Les principes d’éducation de Moi : une contribution anonyme de Diderot dans le Mercure de France
p. 127-135
Texte intégral
1Il est possible que les textes publiés par Diderot de son vivant ne soient pas tous identifiés. Nous avons ainsi repéré récemment dans le numéro du 5 juillet 1778 du Mercure de France un article intitulé « Lettre de M. ** à Madame la C. de ** qui lui avait communiqué un plan d’éducation qu’elle avait fait pour ses enfants ». Ce texte n’était pas inconnu des spécialistes de Diderot. On supposait jusqu’ici qu’il avait été pour la première fois publié de façon posthume par Naigeon sous le titre Principes pratiques pour l’éducation des enfants dans l’article « Diderot » de l’Encyclopédie méthodique (philosophie ancienne et moderne, 1792, t. II, p. 195-197), de façon légèrement modifiée et abrégée, puis sous une forme plus complète dans son édition des Œuvres (1798, t. III, p. 401-408), sous le titre Lettre à Mme la comtesse de Forbach, sur l’éducation des enfants. Viktor Johanson1 et Herbert Dieckmann2 avaient décrit, dans le fonds de Saint-Pétersbourg et dans le fonds Vandeul, des manuscrits réalisés par différents copistes, et plusieurs exemplaires imprimés aux pages numérotées de 1 à 8 dont le statut restait un peu mystérieux (publication privée, épreuves…), l’un d’eux portant une correction autographe. Mis en rapport avec la publication dans le Mercure de France, le statut de ces imprimés s’éclaire : à l’occasion de cette parution, après l’impression du numéro et avant de défaire les formes pour réutilisation des caractères, l’imprimeur les reprend dans une nouvelle mise en page pour réaliser quelques exemplaires tirés à part pour Diderot (le mot Fin au bout de la dernière ligne de l’imprimé signalant l’endroit où il convient d’arrêter l’enlèvement des formes). Didier Kahn, dans le cadre de la préparation des Œuvres complètes en cours, a repéré un manuscrit autographe à la Fondation Bodmer qui, très vraisemblablement, a servi à préparer la publication dans le Mercure de France.
2La critique a proposé différentes dates possibles pour la rédaction de ce texte3 : 1770 (Schlobach), 1772 (Roth) ou 1776 (Varloot). Faute d’éléments permettant de trancher, on peut le situer dans une période allant de 1770, date probable des premières rencontres de la comtesse de Forbach et de Diderot, à 1778, date de la publication dans le Mercure de France. Il s’agit d’un moment où la question de l’éducation est souvent présente dans les écrits de Diderot, dans des textes aussi divers que la Réfutation d’Helvétius ou le Plan d’une université. C’est aussi un thème constamment présent dans l’actualité intellectuelle du moment, au moins depuis la publication de l’Émile (1762) ; la période 1769-1773 voit ainsi notamment la publication du Cours d’études de Condillac.
3Il nous semble que ce texte prend une résonnance particulière lorsqu’on le confronte aux positions de Moi dans Le neveu de Rameau4, et qu’il permet en un sens de donner un contenu et des principes à la « bonne » éducation que le personnage du Philosophe entend opposer au cynisme pratique du Neveu. C’est que le thème de l’éducation, en particulier dans sa dimension morale, est en réalité décisif dès lors que le matérialiste entend produire une politique libérée de la référence théologique. Il faut former les citoyens qui vont réaliser en eux la réforme des mœurs nécessaire à la réforme de l’État. On notera que ce plan d’éducation, qui semble couvrir tous les domaines, évite soigneusement toute mention d’une éducation religieuse. Il s’agit bien de contribuer à la redéfinition de l’honnête homme à laquelle travaillent les Lumières matérialistes au moins depuis l’article « Philosophe » de Dumarsais partiellement repris par Diderot dans l’Encyclopédie.
4 Le texte de Diderot n’est pas une réplique terme à terme à celui de la comtesse. Il prend plutôt la forme du soliloque tel que le définit De la poésie dramatique5, entretien avec soi-même qui procède par interrogations et réponses pour parvenir à une vérité. Il s’agit de savoir quelle est l’éducation qui convient à l’homme libre, considérée très classiquement dans ses trois dimensions : la morale, le savoir et le goût - ce qui n’est qu’une déclinaison de la triade platonicienne chère à Diderot du bon, du vrai et du beau.
