Tout seul au pays de l’heideggérianisme
Adorno conférencier au Collège de France
p. 123-144
Texte intégral
1C’est grâce à une très belle biobibliographie d’Adorno, parue en Allemagne à l’occasion de son centième anniversaire en 2003, qu’on apprend que ce dernier a prononcé, d’abord trois conférences à la Sorbonne en 1958, puis trois autres, dont la portée est bien plus grande, au Collège de France en mars 1961. Si les premières sont de simples traductions d’articles qu’il avait déjà publiés - sur la notion d’expérience chez Hegel, la sociologie de la musique et le rapport entre sociologie critique et recherche empirique -, celles qu’il prononce au Collège de France ne seront publiées que plus tardivement. Elles vont en effet constituer les chapitres clés de la Dialectique négative, œuvre majeure dans l’itinéraire intellectuel d’Adorno qui paraîtra en allemand en 1966, et en français en 19781. Le fait que ces conférences soient consacrées à une discussion critique de la philosophie heideggérienne complique d’emblée le tableau historique suivant lequel la réception d’Adorno dans le monde francophone « est restée marquée, jusqu’à une date très récente, par le primat de l’esthétique ». Adorno n’apparaît donc plus comme « un représentant éminent de la philosophie spéculative de l’art2 ». Au-delà d’une simple histoire de la réception de la pensée adornienne en France, quel est l’intérêt de ces conférences dont les manuscrits dactylographiés se trouvent dans les archives Adorno à Francfort ? En quoi éclairent-elles le moment philosophique des années 1950 en France ?
2Les historiens de la philosophie allemande ont souvent affirmé que la Dialectique négative, à laquelle ces conférences donneront naissance, est avant tout un règlement de comptes philosophique avec la pensée de Heidegger. À ce titre, on a remarqué que la critique dévastatrice qu’Adorno formule à l’égard de l’ontologie fondamentale ne rend aucunement justice à la complexité des arguments déployés par Heidegger3. Du côté français, Pierre Bourdieu, s’appuyant principalement sur le Jargon de l’authenticité - ouvrage polémique qu’Adorno lui-même distingue et sépare soigneusement de la critique philosophique immanente contenue dans la Dialectique négative4 -, ne se montre pas moins sceptique :
Parce qu’il ignore l’autonomie relative du champ philosophique, Adorno rapporte directement les traits pertinents de la philosophie de Heidegger à des caractéristiques de la fraction de classe à laquelle il appartient : ce « court-circuit » le condamne à faire de cette idéologie archaïsante l’expression d’un groupe d’intellectuels dépassés par la société industrielle et dépourvus d’indépendance et de pouvoir économique5.
3Nous allons essayer de montrer que ces points de vue sont injustifiés et qu’Adorno n’a nullement échoué dans sa critique.
4Grâce aux manuscrits des trois conférences qu’Adorno prononce au Collège de France en mars 1961, il est possible de démontrer - c’est là l’hypothèse principale de notre étude - que l’interlocuteur du texte d’Adorno n’est pas Heidegger lui-même, mais certains représentants de la gauche non orthodoxe, ou mieux encore : d’une gauche promouvant une pensée critique en France. C’est un débat à l’intérieur d’un certain champ philosophique : Adorno affronte Lucien Goldmann, Henri Lefebvre et Kostas Axelos, des penseurs en quelque sorte très proches de l’école de Francfort. Vers la fin des années 1950, ces théoriciens trouvent en Heidegger un allié inattendu pour s’en prendre à un monde technicisé et totalement administré.
5Trente ans plus tard, Pierre Bourdieu aussi s’étonnera des positions des heideggériens de gauche. « Il suffit, dit-il, de relire les arguments, souvent stupéfiants, par lesquels Jean Beaufret, Henri Lefebvre, François Châtelet et Kostas Axelos justifient l’identification qu’ils opèrent entre Marx et Heidegger pour se convaincre que cette combinaison philosophique inattendue doit peu aux raisons strictement “internes”6. » Le but d’Adorno, dans ses conférences au Collège de France, consiste à mettre en lumière les impasses d’une telle appropriation de la pensée heideggérienne. À cet égard, la démarche d’une dialectique négative n’est pas si éloignée de celle de Mikel Dufrenne qui, en 1968, constate laconiquement que les lecteurs français de Heidegger sont tentés « d’ontologiser le formel, de conférer au concept ou au système la même dignité que Heidegger à l’Être7 ».
6De plus, la prise en compte de ces conférences nous oblige désormais à revoir la périodisation de ce qu’on appelle communément « les guerres heideggériennes en France8 ». Une première phase violente a lieu dans les pages des Temps modernes en 1946 et 1947. Karl Löwith, Alphonse de Waelhens et Eric Weil en sont les acteurs principaux9. Selon Richard Wolin, une deuxième phase de cette guerre s’ouvre dans la revue Critique en 1966. En février, François Fédier, élève de Jean Beaufret, y publie un règlement de comptes qui s’en prend à trois ouvrages, dont le Jargon de l’authenticité, opérant une violente critique de la pensée de Heidegger10. En juillet 1967, Robert Minder, à l’origine de l’invitation d’Adorno au Collège de France, Jean-Pierre Faye et Aimé Patri y répondent11. Aussi les conférences d’Adorno se situent-elles en amont de ce deuxième débat. Autrement dit, ce dernier peut à juste titre être conçu comme un prolongement des interventions d’Adorno.
7Nous allons par la suite procéder en deux temps. Dans un premier temps, il s’agit d’esquisser l’impact que Heidegger a eu sur ces penseurs français - penseurs avec lesquels Adorno a souvent entretenu des liens d’amitié. Dans un deuxième temps, il faut montrer comment Adorno, dans ses conférences, réagit aux tentatives d’appropriation de la pensée heideggérienne auxquelles se vouent ses amis et collègues. Nos remarques conclusives porteront enfin sur le débat manqué, débat triangulaire, entre Adorno, les tenants d’un marxisme hétérodoxe et Heidegger.
8Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de rappeler quelques repères biographiques concernant le rapport d’Adorno à la France, ou mieux encore à la ville de Paris. À partir des années 1930, il y séjournera régulièrement. Max Horkheimer, ami et collègue à l’Institut pour la recherche sociale, l’accompagne parfois pour rendre visite à leur ami commun Walter Benjamin, qui s’y est exilé12. Benjamin fréquente les intellectuels réunis autour du Collège de sociologie fondé par Georges Bataille et Roger Caillois. En 1937, Adorno et Benjamin participent ensemble au IXe congrès international de philosophie à Paris13. Pendant ces années-là, ils négocient constamment avec Bernard Groethuysen, qui occupe une position de passeur entre le monde universitaire allemand et le milieu de l’édition français, la publication d’un recueil d’articles de Max Horkheimer en France. Cette publication, intitulée « Essais de philosophie matérialiste », ne verra malheureusement jamais le jour14. Après son exil aux États-Unis, en 1949, Adorno exempte la France de sa critique corrosive. Celle-ci est perçue par lui comme une oasis dans la vie bureaucratique moderne :
Pour des raisons qui exigeraient une analyse économique, ils [les Français] sont restés en arrière par rapport au développement vers le monopole - anthropologiquement encore des individus, acharnés sur leur individualité, pour ainsi dire. [Ils sont] trop forts pour répondre aux exigences de ce monde - leur faiblesse, c’est le fort15.
