Chapitre I. « Vivre contre un mur » : diagnostic sur l’état de notre nature en régime de terreur ordinaire
p. 75-89
Texte intégral
« Vivre contre un mur, c’est la vie des chiens. Eh bien !
Les hommes de ma génération et de celle qui entre aujourd’hui dans les ateliers et les facultés ont vécu et vivent de plus en plus comme des chiens. »
« Ni victimes ni bourreaux », Combat, novembre 1948
L’ANIMALISATION ET LA QUESTION DE L’ANTHROPOGENÈSE
1Aux antipodes du corps ressuscitant du Christ de Piero, c’est une tout autre animalisation qui préoccupe Camus en 1946. Au sortir de la guerre, la réflexion de Camus porte moins, en effet, sur l’état du monde que sur l’état de la nature de l’homme et sur la possibilité d’agir sur son devenir. Une nature profondément « mutilée », fixée dans un éternel présent, prisonnière d’un affect qui la domine et l’occupe (presque) entièrement, la terreur. Un affect corrélatif de nouveaux critères de jugement fondés sur la réussite ou l’efficacité :
[…] la génération dont je parle sait bien que cette crise n’est ni ceci ni cela : elle est seulement la montée de la terreur consécutive à une perversion des valeurs telle qu’un homme ou une force historique n’ont plus été jugés en fonction de leur dignité, mais en fonction de leur réussite. La crise moderne tient tout entière dans le fait qu’aucun Occidental n’est assuré de son avenir immédiat et que tous vivent avec l’angoisse plus ou moins précise d’être broyés d’une façon ou l’autre par l’Histoire1.
2C’est une « époque » historique et sa crise, ainsi que le type d’homme qu’elles produisent, qu’il s’agit ainsi de comprendre.
3Camus, penseur de « la crise moderne », est aussi un penseur de la radicalité. Un penseur du refus de la domination, donc aussi de la résistance. C’est cet aspect critique et politique de l’œuvre que nous voudrions, dans notre seconde partie, éclairer. D’abord, dans ce chapitre 1, à partir des textes qui ont immédiatement suivi la guerre et la Libération ; puis (dans notre chapitre 2) à partir, essentiellement, du commentaire de cet ouvrage majeur, publié en 1951, qu’est L’Homme révolté. Car la crise (krisis) - et la pensée de la crise -, c’est aussi, pour Camus, le moment d’une décision.
4La revendication « humaniste » de la conférence donnée aux États-Unis, La Crise de l’homme, ne serait qu’un cri angélique si ce texte ne touchait à une question décisive que Camus va traverser avec acuité et courage : celle de l’anthropogenèse. Une question qui concerne les conditions effectives de la constitution de l’être humain en tant qu’être humain et, inversement, celles - que Camus, en 1946, pouvait redouter comme déjà actuelles - de son animalisation.
5Le mot « animalisation » (écho d’Alexandre Kojève qui, la même année, s’interrogeait sur « la fin de l’histoire » et sur le statut à accorder aux êtres humains2) n’est pas employé dans la conférence de Camus, mais l’idée est bien présente. En partie aussi décapée (comme chez le commentateur de La Phénoménologie de l’Esprit) de son acception moralisante car il s’agit, en premier lieu, de s’interroger sur l’effacement de la spécificité même de l’être humain, autrement dit de ce qui fait la différence anthropologique. Or, quand l’être humain s’efface, c’est la question du statut de son reste et aussi celle d’une énigmatique puissance, source de renaissance, qui s’imposent alors. Soit la question de la monstruosité corrélative, nous allons le voir, d’une certaine conception du temps.
6De Meursault à Caligula, le monstre hante, de manière ambivalente, la première phase de l’œuvre de Camus (et le thème se retrouvera dans le Premier Homme et dans la proximité, en tensions, des personnages de Jacques Cormery, de Meursault… et de Camus lui-même3). Après la guerre, à travers la réflexion sur le nihilisme, la figure du monstre se politise. Camus avance, en ce domaine, des idées aussi paradoxales que scandaleuses. Et cela, aussi bien en son temps que pour le nôtre. Des idées justement tournées contre les « humanismes » de la modernité, qu’ils soient conservateurs ou marxistes (Camus reconnaît cependant la pertinence et l’utilité de la critique de Marx, tout en rejetant sa philosophie de l’histoire - nous y reviendrons). Bref, comme il s’en excusait presque, auprès des lecteurs de Combat (du 31 août 1944) à propos de la charge qu’il mène alors contre « la nouvelle presse », Camus joue les trouble-fête en parlant, « au milieu de l’enthousiasme général », de ce qui fait mal et de ce qui, nécessairement, divise et l’isole (ce qui explique aussi qu’il ne pourra pas être entendu).
