Un prisme de la pensée historique de Nietzsche : l’élevage
p. 183-196
Texte intégral
1Dans cet article, je voudrais considérer un type d’analyse historique que Nietzsche pratique régulièrement dans son œuvre, d’Humain, trop humain à la Généalogie de la morale. Ce sont des analyses en termes d’élevage (en allemand Züchtung)1. Elles décrivent en effet la manière dont certains contextes historiques « élèvent » l’homme, en transformant ses pulsions, ses vertus, sa connaissance, sa mémoire, etc. L’exemple le plus célèbre d’une telle analyse est certainement celui qui ouvre le second traité de la Généalogie de la morale : « Élever un animal qui soit en droit de promettre – n’est-ce pas là justement la tâche paradoxale que la nature s’est fixée eu égard à l’homme ? N’est-ce pas là le véritable problème de l’homme2 ? » On le voit, le propre de ce texte est de réinterpréter comme un élevage une transformation historique déjà accomplie, ou du moins en grande partie accomplie si l’on en croit Nietzsche, puisque le problème consistant à élever un animal en droit de promettre serait précisément « résolu dans une large mesure ». Pourquoi un prisme zoologique serait-il pertinent pour penser l’histoire humaine ? C’est, semble-t-il, la question que posent bien des formulations frappantes de Nietzsche qui font écho à ce passage de la Généalogie de la morale.
2Je voudrais proposer quelques éléments de réponse à cette interrogation directrice, en évoquant le dialogue de Nietzsche avec la pensée évolutionniste de la deuxième moitié du xixe siècle. Même si le questionnement nietzschéen sur l’élevage possède une originalité philosophique dont nous tâcherons de donner une idée dans cet article, Nietzsche ne l’invente pas de toutes pièces. Il réfléchit en réalité dans un rapport créatif et critique à la littérature « darwiniste » de son temps3. Celle-ci pose le problème de l’élevage dans le contexte de l’analogie entre sélection naturelle et sélection artificielle postulée par Darwin. Cette analogie darwinienne structurante fait de la nature une sorte d’éleveur, qui cultive les caractères les plus appropriés à chaque environnement. Mais la nature n’est pas pour autant un éleveur conscient. Darwin introduit donc un moyen terme pour justifier son rapprochement : c’est la notion de sélection inconsciente, qui est théorisée au premier chapitre de L’origine des espèces4. Selon Darwin, l’homme a pu élever inconsciemment ses animaux et plantes domestiques en protégeant et nourrissant de préférence certains individus, avant même de procéder à un élevage méthodique, visant explicitement à modifier le type héréditaire. Or à partir de ce triplet darwinien (formé par la sélection naturelle, la sélection inconsciente et la sélection artificielle), certains lecteurs vont poursuivre le raisonnement de Darwin et suggérer que l’homme pourrait bien aussi s’être élevé inconsciemment lui-même. Le premier objectif de cette présentation sera de montrer que Nietzsche se réapproprie cette problématique dans sa réflexion sur l’histoire.
3Mais cette analyse nous donnera aussi l’occasion de discuter un problème de réception de l’œuvre de Nietzsche, qui porte plus précisément sur l’interprétation de la démarche généalogique. Depuis le célèbre article de Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », la généalogie est souvent présentée, que ce soit dans des travaux sur Foucault ou dans le contexte des gender studies, comme une entreprise de dénaturalisation par l’histoire5. On construit ainsi une opposition conceptuelle entre nature et histoire : être le produit d’une histoire contingente signifierait, par là même, ne pas être naturel. Or il nous semble que cette opposition laisse de côté tout un pan de la pensée généalogique nietzschéenne, telle qu’elle s’exprime dans la Généalogie de la morale et dans d’autres textes. Cette dimension oubliée est celle qui consiste à retracer les altérations d’une nature en évolution, pour comprendre quels héritages se sont incorporés à nous, et en déduire à la fois des possibilités et des contraintes pour une philosophie de l’avenir. Au-delà de toute dichotomie statique entre nature et histoire ou de toute dissolution d’un pôle dans son autre, Nietzsche nous invite à considérer notre nature individuelle comme un héritage multiplement historique de très longs processus d’élevage.
LA LOGIQUE DE L’ÉLEVAGE INCONSCIENT
4Nous commencerons par évoquer le choix du mot « élevage », afin d’éclairer par ce biais la logique que Nietzsche cherche à penser sous ce terme. En allemand, le mot Züchtung a une connotation zoologique appuyée, que souligne expressément un passage du Crépuscule des idoles : élevage et dressage, « seuls ces termes zoologiques expriment des réalités », dit Nietzsche6. En ce sens, l’application du vocabulaire de l’élevage à l’homme n’est pas a priori évidente. Et de fait, Nietzsche parle initialement d’« une sorte d’élevage », dans un fragment posthume de 1873 qui correspond à la première occurrence du terme dans le corpus nietzschéen :
[…] la nationalité n’est le plus souvent que la conséquence de mesures rigides de gouvernement, c’est-à-dire d’une sorte d’élevage par une violence et un domptage globaux, en plus de la contrainte de se marier, de parler et de vivre les uns avec les autres7.
