Chapitre X. Histoire naturelle du géant
p. 199-220
Texte intégral
ACOSTA ET L’HYPOTHÉTISME
1La prise de position en faveur du monogénisme, ou de l’affirmation théologique selon laquelle la filiation adamique est commune à toute l’humanité, s’accompagne chez Acosta d’un intérêt pour la spécificité culturelle et la dignité humaine chez les Américains. La défense de l’unité de l’espèce humaine, l’affirmation d’une méthode évangélisatrice et la justification de l’assujettissement des indigènes sont des thèmes solidaires dans l’œuvre du jésuite. Précisément parce qu’elle se trouve à la charnière entre deux traditions, théologique et classique, cette réflexion revêt un grand intérêt. Aussi Acosta revendique-t-il l’originalité de son propos, consistant essentiellement dans l’exigence de situer l’Amérique dans la Création et de démontrer géographiquement l’origine probable de l’homme américain. Plus particulièrement, dans son enquête, l’auteur espagnol tente d’éclairer les raisons des particularités géographiques et anthropologiques du Nouveau Monde, y compris la présence de géants. Ce faisant, il est conscient qu’il ne suffit pas d’opposer fermement l’hérésie polygéniste et la multiplicité hétérodoxe des mondes à l’Écriture1. C’est pourquoi, dans une discursivité qui n’est pas dépourvue de comparatisme ethnographique2, il faut prouver le dogme du monogénisme dans l’espace ouvert par l’exploration du siècle qui s’écoule entre la publication de ses ouvrages et les voyages de Colomb.
2L’Historia natural y moral de las Indias3 cherche à rendre compte de la nature du Nouveau Monde et de l’origine des espèces qui l’habitent. L’énigme de l’origine des populations du Nouveau Monde était un problème épineux, qui conduit Acosta à valider l’hypothèse d’une migration provenant de l’Ancien Monde. Ses objets touchent à des questions de théologie, cosmologie, géographie, histoire et physique, et sont distribués en trois « genres de corps », à savoir « métaux, plantes et animaux4 ». Dans l’Histoire naturelle, ces trois genres correspondent à différents niveaux de perfection, selon une hiérarchie situant l’homme au sommet de la création, « la nature inférieure servant toujours pour soutenir la supérieure5 ». Quant à l’histoire morale, elle correspond à l’étude « des coutumes et des actes des Indiens6 ». Le titre de l’ouvrage annonce donc un double objet, les productions de la nature et les usages des groupes humains, pour cette enquête dont l’auteur revendique l’originalité : « Cette histoire pourra être tenue pour nouvelle, car elle est à la fois histoire et philosophie, et qu’elle n’est pas seulement le récit des œuvres de la nature, mais aussi celui du libre arbitre, c’est-à-dire des faits et des coutumes des hommes7. »
3Dans un ordre ascendant situant l’espèce humaine à la fin de l’ouvrage, c’est à la fois en juriste et en humaniste chrétien influencé par l’esprit de la Réforme qu’Acosta concentre son regard sur l’homme américain. Si, dans sa description du Nouveau Monde, la référence à Aristote sert à éclairer les questions relatives à la cosmologie, à la physique et à l’histoire naturelle, la description de ses habitants s’oppose clairement à l’aristotélisme d’un Juan Ginés de Sepúlveda. Ce dernier, historiographe de l’expansionnisme espagnol et adversaire de Bartolomé de Las Casas dans la controverse de Valladolid, défendait la guerre contre les indigènes en s’appuyant sur la thèse de l’esclavage naturel contenue dans la Politique d’Aristote. La perspective théologique et politique développée par Acosta, exposée notamment dans De procuranda indorum salute (1588), écrit au Pérou, défend l’évangélisation des indigènes tout en critiquant la légitimation des guerres de conquête dans le cadre d’une réflexion juridique, ou plutôt de « droit international », qui s’interroge sur les meilleures formes de gouvernement colonial. Pour le jésuite, en effet, l’état de belligérance de l’Espagne contre les Américains ne peut qu’être suspect8.
4L’Historia natural, qui connut un succès important, attesté par les traductions en latin, français, italien, anglais, allemand et hollandais, cherche à fonder l’étude d’un ensemble d’objets sur la base de la théologie et de la tradition classique. Le savoir produit par l’exploration du Nouveau Monde ne peut se passer de la référence à l’Écriture qui en fournit le cadre explicatif général et, en ce sens, l’intérêt des spéculations d’Acosta réside surtout dans l’examen que lui-même fait des difficultés de sa démarche. Pour examiner les questions soulevées par la présence du continent américain, le recours au cadre théologique contraint évidemment le jésuite à s’aligner sur certains dogmes. Néanmoins, il n’a pas le moindre doute sur la nouveauté introduite par les voyageurs : ils ont constaté ce qui, dans le passé, s’inscrivait sous l’ordre de l’impossible et ils ont dévoilé ce qu’aucun livre de la Bible ni aucune autorité de la tradition chrétienne n’avaient pu annoncer. La réflexion d’Acosta se déploie donc entre deux pôles : l’orthodoxie chrétienne et l’intérêt pour un objet qui la met en question, car cet objet pourrait ne pas s’accorder à celle-ci. Si « ce pénétrant esprit comprend qu’il ne comprend pas9 », c’est en effet parce qu’il conçoit, non sans étonnement ni curiosité scientifique, que les espèces naturelles du Nouveau Monde, à plusieurs égards, contraignent la raison théologique au doute.
5Dans l’Avertissement, l’ouvrage se présente comme une réponse à la nécessité d’éclairer une abondante littérature descriptive, laquelle ne rend pas compte des causes de la particularité des phénomènes décrits. Si l’autorité de la Bible reste bien entendu une référence, celle de certains écrits chrétiens, jusqu’alors reconnus valides, ne pouvait qu’être démentie par la première circumnavigation du monde. On estimait, en effet, qu’un tel événement avait permis à l’homme de saisir la mesure de la rotondité de la Terre, pour une première fois à travers l’expérience et non à travers des conjectures. Ce point est équivoque et complexe, et c’est précisément en cela qu’il est problématique, car l’expérience doit toutefois s’accorder avec l’Écriture, ce qui donne lieu à d’interminables reprises des livres de la Bible et de leurs commentaires. En invoquant l’expérience, Acosta entend démentir celles qu’il qualifie d’idées reçues, mais devant la Bible cette argumentation tombe forcément. Seule une fausse interprétation a pu opposer le texte sacré à la rondeur du ciel et de la terre. Chez le père jésuite, aucune découverte ne s’oppose à la Bible, dont l’autorité s’élargit de manière problématique à tous les domaines, astronomie, géographie et anthropologie comprises.
