Dom Deschamps, bénédictin athée, matérialiste et communiste
p. 137-153
Texte intégral
« Il faut entièrement nettoyer la place1. »
1Mal connu, Dom Deschamps n’est plus un inconnu dans son propre pays depuis que l’édition française s’est inspirée de l’exemple russe du début du xxe siècle, puis, plus récemment, des exégètes italiens. Nous savons ce que nous devons depuis quelque vingt ans, entre autres mais surtout à Jacques D’Hondt, Bernard Delhaume et André Robinet pour accéder à l’œuvre du « plus grand métaphysicien français du xviiie siècle » selon le mot de ce dernier2.
2Son excentricité, parmi les Lumières, tient en particulier à sa conception métaphysique de ce que l’on peut hésiter à considérer comme son « utopie ». Ce bénédictin athée et matérialiste a fréquenté Rousseau, Helvétius, Diderot, d’Alembert, d’Holbach, Voltaire, l’abbé Yvon et Jean-Baptiste Robinet et a entretenu une correspondance3 avec la plupart d’entre eux. Dès l’âge de dix-sept ans, en 1733, il entre dans les ordres bénédictins à Rennes. Après avoir été chargé de travaux d’historiographie sur l’histoire de Touraine, il devient secrétaire du chapitre de Saint-Pierre de Montreuil-Bellay, puis s’introduit en 1760 dans la société des Ormes fréquentée par les philosophes et prend connaissance de la polémique entre Diderot et Maupertuis sur l’idée de Tout4. En 1766, il rédige la Réfutation simple et courte du système de Spinoza ; en 1769, il publie les Lettres sur l’esprit du siècle et rencontre Diderot durant l’été ; en 1770, d’Holbach publie son Système de la nature que Deschamps fait suivre d’une sorte de « réponse » : La Voix de la raison contre la raison du temps et particulièrement contre celle de l’auteur du Système de la nature. Outre les manuscrits conservés à la bibliothèque de Poitiers et aux Ormes, La Vérité ou le Vrai Système qui contient Le Mot de l’énigme métaphysique et morale et le même appliqué à la philosophie et à la théologie du temps par demandes et réponses est édité après sa mort5.
3Contre l’Encyclopédie, emblème de l’âge des Lumières, Dom Deschamps propose une société future qui n’aura besoin ni de savants, ni de poètes, ni d’ingénieurs et qui se passera de toute économie concertée. Il s’agira, en s’opposant aux encyclopédistes et aux philosophes du xviiie siècle français, de sortir de ce « siècle des demi-lumières » selon le jugement sévère du bénédictin. Il recueille pourtant fidèlement l’aliénation dénoncée par Rousseau : dénonciation de l’inégalité, origine du mal dans l’appropriation, vices engendrés par les sciences et les arts, appui des religions instituées aux États et aux pouvoirs. Mais cela va être utilisé par Dom Deschamps au rebours de tout contrat social : sa critique radicale de l’économie autorise le projet de la disparition de l’étape techniciste de l’humanité, le dépassement de l’ère industrielle, une société agreste où les désirs de l’homme seront d’autant mieux satisfaits que ses besoins seront quasi nuls ! Pour Dom Deschamps en effet, le rôle de toute économie consiste à distribuer selon une loi les richesses de la société. Or, c’est la loi qui maintient les inégalités. Contrairement à la plupart des utopistes, il ne ménage aucun tabou, aucun compromis. La raison de cette radicalité tient au principe et au fondement métaphysiques de cette « utopie6 ». C’est comprendre du même coup ce qui avait si fortement frappé ses contemporains, par exemple Diderot, lors de sa rencontre avec le « moine » pendant l’été 1769 : « Un moine, appelé Dom Deschamps, m’a fait lire un des ouvrages les plus violents et les plus originaux que je connaisse. C’est l’idée d’un état social où l’on arriverait en partant de l’état sauvage en passant par l’état policé au sortir duquel l’on conçoit enfin que l’espèce humaine sera malheureuse tant qu’il y aura des rois, des prêtres, des magistrats, des lois, un tien, un mien, les mots de vices et de vertus. Jugez combien cet ouvrage […] a dû me faire plaisir ; puisque je me suis retrouvé tout à coup dans le monde pour lequel j’étais né7 ! » Dans cette même lettre où il annonce la rédaction du premier entretien du Rêve de d’Alembert, Diderot ajoute : « Ce qui m’amusa beaucoup, ce furent les efforts de notre apôtre du matérialisme pour trouver dans l’ordre de la nature une sanction aux lois. Mais ce qui vous amusera bien davantage, c’est la bonhomie avec laquelle cet apôtre prétendait que son système, qui attaquait tout ce qu’il y a au monde de plus révéré était innocent et ne l’exposait à aucune suite désagréable ; tandis qu’il n’y avait pas une phrase qui ne lui valût un fagot8. »
TOUT, LE TOUT, TOUT
4Pour éclairer le « vrai système » de Dom Deschamps, je réfléchirai dans un premier temps à ce qu’il entend par ce principe métaphysique qu’il nomme « Tout » par différence avec le Tout et avec tout. Cela suppose d’établir la teneur et la signification de son intervention dans le débat entre Diderot et Maupertuis sur la nature du tout d’un organisme dans le cadre de leurs théories sur la génération et l’organisation d’un vivant. D’une certaine manière, le Tout politique de l’utopie de « l’état de mœurs » dérive de l’exigence de penser le Tout de l’organisme sur l’horizon du principe métaphysique de Tout, ce qui revient à ne pas s’en tenir au stade des demi-Lumières, à ne pas s’en tenir à un principe physique du Tout9.