5Il faut signaler que cette description est probablement une note de lecture de Nietzsche sur un livre de Walter Bagehot intitulé Physics and Politics. Ce livre paraît en 1872 en anglais, et il est traduit en allemand sous le titre Der Ursprung der Nationen (littéralement : « L’origine des nations », ce qui est bien la question soulevée par le fragment posthume de Nietzsche)8. Der Ursprung der Nationen figure effectivement dans la bibliothèque personnelle de Nietzsche, et Bagehot est mentionné dès 1873 dans un autre fragment posthume9.
6Pour situer le propos de son essai, il faut préciser que Bagehot est un penseur économique et politique qui se réclame du « darwinisme ». Il souhaite appliquer le darwinisme tel qu’il le comprend aux questions anthropologiques, comme beaucoup d’auteurs contemporains, qui ne comprennent pas toujours les douze années d’hésitation de Darwin entre la publication de L’origine des espèces en 1859 et celle de La filiation de l’homme en 187110. Le sous-titre du livre de Bagehot traduit bien son intention, en particulier dans la version allemande, qui explicite légèrement l’original anglais : « Considérations sur l’influence de la sélection naturelle et de l’hérédité sur la formation des communautés politiques ». Il s’agit effectivement d’une investigation à la fois historique et évolutionniste. Pour la mettre en œuvre, Bagehot a lu plusieurs travaux d’anthropologie évolutionniste anglaise, notamment ceux de John Lubbock et d’Edward Tylor, que Nietzsche lira également par la suite. Bagehot réfléchit donc comme Lubbock et Tylor sur une période qualifiée de « primitive » ou de « préhistorique », durant laquelle nos ancêtres auraient ressemblé, jusqu’à un certain point, aux peuples « sauvages » actuels (c’est-à-dire aux peuples qui sont considérés comme arriérés par la science progressiste du xixe siècle)11. Admettant cette analogie entre sauvage et primitif, Bagehot en déduit que l’humanité primitive aurait vécu dans des sociétés « tyranniquement coutumières12 ». La logique de fonctionnement qu’il décrit s’apparente à bien des égards à celle que Nietzsche appellera « moralité des mœurs » dans Aurore et la Généalogie de la morale.
7C’est dans ce contexte qu’intervient l’idée d’un élevage humain inconscient. Bagehot ne le conçoit pas comme une domestication à part entière, qui comporterait un éleveur bien identifié travaillant sur des animaux domestiques extérieurs à lui. C’est en fait un élevage social, beaucoup plus global et diffus. Ce processus est lié à la rigidité des coutumes primitives, qui, selon Bagehot, auraient peu à peu façonné les premiers caractères nationaux. Bagehot explique ce modelage de deux manières, en combinant la sélection darwinienne proprement dite avec une conception lamarckienne de l’hérédité des caractères acquis. En premier lieu, les membres des sociétés primitives étaient contraints de survivre et de se reproduire à l’intérieur d’un contexte « tyranniquement coutumier », ce qui constituait une pression sélective constante. Mais d’autre part, Bagehot admet que des mœurs contraignantes maintenues sur une très longue durée ont pu transformer directement l’hérédité humaine. L’élevage social de Bagehot est donc à la fois darwinien et lamarckien. Il faut d’ailleurs souligner que ce mélange de darwinisme et de lamarckisme est très courant dans la deuxième moitié du xixe siècle : on le trouve aussi chez Darwin lui-même, chez Haeckel, et chez la plupart des auteurs qui se disent « darwinistes13 ». C’est seulement au xxe siècle que ce lamarcko-darwinisme sera remis en question par l’avènement d’une théorie génétique de l’hérédité.
8Derrière la tyrannie de la coutume, Bagehot entrevoit des formes archaïques de gouvernement, particulièrement inflexibles, qui visaient à obtenir l’obéissance des hommes et à les rendre similaires. Le fragment posthume de Nietzsche cité précédemment semble donc bel et bien résumer la théorie de Bagehot. Le façonnement des premiers caractères nationaux serait la conséquence d’« une sorte d’élevage », durant la préhistoire et l’Antiquité, sous l’effet de ce que la Généalogie de la morale appellera « la camisole de force sociale14 ». Dans cette toute première occurrence du mot Züchtung sous sa plume, Nietzsche semble par conséquent s’approprier le terme à la suite de sa lecture de Bagehot. Cet emprunt expliquerait tout à fait que Nietzsche commence dès 1875 à réfléchir sur la question de l’élevage des Grecs15. On lit en particulier dans un fragment posthume de 1875 : « Là où quelque chose de grand apparaît avec une durée un peu plus longue, nous pouvons remarquer auparavant un élevage méticuleux, par exemple chez les Grecs16 ? » Ce thème de l’« élevage des Grecs », déjà présent chez Bagehot, reviendra plus tard dans deux fragments posthumes de Nietzsche en 1881 et 188217. Il pourrait s’agir d’un sous-texte du fameux paragraphe du Crépuscule des idoles intitulé « La beauté nul hasard », où Nietzsche souligne qu’« il faut commencer par convaincre le corps » pour obtenir des résultats culturels. De fait, ce sont précisément les Grecs que Nietzsche salue dans ce texte comme « le premier événement de l’histoire en matière de culture18 ». Ils auraient été les premiers à développer une véritable culture du corps, qui se traduisait d’abord dans la manière de se comporter, le régime alimentaire, la physiologie, etc. Une autre manière de le dire serait que les Grecs ont exercé sur eux-mêmes le premier élevage culturel.