7Début 1946. Quelques mois après la victoire contre le nazisme et au cœur de la glorification institutionnelle de la Résistance, Camus ouvre en effet un dissensus fondamental. La victoire n’a non seulement rien résolu du problème essentiel (ici traité sous le thème nietzschéen du « nihilisme ») que l’homme européen doit affronter quant à son devenir, mais elle a, au contraire, illusoirement éloigné ce problème à ses yeux, voire l’a effacé. L’occupant nazi a été battu mais pas la terreur qui occupe les esprits. Une terreur dont le nazisme, malgré l’horreur extrême de sa tyrannie, n’est pas la cause première mais bien les rapports constants de violence et de domination (Camus dit : de « volonté de puissance ») et aussi leurs justifications idéologiques qui, avant le nazisme comme après lui, continuent à entretenir cette terreur structurelle, officielle, normale, rationnelle, à laquelle plus aucun esprit (ou presque) n’est aujourd’hui capable de résister, même en démocratie…
Car si rien n’est vrai ni faux, si rien n’est bon ni mauvais, et si la seule valeur est l’efficacité, alors la règle doit être de se montrer le plus efficace, c’est-à-dire le plus fort. Le monde n’est plus partagé en hommes justes ou hommes injustes, mais en maîtres et en esclaves. Celui qui a raison, c’est celui qui asservit. […] L’officier allemand qui torture et celui qui exécute, les S. S. transformés en fossoyeurs, voilà les hommes raisonnables de ce nouveau monde. Regardez donc les choses autour de vous, et voyez si maintenant encore ce n’est pas vrai4.
8Nous sommes le 28 mars 1946. C’est le premier paradoxe : le constat d’un échec éthique de la Résistance et de la Libération (dans ses effets) qui est aussi l’échec éthique d’une raison soumise à la dialectique de l’Histoire qui l’instrumentalise.
9Un paradoxe immédiatement suivi d’une idée scandaleuse quand Camus suggère une continuité de nature, quant à la domination qui occupe l’homme, des périodes de guerre et de paix, du nazisme haï et de la démocratie tant aimée et heureusement retrouvée… Car en réalité on ne sort pas de l’état de guerre (ou d’une véritable logique du meurtre consentie par « presque tous5 »). La crise de l’homme, c’est l’inaptitude, ici-maintenant, à la « liberté de l’esprit6 », c’est-à-dire à la résistance singulière à une domination devenue secrète, structurelle, rationnelle et finalement constitutive du nouvel être de l’homme. Le régime de terreur du fascisme que, très rapidement pour sa tranquillité, « le monde a commencé d’oublier7 », ne serait-il pas, en vérité, le régime secret de l’esprit moderne8 ? D’où la conséquence : « Le problème le plus sérieux qui se pose [alors] aux esprits contemporains : le conformisme9. »
10Cette analyse, Camus ne la fait pas du point de vue d’une doctrine téléologique - elle-même alors idéologiquement dominante - qui projette dans l’avenir une autre Libération qui serait définitive, dans l’établissement de la « Société universelle » et du « Paradis sur terre10 » dont l’avènement serait inéluctable. Cet imaginaire (de la philosophie hégélo-marxiste de l’histoire) est lui-même considéré, dans le fatalisme qu’il impose, comme une des causes déterminantes de la terreur présente des esprits. Que l’on cède, en effet, au scepticisme du « rien n’est vrai » et du « tout est égal » du sentiment de l’absurde ou à la dogmatique croyance politique en un destin historique inéluctable, la conséquence pratique est la même : l’abandon à une pensée qui ne reconnaît la valeur des actions que dans leur « réussite ». Et cela, l’efficacité de moyens d’actions qui n’ont de valeur qu’en fonction des fins qu’ils permettent d’atteindre est bien la caractéristique majeure du régime pragmatique de terreur. C’est de ce régime dont il va falloir être capable de se libérer… D’abord en comprenant sa genèse et sa logique dans son articulation à une théorie de l’agir et à une conception du temps dont Camus avait donné, dix ans plus tôt, les prémisses dans L’Envers et l’Endroit, puis dans Noces.
11Dans « Le vent à Djémila », la position camusienne d’une philosophie du présent et de la présence conduisait à une exigence éthique : le devoir d’« être entier dans cette passion passive11 ». Camus posait en effet une conception de l’être-au-présent (et/ou de l’être-temps comme présent12), inséparable d’un « goût de la mort13 » immanent à toute affirmation. « Oui, je suis présent14 », écrit Camus, et, dans cette présence, s’éprouve avec lucidité « la certitude consciente d’une mort sans espoir15 ». La « vie », indépendante de la réussite ou de l’efficacité, se dit alors comme le jeu éternel du « temps du désir sans objet16 », c’est-à-dire un « présent » en proximité absolue avec la mort, sans finalité ni manque. La gloire de l’actuel, éprouvée dans la présence comme don, s’étaye ainsi sur une passivité essentielle par laquelle peut s’accomplir une vérité qui est celle du soleil et qui sera aussi, dit-il, celle de ma mort17. C’est la vérité d’un homme nu qui est le monde18, en communication fraternelle avec toutes choses (comme avec sa propre mort). La possibilité même d’une vie « humaine » dans l’histoire va alors se jouer dans la manière (la nuance) avec laquelle pourra être « réglée » la tension, voire la contradiction meurtrière (il s’agit de trouver une « règle de conduite19 » pour une « communauté par laquelle tous les hommes communiquent20 »), entre le temps propre du désir sans objet ni origine ni fin, et le temps d’une histoire qui donne nécessairement, dans l’imaginaire comme dans le réel (le réel des actions que cet imaginaire institue), des objets au désir, autrement dit une histoire qui impose une nécessité téléologique au temps. Cette résolution (favorable) du temps, à la fois historique et anthropologique, est la condition même, chez Camus, d’une anthropogenèse.
