Chapitre VIII. Les récits fondateurs
p. 157-179
Texte intégral
COLOMB : DÉCOUVRIR DES POPULATIONS ASIATIQUES
1D’innombrables ouvrages historiques et biographiques ont été consacrés à Christophe Colomb et à la genèse de la question du « voyage au Levant par le Ponant1 ». Dès le retour du premier des quatre voyages guidés par le célèbre navigateur, les témoignages contemporains et successifs tracent l’histoire de ces déplacements et des transformations culturelles liées à une entreprise dont la portée est difficile à mesurer. Christophe Colomb ne semble pas conscient de l’impact de ses découvertes, or cela n’est pas la conséquence d’un savoir incomplet en attente d’être éclairé par la connaissance du monde moderne ou par le progrès scientifique. Les redéfinitions de l’espace des navigations européennes occupent une place fondamentale dans la formation d’un régime de spatialité, qui est la condition des connaissances du globe entendu comme totalité ouverte à l’exploration. S’il s’agit d’une redéfinition du connu, celle-ci ne produit pas immédiatement une nouvelle définition, si on entend cette dernière comme le geste de cerner une totalité, en reconnaissant des terres et des océans aux contours lisibles. Les effets de cette condition géographique ouverte dépassent le cadre géographique et, en ce sens, l’espace anthropologique des explorations au Nouveau Monde se construit à partir de cette relative indétermination. La stabilité de ce statut exprime la tenue de la signification du monde récemment exploré comme un ensemble ouvert. Si le navigateur génois est le premier à atteindre les côtes de l’Amérique centrale sans soupçonner avoir abordé un nouveau continent, il est conscient d’avoir démontré la validité d’une construction géographique disponible dans un processus de reconnaissance textuelle.
2La tentative de trouver une nouvelle route commerciale pour l’or et les épices est accomplie par un navigateur dont la vision du monde repose, avec une certaine solidité, sur des repères théologiques, géographiques et littéraires. La défense de la chrétienté et la revendication d’une mission divine au service de rois catholiques servent à ranger des coordonnées spatiales et temporelles, et cela est attesté par une écriture qui n’est pas dépourvue d’accents rhétoriques évoquant l’esprit des croisades. La religiosité du navigateur semble, en effet, plutôt désuète par rapport à son temps et, selon l’affirmation de Todorov, c’est même « un trait de la mentalité médiévale de Colomb qui lui fait découvrir l’Amérique et inaugurer l’ère moderne2 ». D’autre part, il existe néanmoins une recherche de repères textuels ne relevant qu’en partie d’une tentative d’accorder la foi avec l’expérience. Premièrement, la pratique de la navigation exige la fréquentation de la culture cosmographique de son époque, dans laquelle le géocentrisme ptoléméen invite à une mise à jour des cartes ; secondement, l’espace du voyage est construit prosaïquement à l’aide de voyages écrits décrivant le monde et de textes scientifiques faisant autorité. En ce sens, si le regard ne se fixe sur des objets que sous une lumière textuelle, la découverte ne produit que partiellement de nouvelles descriptions. Loin de stimuler le savoir d’un monde inconnu, les terres conquises sont connues à travers la familiarité de l’idée d’« Indes » non seulement chez Colomb, mais aussi chez tous les voyageurs qui « étaient moins occupés de découvrir un nouveau monde que de vérifier le passé de l’ancien3 ». Cet éloignement paradoxal résulte d’une combinaison particulière entre l’incertitude d’un voyage hasardeux et le caractère rassurant des résonances livresques. Cette distance rend le monde connaissable en donnant le statut de réel à cette familiarité de l’inconnu, qui agit comme miroir de représentations anciennes et médiévales, mais aussi comme un lieu éloigné capable d’amplifier les mirabilia.
3Si Colomb manifeste une capacité remarquable en matérialisant le savoir de son temps en un projet pouvant entraîner un certain scepticisme chez ses contemporains, les écrits relatifs à son voyage confirment un procédé descriptif du monde qui reproduit, en partie, des références littéraires, comme le montre notamment son rapport aux habitants des Indes. La présence d’Indiens dans ces terres est rassurante pour Colomb : ses habitants se présentent comme les éléments d’une exégèse antérieure au voyage, en vertu de laquelle le livre peut apparaître comme source d’un savoir qui doit être confirmé, où la confirmation est le signe du succès de l’exploration. En ce sens, les découvertes géographiques ont constitué, à juste titre, la matière d’une « histoire littéraire4 », dont l’intérêt ne réside pas uniquement dans la construction d’un répertoire de croyances répandues à une époque, mais aussi dans la possibilité de penser une évolution intertextuelle à l’intérieur d’un cadre plus large.
4Loin de s’épuiser dans une connaissance de la Terre, la production d’espaces à explorer est une composante de la connaissance de l’homme. En octobre 1492, Christophe Colomb est à Cipango, c’est-à-dire au Japon : les empires asiatiques décrits dans le voyage de Marco Polo ne constituent pas un simple renvoi, mais représentent ce qui permet d’établir des relations entre des royaumes très éloignés5. Dans la fréquentation des références littéraires et géographiques des lieux traversés, mêlée à la familiarité des enjeux des routes commerciales, le navigateur génois formule une ouverture tout à fait surprenante qui restera hypothétique : « Si ce n’est pas du paradis terrestre que vient ce fleuve [l’Orénoque], c’est d’une terre infinie, donc située au midi, et de laquelle jusqu’à ce jour il ne s’est rien su. Toutefois, je tiens en mon âme pour très assuré que là où je l’ai dit se trouve le paradis terrestre6. » Il n’en demeure pas moins qu’au retour de son premier voyage, Colomb fait défiler à Séville des Indiens et est accueilli à Barcelone par les souverains, qui lui confèrent le titre d’amiral de la mer Océane pour avoir accompli ce qu’il avait prévu, c’est-à-dire pour avoir gagné l’Asie en voyageant vers l’ouest de l’Europe. Le fait même que les contemporains du navigateur saluent son voyage comme un exploit de la navigation et comme une grande découverte7 a un impact considérable sur les relations entre l’Espagne et le Portugal, et laisse une trace dans l’imaginaire de la puissance maritime naissante qui s’établira un siècle plus tard, à savoir l’Angleterre8.