9Le dialogue avec Bagehot est peut-être aussi ce qui conduit Nietzsche à admettre la possibilité d’un élevage humain inconscient. Malgré leurs grands mérites, les Grecs ne comprenaient sans doute pas entièrement ce qu’ils faisaient. C’est ce qui apparaît au paragraphe 262 de Par-delà bien et mal, quand Nietzsche écrit : « Que l’on considère à présent une communauté aristocratique, une polis de la Grèce antique ou Venise par exemple, comme une institution, volontaire ou involontaire, ayant pour but l’élevage19. » Ici, la précision « volontaire ou involontaire » suggère que les cités grecques n’avaient pas une maîtrise consciente et méthodique de leur propre élevage. Il s’agissait plutôt d’un processus empirique : comme le dit Nietzsche un peu plus bas, c’était « l’expérience la plus diversifiée » qui enseignait aux cités grecques quelles vertus elles devaient cultiver pour subsister.
10On retrouve corrélativement chez Nietzsche une articulation entre l’élevage inconscient et l’élevage méthodique. Nietzsche estime en effet que l’humanité n’a jamais encore pris en main son propre élevage de façon globale et délibérée. Mais c’est ce qu’il conviendrait d’entreprendre à ses yeux, et ce serait même la fonction d’une « grande politique » authentiquement nietzschéenne, si on en croit le fragment 25[1] de 188820. Or ce projet induit un regard particulier sur l’histoire. Le prise de conscience de l’élevage devient une sorte de frontière historique, qui fait apparaître tout ce qui a précédé comme un tâtonnement maladroit : ou, pour reprendre l’expression du paragraphe 203 de Par-delà bien et mal, comme « cette effroyable domination de l’absurdité et du hasard qui s’est appelée jusqu’à présent “histoire” ». Le « jusqu’à présent » est révélateur dans cette expression : Nietzsche voudrait sortir du règne du hasard, comme il le déclarera nettement dans Ecce Homo, où ce moment charnière sera désigné comme le « grand midi21 ». Il s’agit apparemment de rien de moins que de prendre le contrôle de l’histoire humaine. Nous ne détaillerons pas ce point ici, mais ce discours fait probablement écho aux Inquiries into Human Faculty and its Development de Francis Galton, un ouvrage que Nietzsche a lu pendant l’hiver 1883-1884, à l’occasion d’un échange intellectuel bref mais intense avec le physiologiste viennois Joseph Paneth22. Il est en tout cas caractéristique de l’eugénisme de Galton d’appeler l’humanité à prendre les commandes de l’évolution, en soulignant qu’elle n’a pas jusqu’à présent dirigé son propre développement, ou alors très imparfaitement et « half unconsciously », selon la formule de Galton23. À ses risques et périls, Nietzsche pourrait bien emprunter au grand eugéniste anglais ce motif de la prise de conscience érigée en ligne de partage de l’histoire humaine.
11Ce discours n’enlève rien, toutefois, à l’antidarwinisme revendiqué de Nietzsche. Des interprétations non darwiniennes de l’élevage sont en effet possibles dans le cadre d’une pensée évolutionniste. Par exemple, il est possible de minorer le rôle de la sélection naturelle dans l’évolution, tout en reconnaissant le pouvoir de l’élevage humain, conçu ou bien de manière sélective, ou bien sur la base d’une hérédité lamarckienne. Dans le Crépuscule des idoles, c’est avant tout le principe de lutte pour l’existence dans la nature que Nietzsche remet en question : il affirme que cette nature malthusienne, surpeuplée et nécessiteuse, n’est pas la règle mais l’exception. Mais cette critique n’empêche pas Nietzsche de penser l’élevage à partir d’une autre logique, plus conforme à l’hypothèse de la volonté de puissance. On le voit notamment dans un passage révélateur du paragraphe 262 de Par-delà bien et mal : « Une espèce apparaît, un type se stabilise et se renforce à la faveur du long combat qu’il mène contre des conditions défavorables pour l’essentiel identiques. » Nietzsche suggère donc que ce sont les résistances opposées par un environnement défavorable qui élèvent à la longue un type particulier d’être vivant. Si ces résistances se maintiennent sur une durée suffisante, elles stimulent la volonté de puissance, tout en lui laissant le temps nécessaire pour interpréter son milieu : car Nietzsche conçoit les adaptations comme des interprétations actives du vivant, à la faveur desquelles celui-ci construit jusqu’à un certain point son environnement, sans se contenter de le subir comme un donné positif24. On peut dire en ce sens que les obstacles élèvent des vertus. C’est manifestement la logique que Nietzsche veut penser et qui explique, par exemple, qu’il se demande dans un fragment posthume de 1884 : « Quelles “vertus” le combat des animaux a-t-il élevées ? (Obéissance dans le troupeau – courage initiative discernement chez les chefs)25. »
DE QUELLE NATURE PARLE LE GÉNÉALOGISTE ?
