Chapitre IX. Devenir d’une figure littéraire
p. 181-197
Texte intégral
FICTIONS CHEVALERESQUES DANS LE NOUVEAU MONDE
1L’étymologie du mot « Patagonie », à partir duquel cette région a été dénommée, a été très débattue. À partir du xvie siècle, différentes explications ont été proposées. La plus commune et généralement admise soutient que le mot dérive de la grande taille des pieds de ses habitants, erreur à l’origine d’un « intertexte » pour le moins persistant1. L’origine du mot, toutefois, est littéraire, précède le voyage de Magellan et a donné lieu aux spéculations étymologiques les plus variées2. Si les géants sont découverts par l’expédition de Magellan en 1520, le mot en question apparaît pour la première fois dans le roman de chevalerie Primaleón (1512)3. Cet ouvrage attribué à Francisco Vázquez, appartient à une série de six romans intitulée Palmerines : avec Amadís de Gaula (1508), il s’agit de textes majeurs du genre chevaleresque. L’écriture caractérisant ces livres fait coexister, dans un même espace littéraire, une géographie physique et une géographie imaginaire où se déroulent les aventures d’héroïques chevaliers qui voyagent non seulement en Grèce, en Allemagne, en France, en Angleterre et en Turquie mais aussi dans des îles fantastiques habitées par des monstres, des nains et des géants. Reprenant la tradition arthurienne, à la Renaissance, la fiction chevaleresque est ancrée dans les codes de la noblesse et de l’aristocratie, mais suggère à la fois, dans l’imaginaire du public, un lien avec les voyages de long cours à une époque où les chroniques du Nouveau Monde commencent à se répandre en Europe. Parmi les personnages imaginaires du très riche répertoire de Primaleón, en raison de la fortune de son prolongement toponymique, une place particulière a été accordée au « grand patagon », dont le mode d’existence dans le monde chevaleresque correspondrait à celui du « merveilleux naturel4 ».
2Critiqué par ses contemporains et peu considéré par la critique ultérieure, le genre se répand au xvie siècle, souvent desservi par sa mauvaise réputation en tant que genre populaire auprès des lecteurs savants5. En Europe, sa diffusion est attestée par un nombre surprenant de rééditions et de traductions, notamment en Italie, France, Angleterre, Hollande et Allemagne, outre les éditions circulant à travers la péninsule Ibérique. Ce genre est caractérisé par son « internationalisme littéraire6 », qui pénètre dans d’autres genres, tels que la poésie, le théâtre et le récit de voyage, et touche un public très large, rois compris7, formé de courtisans, aristocrates, bourgeois, marchands et soldats, sans oublier les navigateurs8. Le genre est déprécié par une minorité de lecteurs réprouvant ses effets moraux et sa pauvreté artistique, et surtout l’accusant de répandre des fictions mensongères auxquelles la crédulité du public s’expose particulièrement9, reproche qui n’est pas très éloigné de ceux adressés aux récits de voyage. La fiction au cœur du genre chevaleresque, qui partageait avec ces derniers l’héritage de la littérature classique et des bestiaires médiévaux, est délégitimée en tant que fausse narration, opposée à celle dont l’histoire naturelle était censée se charger.
3Tout en entretenant un rapport intertextuel avec le roman chevaleresque, le récit de voyage est plus à l’abri de ces critiques, car s’éloignant du réel, il reste dans le domaine du vraisemblable. L’entreprise référentielle qui, malgré tout, définit les chroniques d’exploration – même celles apparemment peu soucieuses du réel – est une fonction absente des romans de chevalerie. Cependant, des textes aux fonctions différentes, correspondant à des genres d’écriture hétérogènes, se rapprochent dès lors que leurs sources ne sont pas totalement dissociées. Certains liens occasionnels ne sont pas prévus par le statut de l’un ou l’autre genre, certaines résonances intertextuelles suivent, à première vue, des chemins écartés d’une logique générique, et pourtant ces mêmes résonances contribuent tant à la poétique du récit de voyage qu’à celle du roman chevaleresque.
4Le chroniqueur d’une exploration n’écrit pas exclusivement pour fixer, en les décrivant, une série de lieux composant l’itinéraire d’un voyage : il entend également plaire à son lecteur, comme l’affirment d’ailleurs explicitement les premiers explorateurs et le confirment nombre de leurs successeurs. Ainsi, Vespucci souhaite « écrire quelque chose qui [le] fera survivre quelque temps après [sa] mort10 », et Pigafetta déclare son intention d’« acquérir quelque fameux nom après la postérité11 ». Pourtant, les récits d’exploration constituent le témoignage d’une expérience généralisée et d’une modalité de production de savoir qui ne sauraient être circonscrites à la sphère d’un « auteur ».
5La conquête est aussi une épopée littéraire dont la narration reflète l’esprit des croisades, qui est à son tour un élément central du genre chevaleresque. La richesse du bestiaire évoqué dans ces romans, en effet, n’est pas absente des récits de voyages. La figure des amazones, d’origine classique mais largement répandue dans les textes de chevalerie12, fait son entrée dans la littérature de voyage en Amérique déjà avec Christophe Colomb. Les chroniques du Nouveau Monde s’éloignent du statut propre aux romans chevaleresques par leur référentialité, mais un tel écart peut sembler formel et générique sous plusieurs aspects. Les résonnances intertextuelles ne sont ni rares ni secondaires : l’étrangeté, la difformité ou la démesure incarnée par les monstres, les cynocéphales, les nains, les géants, les amazones, outre les hommes sauvages, traversent les romans de chevalerie, situés dans des espaces lointains. Le voyage est toujours au centre de ces textes ; s’il est maritime, il franchit souvent une frontière vers un espace périphérique insulaire ou interinsulaire. Les résonances entre les deux types de textes n’adviennent pas unilatéralement, car si l’exploration du Nouveau Monde fait écho à ces fictions romanesques, les livres de chevalerie sont ouverts à l’influence des chroniques de voyage. La transformation et l’élargissement de cet espace littéraire entre le Moyen Âge arthurien et la Renaissance se manifestent par un supplément de variété, mais surtout avec l’entrée dans les livres des mers et des îles là où auparavant il y avait des ponts, des châteaux et des forêts13, au point d’évoquer un « tournant insulaire14 ».