5La question philosophique du tout et ses ambiguïtés avaient été radicalement mises en évidence par Diderot. De la onzième des Pensées sur l’interprétation de la nature - « L’indépendance absolue d’un seul fait est incompatible avec l’idée de tout ; et sans l’idée de tout plus de philosophie10 »- aux formulations du Rêve de d’Alembert, la notion de tout est plus que problématique. On lit, en effet, dans le deuxième entretien du Rêve : « Tout change, tout passe, il n’y a que le tout qui reste […] Si tout est en flux général […] Le tout change sans cesse […] Tout est en un flux perpétuel […] Il n’y a qu’un seul grand individu, c’est le tout11 » ; et, justement, à propos du tout de l’individu : « Qu’est-ce qu’un être ? […] La somme d’un certain nombre de tendances… Est-ce que je puis être autre chose qu’une tendance12 ? […] » Déjà, l’article « Éclectisme13 » de l’Encyclopédie proposait en lieu et place d’un système de la nature une libre enquête ouverte et inachevée sur l’idée de matière, menée selon une aventure de la pensée par l’image et la métaphore.
6Or, face à ce « scepticisme » de Diderot quant à la possibilité de penser le tout sur le mode d’une totalité fermée et achevée, Maupertuis avait fait preuve d’audace en conjecturant une « solution » au double problème auquel se confrontaient les philosophes du vivant à cette période : problème de la genèse, de la formation d’une forme et problème de la structure de cette forme, du type d’organisation d’un organisme ou du rapport des parties au tout. L’argumentation de Maupertuis s’ouvre sur le refus du préformationnisme qui n’exclut pas l’aveu d’une aporie : « Il est vrai qu’on ne comprend point comment, à chaque génération, un corps organisé, un animal, peut se former : mais comprend-on mieux comment cette suite infinie d’animaux contenus les uns dans les autres, aurait été formée tout à la fois14 ? »
7Le système leibnizien résolvait pourtant ensemble le mode d’intégration du simple au complexe et le rapport d’expression organique entre la partie et le tout. La légitimité du modèle du moule ou du schème perceptif comme outil explicatif de la génération des formes vivantes se trouvait du même coup établie. Pour Leibniz, il est raisonnable qu’il y ait des substances capables de perceptions au-dessous de nous, comme il y en a au-dessus ; et que notre âme, bien loin d’être la dernière de toutes, se trouve dans un milieu dont on puisse descendre ou monter ; autrement, ce serait introduire une solution de continuité dans la chaîne des êtres. C’est ce que dit Théophile à Philalèthe dans les Nouveaux Essais : « J’ai du penchant à croire qu’il y a quelque perception et appétition encore dans les plantes à cause de la grande analogie qu’il y a entre les plantes et les animaux ; et s’il y a une âme végétale, comme c’est l’opinion commune, il faut qu’elle ait de la perception15. » Pour fonder cette hiérarchie des perceptions, Leibniz a pris soin de faire une double distinction : distinction entre la notion d’aperception réservée à la conscience de soi, et la simple perception réservée aux autres monades ; d’autre part, il distingue deux définitions de la perception dont il montre qu’elles s’engendrent réciproquement : la perception comme conscience plus ou moins claire d’un objet et la perception comme expression projective de la diversité dans l’unité. Ce qui en effet signifie la même chose, puisque l’hétérogénéité du divers ne peut être perçue qu’unifiée. Un célèbre paragraphe de la Monadologie insiste sur ce point : « C’est ce qui fait aussi qu’il n’y a jamais ni génération entière, ni mort parfaite prise à la rigueur, consistant dans la séparation de l’âme. Et ce que nous appelons générations sont des développements et des accroissements ; comme ce que nous appelons morts sont des Enveloppements et des Diminutions16. » On peut y voir la proximité apparente du texte de Maupertuis et de la position de Leibniz, puisque cette activité de la perception sera désignée dans le vocabulaire de la dynamique par le terme de « force » et, en psychologie, par la spontanéité de l’« appétit », de la tendance, de la volonté. La filiation leibnizienne paraît claire dans le Système de la nature, en 1754 : « L’intelligence que nous éprouvons en nous-mêmes indique nécessairement une source d’où émane, dans le degré qui convient à chacun, l’intelligence de l’homme, des animaux et de tous les êtres jusqu’aux derniers éléments17. » Les croyants n’ont pas besoin de s’alarmer ni de dire que « tout est perdu si l’on admet la pensée dans la matière18 » puisqu’à partir du moment où l’on peut tolérer la présence d’une âme dans l’animal, il n’y a pas d’inconvénient à l’étendre jusqu’aux plantes, et, par elles, jusqu’aux minéraux. Et Maupertuis de s’emparer de la célèbre métaphore de l’essaim d’abeilles : « Dans l’état de fluidité où était la matière, chaque élément aura été se placer de la manière convenable pour former les corps dans lesquels on ne reconnaît plus les vestiges de leur formation ; c’est ainsi qu’une armée, vue d’une certaine distance, pourrait ne paraître à nos yeux que comme un grand animal ; c’est ainsi qu’un essaim d’abeilles lorsqu’elles se sont assemblées et unies autour de la branche de quelqu’arbre, n’offre plus à nos yeux qu’un corps qui n’a aucune ressemblance avec les individus qui l’ont formé19. » Ainsi est réglée la question de la détermination de l’unité organique sur le fond d’un malentendu et d’une trahison de l’héritage leibnizien, dans le sens d’une monadologie physique qui a levé l’interdit théorique leibnizien, celui du mélange des ordres du réel.
8Alors que Maupertuis se voit ainsi protégé de l’« épicurisme impie », Diderot le fait trembler en le menaçant du risque spinoziste. Et Diderot ne s’y trompe pas : en employant à propos de la perception élémentaire le terme de « point vivant » qu’il va utiliser à son propre compte dans Le rêve de d’Alembert, il montre qu’on tient là l’élément précurseur de la thèse de la sensibilité universelle de la matière.
