Chapitre II. Antipodes
p. 27-56
Texte intégral
LA TRADITION ANTIQUE ET MÉDIÉVALE
1Dans les tentatives de construction du globe terrestre, tout particulièrement de son extrémité inférieure, apparaît un lieu structuré tant par le principe explicatif de son récit que par sa géométrie. Dans l’Antiquité, la représentation de l’espace antipodal est répandue et s’intègre à l’hypothèse du monde sphérique. L’idée d’un continent dans l’hémisphère sud, orienté symétriquement par rapport au monde connu, où les habitants seraient en position diamétralement opposée par rapport à ceux de l’autre hémisphère, est d’origine pythagoricienne. Outre sa vision d’un cosmos géocentrique, cette école philosophique adopte les exigences de perfection propres à la métaphore de la sphère et conçoit ainsi, sur la Terre, un ailleurs habité comme conséquence de l’harmonie d’un « monde animé, intelligent, sphérique contenant en son centre la terre qui est elle aussi sphérique et qui est habitée tout autour1 ». Diogène Laerce ajoute qu’« il y a aussi des gens aux antipodes, et ce qui est pour nous en bas est pour eux en haut2 ». Dans ce système cosmologique, le terme antichtone, désigne une planète invisible, l’anti-Terre, opposée dans son mouvement à la Terre. Elle sert à élever de neuf à dix le nombre de planètes observées, pour atteindre ainsi le chiffre parfait symbolisant l’harmonie cosmique. Géographiquement, le terme désigne les régions de la Terre opposées à celles où l’on se trouve, le point antipodal se situant symétriquement dans un lieu opposé sur l’autre face de la Terre, mais plus généralement il indique aussi une masse de terre hypothétique. Dans le monde ancien, la représentation d’un tel continent est largement répandue : la Terre est intelligible dans la mesure où la sphère, géométriquement parfaite, répond à des critères d’harmonie soumis à un ordre constant, dont la forme est équilibrée et conforme aux dispositions de l’esprit. Sur cette symétrie de l’espace, nécessaire et constitutive du monde, s’alignent les terres et les océans, les îles, les péninsules et leur sens, c’est-à-dire leur orientation dans l’espace. La distribution de la surface du globe est pensée en fonction de sa surface sphérique et de la loi du cosmos, de la logique du nombre et de la proportion. Ceux-ci fondent l’anti-Terre, dont le statut ontologique ne s’accorde pas avec l’observation des astres. La dixième planète du système cosmologique pythagoricien garantit ainsi l’équilibre et la perfection de la sphère céleste, tout comme le concept d’Antipodes assure l’harmonie achevée de la sphère terrestre.
2Une telle conceptualité produit du sens selon les dynamiques propres de « l’embarras logique auquel la métaphore se substitue3 ». De ce point de vue, il n’est pas surprenant que Platon ait mis en scène un pythagoricien, « élevé aux sommets de la philosophie dans son ensemble4 », pour traiter de questions cosmologiques. Timée de Locres a la capacité de voir le monde à travers la perspective paradoxale de la pensée géographique. Dans l’économie métaphorique de son raisonnement, la sphère incarne le plus haut degré de perfection, qui s’inscrit dans une symétrie guidée par les exigences du modèle cosmologique et par sa géométrie de l’espace. Le monde a une forme sphérique, parce que c’est la forme dans laquelle « s’inscrivent toutes les autres figures5 ». C’est pourquoi le monde a « la figure d’une sphère, dont le centre est équidistant de tous les points de la périphérie6 ». Le mouvement circulaire propre de la sphère terrestre est ainsi justifié, car il est « celui qui entretient le plus de rapport avec l’intellect et avec la pensée7 ».
3Les deux aspects de la pensée géographique, syntaxe et géométrie, s’associent chez Platon, qui reprend la tradition pythagoricienne de l’immanence du nombre tout en donnant un rôle essentiel au mythe. L’intelligibilité de l’espace géométrique n’est pas indépendante de la forme du récit, d’où le rôle fondamental de l’ascendant mythologique du Timée par rapport à la perfection de la sphère. C’est un démiurge qui donne au monde « un mouvement de rotation uniforme dans le même lieu et sur lui-même, il l’a fait se mouvoir d’un mouvement circulaire8 ». Regardé à travers l’idéalité de cette métaphore de la sphère, le monde s’ouvre à la possibilité d’être pensé dans la structure générale du cosmos. Un tel prisme est à la base d’une science censée fournir une explication des phénomènes cosmologiques et une justification de l’harmonie du monde céleste face au changement du monde terrestre. La description géographique et scientifique9 d’un univers gouverné par la régularité géométrique est aussi tributaire d’une syntaxe cherchant l’appui incertain, et pourtant essentiel, des images métaphoriques qui déterminent la relation entre l’homme et la Terre, entre la Terre et le cosmos. Ces éléments, irréductibles à des concepts philosophiques, sont en fait constitutifs tant d’un « système d’axiomes » que d’une pensée de l’espace.
4Les rapports entre les zones du plan terrestre peuvent être observés dans la régularité et l’équilibre de la sphère : c’est précisément cette correspondance symétrique qui a largement contribué à la représentation des Antipodes, acceptée dans sa signification géographique par la cosmologie aristotélicienne. Aristote parvient à cette formulation à travers des raisons physiques et mécaniques, en soutenant l’idée des analogies entre les deux hémisphères et l’existence nécessaire d’une masse terrestre dans la moitié australe : « Puisqu’il doit nécessairement exister une région qui soit par rapport à l’autre pôle qui se trouve au-dessus de nous, il est clair que cette région présentera des analogies avec la nôtre10. » La symétrie de la sphère, c’est-à-dire d’une métaphore, donne un fondement au raisonnement analogique, qui permet le passage théorique des régions du monde connu à celles imaginées dans l’autre hémisphère du globe. Si le monde est une sphère, il est alors légitime de penser que la moitié supérieure est le double de la moitié inférieure.
5L’hypothèse de l’existence de terres habitées dans les deux hémisphères est reprise au iie siècle av. J.-C. par Cratès de Mallos, qui affirme la présence de quatre grandes parties de la terre habitée, situées symétriquement les unes par rapport aux autres, chacune entourée par l’océan. La tradition considère Cratès de Mallos comme le premier à avoir construit une représentation de la Terre sous la forme d’un globe pour illustrer son hypothèse11. En interprète du savoir géographique de l’Antiquité et de son ouverture vers des mondes possibles, Strabon admet l’idée de Cratès de Mallos : « Nous appelons monde habité celui que nous habitons et connaissons ; et l’on admet que, dans la même zone tempérée, il peut y avoir deux mondes habités ou plus12. » L’idée homérique d’une œcoumène ou d’une île entourée par l’océan se heurte ainsi à l’hypothèse d’une multiplicité de terres dans les deux hémisphères et laisse la place à une prolifération de mondes habités, lesquels sont néanmoins soumis à l’harmonie générale qui détermine l’ensemble. L’idée d’une unique terre peuplée s’ouvre ainsi à de nouvelles hypothèses dans lesquelles l’unicité apparaît comme peu probable, ou beaucoup moins probable que celle d’une pluralité de masses terrestres séparées entre elles par l’océan. En fait, le géographe ira jusqu’à admettre explicitement la possibilité que ces parties de la Terre, symétriquement disposées, soient habitées : « Il faut alors supposer l’existence d’un autre monde habité, ce qui est plausible13. » Définie par l’impossibilité d’être soumise à l’expérience, cette conjecture se présente comme une forme nécessaire dérivant de la structure même du cosmos. Cependant, le statut des Antipodes, qui lui donne, en quelque sorte, la possibilité d’être modelée, ne correspond pas à celui d’une entité fixe et immuable ; au contraire, dès son origine, cette construction se prête à des formes et à des fonctions théoriques différentes.
6L’évolution de la pensée géographique passe ainsi par la gestation d’hypothèses dans des hypothèses : cosmos, perfection de la sphère, sphéricité de la Terre, symétrie, Antipodes. Cette ouverture se refermera, mais en partie seulement, au cours de l’Antiquité tardive et dans la pensée des Pères de l’Église, où le problème des Antipodes est un objet de polémique. Par la suite, cette question aux enjeux considérables subsistera : en niant toute validité à l’existence des Antipodes, qui n’est qu’hérésie, la controverse assurera la transition de cette notion au fil des siècles. À l’instar des philosophes grecs, Lactance considère évident qu’à partir de l’hypothèse d’un univers sphérique, il faut admettre celle de la sphéricité de la Terre. Mais l’enchaînement de ces deux hypothèses en appelle une troisième : « Si elle [la Terre] était ainsi [sphérique], suivrait cette conséquence extrême : il n’y aurait aucune partie de la terre qui ne soit habitée par des hommes et d’autres animaux, et voilà comment la rotondité du ciel conduit à inventer ces Antipodiens suspendus14. » La négation de l’hypothèse d’une terre habitée dans l’hémisphère opposé porte à nier sa rotondité, et par conséquent celle de l’univers. D’autre part, l’idée d’un autre monde habité par une humanité « autre » soulève des questions théologiques délicates qui menacent l’unité de la création divine, ou du moins celle de l’origine commune de tous les hommes.
7La position d’Augustin est différente à cet égard, car il ne refuse pas tant la sphéricité de la Terre que la production, propre à la pensée géographique, des hypothèses dans les hypothèses. Si le philosophe chrétien peut admettre l’idée d’une Terre sphérique, il en réfute pourtant les conséquences, car d’après lui, ni la présence des Antipodes, ni le fait qu’elles soient habitées, ne peuvent se déduire de cette sphéricité :
la terre, raconte-t-on, est suspendue à l’intérieur de la voûte céleste et le monde a le même lieu pour le centre et le bas ; d’où la conclusion selon laquelle la partie de la terre au-dessous de nous est certainement habitée par des hommes. Mais à supposer que le monde eût une forme sphérique et ronde, même si l’on parvenait à le démontrer de façon quelconque, cependant il ne s’ensuivrait pas que, dans cette partie, la terre surgisse à sec de la masse des eaux ; et même si elle était à sec, il ne serait pas nécessaire qu’elle soit habitée. En effet, l’Écriture ne se raconte pas de tels mensonges, elle qui donne la justification des faits passés par la réalisation de ses prophéties ; il serait bien trop absurde de dire que certains hommes aient pu passer en naviguant de cette partie du monde dans l’autre à travers l’immensité de l’océan ! Mais, même dans ce cas, le genre humain de cette région aurait pour origine le premier homme15.