5Diderot évoque d’abord une problématique qui tient une certaine place dans Le neveu de Rameau : vaut-il mieux être honnête homme ou grand homme, le bon Briasson derrière son comptoir ou le méchant Racine auteur de pièces éternelles ? Du point de vue de l’éducateur, la réponse ne fait aucun doute : il faut former l’honnête homme. Sur un autre plan, dans des textes de la même période, Diderot souligne que, dans le calme des sociétés mercantiles qui forment la modernité, le temps du grand homme est passé. Le négociant ne saurait fournir le sujet d’un poème épique, et la Suisse est un pays heureux sans une seule belle statue6. Avec un certain optimisme moral, Diderot ajoute qu’il s’agit d’ailleurs d’un faux problème : on peut douter que le méchant puisse être véritablement grand et, surtout, les qualités morales qui font l’honnête homme, justice et fermeté, sont également celles qui font le grand homme. L’approfondissement de ces difficultés dans Le neveu de Rameau vient sans nul doute questionner le type d’escamotage trop rapide auquel se livre ici Diderot et cette Lettre de M. ** à Madame la C. de ** montre par défaut à quel point est remarquable de courage intellectuel l’opération par laquelle Diderot se suscite grâce au personnage du neveu une série d’objections qui touchent au cœur de son dispositif de philosophie politique et morale.
6Le thème de la fermeté, et de la tentative de combattre les effets de la peur de la mort par ceux de la peur du déshonneur, peut aussi être mis en relation avec le débat sur la justice de la postérité qui traverse Le neveu de Rameau : Socrate est mort, mais ce sont ses adversaires qui sont déshonorés - « Le voilà bien avancé », s’exclame le neveu. De façon remarquable, Horace fournit encore ici une formulation de l’idéal moral7.
7 Du point de vue de la connaissance, il faut rectifier, éclairer et étendre l’esprit. Diderot se livre ici à un éloge des mathématiques qui tranche avec leur relative dévalorisation une vingtaine d’années plus tôt dans les Pensées sur l’interprétation de la nature. C’est l’habitude de la démonstration autant que l’expérience qui donne le « tact du vrai ». Les mathématiques ne sont pas un simple jeu : l’esprit géométrique est l’esprit juste et Euclide est aussi un maître de morale. Cela n’empêche pas bien sûr l’éloge, plus attendu de la part de Diderot, de la multiplication des expériences sensibles et des connaissances. Enfin, l’imagination doit également avoir sa part - et Diderot poursuit ici la réévaluation de l’imagination entamée dans les Pensées sur l’interprétation de la nature. C’est par elle que l’esprit peut dépasser les limites de la connaissance expérimentale et considérer les choses de plus haut et d’un point de vue plus général.
8Quant à l’éducation du goût, elle se fait comme le reste par l’expérience et la réflexion. La culture se forme au contact des belles œuvres et dans le dialogue avec les autres hommes à leur propos. En ce domaine comme dans les autres, c’est aux parents comme aux maîtres à servir de modèles, sans se poser comme tels. Le jugement de goût, comme les mœurs, se forme dans une bonne pratique de la vie sociale. La relation aux autres, avec ce qu’elle comprend d’exemples et de discussions sur ces exemples, est fondamentalement ce qui civilise.
9Si cette différence fondamentale à l’égard de la socialisation et de ses vertus sépare Diderot de Rousseau, les réflexions sur l’attitude du pédagogue à l’égard de l’enfant rappellent parfois, en revanche, celles de l’Émile. La ruse bienveillante de l’adulte consiste à traiter l’enfant comme une personne et à lui dissimuler à quel point il est conduit par son maître ; lui faire croire qu’il agit librement afin de cultiver en lui le sentiment de sa liberté et de sa dignité ; l’accoutumer à obéir à la vertu, à la logique et à l’ordre des choses plutôt qu’à son précepteur ; tâcher d’être pour lui un ami et un exemple plutôt qu’un despote ; cultiver en toute chose le goût de la vérité, s’assurer enfin, et peut-être d’abord, de la santé, qui se conserve dans l’exercice et la sobriété. L’éducation passe aussi, comme le diront tous les grands pédagogues des Lumières, par un juste rapport au corps.
