concurrit cum igne sicut causa partialis immediata aequivoce, et ignis univoce, et cum aere et cum asino, et licet ignis et aer qui producunt univoce suos effectus distinguantur secundum speciem et secundum numerum, tamen sol qui est causa universalis et aequivoca est unus numero, quantumcumque producta sint plura et distincta secundum speciem. » Cet article de la question 6 des Quaestiones variae est contemporain de la rédaction du livre III des Sentences, auquel il est annexé dans certaines manuscrits. Voir la note des éditeurs, p. 18*.
44 Par exemple, Gabriel Biel, Collectarium circa quattuor libros Sententiarum, L. III, d. 23, q. 2, p. 412-414 : « Alia positio quod fides infusa immediate inclinat ad actus omnium articulorum fidei et non ad unum mediante alio, sed aeque immediate ad quemlibet concurrente tamen simul fide acquisita. Et ponit hoc modo Occam in Quodlibeto III, q. 7. » Voir aussi, ci-dessous, les remarques sur Jean Mair. En revanche, dans l’œuvre ecclésiologique, Ockham semble revenir à la première thèse. Voir Grellard, « La fides chez Guillaume d’Ockham ».
45 Guillaume d’Ockham, Quodlibeta, III, q. 7, p. 232 : « Ad primum istorum potest dici sine assertione quod sicut sol tamquam causa universalis concurrit immediate cum omnibus causis secundis partialiter ad producendum suos effectus, patet de igne, homine et asino, ita fides infusa est unus habitus universalis universalitate causalitatis inclinans immediate ad omnes actus respectu cuiuscumque articuli ad quos inclinat fides adquisita quae est necessaria christiano. Et ponitur ista fides infusa, quia placet Deo sibi infundere principium inclinativum ad omnes tales actus. » ; voir aussi Guillaume d’Ockham, Quaestiones in Sententiarum, L. III, q. 9, a. 3, p. 296 : « Aliter potest dici quod non est inconveniens quod multorum effectuum specie distinctorum sit una causa aequivoca immediate, sicut patet de sole respectu hominis, asini, etc. Ita fides infusa tamquam causa aequivoca inclinat immediate ad actus omnium articulorum, qui articuli distinguuntur specie et eorum actus. »
46 Voir Aristoteles, Physica II, 2, 194 b 13 (J. Hamesse, Auctoritates Aristotelis, p. 145, § 65) : « Homo generat hominem et sol ».
47 Sur la notion de cause universelle, voir Guillaume d’Ockham, Expositio in libros Physicorum Aristotelis, IV, 1, 1, 2, p. 21, IV, 2, 6, p. 307 ; sur la notion de cause équivoque, voir Guillaume d’Ockham, Quaestiones super libros Physicorum Aristotelis, q. 133, p. 758-759.
48 Il y a cependant une difficulté à ce niveau, puisque Guillaume d’Ockham a distingué la foi acquise et l’opinion par l’intervention de la volonté dans l’une (au moins à titre de fondement ou de point de départ) et pas dans l’autre. Une lecture stricte de la position ockhamiste supposerait de dire que le processus volontariste décrit dans les Quaestiones variae ou dans les Quodlibeta ne vaut que pour celui qui a la foi infuse. Mais il resterait à expliquer la croyance des infidèles ou des hérétiques, soit en montrant qu’elle n’est pas à proprement parler volontaire, soit en faisant intervenir une catégorie particulière d’opinion volontaire.
49 Guillaume d’Ockham, Quaestiones in Sententiarum, L. III, q. 9, a. 3, p. 297 : « Respondeo quod fides adquisita est alia respectu huius complexi ‘Christus morietur’ et respectu huius ‘Christus non morietur’. Sed fides infusa semper fuit eadem. Et tunc potest dici quod aliqua causa ex se sola habet unum effectum, et concurrente cum ea alia causa partiali habet alium effectum contrarium. Ita potest dici quod fides infusa cum fide adquisita et intellectu inclinat aliquando ad istam ‘Christus morietur’, et post Apostolus scivit istam ‘Christus moritur’ per visionem, et mediante ista visione cum fide infusa et adquisita scit quod Christus mortuus est, et etiam scit et credit quod non morietur, ita quod fides infusa semper est eadem, sed adquisita variatur »
50 Guillaume d’Ockham, Quaestiones variae, q. 6, a. 8, p. 249-250 : « Et ideo licet aliquis habeat fidem adquisitam circa unum articulum et errorem circa alium, et per consequens non habet fidem adquisitam respectu illius, tamen bene potest habere fidem infusam respectu utriusque articuli. Si dicas quod tantum repugnant fides infusa et error circa eundem articulum sicut error et fides adquisita, respondeo : nego istud. Et ideo ex hoc quod error opponitur fidei adquisitae, non sequitur quod opponatur fidei infusae. Et ideo non est repugnantia formalis inter errorem adquisitum et fidem infusam et per consequens possunt simul stare. Si dicas quod tunc simul erit aliquis fidelis et infidelis sive haereticus respectu eiusdem, conclusio posset concedi quod aliquis sit fidelis fide infusa et haereticus sive infidelis errore adquisito. »
51 Guillaume d’Ockham, Quodlibeta III, q. 7, p. 230-232 : « Pono quod fides infusa est una numero ; quae fides non stat cum errore circa quemcumque articulum. Utrum autem fides infusa corrumpitur per errorem circa quemcumque articulum propter repugnantiam formalem ad quemlibet errorem, vel solum corrumpitur demeritorie, est dubium apud multos ; et neutra pars potest nobis constare nisi per auctoritates. (…). Tertium, quia sic idem homo simul est fidelis, quia habet fidem adquisitam circa unum articulum, et infidelis, quia errat circa alium articulum. (…). Ad tertium dico quod ille homo esset infidelis, quia caret fide infusa. »
52 Ockham fait référence à Eph. 2, 8-9 et 4, 5 selon l’éditeur des Quodlibeta.
53 Guillaume d’Ockham, Quodlibeta, IV, q. 6, cité note 28.
54 Voir par exemple, Guillaume d’Ockham, Quaestiones in Sententiarum, L. III, q. 7, p. 219 ; q. 11, p. 374 ; Guillaume d’Ockham, Scriptum super Sententiarum, L. IV, q. 5, p. 51.
55 Par exemple Gervasius Waim, rapportant la position ockhamiste, Tractatus notitiarum, f. 55vb : « Fides est assensus verus libere causatus. »
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