8L’objection se dédouble : même si le monde avait la forme d’une sphère, il n’est pas raisonnable de penser qu’il y ait une masse terrestre, car rien n’empêche que dans cette région la terre soit couverte par l’océan. En deuxième lieu, quant à la présence des hommes, idée absolument invraisemblable, il faudrait élargir la théologie chrétienne jusqu’à ces terres délaissées pour que ses habitants puissent être pensés comme issus du premier homme. Mais cette possibilité soulève à son tour d’autres difficultés : dans un tel cas, en effet, il faudrait que les descendants d’Adam soient arrivés par un déplacement migratoire à l’hémisphère austral en traversant la zone torride, ce qui contredit la théorie des cinq zones climatiques. Cette théorie, remise en cause seulement à l’âge des explorations, divise la sphère en cinq parties, chacune correspondant à un climat géographique : deux zones froides aux pôles, deux zones tempérées, une dans chaque hémisphère, et une zone torride autour de l’équateur. Pour passer d’un hémisphère à l’autre, il fallait traverser la zone torride et donc se soumettre à des températures si élevées qu’elles empêcheraient l’existence de toute vie humaine ou animale : de ce fait, la théorie d’un déplacement des hommes est irrecevable.
9La question est reformulée au ive siècle par Macrobe, pour qui l’image du bouclier homérique d’une seule terre habitée entourée par l’océan est erronée. Il reprend la division du globe en cinq zones climatiques, dont une zone tempérée dans chaque hémisphère. Celle de la région australe correspondant aux Antipodes, où selon la définition courante les hommes marcheraient à l’envers en opposant leurs pas aux habitants de l’autre extrême, se rapproche de Cratès de Mallos et de sa représentation des quatre mondes habités. Sur l’hypothèse d’une zone méridionale habitable, Macrobe écrit qu’« il n’y a que le raisonnement pour suggérer que du fait de son climat, tempéré lui aussi, elle est habitée elle aussi ; mais par qui ? nous n’avons jamais eu ni n’aurons la possibilité de le savoir : la zone torride qui s’interpose interdit aux deux groupes humains les contacts réciproques16 ». Le philosophe latin fait preuve d’imagination géographique en adoptant une position provocatrice, explicite et contraire à celles des Pères de l’Église :
[…] s’il nous est possible de vivre dans cette partie-ci de la terre où nous habitons parce que, tout en foulant le sol, nous apercevons le ciel au dessus de nos têtes, parce que le soleil se lève et se couche pour nous, parce que nous jouissons de l’air ambiant et respirons en l’inhalant, pourquoi ne pas croire qu’il y ait des habitants là-bas aussi, où s’offrent perpétuellement les mêmes ressources17 ?
10L’auteur rejoint l’idée pythagoricienne du caractère habitable des Antipodes, considérée comme raisonnable et définie par l’impossibilité d’être vérifiée, car la zone torride empêche toute preuve empirique et n’admet que les arguments fournis par la raison. Selon lui, aucun doute n’est possible : « [Les Antipodiens] ont le même soleil, dont on dira pour eux qu’il se couche quand il se lève pour nous, et qui se lève quand il se couchera pour nous ; ils fouleront le sol comme nous, et sur leur tête ils verront toujours le ciel ; et ils ne craindront pas de tomber de la terre dans le ciel, puisque rien jamais ne peut tomber vers le haut18. » Macrobe pousse à l’extrême l’hérésie du monde à l’envers en défendant la chaîne d’hypothèses géographiques, et affirme même que « chez eux les ignorants ont la même idée à notre sujet, et qu’ils ne s’imaginent pas que nous puissions vivre dans le lieu où nous sommes, convaincus que si l’on essayait de se tenir debout sous leurs pieds, on tomberait. Pourtant on n’a jamais chez nous redouté de tomber dans le ciel19 ». La répartition du globe en zones climatiques symétriques dans chaque hémisphère sert à fonder l’hypothèse des Antipodes, conçue comme un double analogique du monde connu. Le centre de la Terre est le seul critère pour établir le bas et le haut jusqu’à la limite de l’univers et il n’y a de point sur la surface terrestre qui ne se trouve au-dessous du ciel, autrement dit la Terre est une sphère et elle est au centre. Pour étayer son raisonnement, l’auteur a dessiné une figure représentant les cinq zones climatiques20. À n’en pas douter, la polémique de Macrobe est dirigée contre les Pères de l’Église, lesquels nient l’habitabilité des Antipodes en tant que thèse hérétique et contraire au récit biblique21, mais l’enjeu est plus important encore : c’est l’unité du genre humain et de son origine qui est ici remise en question. Pour Macrobe, comme pour les penseurs de l’Antiquité, cette hypothèse est fondée sur une spéculation spatiale. Un éventuel témoignage des navigateurs est écarté d’avance par la « ligne de feu » qui entoure la Terre autour de l’équateur, posée par la raison géographique sur la métaphore de la sphère. Étant donné que la zone torride ne permet pas de traverser l’autre hémisphère, toute expédition maritime devient impossible au-delà de la ligne équatoriale : seule l’abstraction d’un regard extérieur est capable de combler l’étendue de cette lacune.
11D’après Isidore de Séville, une telle argumentation n’a aucune validité. Au contraire :
[…] ceux que l’on appelle Antipodes, parce qu’on les imagine à l’opposé de nos pas, de sorte que placés pour ainsi dire au-dessous de la terre ils foulent des pas à l’opposé de nos pieds : il ne faut le croire en aucune façon, parce que ni la compacité de la terre, ni la nature de sa partie centrale ne le permet. Mais cela n’est pas davantage confirmé par la connaissance historique, mais les poètes le conjecturent pour ainsi dire par déduction22.
12L’évêque du viie siècle nie tout rôle de la raison en cette matière et ce n’est pas non plus la Bible qui fournit les arguments, comme chez Augustin, pour rejeter cette notion, mais elle est tout simplement repoussée en tant qu’invention de poètes.
13Au Moyen Âge, le terme s’enrichit d’une acception nouvelle qui s’intègre à la tradition grecque et latine. Tout au long des xiie et xiiie siècles, l’usage de la notion d’Antipodes, entendue comme inferior mundus, ou royaume souterrain, au sens d’une région australe, est souvent littéraire, plus précisément elle apparaît dans les épopées héroïques des chansons de geste, où l’on narre les histoires de guerriers et de chevaliers23. Aussi, dans la littérature médiévale, il existe une tradition importante de textes didactiques et encyclopédiques qui fournissent des descriptions du monde non connu et de ses habitants, où les éléments de la théorie de la sphéricité de la Terre et des cinq zones font surface en se mêlant avec des récits de peuples inconnus et étranges, tels que pygmées, cynocéphales et géants, habitant les régions du monde au-delà des colonnes d’Hercule et de la zone torride, souvent liée au lointain Orient. Ces textes, écrits en langue vulgaire, se rattachent à un imaginaire pour lequel il n’existe pas de borne géographique certaine pour distinguer les lieux du monde dont on a une connaissance vérifiable de ceux inscrits dans la catégorie de l’inconnu ou de l’inexploré, car « c’est peu à peu que le familier, qui ne l’était d’ailleurs souvent que par nom ou par réputation, s’estompait pour se fondre dans l’étrange et le mystérieux24 ».
14Thomas d’Aquin affirme la possibilité que le paradis terrestre soit un lieu géographique situé réellement sur la Terre25. Il pose le problème dans la première partie de la Somme théologique par la question 102 : en opposition à ceux qui veulent y voir un lieu purement spirituel, l’auteur ne se contente pas ici de soutenir l’existence du paradis dans un lieu matériel précis, mais il avance aussi que ce lieu est en Orient. Si les hommes ne le connaissent pas, c’est parce que Dieu l’a entouré de hautes montagnes. Le paradis, en effet, « est coupé de notre habitat par certains obstacles : des montagnes, des mers, ou quelque région brûlante, infranchissable. Et c’est pourquoi les géographes n’ont pas mentionné ce lieu26 ». Quoi qu’il en soit, et tel est le point crucial, il s’agit d’un lieu habitable : « Le paradis a été placé dans un lieu très tempéré, soit sous l’équateur, soit ailleurs27. » Le paradis n’est pas un lieu spirituel inassignable dans le monde, mais un lieu physiquement existant, comme déjà le soutenait Augustin – qui défendait une position « contre la fausse opinion que le Paradis terrestre ne peut être qu’une allégorie28 » – et comme le témoigne plus généralement la représentation de l’Éden dans la cartographie médiévale.
15L’évolution de cette représentation est riche de conséquences : elle participe en effet au passage de la terre à la carte, où le paradis joue un rôle fondamental, car il contribue à consolider « l’équivalence entre le monde et l’image cartographique du monde29 ». D’après l’auteur anonyme d’un ouvrage encyclopédique du xve siècle consacré à la description de la Terre, le paradis terrestre est « une moult noble, saincte, plantureuse, belle et eureuse région qui est située vers Orient, laquelle est séparée et divisée de nous et nostre terre habitable tant par l’ordonnance de Dieu comme par le grand espace de mer et de plusieurs grans et haultes montagnes30 ». Dans cette correspondance entre la carte et le globe, celui-ci devient alors connaissable dans la mesure où sa distribution physique coïncide avec l’espace cartographique, lequel interprète son extension spatiale et temporelle. Au seuil de la modernité, les explorations et les découvertes se présentent comme préfigurées dans une tradition d’hypothèses et contre-hypothèses : les géographes de l’Antiquité devront rendre des comptes aux navigateurs modernes et à l’épaisseur d’une nouvelle littérature de voyage. Bien qu’au Moyen Âge la carte symbolise une prophétie contenant la totalité de l’espace et du temps, la disparition du paradis terrestre de l’espace cartographique moderne n’est pas un signe de la disparition des prophéties.