6Les Pères de l’Église sont critiqués, mais ils n’ont pas tous commis les mêmes erreurs, comme par exemple Lactance et Augustin sur la question des Antipodes. Au premier, qui ridiculise l’hypothèse de terres habitées dans l’hémisphère sud du globe, Acosta répond par une considération sur le recours à l’imagination, qui peut être utile pour atteindre la vérité mais peut aussi conduire vers de fausses représentations. Il constate en effet que « l’entendement humain est incapable de percevoir et d’atteindre la vérité, sans avoir recours à des imaginations, et qu’il lui est également impossible de cesser de se tromper s’il fait entièrement confiance à l’imagination. Nous ne pouvons comprendre que le ciel est rond, comme il l’est, et que la Terre est au milieu, si on ne l’imagine pas10 ». La position d’Augustin sur le problème des Antipodes est bien différente de celle d’Acosta, car pour le premier, même si ces terres existaient, il serait impossible que des hommes aient pu les atteindre par mer. Pour le deuxième, les voyages de Colomb, Vespucci et Magellan ont démontré que cette opinion était fausse car ils ont trouvé un continent habité ; chez Acosta, la question du peuplement du Nouveau Monde, jusque-là irrésolue, est cruciale. L’erreur d’Augustin est très certainement due au manque de connaissance des dimensions de la Terre à l’époque des Anciens, pour lesquels le détroit de Gibraltar constituait une frontière géographique et symbolique : « C’est là qu’on édifie les colonnes d’Hercule ; c’est là que l’on fixe les limites de l’Empire Romain ; c’est là que l’on dépeint les limites du monde. Et non seulement les lettres profanes, mais aussi les Saintes Écritures parlent dans ce sens11. » Entre les hommes de l’Antiquité et ceux de la Renaissance, c’est donc la conscience de la transformation de l’idée de monde qui représente un critère fondamental, dont Acosta essaye de tirer les conséquences.
7Les obstacles majeurs ayant empêché les Anciens de concevoir des hommes en tous points de la Terre sont l’incertitude de ses dimensions et la théorie des cinq zones, qui justifiait le partage tant des océans, en eaux navigables et non navigables, que des terres, en habitables et non habitables. À l’instar de ses contemporains et de ses successeurs, Acosta considère de très près la possible existence d’un grand espace encore à découvrir dans l’hémisphère sud : « Si cette terre existe, elle est sans doute excellente12. »
8Partant du dogme selon lequel tous les hommes partagent la même origine, et du constat que le Nouveau Monde est habité « depuis des longs siècles », Acosta énonce l’une des thèses principales qu’il entend démontrer : les Américains sont arrivés par une migration provenant d’un autre continent, à savoir de l’Afrique, de l’Asie ou de l’Europe, par terre ou par mer. Il s’agit du problème le plus controversé et difficile à traiter, face auquel ses spéculations atteignent une limite :
Qui a pu être l’inventeur et l’agent d’un passage si étrange ? Véritablement, j’ai maintes fois examiné et retourné la question, seul et avec d’autres, sans jamais trouver une explication qui me satisfasse. Néanmoins, je dirai ce qui finalement me vient à l’esprit ; et puisque les témoignages me manquent, je me laisserai conduire par le fil de la raison, si ténu soit-il, jusqu’à ce qu’il s’estompe13.
9Là où l’expérience des témoignages manque, il faut éviter « les fictions poétiques et fabuleuses14 » pour examiner l’enchaînement d’hypothèses le plus probable dans cette migration, laquelle aurait pu se produire par voie maritime ou par voie terrestre, ou encore aurait pu être l’effet tant d’un voyage ayant comme but l’exploration que d’une navigation détournée de sa route maritime par l’adversité du climat. Mais, d’après Acosta, il est très improbable que ces premiers migrants soient arrivés au Nouveau Monde par mer, car les Anciens ne disposaient pas des instruments de navigation nécessaires pour envisager de traverser volontairement l’Atlantique. Une triple confrontation des différentes hypothèses avec les textes des Anciens, avec la Bible et avec les voyages des Modernes, l’incite à croire que « s’ils sont venus par la mer, c’est par hasard et portés par la tempête, ce qui n’est pas inconcevable pour immense que soit la mer Océane15 ».
10Si le premier exemple donné par Acosta pour rendre compte de la population du Nouveau Monde est celui des géants, qui d’ailleurs ne sont pas des Patagons, cela n’a rien de très surprenant :
On fait au Pérou grand mention de la préscience en ces lieux de certains géants dont les ossements hors du commun se trouvent aujourd’hui près de Manta et de Puerto Viejo. Ces hommes devaient mesurer trois fois plus que les indiens actuels. Et l’on raconte que ces géants arrivèrent par la mer16.
11Déjà avant l’arrivée des Européens, les Indiens pratiquaient la navigation avec des embarcations de petite taille, et de ce fait, le jésuite non seulement imagine la possibilité « que le Nouveau Monde a commencé à être habité par des hommes qui y ont été jetés par la contrariété du temps et la force des vents17 », mais suggère aussi implicitement que l’hypothèse selon laquelle ces premiers habitants pourraient être des géants est au moins très probable. Mais cette migration maritime pose à son tour d’autres problèmes, car elle s’applique difficilement aux espèces animales et si elle peut expliquer la présence de certains hommes, elle n’est pas en mesure de rendre compte de tous les hommes du continent. Acosta est contraint par l’histoire biblique de l’humanité à penser que les Américains sont issus d’Adam, mais « cette même Écriture nous dit que toutes les bêtes et animaux de la terre périrent, sauf celles qui furent enfermées dans l’Arche de Noé18 », ce qui crée un nouvel obstacle à ses raisonnements. Toutefois, la recherche des causes des phénomènes ne se limite pas aux dogmes théologiques, dans la mesure où elle participe d’un fond épistémologique commun où la construction de l’espace cartographique se multiplie en images approximatives, mais vraisemblables. Sans nier d’autres causes, Acosta privilégie en effet celle qui, à ses yeux, apparaît comme la plus probable, à savoir l’hypothèse d’une jonction terrestre entre l’Ancien et le Nouveau Monde, qui rendrait ainsi possible la migration par voie de terre : « L’une et l’autre terre en quelque endroit se joignent et se continuent, ou pour le moins s’avoisinent19. » C’est ainsi que l’idée d’un peuplement relativement récent par des hommes sauvages s’inscrit dans la rationalité de l’hypothèse du lien terrestre entre l’Asie et l’Amérique. Celle-ci a déjà été formulée auparavant, mais à l’époque où Acosta publie ses ouvrages elle semble avoir été dépassée en faveur de l’idée de deux continents séparés : Giacomo Gastaldi, cosmographe de la république de Venise, établissait une liaison entre l’Asie et le Nouveau Monde, comme en témoigne une carte de 155520, liaison qui disparaît effectivement des grands atlas géographiques de la deuxième moitié du siècle.
12L’histoire conjecturale d’Acosta s’appuie ainsi sur une géographie conjecturale, c’est-à-dire sur le prolongement raisonné du savoir des voyageurs et des cartographies. Bien que tenue de respecter certains dogmes religieux, sa méthode s’approprie le régime de spatialité propre à l’exploration. Cet aspect de l’histoire naturelle acostienne semble être la tentative d’une spéculation guidée par une logique à certains égards possibiliste, laquelle, sans trahir l’orthodoxie, finit par s’éloigner considérablement de l’Écriture, car elle porte sur un sujet sans doute très difficile à expliquer de manière convaincante par la théologie. L’héritage de la littérature chrétienne et l’exégèse biblique ne le conduisent pas nécessairement à projeter sur un objet dont la connaissance est récente des schémas religieux préconçus : au contraire, Acosta s’introduit sur un terrain où l’effort de comprendre se transforme en pensée du probable, écartant ce qui paraît improbable en avançant par degrés de certitude. Si, d’une part, le jésuite avoue ouvertement qu’il ne peut contredire le dogme de l’origine de tous les hommes à partir d’Adam, il admet l’absurdité de certaines explications données auparavant pour rendre compte de la diversité d’espèces animales. Pour lui, les deux hypothèses de la migration terrestre et maritime ne s’excluent pas l’une l’autre :
[…] le lignage des hommes est passé peu à peu au Nouveau Monde, grâce à la continuité où à la proximité des terres, et parfois du fait d’une navigation aventureuse. […] Car ces régions étant extrêmement étendues et peuplées de nations innombrables, nous pouvons croire à bon droit que les uns y sont parvenus d’une façon, et les autres d’une autre21.