9En 1962 encore, Adorno avoue dans une lettre qu’il considère chaque année où il n’a pas trouvé le temps d’aller en France comme une année perdue16. Ce lien presque émotionnel avec la France se répercute également sur le plan intellectuel comme nous allons le voir. Adorno cherche le dialogue, la polémique avec les penseurs français. L’invitation à faire trois cours à la Sorbonne du 22 au 29 septembre 1958 le réjouit. Kostas Axelos, alors rédacteur de la revue Arguments, y assiste et propose à Adorno d’en publier une traduction dans le numéro suivant d’Arguments. Accompagné d’un essai introductif de Kostas Axelos, l’article, intitulé « Hegel et le contenu de l’expérience », se trouve au cœur d’un petit numéro spécial qui lance une invitation à ses lecteurs : « Découvrons Adorno17 ! » On voit ainsi comment des liens commencent à se tisser.
10Il faudrait maintenant brièvement s’attarder sur la genèse précise des conférences d’Adorno. Le 25 juin 1959, le germaniste Robert Minder prononce un discours à l’Institut pour la recherche sociale à Francfort. Celui-ci porte sur certains problèmes d’une histoire culturelle de la Souabe. Le professeur de langue et littératures germaniques au Collège de France fait au passage quelques remarques sur Heidegger. Une discussion s’ensuit, et Minder finit par inviter Adorno à prononcer une série de conférences au Collège de France. Ce dernier s’en montre reconnaissant et formule d’emblée, dans une lettre datée du 25 juin 1959, le but d’une telle intervention. « Je crois qu’il serait bien, dit-il, pour certaines raisons stratégico-intellectuelles, telles qu’elles apparaissaient dans nos conversations, de relever de façon fondamentale le défi de tout ce délire heideggérien [Heideggerei]18. » Cette entreprise viserait moins la « personne » de Heidegger que les « principes » de sa pensée, si attirante pour certains. Pendant l’année universitaire 1960-1961, Adorno consacre l’intégralité de son séminaire francfortois à la question de l’ontologie et de la dialectique en vue d’une critique de l’influence exercée par la pensée de Heidegger des deux côtés du Rhin. Aussi la publication de ces leçons préparatoires nous permet-elle d’aborder un « nouveau champ de recherche » en les comparant aux textes publiés et, en l’occurrence, au manuscrit de la conférence au Collège de France19.
11Le mercredi 15 mars 1961, il y parle du « besoin d’une ontologie ». Le samedi 18 mars, il analyse le rapport entre « Être et existence », avant de conclure le mardi 21 mars 1961 en s’orientant « Vers une dialectique négative20 ». Adorno reprend effectivement, au moins en partie, le contenu des cours tenus du 2 au 23 février 1961 à l’université de Francfort. Penseur non dépourvu de vanité, Adorno note dans son journal qu’« il y avait du monde21 ». Merleau-Ponty et Jean Wahl sont venus aussi, dit-il, mais je « ne leur ai pas parlé22 ». De ceux qui étaient plus directement ses interlocuteurs, seul Lucien Goldmann était présent. C’est aussi chez les Goldmann qu’Adorno a dîné après ses conférences. À notre connaissance, Kostas Axelos était également présent dans l’auditoire. C’est alors un certain milieu de sociabilité intellectuelle franco-allemande qui se retrouve (nous y reviendrons plus loin).
12Avant cela, et en guise de transition, il faut se tourner à nouveau vers les années 1930. Ce qui est d’emblée frappant, et qui importe également dans le contexte de notre analyse, c’est que Walter Benjamin - à partir de ses rencontres avec Groethuysen, mais aussi avec d’autres - considérait alors la présence de l’ontologie heideggérienne au sein du marxisme français comme un problème majeur. Ainsi écrit-il dans une lettre à Adorno datée du 6 décembre 1937 : « Pour Groethuysen, même les écrits de Heidegger ne sont pas plus qu’un engouement momentané. C’est absolument impossible de lui expliquer qu’il ne convient pas à un marxiste d’y participer23. » Si Benjamin a tort de parler d’un engouement momentané par rapport à la réception de Heidegger en France, il manifeste pourtant une troublante prescience de l’attachement de la pensée française de gauche aux écrits de l’auteur de Sein und Zeit.
LE CONTEXTE
13Outre la lecture très particulière que Sartre fait de Heidegger, redevable avant tout à l’œuvre introductive de Levinas parue en 1930, outre les références éparses qu’on trouve chez Merleau-Ponty (dont il faudra pourtant parler), une nouvelle génération philosophique qui émerge dans les années 1950 voit en Heidegger un penseur novateur : d’après eux, c’est seulement avec Heidegger qu’on peut comprendre le monde moderne de la technique, de la bureaucratie, de l’aliénation. S’agissant de Lucien Goldmann, de Kostas Axelos et d’Henri Lefebvre, Adorno, se sentant intellectuellement proche d’eux, a non seulement suivi leur développement intellectuel de près, mais les a également rencontrés, allant même jusqu’à tenter de leur offrir une plateforme universitaire en Allemagne. La correspondance d’Adorno avec la jeune doctorante Elisabeth Lenk nous fournit des indications importantes à ce propos. Lenk était l’étudiante d’Adorno à Francfort avant de partir à Paris pour faire sa thèse. Dès qu’elle est arrivée à Paris, Adorno lui recommande d’assister aux cours des penseurs qu’il juge intéressants. Ce sont avant tout Lucien Goldmann et Henri Lefebvre avec lesquels elle travaille à partir de 196324. À partir de 1966, elle sera également l’assistante d’Henri Lefebvre à l’École pratique des hautes études25. Très consciente de l’influence de Heidegger en France, Elisabeth Lenk soutient, dans un article publié dans la revue La Brèche dirigée par André Breton, qu’il n’y a pas « d’élite intellectuelle qui ne se réfère pas à Heidegger », et cela vaut même pour les « marxistes universitaires ». Ainsi, poursuit-elle, Kostas Axelos et Lucien Goldmann disent « “Être” et entendent par-là la totalité26 ». Il convient donc de s’attarder brièvement sur la manière dont ces penseurs s’approprient les réflexions heideggériennes.
14Commençons par Lucien Goldmann, dont l’importance dans la réception française d’Adorno a d’abord été reconnue par Marc Jimenez27. Né à Bucarest en 1913, il arrive à Paris en 1933, où il suivra avec intérêt les publications de l’école de Francfort28. Plus décisive encore sera l’influence de Histoire et conscience de classe de Georg Lukács, publié en 1923. Tout au long de sa vie, Goldmann subit les attaques violentes des communistes orthodoxes français. De tous les penseurs français dont nous parlons, il est certainement le plus proche d’Adorno. En 1957, Adorno invite Goldmann à tenir un cours à l’université de Francfort29. Ensuite, il suggère qu’on lui attribue la chaire de sociologie - la proposition ne rencontre pas de succès30. Selon Adorno, Goldmann fait partie de la « gauche sans patrie », désignation qui dissimule le plus grand des compliments31.