12La leçon éthico-politique de Camus c’est qu’au contraire, lorsque l’objet imposé au désir est massivement celui de la « réussite » ou de l’« efficacité », le « temps » de l’histoire est alors celui « des meurtriers21 »… Des meurtriers de l’humanité (possible) de la nature des hommes, car ce temps historique est devenu contradictoire au désir même d’humanité (de communauté et de communication). Une nature « humaine » qui est donc indéfiniment faite et défaite, par le temps historique, dans le jeu indéfini de sa tension avec le désir sans objet. C’est de ce point de vue que Camus peut porter un diagnostic sur l’état misérable d’une nature fixée par son objet historique propre dans un éternel présent, selon une résolution singulière du temps : le diagnostic d’une vie de chiens. Non pas parce que l’homme est devenu réellement un animal, mais plutôt parce que son nouveau statut, comme être-historico-politique moderne, est incertain et que sa vie est semblable à celle des bêtes (« comme des chiens »). En fait, il n’y a de mot dans aucune langue pour dire cette réduction animalisante. C’est donc de monstruosité dont il faut parler, en tant que les hommes sont adéquatement devenus les fonctionnaires d’un monde dont la rationalité (guerrière et instrumentale) détruit l’idée même de « monde » (de monde-commun) et par là même d’une nature (et/ou d’une vie) véritablement humaine, inséparable d’un temps anthropogène. Est-ce là une analyse et une revendication platement humanistes au nom d’une nature humaine (et morale) qu’il s’agirait de sauver…? Je ne le crois pas. La pensée de Camus, qui affronte ici, de fait, la question des conditions théoriques du dépassement de la pensée dialectique, est bien plus complexe. Avant même l’écriture de L’Homme révolté, il s’agit, dans le contexte de l’après-guerre, de dégager la notion de résistance (et la Résistance effective qui a été menée contre le nazisme) du concept dialectique de la « négation de la négation ». Donc de libérer la résistance d’une négativité meurtrière qui, aux yeux de Camus lecteur de Kojève, est la forme politique continuée du nihilisme anthropologique chrétien, dans la scission originaire que la dialectique hégélienne pose et maintient entre l’homme (comme conscience de soi) et la nature22. Contre Kojève - mais à partir de son interrogation -, il faut donc repenser l’anthropogenèse et la logique de sa dynamique, en dehors de l’idéologie dialectique.
LES DIEUX BARBARES ET LA « PROMESSE » D’AVENIR…
13C’est alors du point de vue des « barbares », et d’une barbarie à toujours préserver et à défendre, que Camus mène, en vérité, son combat philosophique. Car, comme il l’écrivait dès 1938, c’est de « trouver une démesure dans la mesure23 » qu’il s’agit, au fond. La mesure, en effet, « la vraie », est celle « qui n’a rien à voir avec une certaine “mesure” confortable24 » ! Elle rayonne en effet puissamment et paradoxalement de la lumière barbare d’un « dieu noir25 ». Il y a donc, pour Camus, une dimension de monstruosité immanente à penser, à préserver et à défendre, afin que la vie des hommes ne devienne pas, par l’Histoire imposée, monstrueuse. Cette monstruosité ontologique de la puissance vitale surabondante, c’est celle d’un temps du désir sans objet, temps-source d’une vie historique humaine possible, dans et par la constitution indéfinie du « commun ». Le temps du désir sans objet, c’est d’abord - pour le Camus des premiers écrits - le temps d’« une vie à l’état pur26 », temps de la sympathie de toutes choses et de la « gloire27 », l’être-temps d’une vie qui est puissance d’être ou le « droit d’aimer sans mesure28 » d’un amour qui est celui du monde, de sa « tendresse et [de] [sa] gloire29 ». Car, en vérité, « il n’y a qu’un seul amour dans ce monde30 », un amour qui n’a de valeur, pour nous, que d’être innocent et sans objet31.
14Mais comment parler de démesure et de barbarie porteuses d’avenir (comme Camus le faisait dix ans plus tôt dans Noces) à des femmes et à des hommes à peine délivrés du délire nazi - de sa barbarie et de sa démesure ! Et quand le monde est toujours sous la menace d’une prochaine apocalypse ! En cette situation, dos au « mur », il fallait non seulement s’efforcer de se faire entendre mais aussi être « modeste ». Il s’agit seulement alors, pour Camus, de parler et de lutter pour préserver « leur chance à d’autres générations », en sauvant « ce qui peut être encore sauvé, pour rendre l’avenir possible32 ».