13Le fondement théologique et le raisonnement hypothétique s’enchaînent sous la pression du régime de spatialité de l’exploration, ce qui donne lieu à la conjecture historique d’une migration asiatique et à l’hypothèse d’un lien géographique entre deux continents. Les passages se renforcent et se corrigent l’un l’autre, comme dans l’examen de la question sur l’origine des espèces animales, et notamment de celles absentes de l’Ancien Monde. Sur ces espèces, Acosta écrit : « Si le Créateur les a engendrées là-bas, on n’a pas à avoir recours à l’arche de Noé, et il n’était nul besoin de sauver alors toutes les espèces d’oiseaux et d’animaux, si elles devaient ensuite s’engendrer à nouveau22. » En dépit des prémisses, les conclusions ne sont pas aussi dogmatiques qu’elles pourraient l’être : sans faire de lui un relativiste, l’une des particularités de son « histoire naturelle et morale » dépend du fait que les raisons du théologien et le dogme du monogénisme adamique n’aboutissent pas à une interprétation tranchante, d’où l’intérêt de l’enquête acostienne.
14L’état de l’exploration du monde et l’incertitude des limites du nouveau continent constituent un cadre qui contraint la raison théologique à un certain possibilisme : elle doit ajuster ses résultats, repenser ses repères, adapter ses stratégies et accorder ses conclusions au point de conjecturer qu’il est tout à fait raisonnable que Dieu ait créé un monde inachevé : « Il ne semble pas non plus qu’après la création des six jours, Dieu eut fini de créer et d’achever le monde, puisqu’il y restait encore des espèces à former23. » Le jésuite se demande comment au Pérou, par exemple, il peut y avoir des animaux qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde : cela peut laisser imaginer soit que Dieu a « procédé à une nouvelle création d’animaux24 » à un moment donné de l’histoire, soit que les animaux, en sortant de l’arche de Noé, se soient répandus géographiquement et conservés seulement dans certaines régions du monde. En s’interrogeant sur la différenciation des espèces animales, Acosta évoque l’hypothèse d’une différenciation accidentelle qui, par analogie, trouve appui dans les différences existantes au sein de l’espèce humaine. Quant aux espèces animales ne se trouvant que dans une seule région du globe, la différenciation accidentelle peut être déterminée par différentes causes, « comme dans le lignage des hommes les uns sont blancs, les autres noirs ; les uns géants, les autres nains25 ». Si, d’une part, pour connaître les différences entre les espèces animales aux Indes, il faut éviter l’erreur de les reconduire aux espèces de l’Ancien Monde, il y a, d’autre part, un rapprochement fondamental concernant l’espèce humaine. Il s’agit de la défense de la dignité de l’homme américain et par là, malgré leurs différences, Acosta se rapproche de Las Casas. Les nombreuses considérations sur l’idolâtrie des populations et la description de leurs coutumes religieuses, même si elles ne sont pas dénuées d’intérêt « ethnologique », sont également formulées pour orienter les missionnaires dont la tâche évangélisatrice est justifiée en critiquant « la fausse opinion que l’on se fait communément d’eux [les Indiens], à savoir qu’ils sont des gens épais, brutaux et sans entendement26 ». C’est pourquoi, d’ailleurs, Acosta souligne à la fois l’importance de l’étude de l’histoire des peuples américains et la nécessité de trouver les meilleures méthodes pour les gouverner et assurer leur salut, question qu’il aborde dans d’autres écrits, où lui-même affirme : « Il est nécessaire de les contraindre et de les assujettir par un moyen honnête, de leur enseigner d’abord à être hommes, et ensuite des chrétiens27. »
15Le problème de l’homme est au cœur de l’Historia natural, et le cadre tracé par Acosta laisse une place significative au probable. La question des géants, toutefois, ne semble pas en faire partie, car elle n’est pas située du côté de ce qui est vraisemblable, mais plutôt du côté de ce qui est certain. Du moins, au Mexique, une race de géants a très certainement existé :
Que personne ne s’étonne ou tienne pour fable cette histoire, car, de nos jours, l’on trouve encore des ossements humains incroyablement grands. Alors que je me trouvai à Mexico en 1586, l’on découvrit le corps d’un de ces géants dans le sol d’une de nos propriétés appelée Jesús del Monte ; et l’on nous apporta une de ses dents, qui, sans renchérir, était certainement aussi grande que le poing d’un homme, et tout le reste en proportion ; je l’ai vue et j’ai été stupéfait de sa difformité28.
16Le franciscain Juan de Torquemada entreprendra de sonder l’histoire des antiquités des peuples mexicains à partir des chroniques des premiers conquérants et historiens espagnols, en valorisant l’histoire orale des indigènes29. L’auteur de ces recherches, qui touchent également à la question des formes de gouvernement et d’évangélisation, tente de concilier l’histoire biblique et les ossements humains de grande taille considérés comme authentiques, tout comme l’auteur de l’Histoire naturelle. Même si Torquemada ne peut se passer de la référence à l’arbre généalogique adamique, à l’arche de Noé et aux lignées des géants bibliques, il ne peut pas non plus trancher la question des géants, dont l’existence n’est pas mise en doute30. Le problème n’est pas de savoir si les géants ont existé ou non, s’ils ont ou non peuplé le Nouveau Monde, mais plutôt la datation incertaine des ossements, qui ne peut être située avec certitude avant ou après le Déluge. L’historien espagnol, affirmant avoir vu lui-même une dent humaine dont la taille correspondait au double d’un poing, rapporte que, non seulement au Mexique et au Pérou, mais aussi en Espagne des ossements de la même espèce ont été trouvés et leur authenticité est placée sous l’autorité des témoignages d’Augustin et d’Acosta.
UNE CONTROVERSE « GIGANTOSTÉOLOGIQUE » EN FRANCE
17En 1613, près de Romans-sur-Isère, à une centaine de kilomètres de Lyon, des ossements sont retrouvés et attribués à Theutobocus, roi légendaire des Teutons, battu par le consul romain Caius Marius à la fin du iie siècle av. J.-C. Cette prétendue découverte « que toute la France a devant les yeux31 », tout en provoquant une vive polémique sur l’existence de géants dans le passé, soulève une deuxième question anthropologique non moins fondamentale : on se demande en effet « si toutesfois il y peut avoir de ces geans encore en ce temps32 ». Les ossements sont amenés dans la capitale par Pierre Mazuyer, chirurgien à Beaurepaire : « À Paris l’on alloit veoir pour de l’argent comme chose rare ces os, ces dents, & ces vertebres : ainsi que les autres charlatans, Mazuyer avoit à sa porte une enseigne où estoient peints les os de ce géant. Chacun en disoit son advis, les uns tenoient cela pour impossible, les autres l’affirmaient véritable33. »
18Derrière les aspects anecdotiques, cette polémique montre la problématicité relative à une appropriation discursive et à une circulation des énoncés : en particulier, les notions de découverte, de preuve, de certitude ou d’espèce sont mises en relation, plus ou moins directement, avec les ossements du passé et les géants du présent décrits par les explorateurs du Nouveau Monde.