15Ce qui importe ici, c’est la manière dont Goldmann lit Heidegger. Dans la postface de sa thèse intitulée La communauté humaine et l’univers chez Kant publiée à Zurich en 1945, on trouve un petit texte sur « Lukács et Heidegger ». L’auteur y constate une affinité intellectuelle, voire une parenté, entre les deux pensées. Bien que Heidegger maintienne qu’il a lu Lukács seulement après la Seconde Guerre mondiale, tout pousse à envisager Être et temps comme une réponse à Histoire et conscience de classe. On trouve chez Lukács une tension entre vraie et fausse conscience, alors que Heidegger formule une distinction entre existence authentique et existence inauthentique. À la différence entre essence et apparence chez Lukács correspond, chez Heidegger, celle entre l’ontologique et l’ontique. L’action créatrice chez Lukács trouve son équivalent dans l’être-pour-la-mort et la résolution chez Heidegger. Adorno lui-même, faisant peut-être écho à son ami, affirme, dans son séminaire francfortois du 12 janvier 1961, qu’« une figure aussi extrêmement opposée que Lukács » ressemble pourtant « à maints égards à Heidegger32 ». Quoi qu’il en soit, Goldmann se fixe pour but de mener ses propres recherches en vue de la création d’une « communauté authentique ». Acceptant les prémisses de Heidegger et de Lukács, il cherche pourtant à substituer le « nous » de l’humanité au « on » de Heidegger33. Comme il le dit dans un article de 1950, « l’Être (Heidegger) » et « la Totalité (Lukács) » sont les principales manifestations d’« une unité fondamentale34 ». La démarche marxiste ne diverge de celle de Heidegger que parce qu’elle ne relègue pas la science au rang de l’ontique - elle en fait le moteur de la recherche positive. Cette structure d’ensemble est caractérisée par le fait qu’elle ne saurait être ni objet de pensée adéquate, ni objet de l’action, puisque « toute pensée et toute action se situent elles-mêmes à l’intérieur de l’être35 ».
16Outre ces précisions méthodologiques, l’apport de la pensée heideggérienne aux écrits de Goldmann reste d’ailleurs limité. Lors du séminaire à Cerisy en 1955, il est le seul à interroger Heidegger sur les événements de 1933. Heidegger se borne à lui répondre que son œuvre n’a rien à voir avec le nazisme36. Le débat entre Goldmann et Adorno se poursuit néanmoins au-delà des seules questions heideggériennes, tout en restant indissociablement lié au problème de la totalité. Adorno va jusqu’à rompre avec la sociologie de la littérature de son ami dans sa Théorie esthétique, publiée de façon posthume en 197037. À la totalité goldmannienne, Adorno oppose le fragment. Au lieu de reconstruire une vision du monde cohérente, telle que Goldmann la conçoit par exemple dans Le Dieu caché, Adorno prône la vertu des contradictions et des tensions internes propres à toute œuvre littéraire38. Nonobstant ces différends sur le plan théorique, Goldmann rend hommage à son ami défunt en septembre 1969, voyant en lui l’une « des figures les plus marquantes de la philosophie et de la pensée contemporaines39 ».
17Deuxième penseur d’importance ici, Henri Lefebvre est entré en contact avec la pensée de Heidegger par l’intermédiaire de Paul Nizan, qui avait publié l’essai « Qu’est-ce que la métaphysique ? » dans sa revue Bifur en 1931. Peu de temps après, Jean Wahl lui prête Sein und Zeit40. La rencontre sera fructueuse. De 1928 à 1958, Lefebvre est membre du Parti communiste français. Bien que la rencontre avec Adorno à Strasbourg dans les années 1950 n’ait pas « donné grande chose », Lefebvre se sent pourtant intellectuellement très proche d’Adorno41. C’est avant tout le développement d’une Critique de la vie quotidienne, publiée en deux volumes en 1948 et en 1962, qui le rapproche de l’école de Francfort. À l’instar de Goldmann, il met en parallèle le concept de totalité et celui de l’être. Or, il cherche à éviter les impasses de Heidegger en faisant un usage, non pas ontologique, mais stratégique de ces deux notions. Ainsi, l’être n’est plus mobilisé pour analyser l’être lui-même, mais, dans la perspective marxiste de Lefebvre, pour explorer le possible42. Selon Adorno, une telle tentative est vouée à échouer dans les contradictions.
18Né en Grèce, Kostas Axelos suit, après avoir étudié en Allemagne dans les années 1930, les cours de Jean Wahl sur Heidegger à Paris en 194543. Il en est insatisfait : « C’était académique et, d’autre part, une paraphrase44. » Grâce à sa connaissance de la langue allemande, il entame ses propres recherches qui aboutiront, en 1961, à la publication de sa thèse intitulée Marx penseur de la technique. Dans ce travail, il met en avant les points de contact entre le concept d’aliénation chez Marx et l’oubli de l’être dans l’ère de la technique planétaire qu’il puise dans les écrits de Heidegger45. À partir du milieu des années 1950, il joue un rôle non négligeable dans la réception de Heidegger en France. Lorsque ce dernier est invité comme vedette philosophique à la Décade de Cerisy en 1955, Axelos sera son interprète. En 1956-1957, il fait la connaissance d’Edgar Morin. Entre 1958 et 1962, tous deux dirigent la revue Arguments, consacrée à une pensée de gauche non orthodoxe.
19Dans un étonnant foisonnement productif, ils publient quatre traductions des essais de Heidegger46. Bien qu’il ait soutenu le numéro spécial consacré à Adorno en 1959, Edgar Morin se rendait bien compte de l’hostilité qu’Adorno ressentait à l’égard de son concitoyen allemand : « J’aimais beaucoup Adorno et je ne pouvais pas comprendre comment il pouvait réduire, désintégrer même, l’importance de la pensée de Heidegger47. » Edgar Morin fait l’éloge du courage intellectuel de Kostas Axelos : « Audacieusement à l’époque, il nous ramène à la pensée de Heidegger, dans le milieu intellectuel de la gauche française48. » Il parvient à sensibiliser le groupe de la revue Arguments « à une écoute progressiste des écrits de Heidegger sur la technique49 ». Dans ses écrits publiés, Heidegger ne se prononce qu’une seule et unique fois sur son rapport au marxisme. Dans la Lettre sur l’humanisme, il envisage la possibilité d’un « dialogue fructueux avec le marxisme50 ». Kostas Axelos en fera la clef de voûte de sa thèse. Dans un compte rendu publié dans les Lettres nouvelles en 1957, il écrit :
Dans cette lettre [sur l’humanisme] que tout le monde a pu lire, il est question, à plusieurs reprises, de la pensée de Marx, de la portée historique et universelle de cette pensée qui exige la connaissance (et la reconnaissance) de l’être naturel et social de l’homme. « On peut prendre position de différentes manières à l’égard des doctrines du communisme et de son fondement ; sur le plan de l’Être, il est certain qu’en lui s’exprime une expérience élémentaire de ce qui est mondialement historique. Celui qui prend le “communisme” uniquement comme un “parti” ou comme une “vision du monde” pense trop court. » Que ceux qui ont des oreilles entendent51.
20Dans un entretien, Kostas Axelos rapporte que lorsqu’il rencontra Heidegger dans les années 1950, il lui dit : « Vous ne vous êtes pas exprimé suffisamment sur Marx et la technique. » Heidegger lui répond : « Faites-le, vous52. »
21Sa critique du monde administré fait écho à l’essai de Heidegger sur la technique. Dans un article sur le nihilisme contemporain paru dans Arguments, il affirme que « pétrifiés et putréfiés, les Églises et les États, les Universités et les Familles continuent à être les institutions qui administrent la vie des hommes, les forcent de s’y conformer […]. Allié de la technique, l’engendrant et engendré par elle, le nihilisme fait de tout une affaire de production et de consommation, une technique d’usure53 ».