NOTE
10Ce texte est publié dans le Mercure de France de juillet 1778. Il en subsiste par ailleurs plusieurs versions imprimées, probablement réalisées à partir des formes utilisées pour le Mercure de France à la demande de Diderot ou par courtoisie de la part de l’éditeur. L’une d’elles, conservée à Saint-Pétersbourg, porte une correction autographe. C’est le texte que nous éditons ici en intégrant la correction. Nous signalons les variantes significatives dans le manuscrit autographe de la Bibliotheca Bodmeriana (Bod.). [Denis Diderot], Mercure de France, 5 juillet 1778, p. 11-19.
11Lettre de M. ** à Madame la C. de ** qui lui avait communiqué un plan d’éducation qu’elle avait fait pour ses enfants8.
Madame,
Avant que de jeter les yeux sur votre plan d’éducation, j’ai voulu savoir quel serait le mien. Je me suis demandé : si j’avais un enfant à élever, de quoi m’occuperais-je d’abord ? serait-ce de le rendre honnête homme ou grand homme ? et je me suis répondu : de le rendre honnête homme. Qu’il soit bon premièrement ; il sera grand après, s’il peut l’être. Je l’aime mieux, pour lui, pour moi et pour tous ceux qui l’environneront, avec une belle âme qu’avec un beau génie.
« Je l’élèverai donc pour l’instant de son existence et de la mienne ? Je préférerai donc mon bonheur et le sien à celui de la nation9 ? Qu’importe cependant qu’il soit mauvais père, mauvais époux, ami suspect, dangereux ennemi, méchant homme ; qu’il souffre, qu’il fasse souffrir les autres, pourvu qu’il exécute de grandes choses ? Bientôt il ne sera plus ; ceux qui auront pâti par sa méchanceté ne seront plus ; mais les grandes choses qu’il aurait exécutées resteraient à jamais. Le méchant ne dure qu’un moment ; le grand homme ne finira point10. »
Voilà ce que je me suis dit et voici ce que je me suis répondu. je doute que le méchant puisse être véritablement grand ; je veux donc que mon enfant soit bon. Quand le méchant pourrait être véritablement grand, comme il serait au moins incertain s’il ferait le bonheur ou le malheur de sa nation, je voudrais encore qu’il fût bon.
Je me suis demandé comment je le rendrais bon, et je me suis répondu : en lui inspirant certaines qualités de l’âme qui constituent spécialement la bonté. Et quelles sont ces qualités ? La justice et la fermeté ; la justice qui n’est rien sans la fermeté ; la fermeté qui peut être un grand mal sans la justice ; la justice qui règle la bienfaisance et qui arrête le murmure ; la fermeté qui donnera de la teneur à sa conduite, qui le résignera à sa destinée et qui l’élèvera au dessus des revers.
Voilà ce que je me suis répondu. J’ai relu ma réponse, et j’ai vu avec satisfaction que les mêmes vertus qui servaient de base à la bonté, servaient également de base à la véritable grandeur ; j’ai vu qu’en travaillant à rendre mon enfant bon, je travaillais à le rendre grand, et je m’en suis réjoui.
Je me suis demandé comment on inspirait la fermeté à une âme naturellement pusillanime, et je me suis répondu : en corrigeant une peur par une peur ; la peur de la mort par celle de la honte. On affaiblit l’une en portant l’autre à l’excès. Plus on craint de se déshonorer, moins on craint de mourir.
Tout bien considéré, la vie étant l’objet le plus précieux, le sacrifice le plus difficile, je l’ai prise pour la mesure la plus forte de l’intérêt de l’homme, et je me suis dit : si le fantôme exagéré de l’ignominie, si la valeur outrée de la considération publique, ne donnent pas le courage d’organisation, ils le remplacent par le courage du devoir, de l’honneur, de la raison. On ne fera jamais un chêne d’un roseau ; mais on entête le roseau, et on le résout à se laisser briser. Heureux celui qui a les deux courages ! Si fractus illabatur orbis impavidum ferient ruinae11 : il verra le monde s’écrouler sans frémir.