19Nicolas Habicot, chirurgien à Paris, publie sa Gigantostéologie, présentée à Louis XIII par son premier médecin Jean Héroard, où il défend l’idée qu’il s’agit bien des ossements du roi Theutobocus. Bien qu’elle revendique le critère de l’expérience, la démonstration ne tire pas toutes ses preuves du domaine empirique : elle s’appuie également sur des textes anciens ou bibliques, comme Pline ou la Genèse, attestant, selon Habicot, la présence de géants dans l’Antiquité et avançant l’idée que la taille de la plupart des hommes se serait progressivement réduite, outre la possibilité que, si des hommes de très grande taille ont existé, il pourrait en exister encore. À côté de la référence biblique, la mythologie est évoquée, notamment Hésiode d’après lequel les géants naquirent de la Terre, qui en serait la « cause matérielle », et du sang d’Ouranos châtré par son fils Cronos, qui correspondrait à la « cause efficiente ». En homme de science, Habicot insiste sur la cause organique : la petite taille des hommes, comme celle des Pygmées chez Pline ou des Myrmidons chez Homère, trouve son origine dans une « paucité de matière seminalle, & frigidité uterine, la première faisant que les parties de leur corps ne peuvent faire grande extension34 ». D’autre part, les causes de la grandeur des corps sont du même ordre que celles des corps insuffisamment développés, car lorsqu’« une semence qui sera en grande quantité, & fort spiritueuse reçue dedans une matrice chaloureuse & prolifique, il n’y a que tenir que les enfants ne soient grands35 ». En ce sens, il n’y a pas vraiment de différence dans le développement physique et organique, entre des hommes de grande ou de petite taille. Une fois posées les références classiques et bibliques, les arguments médicaux apparaissent décisifs, mais Habicot produit aussi quelques analogies qui ne relèvent pas de la science médicale : tout comme l’orfèvre connaît les différents métaux, le savoir du chirurgien établit que les ossements en question ont appartenu à des hommes, dont les caractéristiques physiques et morphologiques ne peuvent être confondues avec celles d’un animal.
20Habicot offre une comparaison détaillée entre les os des hommes et ceux des géants, il décrit soigneusement les os de la mâchoire, les dents, les vertèbres, et appuie son examen sur la précision des mesures et le poids des os. Le chirurgien n’entend pas seulement démontrer qu’il s’agit d’ossements humains : il veut prouver que ces ossements proviennent du roi Theutobocus, comme l’indique d’ailleurs l’inscription « Theutobocheus rex » trouvée dans un tombeau de « 25 pieds & demy de longueur36 », c’est-à-dire plus de huit mètres. Toutefois, les ossements « après avoir senti l’air depuis huit heures du matin, iusques à six heures du soir, se mirent en poudre, excepté ceux qui ont été exposéz37 ». Dans ses brochures, Habicot mobilise une multitude de références bibliques et anciennes pour défendre l’idée « qu’il y ait eu & qu’il y a encore des géans38 », et que « la grandeur des géans ne peut être bornée39 ». Mais surtout il expose aussi des témoignages contemporains, parmi lesquels ceux des « navigeans [qui] disent qu’auprès le détroit de Magellan, il y a encore des geants, où sont des hommes de dix à douze pieds d’hauteurs40 ».
21Habicot considère insuffisants les arguments physiques et médicaux et entend prouver qu’il s’agit bien d’ossements humains par l’accumulation de références historiques et littéraires, anciennes et modernes. La querelle avec son adversaire Jean Riolan, dont la réponse sous forme de dialogue ne sera pas moins provocatrice, et le ton de ses pages dénotent la volonté d’un polémiste de multiplier les références en sa faveur plutôt que de produire un ouvrage démonstratif, y compris pour les preuves « scientifiques » concernant la nature, l’anatomie et la mesure des ossements. Il n’est pas facile d’établir clairement si, dans l’esprit de l’auteur de la Gigantostéologie, une citation d’Augustin ou de la Genèse est aussi persuasive que le recours aux arguments proprement médicaux ou à l’objectivité physique du poids et des mesures des os.
22Le problème consiste à cerner la nature d’un objet là où la discussion conduit à la contestation même de l’objet. L’espace discursif désormais n’est plus limité à un ou plusieurs genres littéraires, parce qu’il a annexé celui d’un discours scientifique, non pas dans le sens où il serait mieux fondé, mais parce qu’il implique la chirurgie et l’ostéologie. Ce terrain commun n’est pas étranger au recours à l’accumulation dans les cabinets de curiosités, où en effet la construction du savoir et l’organisation des connaissances font partie d’un même réseau. C’est pourquoi la signification de cette querelle n’a pas à être réduite à une question de crédulité ni à une confrontation entre superstition et scientificité ; mise en perspective, elle appartient plutôt au terrain du questionnement des limites du possible et au régime de production des discours.
23Les vingt-cinq pieds et demi de Theutobocus sont contestés par Jean Riolan, qui critique les calculs anatomiques, les mesures et le poids des ossements décrits dans la Gigantostéologie, surtout parce qu’elle semble bénéficier d’un certain crédit : « L’imposture des os regarde le bien public, estant divulguée par toute la France, & receue pour vérité41. » Riolan affirme que son critère ne veut pas tenir compte des « fictions poétiques », mais examiner « seulement des histoires qu’on tient pour véritables42 », ce qui l’oblige, donc, à examiner les références évoquées par Habicot. Parmi les preuves en faveur des géants figurent les récits du Nouveau Monde, qui suggèrent la possibilité que cette espèce d’hommes de grande taille ait habité ce continent. Riolan se réfère surtout à Pigafetta et à Vespucci : « Antonius Pigafeta asseure avoir veu aux cannibales d’Armenie [sic] un geant qui estoit plus haut de la moitié que [n]ous autres. Americus Vespucius raconte qu’au Perou pres le détroit de Magellan il decouvrit une terre qu’il appelle des geants où les hommes et les femmes étaient beaucoup plus grands que nous autres, mais il ne spécifie point la grandeur43. » Mais la stratégie discursive de Riolan consiste plutôt à s’en tenir à un critère de vérité bien précis lorsqu’il affirme tout simplement que « toutes les grandeurs qui surpassent les dix pieds sont faulses44 ». Quant à la nature des ossements, tenue pour preuve par Habicot, Riolan identifie les « os des monstres marins de figure humaine, ou bien des os de baleine, ou d’éléphant ou bien des os fossiles45 », ce qui pose un autre problème concernant la genèse des grands monstres marins à la figure humaine. Même si cette dernière question reste sans réponse, elle est déplacée sur un autre terrain, ce qui permet de corriger les erreurs du passé, comme celle d’Augustin croyant avoir vu une dent de géant : « La grande dent molaire que veid sainct Augustin au rivage de la mer Urique n’estoit point d’un homme, ains plustot d’un Elephant marin ou balene46. » Riolan ajoute à son argumentaire un autre élément susceptible d’expliquer les ossements de géant : « Dans la terre se peut former & engendrer des pierres osseuses, semblables en figure aux os humains47. »
24Quoi qu’il en soit, l’idée de fond reste ambiguë, tout comme les raisonnements de Riolan, qui ne peut éviter de partager avec sa cible polémique le mélange des arguments : l’anatomie et la chirurgie sont ainsi complétées par un large éventail de citations et de références textuelles censées renforcer l’argumentation. Par exemple, les poètes de l’Antiquité lui permettent de montrer qu’en dépit de l’égalité de taille entre les hommes des époques antérieures et ses contemporains, la représentation d’hommes plus forts et plus grands que ceux du présent est elle-même très ancienne : elle remonterait à Homère, Virgile et Juvénal48. De plus, la polémique autour de l’« affaire Theutobocus » soulève une autre question, outre celle de la taille humaine : elle concerne la nature du monde, plus précisément l’idée que les « philosophes epicuriens mantiennent que le monde va toujours vieillisant, la force des elements se consommant petit à petit, qui faict que tous les animaux amoindrissent49 ». De son côté, le chirurgien réfute la possibilité d’une transformation des conditions déterminant la force et la taille des hommes, car selon lui, si les géants ont bien existé dans le passé, il n’y a aucune raison pour laquelle ils auraient cessé d’exister, étant donné la stabilité de la nature et des espèces vivantes.