5Les indigènes semblent faire partie intégrante du paysage des nombreuses îles aux immenses montagnes. La douceur de leur caractère et l’absence d’une quelconque forme de gouvernement favorisent la conquête de territoires riches en métaux précieux et en épices, dont Colomb prend possession au nom de la couronne espagnole par des moyens toponymiques autant que militaires : « À chacune d’elles [les îles] j’ai donné un nom nouveau9. » Les Indiens ne semblent pas vouloir s’opposer au dessein des conquérants ni avoir les moyens de le faire : « Ils n’ont ni fer, ni acier, ni armes, et ils ne sont point faits pour cela ; non qu’ils ne soient bien gaillards et de belle stature, mais parce qu’ils sont prodigieusement craintifs10. » On ne loue pas seulement la taille et l’ingéniosité des Indiens, mais aussi leur générosité : « D’autant qu’ils se feront chrétiens, qu’ils inclinent déjà à aimer et à servir Leurs Altesses ainsi que toute la nation castillane et qu’ils s’efforcent à nous aider et à nous fournir toutes les choses qu’ils possèdent en abondance et qui nous sont nécessaires11. »
6On pourrait conclure que Colomb n’est qu’un marchand au service des intérêts économiques et politiques de la monarchie espagnole. En effet, sa plume est engagée dans une spéculation sur les richesses que les Indes pourraient produire. C’est argument est constamment avancé car il sert, d’une part, à justifier aux yeux des rois ses futurs voyages et, d’autre part, à rassurer l’équipage en haute mer : les risques de la navigation n’auraient pas été pris en vain. Toutefois, si le profit de la couronne et de l’équipage est important, « la cupidité n’est pas le véritable mobile de Colomb : si la richesse lui importe, c’est parce qu’elle signifie la reconnaissance de son rôle de découvreur12 ». Mais peut-être plus encore que l’appropriation des richesses locales et la reconnaissance de ses mérites de navigateur, le Génois semble vouloir servir la cause de la religion, qui n’est pas en contradiction avec l’expropriation des indigènes : « L’un est moyen et l’autre fin13. »
7Tout en décrivant les mœurs pacifiques des indigènes, pour mieux s’orienter, Colomb affirme avoir fait usage de leur connaissance du territoire : « Je pris par force quelques-uns des habitants pour qu’ils puissent apprendre de nous et me renseigner sur tout ce que recelaient ces régions. Ce fut ainsi que, par la suite, nous nous entendîmes tant par paroles que par signes ; et en cela ils nous ont été grandement utiles14. » D’après certains renseignements fournis par les indigènes, il affirme l’existence d’un lieu qu’il n’a pas parcouru, mais où les hommes naîtraient avec une queue, dans une province au-delà d’un territoire qu’il estime plus grand que l’Angleterre et l’Écosse réunies15. Colomb, à son retour, avant de gagner l’Espagne et lors de son escale auprès du roi du Portugal, essaie de comprendre la géographie des Indes à travers l’explication des indigènes16.
8Habiles constructeurs de canoas, les natifs de ces terres sont convaincus que les Européens viennent du ciel : « Et cela ne procède pas d’ignorance, car ils sont hommes de très subtil entendement, naviguent sur toutes les mers, et c’est merveille comme ils rendent compte exact de tout, mais c’est qu’ils n’avaient jamais vu ni hommes vêtus ni navires semblables aux nôtres17. » Ils semblent tous parler la même langue car « ils se comprennent tous18 ». Colomb affirme avoir eu des conversations avec les indigènes et parle d’une bonne compréhension, réciproque, avec les Indiens qu’il réquisitionne : ceux-ci « apprenaient notre langue et nous la leur19 ». Aux yeux du navigateur, il existe une certaine homogénéité chez les indigènes, laquelle ne peut être que favorable à leur conversion à la foi catholique : « En toutes ces îles je n’ai pas vu grande diversité dans le type des habitants ni dans leurs coutumes ni dans leur langue20. » Les habitants de ces terres ne partagent pas seulement une même nature mais aussi un statut d’infériorité face aux Européens : Colomb affirme avoir laissé sur place un groupe d’hommes armés dont la puissance militaire est largement supérieure et en quelque sorte inattendue puisqu’un petit nombre, les nouveaux arrivés, est en mesure d’écraser une population considérable d’indigènes : « Les seuls hommes que j’ai laissés là-bas suffiraient à ravager tout le pays21. » Malgré cette apparente uniformité, Colomb introduit une distinction concernant la disponibilité des natifs à se convertir et à travailler. Outre les richesses promises la capacité des terres conquises à produire des esclaves doit rassurer la couronne espagnole : les esclaves ne se trouvent pas parmi les Indiens paisibles et généreux, prêts à se convertir à la foi chrétienne, mais seulement chez les « idolâtres22 ». Au terme d’une longue liste, alléchante pour les monarques, de richesses à exporter des Indes, le navigateur espère encore obtenir « tant d’esclaves qu’on ne le peut compter et qui seront des idolâtres23 ».
9On pourrait constater un décalage entre ce que Colomb était prédisposé à trouver et ce qu’il a effectivement trouvé. En effet, il affirme : « Jusqu’ici, je n’ai pas rencontré, comme beaucoup le pensaient, d’hommes monstrueux dans ces îles24. » Toutefois, dans son bestiaire ne manquent pas les allusions aux cynocéphales, aux anthropophages, aux amazones et aux sirènes. À côté du signalement de particularités telles que la présence d’hommes sans cheveux ou d’une communauté de femmes vivant sans hommes, l’historien dominicain Las Casas, qui commente le journal de bord de Colomb, ne passe pas sous silence certaines constructions mêlées à la perception de certains phénomènes et objets. Le missionnaire affirme, par exemple, que l’explorateur croit aux sirènes : « L’Amiral dit que la veille, alors qu’il allait au fleuve de l’Or, il vit trois sirènes qui sautèrent haut, hors de la mer25. » En outre, Colomb tiendrait aussi pour vraie l’existence d’hommes monstrueux, car à la vue des Indiens il lui semble « qu’il y avait des hommes avec un seul œil et d’autres avec des museaux de chiens26 ».
10La visibilité des phénomènes décrits par le découvreur du Nouveau Monde « en témoin oculaire » est l’envers de leur lisibilité : un texte rend sensible la présence des objets découverts, ou plutôt reconnus à travers un processus de connaissance textuelle qui est une forme de savoir. Avant de vérifier une hypothèse géographique, selon laquelle il aurait été possible de se rendre en Orient en voyageant vers l’ouest, le navigateur est un exégète qui se forge des repères spatiaux en annotant les textes en marge.
11Parmi les textes de la bibliothèque colombienne dont le savoir oriente et précède l’expérience de son périple, une place importante est occupée par l’Imago Mundi de Pierre d’Ailly, lequel mentionne en effet « des hommes sauvages anthropophages au visage difforme et horrible27 » et se réfère à Augustin28. Ce dernier, à son tour, développe des considérations sur le répertoire de peuples monstrueux décrits par Pline l’Ancien29, parmi lesquels des pygmées, des hommes avec un seul œil ou sans bouche, des hermaphrodites aux deux sexes, des sciapodes possédant une seule jambe et un pied gigantesque, des hommes sans cou avec les yeux sur les épaules et des cynocéphales aboyeurs à tête de chien. Le penseur chrétien évoque ces exemples, sans nier fermement l’existence d’une quelconque espèce monstrueuse particulière ; au contraire, il se sert de la possibilité d’une telle hétérogénéité pour renforcer le dogme de l’unité du genre humain et pour trouver dans l’origine le seul critère en mesure d’élucider si un être est, ou n’est pas, un homme30. Il laisse ouverte une possibilité raisonnable, à savoir que la distribution de la monstruosité ne soit pas simplement une manifestation exceptionnelle et rare, mais qu’elle puisse connaître un certain degré de généralisation31. Certains récits et témoignages peuvent être faux, mais dans tous les cas où il s’agit d’hommes, quel que soit leur degré d’éloignement, ils ne peuvent que descendre d’Adam. Le souci d’affirmation de l’unité du genre humain conduit Augustin à reconnaître ainsi une possibilité de vérité aux récits décrivant des espèces atypiques ou peu fréquentes.
12L’intensification des explorations géographiques amplifie cette même possibilité, fréquemment évoquée à une époque où les marges du genre humain s’accroissent et se déplacent sans pouvoir être fixées définitivement. Colomb n’était pas tout à fait certain d’avoir abordé un nouveau continent, mais il pensait avoir montré que d’Ailly, qui évaluait la dimension de l’océan depuis l’Europe jusqu’à l’Asie à « un an de navigation à peine32 », n’était pas très éloigné de la raison. Néanmoins, le navigateur vérifiant une hypothèse scientifique est le même qui, en commentant et résumant le traité cosmographique de d’Ailly, notait en marge :
Il y a dans ces deux régions extrêmes des hommes sauvages qui se nourrissent de chair humaine ; ils ont des visages difformes et horribles. Cela est dû à la différence de température de ces pays ; d’où leurs mœurs corrompues et leurs coutumes barbares. C’est là que les hommes, les bêtes et les monstres ont des figures si horribles qu’il est difficile de discerner les uns des autres. C’est là que sont les esprit mauvais, les diables et les bêtes méchantes33.