12Nous nous contenterons ici de ces quelques remarques sur la logique nietzschéenne de l’élevage. Après l’avoir caractérisée dans ses grandes lignes, nous voudrions en tirer quelques conséquences pour l’interprétation de la démarche généalogique chez Nietzsche. Nous discuterons dans ce cadre une réception foucaldienne et postfoucaldienne de la généalogie, qui interprète celle-ci comme un instrument de dénaturalisation par l’histoire. Dans cette perspective, le point fondamental nous semble être le rôle qu’une pensée généalogique reconnaît ou non à la nature, au sens d’une nature en évolution, mais qui présente un certain degré de stabilité dans le flux du devenir, en tant que configuration instinctive ou héréditaire. Il se pourrait, en effet, qu’une divergence essentielle existe entre Nietzsche et Foucault sur ce point. Elle apparaît en creux dans l’article fondateur de Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire ». Il s’agit de savoir si le généalogiste a affaire à une pure histoire dont les produits sont tous, en principe, également contingents et commensurables, ou s’il convient de distinguer des héritages et des hérédités qui correspondent à des degrés d’inscription différents. Donc : ou bien une pure histoire qui s’oppose en bloc à une pure nature (dont on aura alors beau jeu de montrer qu’elle est introuvable), ou bien une nature qui est elle-même historique, mais à des échelles temporelles supérieures à nos ordres de grandeur familiers (si bien qu’elle se comporte comme une stabilisation momentanément contraignante). On peut résumer cette alternative de la façon suivante. Existe-t-il une profondeur relative des temporalités et des incorporations ? Si c’est le cas, alors ce sont les couches les plus profondes qui doivent être considérées comme prépondérantes. Et cette supposition a une implication méthodologique décisive. Le généalogiste doit dans ce cas inclure la préhistoire et l’évolution dans son champ de recherche, au lieu de limiter son enquête à l’histoire de la culture occidentale.
13Il nous semble que le prisme de l’élevage situe clairement Nietzsche d’un côté de cette alternative philosophique et méthodologique. De son propre aveu, Nietzsche veut envisager l’histoire bien au-delà de « ces quatre mille ans que nous connaissons à peu près », pour reprendre la formule ironique du paragraphe 2 d’Humain, trop humain. Le rôle de la pensée de l’élevage dans ce choix temporel est par exemple attesté par un fragment posthume de 1881, dont nous ne citerons que le début :
Nos pulsions et nos passions ont été élevées pendant des intervalles de temps immenses dans des groupes sociaux et sexuels (auparavant sans doute dans des hordes de singes) : aussi ces pulsions et passions sont-elles plus fortes sous leur forme sociale que sous leur forme individuelle, aujourd’hui encore26.
14On voit bien ici que la temporalité de l’élevage excède les bornes d’une histoire classique d’historiens. Elle exige de faire des conjectures qui remontent au moins jusqu’aux ancêtres simiens de l’homme27. Ces réflexions, toutes hypothétiques qu’elles sont, reflètent un parti pris méthodologique qui est répété et même martelé par Nietzsche : il faut cesser de se réfugier dans la chronologie récente de l’« histoire universelle » (i. e. de la Weltgeschichte dont Hegel parlait par exemple dans sa philosophie de l’histoire)28. Nietzsche veut sortir intellectuellement de cette zone de confort, qui implique selon lui une distorsion de perspective, parce qu’elle accorde un primat méthodologique à une période comparativement restreinte et donc moins déterminante pour le façonnement de l’être humain. C’est une forme de myopie de l’historiographie traditionnelle, qui ne voit net que lorsqu’elle a affaire au passé proche et floute au contraire le passé éloigné29. Nietzsche conteste cette focalisation dans Aurore, lorsqu’il est question de situer temporellement la « moralité des mœurs » : il place celle-ci avant l’histoire universelle, en soulignant l’incommensurabilité de ces deux ensembles temporels – on peut à peine comparer « ces immenses périodes de “moralité des mœurs” » avec « “l’histoire universelle”, cet épisode ridiculement petit de l’existence humaine30 ».
15Il ne s’agit pas néanmoins de délaisser purement et simplement l’histoire universelle. Ce n’est pas ce que fait Nietzsche dans sa pratique de généalogiste. On le voit plutôt conjuguer des échelles temporelles distinctes, entenant compte de leur disparité éventuelle et des conséquences que celle-ci est susceptible d’entraîner. Ainsi, dans la Généalogie de la morale, l’histoire récente de la morale judéo-chrétienne est insérée dans une histoire antique et préhistorique beaucoup plus vaste. L’intérêt de cette approche apparaît en particulier au paragraphe 16 du second traité, quand Nietzsche énonce sa fameuse hypothèse sur l’origine de la mauvaise conscience. L’émergence de la mauvaise conscience est en effet rapportée au choc de deux temporalités. La première est celle qui avait produit les instincts d’un « [demi-animal adapté] avec bonheur à l’étendue sauvage, à la guerre, au vagabondage, à l’aventure » (c’est-à-dire l’homme, ou l’animal qu’il était à cette époque)31. Mais une deuxième temporalité entre ensuite en collision avec la première. Elle correspond à une mutation beaucoup plus brusque : « d’un seul coup », l’homme se retrouve « définitivement prisonnier de l’envoûtement de la société et de la paix ». La soudaineté de cette rupture, sur laquelle Nietzsche insiste énormément au paragraphe 17, expliquerait le phénomène d’intériorisation pulsionnelle à l’origine de la mauvaise conscience. Les instincts du demi-animal humain n’auraient pas eu le temps de se transformer, et ils se seraient donc seulement intériorisés, c’est-à-dire retournés contre leurs possesseurs32. L’homme n’est pas « fait » pour vivre dans une société sédentaire et pacifiée par un État : de ce point de vue, Nietzsche semble penser une révolution comparable à celle que l’archéologue australien Vere Gordon Childe baptisera « révolution néolithique » dans les années 1930, c’est-à-dire un bouleversement du mode de vie humain qui demeure aujourd’hui le plus radical de l’histoire33. Nietzsche anticipe aussi une idée cardinale de l’actuelle psychologie évolutionniste, selon laquelle nos instincts présents peuvent être adaptés à des environnements de vie passés dans lesquels ils ont été modelés34.