9Ce sont les pensées L et LI des Pensées sur l’interprétation de la nature qui font état de l’horreur feinte de Diderot face à l’hypothèse « biologique » de Baumann-Maupertuis : « C’est ici que nous sommes surpris que l’auteur ou n’ait pas aperçu les terribles conséquences de son hypothèse20, ou que, s’il a aperçu les conséquences, il n’ait pas abandonné l’hypothèse. C’est maintenant qu’il faut appliquer notre méthode à l’examen de ses principes. Je lui demanderai donc si l’univers ou la collection générale des molécules sensibles et pensantes forme un tout, ou non21. »
10Dans le cadre d’une double recherche - faire l’hypothèse de la génération d’un organisme et concevoir la nature du tout d’un vivant-l’apostrophe de Diderot et les Réponses de Maupertuis constituent un débat physique au risque d’une métaphysique et plus précisément d’une métaphysique dans laquelle on ne saurait tomber sans danger, c’est-à-dire une métaphysique spinoziste. La prise en compte par Maupertuis de l’échec des préformationnismes et des épigenèses mécanistes inscrit sa riposte au cœur de la complexité de plusieurs réseaux théoriques - surtout leibnizien et spinoziste - et lui permet de poser trois sens possibles du mot « tout » : 1) ce qui ne laisse rien au-delà ; 2) un édifice régulier, un assemblage de parties proportionnées et ordonnées, chacune à leur place ; 3) un ensemble continu. Il s’agit bien d’une physique au risque d’une métaphysique, de l’alternative entre une physique du vivant et une métaphysique de la Vie.
11L’horreur feinte de Diderot est convertie en hommage à Maupertuis par Dom Deschamps, qui a eu vent de ce débat et y réagit dans une note, souvent commentée, au chapitre VIII de la première partie de ses Observations métaphysiques : « Le Tout a été entrevu par le docteur Baumann comme prototype des êtres, c’est-à-dire pour ce qu’il est en effet, puisqu’il est leur premier objet de rapport22. » Sur l’horizon des trois sens possibles du mot « tout », que faut-il pour aller de l’entrevoir au voir, pour passer du « demi-jour » au « grand jour » ? L’avertissement de Dom Deschamps à ses contemporains philosophes dans Le mot de l’énigme métaphysique et morale en donne quelque idée : « C’est à ces conditions que nos philosophes pourraient être fondés à détruire, et c’est là que je les attends. Je les mène loin sans doute et très certainement au-delà de ce qu’ils peuvent ; mais il faut nécessairement qu’ils en viennent là, ou que leur philosophie plie sous la religion, en convenant qu’elle est bien autrement en force qu’ils ne l’imaginaient23. » Toute rigueur vient de la métaphysique. Le moral comme le physique ont leur base dans le métaphysique : « Il suffit, pour juger que le créateur et les créatures ne sont que Le Tout et ses parties, de cesser d’envisager Dieu comme un être physique qui a bâti et qui a une antériorité d’existence sur sa bâtisse, ainsi qu’un architecte sur sa maison, et un père sur son fils. C’est ce qui ne doit pas coûter à notre raison, car quelle foule d’absurdités et, conséquemment, de contrariétés ne s’ensuivent-elles pas d’envisager le créateur sous ce point de vue ? C’est un mystère, nous dit-on, où notre raison ne peut rien comprendre : elle y comprend ce qu’il y a de vrai et le sépare de l’absurde24. »
12En quoi cette métaphysique du Tout est-elle matérialiste et athée et pourquoi et comment conduit-elle à une « utopie » communiste ?
ATHÉISME ET UTOPIE
13Parmi les contemporains de Deschamps, Rousseau est le premier à faire le rapprochement entre le Vrai Système et une scolastique d’origine spinoziste ; il écrit, dans une lettre du 8 mai 1761 : « Si vous avez formé le dessein d’y embarrasser et troubler le lecteur par la plus étrange énigme, vous avez parfaitement réussi par rapport à moi… Que vous dirais-je ? Le système que vous y énoncez est si inconcevable et promet tant de choses que je ne sais qu’en penser. Si j’avais à rendre l’idée confuse que j’en conçois par quelque chose de connu, je le rapporterais à celui de Spinoza ; mais s’il découlait quelque morale de celui-ci, elle était purement spéculative, alors qu’il paraît que le vôtre a des lois de politique, ce qui suppose à ces lois quelque sanction25. » Dans une note à l’article V des Additions à son Précis en quatre thèses, Deschamps reprend à son compte la critique que Bayle et Boulainvilliers avaient formulée contre Spinoza : « Spinoza en qualifiant sa substance de substance unique et en ne la distinguant pas de la substance une, a tombé dans la même absurdité que les théistes qui ont fait de ces deux substances, ou points de vue contraires de l’Existence, un seul être qu’ils appellent Dieu26. » Aux yeux de Deschamps, Spinoza comme les théistes font l’erreur d’attribuer des modifications à l’unique et à l’infini alors qu’il convient de ne lui attribuer que des « nuances ». C’est pourquoi la fin du Précis suggère de retrancher le mot Dieu de nos langues « à cause de l’idée de moralité et de celle d’intelligence qu’on lui a attachées, et de l’idée du Tout et de celle de Tout que l’on a confondues dans lui, en le disant infini et parfait, ce qui ne peut pas se dire du même être27 ». Théologie et athéisme sont ainsi renvoyés dos à dos, confondant de manière fallacieuse en une seule et même unité Dieu et la nature. La Réfutation simple et courte du système de Spinoza souligne que Spinoza n’a pas