13Un monde inconnu reste une configuration inconcevable dans la mesure où les connaissances nouvelles qu’il pourrait produire sont effacées par le savoir des gloses et des commentaires, par la lisibilité des topos littéraires, à la fois rhétoriques, géographiques et anthropologiques. L’accumulation de ces figures produit de l’intelligibilité et oriente un processus de construction du réel consistant à situer des repères sémantiques dans l’espace de manière telle qu’ils puissent être retrouvés après. Cela vaut, par exemple, tant pour l’image des indigènes comme êtres édéniques et paisibles que pour celle des sauvages insoumis et anthropophages, selon un binôme cartographique ambivalent et persistant.
14L’intérêt de Colomb pour le traité de Pierre d’Ailly est attesté par un nombre considérable d’annotations, lesquelles occupent aussi les marges du récit de Marco Polo, véritable mine d’informations pour qui entreprenait la navigation aux Indes à la recherche de richesses. Colomb a annoté un exemplaire en sa possession, qu’il n’a vraisemblablement obtenu qu’en 149734. Moins nombreuses que celles de l’Imago Mundi, les gloses ajoutées au livre de Marco Polo témoignent d’une lecture fortement orientée par les lieux, en Chine et au Japon, où se trouvent des objets d’intérêt commercial, tels que métaux précieux, perles, ivoire, épices et étoffes. Parmi les notes d’ordre anthropologique, assez rares, deux épisodes d’anthropophagie sont rapportés par Colomb35.
15Le découvreur du Nouveau Monde accède au réel en connaissant d’avance ses composantes, mais aussi à travers des constructions rétrospectives. Offerts à ses yeux, ces repères produisent du sens car ils peuvent être reconnus, non pas de manière aléatoire, désordonnée, ou imprévisible, mais dans un champ sémantique correspondant à des lieux en train d’être cartographiés. La fonction de repérage ne s’épuise pas complètement dans la notion d’autorité des textes qui ont incité Colomb à projeter son voyage. C’était, en effet, l’expérience paradoxale de la navigation qui avait confirmé l’hypothèse du voyage en Orient par l’Occident, comme si les terres et leurs habitants trouvés par le voyageur génois n’étaient là que pour confirmer la proximité et l’éloignement du royaume du Grand Khan présenté dans Le devisement du monde de Marco Polo et du paradis terrestre décrit dans l’Imago Mundi de Pierre d’Ailly. Les terres découvertes ou retrouvées par Colomb étaient bien au fond de l’Asie, car elles reposaient sur la spatialisation d’un savoir textuel ou, autrement dit, sur une position physique attribuée à des lieux propres du monde spirituel : « Les Saints théologiens et les savants philosophes disent justement que le Paradis terrestre est à la fin de l’Orient36. »
16La proximité du paradis terrestre, ou l’identification d’une partie des Indes avec cette réalité physique et géographique, rend la nature accueillante et agréable. Le climat est doux, la terre est couverte de jardins, les fleuves sont profonds, mais surtout, beaucoup d’entre eux contiennent de l’or : « L’air est très tempéré, les arbres, les fruits et les plantes d’une extrême beauté37. » Ces qualités naturelles sont des avantages pratiques qui accueillent les navires des voyageurs dans les meilleures conditions, car « les fleuves et les ports sont si nombreux et si extrêmement bons par rapport à ceux que l’on trouve du côté des Chrétiens que c’est merveille38 ». La bonté des lieux semble encadrer et se manifester dans celle des habitants : « Toutes ces îles sont très peuplées et par les meilleures gens qu’il y ait sous les cieux, car ils ne connaissent ni le mal ni la tromperie39. » La nudité des indigènes est présentée comme un trait complémentaire à d’autres manques : ils n’ont pas de religion ni de gouvernement et n’ont pas non plus d’armes pour combattre à égalité avec celles des Européens. Enfin, dans l’argumentaire colombien, fondateur à plusieurs égards, est inévitablement évoquée la question essentielle de la propriété : « Je n’ai pas pu comprendre que quiconque ait des biens propres40. »
VESPUCCI : RECONNAÎTRE DES POPULATIONS NOUVELLES
17Les écrits d’Amerigo Vespucci relèvent d’une forme singulière de voyage, liée à sa familiarité avec les milieux humanistes et marchands qui l’ont imprégné d’une certaine culture géographique à Florence et à Séville41, sans laquelle la « découverte intellectuelle » du Nouveau Monde, propre au xvie siècle, serait bien difficile à imaginer. Les conséquences de cette découverte, décalée par rapport à la date historique du 12 octobre 1492, ne sont toutefois pas réductibles à un rapport dialectique entre le livre et le monde, ou entre l’héritage cosmographique classique et médiéval d’une part, et l’expérience des navigateurs de la première modernité, de l’autre. Que le récit précède le voyage, que l’expérience de certains navigateurs, y compris celle des grands découvreurs, soit littéraire, ou encore qu’un explorateur soit dépassé par le savoir de son époque, tous ces aspects résonnent les uns dans les autres. Qu’il s’agisse d’une résonance liée à l’expérience dépourvue de théorie ou aux repères spéculatifs, dans les deux cas les mondes de l’explorateur reposent sur un régime de spatialité précédant Vespucci, mais qui trouve dans la diffusion et la portée de ses écrits un moment décisif.
18C’est en voyageur lettré que Vespucci peut affirmer : « Dans cet hémisphère j’ai vu des choses qui ne sont pas conformes aux raisonnements des philosophes42. » Il semble ainsi exclure une conception de ces terres à travers un prisme littéraire au moins sur un point fondamental, à savoir leur nouveauté, qui exigeait une singulière mise à jour des cartes et un examen critique des connaissances contestées. Seules deux lettres sont publiées de son vivant, Mundus novus en 1504, dans laquelle il décrit son troisième voyage (1501-1502) au service du Portugal et mentionne deux voyages précédents plus un autre en préparation, et la Lettre d’Amerigo Vespucci sur les îles nouvellement découvertes dans ses quatre voyages, parue la même année. De prime abord, l’objet reconnu dans la première – et plus célèbre – lettre dénote une prise de conscience, mais il s’agit aussi d’une proposition formelle et générale, dont le contenu n’est pas entièrement « nouveau ». Ignoré par les Anciens et découvert par les Modernes, c’est bien une nouvelle partie du monde peuplée par des hommes qu’il faut annoncer à l’Europe. Le voyageur est frappé par la générosité d’une nature paradisiaque, dont la grande échelle se manifeste dans les dimensions des fleuves et des arbres, et où il ne tarde pas à trouver « des indices tout à fait certains que l’intérieur de la terre était habité43 ». Le courant marin des détroits méditerranéens de Gibraltar et de Messine « fait figure d’eau stagnante44 » à côté de celui décrit par Vespucci à son correspondant italien. Le navigateur, qui se présente comme un observateur de la sphère céleste à l’aide du cadran et de l’astrolabe, cite un passage du Purgatoire de Dante45, auquel il donne raison46, et déclare vouloir aller plus loin dans un prochain déplacement : « J’espère retourner bientôt dans cet hémisphère et ne pas revenir sans avoir montré le pôle47. » C’est ainsi la même notion d’expérience comme espace traversé qui lui permet, d’une part, de réfuter l’hypothèse d’une zone torride et, de l’autre, de valider ce nouveau savoir géographique dans le poème dantesque, comme si, pour être conçue, l’ouverture d’une partie totalement nouvelle du monde à l’exploration nécessitait un amoindrissement dans une familiarité toute littéraire. L’espace empirique rend possible le déplacement, mais en même temps l’espace apparaît comme un récit disponible.