Avec une âme juste et ferme, j’ai désiré que mon enfant eût un esprit droit, éclairé, étendu. Je me suis demandé comment on rectifiait, on éclairait, on étendait l’esprit de l’homme, et je me suis répondu :
On le rectifie par l’étude des sciences rigoureuses. L’habitude de la démonstration prépare ce tact du vrai qui se perfectionne par l’usage du monde et l’expérience des choses. Quand on a dans sa tête des modèles parfaits de dialectique, on y rapporte, sans presque s’en douter, les autres manières de raisonner. Avec l’instinct de la précision, on sent, dans les cas même de probabilité, les écarts plus ou moins grands de la ligne du vrai ; on apprécie les incertitudes, on calcule les chances, on fait sa part et celle du sort ; et c’est en ce sens que les mathématiques deviennent une science usuelle, une règle de la vie, une balance universelle, et qu’Euclide qui m’apprend à comparer les avantages et les désavantages d’une action, est encore un maître de morale. L’esprit géométrique et l’esprit juste, c’est le même esprit. Mais, dira-t-on, rien n’est moins rare qu’un géomètre qui a l’esprit faux. D’accord : c’est alors un vice de la nature que la science n’a pu corriger. Si l’on ne s’attendait pas à trouver de la justesse dans un géomètre, on ne s’étonnerait pas de n’y en point trouver. On éclaire l’esprit par l’usage des sens le plus illimité et par les connaissances acquises, entre lesquelles il faut donner la préférence à celles de l’état auquel on est destiné. On peut, sans conséquence et sans honte, ignorer beaucoup de choses hors de son état. Qu’importe que Thémistocle sache ou ne sache pas jouer de la lyre ? Mais les connaissances de son état, il faut les avoir toutes et les avoir bien12.
Étendre l’esprit est, à mon sens, un des points les plus importants, les plus faciles et les moins pratiqués. Cet art se réduit, presque en tout, à voir d’abord nettement un certain nombre d’individus, nombre qu’on réduit ensuite à l’unité. C’est ainsi qu’on parvient à saisir aussi distinctement un million d’objets qu’une dizaine d’objets. Le nombre, le mouvement, l’espace, la durée, voilà les premiers éléments sur lesquels il faut exercer l’esprit, et je ne connais pas encore la limite de ce que l’imagination bien dirigée peut embrasser. Le monde est trop étroit pour elle ; elle voit au-delà des yeux et des télescopes. Conduite de la considération des individus à celle des masses, l’âme s’habitue à s’occuper de grandes choses, à s’en occuper sans effort et sans négliger les petites. La véritable étendue d’esprit dérive originairement de l’esprit d’ordre. Les bons maîtres sont rares, parce qu’ils traînent leurs élèves pied à pied, et qu’on a fait avec eux une route immense sans qu’ils se soient avisés une fois de nous arrêter sur les sommités, et de promener nos regards autour de l’horizon. Je prise infiniment moins les connaissances acquises que les vertus, et infiniment plus l’étendue d’esprit que les connaissances acquises. Celles-ci s’effacent ; l’étendue d’esprit reste. Il y a entre l’esprit étendu et l’esprit cultivé, la différence de l’homme à son coffre-fort.
On est honnête homme, on a l’esprit étendu ; mais on manque de goût, et je ne veux pas qu’Alexandre fasse rire ceux qui broient les couleurs dans l’atelier d’Apelle13. Comment donnerai-je du goût à mon enfant, me suis-je dit ? Et je me suis répondu : le goût est le sentiment du vrai, du bon, du beau, du grand, du sublime, du décent et de l’honnête ; dans les mœurs, dans les ouvrages d’esprit, dans l’imitation ou l’emploi des ouvrages de la nature. Il tient en partie à la perfection des organes, et se forme par les exemples, la réflexion et les modèles. Voyons de belles choses, lisons de bons ouvrages, vivons avec des hommes, rendons-nous toujours compte de notre admiration, et le moment viendra où nous prononcerons aussi sûrement, aussi promptement de la beauté des objets que de leurs dimensions.
On a de la vertu, de la probité, des connaissances, du génie, même du goût, et l’on ne plaît pas ; cependant il faut plaire. L’art de plaire tient à des qualités qui s’acquièrent et à d’autres qui ne s’acquièrent point. Prenez de temps en temps votre enfant par la main, et menez-le sacrifier aux Grâces. Mais où est leur autel ? Il est à côté de vous, sous vos pieds, sur vos genoux.