15On ne comprendrait cependant pas Camus si l’on oubliait ses propres « barbares ». C’est-à-dire la puissante « promesse » qu’il perçoit à travers ces « jeunes gens de la plage Padovani à Alger qui passent toute l’année au soleil33 » ou ceux qui, en canoë, forment « une fauve cargaison de dieux34 »… C’est ainsi qu’il écrit dans « L’été à Alger » : « Le contraire d’un peuple civilisé, c’est un peuple créateur. Ces barbares qui se prélassent sur des plages, j’ai l’espoir insensé qu’à leur insu peut-être, ils sont en train de modeler le visage d’une culture où la grandeur de l’homme trouvera enfin son vrai visage35. » Réminiscence nietzschéenne (certes) de la puissance créatrice des barbares, qui ne sauraient cependant servir directement d’exemples de vie humaine… Ces barbares nus, pacifiques et sans but, qui fêtent indéfiniment, dans un éternel présent, leur jouissance fraternelle avec la terre, l’eau et la lumière, disent, simplement à leur manière, le type puissant de désir et d’amour (« innocent », « sans mesure » et « sans objet ») qui, au cœur battant de la vie, porte la puissante promesse d’une « création ». La résistance camusienne s’ancrera dans cette « promesse » : elle n’est pas la négation d’une négation mais l’affirmation puissante et joyeuse d’une création, celle de la fécondité ou de la productivité même d’un désir anthropogène.
16À la sortie de la guerre et de la Résistance, Camus écrit dans les Carnets de novembre 1945 :
L’homme n’est rien de lui-même. Il n’est qu’une chance infinie. Mais il est le responsable infini de cette chance. De lui-même, l’homme est porté à se diluer. Mais que sa volonté, sa conscience, son esprit d’aventure l’emportent et la chance commence de croître. Personne ne peut dire qu’il a atteint la limite de l’homme. Les cinq années que nous venons de passer m’ont appris cela. […] Il n’y a qu’un but possible aux grandes actions et c’est la fécondité humaine36.
17Mais il y a un paradoxe du présent et de la présence sur laquelle s’étaye la résistance. Car ce présent est, à la fois, le creuset de l’anthropogenèse et aussi son maelström. Il faudra, en effet, soigneusement distinguer le présent historico-politique de la présentification, qui colle « contre un mur », et l’expérience quasi spinoziste, sub specie æternitatis37 -dans la tension même du désir sans objet - du temps de la présence et de l’absence à partir duquel peut se construire le temps anthropogène qui ouvre à un avenir. Or, dans « Le vent à Djémila », ces deux présents se confondent de manière tragique38. Mais avec l’élaboration progressive d’une problématique de la résistance qui aboutira, dans l’aspect le plus immanentiste et vital de L’Homme révolté, à la conception d’une résistance active, nourrie de la seule dimension dynamique et puissante du naturalisme au soubassement de l’œuvre, Camus sépare alors clairement ces deux présents en pointant le nihilisme mortifère de la présentification de la domination historique et, à l’inverse, la « vertu vivante » du présent, lui-même vivant d’une fécondité du temps. Par-delà le bien et le mal ne signifie pas nécessairement par-delà le bon et le mauvais. Cette distinction (qui est aussi un déplacement de problématique) existe déjà, nous l’avons vu, dans la puissante dimension, naturaliste et épicurienne, qui parcourt le texte de L’Étranger. Nous la retrouverons à l’œuvre dans L’Homme révolté.
18En 1946, Camus écrit : « L’homme est une longue création et tout ce qui vaut la peine de vivre, amour, intelligence, beauté, demande le temps et la maturité39 » ; et en 1948 : « Il n’y a pas de vie valable sans projection sur l’avenir, sans promesse de mûrissement et de progrès. Vivre contre un mur, c’est la vie des chiens40. »
19Une vie, donc, au présent du désir soudé à l’objet qui fixe l’individu dans l’inertie de la persévérance en son état qui est celui de l’identité à soi de l’animal (où, par-delà la dialectique hégélienne, l’on retrouve le projet de Kojève et la question du désir anthropogène). Par cette fixation, l’individu est réduit, dans son action, à la naturalisation d’une logique du besoin et de sa satisfaction. Ce qui, par cette opération, est tendanciellement supprimé, ce n’est pas la puissance même du désir mais sa versatilité ontologique, c’est-à-dire la puissante virtualité d’une multiplicité par laquelle peuvent s’ouvrir, dans et par la force productive du présent, les voies de l’hominisation. L’animalisation, c’est donc la dynamique d’instrumentalisation intégrale des désirs, des affects et de la raison modernes par la structure téléologique quasi instinctuelle d’une activité régie par les lois de la guerre (et/ou de l’efficacité). C’est ce modèle qui efface à la fois le temps du projet et qui rend l’esprit moderne sourd au dialogue humain. C’est lui qui rend le dominant insensible à la démonstration éthique et questionnante du dominé quant à la dignité (ou pas) de son action41. Car celui qui est saisi et construit par ce modèle (qu’on peut appeler de souveraineté - de « dialectique souveraine » ou de « logique souveraine42 »- dans la forclusion juridico-politique des affects de communication à laquelle et par laquelle il procède) est inapte à la perception de la douleur de l’autre, qu’il ne reconnaît plus comme un semblable. C’est le modèle de l’homme d’appareil, qu’il soit membre d’un Parti ou d’une Église43, ou, plus ordinairement, le type de juridisation de la vie de ceux qui, par impuissance effective à vivre et à penser la singularité d’une vie, s’identifient à la « vérité définitive » et absurde de la loi de leurs fonctions, se murant ainsi dans « la solitude sans avenir » de la « terreur44 ». Camus parle, alors, d’une rupture (qu’on peut nommer ontologique) de la confiance de l’homme, qui est rupture au sein même de sa nature, et de l’alliance éternelle de compréhension et d’amitié qu’elle rend possible :
Quelque chose en nous a été détruit par le spectacle des années que nous venons de passer. Et ce quelque chose est cette éternelle confiance de l’homme, qui lui a toujours fait croire qu’on pouvait tirer d’un autre homme des réactions humaines en lui parlant le langage de l’humanité. […] Le long dialogue des hommes vient de s’arrêter45.