19Le Nouveau Monde ne fait pas immédiatement l’objet d’une découverte48, mais il est déjà constitué en entité géographique dont le fondement n’est ni fixe ni clos. En effet, plutôt que de mesurer le retard à reconnaître la nouveauté de l’Amérique, en postulant alors une nécessaire discontinuité, il convient d’interroger le monde tel qu’il se présente à l’exploration. Dans une lettre envoyée à Lorenzo di Pierfrancesco de Medici, Vespucci affirme, en se basant sur l’observation d’espèces animales sur les côtes de ces terres, qu’il ne s’agit pas d’une île, mais d’un continent. Toutefois, ce dernier n’est pas encore tout à fait inconnu : « Nous arrivâmes à la conclusion qu’il s’agissait d’une terre ferme. Je dirai qu’il s’agit des confins de l’Asie dans sa partie orientale et le début de sa partie occidentale49. » Peu de temps après, dans Mundus novus, il s’agira désormais d’« une chose tout à fait nouvelle, car cela dépasse les estimations de nos ancêtres50 ».
20Vespucci semble vouloir frapper ses contemporains par une description riche et bigarrée des hommes de ces terres. Les premiers habitants rencontrés sont « des gens bien conformés et de belle stature51 », forts et courageux, ils vivent nus, n’ont pas de barbe, mangent de la chair humaine et se servent de leurs flèches avec habileté. Vespucci et ses hommes se rendent dans un village où se produit un échange pacifique avec des indigènes : « Nous nous quittâmes bons amis52. » Dans un autre village, ils rencontrent des indigènes désarmés et accueillants dont la plus grande vertu est la générosité : « Ils nous donnaient ce qu’ils avaient et tout ce que nous leur demandions53. »
21Les explorateurs européens poursuivent leur voyage en constatant partout la présence d’hommes, dans des îles où sont érigés de nombreux villages. Le récit de Vespucci suggère la présence de terres extrêmement vastes et très peuplées, dont les limites semblent complètement échapper aux voyageurs : « En naviguant le long de la côte, nous découvrions chaque jour un nombre infini de gens et de langues diverses54. » Contrairement aux échanges établis avec les premières populations rencontrées, des affrontements ont lieu par la suite, déterminés par l’inégalité militaire : « Comme ils vont tous nus, nous en faisions un grand massacre, à tel point qu’il nous est arrivé très souvent de combattre à seize contre deux-mille, et de finir par les défaire55. » Ces premiers contacts entre indigènes et Européens font naître le sentiment d’une supériorité militaire – « ils ne savaient pas quelle arme était une épée et combien elle coupait56 » – à laquelle s’ajoute la référence à la religion. Face à la résistance acharnée de l’ennemi, les voyageurs sont obligés de battre en retraite vers les chaloupes jusqu’à ce que la victoire s’opère sur le champ de bataille et que l’apparente défaite se renverse : « Sur cette côte, il nous est arrivé très souvent de nous battre contre un nombre infini de gens et nous avons été toujours victorieux57. »
22Le récit de Vespucci apparaît comme une suite de rencontres ou de batailles avec des indigènes dont la localisation n’est pas établie avec certitude. Tant la position cartographique des terres que celle des habitants peuvent être déplacées par un énoncé présenté comme descriptif et fondateur de sa propre autorité dans la mesure où l’objet décrit trace une ligne entre l’inconnu et le connu. Résistants ou non, les habitants de ces terres ne sauraient arrêter la marche des voyageurs sur des terres dont on ignore les limites. Si la variété des hommes est un reflet de la démesure des terres sur lesquelles leurs populations sont distribuées, l’explorateur, de son côté, se sait dépourvu d’un savoir capable de saisir tant l’espace géographique que l’espèce humaine ; espace et espèce se dévoilent ainsi au fur et à mesure que la chronique du voyage s’écoule, rythmée par des estimations hyperboliques relatives aussi bien aux terres qu’aux hommes.
23Vespucci note chez les indigènes une diversité de langues dont le nombre aurait été jusqu’alors largement sous-estimé : « On dit que dans le monde il n’y a que soixante-dix-sept langues, et moi je dirai qu’il y en a plus de mille58. » Quant au nombre d’îles, l’estimation comporte une amplification du même ordre. Un tel procédé n’obéit pas uniquement à des exigences rhétoriques ou formelles propres au genre littéraire de la lettre à la Renaissance, il signale aussi une ouverture épistémologique. Insistant sur ce qui avait été mal connu, ou sur ce qui n’avait pas été connu, Vespucci suggère que ce qui reste à connaître n’est pas négligeable ni entièrement prévisible. Cette avancée ne peut qu’être favorisée par la faiblesse des indigènes et le manque de résistance des terres elles-mêmes à être conquises : « Nous rencontrâmes une infinité de gens et nous y découvrîmes plus de mille îles, pour la plupart habitées de gens nus, tous très peureux et de peu de courage, et nous faisions d’eux ce que nous voulions59. » La nudité des indigènes semble montrer la disponibilité des lieux qui s’offrent à l’exploration : « Nous avons découvert une infinité de terres, nous avons vu une infinité de gens, des langues différentes, et tous allaient nus60. » En revanche, le Vespucci marchand, pour qui le Nouveau Monde est « la terre de perles61 », dresse un bilan précis mais décevant sur le gain rapporté à l’équipage par l’un de ses voyages : « Après avoir payé les frais des navires, il nous resta à peu près cinq-cents ducats qu’il nous fallut diviser en cinquante-cinq parts, ce qui ne faisait pas grand-chose pour chacun de nous62. »
24Les habitants du Nouveau Monde vivent « selon la nature63 », autrement dit il n’existe chez eux ni pouvoir politique ni propriété privée : « Ils n’ont pas non plus de biens personnels car tout est commun. Ils vivent ensemble, sans roi, sans autorité, et chacun est seigneur de soi-même64. » Pour Vespucci, l’absence de ces deux institutions rend peu compréhensible ou absurde la guerre dans laquelle ils semblent être constamment engagés : « Ce qui m’étonne le plus de leur guerre et de leur cruauté, c’est que je n’ai pas pu savoir en le leur demandant pourquoi ils se font la guerre les uns aux autres, étant donné qu’ils n’ont pas de biens personnels, qu’ils ne luttent pas pour le pouvoir d’un empire ou d’un royaume65. » Cette liberté provoque la stupeur du voyageur qui, outre ses allusions aux mœurs sexuelles des indigènes, semble également convaincu de l’absence de religion parmi eux : « Ils sont pire que des païens, car nous n’avons pas vu qu’ils fissent un sacrifice quelconque, ni qu’ils eussent quelque temple pour prier66. » La même condition naturelle empêchant qu’ils puissent hériter ou conserver des biens est la condition d’une longévité supérieure à celle des Européens : « J’ai rencontré un homme, parmi les plus vieux, qui m’a indiqué, avec des pierres, qu’il avait vécu mille-sept-cent lunaisons, ce qui fait, je crois, cent-trente-deux ans, si l’on compte treize lunaisons par an67. » N’étant pas « corrompu », l’air de ces lieux rend possible aux Indiens de vivre une longue vie et empêche la diffusion de maladies, telles que la peste. Si l’ancien préjugé de la non-habitabilité des Antipodes est démenti par la présence d’habitants au Nouveau Monde, l’idée préconçue de la couleur de la peau subit le même traitement – les zones torrides de la planète ne sont pas nécessairement habitées par des populations noires :
Pour ce que l’on a pu dire sur mon affirmation que les gens de cette terre sont blancs et non pas noirs et surtout ceux qui habitent à l’intérieur de la zone torride, je vous réponds, et j’en demande pardon à la philosophie, qu’il n’est pas obligatoire que tous les hommes qui habitent dans la zone torride soient noirs par nature et de sang chaud comme les Éthiopiens68.