6Primaleón décrit une île habitée par une tribu de Patagons, c’est-à-dire d’hommes sauvages peuplant les montagnes d’une île. Au fil de l’action, le héros éponyme atteint cette île où il apprend l’existence d’étranges habitants dont le comportement vient corroborer leur animalité : « Ils habitent comme des animaux, sont très féroces et asociaux et mangent de la chair crue de ce qu’ils chassent dans les montagnes. Et ils sont comme des sauvages qui n’ont que des vêtements de peaux d’animaux qu’ils tuent et elles sont si laides, que c’est une chose merveilleuse à voir. Mais tout cela n’est rien par rapport à un homme qu’il y a parmi eux qui s’appelle Patagon15. » Le grand Patagon est un monstre hybride, né d’un humain et d’une Patagone, femme sauvage incarnant le diabolique et le péché16. Comme les géants de Pigafetta, c’est un sauvage, rapide à la course et muni d’arc et de flèches. L’animalité reste sa qualité essentielle : il a une tête de chien avec des dents pointues, de grandes oreilles et des pieds étranges, semblables à ceux d’un cerf, qui lui permettent de courir à grande vitesse. Culturellement, ce dernier aspect n’est pas sans rapport avec l’étymologie acceptée du mot patagon donnée par les historiens du Nouveau Monde, qui suggère que le terme exprime correctement la difformité des pieds. D’autres éléments narratifs rapprochent la chronique de Pigafetta de ce roman : Primaleón et d’autres chevaliers vont à la recherche du géant, se battent contre lui et contre d’autres Patagons armés d’arcs et de flèches, pour le capturer par ruse et quitter l’île.
7Si le chroniqueur de l’expédition de Magellan emprunte le mot d’un roman en vogue à l’époque en un geste riche de conséquences, il est impossible de déterminer où finit le récit fantastique et où commence la description proprement anthropologique, distinction qui, en plus d’être invérifiable, s’éloigne du concept historique de réalité. L’adoption d’une telle dichotomie reviendrait à lire les cartes géographiques exclusivement à travers le critère de l’objectivité des territoires représentés, ce qui appauvrit d’un côté la représentation et, de l’autre, réduit la portée de la carte en tant que dépositaire d’un savoir encyclopédique.
8De ce point de vue, le Nouveau Monde des premiers voyageurs ne correspond ni à une merveilleuse île enchantée ni à un portrait ethnologique désintéressé. Il n’est pas seulement question des éléments constituant l’image du continent, mais du savoir consubstantiel à cette image correspondant à un certain mode de connaissance. La coexistence des lettres et des sciences dans la culture humaniste consiste dans la proximité de textes considérés à des époques successives comme relevant de domaines séparés. Ces écarts sont produits par des mutations épistémologiques et il se peut donc qu’ils ne soient ni visibles ni lisibles dans le savoir d’une époque suivante. En effet, lorsqu’elles glissent vers un monde fictionnel, les chroniques des voyageurs ne peuvent être exclusivement rattachées à une reprise de sources littéraires, fussent-elles implicites ou explicites. En effet, si le bestiaire de Christophe Colomb trouve quelques sources dans le voyage de Marco Polo, il en trouve davantage encore dans des textes scientifiques, notamment dans l’autorité cosmographique de Pierre d’Ailly, dont les écrits laissent apparaître des figures monstrueuses, comme les hommes à tête de chien ou les cynocéphales. D’autre part, l’origine littéraire du mot patagon n’est pas un cas isolé, car les toponymes Californie et Floride sont également issus des fictions littéraires et des romans de chevalerie. L’emprunt de Pigafetta dépend du fait qu’un peuple de géants fut « reconnu avant d’être connu17 ». Mais une fois ce fait établi, il est question maintenant de mesurer les effets de cette reconnaissance.
LE GÉANT, RENAISSANCE D’UN TOPOS LITTÉRAIRE
9Les écrits relatifs aux voyages de Colomb, Vespucci et Magellan peuvent être considérés comme des récits fondateurs dans la mesure où ils sont à l’origine d’une production considérable d’images cartographiques du Nouveau Monde, mais aussi d’une humanité nouvelle où, à la marge du récemment découvert, se projette l’ombre épaisse de l’inconnu. À partir, notamment, de la chronique de Pigafetta se succèdent d’innombrables témoignages qui, tout en introduisant des variations sur le thème, reprennent le topos des géants et font ainsi la fortune d’une figure dont le statut ambigu fera l’objet de discussions jusqu’au xviiie siècle, à travers lesquelles se dessine en quelque sorte « le lieu d’une redéfinition de l’homme18 ».
10López de Gómara et Oviedo, non pas en chroniqueurs mais en historiens, confirment le lien entre géants et terres magellaniques en rapportant des mesures non fournies par Pigafetta19. L’expédition de García Jofre de Loaísa (1525-1536), suivant celle de Magellan, répond au projet de Charles V, qui entend créer aux Moluques des établissements pour défier la couronne portugaise, également intéressée par les îles aux épices20. Sa flotte compte sept navires avec à bord quatre cent cinquante hommes, dont Juan Sebastián Elcano, successeur de Magellan après la mort de ce dernier aux Philippines en 1521, qui avait achevé la première circumnavigation du monde. Suivant l’itinéraire de la mission qui l’avait précédé, Loaísa rencontre en 1526 des géants en Patagonie : la taille des voyageurs ne dépasse pas leur ceinture21 et leur nombre est élevé puisque les membres de l’équipage ne cachent pas leur stupeur face à un groupe de deux mille géants22.