25La Mothe Le Vayer observe que la polémique sur le géant Theutobocus n’est pas nouvelle, car déjà dans l’Antiquité50, les os de grands animaux étaient considérés comme une preuve de l’existence d’une espèce d’hommes de très grande taille : voilà, pour le philosophe, une bonne raison de ne croire ni aux géants ni aux pygmées. Sans mettre en cause la valeur des récits des navigateurs, leur usage peut servir à justifier des thèses opposées : « Ie pourrois authoriser leur existence [des géants] par des exemples sans fin, que i’ay tirez de toutes ces relations de voyages51. » Mais derrière la justification, étayée par les voyages et les géants bibliques antédiluviens, émerge le problème de l’interprétation du sens attribué au mot « géant ». La Mothe Le Vayer remarque, en effet, qu’il n’indique pas nécessairement « des personnes d’une grandeur de corps extraordinaire », mais qu’il peut être interprété à raison comme désignant une catégorie d’« hommes superbes & impies52 ».
26Cependant, si l’existence des géants relève d’une croyance, celle-ci n’est pas réductible à la simple adhésion à une idée forgée à partir de l’Écriture par « l’imagination de ceux qui se plaisent à inventer des fables53 ». En effet, elle trouve un fondement non théologique dans l’hypothèse du vieillissement du monde, ou dans « [l]’opinion de quelques philosophes qui se sont persuadés que le monde va toujours en dégénérant54 ». En suivant le raisonnement de ceux pour qui les hommes étaient plus grands dans le passé, La Mothe Le Vayer illustre son scepticisme par un exemple éloquent : on peut imaginer que, dans deux ou trois millénaires, les dimensions de la statue d’Henri IV pourraient faire croire aux hommes que les dimensions de leur corps diminuent. La même erreur concerne la croyance aux pygmées qui, à son tour, s’appuie sur des textes anciens. Le doute sceptique opère une mise à distance, dans laquelle tant les témoignages d’observateurs que les arguments élaborés en faveur des géants se dissolvent, à travers un examen ne pouvant que confirmer l’incertitude à laquelle le savoir est inéluctablement confronté : « C’est ainsi que tout sert à nous tromper, & que sur de mauvais antécédens nous fondons le plus souvent de très fausses conséquences55. »
27Le pyrrhonisme du philosophe libertin s’oppose, en l’excluant, au possibilisme présent chez d’autres penseurs. Pierre Gassendi, dans sa biographie de Nicolas Peiresc, décrit l’intérêt avec lequel son ami a suivi « l’affaire Theutobocus » et aborde la question sous un angle bien différent. S’il ne s’est pas laissé convaincre par les pamphlets de Nicolas Habicot, Peiresc accepte l’hypothèse que les ossements retrouvés « pouvaient appartenir à un géant fort ancien56 ». Il conteste l’identité attribuée à ce géant sur la base de critères linguistiques et archéologiques, car, d’une part, il est très improbable que des mots latins aient été écrits sur le tombeau du roi des Cimbres, c’est-à-dire d’un peuple germanique ; d’autre part, un tombeau romain, même celui d’un ennemi vaincu, n’aurait pas été construit tel que Habicot le décrit. Enfin, Peiresc réussit à obtenir un échantillon des ossements en question, dont l’examen le conduit à penser qu’ils appartiennent à un éléphant. Pourtant, Gassendi rapporte le souhait de son ami que « quelqu’un qui fût incapable d’être berné ou de berner, fit le voyage de Sicile et explorât les os qui, déterrés non loin de Palerme, sont réputés os de géants57 ».
28L’évolution du débat à travers les développements de l’histoire naturelle au siècle suivant montrera que, au-delà de la controverse, l’affaire Theutobocus renfermait des problèmes bien plus complexes, dont l’examen ne faisait que commencer58.
LA GIGANTOLOGIE AU XVIIIe SIÈCLE : TORRUBIA, CLAVIGERO
29Le naturaliste espagnol José Torrubia publie en 1754 un livre intitulé Aparato para la historia natural española, où il s’emploie principalement à concilier la Bible avec l’histoire naturelle. Comme déjà chez Acosta et Torquemada, le Déluge comme ligne de partage historique entre une humanité antédiluvienne et postdiluvienne constitue un objet complexe : à la fois il est source d’une pensée hypothétique et affirmation problématique de l’orthodoxie religieuse. Les mutations propres au champ du savoir correspondant à l’histoire naturelle touchent ces deux aspects qui ne sont pas nécessairement en contradiction. Le lien entre l’histoire biblique de la Terre et les recherches des naturalistes, par conséquent, ne relève pas vraiment d’une « prétention scientifique59 » plus ou moins persistante. Au fil des siècles, les mutations épistémologiques ayant orienté le regard de l’histoire naturelle sur des objets qui s’installaient sur son terrain ont conduit à la naissance des domaines de la géologie, de la paléontologie et de l’archéologie. Avant la formation de ces disciplines entre le xviiie et le xixe siècle, le langage de l’histoire naturelle pouvait, en effet, être emprunté et mis au service tant de constructions théologiques que de certains engagements intellectuels ; dans chaque cas, la disponibilité d’une hypothèse probable détermine pourtant une différence substantielle. Si les conditions de cette disponibilité existent sous le régime des belles-lettres, ce n’est certainement pas en raison d’une aspiration à la scientificité décalée ou contre-productive du point de vue du « progrès ». Les fossiles et les ossements traités par l’érudition de Torrubia font l’objet d’un examen polémique, situé entre théologie et histoire naturelle. Ses gloses se rapportent aux pièces d’étude en les décrivant, en les analysant et en se rapportant à des illustrations, mais pour rendre compte de tels objets il s’appuie sur des sources aussi éloignées qu’Augustin et Buffon. Parmi les fossiles et les ossements, trouvés tant en Europe qu’au Nouveau Monde, sur lesquels se penche l’Aparato, son auteur ne voit pas seulement des pièces à étudier d’un point de vue physique ou morphologique, mais trouve en elles les traces du Déluge universel qui lui permettent de réfuter le naturalisme protestant60.
30S’il est vrai qu’« il faut prendre très au sérieux les créations les plus étranges de l’esprit humain61 », il faudrait alors accorder une attention particulière à la question qui fit connaître l’ouvrage de Torrubia dans la république des Lettres. En effet, la diffusion des idées du franciscain en Europe n’était pas tant liée au mérite de ses recherches paléontologiques qu’à sa défense des géants62. Torrubia affirme que les Américains divisent leur histoire en quatre époques, et s’appuyant sur cette périodisation, il apporte un nouvel argument à sa thèse. Si les peuples du Nouveau Monde n’ont pas conservé de traces de leur histoire dans des documents écrits, Torrubia observe qu’ils ont recouru à d’autres moyens, surtout au dessin et à la peinture. Sur la base de ce type de documents, il dégage quatre époques, de la création à la fin du monde, qui valident à la fois le Déluge comme moment historique et l’existence des géants63.