20La « terreur » n’est donc pas un simple sentiment de crainte, voire de panique extrême, mais le pouvoir meurtrier silencieux et secret qui vide le présent de sa puissance vitale et détourne le cœur et l’esprit de l’identification spontanée à la douleur du semblable46. Cette « aptitude à vivre la vie d’autrui » (et dans le commun, à vivre de la vie d’autrui) est une puissance artiste, dit Camus, celle de la communication de la « chair47 ». La chair, « qu’elle soit souffrante ou qu’elle soit heureuse48 », est ainsi le creuset même de l’hominisation. Quand s’efface, au contraire, sa singulière aptitude qui « permet de reconnaître la constante justification des hommes, qui est la douleur49 », l’esprit de l’homme se dispose à un nouveau type de jugement animalisé. Animalité non pas (seulement) de la « bête » nazie, qui opprime selon la Loi, mais de l’homme ordinaire qui, « le cœur en paix puisqu’[il] a pris sans doute son petit déjeuner50 », peut, sans « honte », vivre dans l’indifférence de l’oppression et de la « douleur humaine51 » en remplissant ses fonctions (auxquelles il s’identifie de manière hystérique, c’est le « conformisme »…) avec soin et devoir. Car la douleur de l’autre n’est plus, pour lui, qu’une cause d’ennui et de dérangement du même type que la perte de temps causée par l’attente dans un magasin de ravitaillement… On comprend que si le nihilisme est dans la destruction du « commun à tous les hommes52 » qui, véritablement, constitue la matrice de la démocratie, seule une nouvelle figure libertaire de la résistance, libérée de la volonté meurtrière de domination rationnelle et dont le projet est d’« affirmer l’homme dans sa chair et dans son effort de liberté53 », pourra tisser ces liens sociaux de solidarité, constitutifs d’une vie commune authentiquement humaine. Cette conviction, aussi modeste que radicale, permet « de refuser à l’argent comme à la police le droit d’appeler démocratie ce qui ne l’est pas », écrit Camus en juin 194854.
21Une conviction selon laquelle on ne peut plus séparer l’acte de résistance de l’alliance de chair, d’empathie, de compréhension et d’amour, constitutive d’une humanité toujours à faire55.