11La référence aux géants ne manquera pas dans les chroniques ultérieures. Le toponyme « Île de Géants », introduit dans les cartes par le récit d’Amerigo Vespucci pour indiquer l’île de Curaçao, est repris par Gonzalo Fernández de Oviedo. En conciliant différentes sources, ce dernier affirme que sans être de véritables géants, les habitants de l’île auraient une taille supérieure à tous les Indiens connus jusqu’alors23. Les géants ne se trouvent pas exclusivement en Patagonie, on peut les rencontrer en d’autres endroits du continent. D’après le texte de Diego de Aguilar y de Córdova, au Pérou, près du fleuve Marañon, il y a des traces d’une ancienne population de géants24. En outre, sur la base des récits des indigènes, Agustín de Zárate affirme que Santa Elena, sur la côte Pacifique, a jadis été une terre habitée par des géants25. Pour sa part, Cristóbal de Acuña, ayant pris part au voyage d’exploration conduit par Pedro Teixeira en Amazonie, parle d’une population géante, dont la taille correspondrait à trois mètres vingt environ26. Et encore, Giovanni Anello Oliva affirme que des ossements trouvés au Pérou et au Mexique appartiennent à une même race d’hommes géants27.
12Argensola, en décrivant le passage de Francis Drake par la baie de San Julián, parle de géants armés d’arcs et de flèches28. Les traits des indigènes peuplant ces terres se rapprochent de l’animalité, comme par exemple leur voix, comparée à des hurlements de loups marins. Leur taille est estimée à deux mètres et demi environ29. Argensola reprend des éléments narratifs de la relation de Pigafetta : l’épisode où Sarmiento capture un des géants, celui où les Espagnols leur offrent des présents, ou encore la mise en scène du combat durant lequel les voyageurs sont blessés par leurs flèches. La littérature chevaleresque est présente dans le récit de Pigafetta, avec l’introduction des géants et dans le nom même des Patagons, mais dans presque la totalité des textes d’exploration, la référence au genre reste implicite. Chez Argensola, en revanche, le récit du voyage de Sarmiento trouve un lien exceptionnellement explicite avec ce type de fiction30. Après la description d’un affrontement entre les Espagnols, munis d’armes à feu, et ces hommes de taille gigantesque, armés d’arcs et de flèches, l’écrivain saisit l’occasion de ce combat pour affirmer que la lâcheté des géants des romans de chevalerie est tout à fait méritée. C’est là un détail révélateur du statut du genre à l’époque et de la manière dont ces textes étaient lus, du moins par les lecteurs et chroniqueurs familiarisés avec un tel mélange des genres. Non seulement la frontière entre réel et fictionnel n’est pas claire – à dire vrai, ce n’est en rien exceptionnel – mais aussi et surtout, c’est la réversibilité entre la référence romanesque et la chronique d’un voyage qui apparaît ici dans toute sa singularité. Cela est d’autant plus singulier chez un homme de lettres comme Argensola, qui était historien, poète et écrivain, auteur paradoxal si l’on veut d’un Discours affirmant la différence existant entre le poète et l’historien31.
13La toponymisation d’une espèce supposée de géants censée modifier les bornes de la connaissance de l’homme n’est pas limitée aux reprises et aux variations de la série de textes des voyageurs, mais elle devient un point de repère scientifique dans la représentation d’un continent. C’est le cas de la cosmographie d’André Thevet, qui traite des particularités, des espèces végétales et animales, des mœurs et rituels des indigènes, aussi bien que des effets intellectuels de la récente histoire des voyages au Nouveau Monde. À mi-chemin entre érudition et une certaine sensibilité ethnographique, il exprime le dépassement de la tripartition du monde en Europe, Asie et Afrique, en considérant qu’elle se complète par une quatrième partie encore mal connue :
Cette terre à bon droit est appelée Amérique, du nom de celui qui l’a premièrement découverte, nommé Améric Vespuce, homme singulier en art de navigation et hautes entreprises. Vrai est que, depuis lui, plusieurs en ont découvert la plus grande partie tirant vers Temistitan [Tenochtitlán] jusques au pays des Géants et détroit de Magellan32.
14Le cosmographe français réitère l’emprunt de la littérature chevaleresque par les premiers voyageurs sur ces terres, et en fait un mélange de gigantisme, cannibalisme et longévité. Il décrit ces « sauvages » de la manière suivante :
[…] fort belliqueux, de grande stature, presque comme géants ; et ne vivent guère sinon de chair humaine comme les Cannibales. Lesdits peuples marchent si légèrement du pied qu’ils peuvent atteindre les bêtes sauvages à la course. Ils vivent plus longuement que tous les autres sauvages, comme cent cinquante ans33.