16L’hypothèse de Nietzsche sur l’origine de la mauvaise conscience suggère en tout cas qu’il n’attribue pas la même profondeur aux différentes temporalités qu’il prend en considération. Pour cette raison, toutes les tendances psychologiques ne sont pas sur le même plan à un moment donné. Certaines d’entre elles ont été incorporées, ce qui veut dire qu’elles ne sont pas aisément ou pas rapidement modifiables, même s’il est en revanche plus facile de les réorienter, par exemple sur le mode de l’« intériorisation » que théorise le deuxième traité de la Généalogie de la morale. Ces tendances incorporées ne constituent pas pour autant une nature définitive. Il suffirait de les envisager à une autre échelle pour voir qu’elles ont, elles aussi, été façonnées par une histoire : « même les instincts sont devenus », comme le dit remarquablement un fragment posthume de 188535.
17Nous pouvons maintenant évoquer la lecture de Michel Foucault dans son article de 1971, pour indiquer à quel niveau se situe la divergence dont nous voulons traiter ici. Foucault est bien conscient que Nietzsche réfléchit sur des instincts et des hérédités dans le cadre de sa philosophie historique. Cet aspect n’est pas passé sous silence dans « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », il est au contraire explicitement mentionné, notamment à la fin du deuxième point de l’article (rappelons que le texte est structuré en sept points) :
Il faut savoir reconnaître les événements de l’histoire, ses secousses, ses surprises, les chancelantes victoires, les défaites mal digérées, qui rendent compte des commencements, des atavismes et des hérédités36.
18Foucault admet par conséquent que Nietzsche fait un sort aux atavismes et aux hérédités. Mais il nous paraît néanmoins raisonner très différemment à ce sujet, dans la mesure où il pense fondamentalement en termes événementiels : sous sa plume, ce sont des « événements de l’histoire » qui sont censés rendre compte des atavismes et des hérédités. Il n’est donc plus question d’une incorporation qui aurait sa durée et qui pourrait être plus ou moins profonde37. Foucault tend à occulter cette problématique, peut-être parce que le lamarckisme sur lequel Nietzsche tablait encore dans les années 1870 et 1880 a entre-temps été remis en question par la génétique moderne. Quoi qu’il en soit, on trouve une série d’indices de cette occultation foucaldienne dans l’article de 1971. Foucault écrit que « [la] tâche [de la généalogie] n’est pas de montrer que le passé est encore là, bien vivant dans le présent38 ». Plus loin, quand Nietzsche parle justement d’héritage, Foucault commente : « Cet héritage n’est point […] un avoir qui s’accumule et se solidifie39. » Et par la suite, Foucault affirme que l’histoire effective « ne laissera rien au-dessous de soi, qui aurait la stabilité rassurante de la vie ou de la nature40 ». Tout se passe donc comme si Foucault voulait reconduire toutes les temporalités sur un même plan d’instabilité philosophique, au lieu de distinguer et de conjuguer des échelles temporelles inégales comme le faisait Nietzsche.
19Et après tout, pourquoi pas ? Foucault disait lui-même qu’il voulait utiliser Nietzsche et non pas simplement le commenter41. Du moment qu’il propose un usage de Nietzsche, on ne peut pas le taxer de contresens sans commettre à son tour un contresens sur le statut du propos. Mais ceci posé, et même en faisant totalement abstraction de la question de la fidélité, il y a peut-être un prix important à payer lorsqu’on fait ainsi grincer et crier Nietzsche. Si on ne fait plus de différence verticale entre des niveaux d’inscription historique, entre des héritages et des hérédités, ou entre des degrés d’incorporation, on risque de retomber dans l’illusion traditionnelle d’une toute-puissance de l’histoire récente. On se focalisera de nouveau sur les « quatre mille ans que nous connaissons à peu près », comme s’ils avaient façonné l’humanité d’aujourd’hui pour l’essentiel, alors que Nietzsche soulignait dans Aurore que c’est la période antérieure qui constitue « l’histoire réellement capitale et décisive qui a fixé le caractère de l’humanité42 ».