22En toutes nos actions, en toutes nos pensées, il faut donc défendre, encore et toujours, la société… défendre la chair, « sauver les corps56 », « décongestionner le monde de la terreur qui y règne et qui l’empêche de penser bien57 ». L’appel solennel et inlassablement répété, dans l’œuvre de Camus, à la suppression universelle de la peine de mort58 s’inscrit puissamment dans cette perspective. Et aussi la critique radicale de la politique moderne qui veut régir tous les actes de nos vies et qui évoque, pour nous dans l’Europe du xxie siècle, la montée obscure, meurtrière et xénophobe de l’État autoritaire hobbesien59, sous couvert de démocratie…
23Cela dit, s’il faut retenir la forte puissance critique et la passion éthique et libertaire de ces textes de l’immédiat après-guerre, il y a pourtant quelques raisons, théoriques et politiques, de ne pas entièrement se satisfaire de leur analyse de la domination et corrélativement de leur conception de la résistance. Nous avons insisté, en effet, sur la matrice camusienne d’une théorie du temps comme présent vivant indissociable d’une proximité au néant : une théorie étayée sur les premiers écrits, essentiellement Noces et L’Envers et l’Endroit. Camus suit ici Pascal (dans l’expérience du temps comme fuite abyssale60), tout en affirmant l’actualité matérialiste d’une présence au cœur même de l’être actuel comme « passion passive » : une passivité essentielle en effet, de l’être-au-présent-qui-dure, dans et par une succession pure du temps, posée, d’abord, en deçà de toute durée historique. Une véritable ligne de démarcation théorique apparaît alors entre une pensée de l’expérience du temps comme passion pure, vécue dans la « nudité » (et/ou le dénuement) comme grâce61, et la position d’une activité immanente de l’actuel, conçue comme productivité puissante et indéfinie de l’être-temps (suivant des perspectives déjà ouvertes par Spinoza). Dans la conception camusienne que nous venons d’exposer, l’être-temps se trouve en effet réellement (ontologiquement) séparé du procès de son action dans le monde historique, et la résistance ne peut plus être alors conçue que défensivement. C’est pour cela qu’elle n’entre dans l’histoire que par volonté héroïque, obligation morale, par arrachement et par effraction : une histoire qui se déroule donc ainsi, de fait, en dehors de la réalité même de la résistance (ce qui explique que, dans certaines conditions - celles de la modernité -, la dynamique du meurtre puisse aller « jusqu’au bout » de l’extermination effective de l’humanité de l’homme, en l’absence d’un sursaut moral qui pourrait enrayer cette folle mécanique de guerre totale…). On comprend que, dans ce contexte théorique, le concept de résistance ne prend sa signification (métaphysique, éthique et politique) que selon le sens de l’actuel qu’il exprime. Et qu’il y a donc bien effectivement deux voies : celle de la présence comme don et celle de la productivité indéfinie du réel… Notons simplement, pour une première conclusion sur cette division, que c’est par la seconde que la résistance est une puissance constitutive et que l’histoire prend, elle-même, une consistance ontologique. De ce point de vue, la notion centrale de révolte semblerait alors répondre, chez Camus, à cette séparation théorique (de la résistance et de l’histoire) comme un signe (inquiétant sur le plan de la théorie) de l’impossibilité philosophique et politique qu’il y aurait chez lui de penser véritablement, par-delà la négation dialectique, une résistance affirmative réellement active, constituante d’histoire et radicalement libre d’une logique meurtrière de la domination. Les choses ne sont pourtant pas si simples et si tranchées. Et l’on peut même pointer une évolution théorique de l’œuvre de Camus vers le second point de vue (disons spinozien). Lorsque la question de la révolte est, en effet, de nouveau posée dans L’Homme révolté, deux problématiques de l’actuel s’entremêlent, de fait, en effet : celle de l’actuel comme don, accompagné de sa réponse défensive et morale - c’est essentiellement le premier discours de Camus et (c’est vrai) le plus manifeste, et ce, dans la continuité de ses Lettres à un ami allemand. Mais l’on trouve aussi, plus profondément, la problématique d’une puissance naturaliste qui vient pénétrer fortement l’histoire, qui est aussi histoire. Et c’est ce second discours, étayé sur une ontologie dynamique de la puissance, qui vient, finalement, subvertir le premier. Nous allons voir comment l’« histoire », investie par la dynamique de la puissance immanente (une « histoire » que nous distinguerons de cette autre « Histoire » que Camus critique), est celle d’un « temps » de la résistance des hommes et de leur communauté, violemment confronté à un monde historique qui les nie. Le monde historique d’une Histoire effectivement séparée du temps commun du désir humain et de sa résistance à la mort. Mais cette séparation, qu’analyse Camus, n’a plus du tout alors le même sens. Elle est même, en creux, le signe d’une pensée éthico-politique camusienne de la constitution historique et résistante du monde contre la séparation et la domination de l’Histoire. Cette résistance devenue active et constitutive d’histoire contre l’Histoire de la domination est l’objet d’étude de notre prochain chapitre.
Notes de bas de page
1 Conférence La Crise de l’homme, qui a été prononcée pour la première fois aux États-Unis le 28 mars 1946, OC, t. 2, p. 740.
2 Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel. Leçons sur la Phénoménologie de l’Esprit, professées de 1933 à 1939 à l’École des hautes études, réunies et publiées par Raymond Queneau, Paris, Gallimard, 1947 (repris dans la collection Bibliothèque des idées en 1968, actuellement chez Gallimard). Après avoir affirmé en 1946, face à l’optimisme de la dialectique hégélienne, que le processus historique pouvait s’arrêter et que, « dans ce cas, l’Homme cesserait effectivement d’être humain » (p. 492, note 1), Kojève reconnaît en 1948 que cette éventualité n’est plus hypothétique : « Le retour de l’Homme à l’animalité apparaît non plus comme une possibilité encore à venir, mais une certitude déjà présente » (p. 437, note de la seconde édition).
3 Le Premier Homme : « On ne peut vivre avec la vérité - “en sachant”. Celui qui le fait se sépare des autres hommes, il ne peut plus rien partager de leur illusion. Il est un monstre - et c’est ce que je suis », OC, t. 4, p. 925.