15Ou encore, le récit du voyage de Sebald de Wert, lors de son passage par le détroit de Magellan en 1599, affirme que les géants « arrachoient des arbres d’un empan de diamètre34 ». À son tour, la chronique de l’expédition d’Olivier Van Noort, premier Néerlandais qui réalise avec succès le tour du monde en vue d’ouvrir des voies commerciales avec les Moluques, parle d’une « race plus au-dedans du pays, nomée Tiremenen, habitants d’un territoire nommé Coin. Ceulx ci sont grands comme geans, estans 10 a 11 piedz haultz35 ». La carte de cette chronique, montrant le Fretum Magellanicum, s’accompagne d’une notice, où les populations de la région sont divisées en cinq groupes, ou « races », dont une est définie par sa très grande taille36. Le 9 avril 1615, c’est Spilbergen qui trouve les corps de deux indigènes morts : « L’un iceulx estoit de longueur vulgaire entre nous mais l’aultre avoit plus de deux pieds & demy d’avantage37. »
16Le voyage des navigateurs néerlandais Willem Schouten et Jacob Le Maire avait comme mission de trouver un passage vers l’océan Pacifique et les îles Moluques par une nouvelle voie, et non par le détroit de Magellan. En dépit de la chronologie rigoureuse et de la description détaillée des conditions météorologiques du Journal, la mer semble être en proie à des phénomènes inexplicables : après avoir quitté la côte de l’Afrique de l’Ouest, elle devient rouge, pour un motif que nul à bord n’est capable de fournir, et quelque chose heurte le navire : « Regardant du costé du navire, vid que la mer n’estoit que du sang, comme s’il y eu esté espandu beaucoup de sang, sans qu’il sceut que c’estoit ; mais trouvames puis après qu’un grand monstre marin avoit heurté contre le navire avec sa corne d’une violente force38. » L’écriture du récit est traversée par l’incertitude qui donne elle-même forme à un texte dont la narration sous-entend ce qui parfois est énoncé explicitement, c’est-à-dire le « grand danger de perdre ensemble & le navire & la vie39 ». La chronique du voyage de Schouten inclut une carte de Puerto Deseado, où sont représentées « [le]s sepultures de très grands hommes desquels les ossemens que nous trouvames estoiens de longeur 10 a 11 pieds40 ». En décembre 1615, « au sommet des montagnes trouvoyent nos gens aucunes sepultures ou monuments faits de monceaux des pierres, & comme nos gens vouloyent sçavoir ce que cestoit, les ont démoliez, & trouvoyent des ossements humains a 11 & 11 pieds de longueur41 ». En janvier 1616, l’expédition trouve le passage recherché à l’extrémité australe du continent américain, nommé cap Horn d’après le nom de la ville natale de Schouten, « un passage lequel iusques a ce temps avoit esté incognu & caché42 ».
17Si l’intertextualité entre les éléments romanesques qui résonnent dans certaines chroniques de voyage est un aspect important, elle ne suffit pas, toutefois, pour rendre compte de la nature de ces textes. En effet, elle relève d’un passage entre deux genres littéraires et si un tel passage est à bien des égards fondamental, il n’est que le premier moment de la circulation d’un énoncé. Le second moment coïncide avec la formation d’un objet scientifique.
L’APPROPRIATION SCIENTIFIQUE
18Outre la diffusion des récits de voyage, donnant lieu à une véritable tradition, l’appropriation par un discours scientifique des questions soulevées par la prétendue présence des géants au Nouveau Monde est à n’en pas douter problématique. En réalité, il ne s’agit pas d’une appropriation pure et simple, mais d’un objet qui s’inscrit et opère dans la formation des savoirs. Au siècle de la conquête, cette inscription s’intègre à l’évolution de la cartographie, qui formalise en toponymes la connaissance de l’homme transmise par la littérature de voyage, comme dans la carte de Sébastien Münster (1540) où la moitié de l’Amérique du Sud est englobée sous la dénomination Regio gigantum, ou dans celle de Diego Gutiérrez (1562) identifiant une vaste Tierra de Patagones, pour ne citer que deux exemples. Il n’est pas étonnant que la fiction romanesque latente dans l’imaginaire d’une époque puisse l’être également dans l’écriture de l’exploration. Cependant, une telle présence s’efface dès lors que le genre chevaleresque entre en déclin et que les voyageurs du Nouveau Monde au xviie siècle se nourrissent d’un corpus de chroniques dont leurs prédécesseurs ne disposaient pas. Cela suppose un déplacement des repères dans l’imaginaire du chroniqueur du voyage d’exploration, qui peut trouver un appui non pas dans la tradition classique ou médiévale, mais dans les textes par lesquels il est précédé et dont la fonction consiste à décrire le réel.
19Face à la multiplicité contradictoire des relations de voyage, une nouvelle exigence commence à se manifester au xviie siècle, notamment à travers l’étude des ossements de grandes dimensions, selon les critères d’une paléoanthropologie en formation. Tout d’abord, les géants, ou leurs ossements, s’installent dans le discours scientifique en tant qu’objet textuel, lequel produit un savoir ne pouvant être légitimé ou délégitimé si ce n’est en se rattachant à un ensemble de livres de voyage. Entre les textes des voyageurs et les ouvrages à caractère scientifique, ou savant, il y a une zone, significative d’un point de vue épistémologique, où les discours hésitent sur l’existence d’un objet, et acceptent sa possibilité, fondée sur l’incertitude. C’est sur ce terrain du probable, où apparaît une tolérance singulière à l’égard du douteux, qu’un discours scientifique se constitue et que l’homme américain devient objet d’une histoire naturelle interrogeant son origine et son identité. Figure à la fois de l’altérité et de l’identité, le géant pose un certain nombre de problèmes qui ne touchent qu’indirectement à son existence, c’est-à-dire que le géant n’est plus lié à la contradiction entre le statut fictionnel d’un personnage et celui d’une pièce d’histoire naturelle. Il devient un objet de connaissance au sein d’une enquête savante qui n’est pas exclusivement spéculative : en tant que tel, il est intégré dans de nouveaux discours. Le géant se rend alors autrement descriptible, car assimilé par le réseau de relations entre les différents domaines du savoir, où sa figure doit être mise en rapport avec d’autres objets. Contrairement à une dichotomie entre fiction et réalité qui implique de considérer illégitime l’infiltration de la première dans la seconde, le géant n’est pas seulement un objet de curiosité. Il acquiert une valeur scientifique dans la mesure où des discours portant sur d’autres objets trouvent une légitimation dans les mêmes textes qui confirment la présence d’une nation de géants au Nouveau Monde. Ces déplacements sont lisibles précisément là où les connotations du statut anthropologique du géant varient selon le mode d’appropriation de ce statut même par un discours, et surtout là où émerge la singularité du concept de réalité propre à l’exploration.