31Entre autres références faisant autorité pour soutenir l’authenticité des ossements humains attribués à des géants, Torrubia propose un argument linguistique. Pour savoir si un objet a existé ou non dans le Nouveau Monde, affirme-t-il, il suffit de chercher le mot correspondant dans les langues indigènes. Les Américains se servent fréquemment de mots espagnols pour nommer ce qui provient d’Espagne et qui n’existait pas avant l’arrivée des Espagnols en Amérique – c’est le cas de certaines espèces animales comme par exemple le cheval. Utilisant comme preuve le mot indigène « quinametin64 », ou « géants », Torrubia, en nominaliste, conclut que des hommes de très grande taille65 existaient bien avant l’arrivée des Européens en Amérique. En s’appuyant également sur Augustin et sur l’authenticité des ossements, il considère que l’existence des géants postdiluviens est tout à fait certaine. S’il s’agissait simplement d’ossements de grands animaux, comme le soutiennent les auteurs sceptiques avec qui la polémique est engagée, en particulier Hans Sloane66, Benito Jerónimo Feijoo67, Nicolas Mahudel68, alors, continue Torrubia, les ossements n’auraient pas été retrouvés dans des sépultures, comme dans le cas du roi Theutobocus, au centre de la polémique entre Nicolas Habicot et Jean Riolan. D’autre part, outre l’absence de témoignages en mesure d’attester la présence d’éléphants ou de leurs ossements sur le continent, le mot « éléphant » n’a pas d’équivalent dans les langues locales. Torrubia n’affirme pas seulement l’existence des géants dans le passé, qui, comme tous les Américains, seraient les descendants d’une migration provenant d’Asie selon la thèse de l’Histoire naturelle de José Acosta, mais défend également l’idée qu’il existe encore un peuple de géants des deux côtés du détroit de Magellan69, c’est-à-dire dans la moitié méridionale de l’Amérique et sur le continent austral.
32L’ouvrage de Francisco Javier Clavijero70 consacré à l’histoire du Mexique (1780-1781) présente une étude des chroniques de l’exploration du Nouveau Monde dont l’objet est conçu à travers la géographie et l’histoire naturelle des différentes espèces vivantes. L’auteur même définit son travail comme une tentative de restituer aux peuples du Mexique, mais plus généralement à l’homme américain, une dimension historique et une dignité mises en cause précédemment, en particulier chez Corneille De Pauw71. Concernant l’origine de l’homme américain, et suivant de près la position acostienne, il pense que l’explication la plus plausible est celle d’une migration provenant d’Asie par voie maritime ou par voie terrestre, dans l’hypothèse où les deux continents ont probablement été reliés par terre. Pour Clavigero, l’existence des géants dans le Nouveau Monde est également attestée par les ossements humains provenant de fouilles archéologiques dans plusieurs endroits du continent. Il est raisonnable de penser que la période historique pendant laquelle ils ont vécu correspond à une époque ancienne, affirme-t-il, mais elle ne peut être fixée avec précision. Pour l’historien mexicain, contrairement à Hans Sloane72, les ossements sont une véritable preuve. Sa prise de position ne laisse guère de place au doute : « Je sais que plusieurs philosophes européens, qui tournent en dérision les défenseurs des géants, se moqueront de moi aussi, ou seront au moins touchés de compassion par mon excès de crédulité73. »
Notes de bas de page
1 La négation polygéniste de l’origine adamique est « un point de référence sous-jacent de la polémique acostienne », Giuliano Gliozzi, Adam et le Nouveau Monde, op. cit., p. 311. Pour un regard d’ensemble sur le rapport entre histoire naturelle et Nouveau Monde, voir Yves Laissus (dir.), Les naturalistes français en Amérique du Sud. xvie-xixe siècles, Paris, Éditions du CTHS, 1995.
2 Sur ce point, voir David Solodkow, « Una etnografía en tensión : “Barbarie” y Evangelización en la Obra de José de Acosta », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, 2010, consulté le 3 avril 2015, http://nuevomundo.revues.org/59113.
3 Après une première édition latine, De Natura Novi Orbis libri duo, Salamanque, Foquet, 1589, l’ouvrage paraît à Séville sous le titre Historia natural y moral de las Indias, Juan de León, 1590, puis à Paris, traduit par Robert Régnault, Histoire naturelle et moralle des Indes, Marc Aurry, 1606.
4 José de Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes occidentales, trad. par Jacques Rémy-Zéphir, Paris, Payot, 1979, p. 153.
5 Ibid.
6 Ibid., p. 231.
7 Ibid., Préface.
8 En réalité, la guerre contre les indigènes n’est pas due à des raisons philosophiques, mais à « une certaine opinion populaire », José de Acosta, De procuranda indorum salute, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1984, vol. XXIII, II, 5, p. 285. Sur Sepúlveda, voir Francisco Castilla Urbano, El pensamiento de Juan Ginés de Sepúlveda : vida activa, humanismo y guerra en el Renacimiento, Madrid, Centro de estudios políticos y constitucionales, 2013 ; Salvador Rus Rufino, Antropología y ética aristotélica en Juan Ginés de Sepúlveda en las obras « Sobre el destino », « Teófilo » y « Demócrates primero », Palerme, Officina di studi medievali, 2012 ; Nestor Capdevila, Las Casas : une politique de l’humanité. L’homme et l’empire de la foi, Paris, Cerf, 1998, chap. IV. Pour une comparaison de Las Casas et Acosta, voir Anthony Pagden, The Fall of Natural Man. The American Indian and the Origins of Comparative Ethnology, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, chap. 6 et 7. Sur l’évangélisation, nous renvoyons à Martine Azoulai, Les péchés du Nouveau Monde : les manuels pour la confession des Indiens, xvie-xviie siècle, Paris, Albin Michel, 1993, et Francesca Cantù, La conquista spirituale. Studi sull’evangelizzazione del Nuovo Mondo, Rome, Viella, 2007.
9 Marcel Bataillon, « L’unité du genre humain du P. Acosta au P. Clavigero », dans Mélanges à la mémoire de Jean Sarrailh, Paris, Centre de recherches de l’Institut d’études hispaniques, 1966, t. 1, p. 80.
10 José de Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes occidentales, op. cit., p. 33.
11 Ibid., p. 36.
12 José de Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes occidentales, op. cit., p. 39.
13 Ibid., p. 51.
14 Ibid.
15 Ibid., p. 57.
16 Ibid., p. 58.
17 Ibid.
18 Ibid., p. 59.
19 Ibid., p. 61.
20 Giacomo Gastaldi, Universalis, exactissima atque non recens modo, verum et recentioribus nominibus totius orbis irsignita descriptio, Anvers, J. de Jode, 1555. Voir Massimo Minella, Il mondo ritrovato : le tavole sudamericane di Giacomo Gastaldi, Gênes, Compagnia dei librai, 1993, et Stefano Grande, Le carte d’America di Giacomo Gastaldi. Contributo alla storia della cartografia del secolo XVI, Turin, C. Clausen, 1905.