25Le climat de la zone torride ne semble donc pas homogène partout dans le monde, mais la question sera très débattue tout au long du xviiie siècle. En ce sens, il est possible de distinguer l’Afrique du Nouveau Monde, ce dernier jouissant d’un climat plus tempéré et d’une végétation plus abondante. Aux arguments « philosophiques » sur lesquels s’appuyait cette théorie, Vespucci n’oppose pas seulement le témoignage de sa propre expérience – « que celui qui ne le croit pas aille voir comme moi je l’ai fait69 » –, mais, à l’instar de Colomb, il évoque des témoignages recueillis chez les indigènes : « L’air est là-bas très tempéré et bon d’après ce que j’ai pu savoir de leur propre bouche, il n’y a jamais eu chez eux de peste ni aucune maladie produite par un air corrompu70. » Il parle encore d’« un air si tempéré, que là-bas on ne connaît pas les hivers glacés, ni les étés brûlants71 ». Sur cette terre prolifique, où l’espace, les hommes et la nature sont parfois considérés à travers un miroir grossissant, il y a « de très grandes forêts et des arbres d’une taille immense72 ».
26Dans l’enchaînement de lieux et de populations, Vespucci mentionne une île distante de quinze lieues du continent, qui correspond très probablement à Curaçao : « J’appelle cette île, l’île des Géants, à cause de leur grande taille73. » Le voyageur y voit des « femmes de si grande taille qu’il n’en était aucune qui ne fût d’un empan et demi plus grande que moi74 ». D’après le récit, les explorateurs tentent d’enlever quelques-unes de ces habitantes pour les amener en Europe, « car c’étaient là, sans doute des créatures qui dépassaient la stature des hommes normaux75 ». L’enlèvement est empêché par l’arrivée de trente-six hommes « d’une taille si élevée que n’importe lequel d’entre eux, à genoux, était plus grand que moi debout. Pour tout dire, ils avaient la taille de géants si l’on se réfère à la dimension et à la proportion du corps qui correspondaient à leur taille76 ». Le récit du voyageur qui revendiquait l’expérience comme critère pour la description des objets décrit la rencontre avec les géants et parle d’une communication réussie : « Voyant que nous avions une petite taille, ils commencèrent à nous parler pour savoir qui nous étions et d’où nous venions. Quant à nous, faisant bonne figure pour rester en paix, nous leur répondîmes par signes que nous étions des gens pacifiques et que nous visitions le monde77. » Dans cet épisode, Vespucci insiste particulièrement sur ces hommes : excellents nageurs, ils « ont des corps de grande dimension, musclés, très robustes et bien proportionnés78 », et leur nombre semble d’ailleurs assez élevé. Et l’explorateur ajoute : « Nous vîmes sur le sable des traces de pas d’hommes très grands et nous estimâmes que si les autres membres correspondaient à cette dimension, ce devait être des hommes très grands79. » Bartolomé de Las Casas ne cache pas son scepticisme sur la rencontre entre Vespucci et les géants, mais il confirme l’usage du toponyme « Île des géants », tout en niant qu’elle soit réellement habitée par cette espèce d’hommes80.
MAGELLAN : NOMMER UN LIEU EN NOMMANT UNE POPULATION
27Le détroit était impraticable et pourtant, il fut franchi. Pour la majeure partie des voyageurs, suivre la route de Magellan, marquée par l’hostilité des conditions météorologiques et géographiques, c’est rappeler l’héroïsme d’une prouesse de la navigation moderne. Chaque passage par ce lieu est, en effet, une réplique de la première circumnavigation du globe81 : irréfutable, comme la présence même de ce lieu, elle attestait le dépassement du monde ancien en un geste intellectuel aussi audacieux qu’inédit. Une telle nouveauté géographique n’est pas en contradiction avec le récit d’une nouvelle espèce d’hommes dont la taille s’écartait de la norme et dépassait considérablement celle des voyageurs. Au contraire, la « réalité » des géants ne relève pas d’un simple goût du merveilleux, et leur « présence » est révélatrice d’une anthropologie : les géants ne sont pas un mythe des découvreurs, mais une figure de l’épistémologie de l’exploration.
28Peu après le retour du Victoria, le seul parmi les cinq vaisseaux de l’expédition rentré au port de Séville en 1522 après avoir accompli le tour du monde, Maximilianus Transilvanus, secrétaire de Charles Quint, écrit une lettre au cardinal archevêque de Salzbourg recueillant les témoignages des navigateurs. Publiée l’année suivante, elle fait connaître en Europe l’exploit de Magellan et les nouvelles frontières de la puissance maritime espagnole. Cette dernière a entretemps gagné les îles Moluques, riches en épices, qui passeront rapidement sous domination portugaise avec le traité de Saragosse (1529). Transilvanus mesure l’écart entre l’Antiquité et son époque : les Anciens connaissaient mal les lieux aux épices et ils les situaient de manière très inexacte. Hérodote et Pline auraient répandu des « fables » sur l’origine des épices ; leur savoir est ainsi dépassé par la navigation de Magellan, laquelle « n’a été ni accomplie ni même jamais tentée, ni à notre époque, ni à une époque antérieure82 ». Ayant lui-même recueilli les témoignages des voyageurs à leur retour d’expédition, l’auteur peut garantir l’exactitude du récit à laquelle il tient particulièrement. L’éloignement du savoir des Anciens devient ainsi un nouveau critère de vérité :
[…] ils semblaient non seulement ne rien raconter de fabuleux, mais aussi réfuter et contredire, par leur narration, toutes les choses fabuleuses que les auteurs anciens nous ont transmises. Car qui pourrait croire que les Monoscèles, les Sciapodes, les Scyrites, les Spitamées, les Pygmées et bien d’autres créatures, plus monstrueuses qu’humaines, aient jamais existé83 ?
29Au-delà de l’opposition fréquente dans la littérature géographique entre savoir spéculatif des Anciens et expérience des Modernes, le premier ayant été dépassé et corrigé par la seconde, les considérations anthropologiques de Transilvanus, au début de la lettre qui traite de la première circumnavigation du globe, sont assez surprenantes. Les voyageurs des deux puissances ibériques, explorant des régions inconnues du monde, mais coupées en deux par la ligne du traité de Tordesillas (1494), qui assignait une grande partie des terres à ces royaumes avant leur découverte, n’ont « jamais pu entendre rien de certain à propos de ces monstrueuses créatures humaines. Il faut donc tenir cela pour des fables, des mensonges et des contes de bonne femme84 ». Quoique le globe de Schöner (1515) représente l’hypothèse d’un détroit au sud de l’Amérique méridionale, très probablement au niveau du Rio de la Plata, la circumnavigation guidée par Magellan permet d’éclairer une question demeurée obscure jusqu’alors : « On ne savait pas encore de façon certaine si cette immense contrée, que l’on appelle la Terre ferme [le Nouveau Monde], séparait la mer occidentale de la mer orientale […] il n’y avait aucun indice d’un quelconque détroit par lequel on pût traverser85. »
30Parcourant la côte de la moitié sud de l’Amérique à la recherche d’un passage vers l’ouest, dans un golfe nommé San Julián, les explorateurs rencontrent des indigènes : « Ces hommes étaient très grands, d’environ 10 empans86. » L’échange avec les autochtones est pacifique, les Européens s’étonnent de leurs chants et des flèches traversant leur bouche, puis Magellan envoie sept hommes à l’intérieur des terres « afin d’explorer avec soin, autant qu’ils le pouvaient, la région et d’observer ce peuple87 ». Ceux-ci sont d’abord accueillis, « selon un rite bestial, qui cependant leur paraissait, à eux, royal88 », mais bientôt un conflit éclate. Transilvanus formule une considération intéressante, qui animera aux siècles suivants de vives querelles et dont Rousseau d’ailleurs se souviendra peut-être89. Il tente, en effet, d’expliquer comment il est possible que ces hommes, les indigènes, soient perçus plus grands qu’ils ne le sont en réalité :
[…] recouverts d’autres peaux de bêtes terrifiantes, des pieds jusqu’au sommet de la tête, le visage peint de plusieurs couleurs, tenant arcs et flèches, sous cette apparence terrible et stupéfiante, qui les faisait paraître plus grands encore qu’auparavant, ils s’avancèrent en rang pour combattre. Les Espagnols, qui pensaient qu’on allait en venir aux mains, ordonnèrent de tirer un coup d’escopette. Bien que ce coup eût été tiré en l’air, ces remarquables géants qui, peu de temps avant, semblaient prêts à vaincre Jupiter au combat, furent à ce point terrorisés par ce bruit qu’ils commencèrent aussitôt à parler de paix90.