20Au fil de la propagation des résonances intertextuelles, la ductilité du concept d’espèce humaine se situe du côté de l’ouverture des limites de la connaissance de l’homme, et non du côté de ce qui peut être classé a priori comme erroné. Le caractère de ces réécritures se reflète tant dans les échanges entre des textes ayant des fonctions différentes que dans la plasticité cartographique de la surface terrestre. Le référent d’une relation de voyage peut coïncider partiellement avec un contenu fictionnel emprunté, pour être ensuite incorporé dans un discours scientifique qui cherche d’autres modalités de description et de connaissance de ses objets. Cette dynamique n’est pas encore celle d’une « discipline » s’appropriant un objet pour le connaître selon sa méthode ; elle correspond à un savoir lié à des objets incorporés dans un discours naissant et hésitant. Les passages et les emprunts de ce discours sont favorisés par son pouvoir de modeler les bornes de l’espèce humaine non pas dans l’absolu, mais dans un espace qui s’étale dans la continuité entre le connu et ce qui reste à connaître. La disponibilité d’éléments littéraires pour une géographie hypothétique n’est certes pas nouvelle, elle s’inscrit dans la tradition cosmographique tendant à englober le savoir dans une totalité. En revanche, une nouveauté est introduite par l’appropriation discursive, consistant à intégrer la figure du géant dans un discours naturaliste plus vaste, où il devient tant un objet d’étude que l’élément d’un argumentaire dont la fonction est de soutenir ou d’infirmer d’autres discours.
21Tous les récits de voyages ne traduisent pas nécessairement cette double ouverture au monde et du monde. Particulièrement présente dans les textes décrivant des lieux effectivement parcourus, elle les traverse pourtant avec la médiation d’exigences littéraires et génériques concernant aussi bien la forme que le contenu. Un texte est inévitablement lié à des logiques narratives qui le précédent et le dépassent, car le récit de voyage se définit par « sa poétique et sa rhétorique propres43 ». La pression exercée par le genre sur les textes peut devenir exceptionnellement une contrainte qui les conduit vers la prescription du merveilleux et de la découverte, mais aussi vers la description de l’exploration, ce qui donne lieu à une configuration tout à fait différente. Les deux cas comportent l’élaboration d’un type de vérité qui, paradoxalement, suppose la continuité de codes rhétoriques et un rapport de subordination au pouvoir formel du texte. Le dépassement de l’ordre habituel et la connaissance d’une humanité nouvelle ne relèvent pas uniquement de la subjectivité du chroniqueur, ils concernent aussi la manière dont le monde se présente en laissant une marge au probable et au possible. Si « la théorie esthétique du merveilleux évite le miraculeux mais ne résout pas entièrement les questions de crédibilité44 », la question du possible se pose différemment : non pas par une forme de transcendance religieuse, mais plutôt par un rapport à l’histoire elle-même. La possibilité d’un élément dont la seule présence remettrait, ou remet déjà, en question un ordre établi – la structure géographique d’un monde en train d’être dépassé – est une possibilité qui doit être pensée par un concept historique de réalité. Ce dernier présente l’avantage d’éviter l’effacement de l’objet même de l’exploration.
22Ici, l’ambiguïté n’est pas toujours un simple manque de clarté, ni une forme d’écriture au service d’un récit mensonger, mais un caractère propre à l’espace littéraire dans lequel un discours scientifique est imbriqué. Les chroniques de voyage se sont répandues parallèlement à la littérature chevaleresque, qu’elles ont croisée et vice versa tout au long du xvie siècle, mais un tel croisement ne concerne pas seulement l’imaginaire d’un public de lecteurs pour lesquels l’épopée de la conquête n’est pas étrangère aux voyages de Primaleón, car « les règles de l’art de voyager s’inspirent certainement des codes compliqués des ordres de chevalerie45 ». Cette corrélation touche aussi, d’une part, la structuration de l’expérience de l’exploration, qui transpose les règles génériques d’un genre vers un autre, et, d’autre part, l’influence de l’exploration sur les mondes fictionnels purement littéraires. Le savoir anthropologique du Nouveau Monde se construit en partie avec des éléments de cet imaginaire littéraire, dans une dynamique qui n’est ni épuisée par une « attitude textuelle46 », ni réductible à un « recyclage » générique : le savoir anthropologique de l’explorateur soulève donc un problème de littéralité mais, surtout, il est déterminé par un régime de spatialité.
23La connaissance de l’homme reflète l’ambiguïté de l’exploration, qui est une des conditions de possibilité de cette connaissance même. Qu’une fiction puisse s’infiltrer dans un genre censé décrire le monde traversé par l’exploration ne justifie pas l’adoption du réalisme comme critère de lecture ni des textes cartographiques ni des relations de voyage. D’autre part, la transposition du fictionnel dans le récit de voyage n’est attribuable à une carence d’esprit critique47 qu’à condition de s’écarter du concept historique de réalité, c’est-à-dire de ce qui est connaissable à une époque donnée. C’est à la lumière de ce concept que la nature des déplacements textuels et de la circulation d’énoncés sont problématiques ; non pas à l’intérieur du récit de voyage – dans lequel « le j’ai vu signifie très évidemment un j’ai lu48 » – mais entre narration et discours scientifique. Certes, l’analyse de ces textes littéraires peut éclairer la nature et la logique du jeu de piste des sources, mais elle sert surtout à la compréhension de la notion, sous-jacente, de réalité même. Une telle analyse fait émerger les passages entre des discours différents, où les codes se superposent et les marges se déplacent, étant donné la possibilité que la transformation des genres et de leurs divisions « peut déplacer non seulement ces lignes internes mais aussi les frontières externes de la littérature49 ». S’il est possible de dire que la fiction survit dans les chroniques comme un naufragé dans l’estomac d’une baleine, l’appropriation scientifique rend superflue aussi bien la distinction entre réel et fictionnel que la nature scientifique ou littéraire du récit de voyage dès lors que les objets de ce récit constituent le savoir à part entière.