FRANCHIR LES FRONTIÈRES DU MONDE ANCIEN
16Parmi les savoirs de l’Antiquité que les humanistes redécouvrent avec la renaissance des lettres classiques, la science de l’espace est investie d’un rôle paradigmatique. Si, d’un côté, l’intérêt pour la géographie tend à l’érudition et au culte des Anciens, de l’autre, il donne lieu à une constante réécriture du texte cartographique et au développement de nouvelles techniques de navigation. Les nouvelles cartes sont explorées par les voyageurs comme les cartographes explorent leurs récits de voyage. Les cartes nautiques guidaient la navigation depuis le Moyen Âge, mais à partir du xve siècle, dans un espace tissé par les regards croisés de cartographes et de voyageurs, la perfection de la sphère est confrontée à une nouvelle description du monde, et en particulier de l’hémisphère sud.
17Dans une telle production d’espace, la géosyntaxe est à l’œuvre dans le discours du navigateur lorsqu’il conteste quelques représentations anciennes tout en montrant leurs limites à la lumière fuyante de l’expérience, et permet d’invalider certaines hypothèses, comme celle de la zone torride, mais aussi d’en confirmer d’autres, comme celle des Antipodes. L’espace cartographique se construit à travers son récit et sa mesure ; il est lisible dans la prose des voyages et dans le perfectionnement du calcul, il se constitue sur un arrière-plan imagé dans lequel s’inscrivent symboles, mots, lignes et chiffres. La puissance de cet arrière-plan réside dans sa capacité à intégrer une multiplicité de nouvelles toponymies et de grilles géométriques, dans l’image d’un monde devenu une unité inachevée que le cartographe cherche à contenir dans une totalité toujours provisoire. La pensée géographique est constamment animée par cette dynamique géosyntaxique particulière, propre à l’âge des explorations et intégrée dans le discours de la découverte. L’imaginaire de cette époque, nourri du savoir hérité du passé et de celui des premiers voyageurs modernes, se reflète dans un processus de cartographisation du monde qui ne s’épuisera dans ses grandes lignes qu’au xviiie siècle. Le temps de la découverte s’élargit vers une historicité où le monde, en tant que carte imparfaite, devient un lieu à explorer. Cet espace devient ainsi l’expression d’un savoir géographique appartenant au système humaniste des lettres et des sciences qui s’inscrit, plus généralement, dans la parenté des disciplines et de leurs objets. Ce savoir géographique fleurit à une époque où les conquêtes constituent « une entreprise remarquablement discursive31 », mais sa textualité n’est pas seulement celle des récits de voyages, elle se laisse aussi imprégner par les images cartographiques et leur perspective paradoxale.
18Au siècle d’Henri le Navigateur, les nouvelles cartes montrent un espace inexploré au sud de l’Afrique et de l’Asie sud-orientale. Ces cartes présentent des terrae incognitae étalées sur une partie considérable du monde, alors privé de sa structure en trois parties, Europe, Asie et Afrique, et dévoilent un nouvel espace qui demande à être incorporé dans l’histoire par les voyageurs, les cosmographes et les rois. Les points opposés de la sphère peuvent ainsi être conçus dans leurs relations géométriques, là où les spéculations de l’Antiquité avaient déduit la présence d’un monde analogique et inversé, peuplé par des hommes marchant à l’envers. Dans la variété de ces déductions et la complexité de ces procédés, le savoir des espaces hypothétiques est fondé sur le feu de la zone torride, qui fixe l’impossibilité de l’expérience, et avertit symboliquement le voyageur, impuissant face à l’autorité de l’interdiction spatiale non plus ultra. L’horizon ouvert à la Renaissance n’est pas un dépassement soudain de cette limite par l’action exceptionnelle d’un voyageur au service d’un roi, mais le déploiement d’un ensemble de pratiques textuelles qui établissent un rapport non pas exclusif, mais certainement privilégié avec la cartographie. Cette époque voit un « retour en force de l’astronomie et de la géographie grecques, fondées sur des “hypothèses” qui attendaient d’être mises à l’épreuve de l’expérience32 ». Contestée ou revendiquée, l’expérience se traduit en une variété d’objets qui redéfinissent les limites du monde et instaurent des rapports multiples avec une science cosmographique déterminée par un effort de synthèse face à un ensemble extrêmement hétérogène de domaines et d’auteurs. La cosmographie est en effet le
[…] résultat d’une synthèse culturelle qui unit : le savoir de la cosmologie chrétienne ; la philosophie naturelle aristotélicienne ; les auctores veteres latins […] et grecs […] ; les récits de voyage des auctores novi […] ; les récits de pèlerinages en Terre sainte ; les traités des compilateurs modernes […]. À partir de la fin du xiiie siècle, le savoir oral, transmis par les voyageurs, les marchands, les diplomates, les pilotes de navire, le plus souvent des anonymes, commence à être confronté aux sources écrites antiques et modernes. Des cartographes […] intègrent ces connaissances, notamment dans la description des régions du nord de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, et à partir du xve siècle des « nouveaux mondes33 ».
19Une fois perdue son autorité, ou encore sa capacité d’imposer une frontière et d’interdire son dépassement, le feu de la zone torride n’est plus le garant de cette ancienne hypothèse, ce qui, finalement, ouvre l’espace des périples modernes, ainsi libérés de l’interdiction et encouragés à découvrir la nature problématique de l’expérience et la multiplicité des mondes.
20L’existence d’une zone torride infranchissable sera démentie par les voyageurs, dont les chroniques finissent par se rejoindre dans un topos littéraire. Le marchand vénitien Alvise Ca’ da Mosto, explorateur des côtes africaines vers la moitié du xve siècle, atteint une contrée « qui depuis notre premier père Adam ne fut, semble-t-il, jamais visitée jusqu’à ce jour34 ». Il s’agit d’une expérience définie comme n’ayant pas de précédent, présentée à la fois dans la difficulté d’être saisie, dans l’ambiguïté du prisme de l’explorateur et dans la nécessité de produire des repères. Le monde préfigure une étendue appartenant à un ordre de grandeur qui dépasse physiquement les limites de la terra cognita, et qui excède métaphoriquement l’abondance de l’espace à répertorier. C’est pourquoi la découverte fondamentale de ladite « époque des découvertes », métaphysique en un sens, est la navigabilité de la Terre dans sa totalité. En effet, si la conscience intermittente de cette dimension fondatrice et structurante est une puissante source symbolique du déplacement moderne, les navires s’éloignent non sans hésitation de l’ancienne terre habitée pour atteindre la certitude que la terre est partout habitable.
21Dans un monde qui apparaît comme signe de sa propre cartographie, ce sont les lieux prédits par la carte qui rendent possible l’exploration. Pour celle-ci, en effet, le tracé provisoire des terres, des océans et des astres est un effet de la géosyntaxe, c’est-à-dire de la logique qui opère dans la construction d’une chaîne de lieux aussi bien que dans les énoncés déposés dans la carte ayant valeur toponymique, comme la mention terrae incognitae figurant dans toutes les cartes modernes. Ces topoi sont en même temps des lieux du monde et des lieux littéraires, car le récit d’exploration participe de la pensée géographique en se constituant comme source et comme matière première des cartographes. Des relations syntaxiques particulières entre les mots génèrent les énoncés qui ont l’inconnu pour objet. Dans ces relations, l’espace à explorer, enveloppé de narrativité, est forgé avec une matière malléable que le cartographe transpose sur un plan géométrique, dans un double effort de synthèse et d’analyse. Vraisemblablement, ce n’est pas l’espace qui fait l’objet de la prose de l’explorateur, c’est plutôt le récit de voyage qui constitue l’espace, au sens où il le précède. L’espace peut alors être considéré comme une mise en prose, et l’étendue de la surface de la Terre comme un récit inachevé. Ainsi, une différence fondamentale existe entre une géosyntaxe obéissant à l’idée que tout est prévu d’avance et une géosyntaxe privilégiant ce qui ne peut dériver d’un modèle préexistant. En tant que modèle, la géométrie de la sphère permettait de fonder une théorie climatique qui prévoyait une limite infranchissable. Mais l’effacement de cette limite, avec pour effet l’ouverture d’un espace global inédit, n’est pas seulement la substitution d’un modèle à un autre : il s’agit bien d’une mutation profonde de la fonction même du modèle.
22La prolifération des cartes du monde n’est pas à envisager comme la démultiplication de prétentions à la vérité, car le caractère de chacun de ces portraits est déterminé plutôt par les mises à jour et par leurs projections dans l’avenir, dont aucune ne se veut définitive. La création du monde par un démiurge appartient à un temps mythologique et a un caractère irrévocable, alors que l’ouvrage du cartographe est celui d’un artisan qui crée le monde au temps présent. La prédiction cartographique de régions inconnues, encore inexplorées mais qui seront dévoilées dans l’avenir, tient d’une volonté constante de dépasser non seulement le monde ancien, mais aussi le monde contemporain : « Nos usages, nos lieux et nos modes de vie, en comparaison de ce que j’ai vu et entendu, pourraient à juste titre appartenir à un autre monde35. » Le déplacement s’oriente vers une spatialité périphérique configurée à une échelle dont la grandeur est censée être obscure, où la relation des espaces se charge d’objets qui assument tant une portée scientifique qu’une signification littéraire, et constituent les limites extrêmes de la dialectique entre les terres connues, les terres inconnues et les signes des terres à découvrir. Un tel déplacement spatial comporte un dépassement temporel, d’où la représentation de l’histoire moderne comme succession de découvertes, imaginées comme une série d’additions d’espaces que les Anciens ont ignorés et que la Bible n’a pas prévus. La logique de la construction de ces espaces s’étale à la manière d’une toile qui présente des lieux communs, des liens persistants dans l’expérience littéraire, comme celui de la puissance d’une nature sans histoire. Si la découverte d’un peuple inconnu implique son entrée dans l’histoire, alors la condition de son atemporalité est dictée par le caractère de nouveauté historique attribué à l’espace qu’il habite. Il s’agit d’un espace dont le récit littéraire peut précéder la découverte et dont la cartographie anticipe les premiers pas des navigateurs sur ses terres, dans la description de la faune et la flore, dans la stupeur face aux éléphants et aux hippopotames, dans l’éloge de la fécondité d’une terre jeune qui produit des arbres de très grande taille tel le baobab, qui acquiert un sens imagé car il « témoigne de la bonté du terroir et de la fertilité de ce pays36 ».