22En 1959, Kostas Axelos procède même, dans les pages d’Arguments, à un rapprochement des pensées de Heidegger et d’Adorno. Selon Axelos, Adorno se situe dans la postérité de Hegel et dans l’essor du néomarxisme. Comme Adorno, dit-il, Heidegger « a le mérite » de reconnaître « le cercle dialectique, magique, infernal et vicieux » de la totalité54. C’est pourquoi il est fort regrettable qu’Adorno ne soit pas en dialogue avec l’autre centre de recherche, non pas sociale, mais philosophique, cette fois, l’école de Fribourg qui s’achève avec Heidegger55. Marc Jimenez ne cessera de dénoncer cet encouragement « aux amalgames dont la Théorie critique, à une époque où ses positions philosophiques fondamentales étaient méconnues, pouvait bien se passer56 ». Ce que Marc Jimenez ignore, c’est qu’Adorno lui-même profitera des conférences au Collège de France pour procéder à une mise au point.
23Le sommet de cette vague d’une réception enthousiaste de la pensée de Heidegger par la gauche française est atteint lorsque France observateur publie, le 28 mai 1959, une longue discussion entre Jean Beaufret, Kostas Axelos, François Châtelet et Henri Lefebvre sur « Karl Marx et Heidegger57 ». Henri Lefebvre, qui se vante dans la biographie de Remi Hess d’avoir toujours été « contre » la philosophie de Heidegger, apparaît ici sous un autre jour. À propos de la lecture de Chemins qui ne mènent nulle part (Holzwege), il déclare :
J’ai entendu avec un son nouveau, non, avec une musique nouvelle, ce que Marx dit sur la réconciliation future entre l’homme et la nature. Il y a chez Heidegger une théorie […] de la présence égarée […]. Le pouvoir sur la matière […] produit dans la praxis, en même temps qu’un monde virtuellement humain, une distanciation par rapport au monde58.
24Et il poursuit :
Me prendra-t-on au sérieux si j’indique en passant que d’après la célèbre définition d’Engels, Heidegger est bel et bien matérialiste : pour lui, l’être précède et détermine la conscience, la pensée, la connaissance59.
25François Châtelet ajoute que les deux penseurs ont a minima un objet commun : « L’existence réelle de l’humanité en tant que pratique effective, à la fois comme produit d’une histoire passée et comme résultat d’un vouloir profond60. » Il reste à Kostas Axelos de conclure cette discussion en pointant le souci, commun à Marx et à Heidegger, « d’une préparation d’un avenir planétaire ». Il faut faire marcher la pensée de Heidegger « vers l’avenir61 ». Suivre les voies de Marx et Heidegger, c’est « porter jusqu’au langage les questions qui se posent à nous dans ce monde de la technique62 ».
26Ce qui peut surprendre, c’est qu’Adorno lui-même reconnaît, du moins au premier abord, la possibilité d’une telle lecture. Dans son séminaire francfortois du 12 janvier 1961, il met en avant la dimension sociopolitique de l’ontologie qui consiste à mettre en question l’idée que « ce monde serait déjà le nôtre, que ce monde serait déjà rationnel ». Il y a, poursuit-il, presque « quelque chose de matérialiste » dans l’insistance heideggérienne sur « notre propre débilité en tant que φυσις », sur la manière dont notre finitude démasque comme nostalgie idéologisée toute pensée d’un quelconque « esprit pur63 ». Heidegger postule, comme le fait le « matérialisme dialectique », l’être comme premier par rapport à la conscience. Cependant, ce que les acolytes français de Heidegger ignorent, c’est que Heidegger « intègre l’élément critique pour mieux le neutraliser64 ». On verra par la suite comment Adorno cherche à administrer la preuve de cette assertion.
27Dans une lettre de 1964, Adorno soutient que sa critique de Heidegger s’adresse peut-être avant tout aux penseurs français : « Elle devrait y avoir un certain impact à cause de l’heideggérianisme qui est si dominant outre-Rhin. Avant-hier, j’ai entendu que même le vieux Breton a été infecté par l’enthousiasme pour Heidegger65. » Il est grand temps de démontrer comment Adorno, dans ses conférences, compte y mettre fin66.
ADORNO AU COLLÈGE DE FRANCE
28Il convient maintenant de se tourner vers les conférences d’Adorno pour montrer comment elles relèvent le défi d’une pensée critique d’inspiration heideggérienne. Loin de se vouer à une lecture réductrice, comme le lui reproche Bourdieu, Adorno insiste sur une « critique immanente », dont il formule la définition la plus succincte lors d’un cours à Francfort, le 8 novembre 1960 : « En prenant l’ontologie au mot, en la mesurant à l’aune de ses propres exigences, [je compte] vous montrer qu’elle ne satisfait pas à ses propres attentes. » Autrement dit, « on ne peut dépasser une chose qu’une fois qu’on est en elle67 ».
29Dans la première conférence au Collège de France intitulée « Le besoin ontologique », Adorno part du constat polémique que penser avec Heidegger fait désormais partie d’un consensus intellectuel bien-pensant : « Se réclamer de ces ontologies équivaut actuellement à un brevet de bonnes pensées et de bonnes mœurs. Peut-être suffira-t-il bientôt d’inscrire dans les questionnements officiels, sous la “religion” ou “confession” : croyant à l’être68. » L’ontologie fondamentale prétend pouvoir sortir du cadre universitaire pour se déployer dans le domaine de la réflexion et de l’action sinon émancipatrices, du moins publiques. Elle a établi « académiquement le pathos du non-académisme69 ». D’après Adorno, cette tentative doit échouer car Heidegger lui-même refuse toute interprétation de l’ontologie comme outil d’une rationalité critique qui s’inscrit dans le monde. À ce titre, il cite une formule de Heidegger : « L’assombrissement du monde n’atteint jamais la lumière de l’être70. »
30Certes, Adorno accepte l’une des prémisses de la critique que Heidegger formule à l’égard du concept de raison. Loin d’ouvrir la voie à une augmentation ou à une intensification de la liberté humaine, celui-ci rend l’objectification et l’impuissance encore plus paralysantes : « Dans la vie courante où les organisations d’encadrement et d’assistance à l’individu se multiplient, l’homme devient en réalité de plus en plus objet71. » Or, l’ontologie heideggérienne n’est pas en mesure de lever le voile qui enveloppe le monde moderne. Elle en fait partie, elle est mythologisation active. Ce n’est rien d’autre qu’une « cabalistique teutonique72 ». Le mot allemand de Sein est réintroduit à titre d’objet mythique, « comme si l’impuissance de plus en plus dangereusement acerbe de l’individu ressemblait à celle éprouvée par les primitifs lorsque résonnait le tonnerre73 ».
31Si Kostas Axelos et la revue Arguments affirment que Heidegger nous fournit le modèle le plus convaincant de notre dépendance vis-à-vis de la technique et de la bureaucratie, Adorno n’y voit que l’expression parfaite de celle-ci. L’ontologie ne peut pas servir de concept analytique dans la mesure où elle reflète la rationalisation de plus en plus inhumaine du monde. Elle opère, comme le note Adorno dans ses cahiers préparatoires, la « transposition du monde administré sur le plan de la métaphysique74 ». Pour s’y opposer, elle devrait se plonger dans le concret, dans l’empirique, dans le social :
La métaphysique temporelle de Heidegger s’adapte […] à cette perte subjective du sentiment de continuité historique, qui puise sa raison objective dans la rationalisation des procédés de travail, tout comme dans l’inutilité de l’expérience dans la plupart des rôles que la société exige de ses membres. Les procédés qui minent ce que la philosophie ontologique cherche précisément à éveiller à la vie, sont ceux de la production et de la reproduction de la vie réelle75.
32Mais au lieu d’affronter ce qu’Adorno appelle la vie réelle, Heidegger préfère rester au-dessus de la mêlée.