21 Ibid., p. 67.
22 Ibid., p. 216.
23 Ibid.
24 Ibid., p. 217.
25 Ibid.
26 José de Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes occidentales, op. cit., p. 299.
27 Ibid., p. 343. Sur cet aspect, voir Jérôme Thomas, « L’évangélisation des indiens selon le jésuite Acosta dans le De procuranda indorum salute (1588) », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires, 10, 2012, consulté le 19 mars 2015 : http://cerri.revues.org/942.
28 José de Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes occidentales, op. cit., p. 345.
29 Francisco Hernández, médecin, traducteur de l’Histoire naturelle de Pline, voyageur en Nouvelle Espagne (1571-1577), rapporte qu’au Mexique, les habitants de Culhuacan pensaient que la Terre était jadis habitée par des géants : « [Los culhuacanenses] Creen firmemente que en ese tiempo habitaban la tierra gigantes, de los cuales quedan hoy huellas y huesos tan grandes que de ellos pueda conjeturarse que su altura era mayor de quince pies », Antigüedades de la Nueva España, Madrid, Historia 16, 1986, (II, 19), p. 145. Sur la figure d’Hernández et sa mission scientifique, voir José María López Piñero, El códice Pomar (ca. 1590). El interés de Felipe II por la Historia natural y la expedicion de Hernández a América, Valence, Instituto de estudios documentales e históricos sobre la ciencia, 1991, et Simon Varey (éd.), The Mexican Treasury. The Writings of Dr. Francisco Hernández, Standford, Stanford University Press, 2001, p. 3-36.
30 « De donde hubiesen venido estos gigantes acá no se sabe ; pero sabemos que antes del Diluvio, dice la Sagrada Escritura, que había gigantes sobre la tierra », Juan de Torquemada, Monarquía indiana [1615], Mexique, Universidad Autónoma de México, 1975, t. 1, chap. XIII « Que trata de los gigantes, primeros moradores de estas tierras, según relación de los mismos indios », p. 52. Jérôme Cardan, dans De rerum varietate (1557), affirme que la taille des géants mexicains était presque trois fois celle « des hommes de notre zone et de notre époque », La magia naturale nel Rinascimento. Testi di Agrippa, Cardano, Fludd, introduction de Paolo Rossi, traductions et notes de Silvia Parigi, Turin, UTET, 1989, p. 90.
31 Jacques Tissot, Histoire véritable du géant Theutobocus, Paris, Berjon, 1613, p. 9. Les ossements sont trouvés « environ 17 & 18 pieds dans terre tout au pres du Chasteau autresfois dit Chaumon, maintenant Langon, au près d’un petit tertis & colline », ibid., p. 14. Sur « l’affaire Theutobochus », voir Jacqueline Duvernay-Bolens, Les géants patagons, op. cit., p. 148-173.
32 Ibid., p. 12.
33 « Du géant Theutobocus & de ses prétendus ossements », Mercure François, Paris, Estienne Richer, 1617, t. 3, p. 267.
34 Nicolas Habicot, Gigantostéologie ou discours des os d’un géant, Paris, Jean Houzé, 1613, p. 14.
35 Ibid., p. 15.
36 Ibid., p. 58.
37 Ibid., p. 59.
38 Nicolas Habicot, Response a un discours apologetic touchant la vérité des géants, Paris, Jean Petitpas, 1615, p. 7. Jean Riolan répondra avec un Iugement des ombres d’Héraclite et Démocrite sur la response d’Habicot au discours apologetic touchant la vérité des géants [sans indication].
39 Nicolas Habicot, Antigigantologie ou contrediscours de la grandeur des géans, Paris, Jean Corrozet, 1618, p. 8.
40 Ibid., p. 15.
41 Jean Riolan, L’imposture descouverte des os humains supposées et faussement attribués au Roy Theutobocus, Paris, Pierre Ramier, 1614, p. 5. On reproche également à Habicot d’avoir oublié de classer les géants de Rabelais dans sa Gigantostéologie, ibid., p. 13.
42 Jean Riolan, Gigantologie, discours sur la grandeur des géants, où il est demonstré que de toute ancienneté les plus grands hommes et géants n’on esté plus hauts que ceux de ce temps, Paris, Adrian Perier, 1618, p. 7.
43 Ibid., p. 11.
44 Ibid., p. 31.
45 Ibid., p. 32.
46 Ibid., p. 37. Persuadé que certains hommes antédiluviens étaient beaucoup plus grands, le philosophe chrétien expose la preuve « des ossements de taille gigantesque » : « Moi-même j’ai vu, et plusieurs autres avec moi, sur le rivage d’Utique, une dent molaire humaine si énorme que, divisée en petits morceaux de la taille de nos propres dents, elle aurait pu, à mon avis, en faire cent. C’était d’après ce que je crois, la dent de quelque géant. En effet, outre le fait que les corps d’alors étaient beaucoup plus grands que les nôtres, les géants étaient encore bien supérieurs à tous les autres ; de plus, à d’autres époques et même à la notre, il y a eu des hommes dont la stature a dépassé de loin celle des autres, un phénomène certes rare, mais qui cependant n’a cessé de se produire », Augustin, La cité de Dieu, XV, 9, op. cit., p. 610.
47 Ibid., p. 44.
48 Dans l’Iliade, Diomède et Hector soulèvent des rochers que « deux hommes d’aujourd’hui » ne pourraient plus porter, Homère, Iliade (V, 303 ; XII, 448), trad. par Jean-Louis Backès, Paris, Gallimard, 2013, p. 124 et 282. Dans L’Énéide, Turnus soulève et lance une énorme pierre « qu’à peine porteraient à douze sur leurs nuques », Virgile, L’Énéide, XII, 899, trad. par Olivier Sers, Paris, Les Belles Lettes, 2015, p. 619. Le même auteur écrit : « Sans doute aussi un temps viendra où, dans ces contrées, le laboureur, en travaillant la terre avec la charrue cintrée, trouvera des javelots rongés par la rouille lépreuse, ou de sa houe pesante heurtera des casques vides, et s’étonnera de voir dans les tombes ouvertes des ossements géants », Géorgiques, I, 493-497. L’idée d’une perte de force et d’une diminution de la taille humaine serait présente également chez Juvénal : « Notre race baissait déjà du temps d’Homère », Satires, XV, 67, trad. par Claude-André Tabart, Paris, Gallimard, 1996, p. 224. Les géants mythologiques sont aussi évoqués par Lucrèce : « Cette race terrienne alors fut bien plus dure / Comme de juste ayant germé sur un sol dur/Charpentée d’os beaucoup plus grands et plus solides », De la nature, V, 925-927, trad. par Olivier Sers, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 387 ; toutefois, le poète épicurien nie l’existence des géants au nom de la stabilité des espèces naturelles, voir Pieter Herman Schrijvers, Lucrèce et les sciences de la vie, Leyde, Brill, 1999, p. 85. Pline l’Ancien rapporte l’opinion selon laquelle « l’ensemble du genre humain devient presque chaque jour plus petit », Histoire naturelle, VII, 16, op. cit., p. 328.
49 Ibid., p. 61-62. Riolan écrit aussi que « [l]es stoiciens sont d’un autre advis, disans que le monde aprochant de l’ecpyrose ou embrassement universel, l’humeur radical des semences petit à petit se desseiche, qui faict que les corps des hommes & des autres animaux, deviennent plus petits », ibid., p. 63.
50 « […] dans sa résidence à Capri, se trouvait une collection de formidables carcasses de monstres marins et terrestres, que l’on nomme les ossements des géants », Suétone, Vies des douze Césars, II, « Le divin Auguste », LXXII, trad. par Pierre Klossowski, Paris, Bartillat, 2010, p. 136.