23Dans un espace ultra descriptionem Ptolomei, le voyageur moderne s’appuie sur une culture géographique ancienne qui nourrit son imaginaire pour, à la fois, l’élargir et la démentir37. L’idée d’une zone torride est rejetée par le portugais Diogo Gomes dans ses périples en Guinée : dans son récit, il réfute l’hypothèse de l’inhabitabilité de cette zone et même s’il accorde à Ptolémée d’avoir produit une bonne description du monde, Gomes juge erronée cette partie de sa géographie38. La carte d’Henricus Martellus (1489) fournit une image de la Terre connue dans ses trois parties où le continent européen occupe une place réduite et périphérique, l’Afrique est montrée dans son ensemble et la majeure partie de l’espace terrestre appartient à l’Asie. On y voit les découvertes liées à l’exploration des côtes africaines, notamment celle de Bartolomeu Dias qui, à l’occasion de son voyage, en 1487-1488, double le premier le cap de Bonne-Espérance et permet ainsi de réfuter l’idée ptoléméenne d’un océan Indien clôturé, tout en intégrant les nouvelles découvertes géographiques avec une nomenclature littéraire provenant de Marco Polo39. Quant à Christophe Colomb, il ne s’éloigne pas de l’idée selon laquelle après la chute d’Adam, Dieu avait déplacé le paradis aux Antipodes, lorsqu’il croit avoir débarqué sur les terres de l’Éden40. Diffusée à travers les traductions et réimpressions de sa lettre De insulis nuper inventis, sa découverte n’égale pas celle d’Amerigo Vespucci qui, contrairement à Colomb, est conscient de la portée de son entreprise. Les écrits du Florentin constituent en effet une prise de position au sens fort, qui laisse clairement entendre à l’Europe que cette partie du monde était inconnue des Anciens.
24Si de son côté, Diogo Gomes dément l’autorité de Ptolémée, Vespucci considère erronée l’idée, défendue par certains philosophes, d’une zone torride infranchissable en affirmant alors le principe selon lequel l’expérience a plus de poids que la théorie41. Sur cette base, non sans fierté, il peut également affirmer avoir été aux Antipodes, dans des terres habitées, avec une certaine indépendance de pensée42, sans laquelle il n’aurait pu donner le titre efficace de Mundus Novus à sa célèbre lettre sur un continent que les Anciens ont ignoré43. Les écrits de Vespucci ont un rôle crucial dans la formation de l’image cartographique du globe comme ensemble de terres à découvrir. La singularité de son intuition et son érudition lui permettent de mesurer la portée des découvertes récemment accomplies : cette prise de conscience se traduit par la certitude d’être en dehors non seulement de la géographie des Anciens, qu’il connaît bien, mais aussi des représentations du monde attachées au partage classique de celui-ci en trois parties. Vespucci rédige ses voyages et fixe « sa » découverte dans ses lettres car elle ne figure ni chez les Anciens ni chez les Modernes44. Le récit et l’esprit de son écriture seront la source de la célèbre carte de Waldseemüller (1507) où seront représentés quatre continents et où le toponyme « America », dérivé du nom du voyageur italien, fera sa toute première apparition45. Sur ce point, le titre de sa Cosmographiae introductio46, livret accompagnant les cartes géographiques, est éloquent car tout en se situant dans la tradition ptoléméenne, il la dépasse au profit d’un Nouveau Monde qui apparaît comme un continent séparé des autres, baigné par un océan de chaque côté. D’autres auteurs republient cette carte avec des variations et Waldseemüller même la réédite en 1513 avec les termes Terrae incognitae en substitution de la nouvelle toponymisation.
25En 1523, le philosophe Pietro Pomponazzi tient à Bologne une leçon sur le deuxième livre des Météorologiques d’Aristote, sur la question des propriétés de l’hémisphère sud de la Terre, sur l’idée d’une zone torride infranchissable et l’objection à l’idée des Antipodes par Augustin. En accord avec les explorateurs, Pomponazzi affirme le primat de l’expérience dès lors qu’une contradiction se présente entre cette dernière et la raison. Afin de prouver l’invalidité de la théorie aristotélicienne de la Terre, Pomponazzi raconte à ses élèves qu’il a reçu, peu de temps auparavant, la lettre d’un ami voyageur ayant franchi les colonnes d’Hercule, fait le tour du monde, navigué au-delà de la zone torride et parcouru l’hémisphère austral. Et surtout, cet ami aurait trouvé des centaines d’îles, dans un climat tout à fait agréable rendant ces régions habitables comme celles de l’autre hémisphère. Ainsi le philosophe italien proclame-t-il « la banqueroute de la cosmographie aristotélicienne47 ». Quant à l’auteur de cette lettre, il s’agit d’Antonio Pigafetta, chroniqueur de l’expédition de Magellan accomplissant la première circumnavigation du globe et démontrant empiriquement l’ancienne hypothèse de la sphéricité de la Terre. Les contemporains de Magellan voient dans cette entreprise une prouesse héroïque n’ayant pas eu d’égale chez les Anciens, qui ne pouvaient qu’être dépassés par ce voyage fondateur de l’imaginaire de tous les périples d’exploration des Modernes. Dans l’incertitude de la signification de la découverte, les navigateurs sont conscients du dépassement de la géographie classique et transforment les éléments « excédents » en motif omniprésent dans la littérature de voyage et en élément formel qui caractérise et définit le genre48.
26Au milieu du xvie siècle, André Thevet souligne la contradiction avec le savoir des Anciens, lesquels « ont dit qu’il n’était possible toutes les parties du monde être habitées : l’une pour la trop grande et insupportable chaleur, les autres pour la grande et véhémente froidure49 ». Qu’il soit formulé explicitement ou non, l’usage polémique de la notion d’expérience permet de montrer que les régions les plus éloignées peuvent être habitées, comme le démontrent les terres découvertes et comme le confirmeront sans doute les terres à découvrir. Si les Anciens ont élaboré une théorie qui nie la possibilité de dépasser la ligne équatoriale pour naviguer dans l’autre hémisphère, c’est parce qu’ils ont « parlé par conjecture et non par expérience50 ». Très largement répandue dans ce genre de discours, l’idée d’un monde habitable dans tous les continents répertoriés et à répertorier ouvre l’horizon du discours géographique sur les Antipodes et devient un incontestable argument en sa faveur :
Je sais bien qu’il y a plusieurs opinions des Antipodes. Les uns estiment n’y avoir point ; les autres que s’il y en a, doivent être ceux qui habitent l’autre hémisphère, lequel nous est caché. Quant à moi, je serais bien d’avis que ceux qui habitent sous les deux pôles (car nous les avons montrés habitables) sont véritablement antipodes les uns aux autres51.
27La culture cosmographique de la Renaissance, dépassant le partage du globe en zones franchissables et non franchissables, navigables et non navigables, habitables et non habitables, tend paradoxalement à considérer la Terre comme un inépuisable objet d’exploration dont l’unité est à compléter. Interroger l’unité de l’espèce humaine ne va pas sans interroger son origine, d’où les jugements plus ou moins explicites sur les limites des conceptions chrétiennes traditionnelles. L’humaniste espagnol Pedro Mejía souligne les raisons théologiques de l’erreur d’Augustin, lequel « n’a pas voulu confesser qu’il y avait [des hommes aux Antipodes] pour qu’on ne lui dise pas qu’ils ne venaient pas d’Adam52 ». Exprimant le même sentiment, d’ailleurs largement répandu, André Thevet expose la véritable raison du refus des Antipodes chez Augustin et affirme : « Il falloit qu’il y eust eu une double creation de l’homme dès le commencement, sans que ce fust d’un seul Adam, que toute la race des hommes eust pris son origine. C’est ce qui a fait disputer sainct Augustin contre les Antipodes53. » Cette polémique trouve également un écho chez Francis Bacon rappelant que chez les Anciens la théorie de la sphéricité de la Terre impliquait l’existence des Antipodes, « ce qui les fit mettre en accusation par certains des anciens Pères de l’Église54 ».
28Le dépassement de ces partages est pourtant loin d’être la conquête d’une certitude. Les répercussions du discours de l’exploration impliquent un ensemble de savoirs et d’énoncés attestés par la réécriture du texte cartographique. Le recul des limites physiques et symboliques entraîne une ouverture au sens où même l’espace exploré devient la source d’un savoir nouveau, traversé par une téléologie dont la logique spatiale implicite éclaire rétrospectivement le savoir ancien. De nouvelles connaissances succèdent aux découvertes, lesquelles apparaissent comme un effet de la présence cartographique des terrae incognitae. À l’âge des explorations, la géosyntaxe assume alors un rôle de vecteur de cette logique de l’image et de la prose du voyage. Par l’analyse de cette dynamique, il est possible de saisir le caractère normatif de l’épistémologie de l’exploration, au sens où elle impose à des zones de la mappemonde un caractère provisoire susceptible d’être modifié. Dans les cabinets de curiosités et les ateliers cartographiques, la mise à jour de l’image du monde est interminable et la production de cartes n’est proportionnelle qu’à celle de l’« expérience » des récits de voyage. L’exploration inscrit l’espace parcouru dans un récit ayant la capacité d’être intégré dans la carte et d’orienter le regard de celle-ci. En ce sens, précisément, le savoir de l’explorateur s’inscrit dans le voisinage d’une expérience qui n’a pas encore été faite avec des lieux qui restent inexplorés.