20Nous nous permettons de poser une dernière question à laquelle nous n’avons pas la prétention de répondre dans le cadre de cet article. Les gender studies contemporaines n’auraient-elles pas hérité de ce malentendu nietzschéo-foucaldien ? À travers Foucault, la critique généalogique dont se réclame une auteure comme Judith Butler dans Trouble dans le genre ne reconduirait-elle pas à son insu une opposition entre nature et histoire que Nietzsche avait par avance subvertie43 ? Si ce point était avéré, alors au lieu d’affirmer que le genre n’est pas une nature, un généalogiste nietzschéen devrait dire que le sexe est historique à plusieurs échelles. Ce qui ne reviendrait pas tout à fait au même.
CONCLUSION
21Nous avons essayé de montrer que la pensée de l’élevage joue un rôle structurant dans la réflexion historique de Nietzsche. Cette problématique se traduit notamment par un choix d’échelle temporelle, incluant ce qu’on appellerait aujourd’hui l’« histoire profonde » dans le champ d’investigation du généalogiste. Une autre conséquence du questionnement sur la Züchtung, plus programmatique, est l’idée que la prise de conscience de son propre élevage par l’humanité représentera une grande ligne de partage historique : il y aura un avant et un après. Là encore, l’élevage semble déterminer un certain regard sur l’histoire. Voilà pourquoi nous avons parlé de prisme dans le titre de cet article.
22On peut s’interroger pour finir sur la relation que le prisme de l’élevage entretient avec la doctrine de l’éternel retour. La temporalité de l’éternel retour est peut-être en effet une échelle encore supérieure de la pensée de Nietzsche, qui vient faire contrepoids à toutes les temporalités du projet. À cet égard, méditer sur les élevages qui ont été ou qui pourront être réalisés ne doit jamais conduire à transformer l’histoire en une eschatologie. Mais il pourrait néanmoins y avoir entre l’élevage et l’éternel retour une relation de double enveloppement. Car, selon un fragment posthume de 1884, l’éternel retour est précisément « der große züchtende Gedanke », « la grande pensée d’élevage » : comme si cette perspective visait à élever les individus qui seront capables de l’accepter44.
Notes de bas de page
1 Ce terme allemand et ses dérivés n’ont pas fait l’objet d’une traduction unifiée dans l’édition Gallimard des Œuvres philosophiques complètes, alors que, comme on le verra dans la suite, la Züchtung est un concept capital de l’expérience de pensée de Nietzsche. Dans les différents volumes de l’édition Gallimard, le vocabulaire de la Züchtung est parfois rendu correctement par le terme d’élevage (par exemple FP, printemps-été 1875, 5 [11]/KSA 8, 43), mais il est également tantôt glosé (cf. FP, été-automne 1873, 29 [48]/KSA 7, 646, où « eine Art Züchtung » devient en français « c’est-à-dire parqués ») ; tantôt traduit par « sélection » (par exemple FP, été 1875, 9 [1]/KSA 8, 161 et FP, été 1882, 21 [3]/KSA 9, 683) ; tantôt traduit par « dressage » (FP, printemps-été 1875, 12 [22]/KSA 8, 259) ; tantôt traduit par « discipline » (par exemple FP, printemps-automne 1881, 11 [179]/KSA 9, 508 ; FP, automne 1881, 12 [183]/ KSA 9, 607, ou encore FP, automne 1885-automne 1886, 2 [122]/KSA 12, 122) ; tantôt traduit par « anthropoculture » (qui traduit en fait « Züchtung des Menschen » dans FP, printemps-automne 1881, 11 [276]/KSA 9, 547) ; tantôt traduit par « éducation » (par exemple FP, début 1886-printemps 1886, 3 [13]/KSA 12, 74). Cette liste n’est pas exhaustive. Une telle prolifération de traductions rend à peu près impossible, pour le lecteur français non germaniste, de mesurer la portée conceptuelle de la terminologie employée par Nietzsche. Il faut ici rendre hommage à Patrick Wotling, qui a signalé cette déficience philosophique et l’a corrigée dans ses propres traductions de Nietzsche. Mais l’édition Gallimard reste malheureusement à ce jour la seule à couvrir l’ensemble des œuvres publiées et des fragments posthumes.
2 Cf. GM, II, 1, trad. P. Wotling/KSA 5, 291.
3 Les guillemets sont de rigueur lorsqu’on parle de « darwinisme » dans la deuxième moitié du xixe siècle. En effet, contrairement à ce que pourrait suggérer une lecture néodarwinienne rétrospective, il existe à cette époque une multitude de réceptions divergentes de L’origine des espèces, qui se réclament du darwinisme en des sens divers, sans nécessairement être avalisées par Darwin. Sur ce point, cf. T. Hoquet, Darwin contre Darwin. Comment lire L’Origine des espèces ?, Paris, Seuil, 2009. Certains commentateurs de Nietzsche n’ont pas suffisamment pris au sérieux ces complexités et ces ambiguïtés de la « révolution darwinienne » : cf., par exemple, J. Richardson, Nietzsche’s New Darwinism, New York, Oxford University Press, 2004.
4 Cf. C. Darwin, On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, Londres, John Murray, 1859, p. 36-37.
5 Cf. M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », dans J.-F. Balaudé, P. Wotling (dir.), Lectures de Nietzsche, Paris, Librairie générale française, 2000, p. 102-130. Cf. également W. Brown, Politics Out of History, Princeton/Oxford, Princeton University Press, 2001, p. 103, C. Koopman, Genealogy as Critique. Foucault and the Problems of Modernity, Bloomington/ Indianapolis, Indiana University Press, 2013, p. 129 ; J. Butler, Gender Trouble. Feminism and the Subversion of Identity, 1990, préface, p. XXXI.