4 La Crise de l’homme, OC, t. 2, p. 742.
5 Sommes-nous des pessimistes ? (mai 1946), OC, t. 2, p. 751.
6 La Crise de l’homme, OC, t. 2, p. 740.
7 Ibid., p. 738.
8 Le raisonnement vaut déjà en 1939, quand Camus, dans une « Lettre à un désespéré » (fictif), écrit qu’à « voir froidement les choses », il n’y a pas plus de « raisons de désespérer » en novembre 1939 qu’il n’y en avait de désespérer en 1928… La société, en guerre, de 1939 est en effet la même que celle, en paix apparente, de 1928, affirme Camus. Cette société est seulement, quelques années plus tard, « venue à sa fin normale »… Une fin que tout le monde pouvait connaître déjà, dix ans auparavant, mais seulement sous « la lumière du raisonnement », alors qu’en 1939, cette vérité « s’incarne dans le vivant ». Or, « si les choses n’ont pas changé, c’est, dit-il à son correspondant, que votre jugement est faux » et que vous n’avez peut-être pas bien « fait ce qu’il fallait pour empêcher cette guerre » (et/ou le passage de la logique de guerre structurelle à l’état de guerre effectif), Carnets, Cahier III, novembre 1939, OC, t. 2, p. 892-894.
9 Carnets, Cahier V, 1947, OC, t. 2, p. 1088.
10 La Crise de l’homme, OC, t. 2, p. 741.
11 Noces, OC, t. 1, p. 113.
12 Nous empruntons l’expression l’« être-temps » à l’ouvrage d’André Comte-Sponville, qui intitule L’Être-Temps ses Quelques réflexions sur le temps de la conscience, Paris, PUF, 1999. Dans l’étude que nous avons consacrée à ce livre, nous étudions les soubassements spinozistes mais aussi camusiens de cette conception du temps : « Le “temps” de l’insistantialisme. L’énergie et l’histoire », Revue internationale de philosophie, 4, 2011, André Comte-Sponville. Avec ses réponses, p. 9-32.
13 Noces, OC, t. 1, p. 113.
14 Ibid.
15 Ibid.
16 L’Envers et l’Endroit, OC, t. 1, p. 68 ; « Seule est éternelle la force qui n’a pas de but, le “Jeu“ d’Héraclite », L’Homme révolté, OC, t. 3, p. 123.
17 « Noces à Tipasa », Noces, OC, t. 1, p. 108.
18 « L’envers et l’endroit », L’Envers et l’Endroit, OC, t. 1, p. 71.
19 La Crise de l’homme, OC, t. 2, p. 743.
20 Ibid.
21 Nous autres meurtriers (novembre-décembre 1946), OC, t. 2, p. 686-687.
22 Lire à ce propos la mise au point de Philippe Sabot, « Les mésaventures de la dialectique. Camus critique de Kojève dans L’Homme révolté », dans Dolorès Lyotard (éd.), Albert Camus contemporain, op. cit., p. 45-59.
23 Carnets, Cahier II, OC, t. 2, p. 849.
24 « Rencontre avec Albert Camus. Questions de Gabriel d’Aubarède », Les Nouvelles littéraires, 10 mai 1951, publié dans le tome Essais de la première édition des œuvres de Camus dans La Pléiade, p. 1341.
25 La Mort heureuse, OC, t. 1, p. 1153.
26 Ibid., p. 1178.
27 « Noces à Tipasa », Noces, OC, t. 1, p. 107.
28 Ibid.
29 Ibid., p. 108.
30 Ibid., p. 107.
31 Carnets, Cahier I, septembre 1937, OC, t. 2, p. 831. Comme le « temps du désir sans objet », le temps de cet amour « innocent et sans objet » est celui, héraclitéen, de l’enfant qui joue.
32 Ni victimes ni bourreaux, OC, t. 2, p. 454.
33 « Le désert », Noces, OC, t. 1, p. 133.
34 « L’été à Alger », ibid., OC, t. 1, p. 120.
35 Ibid., p. 124.
36 Carnets, Cahier V, OC, t. 2, p. 1033-1034.
37 N’oublions pas l’affirmation spinozienne de L’Envers et l’Endroit : « Et quand donc suis-je plus vrai que lorsque je suis le monde ? Je suis comblé avant d’avoir désiré. L’éternité est là et moi je l’espérais », « L’envers et l’endroit », OC, t. 1, p. 71.
38 « Oui, je suis présent. Et ce qui me frappe à ce moment, c’est que je ne peux aller plus loin. Comme un homme emprisonné à perpétuité - et tout lui est présent. Mais aussi comme un homme qui sait que demain sera semblable et tous les autres jours. Car pour un homme, prendre conscience de son présent, c’est ne plus rien attendre. S’il est des paysages qui sont des états d’âme, ce sont les plus vulgaires. Et je suivais tout le long de ce pays quelque chose qui n’était pas à moi, mais de lui, comme un goût de la mort qui nous était commun », Noces, OC, t. 1, p. 113.
39 Nous autres meurtriers, OC, t. 2, p. 686.
40 « Le siècle de la peur » (Combat, novembre 1948), Ni victimes ni bourreaux dans Actuelles, Chroniques 1944-1948, OC, t. 2, p. 436.