su distinguer l’Un positif de l’unique négatif : « Un être qui est la négation du sensible en général et en particulier, c’est-à-dire du Tout et des parties ; cet être, dis-je, est le Rien, le néant même. Mais qu’il serait absurde d’en inférer qu’il n’existe point, car c’est l’Existence, c’est la vérité métaphysique même ; c’est Dieu simplement dit28. » Or, comme le précise la Réponse à la Demande XXVI du Mot de l’énigme métaphysique et morale, « Le Tout n’a ni ne peut avoir d’antériorité d’existence sur ses parties, puisqu’il n’est que leur tout, qu’il est nécessairement elles collectivement prises29 ». Il faut soigneusement distinguer Dieu en lui-même ou Tout - qui ne dit point de parties, selon l’expression récurrente de Deschamps - de Dieu relativement à nous ou Le Tout - qui dit des parties ; dans ce second cas, il est notre tout. D’où la confusion. La limite de la pertinence de l’analogie avec la Trinité chrétienne est du même coup soulignée : alors que le père existe comme homme antérieurement à son statut de père, le créateur ne peut avoir d’antériorité sur ses parties puisqu’il est elles-mêmes collectivement prises. Par son existence relative, Dieu est autant effet que cause et il ne faut pas se le représenter par l’image absurde d’un architecte distinct de la maison qu’il a bâtie. C’est aussi pour cela qu’il convient de le considérer en vérité en lui-même comme non créateur, comme sans rapport avec quoi que ce soit. C’est ainsi que la raison peut aller jusqu’à la preuve d’une existence négative : Tout et Rien sont la même chose, ou encore Tout nie et affirme tout à la fois Le Tout et ses parties. La nature exprime l’espace et le temps, le monde matériel ; Tout est l’éternité et l’infini, sans aucun point physique de comparaison, niant et affirmant à la fois l’univers matériel. C’est pourquoi le mot Dieu est impropre et il faut lui préférer l’Existence. Ses trois façons d’être, en soi, métaphysique et physique ne brisent pas son unité car on ne peut pas les concevoir les unes sans les autres. En disant l’Existence, notre langage dit Tout, qui se décline en trois niveaux de la réalité : Tout (omne), le Tout (totum) et les parties du tout (pars totius). Tel est l’athéisme éclairé ou « riénisme » qui saisit le fond dont les êtres sensibles sont les nuances comme une armée qui ne se réduit pas tout à fait à la somme de ses soldats. Les yeux du corps nous donnent à voir l’illusoire solution de continuité dans la nature. Ce sont nos yeux qui découpent des individus dans l’univers comme l’atomisme découpe la réalité et croit au vide. Si Tout et Rien sont la même chose, c’est qu’on ne peut ni les voir ni se les figurer.
14Concert et accord - concert des sens - sont des mots qui reviennent souvent sous la plume de Dom Deschamps. Cet accord est l’intelligence qu’il nomme entendement. La preuve que Tout est d’une autre nature que ses parties, c’est qu’il tombe sous l’entendement. Il y a une sorte d’identité entre l’entendement et la totalité universelle. Chacun des sens nous donne des faussetés, mais le concert nous donne une vérité métaphysique car qui dit « les sens de concert et d’accord » dit « tout », dit l’idée même de l’existence. Tel est le « fin fond » que révèle l’athéisme éclairé du bénédictin : « Tout devient Le Tout et Le Tout devient Tout, selon que l’Existence est envisagée par rapport ou sans rapport, deux aspects contraires sous lesquels le cri de la vérité nous les a toujours fait envisager, quoique presque toujours louchement30. » L’existence négative affirme la positive nécessairement par là même qu’elle la nie : c’est l’infini qui affirme le fini par là même qu’il le nie, c’est le non qui nie et affirme le oui. On comprend que Beaussire ait publié Dom Deschamps en y dénonçant un danger hégélien ! Tout ou l’Existence peut être aussi appelé le Rien ou le Néant, de même que le Tout peut être nommé l’univers, le monde, la nature ou la matière. Autrement dit, on peut exprimer trois nuances de l’Existence : l’existence négative, celle de Tout ou Rien, le contradictoire absolu ; l’existence positive, celle du Tout, le Tout qui n’inclut que la négation déterminée ; l’existence physique où la négation n’intervient à aucun degré parce que tout y est massivement positif, les éléments composants étant en continuité les uns avec les autres. Il y a là un effort rigoureux pour séparer l’ontologique du théologique. Tout échappe au Tout et ne lui est pas assimilable.
15Mais si, selon le mot de Deschamps, il n’est pas aisé de « digérer » que Dieu est le Rien, le néant même, il ne l’est pas non plus de comprendre ce qu’il en est du « matérialisme » de ce vrai système. La Demande XXV pose la question : « Il est donc deux êtres d’une autre nature que les êtres, le matériel et l’immatériel31 ? » Pour répondre, il faut de nouveau distinguer la perspective du rapport de celle du non-rapport : qui dit l’être matériel ou la matière dit l’être métaphysique ou l’Existence.
La matière n’est pas tel ou tel règne, tel ou tel élément, telle ou telle espèce, mais les trois règnes, les quatre éléments, toutes les espèces : or, cela étant, sans qu’on puisse le contester, je demande si elle peut être quelque chose de sensible, et si on peut conclure, comme on le fait, de ce qui est physique dans elle à elle, si on peut la regarder comme de la boue, ainsi que le font les mystiques32.
