Chapitre IV. L’inutilité
p. 101-133
Texte intégral
1 Nous voulons tous la liberté parce que nous sommes libres. Si l’homme avait la densité d’une chose, parfaitement identique à elle-même, ou si ses mouvements étaient mécaniquement réglés, il ne chercherait pas à être libre. Il lui suffiirait d’être là, comme il est, sans frustration, ni désir, ni regret, ni espérance. Si les individus ne sont plus que les éléments d’un ordre qui les détermine et les dépasse, on peut concevoir que la machine finisse par s’user et se détraquer, mais on ne saurait espérer qu’ils se libèrent, ni les exhorter à le faire. Si, comme un roc, ils opposaient leur plénitude sans faille aux agressions externes, nous ne parlerions pas non plus de liberté. La force de la position de Sartre provient de la diffiiculté, peut-être infondée, de se représenter l’homme et de parler de lui sous cette forme, celle de l’en-soi. C’est la raison pour laquelle de grands critiques, et rivaux dans la lutte entre intellectuels subversifs, comme Michel Foucault et Pierre Bourdieu, ne lui échappent pas complètement. Dès l’introduction du plus minime décalage au sein de l’identité naît une instabilité, un mouvement forcément indéterminé, puisque sa source n’est pas quelque chose de positif, mais une absence, non une cause effiiciente, mais, comme dirait saint Augustin, une cause déficiente. Si l’homme n’a pas la densité de l’en-soi, il faut conclure que nous sommes libres.
2Cette thèse surprend et inspire de la méfiance, voire de l’ironie : ce que nous cherchons, nous l’aurions déjà… Pouvons-nous le croire quand nous éprouvons le douloureux sentiment d’être privés de quelque chose d’essentiel ? Sartre a naturellement rencontré l’objection : « si vous enseignez à l’homme qu’il est libre, lui disaient les marxistes, vous le trahissez : car il n’a plus besoin de le devenir ; peut-on concevoir un homme libre de naissance qui réclame d’être libéré ? ». Sa réponse, en 1946, est que l’on n’échappe à cette incohérence qu’au prix d’une contradiction bien plus redoutable qui prive le mot « liberté » de toute signification : « Si l’homme n’est pas originellement libre, mais une fois pour toutes déterminé, on ne peut même pas concevoir ce que pourrait être sa libération1. » Sartre est resté fidèle à l’idée que l’usage des mots « libération » et « émancipation » présuppose l’idée de la liberté de l’homme. Lors de ses discussions politiques de 1974 avec le dirigeant maoïste, Pierre Victor et le journaliste à Libération Philippe Gavi, il le déclare à nouveau :
Si tu crois au déterminisme, tu n’as aucun moyen d’expliquer le courant anti-hiérarchique et libertaire que nous avons constaté dans diffiérents secteurs de la population française. Si tu es déterministe, pourquoi réclamerais-tu la liberté ? Tu es nécessairement conditionné, par tel ou tel facteur, ou par tel autre. Comment pourrait-on opprimer un robot ? Tu ne peux opprimer ou exploiter que des êtres qui sont par principe libres, mais dont tu dévies ou aliènes la liberté. L’exploitation aliénante supprime la liberté, c’est la dialectique seule qui peut rendre compte de cette phrase, mais jamais le déterminisme qui relève de ce que j’ai appelé la Raison analytique. Cela nous entraînerait trop loin. Mais, vois-tu, les lycéens qui refusent l’École et réclament le droit à la paresse, ou les jeunes ouvriers qui ne tolèrent pas l’autorité du petit chef, je pense qu’ils ont un sentiment juste d’une liberté originelle qui a été perdue et qu’il leur faut retrouver. Et le philosophe qui exprimerait en mots ce qu’est cette liberté leur permettrait de prendre conscience plus profondément de leur situation2.