29C’est le cas, par exemple, du toponyme Terra ultra incognita qui, dans la carte de Waldseemüller fondée sur le récit de Vespucci, renvoie au côté ouest de l’Amérique méridionale. Cette toponymie montre la porosité entre le connu et l’inconnu que la prophétie cartographique signale comme terre à découvrir. Entre ces deux catégories les transferts se multiplient, et c’est justement par la fréquence de ces derniers que l’espace inconnu devient une présence au sens fort, dans laquelle les représentations proprement modernes du savoir trouveront un modèle. En ce sens, la mise en récit – de plus en plus pratiquée – de l’exploration est une manière de connaître le monde, qui apparaît comme la source directe d’une nouvelle forme de connaissance. La « prédiction cartographique » n’est pas mise en doute par la différence entre connu et inconnu, différence qui relève de la projection de l’espace sur le temps, mais est paradoxalement renforcée par la tension épistémologique entre découvertes récentes et découvertes imminentes. La carte, en tant que dépositaire d’un savoir encyclopédique, mais aussi en tant que modèle gnoséologique, interprète ce décalage en justifiant l’horizon d’attente dont elle est le garant. Tout en restant dans une conception aristotélicienne de l’univers, certains aspects de la géographie classique et médiévale sont critiqués à partir de la Renaissance en tant que spéculations sans fondement. Si l’âge des explorations commence par le discrédit de la théorie des cinq zones et de l’inhabitabilité des Antipodes, l’hypothèse d’une grande Terre australe est, au contraire, renforcée jusqu’au siècle des Lumières, où cette dernière fera l’objet de spéculations et théories scientifiques en sa faveur. Pour cette raison, aussi bien les discours que les pratiques liées à ce continent sont particulièrement révélateurs du caractère épistémologique, au sens le plus large, de l’exploration de l’hémisphère sud. La revendication de l’expérience par les voyageurs est difficile à saisir, surtout parce qu’elle est réélaborée par la syntaxe du cartographe. Sa nature appartient tant aux lettres qu’aux sciences et concerne aussi bien l’érudition du chroniqueur que ses connaissances astronomiques et mathématiques ou encore la rigueur des catégories de « naturaliste » dont il dispose. L’expérience du voyage institue un pouvoir discursif qui n’est pas seulement descriptible d’un point de vue rhétorique, un pouvoir investi dans le récit, c’est-à-dire dans la traduction problématique du déplacement physique d’un navire sur la carte géographique par des procédés narratifs. La force épistémologique de cette revendication de l’expérience n’est pas négligeable, tout comme elle n’est l’apanage ni de l’histoire des lettres ni de celle des sciences. Elle relève de leur commune appartenance au système humaniste des savoirs, source d’une hétérogénéité structurée en genre littéraire, construite en chronique de voyage, autolégitimée comme secret caché aux Anciens dévoilé aux Modernes et présentée au pouvoir comme le plus puissant instrument de conquête.
30En tant que mixte d’exploration et de cosmographie, les zones d’ombre de la carte sont redéfinies par la possibilité de créer un lieu de projection de l’expérience hors de son domaine. Le déplacement du navire a lieu à la surface d’une carte, c’est-à-dire dans l’espace fragmenté par l’abondance prosaïque du particulier et par les unités de mesure du calcul d’un point géographique. L’espace ainsi décomposé devient objet d’un regard aérien largement abstrait, qui recompose les lieux pour forger une image à partir d’une matière hétérogène, car si celle-ci est à la fois scientifique, technique, littéraire et rhétorique, aucun de ces domaines ne constitue une discipline autonome. Intégrée aux cartes géographiques dans lesquelles, sous la normativité du monde inachevé, une synthèse d’observations et d’hypothèses apparaît, la prose de voyage acquiert alors un statut scientifique. Derrière cette synthèse, une structure intertextuelle se déploie, donnant à la fois un contenu, en mesure de faire signifier l’image, et une forme, en mesure de contenir sa toponymie.
31La distinction entre ce qui est cartographiable par l’imagination et ce qui est réellement géographique ne peut rendre compte de la ductilité propre aux masses terrestres ni de la complexité des rapports entre l’écriture et le dessin des cartographes. La tentative de séparer rigoureusement une géographie de l’esprit d’une géographie physique, ou un espace imaginaire et poétique d’un espace objectif et scientifique, risque de négliger un aspect décisif, car l’épistémologie de l’inachevé s’articule sur des éléments étrangers à ces distinctions. Une telle césure au sein de la pensée géographique serait incompatible avec un cadre où les renseignements des voyageurs sont inévitablement fragmentaires, les repères de la navigation incertains et la particularité des choses indissociablement pénétrée par l’intertextualité, à son tour problématique dans sa double ouverture vers le monde et vers le livre. Si la cartographie est le langage de la géographie, et s’il est question de saisir les modalités de fonctionnement très particulières de ce langage, alors aucune « inexactitude » cartographique ne peut être opposée à l’espace réel.
32La Terre australe trouve l’une de ses premières représentations dans le globe de Johan Schöner de 1515. Celui-ci présente le Nouveau Monde comme un continent aux contours indéfinis, encadré par une sémantique de l’inconnu qui rend nécessairement floue la ligne qui sépare l’océan de la terre. Dans sa partie septentrionale, nous lisons Ulterius incognita terra et, dans la partie méridionale, en écho à la carte de Waldseemüller par laquelle elle a principalement été influencée, Terra ultra incognita. Au-dessous de l’Amérique du Sud apparaît un autre grand continent sous le toponyme Brasilie regio, avec au nord un détroit55, qui deviendra un lieu de référence pour l’imaginaire des grandes découvertes, et une région nommée Magellania par les cartographes en hommage au voyageur portugais. D’autres exemples pourraient être évoqués : dans une carte de 1529, Franciscus Monachus représente une masse terrestre qui réapparait dans celle d’Oronce Fine de 1536.
33Tant cet hypothétique continent austral que le Nouveau Monde se présentent dans la variété de leurs configurations, comme c’est aussi le cas dans certaines cartes où les deux Amériques sont séparées par un détroit, et où la partie nord du continent est jointe à l’Asie56. La narration du voyage de Magellan sert aux cartographes à « identifier » une région australe située au-delà de son propre récit, au sud du détroit qui devient la frontière entre le Nouveau Monde et « la terre australe récemment découverte mais pas encore explorée entièrement », comme l’affirme la légende de la carte de Fine. Celle-ci laisse voir un territoire d’une étendue considérable, dont les formes sont minutieusement représentées. Le procédé consistant à préfigurer des lieux et à situer leur découverte dans l’avenir est à l’œuvre dans la carte de Fine, qui porte une mention révélatrice de l’horizon de sens de l’exploration de cette région du monde jusqu’au xviiie siècle : « Il est certain qu’une terre doit exister ici, mais ses dimensions et ses limites sont inconnues. »
34L’ancienne hypothèse d’une masse terrestre ayant la fonction de garantir l’harmonie de la sphère est confirmée par l’Atlas monumental de Gérard Mercator, qui se propose de fournir une description du monde aussi précise que possible et de l’intégrer dans le cosmos. Mercator entend reproduire la figure d’ensemble du monde, comprenant la sphère céleste et la sphère terrestre, entre lesquelles se perpétue l’espace cosmographique. Dans sa carte du monde, Orbis Imago (1538), on aperçoit à l’extrémité méridionale de l’Amérique du Sud un continent qui porte la mention « Il est certain qu’il y a ici des terres, mais on ne sait pas combien ni quelles en sont les limites ». En outre, dans un globe réalisé trois ans plus tard, en 1541, Mercator livre une considération sur la Terre australe : « Notre monde n’a eu que tout récemment accès à cette cinquième partie, qui est probablement la plus vaste que nous puissions imaginer, mais à l’exception de quelques côtes, elle n’est encore que fort peu explorée. » En 1569, il achève un de ses grands ouvrages, la carte du monde intitulée « Nouvelle carte augmentée du globe terrestre, mieux adaptée aux besoins des navigateurs », où le continent austral est indiqué comme la troisième partie du monde, complétant ainsi les deux premières : l’ancien et le nouveau. L’Atlas posthume de 1595, son travail majeur, confirme cette représentation.
35Toujours concernant la Terre australe à découvrir, un autre cartographe propose une des représentations les plus diffusées à la charnière du xvie et du xviie siècle : dans son Typus orbis terrarum (1570), Ortelius identifie l’Amérique à l’Atlantide décrite par Platon et montre une spectaculaire Terra australis nondum cognita, ou « Terre australe encore inconnue ».
36Ainsi, au cours de la deuxième moitié du xvie siècle, l’image du monde redessinée par l’exploration s’affirme avec la naissance des premiers atlas modernes de Mercator et d’Ortelius, qui remplaceront progressivement la géographie de Ptolémée tout en l’intégrant aux nouvelles images du monde. Le lien entre les représentations anciennes et nouvelles est dynamique, car pendant les xve et xvie siècles, le travail des cartographes met à jour les travaux de Ptolémée en ajoutant de nouvelles cartes aux éditions de sa Géographie qui augmentent et prolongent ses Terrae incognitae.
37Fernández de Quirós, explorateur portugais au service de la couronne espagnole, ira à la recherche de ce nouveau continent pour en prendre possession au nom du roi. En 1606, il affirme avoir enfin découvert la Terre australe dans le Pacifique sud et s’érige en nouveau Christophe Colomb, porteur d’une « mystique découvreuse57 ». S’il existe une modalité de voyage problématique à cette époque, c’est bien celle representée par l’expédition de Quirós : s’en débarrasser en la réduisant aux critères de l’empiricité pour la considérer comme un échec58 revient à sous-estimer le véritable enjeu, à savoir la nature du régime de spatialité sous lequel l’exploration connaît effectivement le monde.