16Le « matérialisme » de Dom Deschamps est bien loin de celui de ses contemporains. Ce qu’il écrit sur d’Holbach suffirait à marquer l’opposition du bénédictin à la « raison du temps ». En effet, si le Système de la nature est un nouveau « code d’athéisme » qui nous « infecte », c’est un matérialisme inconséquent dès lors qu’il annonce un système des « lois physiques » alors qu’il traite véritablement des « lois métaphysiques ». En prétendant traiter des diverses parties de la physique, il traite des lois universelles et absolues de la métaphysique du « grand tout » qu’il évoque sans le développer. S’il a eu raison de faire appel à la voix de la nature connue par l’expérience, son athéisme n’est pas recevable, car c’est une morale qui n’a pas plus de principe que sa physique. Au contraire, si Dom Deschamps continue à prendre le ton théologique, c’est pour mieux combattre l’athéisme par la théologie et la théologie par elle-même : « Il faut aussi pouvoir digérer que Dieu et la matière ne sont qu’un, voir la matière sous le point de vue métaphysique sous lequel je l’ai présentée33. » La matière est donc loin d’être cette boue, évoquée ci-dessus, que se représentent les mystiques ; elle est en un sens Le Tout et même parfois en un sens elle est Tout. Dire la vérité de la matière, c’est l’aborder sous son aspect métaphysique qui la désigne comme totalité non sensible. La Réponse à la Demande XXIV rend raison de cette remarque surprenante : « La totalité universelle n’a aucun point physique de comparaison hors d’elle, comme en ont les totalités particulières et leurs parties, comme la terre et une montagne, par exemple, et c’est par là qu’elle n’est rien de sensible : car ce sont les points de comparaison, les moyens de rapport qu’elles ont hors d’elles qui rendent sensibles les totalités particulières et leurs parties ; c’est-à-dire qui font qu’on les distingue les unes des autres dans leur masse commune, qui n’est distincte que d’elles physiquement prises, et de l’être sans parties, de l’immatérialité34. »
17Cependant, si l’on suit l’analyse de la Demande XXX, Dom Deschamps s’accorde avec ses contemporains matérialistes lorsqu’il affirme que le moral est réellement du physique, n’est que du physique, c’est-à-dire ici que du social : « Toutes nos vertus et nos vices ne sont que des effets de la façon dont notre faux état social monte les ressorts de notre machine35. »
18C’est alors que l’idée inédite d’une « utopie » communiste fondée en métaphysique se constitue : « Un athéisme éclairé, loin d’être dangereux, est tout ce que les hommes peuvent désirer de plus avantageux ; car, en vainquant leur ignorance sur le fond des choses et en leur démontrant la vérité morale et la possibilité de la pratiquer, il les rendrait à jamais aussi heureux qu’ils ont été malheureux. Le bonheur, qui est la jouissance continue, ne peut exister sur la terre que par l’état de mœurs fondé en principe, et c’est l’athéisme éclairé qui seul peut amener à cet état. Mais quoi, dira-t-on, c’est un athée qui combat les athées36 ? » C’est qu’en démontrant le métaphysique du théisme, on fait apparaître le vrai moral et la source du mal moral est ainsi anéantie. Rien de plus simple, aux yeux du bénédictin, que cette vérité, purement « grammaticale » et donc accessible à tous, une fois arrachés à l’ignorance et à la folie dans lesquels nous plonge l’état de lois.
19Qu’est-ce que cela signifie ? En quoi la « grammaire métaphysique » souvent évoquée par Deschamps est-elle le développement seul de la vérité métaphysique ? Ce qu’il appelle volontiers le « cri métaphysique » pour en donner le développement le plus simple et le plus direct possible résulte de sa saisie du langage au plus près de l’expérience existentielle, au niveau du « cri ». En disant les deux mots Tout et le Tout, nous disons l’existence, mais sans le savoir : « Le vrai, encore une fois, perce beaucoup plus que nous ne le pensons dans nos façons de nous énoncer37. » Nos langues ont une aptitude naturelle à généraliser, mais les dégénérations et déviations nées de l’état de lois nous ont empêchés de réfléchir en vérité sur ces généralités pourtant émises par la logique immédiate du discours. Comment le cri de la vérité a-t-il pu être ainsi perverti ? Comment retrouver son expression authentique, sa distinction spontanée entre Tout et le Tout ? « On a tous les jours à la bouche les mots collectifs généraux, positifs et négatifs, mais sans y attacher aucune idée. Aussi un auteur, de nos jours, [Condillac], a-t-il raison de dire que si l’on voulait définir les mots que l’on comprend le moins, il faudrait définir ceux dont on se sert le plus […]. Nous sommes foncièrement des êtres métaphysiques ; il ne nous manquait que de le savoir, que d’être développés à nous-mêmes, que d’être métaphysiciens38. » Comment croire que quelque chose d’aussi simple, d’aussi grammatical, et qui ne paraît que jouer sur des mots, soit la vérité ? Il faut s’adresser à ce langage dans lequel l’être ou la pensée s’entrexpriment, à ce langage initial qui reste ce qu’il y a de sauvage dans le langage de l’état de loi. La distinction grammaticale à l’œuvre dans ce langage originaire se déploie en différenciation logique : le physique sensible s’intéresse à l’objet particulier, le physique conceptualisé se penche sur l’organisation des touts. Mais ce physique n’est pas séparable du métaphysique, car c’est toujours sur fond du tout que se détachent les touts et le particulier. Le physique et le métaphysique ne sont jamais dits de manière séparée, ils n’existent jamais l’un sans l’autre. Si l’on a ignoré la force de ces vérités jusqu’à présent, c’est qu’elles étaient dissimulées par le voile des apparences et qu’on les a saisies séparées. Ainsi, les attributs de parfait, d’absolu, d’infini, sont autre chose que des mots dans notre bouche. Ils sont les choses et la chose même à laquelle ils sont applicables à condition que le cri de la vérité qui les a mis dans notre langage, soit mieux entendu, et que nous ne leur attachions pas aveuglément l’idée de moralité, idée qui n’existe que par nos mœurs fausses qui nous ont donné des vertus et des vices. Mettre en dieu, par exemple, les attributs de juste, de bon, de sage, de miséricordieux et de vengeur, c’est faire dieu à notre image, c’est « faire l’absurde » comme dit Deschamps. « L’absurde détruit, reste la vérité ; les fausses mœurs détruites, restent les véritables mœurs39. »
L’ÉTAT DE MŒURS
20Il faut s’efforcer de comprendre cette analyse difficile selon laquelle la manifestation de l’évidence métaphysique et morale changerait l’état de lois dans l’état de mœurs. Or, la vérité de l’Existence ou du Dieu non créateur est l’idée de la radicale désappropriation : l’être sans rapports est le néant de toute propriété. « Mais quels charlatans que nos philosophes ! » s’indigne insolemment Dom Deschamps40. C’est qu’ils n’ont pas fondé leur réflexion morale et politique dans la vérité métaphysique, ce qui les a empêchés de nier la propriété. Ainsi en va-t-il de Rousseau dans son œuvre maîtresse, le Contrat social, dans lequel Deschamps déplore le maintien de l’état de lois :
Il fallait considérer cet état comme établi sur le seul fondement solide, sur les vrais principes métaphysiques, et en bannir toute espèce de propriété particulière, c’est-à-dire la chose du monde la plus capable de corrompre un pareil état et de le faire dégénérer […] en espèces très vicieuses d’états sociaux, sur lesquelles un homme sage doit gémir, et se taire quand le seul moyen qu’il y ait de les saper par les fondements ne lui est pas connu41.