3La liberté doit être pensée simultanément sur les plans politique et métaphysique. Pour expliquer un fait politique, la lutte pour l’émancipation, on doit présupposer la liberté au sens métaphysique. Parmi tous les êtres du monde, l’homme est le seul dont la liberté soit un attribut essentiel. Une machine n’est pas exploitée ou opprimée, elle est simplement utilisée selon les besoins de son propriétaire, jusqu’à la destruction s’il le souhaite. L’oppression et l’exploitation sont la privation de la jouissance d’une liberté que nous possédons originellement en vertu de notre nature spécifique. Le militant le sent, même s’il ne trouve pas les mots justes pour l’exprimer. La lecture des ouvrages de Sartre lui fera comprendre la nature de cet être si particulier qui est le sien. La liberté est donc fondamentalement une. L’homme peut être dit libre politiquement parce qu’il l’est ontologiquement. Et c’est parce qu’il l’est ontologiquement qu’il doit l’être politiquement et qu’il souffire de ne pas l’être. Cette position est embarrassante pour les défenseurs de la liberté politique qui répugnent de s’engager dans les débats métaphysiques, ou qui croient au règne universel de la nécessité. Ils ne peuvent apparemment s’y opposer qu’au prix d’une inconséquence : demander le privilège de la liberté pour un être qui serait aussi asservi à la nécessité que tous les autres. Mais est-ce contradictoire ? L’unité de la liberté suppose que les plans métaphysique ou politique ne peuvent être dissociés et que le premier est la condition nécessaire du second. Or l’absence de références théoriques à la politique dans L’être et le néant suggère qu’ils obéissent à des logiques distinctes. L’antisartrien peut donc tenter de montrer que cette diffiérence est suffiisamment forte pour contrecarrer l’unité postulée par le philosophe et même pour faire l’économie de ce qui est présenté comme une condition nécessaire.
4 L’unité défendue par Sartre se fonde sur l’idée d’aliénation. Elle articule l’affiirmation métaphysique de la liberté et sa négation politique. La liberté originelle se perd nécessairement dans les rapports réifiants avec les autres libertés, selon des modalités ontologiques analysées dans L’être et le néant et celles, plus sociologiques, de la Critique de la raison dialectique. On doit donc penser que, dans son aliénation, l’homme conserve encore suffiisamment de liberté pour lutter pour son émancipation. L’existence du révolutionnaire en est la preuve. S’opposer à la réalité au nom de valeurs qui dépassent l’ordre des faits soumis au déterminisme, c’est agir en fonction de ce qui n’existe pas encore, donc être libre. Dans l’ontologie de L’être et le néant, la liberté est aliénée sans être détruite parce qu’elle n’existe qu’en situation. On le voit dans l’analyse du mécanisme de l’aliénation qu’est le regard d’autrui. Le jaloux qui regarde par le trou de la serrure est surpris par un individu. Que se passe-t-il ?
[…] voici que j’existe en tant que moi pour ma conscience irréfléchie. […] tant que nous avons considéré le pour-soi dans sa solitude, nous avons pu soutenir que la conscience irréfléchie ne pouvait être habitée par un moi : le moi ne se donnait, à titre d’objet, que pour la conscience réflexive. Mais voici que le moi vient hanter la conscience irréfléchie. Or, la conscience irréfléchie est conscience du monde. Le moi existe donc pour elle sur le plan des objets du monde ; ce rôle qui n’incombait qu’à la conscience réflexive : la présentification du moi, appartient à présent à la conscience irréfléchie. Seulement, la conscience réflexive a directement le moi pour objet. La conscience irréfléchie ne saisit pas la personne directement et, comme son objet : la personne est présente à la conscience en tant qu’elle est objet pour autrui. Cela signifie que j’ai tout d’un coup conscience de moi en tant que je m’échappe [… ]3.