38Le continent austral, dont l’existence était rendue nécessaire par la cosmologie aristotélicienne, fondée sur la centralité de la Terre dans l’univers, garde son statut d’entité géographique et devient un topos, tant pour les chroniques de voyage que pour la fiction en prose. Dans un de ses dialogues, Pedro Mejía considère la première circumnavigation du monde comme une preuve que les Antipodes ne sont pas si différentes et qu’elles sont peuplées d’hommes : « Ceux qui habitent sur la face de la Terre qu’on appelle antipodes sont, comme nous sommes, naturellement et proprement, et si l’autre part de la terre n’était comme celle-ci, et les choses lourdes pouvaient aller vers les cieux, alors Magellan et ses navires n’auraient pas pu arriver là-bas59. » Quant à Barthélémy, personnage cervantien, il avoue sa difficulté à croire aux théories cosmologiques qui décrivent la structure de l’univers tout en affirmant que l’existence éventuelle d’Antipodiens, au sens étymologique du terme, exigerait qu’ils aient « la tête en bronze60 » ; son interlocuteur Périandre répond en soulignant que « toute la terre a toujours le ciel au-dessus d’elle, et en quelque part que les hommes soient, ils sont couverts par le ciel. Or donc, de même que le ciel que tu vois nous couvre, il couvre aussi les antipodes61 ». Ces fragments littéraires témoignent d’une large diffusion de la notion d’Antipodes et de la cohérence de sa signification au sein d’une conception aristotélicienne de l’univers physique. Dans un cadre géocentrique, l’hémisphère austral étant conçu comme nécessairement plus lourd, la concentration de terres dans cette région doit être par conséquent majeure, ce qui garantit la stabilité du globe. La forme de ce dernier demande ainsi un contrepoids physique qui opère mécaniquement dans sa partie inférieure et qui en assure l’équilibre62, idée qui resurgit tout au long de la Renaissance jusqu’aux Lumières. L’hypothèse des Antipodes est également défendue dans un contexte héliocentrique, où son statut de scientificité n’est nullement remis en cause63 : dans le passage d’un système astronomique à l’autre, cette représentation est donc conservée.
39À l’instar de Mejía, Thevet et Bacon, le copernicien Campanella identifie le refus des Antipodes aux positions doctrinaires des Pères de l’Église, qui n’ont pas de compétence en matière cosmologique. D’après le philosophe italien, Lactance et Augustin nient l’existence des Antipodes par nécessité ; ils ne peuvent, en effet, approuver ce qui ne s’accorde pas avec l’Écriture. Pour l’un et l’autre, il est résolument impossible que cette région du monde soit habitée, car une telle hypothèse suppose que ses habitants ne descendent pas d’Adam ; de plus, à leur époque, la zone torride empêchait toute navigation entre les hémisphères. Dans un texte publié en 1622, Campanella écrit :
[…] nous voyons aujourd’hui que ces arguments sont faux par manque de connaissance en mathématique et en cosmographie ; et c’est aussi pourquoi l’Écriture a été tourmentée. Et de même que l’opinion de saint Thomas selon laquelle dans la région équatoriale il n’existe pas d’habitat humain, s’est avérée fausse du fait d’un semblable manque de connaissance en physique et en géographie64.
40En dépit des Pères de l’Église, la connaissance scientifique s’affirme en présentant un contre-argument, l’expérience de l’exploration, précisément, intégrée à d’autres domaines tels que les mathématiques et la physique. Dans la querelle géographique, où sont mis en question le savoir des Anciens et l’autorité de la théologie, c’est l’autorité du récit de voyage qui fournit les arguments décisifs et acquiert un statut épistémologiquement fort. À propos des auteurs ayant situé le paradis terrestre dans l’hémisphère sud, Campanella écrit en effet que « le témoignage des navigateurs montre aujourd’hui qu’ils se sont trompés65 ». La référence au récit de voyage, et notamment à l’expérience du monde dont il se réclame, devient un argument scientifiquement et philosophiquement convaincant dont les usages dépasseront dans une large mesure ceux liés directement à la querelle des Antipodes.
41La découverte de la pensée géographique des Anciens et celle de l’existence du Nouveau Monde ont une relation contradictoire parce que, à partir de la fin du xive siècle, les hypothèses antiques sont en partie démenties et en partie confirmées. L’ancienne hypothèse des Antipodes est confirmée par les voyageurs modernes, mais c’est leur expérience qui dément la théorie des cinq zones et le verdict des Pères de l’Église sur l’existence d’une zone torride. Alors qu’au Moyen Âge la cartographie fournissait un savoir pratique au marin naviguant le long des côtes de la Méditerranée sans fournir de coordonnées précises, à partir du xve siècle, les cartes déploient leur grille de méridiens et parallèles sur un espace géométrisé. Cette grille n’exclut pas la géosyntaxe, dans laquelle coexistent des sources antiques, médiévales et modernes, et des références si éloignées dans le temps sont encadrées sur un même plan cartographique. Ptolémée, Marco Polo, l’Écriture et les navigations modernes ont une proximité spatiale dans un imaginaire cosmographique structuré par des textes éloignés dans le temps, mais voisins sur la carte.
42La dualité de la carte, à la fois outil de navigation et support contemplatif d’une représentation du monde66, ne constitue qu’en apparence cette géographie, motif pour lequel la géométrie et la syntaxe de l’espace ne sont pas toujours concurrentes. La carte de Waldseemüller, se référant aux côtes africaines, porte l’affirmation suivante : « Ici il y a un Léviathan, un dragon marin qui se dispute fréquemment avec une baleine », et les océans du globe de Schöner sont peuplés de monstres marins dont les sources se trouvent, en partie, dans la tradition des bestiaires médiévaux67. Lorsqu’un territoire est découvert, il est transposé, traduit et transcrit sur la carte afin que le lieu puisse être retrouvé par de futurs voyageurs. On pourrait penser qu’au-delà des colonnes d’Hercule, les découvertes devenues objets de récits merveilleux correspondent à des espaces voués à ne jamais plus être retrouvés, car la fonction pratique de la carte semble affaiblie par une « géographie de l’esprit » et l’objectivité de sa fonction référentielle abandonnée au nom de la fiction, cette dernière étant exclue du domaine des explorations scientifiques. Dans cette perspective, le cartographe devrait donc viser le souci de précision et de transparence de la carte ; le perfectionnement de sa science conduirait à une correspondance croissante entre les mots et les choses et, par conséquent, aboutirait à l’abandon progressif des résidus mythologiques, fantastiques et métaphoriques en faveur de l’impartialité de la grille géométrique.
43Mais dans le cadre des savoirs appartenant au régime des belles-lettres, l’inventaire des lieux du monde est une activité, traversée par le langage cartographique, qui est possible grâce à la circularité entre texte et image. Ces récits ne sont pas forcément soumis à un processus de perfectionnement, ils sont plutôt le produit de relectures et de réécritures, et la seule téléologie avec laquelle ils sont en relation renvoie à la signification structurante et paradigmatique de la terra incognita qui, loin d’être un obstacle pour la géométrisation du monde, en fournit au contraire la motivation essentielle. Le monde comme objet à explorer est une configuration singulière dont les effets se déploient sur un espace entièrement navigable, où entre connu et inconnu, les navigateurs comme leurs rois perçoivent un rapport encore très disproportionné. Cette disharmonie acquiert un sens profond dans le passage problématique à une échelle spatiale et temporelle majeure, ou plus précisément dans l’élargissement d’une géographicité et d’une historicité nouvelles. Le décalage entre le connu et l’inconnu ne peut exister que là où le monde reflète sa carte, construite sur les voyages qui résonnent dans sa profondeur. Si la carte est un ouvrage inachevé, alors le monde le sera aussi : ceci ne signifie pas que l’un et l’autre peuvent être achevés, mais renvoie au fait que derrière l’horizon des découvertes récentes apparaissent de nouvelles terres, à une époque où le Nouveau Monde n’est que le précédent pour d’autres espaces à explorer, sur une carte qui est un dessin tiré d’un récit. Il existe une manière de naviguer consistant à s’orienter vers ce qui est présenté par la toponymie comme inconnu, selon une modalité de déplacement particulière qui exige, justement, une carte du monde dont l’exploration est en cours.
44Or les aspects pratiques et politiques de la cartographie de l’exploration, bien que évidemment nécessaires à sa compréhension, n’épuisent pas sa portée épistémologique. Le monde est sans doute un objet à renfermer dans des coordonnées pour être présenté au regard du souverain, mais il est aussi un reflet imparfait de la carte. La Terre est en partie inconnue, car sa mappemonde est un ouvrage inachevé doté d’un certain pouvoir de fascination, justement parce qu’il se présente comme tel. La politique fait inévitablement partie de la métaphore de l’ouvrage incomplet et, sans la contrôler, détermine la représentation de la surface terrestre sur laquelle ses enjeux sont latents. Les visées colonialistes font du globe un instrument indispensable pour répertorier et administrer des terres, et pourtant le roi ne maîtrise pas l’inconnu. La carte interprète le pouvoir pour lui rappeler ce qu’il a toujours su : le voyage est une conquête. Il contient la science de l’espace destinée à guider une action visant sa possession. En ce sens, le caractère politique des savoirs géographiques relève d’un rapport entre expansionnisme et disponibilité des connaissances d’un territoire. « Il serait plus facile de prendre en mains un pays si l’on connaissait ses dimensions, sa situation relative, les particularités originales de son climat et de sa nature68 » : voilà une idée qui était déjà présente dans l’Antiquité. Dans cette perspective, une distinction est nécessaire entre la vocation globale de la géographie à peindre un portrait de la Terre dans son ensemble, et l’utilité pratique de la chorographie, ou la connaissance particulière d’une région, dans un affrontement : « La pratique de la Guerre ne demande à la vérité qu’une connoissance générale du Globe Terrestre ; mais elle en veut une très détaillée du Royaume, & en particulier de la Province qui sert de théâtre à la Guerre69. » Pourtant, s’il est admis comme caractère essentiel de la cartographie moderne que les cartographes fabriquent du pouvoir et créent un panoptique spatial70, plus ou moins à grande échelle, leur travail dépasse la simple interprétation du contrôle et de l’expansion du royaume.