21Rousseau s’est ainsi trompé en posant pour principe que l’homme est né libre - alors que nous sommes plus ou moins nécessités - et n’a pu éviter de proposer un pacte social entaché de vices radicaux car « un état de société est nécessairement vicieux, et très vicieux, dès que l’inégalité y règne ; et elle y règne nécessairement, dès que le tien et le mien y ont lieu, que les biens n’y sont pas communs42 ». Ce qui rapproche Dom Deschamps de Meslier, Morelly, Rousseau, Diderot, c’est l’idée d’une transformation de la société. Mais le « passage » à un nouvel état n’est en rien concerné par l’orientation empirico-matérialiste des philosophes de son temps ni par la recherche d’une forme d’association à partir d’un pacte. À ses yeux, cette transformation doit être une conséquence d’une transformation de la pensée dans ses rapports avec elle-même et avec le monde. Ce qu’elle appelle et prépare ne peut résulter d’une action sur les choses ou sur les événements. Cette mutation interne et irréversible de la société procède d’une révolution interne de l’humanité : il s’agit d’une révolution de l’esprit. L’éternelle évidence de la vérité n’a d’ailleurs jamais été perdue ; elle a seulement été trahie par les princes et les prêtres, faussée par les préjugés que se transmettent les générations. Quand elle sera retrouvée, les hommes vivront dans une société libérée de la violence et de l’oppression. Il ne faut donc pas s’occuper de la complexité phénoménale des lois de la nature et des lois sociales, mais faire retour à l’intelligibilité du simple dans lequel il s’agit de comprendre le rôle dominant de ces deux concepts inlassablement confrontés par Dom Deschamps : Tout et le Tout. Pour y parvenir, chacun d’entre nous dispose du bon sens qui nous révèle ce qui est, à la différence du sens commun, qui ne nous montre que ce qui paraît : « Les grandes vérités du sens commun sont les vérités géométriques, et autres vérités physiques, auxquelles nous sommes généralement d’accord à adhérer. Les vérités du bon sens sont les vérités métaphysiques et les vérités morales qui en sont conséquentes43. » La perfection consiste à être le tout dans le tout et par conséquent à jouir de tout le possible, à faire concentrer en soi tout le bien qu’on peut trouver dans l’univers. Or, le principal empêchement à atteindre le seul but digne d’être poursuivi - le bonheur dans l’existence - est l’état de lois. « Quel état serait-ce si les hommes, d’aujourd’hui à demain, étaient sans lois ? Ce serait l’état de mœurs, l’état d’égalité morale, car il est impossible, comme je l’ai dit, que les hommes repassent de l’état social à l’état sauvage, et il n’y a pour les hommes hors de l’état sauvage que l’état de lois et l’état de mœurs44 ».
22Mais en matière de description de l’« utopie » de cet état de mœurs, Dom Deschamps est bien avare ; il ne nous donne qu’un seul exemple des habituels topoi du récit utopique, à la fin de la Réponse à la Demande XXX du Vrai Système : « Qu’un homme pénétré des vrais principes enrôle dix mille garnements, en hommes et en femmes, pour passer les mers et venir avec lui fonder une nouvelle colonie dans une terre inhabitée et qui n’aurait point de maître : qu’aussitôt débarqués il établisse l’égalité morale et la communauté des biens quelconques, et qu’il commence lui-même par donner l’exemple aux autres, en se réservant le seul droit d’aider, dans ses commencements, la colonie de ses avis et l’éclairer de ses lumières ; je réponds que dans peu ces dix mille transplantés vivront au gré de ses désirs, sans qu’il soit dans lui, dans eux, ni dans leur postérité, de dégénérer. S’il se trouvait des réfractaires, ils seraient à coup sûr aliénés d’esprit, et on les traiterait, d’un commun accord, comme nos fous que l’on renferme45. » Outre cette concession au discours utopique traditionnel, Dom Deschamps décrit la maison-village où sous ses longs toits vivrait dans un état de totale égalité la communauté des hommes et des femmes qu’un vocabulaire de la négation et de la privation peint immobile et identitaire. Aucun changement, aucune innovation. Tous se ressemblent. Pas de pluralité des langues et des nations, pas d’heure, pas de date, même la mort ne marquerait aucune rupture ; tous se ressemblent, jusqu’à l’identique. L’étonnement se mêle à notre inquiétude face à cet éternel présent. Avec cet « état de mœurs », il s’agit d’imaginer une société aussi éloignée que possible de la société existante, un état social sans lois. La question du « passage » à cet état idéal semble fort difficile à trancher bien que Deschamps donne à son lecteur deux possibles médiations : l’idée de révolution et celle des trois états.