31Ces lignes fournissent une explication rationnelle : sous l’emprise de la peur face aux indigènes, un observateur n’est pas simplement amené à les décrire, il peut les voir plus grands qu’ils ne le sont réellement. Tout en mettant le lecteur en garde contre les fables anciennes, Transilvanus parle tout court de « géants » en rapportant le témoignage des observateurs91. Bien que d’autres témoignages92 de l’expédition de Magellan concordent avec les faits relatés par le secrétaire de Charles Quint, la chronique d’Antonio Pigafetta livre sans doute la source la plus importante du topos littéraire des géants en Amérique méridionale. En effet, l’auteur fixe dans les cartes géographiques un objet avec lequel voyageurs, naturalistes et philosophes devront se confronter aux siècles suivants.
32Après la traversée de l’Atlantique, les voyageurs constatent la présence d’hommes sur les côtes brésiliennes. Au cannibalisme, à la nudité et à la sauvagerie caractérisant ces hommes, le chroniqueur italien ajoute la longévité : ils « vivent selon l’usage de la nature, plus bestialement qu’autrement. Et aucuns de ces gens vivent cent, six-vingts, ou sept-vingts ans ou plus et vont nus, tant hommes que femmes93 ». Au Rio de la Plata, avant d’atteindre la région qui sera nommée Patagonie, Pigafetta mentionne des anthropophages, dont l’un est défini par sa grande taille et par des traits appartenant à l’animalité, ou du moins par des qualités définies dans la comparaison avec un animal : « L’un de ces hommes, grand comme un géant, vint à la nef du capitaine pour s’assurer et demander que les autres pussent venir, et cet homme avait la voix comme un taureau94. » En décembre 1519, l’expédition rencontre des hommes, très rapides à la course, qui « faisaient plus en un pas que nous ne pouvions faire en un saut95 ». La nouvelle toponymie inscrite dans l’itinéraire des explorateurs est souvent liée au calendrier chrétien : le 31 mars, ils arrivent dans un port nommé San Julián, jour de saint Julien l’Hospitalier. Là, après un séjour de deux mois sans apercevoir des indigènes, un homme de très grande taille se présente aux navigateurs :
[…] nous vîmes un géant qui était à la rive de la mer, tout nu, et dansait, sautait et chantait. Et en chantant il mettait de l’arène et poudre sur sa tête. Notre capitaine envoya vers lui un de ses gens, auquel il donna charge de chanter et sauter comme l’autre pour l’assurer et lui montrer amitié en signe de paix96.
33Le géant est ensuite amené devant Magellan et soumis à l’observation de l’équipage : « Quand il fut devant nous il commença à s’étonner et avoir peur, et levait un doit contremont, croyant que nous venions du ciel. Et il était tant grand que le plus grand de nous ne lui venait qu’à la ceinture, combien il était de bonne disposition97. » Décrivant le visage de couleur rouge et les yeux entourés de peinture jaune de cet homme extraordinaire endossant la peau d’un animal et portant un arc et des flèches, le récit de Pigafetta souligne la disproportion entre l’équipage de Magellan et leur singulier invité : « Le capitaine fit bailler à manger et à boire à ce géant, puis il lui montra aucunes choses, entre autres un miroir d’acier, dans lequel ce géant, quand il vit sa semblance, s’épouvanta grandement, sautant en arrière tant qu’il fit tomber trois ou quatre de nos gens par terre98. »
34Explorateurs et géants s’échangent alors des objets et un bref séjour permet aux voyageurs d’observer les mœurs et le comportement de ces hommes auxquels Magellan assigne le nom « Patagons ». Pigafetta évoque notamment un géant qui, comme l’océan, le port et le détroit, doit être nommé :
[…] ce géant était plus grand et mieux conformé que les autres et était personne fort gracieuse et aimable, aimant à danser et sauter. Lequel quand il sautait enfonçait la terre d’une paume de profondeur au lieu où touchaient ses pieds. Il fut longtemps avec nous et à la fin nous le baptisâmes et le nommâmes Jean99.
35Si en esquissant les mœurs de ce peuple, le chroniqueur dépasse parfois le ton de la condamnation et laisse place à des descriptions plus ou moins détaillées – ces hommes mangent de la chair crue et courent très vite –, il ne manque pas, toutefois, de diaboliser les géants. Lorsque deux d’entre eux, capturés par ruse pour être emmenés en Europe, se voient avec des fers aux pieds, « ils commencèrent à bouffer et à écumer comme des taureaux, en criant fort haut Setebos, c’est-à-dire le grand diable, qu’il les aidât100 ».
36Les géants capturés n’ont pas gagné l’Espagne, car ils ont péri au cours du voyage, mais bien entendu, l’importance du récit est ailleurs. Elle réside dans les raisons pour lesquelles tant les géants que leur territoire ont été nommés d’une telle manière et non pas d’une autre101, mais aussi dans les implications de ce mode d’identification. C’est ici précisément, pour éclairer davantage la portée de ce récit et de ses effets, qu’il faut passer de la présentation de la chronique du voyage de Magellan à l’examen de ses sources fictionnelles.
Notes de bas de page
1 Pour des éléments bibliographiques, voir Christophe Colomb, La découverte de l’Amérique. Journal de bord et autres écrits (1492-1493), op. cit., t. 2, p. 427-429, Alfonso Enseñat de Villalonga, Cristóbal Colón. Orígenes, formación y primeros viajes (1446-1484), Madrid, Ediciones Polifemo, 2009, p. 291-303.
2 Tzvetan Todorov, La conquête de l’Amérique. La question de l’autre, Paris, Seuil, 1991, p. 22. Cependant, doit-on croire que le véritable but des voyages de Colomb est, comme il l’écrit, « la conquête militaire de Jérusalem » ? Christophe Colomb, Lettre aux rois catholiques (4 mars 1493), La découverte de l’Amérique, op. cit., t. 1, p. 323.
3 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1993, p. 80.
4 Leonardo Olschki, Storia letteraria delle scoperte geografiche. Studi e ricerche, Florence, Olschki, 1937.
5 « […] je veux partir pour une autre île, très grande, qui doit être Cipango si j’en crois les indications que me donnent les Indiens que j’emmène avec moi, laquelle ils nomment Colba [Cuba][…] je suis résolu d’aller à la terre ferme et à la cité de Guisay [Quinsay, ville chinoise décrite par Marco Polo] remettre les lettres de Vos Altesses au Grand Khan », Christophe Colomb, La découverte de l’Amérique, op. cit., t. 1, p. 147. L’original n’a pas été conservé, mais une version abrégée a subsisté grâce à Bartolomé de Las Casas.