41 La Crise de l’homme, OC, t. 2, p. 739 ; « Le témoin de la liberté », 1948, dans Actuelles, Chroniques 1944-1948, OC, t. 2, p. 491.
42 Les notions sont employées dans La Crise de l’homme, OC, t. 2, p. 741.
43 Cf. L’Incroyant et les chrétiens, 1948, OC, t. 2, p. 472, où est reprise la dénomination de chien mais, cette fois-ci, du côté des assassins : « Quand un évêque espagnol bénit des exécutions politiques, il n’est plus un évêque ni un chrétien et pas même un homme, il est un chien, tout comme celui qui du haut d’une idéologie commande cette exécution sans faire lui-même le travail. Nous attendons et j’attends que se rassemblent ceux qui ne veulent pas être des chiens et qui sont décidés à payer le prix qu’il faut payer pour que l’homme soit quelque chose de plus que le chien », déclare Camus face à une assemblée de chrétiens, au couvent des dominicains de Latour-Maubourg. On retrouve la formule, « comme les chiens », dans La Chute, OC, t. 3, p. 719. Nous y reviendrons dans notre épilogue.
44 La Crise de l’homme, OC, t. 2, p. 743.
45 « Le siècle de la peur » (Combat, novembre 1948), Ni victimes ni bourreaux dans Actuelles, Chroniques 1944-1948, OC, t. 2, p. 437 (c’est nous qui soulignons). En 1947, dans ses Carnets, Camus écrivait déjà : « Nous pouvons tout faire dans la voie du mieux, tout comprendre et puis tout maîtriser. Mais nous ne pourrons jamais nous trouver ou nous créer cette force de l’amour qui nous a été enlevée pour toujours », Cahier V, OC, t. 2, p. 1097. L’Homme révolté reviendra sur cette affirmation qui apparaissait définitive.
46 Par identification, il faut entendre le procès du corps à corps de la sympathie, corps-accords sans harmonie ni fantasme, tel que nous définissions la notion dans notre partie I, chapitre 1. En deçà du « moi », de l’identité, indépendamment de tout jugement, de tout calcul, de toute comparaison, la sympathie procède par rayonnement, convenances, articulations, conjonctions ou disjonctions des corps.
47 « Le témoin de la liberté », 1948, dans Actuelles, Chroniques 1944-1948, OC, t. 2, p. 488- 495.
48 Ibid., p. 495.
49 Ibid., p. 494.
50 La Crise de l’homme, OC, t. 2, p. 738.
51 Ibid., p. 739.
52 Ibid., p. 743.
53 Ibid., p. 746.
54 Réflexions sur une démocratie sans catéchisme, OC, t. 2, p. 718.
55 Camus cite Edwin Erich Dwinger : « Si nous étions des animaux, tout serait fini depuis longtemps, mais nous sommes des hommes », dans Id., Mon journal de Sibérie, Paris, Payot, 1930 ; cité dans les Carnets, Cahier V, 1947, OC, t. 2, p. 1092.
56 Ni victimes ni bourreaux, OC, t. 2, p. 438.
57 La Crise de l’homme, OC, t. 2, p. 744.
58 Cf. Réflexions sur la peine capitale (avec Arthur Kœstler, Réflexions sur la guillotine, OC, t. 4, p. 127-167) et le récit du père qui revient livide de l’exécution de Pirette et qui vomit plusieurs fois dans la nuit, Le Premier Homme, OC, t. 4, p. 789. Voir aussi, Albert Camus, Contre la peine de mort, écrits réunis, présentés et suivis d’un essai par Ève Morisi, préface de Robert Badinter, Paris, Gallimard (Hors série littérature), 2011.
59 Dans L’Homme révolté, Camus trace la continuité théorique et politique - pour la société bourgeoise - de la philosophie rousseauiste du contrat avec la philosophie politique hobbesienne. Nous revenons, dans notre chapitre suivant, sur cette question.
60 Sur le temps chez Pascal et sa mise en confrontation avec Spinoza, voir notre étude : « Le désir, la vie et la mort chez Pascal et Spinoza », dans L. Bove, G. Bras, É. Méchoulan (dir.), Pascal et Spinoza. Pensées du contraste. De la géométrie du hasard à la nécessité de la liberté, Paris, Amsterdam, 2007.
61 « Dans la vie de ces franciscains, enfermés entre des colonnes et des fleurs et celle des jeunes gens de la plage Padovani à Alger qui passent toute l’année au soleil, je sentais une résonance commune. S’ils se dépouillent, c’est pour une plus grande vie (et non pour une autre vie). C’est du moins le seul emploi valable du mot “dénuement”. Être nu garde toujours un sens de liberté physique et cet accord de la main et des fleurs - cette entente amoureuse de la terre et de l’homme délivré de l’humain - ah ! je m’y convertirais bien si elle n’était déjà ma religion », « Le désert », Noces, OC, t. 1, p. 133 (c’est nous qui soulignons).
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