6 Cf. CId, « Ceux qui rendent l’humanité “meilleure” », 2, trad. P. Wotling. « Dressage » trad l’allemand Zähmung.
7 Cf. FP, été-automne 1873, 29 [48]/KSA 7, 646, trad. ES.
8 Cf. W. Bagehot, Physics and Politics, or Thoughts on the Application of the Principles of “Natural Selection” and “Inheritance” to Political Society, Kitchener, Batoche Books, 2001 (1re éd. Londres, Henry S. King, 1872), et Der Ursprung der Nationen. Betrachtungen über den Einfluss der natürlichen Zuchtwahl und der Vererbung auf die Bildung politischer Gemeinwesen, Leipzig, Brockhaus (Internationale Wissenschaftliche Bibliothek), 1874.
9 Cf. FP, été-automne 1873, 29 [197]/KSA 7, 710. Ce fragment posthume de 1873 annonce clairement la longue citation de Der Ursprung der Nationen qu’on trouve en 1874 au paragraphe 8 de Schopenhauer éducateur. Il peut paraître surprenant, compte tenu de sa faible maîtrise de l’anglais, que Nietzsche ait eu connaissance dès 1873 d’un ouvrage dont la traduction allemande paraît officiellement en 1874. Pour l’expliquer, on peut imaginer ou bien que Nietzsche a lu une recension détaillée du livre en 1873 avant de se le procurer en 1874, ou bien que la date de publication officielle a été anticipée par l’éditeur, comme cela arrive de temps à autre.
10 Cf. C. Darwin, On the Origin of Species, op. cit., et The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex, Londres, John Murray, 1871, 2 vol.
11 Cf. W. Bagehot, Physics and Politics, op. cit., p. 64-65/Der Ursprung der Nationen, op. cit., p. 129-130.
12 Ibid., p. 82-83/p. 166-167.
13 Cf. en particulier C. Darwin, On the Origin of Species, op. cit., p. 134-138, et E. Haeckel, Natürliche Schöpfungsgeschichte. Gemeinverständliche Vorträge über die Entwicklungslehre im Allgemeinen und diejenige von Darwin, Goethe und Lamarck im Besonderen, Berlin, G. Reimer, 1868, p. 117-118.
14 Cf. GM, II, 2, trad. P. Wotling.
15 Question déjà évoquée par Bagehot, notamment à propos de Sparte : cf. Physics and Politics, op. cit., p. 83/Der Ursprung der Nationen, op. cit., p. 168.
16 Cf. FP, printemps-été 1875, 5 [25]/KSA 8, 46 (je traduis).
17 Avec cette fois une interrogation sur la beauté des hommes grecs. Cf. FP, automne 1881, 12 [183]/KSA 9, 607 et FP, été 1882, 21 [3]/KSA 9, 683.
18 Cf. CId, « Incursions d’un inactuel », 47, trad. P. Wotling.
19 Cf. PBM, 262, trad. P. Wotling.
20 Il s’agirait en ce sens d’« élever l’humanité comme un tout et comme une entité supérieure », cf. FP, décembre 1888-début janvier, 25 [1]/KSA 13, 638, trad. ES.
21 Cf. EH, « Aurore », 2, trad. É. Blondel.
22 Cf. M. L. Haase, « Friedrich Nietzsche liest Francis Galton », Nietzsche Studien, 18, 1989, p. 633-658.
23 Cf. F. Galton, Inquiries into Human Faculty and its Development, Londres, Macmillan, 1883, p. 304 : « Now that this new animal, man, finds himself somehow in existence, endowed with a little power and intelligence, he ought, I submit, to awake to a fuller knowledge of his relatively great position, and begin to assume a deliberate part in furthering the great work of evolution. »
24 Cf. FP, automne 1885-automne 1886, 2 [175]/KSA 12, 154 : « NB : Contre la théorie du milieu* et des causes extérieures : la force intérieure est infiniment supérieure ; beaucoup de ce qui apparaît comme une influence de l’extérieur n’est en réalité que son adaptation de l’intérieur. Les mêmes milieux* peuvent précisément être interprétés et utilisés de manière opposée : il n’y a pas de faits. » Sur cette question du rapport actif du vivant à son milieu, il est intéressant de rapprocher la pensée de Nietzsche de celle de Canguilhem, comme l’a par exemple proposé Barbara Stiegler : cf. « De Canguilhem à Nietzsche : la normativité du vivant », dans G. Le Blanc (dir.), Lectures de Canguilhem. Le normal et le pathologique, Paris, ENS Éditions, 2000, p. 85-104, notamment p. 99, n. 2.
25 Cf. FP, printemps 1884, 25 [429]/KSA 11, 125, trad. ES.
26 Cf. FP, printemps-automne 1881, 11 [130]/KSA 9, 487-488, trad. ES.
27 Le paragraphe 18 d’Humain, trop humain va jusqu’à envisager un héritage cognitif qui proviendrait des organismes inférieurs.