33Cela n’est pas quelque chose de circonstanciel. La démarche de Heidegger est en effet incapable de gestes intellectuels critiques. Le mot « ontologie » est compris - et doit être compris - comme l’acceptation « d’un ordre hétéronome dispensé de la justification » devant les acteurs76. Il interdit ainsi, une fois pour toutes, l’accès de son domaine aux investigations de l’« esprit critique ». Il est vrai que la mythologisation à l’œuvre chez Heidegger ne cherche pas à atteindre une simple transcendance. Si tel était le cas, sa philosophie n’aurait pas trouvé autant de zélateurs parmi la gauche française. C’est bien plus problématique. « La transcendance chez Heidegger, dit Adorno, est l’immanence rendue absolue, aveugle77. »
34Il montre, en effet, que cette cécité a un double aspect. En premier lieu, tout ce qui relève de l’histoire humaine concrète est relégué au rang de l’ontique, qui ne peut jamais faire l’objet d’une ontologie fondamentale digne de ce nom. En second lieu, en rabattant l’existant sur l’être, il fait du concept du Dasein, de l’être-là - clé de voûte par exemple dans la mise en valeur de la vie quotidienne comme objet de recherche par Henri Lefebvre -, une essence immuable.
35Pour ce qui est de la suspicion à l’égard de l’ontique, du concret, Adorno s’attaque au cœur même de la fameuse différence ontico-ontologique. Si Heidegger puise son vocabulaire dans le monde artisanal (les outils, etc.) de la Forêt-Noire, sa philosophie lui barre pourtant l’accès à ce monde concret. L’évaluation théorique des notions ontologiques interdit toute confrontation avec le domaine matériel auquel elles ont emprunté leurs couleurs. C’est un tour de passe-passe philosophique. Dans la mesure où il insiste sur la différence ontico-ontologique, Heidegger fait de cette carence, de ce vide, de cet écart, un mérite : « L’abstraction involontaire se présente comme vœu volontaire de concrétion primordiale78. » Le résultat reste le même : l’être, n’étant ni un fait ni une notion, est exonéré de critique.
36Il est donc parfaitement impossible de ramener la démarche heideggérienne à une sociologique critique. Vis-à-vis du concret, l’être peut se permettre l’indifférence, parce qu’il prétend lui rendre justice « d’avance, en-deçà de toute expérience spécifique79 ». À ce titre, Adorno invoquera dans la Dialectique négative un article de Günter Anders. Ancien élève de Heidegger et marié avec Hannah Arendt jusqu’en 1937, Anders fustige, dans un article de 1948, « la pseudo-concrétude de la philosophie de Heidegger80 ». Adorno explicite ce reproche dans ses notes préparatoires : « Pseudo-concrétude : là où elle [l’ontologie] accède au matériel de la chose, c’est, comme dans tout idéalisme, par hasard81. » Heidegger cherche effectivement à éliminer toute détermination concrète de sa pensée. Celle-ci est à rejeter d’abord comme produit d’une conscience subjective que Heidegger veut justement abandonner. Mais ce qui pèse encore plus : les déterminations concrètes, à cause de la différence ontico-ontologique, n’ont pas droit de cité dans une ontologie fondamentale. Si l’existant pénétrait le cœur de sa philosophie, il compromettrait la suprématie de l’être.
37À ce moment de sa conférence, Adorno se détache des lectures existentialistes de Sartre et de Merleau-Ponty. La querelle autour de la Lettre sur l’humanisme a son rôle à jouer dans l’histoire des idées, mais elle n’explique en rien le ralliement d’une nouvelle génération aux écrits heideggériens. Adorno se montre consterné face à cet enthousiasme français qui va souvent à l’encontre des préceptes du maître de Todtnauberg. Aussi Adorno constate-t-il sèchement que « ce qui, sous le signe de l’existence […] descendait des salles universitaires de Paris » pour alimenter les salons philosophiques de la rive gauche inspire, pour la plupart, l’horreur à Heidegger82. Si l’on se borne à lire la Lettre sur l’humanisme comme un rappel à l’ordre lancé aux existentialistes français, on ne voit plus clair quant à la tendance positiviste qui est propre à l’ontologie fondamentale. Adorno savait bien entendu que la pensée critique d’un Henri Lefebvre, d’un Lucien Goldmann, d’un Kostas Axelos - comme d’ailleurs celle d’Adorno lui-même - dédaignait le positivisme. Comme il l’avait déjà fait ressortir dans son séminaire du semestre d’hiver 1958, la dialectique ouvre une « double ligne de front : d’une part contre l’ontologie et d’autre part contre le positivisme83 ». Adorno tente ici un coup habile : « On ne doit pas reprocher à l’ontologie […] ce nihilisme auquel se réfèrent les existentialistes français, au grand effroi de Heidegger […] mais plutôt qu’elle expose la nullité absolue de sa suprême devise comme positivum84. »
38Cette donnée, c’est l’être, dépourvu de toute pensée. Il faut regarder de près le choix lexical d’Adorno pour comprendre qui est visé à travers cette formulation. Axelos, Goldmann et Lefebvre s’appuient sur Heidegger pour dénoncer la réification sans se rendre compte que la pensée de ce dernier la traduit en philosophie. Chez Heidegger, dit Adorno, ce qui est cesse d’être moment, comme c’est le cas dans la pensée dialectique, il est réifié en dépit des intentions affichées par Heidegger lui-même. L’ontologie conserve ce contre quoi elle s’insurge. Si Lefebvre reconnaît en Heidegger quelqu’un qui veut détruire les fétiches, Adorno montre qu’il ne détruit que les conditions permettant de les reconnaître.
39Venons-en maintenant au second volet de l’argument d’Adorno. Il faudrait montrer comment Heidegger fait du Dasein une essence immuable. Ainsi, toutes les discussions sur le monde ambiant, sur l’inscription du Dasein dans un réseau de significations préréflexives que Lefebvre prône comme ouverture de la pensée, et que Goldmann compare au concept d’aliénation qu’on trouve chez Lukács, seront remises en question par Adorno. Le Dasein, selon Adorno, est une essence close.
40Loin d’être un problème de choix lexical, toute l’impasse de l’ontologie se montre dans la relation entre être et existant. Si Heidegger a raison de retracer l’oubli de l’être en faveur de l’étant dans la philosophie occidentale, il finit par simplement inverser le rapport de force. Heidegger nous dit que la voie d’accès privilégiée vers l’être est le Dasein humain. Mais la mise en place de ce lien affecte irrévocablement l’existence humaine d’un essentialisme. Adorno parle d’« une ontologisation de l’existant85 ». Il cite le deuxième paragraphe d’Être et temps où Heidegger affirme que « l’essence du Dasein réside en son existence86 ». C’est seulement lorsque l’ontique est identique à l’ontologique qu’on peut le prendre au sérieux. Au bout du compte, Heidegger dissout l’ontique dans l’ontologique. L’Être ne peut plus « être pensé sans étant comme l’étant ne peut plus être pensé sans l’être87 ».
41Sur le plan politique, l’ontologie fondamentale ne peut qu’aboutir à une pensée littéralement conservatrice. Elle cède passivement le pas à « une intuition acceptante88 ». L’idéologie de l’ontologie fondamentale, c’est qu’elle se présente « comme championne d’un “sens” basique et absolu89 ». Adorno n’y voit qu’une « arrogante prétention à décréter l’ordre » ou du moins à le maintenir90. C’est pourquoi, dans son séminaire francfortois du 15 décembre 1960, il inscrit l’ontologie existentiale dans la lignée des « contre-Lumières91 ». Pour Heidegger, le monde réifié, « à cause de sa méprisable inauthenticité face à l’être […] est tenu en quelque sorte pour indigne d’être transformé92 ». Aussi, le 26 janvier 1961, Adorno conclut-il que la pensée de Heidegger aboutit à « la demande de se soumettre à la cécité de l’histoire, comprise comme une mise en acte de l’histoire de l’être93 ».