Notes de bas de page
1 Nous chercherions en vain chez Pigafetta cette acception du mot, qui réapparaît pourtant dans nombre de textes qui lui ont succédé. Francisco López de Gómara écrivait : « […] tienen pies diformes, por lo cual los llaman patagones », Historia general de las Indias [1552], Barcelone, Iberia, 1965, p. 163. La Popelinière reprend l’explication de l’historien espagnol : « Ces peuples sont appellez Patagonnes, à cause (disent aucuns) de la deformité de leurs piez », Les trois mondes, op. cit., p. 391. D’ailleurs, l’historien français reprend à la lettre d’autres passages, tels que : « [En Patagonie l]es habitans accourent au rivage esmerveillez de voir des vaisseaux si grands & des hommes si petits », ibid., p. 390, dont voici la source : « Los indios se llegaron a la marina, asombrados de tan grandes navíos y de tan chicos hombres », Francisco López de Gómara, Historia general de las Indias, op. cit., p. 162. Fernandez de Oviedo rapporte le témoignage de l’expédition de Jofre de Loaysa par Joan de Areyzaga, qui, après avoir décrit l’arrivée de deux mille géants patagons, ajoute que « este nombre patagón fué a disparate puesto a esta gente por los cristianos, porque tienen grandes pies pero no desproporcionados », Historia general y natural de las Indias, Madrid, Atlas, 1959, t. 2, livre XX, chap. VII, p. 246. Francis Pretty, qui pris part au premier voyage de Thomas Cavendish (1586-1588), affirme que le pied mesuré d’un Patagon correspondrait à douze pouces : « Wee tooke the measure of one of their feete, and it was 18 inches long », The Admirable and Prosperous Voyage of the Worshipfull Master Thomas Candish of Trimley in the Countie of Suffolke Esquire, into the South Sea, dans Richard Hakluyt, The Principal Navigations, Voyages, Traffiques & Discoveries of the English Nation, Glasgow, James MacLehose and Sons, 1904, vol. XI, p. 297. Helen Wallis écrit que les chroniques de Pigafetta et ses compagnons décriraient « gigantic men, whom they named patagones, or “big feet“ », Byron’s Journal of his Circumnavigation 1764-1766, Millwood, Kraus Reprint, 1990, p. 185. Alain Pons, enfin, traduit patacones comme « grands pieds », Gianbattista Vico, Principes d’une science nouvelle relative à la nature nouvelle des nations, Paris, Fayard, 2001, p. 95, n. 9.
2 Sur cet aspect, nous renvoyons à Miguel Dura, « Acerca del topónimo Patagonia, una nueva hipótesis de su génesis », Nueva Revista de Filología Hispánica, 59/1, 2011, p. 37-78, qui présente une étude sur l’origine du mot chevaleresque et la possibilité d’un lien avec l’ancienne Paphlagonie.
3 Libro segundo del Emperador Palmerínen que se cuentan los grandes y hazañosos fechos de Primaleón y Polendus, sus hijos, y de otros buenos cavalleros estrangeros que a su corte vinieron, (Salamanque, 1512). Une édition suivante proposait un titre plus bref, que l’ouvrage aurait par la suite conservé, Primaleón (Venise, 1534). Le livre, qui est la continuation de Palmerín de Oliva, (Salamanque, 1511), s’inscrit dans la diffusion du genre chevaleresque auprès du public tout au long du siècle. Pour des repères bibliographiques, voir Daniel Eisenberg et María Carmen Marín Pina, Bibliografía de los libros de caballerías castellanos, Saragosse, Prensas universitarias de Zaragoza, 2000.
4 « […] la pieza más exótica de este catálogo de prodigios y maravillas primaleoniano la constituye sin duda el Gran Patagón, ser que dio nombre a la Patagonia […]. Todos estos seres rompen el orden natural de las cosas, mezcla de rechazo y fascinación, representan lo maravilloso natural de estos libros », María Carmen Pina (dir.), Primaleón, Alcalá de Enares, Centro de Estudios Cervantinos, 1998, « Introducción », p. XIX. Outre le « grand patagon », il y a les géants Baladón, Lurcón, Gatarú, qui se dédoublent dans d’autres ouvrages et personnages, tels que Mostruofurón et Cinofalo dans Amadís de Grecia (1535) ou Bufalón dans Olivante de Laura (1564) de Antonio de Torquemada. Sur les monstres et les géants dans la tradition chevaleresque, je renvoie à María Carmen Marín Pina, Páginas de sueños. Estudios sobre los libros de caballerías castellanos, Saragosse, Institución « Fernando el católico », 2011, chap. X.
5 S’appuyant sur Bourdieu, María Carmen Marín Pina rappelle que cette mauvaise réputation s’accompagne de productions littéraires très largement diffusées, Páginas de sueños, op. cit., p. 22.
6 Anna Bognolo, La finzione rinnovata. Meraviglioso, corte e avventura nel romanzo cavalleresco del primo Cinquecento spagnolo, Pise, Edizioni ETS, 1997, p. 26. Sur la réception de la littérature chevaleresque en Europe, voir ibid., chap. I.
7 Fernand le Catholique et Charles V n’ont pas échappé à la mode littéraire de leur temps, voir Maxime Chevalier, Lectura y lectores en la España de los siglos XVI y XVII, Madrid, Turner, 1976, p. 74-75.