6 Lettre aux rois catholiques sur le troisième voyage aux Indes (1498), dans Christophe Colomb, La découverte de l’Amérique, op. cit., t. 2, p. 217-218.
7 Dans la Lettre des rois catholiques à Christophe Colomb sur le bon succès de son premier voyage (1493), les souverains espagnols estiment que Colomb ne doit pas tarder à repartir vers la terre dont il est le découvreur, voir Christophe Colomb, La découverte de l’Amérique, op. cit., t. 1, p. 330. Le succès de l’entreprise fut d’autant plus grand que son projet était considéré comme irréalisable, voir la lettre de Pierre Martyr à Jean Borromée du 14 mai 1993, ibid., p. 331, et celle du premier octobre 1493 à l’archevêque de Braga, où il dit : « La moitié du monde ne nous restera plus cachée », ibid., p. 334.
8 « Les exploits des navigateurs anglais du XVIe siècle semblent avoir été hantés par la figure de Colomb et par le spectre de cette rencontre originelle, inimaginable et donc fantasmée, entre le civilisé catholique et le civilisé païen. Tout récit d’exploration anglais semble ainsi frappé du sentiment tragique de cette secondarité », Frédéric Regard (dir.), De Drake à Chatwin. Rhétoriques de la découverte, Lyon, ENS Éditions, 2007, p. 21.
9 Christophe Colomb, Lettre à Santangel [février-mars 1493], La découverte de l’Amérique, op. cit., t. 1, p. 305.
10 Ibid., p. 307.
11 Ibid., p. 309.
12 Tzvetan Todorov, La conquête de l’Amérique, op. cit., p. 18.
13 Ibid., p. 20.
14 Christophe Colomb, Lettre à Santangel, op. cit., p. 309.
15 Ibid., p. 311.
16 Le roi du Portugal demanda à deux Indiens amenés par Colomb d’illustrer, en disposant des fèves sur une table, les îles proches de leur pays. D’après Las Casas, il s’écria : « Oh ! Homme de peu de connaissance ! Pourquoi as-tu laissé échapper une entreprise de si grande importance ? », Bartolomé de Las Casas, Histoire des Indes, Paris, Seuil, 2002, t. 1, p. 506.
17 Christophe Colomb, Lettre à Santangel, op. cit., p. 309.
18 Id., Lettre aux rois catholiques, op. cit., p. 320.
19 Ibid., p. 321.
20 Ibid., p. 310.
21 Ibid., p. 311. Dans une lettre écrite à la même période, Colomb confirme cette idée : « Les gens que j’ai laissés là-bas étaient suffisants pour soumettre toute cette île sans risque », Lettre aux rois catholiques [4 mars 1493], ibid., p. 322. Lors de son deuxième voyage, Colomb ne trouva personne en vie parmi les trente-neuf hommes restés aux Indes.
22 Ibid., p. 313.
23 Ibid., p. 322.
24 Ibid., p. 311, et encore : « Je n’ai pas trouvé de monstres », ibid., p. 311.
25 Id., La découverte de l’Amérique, op. cit., t. I, p. 259.
26 Ibid., p. 162.
27 Pierre d’Ailly, Imago Mundi, trad. du latin par Edmond Buron, Gembloux, Duculot, 1930, vol. 1, chap. 12, « Des régions inhabitables », p. 241. Cette édition présente le texte latin et sa traduction française avec les notes en marge de Christophe Colomb. Sur la figure et l’œuvre de Pierre d’Ailly, je renvoie à Alice Lamy, La pensée de Pierre d’Ailly. Un philosophe engagé au Moyen Âge, Paris, Champion, 2013.
28 Le cardinal français mentionne « des êtres dont il est difficile de dire s’ils sont des hommes et des bêtes, selon l’expression du bienheureux Augustin », ibid., p. 241. Il écrit également : « Augustin atteste qu’on rencontre dans ces parages [les régions extrêmes du Septentrion et du Midi] des figures tellement monstrueuses qu’il est impossible de discerner si elles sont d’humains ou de bêtes », ibid., t. 2, p. 529.
29 Les pygmées d’Inde « ne dépassent pas une taille de trois sphitames, c’est-à-dire trois fois trois quarts de pied », Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VII, 2, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2013, p. 317.
30 « Quel que soit l’endroit où naît un homme, c’est-à-dire un être animé raisonnable et mortel, même s’il possède un corps étrange pour nos sens, par sa forme, sa couleur, ses mouvements, sa voix, quels que soient la force, les éléments et les qualités de sa nature, aucun fidèle ne doit douter qu’il tire son origine du seul premier homme », Augustin, La cité de Dieu, op. cit., XVI, 8, p. 661.
31 « […] il ne doit pas nous sembler absurde qu’il y ait, dans les nations, certains peuples de monstres comme il y a dans l’ensemble du genre humain quelques individus monstrueux », ibid., p. 663.
32 Pierre d’Ailly, Imago Mundi, op. cit., p. 141.
33 Ibid., p. 241-243.
34 Juan Gil (dir.), El libro de Marco Polo anotado por Cristóbal Colón, Madrid, Alianza Editorial, 1987, p. VIII.
35 Ibid., p. 127 et 141.
36 Christophe Colomb, La découverte de l’Amérique, op. cit., t. 1, p. 293. Au paradis terrestre était située la source de certains fleuves en Orient, lesquels ne manquent pas de richesses : « L’Euphrate est aussi un fleuve de la Mésopotamie, prenant sa source dans le Paradis terrestre ; très riche en pierres précieuses ce fleuve passe par le centre de la Babylonie », Pierre d’Ailly, Imago Mundi, op. cit., t. 2, chap. 56 « Des fleuves du Paradis terrestre », p. 471. Colomb apostille : « Le fleuve Euphrate, le plus riche en pierres précieuses », ibid., n. 418.
37 Christophe Colomb, Lettre aux rois catholiques, op. cit., p. 319.
38 Ibid.
39 Ibid.
40 Ibid.
41 Margherita Azzari, Leonardo Rombai (dir.), Amerigo Vespucci e i mercanti viaggiatori fiorentini del Cinquecento, Florence, Firenze University Press, 2013 ; Consuelo Varela, Colombo e i fiorentini, Florence, Vallecchi, 1991 ; Id., « Amerigo Vespucci e i mondi iberici », dans Francesca Cantù (dir.), Scoperta e conquista di un Mondo Nuovo, Rome, Viella, 2007. Sur les controverses historiographiques, nous renvoyons à Leandro Perini, « Due fiorentini nell’oceano Atlantico : Amerigo Vespucci e Giovanni da Verrazzano », dans Leonardo Rombai (dir.), Il mondo di Vespucci e Verrazzano : geografia e viaggi. Dalla Terrasanta all’America, Florence, Olschki, 1993, p. 125-157 ; Luciano Formisano, « Le lettere di Amerigo Vespucci e la “questione vespucciana“ : bilancio di un trentennio », dans Giuliano Pinto, Leonardo Rombai, Claudia Tripodi (dir.), Vespucci, Firenze e le Americhe, Florence, Olschki, 2014, p. 269-283, et Vittoria Chegai, « Amerigo allo specchio della critica moderna. I riflessi di 500 anni di ricerca storica, geografica e letteraria », ibid., p. 285-299.
42 Amerigo Vespucci, Mundus Novus, dans Le Nouveau Monde. Les voyages d’Amerigo Vespucci (1497-1504), éd. J.-P. Duviols, Paris, Changeigne, 2005, p. 145.