42À la différence de ses collègues philosophes français, Adorno soutient que Heidegger ne les aide en rien à sortir des impasses philosophiques et politiques de l’époque qui leur est contemporaine. Si, dans l’ontologie fondamentale, la recherche du sens de l’être est le trait le plus marquant du Dasein humain, cette recherche se voit constamment remise en question par les libertés sociales factices, par le domaine du « on » (das Man). Adorno ne trouve pas de mots assez durs pour dénoncer cette idée :
Ce que la société fait subir de chaotique au sujet, ce n’est pas un surplus de liberté, mais un manque de liberté : les projets ontologiques méconnaissent cela ou bien nient obstinément cela […]. Heidegger encourage la servitude de la pensée et repousse le mot d’humanisme, avili selon lui par ceux qui s’en sont servis sur le marché public […]. On pourrait bien se demander s’il ne veut pas supprimer ce qu’il nomme les parlottes sur l’humanisme, dans le dessein d’abattre l’humanisme lui-même94.
43Si Kostas Axelos et Henri Lefebvre ont lu la Lettre sur l’humanisme comme l’invitation à un dialogue avec le marxisme humaniste, Adorno insiste sur la teneur destructrice de ce texte.
44Que faire alors ? Adorno ébauche, en guise de conclusion, une voie « vers une dialectique négative », selon ses propres termes. Ce n’est vraiment que la première étape de ses réflexions qui, à la différence de la critique de l’heideggérianisme, évolueront énormément jusqu’à la publication du livre portant ce même titre en 1966. En fait, les deuxième et troisième parties de la Dialectique négative ne seront élaborées dans le cadre des leçons francfortoises qu’entre 1964 et 196695. Pour en revenir aux conférences au Collège de France, Adorno y procède à une mise en question de l’ontologie d’autant plus efficace qu’il a commencé par en souligner les mérites. L’ontologie a constaté que « le sujet et l’objet ne sont ni des finalités ni des entités rigidement antithétiques ». Mais elle a fait fausse route, c’est un défaut irrémédiable qui tient à sa structure même. Les théorèmes de l’ontologie s’éloignent de l’expérience non réglementée. Ils dénoncent la transition de la pensée en réalité sociale comme « hétérodoxie, comme étude du seul existant96 ». C’est pourquoi il faut en finir avec les ontologies. « La critique entreprise par nous de l’ontologie », dit-il, n’a pas pour but d’établir « une autre ontologie pas plus qu’une non-ontologie97 ».
45La sociologie critique doit avoir le courage de se replonger dans l’histoire concrète sans Heidegger, lequel ne peut aucunement servir de guide. C’est l’histoire concrète et non pas la qualité abstraite d’historicité qui devient le medium de la philosophie. Comme Adorno le constate dans ses notes préparatoires du 27 juin 1959, il s’agit de critiquer l’« ontologisation de l’histoire » opérée par Heidegger98. Le recours à la totalité ou à l’être n’est plus possible, ne serait-ce que comme schème heuristique, ainsi que le préconisent, dans le sillage de Heidegger, Lucien Goldmann et Henri Lefebvre. L’inclusion du sujet observant que ces derniers défendent n’y change rien : « Le toit initialement percé qui abritait la totalité, l’absolu, est détruit ; la pensée, sans protection et sans rempart, doit se mesurer à l’aune des objets » concrets99. Moins la théorie se donne l’air d’être définitive et d’englober toute chose, moins elle se réifie, moins elle devient rigide vis-à-vis du penseur.
46À la suite des conférences, tout était en place pour qu’un vrai débat sur l’heideggérianisme et la gauche française puisse se développer. L’importance que le public français a pour Adorno s’atteste à maintes reprises dans sa correspondance. En 1966, il écrit à Elisabeth Lenk que la Dialectique négative avance bien. Quant au titre français, « Dialectique noire » ne serait pas un mauvais choix, mais « Dieu sait, dit-il, si et quand le livre paraîtra en français100 ». Les lecteurs français doivent attendre jusqu’en 1978. Cela est lié à une suite d’événements imprévisibles. Le propos d’Adorno au Collège de France provoque des réactions, souvent violentes, de la part des heideggériens. Le maître lui-même se plaint dans une lettre à Ernst Jünger écrite en 1966 « qu’on avait convoqué Wiesengrund-Adorno à Paris pour tenir des propos incendiaires contre moi101 ». Kostas Axelos, Lucien Goldmann et Henri Lefebvre, quant à eux, tiendront par la suite la pensée heideggérienne de plus en plus à l’écart.
47Mais les zélateurs ne manquent pas. Ceux-ci veulent se venger à tout prix. Ainsi, Jean Beaufret, destinataire de la Lettre sur l’humanisme, mobilise toutes ses ressources institutionnelles. Il cherche le soutien d’un autre heideggérien très influent, Maurice Merleau-Ponty, titulaire de la chaire de Bergson au Collège de France depuis 1952. Ce dernier était, depuis bien longtemps, parti à la recherche d’une « ontologie indirecte102 ». Dans un récit, Beaufret fait allusion à l’impact qu’ont eu les conférences d’Adorno : « Merleau-Ponty eut dès lors à cœur de faire cesser ce qu’il tenait pour un scandale et, professeur au Collège de France (où Heidegger venait d’être publiquement vitupéré), il m’annonça, le 5 avril 1961, qu’il avait demandé à l’Assemblée l’invitation de Heidegger103. »
48Le terrain est donc préparé pour un débat philosophique entre Heidegger, Adorno et la gauche française. Or, ce débat n’aura jamais lieu. Un mois plus tard, le 3 mai 1961, Maurice Merleau-Ponty meurt d’une attaque cérébrale. Les conférences d’Adorno sont pratiquement vouées à l’oubli. Elles font désormais partie de l’angle mort des années 1950.
49Dans une lettre à Robert Minder datée du 16 mai 1961, Adorno, confronté à la disparition de son adversaire philosophique, se montre très délicat :
Permettez-moi d’ajouter à quel point la mort de Merleau-Ponty m’a choqué. Rien ne m’aurait donné matière à penser, lorsque vous aviez eu la gentillesse de nous présenter l’un à l’autre, que je me trouvais en face d’un moribond. Il était sans doute une force intellectuelle extraordinaire - et c’est à cause de nos différences théoriques que je me sens qualifié et obligé de le dire. Face à l’irrévocable, je ressens par rapport à lui, après m’en être pris juste avant sa mort à des positions qui lui étaient essentielles, comme un sentiment de culpabilité. Comme on s’est embarqué dans la vie : quand on veut dire la vérité, cela même tend vers le mal104.
Notes de bas de page
1 Axel Honneth, Christoph Menke, « Zur Einführung », dans Id. (éd.), Negative Dialektik, Berlin, Akademie, 2006, p. 1.
2 Alexandre Dupeyrix, Stéphane Haber, Emmanuel Renault, « Présentation », Philosophi numéro spécial Adorno philosophe, 113, 2012, p. 3.
3 Guy Petitdemange, « Adorno-Heidegger : quelle mésentente ? », Collège international de philosophie, numéro spécial Heidegger : questions ouvertes, 1, 1988, p. 97 ; Jürgen Habermas va jusqu’à douter qu’« Adorno ait lu plus que quelques lignes des écrits heideggériens », dans Jürgen Habermas, « Dialectique de la rationalisation », Cahiers de philosophie, 3, 1987, p. 62.