8 Irving A. Leonard, Books of the Brave, being an Account of Books and of Men in the Spanish Conquest and Settlement of the Sixteenth-Century New World, Cambridge, Harvard University Press, 1949.
9 Elisabetta Sarmati, Le critiche ai libri di cavalleria nel Cinquecento spagnolo (con uno sguardo sul Seicento). Un analisi testuale, Pise, Giardini, 1996.
10 Amerigo Vespucci, Le Nouveau Monde. Les voyages d’Amerigo Vespucci (1497-1504), éd. J.-P. Duviols, Paris, Changeigne, 2005, p. 127.
11 Le voyage de Magellan, op. cit., p. 80.
12 María Carmen Marín Pina, Páginas de sueños, op. cit., chap. VIII.
13 Elisabetta Sarmati, Le critiche ai libri di cavalleria nel Cinquecento spagnolo, op. cit., p. 107.
14 Simone Pinet, Archipelagoes. Insular Fictions from Chivalric Romance to the Novel, Minneapolis/ Londres, University of Minnesota Press, 2011, chap. 3, « Adventure and Archipelago. Amadís de Gaula and the Insular Turn », p. 75-107.
15 Lilia E. Ferrario de Orduña (dir.), Libro segundo de Palmerín, Cassel, Reichenberger, 2004, t. II, chap. 133, nous traduisons.
16 Le géant Bufalón dans Olivante de Laura (1564) de Antonio de Torquemada, par exemple, est le fils d’une femme et d’un monstre marin.
17 Jacqueline Duvernay-Bolens, « Les géants patagons ou l’espace retrouvé. Les débuts de la cartographie américaniste », L’Homme, 28/106, 1988, p. 161.
18 Jacqueline Duvernay-Bolens, Les géants patagons, op. cit., p. 30.
19 « Tomaron, para traerla a España, la medida ya que no podían la persona, y tenía once palmos de alto ; dice que los hay de trece palmos, estatura grandísima », Francisco López de Gómara, Historia general de las Indias, op. cit., p. 163 ; « Allí [golfo de San Julián] vieron algunos indios de doce o trece palmos de alto », Gonzalo Fernández de Oviedo, Historia general y natural de las Indias, Madrid, Atlas, 1959, t. 2, XX, I, p. 219. En rapportant les faits de la relation de Pigafetta Oviedo parle de « tierra de los patagones o gigantes », ibid., XX, II, p. 229, mais « desechando fábulas y conjeturas », ibid., XX, III, p. 237.
20 Cette rivalité sera résolue avec le traité de 1545, voir José María Ortuño Sánchez Pedreño, « Estudio histórico-jurídico de la expedición de García Jofre de Loaisa a las islas Molucas. La venta de los derechos sobre dichas islas a Portugal por Carlos I de España », Anales de derecho, 21, 2003, p. 236-237.
21 « Decía este padre don Joan [de Areyzaga], que él ni alguno de los cristianos que allí se hallaron, no llegaban con las cabezas a sus miembros vergonzosos, en el altor, con una mano, cuando se abrazaron ; y este padre no era pequeño hombre, sino de buena estature de cuerpo », Gonzalo Fernández de Oviedo, Historia general y natural de las Indias, op. cit., t. 2, XX, VI, p. 244. Oviedo affirme d’avoir rencontré Juan de Areyzaga en 1535, ibid., XX, V, p. 240-241.
22 « […] vieron más de dos mill patagones o gigantes […] ; y venían hacia los cristianos alzando las manos y gritando, pero sin armas y desnudos », ibid., XX, VII, p. 246.
23 « […] aunque no son gigantes, sin dubda son la mayor gente de los indios que hasta agora se sabe y son mayores que los alemanes », Gonzalo Fernández de Oviedo, Sumario de la natural historia de las Indias (1526), éd. Álvaro Baraibar, Madrid, Iberoamericana, 2010, p. 117.
24 « En esta provincia de Guari notable por la memoria de los gigantes que en los antiguos siglos la habitaron, que permanece hoy en las ruinas de ciertos edificios de maravillosa labor y grandeza que se ven en las riberas del río Chavín », Diego de Aguilar y de Córdova, El Marañón, éd. Julián Díez Torres, Madrid, Iberoamericana, 2011, I, 7, p. 201-202. L’ouvrage, qui relate l’expédition de Pedro de Ursúa et de Lope de Aguirre, rédigé entre 1578 et 1596, n’est édité que quatre siècles plus tard. Sur ce peuple pré-incaïque, voir Bebel Ibarra Asencios (dir.), História prehispanica de Huari, Huari, Instituto de estudios huarinos, 2009.
25 « […] dizen los indios de la tierra que habitaron unos gigantes, cuya estatura era tan grande como cuatro estados de un hombre mediano », Agustín de Zárate, Historia del descubrimiento y conquista del Perú, con las cosas naturales que señaladamente allí se hallan y los sucesos que ha avido, Anvers, Martin Nucio, 1555, I, 5, p. 6. En reproduisant le récit biblique de la destruction de Sodome, le chroniqueur espagnol ajoute que le péché de sodomie chez les géants aurait conduit la justice divine à faire disparaître leur race. Sur ce point, voir « The Unintelligible Myth of Sodomitical Giants », dans Michael Jenkins Horswell, Decolonizing the Sodomite : Queer Tropes of Sexuality in Colonial Andean Culture, Austin, University of Texas Press, 2005, p. 91-101.
26 Parmi les populations habitant près du fleuve du bassin amazonien Cuchiguará, ou Purus, qui traverse le Brésil et le Pérou, figurent les curiguerés, « que según las informaciones de los que los habían visto y que se ofrecían a llevarnos a su tierra, son gigantes de diez y seis palmos de altura », Cristóbal de Acuña, Nuevo descubrimiento del Gran río de las Amazonas [1641], Madrid, Iberoamericana, 2009, p. 137-138.