45Le processus mis en œuvre par ces dispositifs dans leur traitement du royaume consiste à décrire, répertorier, transposer, estimer et vérifier des relations spatiales, lesquelles s’inscrivent, même indirectement, dans la logique suivie par la disposition des masses terrestres et océaniques dans l’espace du globe. La tension avec la totalité de ce dernier produit un excédent qui n’est pas prévu par les opérations de la grille politique. Le régime de spatialité de l’exploration se distingue, par la nature différente de ses objets, du panoptique spatial : dans le champ du premier séjournent des objets qu’un dessin de contrôle ne prévoit pas. Inversement, le périple des terrae incognitae n’est possible qu’à partir du moment où la frontière de la domination est franchie. Cette modalité de déplacement est en rapport tant avec les espaces réels, historiques et politiques, qu’avec les espaces hypothétiques et spéculatifs qui ne répondent pas nécessairement aux mêmes critères. Si, d’une part, l’image de tels espaces est impliquée dans l’intertextualité et dans la parenté des savoirs, d’autre part, elle se présente comme singularité en tant que production d’un régime de spatialité. La perspective aérienne paradoxale d’une mappemonde constitue l’instrument d’un pouvoir sur le territoire, mais cette totalité est provisoire et destinée à être reconfigurée. Au-delà des terres découvertes, il y en a d’autres, et au-delà, d’autres encore. Le geste du panoptisme consiste à donner au monde une forme pouvant être renfermée dans sa spatialité et dans sa temporalité. Or le statut du continent austral correspond à celui d’une entité géographique non contrôlable, non délimitée, non définie, et par conséquent il ne s’adapte que très partiellement aux exigences de tout voir et de tout fixer sur une carte.
46Le panoptisme n’est alors qu’un aspect secondaire du régime de production de l’espace de l’exploration, où la multiplication d’images du monde doit principalement être fondée dans le sentiment qu’aucune ne sera la dernière. De tels portraits sont des mises à jour d’un objet inépuisable du point de vue des chercheurs d’or et inachevable du point de vue de l’épistémologie de l’exploration. L’âge classique et les Lumières ne manquent pas de projets de colonisation du continent austral, révélateurs de l’horizon d’attente de certains voyages dans l’hémisphère sud et de la nature de l’espace qu’ils ont traversé.
Notes de bas de page
1 Diogène Laërce, Vie et doctrine des philosophes illustres, op. cit., VIII, 25-26, p. 962. Sur les Antipodes comme point de vue, voir Simon Ryan, The Cartographic Eye. How Explorers saw Australia, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, en particulier « Antipodality and Conceptions of the World », p. 105-112.
2 Ibid.
3 Hans Blumenberg, Paradigmes pour une métaphorologie, op. cit., p. 9.
4 Platon, Timée, Paris, Flammarion (GF), 1992, 20a, p. 103.
5 Ibid., 33b, p. 123.
6 Ibid., p. 122.
7 Ibid., 34a, p. 123.
8 Ibid. Christian Jacob souligne l’importance de cet aspect « démiurgique de l’acte cartographique », L’empire des cartes, op. cit., p. 22.
9 Une méthode scientifique n’est pas strictement nécessaire pour avoir une connaissance scientifique, car « seul le système d’axiomes d’une théorie scientifique contient une information qui mène à ce que nous appelons “connaissance scientifique“ », Luc Brisson, F. Walter Meyerstein, Inventer l’univers. Le problème de la connaissance et les modèles cosmologiques, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 12.
10 Aristote, Météorologiques, Paris, Les Belles Lettres, 1982, II, 5, p. 79.
11 Strabon écrit « si l’on veut à l’aide d’une maquette des lieux habités cerner au plus près de la réalité, il faut représenter la terre par une sphère comme l’a fait Cratès », Strabon, Géographie, op. cit., II, 5, 9, p. 90.
12 Ibid., I, 4, 6, p. 171.
13 Strabon, Géographie, op. cit., II, 5, 13, p. 94.
14 Lactance, Divinae Institutiones, III, 24, « Des antipodiens, du ciel et des astres », dans Pierre-Noël Mayaud, Le conflit entre l’astronomie nouvelle et l’Écriture sainte aux xvie et xviie siècles, Paris, Champion, 2005, vol. 2, p. 27. Sa position est singulière, car « aucun des Pères de l’Église, à l’exception de ceux appartenant à l’école antiochienne, n’a refusé systématiquement la réalité d’une sphéricité de la terre et de l’univers telle qu’elle dérivait des raisons apportées par les philosophes grecs », ibid., vol. 1, p. 83.
15 Saint Augustin, La cité de Dieu, XVI, 9, dans Œuvres, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2000, t. II, p. 663.
16 Macrobe, Commentaire au songe de Scipion, Paris, Les Belles Lettres, 2003, t. 2, II, 5, 17, p. 26.
17 Ibid., 23, p. 27.
18 Macrobe, Commentaire au songe de Scipion, op. cit., II, 5, 24-25, p. 28.
19 Ibid., p. 26.
20 Frigida septentrionalis inhabitabilis, temperata habitabilis, perusta inhabitabilis, temperata habitabilis (antipodum), frigida australis inhabitabilis.
21 « Macrobe, évidemment, n’a aucun souci de ce que rapporte l’Écriture, et il est tout fier, au contraire, de fonder l’existence des Antipodes sur le seul raisonnement », Jacques Flamant, Macrobe et le néo-platonisme latin, à la fin du ive siècle, Leyde, Brill, 1977, p. 474.
22 Isidore de Séville, Étymologies, Paris, Les Belles Lettres, 1984, IX, 2, 133, p. 116.
23 Ces poèmes se rattachent, entre autres, à la légende du roi Arthur, voir Alexander H. Krappe, « Antipodes », Modern Language Notes, 59/7, 1944, p. 442.
24 Jill Tattersall, « “Terra incognita” : allusions aux extrêmes limites du monde dans les anciens textes français jusqu’en 1300 », Cahiers de civilisation médiévale, 95-96, juillet-décembre 1981, p. 254. Voir aussi Danielle Lecoq, « Au-delà des limites de la terre habitée. Des îles extraordinaires aux terres antipodes (XIe-XIIIe siècles) », dans Danielle Lecoq, Antoine Chambard (éd.), Terre à découvrir, terres à parcourir. Exploration et connaissance du monde xiie-xixe siècles, Paris, L’Harmattan, 1998.
25 Voir Pierre-Noël Mayaud, Le conflit entre l’astronomie nouvelle et l’Écriture sainte aux xvie et xviie siècles, op. cit., p. 105-106.
26 Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, 102, Paris, Cerf, 1984, p. 834.
27 Ibid., p. 835. Sur la localisation du paradis terrestre dans la cartographie médiévale, voir Alessandro Scafi, « Mapping Eden : Cartographies of the Earthly Paradise », dans Denis Cosgrove (éd.), Mappings, Londres, Reaktion Books, 1999, p. 50-70.
28 Augustin, Commentaires sur l’Écriture, dans Œuvres complètes de Saint Augustin, Bar-le-Duc, Guérin, 1866, t. 4, vol. 4, livre VIII, chap. I, § 4, p. 239.
29 Franco Farinelli, La crisi della ragione cartografica, Turin, Einaudi, 2009, p. 20, nous traduisons.
30 Anonyme, Les merveilles du monde ou les secrets de l’histoire naturelle, Arcueil, Anthèse, 1996, p. 58.
31 Josiah Blackmore, « Texte et parole dans le Nouveau Monde », dans Eva Kushner (dir.), L’époque de la Renaissance (1400-1600), t. 3, Maturations et mutations (1520-1560), Amsterdam, Benjamins, 2011, p. 503.
32 Germaine Aujac, « La redécouverte de Ptolémée et de la géographie grecque au XVe siècle », dans Danielle Lecoq, Antoine Chambard (éd.), Terre à découvrir, terres à parcourir. Exploration et connaissance du monde xiie-xixe siècles, op. cit., p. 62.
33 Angelo Cattaneo, « Découvertes littéraires et géographiques au XVe siècle. Le “Portolano 1” de la bibliothèque nationale centrale de Florence », Médiévales, 58, 2010, p. 79.
34 Alvise Ca’ da Mosto, Voyages en Afrique noire d’Alvise Ca’ da Mosto (1455 & 1456), Paris, Chandeigne, 2003, p. 23. D’autres voyageurs avaient déjà touché les côtes africaines, mais il « ignore ou feint d’ignorer » le périple d’Hannon, les frères Vivaldi, Lanzarotto Malocello, Nicoloso da Recco et Angiolino dei Corbizzi, voir Frank Lestringant, Sous la leçon des vents. Le monde d’André Thevet, cosmographe de la Renaissance, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2003, p. 192-193.
35 Alvise Ca’ da Mosto, Voyages en Afrique noire d’Alvise Ca’ da Mosto (1455 & 1456), op. cit., p. 23.
36 Ibid., p. 108.
37 « Les géographes de la Renaissance ne tardèrent pas à enrôler Ca’ da Mosto dans le camp des Modernes, d’autant que ses observations tendaient à ruiner les fables de Pline, d’Hérodote et de Strabon, touchant en particulier l’existence de peuples monstrueux ou le caractère inhabitable de la zone torride », Frank Lestringant, Sous la leçon des vents, op. cit., p. 192.
38 « Qui in hac parte defecit », Diogo Gomes de Sintra, dans Daniel López-Cañete Quiles (éd.), El descubrimiento de Guinea y de las Islas Occidentales, Séville, Secretariado de publicaciones de la Universidad de Sevilla, 1992, p. 26.
39 Arthur Davies, « Behaim, Martellus and Columbus », The Geographical Journal, 143/3, 1977, p. 452.
40 Christophe Colomb lut attentivement l’Imago Mundi de Pierre d’Ailly (1410) : avant son voyage de découverte, parmi ses notes écrites en marge du traité du savant français, lorsqu’il évoque l’idée de la région subéquatoriale comme tempérée et la possibilité qu’il s’agisse du lieu correspondant au paradis terrestre, le navigateur génois écrit : « Le Paradis terrestre est là », Christophe Colomb, La découverte de l’Amérique. Journal de bord et autres écrits (1492-1493), Paris, La Découverte, 2002, t. 1, p. 49. Sur Colomb et d’Ailly, voir infra.