4 Pour les « différences de ton » considérables entre le Jargon de l’authenticité et la Dialectique négative, se reporter à Dieter Thomä, « Verhältnis zur Ontologie : Adornos Denken des Unbegreiflichen », dans Axel Honneth, Christoph Menke (éd.), Negative Dialektik, op. cit., p. 33.
5 Pierre Bourdieu, L’ontologie politique de Martin Heidegger, Paris, Éditions de Minuit, 1988, p. 10.
6 Ibid., p. 107-108.
7 Mikel Dufrenne, Pour l’homme, Paris, Seuil, 1968, p. 21.
8 L’expression est empruntée à Richard Wolin, « The French Heidegger Debate », New German Critique, 45, 1988, p. 135-161, ici p. 135-136, n. 2.
9 Karl Löwith, « Les implications politiques de la philosophie de l’existence chez Heidegger », Les Temps modernes, 2, 1946, p. 343-360 ; Alphonse de Waelhens, « La philosophie de Heidegger et le nazisme », Les Temps modernes, 3, 1947, p. 115-127 ; Éric Weil, « Le cas Heidegger », Les Temps modernes, 3, 1947, p. 138-148.
10 François Fédier, « Trois attaques contre Heidegger », Critique, 234, novembre 1966, p. 883-904.
11 Robert Minder, « Langage et Nazisme », Critique, 237, février 1967, p. 284-287 ; Jean-Pierre Faye, « La lecture et l’énoncé », Critique, 237, février 1967, p. 282-295 ; Aimé Patri, « Serait-ce une querelle d’allemand ? », Critique, 237, février 1967, p. 296-297.
12 Theodor W. Adorno, Eine Bildmonographie, Archives Theodor W. Adorno, Francfort, Suhrkamp, 2003, p. 155.
13 Ibid., p. 295.
14 Lettres de Walter Benjamin à Theodor W. Adorno, datées du 7 février 1936 et du 20 juin 1936, Adorno-Benjamin : Briefwechsel, 1928-1940, dans Theodor W. Adorno, Briefe und Briefwechsel, éd. par Henri Lonitz, 3e éd., Francfort, Suhrkamp, 1994, vol. 1, p. 164 et 188.
15 Id., Eine Bildmonographie, op. cit., p. 208. Sauf mention contraire, c’est nous qui traduisons.
16 Lettre de Theodor W. Adorno à Elisabeth Lenk, datée du 20 novembre 1962, dans Theodor W. Adorno, Elisabeth Lenk (éd.), Briefwechsel 1962-1969, Munich, edition text+kritik, 2001, p. 23.
17 Kostas Axelos, « Adorno et l’école de Francfort », Arguments, 14/3, 1959, p. 20-25, repris dans Id., Arguments d’une recherche, Paris, Éditions de Minuit, 1961, p. 108-113 ; Theodor W. Adorno, « Hegel et le contenu de l’expérience », Arguments, 1959, 14/3, p. 26-35. La conférence sera également publiée dans Archiv für Philosophie, 1960, 10/1-2.
18 Theodor W. Adorno à Robert Minder, lettre datée du 25 juin 1958, citée par Rolf Tiedemann, « Nachbemerkung des Herausgebers », dans Theodor W. Adorno, Ontologie und Dialektik (1960- 1961), Theodor W. Adorno Archiv, Nachgelassene Schriften, Francfort, Suhrkamp, 2002, vol. 7, p. 424.
19 Alexandre Dupeyrix, Stéphane Haber, Emmanuel Renault, « Présentation », art. cité, p. 5.
20 Theodor W. Adorno, Eine Bildmonographie, op. cit., p. 254. La rédaction de la première conférence s’achève le 18 décembre 1960, celle de la deuxième le 9 janvier 1961, et celle de la troisième en février 1961. Rolf Tiedemann, « Nachbemerkung des Herausgebers », art. cité, p. 426.
21 Theodor W. Adorno, Eine Bildmonographie, op. cit., p. 254.
22 Ibid.
23 Lettre de Walter Benjamin à Theodor W. Adorno, datée du 6 décembre 1937, dans Walter Benjamin, Gesammelte Briefe, vol. 5, 1935-1937, éd. par Christoph Gödde, Henri Lönitz, Francfort, Suhrkamp, 1999, p. 621.
24 Lettre de Theodor W. Adorno à Elisabeth Lenk, datée du 20 novembre 1962, dans Theodor W. Adorno, Elisabeth Lenk (éd.), Briefwechsel…, op. cit., p. 24.
25 Ibid., p. 89.
26 Elisabeth Lenk, « L’Être caché », La Brèche, 6, juin 1964, p. 44.
27 Marc Jimenez, Adorno et la modernité : vers une esthétique négative, Paris, Klincksieck, 1986, p. 36.
28 Sami Naïr, Michael Lowy, Lucien Goldmann ou la dialectique de la totalité, Paris, Seghers, 1973, p. 10-11.
29 Lettre de Theodor W. Adorno à Max Horkheimer, datée du 25 octobre 1957, dans Theodor W. Adorno, Briefe und Briefwechsel, vol. 4, Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, Briefwechsel 1927-1969, vol. IV, 1950-1969, Francfort, Suhrkamp, 2006, p. 454.
30 Lettres de Theodor W. Adorno à Max Horkheimer, datées du 11 novembre 1957, du 18 novembre 1957 et du 25 novembre 1957, dans ibid., p. 463, 469 et 483.
31 Lettre de Theodor W. Adorno à Max Horkheimer, datée du 29 novembre 1957, dans Briefwechsel 1927-1969, vol. IV, 1950-1969, op. cit., p. 484.
32 Theodor W. Adorno, Ontologie und Dialektik…, op. cit., p. 201.
33 Lucien Goldmann, « Lukács et Heidegger » [1945], dans Annie Goldmann, Michael Lowy, Sami Naïr (éd.), Le structuralisme génétique, Paris, Denoël-Gonthier, 1977, p. 217-218.
34 Lucien Goldmann, « Être et dialectique », Études philosophiques, 2, 1950, repris dans Id., Épistémologie et philosophie politique, Paris, Denoël-Gonthier, 1978, p. 14.
35 Id., « Être et dialectique », art. cité, p. 15.
36 Dominique Janicaud, Heidegger en France, t. 1, Récit, Paris, Albin Michel, 2001, p. 160, n. 95.
37 La meilleure analyse de la rupture entre Goldmann et Adorno reste celle de Marc Jimenez, Adorno et la modernité…, op. cit., p. 237-258.
38 Ibid., p. 255.
39 Lucien Goldmann, « La mort d’Adorno », La Quinzaine littéraire, 1er-15 septembre 1969, cité dans Marc Jimenez, Adorno et la modernité…, op. cit., p. 38.
40 Kostas Axelos, Jean Beaufret, François Châtelet, Henri Lefebvre, « Karl Marx et Heidegger : discussion poursuivie aux mois de février et mars 1959 », dans France observateur, 28 mai 1959, repris dans Kostas Axelos, Arguments d’une recherche, op. cit., p. 93-107, ici p. 96.
41 Remi Hess, Henri Lefebvre : vie, œuvres, concepts, Paris, Ellipses, 2009, p. 58, n. 1.
42 Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, vol. 2, Fondements d’une sociologie de la quotidienneté, Paris, L’Arche, 1962, p. 256.
43 Pour une introduction à Kostas Axelos et le rôle qu’il a joué dans la revue Arguments, se reporter à Stuart Elden, « Kostas Axelos and the World of Arguments », dans Julian Bourg (éd.), After the Deluge : New Perspectives on the Intellectual and Cultural History of Postwar France, Lanham, Lexington Books, 2004, p. 125-148.