Les enfants des maîtres du monde n’eurent d’autres écoles que la maison et la table de leurs pères. Agir devant ses enfants et agir noblement, sans se proposer pour modèles ; les apercevoir sans les regarder ; parler bien et rarement interroger ; penser juste et penser tout haut ; s’affliger des fautes graves, moyen sûr de corriger un enfant sensible ; les ridicules ne valent que les petits frais de la plaisanterie ; n’en pas faire d’autres ; prendre ces marmousets-là pour des personnages, puisqu’ils en ont la manie ; être leur ami, et par conséquent obtenir leur confiance sans l’exiger : s’ils déraisonnent, comme cela est de leur âge, les mener imperceptiblement jusqu’à quelque conséquence bien absurde, et leur demander en riant, est-ce là ce que vous vouliez dire ? En un mot leur dérober14 sans cesse leurs lisières15, afin de conserver en eux le sentiment de la dignité, de la franchise, de la liberté, et de les accoutumer à ne reconnaître de despotisme que celui de la vertu et de la vérité. Si votre fils rougit en secret, ignorez sa honte ; accroissez-la en l’embrassant ; accablez-le d’un éloge, d’une caresse qu’il sait ne pas mériter. Si par hasard une larme s’échappe de ses yeux, arrachez-vous de ses bras, allez pleurer de joie dans un endroit écarté ; vous êtes la plus heureuse des mères16.
Surtout gardez-vous de lui prêcher toutes les vertus, et de lui vouloir trop de talents.
Lui prêcher toutes les vertus, serait une tâche trop forte pour vous et pour lui ; tenez-vous en à la véracité. Rendez-le vrai, mais vrai sans réserve, et comptez que cette seule vertu amènera avec elle le goût de toutes les autres.
Cultiver en lui tous les talents, c’est le moyen sûr qu’il n’en ait aucun ; n’exigez de lui qu’une chose, c’est de s’exprimer toujours purement et clairement ; d’où résultera l’habitude d’avoir bien vu dans sa tête avant que de parler, et de cette habitude la justesse de l’esprit.
Je ne sais ce que c’est que l’éducation libérale17, ou la voilà.
Mais à quoi serviront tant de soins sans la santé, la santé sans laquelle on n’est rien, ni bon, ni méchant ? On obtient la santé par l’exercice et la sobriété.
Ensuite un ordre invariable dans les devoirs de la journée. Cela est essentiel. Voilà, Madame, ce que j’écrivais avant que de vous avoir lue : ensuite je me suis aperçu qu’entre plusieurs idées qui nous étaient communes, il n’y en avait aucunes qui se contrariassent. Je m’en suis félicité, et j’ai pensé que je pourrais bien avoir de la raison et du goût, puisque de moi-même j’avais tiré les vraies conséquences des principes que vous aviez posés18. Il n’y a guère de différence marquée entre votre19 lettre et la mienne, que celle des sexes20.
Notes de bas de page
1 Voir Viktor Johansson, Études sur Denis Diderot, Göteborg/Paris, Wettergren & Kerbers Bokhandel/Honoré Champion, 1927, p. 94-114.
2 Voir Herbert Dieckmann, Inventaire du fonds Vandeul, Genève/Lille, Droz/Giard, 1951, p. 109, 136-141, 155-156.
3 Sur cette discussion voir Jürgen Schlobach, « Forbach, Marianne, comtesse de » et « Lettre à la comtesse de Forbach sur l’éducation des enfants », dans Roland Mortier, Raymond Trousson (éd.), Dictionnaire Diderot, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 197-198 et 279-280.
4 Jean-Claude Bourdin s’est particulièrement intéressé au Neveu de Rameau ces dernières années et a contribué à offrir sur ce texte des perspectives nouvelles. Voir notamment : « Hegel lecteur de Diderot, Le neveu de Rameau dans la Phénoménologie de l’esprit », dans Michel Vadée, Jean-Claude Bourdin (dir.), La philosophie saisie par l’histoire. Hommage à Jacques D’Hondt, Paris, Kimé, 1999 ; Id., « Les raisons clandestines dans Le neveu de Rameau », La lettre clandestine, 19, 2011, Diderot et la littérature clandestine ; Id., « La notion de nature dans Le neveu de Rameau (la faim et la philosophie morale de la nature) », Dix-huitième siècle, 45, 2013, La nature ; et, à paraître, « Satire et morale dans Le neveu de Rameau », Cultura, 2016, Diderot et la morale.
5 Diderot, Œuvres, éd. Laurent Versini, Paris, Robert Laffont, 1996, IV, 1289.
6 Voir Fragments politiques échappés du portefeuille d’un philosophe, éd. Ginaluigi Goggi, Paris, Hermann, 2011, p. 129.
7 Sur la référence à Horace chez Diderot, voir l’article de Sophie Audidière dans le présent volume.
8 Bod. : À madame la comtesse de Forbach par Mr Marmontel. Sur l’éducation. [ « Marmontel » recouvre un autre nom, peut-être « Diderot »].