41 « Parmi, Magnifico Lorenzo, o che la maggior parte de’ filosofi in questo mio viaggio sia reprobata, che dicono che drento della torrida zona non si può abitare a causa del gran calor ; e io ho trovato in questo mio viaggio essere il contrario : che l’aria è più fresca e temprata in quella region che fuori di essa, e che è tanta la gente che dentro essa abita che di numero sono molti più che quelli che di fuora d’essa abitano, per la ragion che dibasso si dirà, ché è certo che più vale la pratica che la teorica », Lettera a Lorenzo di Pierfrancesco de’ Medici del 18 luglio 1500, dans Mario Pozzi (éd.), Il mondo nuovo di Amerigo Vespucci, Alexandrie, Edizioni dell’Orso, 1993, p. 62-63, nous soulignons. Martín Fernández de Enciso revendique lui aussi l’expérience des découvertes géographiques et considère que « las Indias tierra firme e islas occidentales que los muy católicos reyes don Fernando y Doña Isabel de digna memoria descubrieron son muy pobladas y están debajo de la torrida zona », Suma de geographia, Séville, Jacobo Cromberger, 1519, p. a iiij (éd. fac-similé, Séville, Extramuros, 2008). Déjà Colomb avait écrit en note à Pierre d’Ailly : « Zone torride. Elle n’est pas inhabitable car les Portugais y naviguent aujourd’hui. Elle est même très peuplée », Christophe Colomb, La découverte de l’Amérique, op. cit., vol. 1, p. 48.
42 « […] fui alla parte delli antipoti », Lettera a Lorenzo di Pierfrancesco de’ Medici del 4 giugno 1501, op. cit., p. 86 ; « E ancora che questa conoscenza sia appartenente al filosofo, no llascerò di dire il mio parere, o bene o male che sia riceùto », Mario Pozzi (éd.), Il mondo nuovo di Amerigo Vespucci, op. cit., p. 95.
43 « […] perché gli antichi tutti non n’ebbero cognizione alcuna e le cose che sono state nuovamente da noi ritrovate trapassano la loro openione », ibid., p. 103 ; « La terra ritrovata ci parve non isola ma terra ferma », ibid., p. 107.
44 « […] son cose ché non si truovano scripte né per li antichi né per moderni scriptori », Lettera di Amerigo Vespucci delle isole nuovamente ritrovate in quattro suoi viaggi, dans ibid., p. 137.
45 Voir Albert Ronsin, La fortune d’un nom : America. Le baptême du Nouveau Monde à Saint-Diédes-Vosges, Paris, Jérôme Million, 1991.
46 Introduction à la cosmographie avec quelques éléments de géographie et d’astronomie nécessaires à l’intelligence de cette science, ainsi que les quatre voyages d’Amerigo Vespucci et la reproduction du monde entier tant en projection sphérique qu’en surface plane, y compris les régions que Ptolémée ignorait et qui n’ont été découvertes que récemment, Strasbourg, 1507.
47 Bruno Nardi, Studi su Pietro Pomponazzi, Florence, Le Monnier, 1965, p. 42 ; c’est pourquoi le philosophe de Mantoue est considéré comme un « negatore di verità consacrate » par Eugenio Garin, « Il filosofo e il mago », dans Eugenio Garin (éd.), L’uomo del Rinascimento, Bari, Laterza, 1988, p. 169.
48 « Mai gli antichi ebbero tanta cognizione del mondo » [ « jamais les Anciens n’eurent autant de connaissance du monde »], Giovanni Battista Ramusio, Discorso sopra il viaggio fatto dagli spagnuoli intorno al mondo, dans Marica Milanesi (éd.), Navigazioni e viaggi, Turin, Einaudi, 1978, II, p. 838 [nous traduisons]. Le géographe vénitien, élève de Pomponazzi, affirme aussi que la raison pour laquelle il écrit son ouvrage c’est l’imperfection des cartes modernes contenues dans la Géographie de Ptolémée et le décalage qu’elles ont par rapport aux nouvelles découvertes, voir All’eccellentiss. M. Ieronimo Fracastoro, ibid., I, p. 4.
49 Le Brésil d’André Thevet, op. cit., chap. XIX, « Que non seulement tout ce qui est sous la ligne est habitable, mais aussi tout le monde est habité, contre l’opinion des anciens », p. 127. Du même avis est un personnage d’Antonio de Torquemada : « […] en nuestros tiempos por experiencia habemos ya visto y entendido lo contrario [de los autores antiguos] en lo de la tórrida zona, pues es tan habitable como cualquiera de las otras », dans Jardín de flores curiosas [Salamanca, Juan Baptista de Terranova, 1570], éd. Giovanni Allegra, Madrid, Castalia, 1982, p. 384.
50 Le Brésil d’André Thevet, op. cit., p. 98.
51 Ibid., p. 218. Dans Cosmographie universelle (Paris, Guillaume Chaudière, 1575, t. 1, XXII, p. 464), Thevet écrit : « Je me suis amusé à prouver que les régions qui sont sous l’Equateur, sont habitables. »
52 Pedro Mejía, Coloquio del Sol, dans Diálogos, Séville, Fundación José Manuel Lara, 2006, p. 154, nous traduisons. L’auteur critique également la position de Lactance, voir p. 154-155. Sur les questions relatives au genre, voir Jacqueline Ferreras, Les dialogues espagnols du xvie siècle ou l’expression littéraire d’une nouvelle conscience, Paris, Didier, 1985.
53 André Thevet, Cosmographie universelle, op. cit., t. 1, XXII, p. 463.
54 Bacon, Récusation des doctrines philosophiques et autres opuscules, Paris, PUF, 1987, p. 159.
55 Ce globe précède de cinq ans la découverte de Magellan : « Schoner’s source for this strait was a rare german panflet, Copia der Newen Zeytung aus Presillg Landt, according to which a Portuguese expedition of two vessels has tried to sail through this passage from the east, but was forced back by contrary winds », Chet Van Duzer, Johan Schöner’s Globe of 1515. Transcription and Study, Philadelphie, American Philosophical Society, 2010, p. 15.
56 La question ne sera résolue qu’au XVIIIe siècle : pour éclaircir si la Sibérie et l’Alaska faisaient partie d’un territoire relié, Pierre le Grand chargea Vitus Béring d’explorer cette région, lequel traversa en 1728 le détroit qui porte son nom. Mais sa mission était bien majeure : « [Pierre le Grand] envoya le capitaine Béring, danois, avec ordre exprès d’aller par la mer du Kamtschaka sur les terres de l’Amérique, si cette entreprise était praticable », Voltaire, Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand, dans René Pomeau (éd.), Œuvres historiques, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1957, p. 375.
57 Pedro Fernández de Quirós, Descubrimiento de las regiones australes, éd. Roberto Ferrando, Madrid, Historia 16, 1986, p. 40. En se référant aux voyages de Quirós, George Arnold Wood écrit : « We travel with Don Quixote in the sunset of Spain », The Discovery of Australia, Londres, Macmillan, 1922, p. 157.
58 « Quiros’ failure to incorporate new evidence into his model for original settlement is inconsistent with his empirical bias », Brian Durrans, « Ancient Pacific Voyaging : Cook’s Views and the Developement of Interpretation », Capitain Cook and the South Pacific, Londres, British Museum Publications, 1979, p. 144.
59 Pedro Mejía, Coloquio del Sol, op. cit., p. 150.
60 Miguel de Cervantès, Les travaux de Persille et Sigismonde, histoire septentrionale, Paris, José Corti, 1994, p. 409.
61 Ibid. La théorie des Antipodes apparaît chez Antonio de Torquemada, op. cit., p. 386-387 ; son ouvrage est mentionné dans Don Quichotte I, 6.
62 « […] the depiction of this continent on the Vatican map is based on theories that called for a balancing of land masses in the northern and southern hemispheres », Chet Van Duzer, « Cartographic Invention : The Southern Continent on Vatican MS Urb. Lat. 274, Folios 73v-74r (c. 1530) », Imago Mundi, 59/2, 2007, p. 202.
63 Si ceci est correct, il est problématique, sinon contradictoire, de considérer la Terra australis comme un mythe : « La Renaissance fut […] également renaissance du mythe du continent austral qui, à travers les textes de Platon, Aristote, Cicéron et Ptolémée, retrouva en Europe un statut scientifique », Sylviane Leoni, « Un coup de force intellectuel ou la naissance d’un mythe », dans Sylviane Leoni, Réal Ouellet (dir.), Mythes et géographies des mers du Sud. Études suivies de l’Histoire des navigations aux Terres australes de Charles de Brosses, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2006, p. 13-14.
64 Tommaso Campanella, Apologia pro Galileo, Paris, Les Belles Lettres, 2001, III, 1, p. 30-32.
65 Ibid., p. 32.
66 « […] cartographie marine et cartographie ptolémaïque – enrichie à la lumière aussi bien des découvertes littéraires que des connaissances issues des voyages au-delà de l’œcoumène antique – fournissent le socle graphique et géographique sur lequel les cartographes […] construisent l’imago mundi. Les plus célèbres cartographes de l’âge des “grandes découvertes” adoptent le même modus operandi », Angelo Cattaneo, « Découvertes littéraires et géographiques au XVe siècle », art. cité, p. 96.
67 « Schoner used as an iconographic source for several of the sea monsters that adorn his globe woodcut images from the section entitled, “De piscibus & natatilibus”, of the book, Hortus sanitatis or Ortus sanitatis. This book, an anonymous illustrated encyclopedia of plants, animals, reptiles, birds, fishes, and stones, was first published by in 1491 in Mainz by Jacob Meydenbach. This is an exciting insight into Schoner’s use of sources », Chet Van Duzer, Johan Schöner’s Globe of 1515, op. cit., p. 2.
68 Strabon, Géographie, op. cit., I, 1, 16, p. 78.
69 Nicolas Lenglet Du Fresnoy, Méthode pour étudier la géographie, Paris, Charles Estienne Hochereau, 1716, t. 1, p. v-vi.
70 « Cartographers manufacture power : they create a spatial panopticon. It is a power embedded in the map text », John Brian Harley, The New Nature of Maps. Essays in the History of Cartography, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2001, p. 165.
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