27 D’après l’ouvrage du jésuite napolitain (1574-1642), édité au XIXe siècle, les os et les molaires de grande dimension retrouvés au Pérou et au Mexique prouvent qu’il s’agit de géants ayant une même origine : « Estos gigantes serían semejantes y de la misma casta », Giovanni Anello Oliva, Historia del reino y provincias del Perú, Lima, Fondo Editorial de la Pontificia Universidad Católica del Perú, 1998, p. 45.
28 Bartolomé Leonardo de Argensola, Conquista de las Islas Molucas, Madrid, Miraguano et Poligfemo, 1992, p. 103. L’ouvrage, publié en 1609, a été traduit en français, anglais et allemand.
29 L’écrivain espagnol parle de « más de tres varas de alto, y a esta proporción son anchos y robustos », ibid., p. 118.
30 « Según este acto, no parece impropia la cobardía que aplican a sus gigantes los escritores de los libros fabulosos, que llaman vulgarmente de Caballería », ibid., p. 119. Un autre texte où le roman de chevalerie sert à rendre compte d’une réalité nouvelle est celui de Bernal Díaz del Castillo, Historia verdadera de la conquista de la Nueva España, où une ville du Mexique est « comparable aux maisons enchantées décrites dans l’Amadís », cité dans Victoria Cirlot, Amadis de Gaule. Livre I, Paris, Champion, 2006, p. 10.
31 Discurso acerca de las cualidades que ha de tener un perfecto cronista, voir Presentación, ibid., p. VII-X.
32 André Thevet, Le Brésil d’André Thevet. Les singularités de la France antarctique (1557), op. cit., p. 161.
33 Ibid., p. 280.
34 Antoine François Prévost, Histoire générale des voyages, Amsterdam, Arkstée et Merkus, 1761, t. 17, p. 536.
35 Olivier Van Noort, Description du pénible voyage fait entour de l’univers ou Globe terrestre, par Olivier du Nort d’Utrecht… où sont déduites ses estranges aventures, & pourtraict au vif en diverses figures, plusieurs cas estranges à luy advenuz, qu’il y a rencontrez & veuz, le tout translaté du flamand en françois, & à service de ceulx qui sont curieux se delectent de nouvelles remarquables & dignes de mémoire, Amsterdam, Cornille Claesz, 1602, p. 15. On trouve la carte du détroit de Magellan à la page 19.
36 « En ceste carte vous voyez le d’Estroict de Magellanes comme l’avons retrouvé, les habitans d’iceluy resortans au bord de la mer sont cinq races, a scavoir Enoe, lesquelz habitent un pays nommé Cossi. La seconde race Kennetes, habitent un lieu nommé Karay. La troisième race habitent Karamay. La quatrième Karayke, habitent Morine. La cinquiesme race Tirimenen habitent une region appellee Coin, & sont grandes personnes de 11 & 12 pieds. »
37 Joris Van Spilbergen, Miroir Oost et West-indical, lequel sont descriptes les deux dernières navigations faictes ès années 1614, 1615, 1616, 1617 et 1618, l’une par le renommé guerrier de mer George de Spilbergen, par le destroict de Magellan et ainsi tout autour la terre, avec toutes les battailles données tant par terre que par eau, Amsterdam, Ian Iansz, 1621, p. 23.
38 Willem Cornelis Schouten, Journal ou Description du merveilleux voyage de Guillaume Schouten, Amsterdam, Guillaume Ianson, 1618, p. 10.
39 Ibid.
40 La carte illustre les Navigations australes, descouvertes par Iacob le Maire, ès années 1615, 1616, 1617, esquelles est demontré en quelle façon ils ont trouvé un nouveau passage pres du destroict de Magellan, Sestendant dans la Zuidermer, avec declaration des nations estranges, gens, païs, & rencontres, qu’ils ont veues, dans Joris Van Spilbergen, Miroir Oost et West-indical, op. cit., p. 127.
41 Ibid., p. 15.
42 Ibid., p. 20.
43 Normand Doiron, L’art de voyager. Le déplacement à l’époque classique, Québec, Presses de l’université Laval, 1995, p. 2. En tant que tel, « le genre fournit une structure a priori de l’expérience. Il la rend prévisible, comme aussi pré-écrite ; pré-lisible, aussi. Ici, comme ailleurs, il fonctionne comme un double instrument de production textuelle et de lisibilité du texte », Christine Montalbetti, Le voyage, le monde et la bibliothèque, Paris, PUF, 1997, p. 61.
44 Stephen Greenblatt, Ces merveilleuses possessions, Paris, Les Belles Lettres, 1996, p. 128.
45 Normand Doiron, L’art de voyager, op. cit., p. 69.
46 La projection du livre dans le monde serait provoquée par la rencontre entre la menace de l’inconnu et un texte faisant autorité, voir Edward Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 2005, p. 112-113.
47 « […] la plupart des auteurs qui ont longuement voyagé dans le Nouveau Monde, ont été témoins des faits qu’ils relatent, ce qui donne à leurs livres beaucoup de saveur et de réalisme. Toutefois, nourris comme Christophe Colomb de romans de chevalerie, ils manquent parfois d’esprit critique et distinguent mal le merveilleux de la réalité géographique ou historique », Numa Broc, La géographie de la Renaissance, Paris, CTHS, 1986, p. 162.
48 François Moureau, « L’imaginaire vrai », dans Métamorphoses du récit de voyage. Actes du colloque de la Sorbonne et du Sénat (2 mars 1985), Paris/Genève, Champion/Slatkine, 1986, p. 166.
49 Marielle Macé, Le genre littéraire, Paris, Flammarion, 2004, p. 46.
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