44 Cité dans Dominique Janicaud, Heidegger en France, op. cit., t. 1, p. 96, n. 60.
45 Kostas Axelos, Marx penseur de la technique, Paris, Éditions de Minuit, 1961.
46 Martin Heidegger, « Le principe d’identité », Arguments, 2/7, 1958, p. 2-8 ; Id., « Le mot de Nietzsche “Dieu est mort” », Arguments, 3/15, 1959, p. 2-13 ; Id., « Principes de la pensée », Arguments, 4/20, 1960, p. 27-33 ; Id., « Au-delà de la métaphysique », Arguments, 5/24, 1961, p. 35-39.
47 Edgar Morin, « Entretien avec Dominique Janicaud », dans Dominique Janicaud, Heidegger en France, t. 2, Entretiens, Paris, Albin Michel, 2001, p. 232.
48 Ibid., p. 234.
49 Ibid., vol. 1, p. 173.
50 Martin Heidegger, Lettre sur l’humanisme [1946], nouv. éd. rev., Paris, Aubier-Montaigne, 1970, p. 98-99.
51 Kostas Axelos, « Compte rendu de Jean-Yves Calvez, La pensée de Marx », Les lettres nouvelles, 46, 1957, repris dans Kostas Axelos, Arguments d’une recherche, op. cit., p. 82.
52 Éric Haviland, Kostas Axelos : une vie pensée, une vie vécue, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 56.
53 Kostas Axelos, « Approche du nihilisme », Arguments, 3/14, 1959, p. 2.
54 Id., « Adorno et l’école de Francfort », Arguments, 3/14, 1959, repris dans Id., Arguments d’une recherche, op. cit., p. 109.
55 Ibid., p. 111.
56 Marc Jimenez, Adorno et la modernité…, op. cit., p. 38.
57 Kostas Axelos, Jean Beaufret, François Châtelet, Henri Lefebvre, « Karl Marx et Heidegger… », art. cité, p. 93-105.
58 Ibid., p. 93.
59 Ibid., p. 101.
60 Ibid., p. 94.
61 Ibid., p. 97.
62 Ibid., p. 103.
63 Theodor W. Adorno, Ontologie und Dialektik…, op. cit., p. 196-197.
64 Ibid., p. 197.
65 Lettre de Theodor W. Adorno à Joseph Breitbach, datée de 1964, citée dans Ulrich Raulff, « Im Teich der Zeichen », Süddeutsche Zeitung, 21 septembre 2001.
66 Elisabeth Lenk, « L’Être caché », art. cité, p. 186.
67 Theodor W. Adorno, Ontologie und Dialektik…, op. cit., p. 12, 258.
68 Id., « Le besoin ontologique », dactylographie datée du printemps 1961, traduite en français par Gabrielle Wittkop-Ménardeau, Archives Theodor W. Adorno, Francfort, p. 16148.
69 Ibid., p. 16149.
70 Martin Heidegger, Aus der Erfahrung des Denkens, Pfullingen, Neske, 1954, p. 7.
71 Theodor W. Adorno, « Le besoin ontologique », art. cité, p. 16150.
72 Id., « Être et existence », dactylographie datée du printemps 1961, traduite en français par Gabrielle Wittkop-Ménardeau, Archives Theodor W. Adorno, Francfort, p. 16367.
73 Id., « Être et existence », art. cité, p. 16362.
74 Id., notes de travail du 27 juin 1959, citées dans Rolf Tiedemann, « Nachbemerkung des Herausgebers », art. cité, p. 426.
75 Id., « Le besoin ontologique », art. cité, p. 16151.
76 Theodor W. Adorno, « Le besoin ontologique », art. cité, p. 16148.
77 Ibid., p. 16362.
78 Ibid., p. 16157.
79 Ibid., p. 16158.
80 Günter Anders, « On the Pseudo-Concreteness of Heidegger’s Philosophy », Philosophical and Phenomenological Research, 8/3, 1948, p. 337-371.
81 Theodor W. Adorno, notes de travail du 27 juin 1959, citées dans Rolf Tiedemann, « Nachbemerkung des Herausgebers », art. cité, p. 425.
82 Id., « Être et existence », art. cité, p. 16377.
83 Id., Einführung in die Dialektik [1958], dans Theodor W. Adorno Archiv (éd.), Nachgelassene Schriften, Berlin, Suhrkamp, 2010, vol. 2, p. 158.
84 Id., « Le besoin ontologique », art. cité, p. 16160.
85 Theodor W. Adorno, « Être et existence », art. cité, p. 16373.
86 Martin Heidegger, Être et temps, trad. par François Vezin, Paris, Gallimard, 1986, p. 32.
87 Arno Münster, Adorno : une introduction, Paris, Hermann, 2008, p. 181.
88 Theodor W. Adorno, « Le besoin ontologique », art. cité, p. 16164.
89 Ibid., p. 16165.
90 Ibid., p. 16169.
91 Id., Ontologie und Dialektik…, op. cit., p. 149.
92 Id., Dialectique négative, Paris, Payot, 1978, p. 77.
93 Id., Ontologie und Dialektik…, op. cit., p. 253. C’est nous qui soulignons.
94 Id., « Le besoin ontologique », art. cité, p. 16170-16171.
95 Rolf Tiedemann, « Nachbemerkung des Herausgebers », art. cité, p. 424.
96 Theodor W. Adorno, « Le besoin ontologique », art. cité, p. 16154.
97 Id., « Vers une dialectique négative », dactylographie datée du printemps 1961, traduite en français par Gabrielle Wittkop-Ménardeau, Archives Theodor W. Adorno, Francfort, p. 16518.
98 Id., notes de travail du 27 juin 1959, citées dans Rolf Tiedemann, « Nachbemerkung des Herausgebers », art. cité, p. 424-425.
99 Id., « Vers une dialectique négative », art. cité, p. 16524.
100 Lettre de Theodor W. Adorno à Elisabeth Lenk, datée du 12 mai 1966, dans Theodor W. Adorno, Elisabeth Lenk, Briefwechsel…, op. cit., p. 88.
101 Lettre de Martin Heidegger à Ernst Jünger, datée du 27 août 1966, dans Martin Heidegger, Ernst Jünger, Briefwechsel 1947-1975, éd. par Günther Figal, Stuttgart, Klett, 2008, p. 243.
102 Emmanuel de Saint Aubert, Vers une ontologie indirecte : sources et enjeux critiques de l’appel à l’ontologie chez Merleau-Ponty, Paris, Vrin, 2006.
103 Jean Beaufret, Dialogue avec Heidegger, Paris, Éditions de Minuit, 1985, vol. 4, p. 86.
104 Theodor W. Adorno à Robert Minder, lettre datée du 16 mai 1961, cité dans Rolf Tiedemann, « Nachbemerkung des Herausgebers », art. cité, p. 427.
Auteur
Intégré l’École normale supérieure de la rue d’Ulm afin d’y poursuivre un double cursus en histoire et en philosophe après avoir obtenu sa licence dans le domaine de l’histoire de la pensée politique à l’université de Cambridge. Il a soutenu un master en histoire à l’École des hautes études en sciences sociales : « Alexandre Kojève et la philosophie allemande de l’entre-deux-guerres : l’homme, l’histoire et la politique, 1926-1947 ». Doctorant au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond-Aron (EHESS), il travaille depuis 2011 sur une thèse portant sur l’antiétatisme dans la philosophie française entre 1945 et 1992.
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