43 « Lettre du 18 juillet 1500, envoyée de Séville à Lorenzo di Pierfrancesco de Medici, à Florence », Le Nouveau Monde, op. cit., p. 76.
44 Ibid., p. 77.
45 « Je tournai à droite et j’orientai mon esprit / vers l’autre pôle, et j’y vis quatre étoiles / que seuls les premiers êtres avaient vues » [Io mi volsi a man destra, e posi mente / All’altro polo, e vidi quattro stelle / Non viste mai, fuor che alla prima gente], Purgatoire, I. Le caractère « prophétique » attribué à ce passage du poète italien est évoqué par Voltaire, qui commente : « Ce n’est que par un hasard assez bizarre que le pôle Austral et ces quatre étoiles se trouvent annoncés dans le Dante. Il ne parlait que dans un sens figuré ; son poème n’est qu’une allégorie perpétuelle. Ce pôle, chez lui, c’est le Paradis terrestre ; ces quatre étoiles, qui n’étaient connues que des premiers hommes, sont les quatre vertus cardinales, qui ont disparu avec les temps d’innocence », Essai sur les mœurs, Paris, Bordas, 1990, t. 2, chap. 141, p. 307.
46 « […] le poète, avec ces quatre étoiles, veut décrire le pôle de l’autre firmament et je ne doute pas que ce qu’il dit soit la vérité, car j’ai remarqué quatre étoiles qui formaient comme une amande et qui avaient peu de mouvement », Le Nouveau Monde, op. cit., p. 9.
47 Ibid., p. 79.
48 Sur la construction « tardive » de la découverte de l’Amérique, voir Bartolomé Bennassar, Lucile Bennassar, 1492. Un monde nouveau ?, Paris, Perrin, 2013.
49 Ibid., p. 84.
50 Ibid., p. 133.
51 Le Nouveau Monde, op. cit., p. 83.
52 Ibid.
53 Ibid., p. 84.
54 Ibid., p. 85.
55 Ibid.
56 Ibid., p. 86.
57 Ibid.
58 Ibid., p. 88.
59 Ibid., p. 89.
60 Ibid., p. 90.
61 Ibid., p. 190.
62 Ibid., p. 91.
63 Le Nouveau Monde, op. cit., p. 140.
64 Ibid., p. 139.
65 Ibid., p. 113.
66 Ibid., p. 162.
67 Ibid., p. 112.
68 Ibid., p. 120.
69 Ibid., p. 122.
70 Ibid., p. 141.
71 Ibid., p. 143.
72 Ibid., p. 141.
73 Ibid., p. 186.
74 Ibid., p. 87.
75 Ibid.
76 Ibid.
77 Le Nouveau Monde, op. cit.
78 Ibid., p. 138.
79 Ibid., p. 185.
80 « Cette île qui est presque ronde et doit avoir vingt lieues de circonférence, est aujourd’hui et a toujours été peuplée d’Indiens, non pas de géants, mais comme les autres ; je n’ai rencontré personne, ni à l’époque ni ensuite, qui ait vu ces fameux géants, et j’ignore ce qu’ils sont devenus, mais je sais que depuis lors nous appelons ces îles îles des Géants, j’ignore pourquoi, et j’ignore également s’il y en avait dans les cinq autres », Bartolomé de Las Casas, Histoire des Indes, op. cit., t. II, p. 28.
81 Thomas Lodge, écrivain ayant pris part au deuxième voyage de Thomas Cavendish (1591- 1593), raconte : Touching the place where I wrote this, it was in those straits christened by Magellan ; in which place to the southward, many wondrous isles, many strange fishes, many monstrous Patagons, withdrew my senses, Philip Edwards (éd.), Cavendish, Hudson, Ralegh, Last Voyages. The Original Narratives, Oxford, Clarendon Press, 1988, p. 121.
82 Maximilianus Transilvanus, Des Îles moluques, op. cit., p. 887.
83 Ibid.
84 Maximilianus Transilvanus, Des Îles moluques, op. cit.
85 Ibid., p. 891.
86 Ibid., p. 893.
87 Ibid., p. 893-894.
88 Ibid., p. 894.
89 Voir infra.
90 Ibid., p. 894-895.
91 Les voyageurs « ne pouvaient égaler leurs pas de géants, même en courant », ibid., p. 895. Magellan cherche sans succès à « s’emparer de l’un de ces géants pour le ramener à l’empereur en raison du caractère extraordinaire de la chose », ibid., p. 895.
92 Pierre Martyr, l’un des premiers historiens du Nouveau Monde, qui, comme Transilvanus, recueille le témoignage de quelques membres de l’équipage du Victoria à son arrivée, décrit les habitants du golfe de San Julián comme des « nomades, sans résidence fixe, sans lois et d’une très haute stature », Au souverain Pontife Adrien, sur le tour du monde, dans Xavier de Castro (dir.), Le voyage de Magellan (1519-1522), op. cit., p. 924. Voir aussi Pierre Martyr, De orbe novo decades, Rosanna Mazzacane, Elisa Mangioncalda (dir.), Gênes, Università di Genova, 2005, V, 7, 19, t. 2, p. 645 ; les indigènes du golfe sont « très vifs, rapides à la course, bien conformés et de bon aspect », Journal de bord du voyage de Magellan [par Francisco Albo], dans Xavier de Castro (dir.), Le voyage de Magellan (1519-1522), op. cit., p. 674 ; Fernando de Oliveira, « Les hommes de ce pays sont grands comme ceux d’Allemagne ou des pays nordiques », manuscrit de Leyde, p. 767 ; « Dans ces lieux d’hivernage vivaient des sortes de sauvages : les hommes y sont hauts de 9 et 10 empans [1,80 et 2 m], fort bien faits de corps », Voyage & navigation de Ferdinand de Magellan depuis Séville jusqu’à Maluco en l’an 1519 [carnet de voyage dit « Du pilote génois », attribué à Leone Pancaldo], dans ibid., p. 737 ; « Nos hommes rapportèrent que c’était un peuple de haute taille : il y en avait un qui de visage semblait jeune mais dont le corps dépassait déjà 15 empans [3 m] », Ginés de Mafra, Livre qui traite de la découverte & de l’origine du Détroit qui porte le nom de Magellan, chap. VII, dans ibid., p. 709 ; « Ils étaient en effet si grands que le plus petit d’entre eux était plus grand qu’aucun Castillan, quelque grand qu’il fût », Antonio de Herrera y Tordesillas, Historia general de las Indias, dans ibid., p. 972.
93 Antonio Pigafetta, Navigation & découvrement de l’Inde supérieure & Iles de Maulucque où naissent les clous de girofle, faite par Antonio Pigafetta, vicentin et chevalier de Rhodes, commençant en l’an 1519, dans Le voyage de Magellan, op. cit., p. 90.
94 Antonio Pigafetta, Navigation & découvrement de l’Inde supérieure & Iles de Maulucque, op. cit., p. 95.
95 Ibid.
96 Ibid., p. 97.
97 Ibid.
98 Ibid., p. 98.
99 Ibid., p. 99.
100 Ibid., p. 101. Setebos fait partie d’une liste de vocables de la langue patagonne transcrite dans la chronique de Pigafetta, qui signale : « Tous ces vocables se prononcent en la gorge, pour ce qu’ainsi ils les prononcent. Me dit ces vocables ce géant que nous avions sur le navire […] », ibid., p. 113. Le mot sera repris dans La Tempête de Shakespeare, voir Le voyage de Magellan, op. cit., p. 360, note.
101 « Le capitaine appela cette manière de gens Pathaghoni », ibid., p. 103 ; « cette terre nommée Patagoni », ibid., p. 104 ; « nous appelâmes ledit détroit Pathagonico », ibid., p. 110.
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