28 Lorsqu’il évoque ce concept de Weltgeschichte, qui a été diversement défini dans la pensée historique allemande, Nietzsche semble avant tout faire référence aux quelques millénaires d’histoire de la civilisation que nous connaissons par des sources écrites. En ce sens, l’histoire universelle exclut d’emblée les événements qui précèdent l’invention de l’écriture : cf., à ce sujet, L. von Ranke, Weltgeschichte, I, Leipzig, Dunkler & Humblot, 1881, avant-propos, p. V-X.
29 On peut se demander si la situation actuelle des études historiques est vraiment différente, à cet égard, de celle que Nietzsche diagnostiquait dans la deuxième moitié du xixe siècle. En effet, la préface d’un volume récent consacré à l’« histoire profonde » dresse un constat similaire à celui de Nietzsche : cf. A. Shyrock, D. L. Smail (éd.), Deep History : The Architecture of Past and Present, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 2011, p. ix-xii.
30 Cf. Aur., 18, trad. É. Blondel et alii/KSA 3, 31-32.
31 Cf. GM, II, 16, trad. P. Wotling.
32 Ibid., 16-17.
33 Sur cette rupture fondamentale, rendue possible par le développement de l’agriculture et de l’élevage, cf. J.-P. Demoule, La révolution néolithique. Les origines de la culture, Paris, Le Pommier, 2008. L’expression même de « révolution néolithique » est postérieure à Nietzsche, mais des réflexions sur cette grande articulation de l’histoire humaine existaient déjà de son temps et étaient connues de lui : cf. notamment F. von Hellwald, Culturgeschichte in ihrer natürlichen Entwicklung bis zur Gegenwart, Augsbourg, Lampart, 1875, p. 48-51.
34 Sur la notion d’« environment of evolutionary adaptedness » (ou EEA) dans la psychologie évolutionniste contemporaine, cf. J. Barkow, L. Cosmides, J. Tooby (éd.), The Adapted Mind. Evolutionary Psychology and the Generation of Culture, New York/Oxford, Oxford University Press, 1992.
35 Cf. FP, hiver 1884-1885, 34 [81]/KSA 11, 444 (je traduis). Au paragraphe 2 d’Humain, trop humain, Nietzsche se moquait déjà des philosophes qui postulaient des instincts à une échelle historique inadéquate, car beaucoup trop limitée.
36 Cf. M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », art. cité, p. 107.
37 Nietzsche use parfois d’expressions comme « à la suite d’une longue hérédité » (nach langer Vererbung), comme s’il fallait stipuler qu’une hérédité est ancienne pour en faire une hérédité pleine et entière : signe que nous sommes bien dans une logique lamarckienne. Cf., par exemple, HTH, 96 et FP, fin 1876-été 1877, 23 [87]/KSA 8, 434.
38 Cf. M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », art. cité, p. 109.
39 Ibid.
40 Ibid., p. 117.
41 Cf. M. Foucault, Dits et écrits : 1954-1988, Paris, Gallimard, 1994, vol. 2, p. 753 : « La présence de Nietzsche est de plus en plus importante. Mais me fatigue l’attention qu’on lui prête pour faire sur lui les mêmes commentaires qu’on a faits ou qu’on ferait sur Hegel ou Mallarmé. Moi, les gens que j’aime, je les utilise. La seule marque de reconnaissance qu’on puisse témoigner à une pensée comme celle de Nietzsche, c’est précisément de l’utiliser, de la déformer, de la faire grincer, crier. Alors, que les commentateurs disent si l’on est ou non fidèle, cela n’a aucun intérêt. »
42 Cf. Aur., 18/KSA 3, 32, trad. Blondel modifiée. Il est vrai que Foucault n’est pas silencieux sur la préhistoire proprement dite, mais d’une part, ses principaux ouvrages ne semblent pas accorder une importance centrale à cette séquence temporelle, et d’autre part, si le concept de préhistoire est pertinent pour Foucault, c’est peut-être en un autre sens lié à sa propre démarche « archéologique ». Cf. M. Kusch, Foucault’s Strata and fields. An Investigation into Archaeological and Genealogical Science Studies, Dordrecht, Springer Science + Business Media, 1991, p. 8.
43 Cf. J. Butler, Gender Trouble. Feminism and the Subversion of Identity, New York/Oxon, Routledge, 1990, préface, p. XXXI.
44 Cf. FP, printemps 1884, 25 [227]/KSA 11, 73.
Auteur
Ancien élève de l’ENS-Ulm et agrégé de philosophie. Il est actuellement pensionnaire de la fondation Thiers, chercheur au laboratoire Sphere du CNRS et directeur de programme au Collège international de philosophie. Il est aussi membre du GIRN (Groupe international de recherches sur Nietzsche). Sa thèse de doctorat, soutenue en 2011, porte sur la notion d’élevage dans la pensée de Nietzsche. Ses publications récentes incluent un livre, Nietzsche (Les Belles Lettres, 2015), un article intitulé « Moralistes darwiniens : les psychologies évolutionnistes de Nietzsche et Paul Rée », Nietzsche Studien (2013) et « Nietzsche et “la grande préhistoire de l’humanité” », dans Aurore, tournant dans l’œuvre de Nietzsche ? (Éditions et presses universitaires de Reims, 2015).
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