23L’« heureuse révolution », celle qui peut faire rempart à la révolution historique dont nous sommes menacés, « ne peut pas arriver tout d’un coup : mais la vérité, manifestée et avouée de proche en proche, y porterait les esprits et les détournerait d’en désirer une autre46 ». Ne nous y trompons pas : il faut tenir à la fois la volonté d’un message pour l’avenir et l’affirmation que l’état de mœurs doit se réaliser ici : « Cette spéculation […] nous ouvre la seule voie qu’il y ait pour nous déférer notre paradis dans l’unique endroit où nous puissions le faire : je veux dire dans ce monde47. » L’histoire semble donc « orientée », non pas au sens où elle permettrait de relier l’homme à la tournure nouvelle d’un futur, mais où elle est capable de révéler à l’homme que dans l’histoire, il peut devenir lui-même autre, différent. Quant à l’histoire passée, c’est une histoire abstraite, sans exemples ni événements, l’histoire de l’appropriation et de la désunion. Quand on sait à quel destin Dom Deschamps confiait le livre ultime, son propre livre - à l’utilité de chauffer nos fours ! - on est tenté de se demander à quelle temporalité historique il nous renvoie ici. Pourtant, il dit et redit tout au long de son œuvre que l’humanité traverse trois états :
L’état sauvage est l’état de désunion sans union, sans société ; l’état de lois, et surtout de police, est l’état de l’extrême désunion dans l’union ; et l’état de mœurs est l’état d’union sans désunion. Ce dernier état, le seul où les hommes puissent être contents de leur état et de leur sort, n’est pas possible, dira-t-on encore : mais qu’on se persuade donc bien que notre état de lois est si faux que plus les apparences sont pour lui et plus elles sont fausses48.
24Ces trois états révèlent trois « natures » dont seule la dernière est véritablement humaine. Ce « siècle des Lumières » dans lequel nous vivons n’est qu’un siècle mi-éclairé. L’histoire qu’y décrivent les historiens est le récit sempiternel des crimes et des malheurs. Lutter contre la religion, comme font les Lumières, ne suffit pas. Elles ne font que détruire à demi et détruire sans construire alors qu’il faut une destruction totale. Il ne s’agit pas alors de confier l’« heureuse révolution » au peuple mais à la « secte » de ceux qui ont accès à la vérité métaphysique, ceux qui, de la méditation sur l’Un à la reconnaissance du pouvoir du négatif, acceptent, à mi-chemin entre Spinoza et Hegel, d’entrer dans ce matérialisme inédit. Cette secte est empiriquement imaginée comme un ordre des Voyants dont le secret serait le développement d’un sixième sens dans l’homme49…
25Dans son Spinoza et la pensée française avant la Révolution, Paul Vernière consacre quelques pages à Dom Deschamps. Il rend hommage à celui qu’il dit plus philosophe que tous les philosophes des Lumières, si la philosophie n’est pas seulement la construction d’un système mais une vie tout entière consacrée à la recherche et conquête des esprits50. Si Dom Deschamps nous conquiert aujourd’hui et nous donne à espérer, non sans une forte inquiétude, c’est par l’extrême pointe de son extrémisme social et par la conviction inactuelle qu’il n’y a de véritable efficace que le métaphysique.
Notes de bas de page
1 Dom Deschamps, Observations morales, dans Œuvres philosophiques, éditées, introduites et annotées par Bernard Delhaume, Paris, Vrin, 1993, t. 1, p. 299.
2 L’ouvrage et les articles déjà anciens d’André Robinet restent précieux pour la compréhension de cet étonnant philosophe : Dom Deschamps, le maître des maîtres du soupçon, Paris, Seghers (Philosophie), 1974 [2e éd., Paris, Vrin, 1994] ; « La polémique Maupertuis-Diderot et le concept de tout chez Deschamps », Actes de la journée Maupertuis, Créteil, université Paris Val-de-Marne, 1er décembre 1973, Paris, Vrin, 1975, p. 33-45 ; « L’utopie métaphysique de Deschamps contre l’éloquence de Rousseau », Études du xviiie siècle, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 1974, t. I, p. 85-95 ; « Modèles et moyens dans l’utopie métaphysique de Dom Deschamps », dans Modèles et moyens de la réflexion politique au xviiie siècle, 2, Utopies et voyages imaginaires, actes du colloque de Lille, 1973, Villeneuve-d’Ascq, Publications de l’université Lille III, 1978, p. 401-411 ; « Le concept de “demi-Lumière” : Deschamps, Diderot et Hegel », dans Jacques D’Hondt (dir.), Dom Deschamps et sa métaphysique. Religion et contestation au xviiie siècle, Paris, PUF, 1974, p. 207-248 ; « De l’utopie chez Meslier et Deschamps », Raison présente, 38, avril 1976, p. 99-108 ; « Le visage sans figure de Deschamps et les figures sans visage de l’Histoire », dans Raymond Trousson (éd.), Thèmes et figures du siècle des Lumières. Mélanges offerts à Roland Mortier, Genève, Droz, 1980, p. 215-228 ; « Les Lettres sur l’esprit du siècle de Deschamps », dans Diderot, Œuvres complètes, Paris, Hermann, 1984, t. XVIII, p. 324- 332 ; « Avant-Propos », dans Dom Deschamps, Œuvres philosophiques, op. cit., t. 1, p. 7-10.
3 La Correspondance générale établie à partir des Archives d’Argenson, avec les Lettres sur l’esprit du siècle (1769) et La voix de la Raison contre la raison du temps (1770), est éditée par Bernard Delhaume chez Honoré Champion dans la Bibliothèque des correspondances, en 2006, avec une préface de Jacques D’Hondt et une introduction de Bernard Delhaume.
4 Dans les Pensées L et LI des Pensées sur l’interprétation de la nature, Diderot apostrophe Maupertuis à propos du prétendu « risque » spinoziste encouru par sa conception du Tout ; Maupertuis publie ses Réponses aux objections de M. Diderot en appendice à son Système de la nature de 1756.
5 Grâce à l’édition critique introduite et annotée par Bernard Delhaume, Œuvres philosophiques, déjà citée (supra, note 1), on dispose d’un excellent outil de travail. Cet ouvrage contient en effet les textes fondamentaux de Deschamps, en attendant l’œuvre complète. Emmanuel Chubilleau rend compte des liens entre la vie et l’œuvre dans son article « Léger-Marie Deschamps, éléments biographiques », p. 15-32, dans l’ouvrage collectif dirigé par Éric Puisais, Léger-Marie Deschamps. Un philosophe entre lumières et oubli, Paris, L’Harmattan, 2001. Dans le même ouvrage, p. 135-155, Jacques D’Hondt fait une passionnante et très précieuse mise au point sur les péripéties de la découverte des manuscrits de Deschamps et sur l’importance de la découverte et de la reconnaissance de l’importance de notre auteur successivement par des historiens de la philosophie russes, allemands et anglais, sans oublier la découverte en 1863 du manuscrit de Deschamps par Beaussire, malheureusement hostile à l’idéologie des textes qu’il exhume !