9 Le Mercure de France avait à tort imprimé « nature ». La seule correction autographe de Diderot sur les exemplaires imprimés rectifie : « nation ».
10 On peut rapprocher ce passage de la discussion sur Racine dans Le neveu de Rameau : « Lequel des deux préféreriez-vous ? ou qu’il eût été un bon homme, identifié avec son comptoir, comme Briasson […] bon mari, bon père, bon oncle, bon voisin, honnête commerçant mais rien de plus ; ou qu’il eût été fourbe, traître, ambitieux, envieux, méchant, mais auteur d’Andromaque, de Britannicus, d’Iphigénie, de Phèdre, d’Athalie ? » (Diderot, Œuvres, op. cit., 1994, II, p. 628-629.)
11 « Si le monde s’écroulait brisé, ses ruines le frapperaient sans l’effrayer », Horace, Odes, III, 3, 7-8. Il s’agit du portrait de l’homme juste et ferme que rien n’ébranle.
12 Souvenir de Plutarque, Vie de Thémistocle, II, 4 : « Par la suite, quand les gens qui se flattaient d’avoir reçu une éducation libérale et civile se moquaient de lui, il était contraint de se défendre avec une certaine brutalité : “Je ne sais ni accorder une lyre ni manier un psaltérion, mais si l’on me confie une cité petite et obscure, je la rends célèbre et grande” » (Vies parallèles, trad. Anne-Marie Ozanam, Paris, Gallimard, 2001, p. 258).
13 Souvenir de Pline l’Ancien : « Apelle avait de l’aménité dans les manières, ce qui le rendit particulièrement agréable à Alexandre le Grand : ce prince venait souvent dans l’atelier, et, comme nous avons dit, il avait défendu, par un décret, à tout autre artiste de le peindre. Un jour, dans l’atelier, Alexandre parlant beaucoup peinture sans s’y connaître, l’artiste l’engagea doucement au silence, disant qu’il prêtait à rire aux garçons qui broyaient les couleurs ; tant ses talents l’autorisaient auprès d’un prince d’ailleurs irascible » (Histoire naturelle, XXXV, 36, trad. Émile Littré, Paris, Dubochet, 1850, p. 476).
14 « Dérober » : dissimuler.
15 « On appelle encore Lisières, les bandes d’étoffe, ou les cordons qui sont attachés par derrière aux robes des petits enfants, et qui servent à les tenir quand ils marchent. Tenir un enfant par la lisière » (Dictionnaire de l’Académie, 1762).
16 Dans Bod., il y a ici le signe #, qui doit signaler qu’il faut insérer un passage (absent dans Bod.). La suite du texte saute directement à « Je ne sais ce que c’est que l’éducation libérale ».
17 « Éducation libérale » : à entendre au sens propre, qui est digne d’un homme libre.
18 Bod. : des principes que mon honnête et belle comtesse avait posés.
19 Bod. : Sa.
20 Dans Bod., le texte se termine par un alinéa raturé : « Et puis je prouverai à mr Suard, quand il me plaira, qu’il est le plus paresseux et le plus avare des hommes. » Cette pique s’explique sans doute de la façon suivante : Suard avait promis à La Harpe sa collaboration, annoncée dans la livraison précédente du Mercure de France (juin 1778, p. 5). Suard n’ayant pas rendu sa contribution, par paresse ou ne s’estimant pas assez payé, La Harpe, dans l’embarras, a demandé un texte à Diderot, qui lui fournit cette lettre à Madame la comtesse de Forbach, rebaptisée pour l’impression.
Auteur
Professeur à l’université Paris-Ouest Nanterre La Défense. Il dirige l’équipe Litt & Phi (Littérature et philosophie) au sein du Centre des sciences des littératures de langue française (CSLF). Spécialiste du xviiie siècle, il s’intéresse aux rapports entre philosophie et roman, à Diderot et à Bernardin de Saint-Pierre. Publications récentes : Les aventures de Sophie. La philosophie dans le roman au xviiie siècle (CNRSÉditions, 2013) ; Diderot. Du matérialisme à la politique (CNRS Éditions, 2013) et Diderot philosophe (Honoré Champion, 2003, rééd. 2013).
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