51 François de La Mothe Le Vayer, Opuscules ou petits traittez, Paris, Toussaint Quinet, 1646, IV, « De la grandeur & petitesse des corps », p. 192.
52 Ibid., p. 193. Parmi ses références, La Mothe Le Vayer indique Philon d’Alexandrie, De gigantibus. Sur les problèmes de traduction dans la critique contemporaine, nous renvoyons à Christophe Lemardelé, « Une gigantomachie dans la Genèse ? Géants et héros dans les textes bibliques compilés », Revue de l’histoire des religions, 2, 2010, p. 155-174.
53 Ibid., p. 194-195.
54 Ibid., p. 195.
55 Ibid., p. 197.
56 Pierre Gassendi, Peiresc 1580-1637 : vie de l’illustre Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, conseiller au Parlement d’Aix, traduit du latin par Roger Lassalle, Paris, Belin, 1992, p. 127. Il souhaitait un examen plus minutieux des « os de géant » trouvés en Sicile et à Tunis, voir ibid., p. 129 et 200.
57 Pierre Gassendi, Peiresc 1580-1637, op. cit., p. 129.
58 Pour Jean Céard, « cette querelle de Theutobocus est un champ clos où s’affrontent pour le dernier combat partisans et adversaires des Géants », « La querelle des géants et la jeunesse du monde », The Journal of Medieval and Renaissance Studies, Durham, Duke University Press, 1978, p. 70.
59 Leandro Sequeiros, Francisco Pelayo, « Introducción », dans José Torrubia, Aparato para la historia natural española, éd. fac-similé, Grenade, Universidad de Granada, 2007, p. IX.
60 Ses cibles polémiques sont notamment John Woodward, auteur de An Essay toward a Natural History of the Earth and Terrestrial Bodies, Londres, R. Wilkin, 1695 ; Thomas Burnett, qui écrit Telluris theoria sacra, Londres, G. Kettilby, 1681 ; William Whiston, successeur de Newton à l’université de Cambridge, qui dans A New Theory of the Earth, Londres, B. Tooke, 1696, voyait dans le passage d’une comète à proximité de la Terre la cause naturelle et imprévue du Déluge biblique.
61 Frank Lestringant, « Ouverture », dans L’unité du genre humain. Race et histoire à la Renaissance, op. cit., p. 11.
62 La dixième section du livre de Torrubia, « Gigantologia española », Aparato para la historia natural española, Madrid, Imprenta de los herederos de Agustin de Gordejuela y Sierra, 1754, p. 54-79, paraît en français dans le Journal étranger, Gigantologie espagnole, ou Dissertation sur l’existence des géants de l’Amérique méridionale, Paris, Jacques François Quillau, novembre 1760, p. 51-79. En France, un compte rendu reçoit l’ouvrage sans enthousiasme : « Tout s’y appelle & rien n’arrive », Journal étranger, Paris, Michel Lambert, novembre, 1755, p. 94 ; en Angleterre, on évoquait sa « unphilosophical credulity », The Monthly Review, Londres, Griffiths, 1757, vol. 16, p. 152. En Italie, Torrubia écrit une Gigantologia spagnola vendicata, Naples, Stamperia Murziana, 1760, contenant les Memorie per la storia della gigantologia spagnola (p. 1-51), une lettre anonyme qui avait été publiée contre ses thèses (p. 53-78) et une longue réponse de l’auteur (p. 79-150).
63 José Torrubia, Aparato, op. cit., p. 61. Il est significatif que le passage entre la deuxième et la troisième époque est, selon Torrubia, déterminé par la disparition des géants sur la Terre.
64 Óscar Rolando Gutierrez, « Notas comparativas sobre los quinametin o gigantes en la tradición popular de mesoamérica », Folklore Americano, 59, 1998, p. 155-164.
65 José Torrubia, Aparato, op. cit., p. 63. Le mot est mentionné par Juan de Torquemada, Monarquía indiana, op. cit., p. 52.
66 Le naturaliste et secrétaire de la Royal Society, Hans Sloane, écrit : « There are many skeletons, that were from time to time found under ground and are mentioned by the authors, who speak for them, as skeletons of giants, and undeniable monuments of their existence, which, as I have already observed, I should rather take to be the skeletons of elephants, wales, or some other huge land or sea animal », Philosophical Transactions, 35, 1727, p. 499.
67 Feijoo, qui adhère aux vues de Sloane, se déclare contre « las fábulas de tanto Gigante enorme, repartidas en varias Historias », Benito Jerónimo Feijoo, Teatro crítico universal (1726- 1740), Madrid, Blas Román, 1778, t. 5 [1733], XVI, § 10. Sur le débat entre le franciscain et le bénédictin, voir Carlos Martín Escorza, « Torrubia vs. Feijoo, el diluvio y el inicio de la geología en España », Tierra y tecnologia, 31, 2007, p. 91-97. À l’instar de Feijóo, Martín Sarmiento s’oppose à l’existence des géants et à leur utilisation en tant qu’argument en faveur de la thèse du vieillissement du monde, voir Demostración crítico apologetica en el Teatro crítico universal, Madrid, 1732, p. 155-175.
68 L’académicien Nicolas Mahudel fixait la limite de la taille humaine à « douze pieds, c’est-à-dire le double de la taille la plus avantageuse des hommes ordinaires », « Examen de ce qu’il y a de plus probable sur la taille des géants », Histoire de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles Lettres depuis MDXXXI jusqu’à MDCCXVIII, La Haye, Pierre Gosse, 1724, t. 2, p. 263. L’abbé Antoine Gachet d’Artigny, mentionné par Torrubia, conteste cette opinion : « Un squelette humain, examiné par tant de témoins, se distingue aisément du corps d’une baleine », Nouveaux mémoires d’histoire, de critique et de littérature, Paris, Debure, 1749, t. 1, art. XII, « De l’existence des géants », p. 137. Dom Calmet, également mentionné dans l’Aparato, écrit une « Dissertation sur l’existence des géans », Nouvelles dissertations importantes et curieuses, Paris, Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1720.
69 Dans sa réponse à la lettre du Napolitain anonyme, Torrubia évoque le corpus des voyageurs pour montrer que « l’una e l’altra costa dello Stretto di Magallanes è di essi [de’ giganti] ricolma », Gigantologia spagnola vendicata, op. cit., p. 112.
70 Sur l’historien mexicain, voir Charles E. Ronan, Francisco Javier Clavigero, S. J. (1731-1787). Figure of the Mexican Enlightenment, his Life and Works, Chicago, Institutum Historicum, Loyola University Press, 1977, et Stefano Tedeschi, La riscoperta dell’America. L’opera storica di Francisco Javier Clavigero e dei gesuiti messicani in Italia, Rome, Aracne, 2006.
71 Clavigero résume le propos de Corneille De Pauw, qu’il considère comme sa cible, de la manière suivante : « Persuader le monde qu’en Amérique la nature a dégénéré complètement dans les éléments, les plantes, les animaux et les hommes », Francisco Javier Clavijero, Storia antica del Messico cavata da’ migliori storici spagnuoli, Cesena, Biasini, 1780-1781, t. 4, p. 6. Sur De Pauw, voir infra.
72 Francisco Javier Clavijero, Storia antica del Messico, op. cit., p. 10.
73 Ibid., t. 1, p. 125.
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