6 Sur les difficultés de ranger Dom Deschamps parmi les « utopistes », voir l’article d’Éric Puisais, « Dom Deschamps utopiste ? », dans Antoine Hatzenberger (dir.), Utopies des Lumières, Lyon, ENS Éditions, 2010, p. 141-150.
7 Diderot, Œuvres, t. V, Correspondance, éd. L. Versini, Paris, Robert Laffont, 1994-1997, p. 969-970.
8 Ibid.
9 Sur cette question, voir l’article de Bernard Delhaume, « La métaphysique de Dom Deschamps : l’Existence, “Tout” et “le Tout” », dans Jacques D’Hondt (dir.), Dom Deschamps et sa métaphysique, op. cit., p. 185-206 et l’article d’André Robinet, « La critique métaphysique du siècle », dans Éric Puisais (dir.), Léger-Marie Deschamps. Un philosophe entre Lumières et oubli, op. cit., p. 43-58.
10 Diderot, Œuvres, op. cit., t. I, p. 564.
11 Diderot, Le rêve de d’Alembert, dans Œuvres, op. cit., t. I, p. 631, 635-637.
12 Ibid., p. 637.
13 Encyclopédie, t. V, p. 270 et suiv.
14 Maupertuis, Vénus physique, Paris, Aubier-Montaigne, 1980, chap. XII, p. 109.
15 Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, Flammarion (GF), 1990, II, IX, § 11, p. 109.
16 Id., Monadologie, Paris, Gallimard (Folio essais), 2004, § 73, p. 239.
17 Maupertuis, Système de la nature, Paris, Vrin, 1984, § LXV, p. 183.
18 Ibid., § XV, p. 147.
19 Ibid., § LI, p. 170-171.
20 C’est-à-dire l’athéisme !
21 Pensées sur l’interprétation de la nature, pensée L, Œuvres, op. cit., I, p. 589-590. Sur l’analyse détaillée de ce débat et son écho dans l’œuvre de Dom Deschamps, voir l’article d’André Robinet dans les Actes de la journée Maupertuis, op. cit., p. 33-45. Je me permets de renvoyer aussi à deux de mes articles : « Maupertuis et le nègre blanc », Revue de l’enseignement philosophique, 38/1, septembre-octobre 1987, p. 3-16 et « Maupertuis dans Le rêve de d’Alembert : l’essaim d’abeilles et le polype », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 34, avril 2003, p. 71-83.
22 Observations métaphysiques, Œuvres, op. cit., t. 2, p. 347.
23 Le mot de l’énigme métaphysique et morale, Réponse à la Demande XXX, Œuvres, op. cit., t. 1, p. 240.
24 Observations métaphysiques, Œuvres, op. cit., t. 2, p. 334.
25 Correspondance générale de Rousseau, éd. Bernard Delhaume, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 56.
26 Additions à l’appui de ce qui précède, art. V, Œuvres, op. cit., t. 1, p. 159.
27 Précis en quatre thèses, ibid., p. 141.
28 Réfutation simple et courte du système de Spinoza, Œuvres, op. cit., t. 2, p. 615.
29 Le mot de l’énigme métaphysique et morale, Demande XXVI, ibid., p. 231.
30 Le mot de l’énigme métaphysique et morale, Œuvres, op. cit., t. 1, p. 234, note e.
31 Ibid., p. 227.
32 Ibid., p. 228, note r.
33 Demande XXV, Œuvres, op. cit., t. 1, p. 229.
34 Demande XXIV, ibid., p. 226-227.
35 Demande XXX, ibid., p. 240.
36 Ibid., p. 241, note x.
37 Observations métaphysiques, Œuvres, op. cit., 1re partie, § XI, p. 352, note q.
38 Ibid., § XIII, p. 356.
39 Ibid., conclusion, p. 405.
40 Dans la note d de la Critique du Contrat social dans La vérité tirée du fond du puits, Œuvres, op. cit., t. 2, p. 600.
41 La vérité tirée du fond du puits, Œuvres, op. cit., t. 2, p. 601.
42 Ibid., p. 601, note e.
43 Ibid., p. 603, note i.
44 Observations morales, Œuvres, op. cit., t. 1, p. 270-271.
45 Le mot de l’énigme, Réponse à la Demande XXXIV, Œuvres, op. cit., t. 1, p. 254.
46 Réponse à la demande XXX, Œuvres, op. cit., t. 1, p. 243.
47 Précis en quatre thèses, Additions, art. X, Œuvres, op. cit., t. 1, p. 164-165.
48 Ibid., art. II, p. 153, note i.
49 Observations métaphysiques, conclusion, Œuvres, op. cit., t. 2, p. 404, note i.
50 Paul Vernière, Spinoza et la pensée française avant la Révolution, Paris, PUF, 1954, p. 653.
Auteur
Ancienne élève de l’ENS Fontenay, est professeure honoraire en première supérieure, chercheuse au GEMR, ancienne directrice de programme au CIPH où elle dirige actuellement un séminaire extérieur sur Dom Deschamps, et enseigne depuis 2009 à l’université populaire des Hauts-de-Seine (les monstres et le monstrueux, les utopies…). Elle a publié de nombreux articles sur le matérialisme des Lumières et les philosophies du vivant du xviiie siècle. Elle travaille actuellement sur Dom Deschamps et le matérialisme aléatoire du dernier Althusser. Parmi ses publications : Diderot, un matérialisme éclectique (Vrin, 2010) ; dir., Lumières orientales et Orient des Lumières (L’Harmattan, 2010) ; Qu’est-ce que la curiosité ? (Vrin, 2012) ; dir., Autour d’Althusser (Le Temps des cerises, 2012).
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