5Tant que je regarde solitairement par le trou de la serrure, ma conscience est irréfléchie. Totalement absorbé par l’acte, qui dispose des choses du monde en vue d’une fin librement choisie, le sujet n’opère pas l’acte réflexif de se retourner sur lui-même et de se représenter en train de regarder comme si son moi était à ce moment-là l’objet de son attention. Il regarde tout simplement, sans faire attention à son moi, sans s’occuper de lui. Quand il découvre qu’il est regardé, la conscience n’est plus simplement conscience de regarder. Elle a également conscience que, parmi les choses du monde, il existe un moi qui regarde par le trou de la serrure et que ce moi, c’est lui. Ce moi surgit inopinément au sein de la conscience (irréfléchie) du monde, non parce que la conscience se serait réflexivement tournée vers lui, mais parce qu’elle est consciente d’être regardée par une autre conscience. J’ai conscience de moi parce que je perçois que ma conscience qui était le centre de mon monde, fait désormais partie d’un monde centré autour d’une autre conscience. La conscience qui, en tant que pour-soi, regarde un objet dans son monde est distincte de la conscience regardée, devenue un en-soi dans le monde de l’observateur. Mais la honte que j’éprouve est un aveu : je suis bien cet être qui regarde par le trou de la serrure. L’aliénation est la réification qui se produit lorsque, sous le regard d’autrui, je deviens un objet dans son monde.
6Le ressort du changement de statut subi par la conscience, qui de mouvement vers les choses devient chose, est dans le pouvoir de décentrement du regard d’autrui et ne dépend aucunement de l’humiliation dont la honte est porteuse. Ce sentiment douloureux fait juste ressentir plus fortement la solidification de la conscience, la réduction de la liberté infinie au comportement peu glorieux d’un jaloux. Je vais désormais agir en fonction de cette identité constituée dans l’interaction, par exemple, en me cachant, en me justifiant, etc. Par ces comportements de fuite, je me désolidarise de ce moi, je signifie qu’il m’est une chose étrangère. Mais Sartre remarque en passant que son analyse est également valable pour la fierté qui exprime une adhésion à soi dans le sentiment de sa valeur et même de sa supériorité aux yeux d’autrui. La fierté d’avoir un titre universitaire rare qui donne accès à une profession prestigieuse, c’est être « regardé » positivement par les autres, d’abord par ceux qui ont attribué le titre, puis par ceux qui vont se comporter avec certains égards envers l’individu ainsi constitué qui, à son tour, va devoir assumer cette identité en agissant selon des attentes sociales. L’homme fier, dont la valeur est socialement reconnue, n’est donc pas moins esclave4 que celui qui vit dans la honte puisque le regard d’autrui, aussi positif soit-il, en fait un objet de son monde, contraint de remplir un rôle social précis. Dans les deux cas, mes possibilités sont « solidifiées » et « aliénées » du fait qu’elles dépendent de mon inscription dans un monde organisée selon des fins étrangères.
7Comme la conscience regardée a perdu quelque chose d’essentiel, sa libre fluidité, Sartre parle de « chute originelle5 », donnant le sentiment d’un malheur qu’il aurait mieux valu éviter. Mais, d’une part, je gagne de nouvelles possibilités. Quand le regard est admiratif, il me transforme en objet d’amour, avec ses obligations et ses joies. D’autre part, cette aliénation étant inévitable, elle n’est réellement aliénante que du point de vue imaginaire d’une conscience isolée. Cette idée est bien le point de départ théorique et psycho-sociologique de la réflexion de Sartre6. Mais quand nous prenons acte du fait de vivre avec d’autres consciences, l’aliénation cesse d’être réellement aliénante, puisqu’elle est constitutive de notre être. Même quand je suis seul et que des globes oculaires ne sont pas tournés sur moi, les choses du monde disposées par d’autres hommes pour des fins propres sont des supports pour des regards qui vont me chosifier dans leur monde7. C’est pourquoi le regard effiectif, ou son objectivation dans les choses, loin de supprimer ma liberté, constitue le cadre de son exercice à partir duquel elle doit être pensée. C’est dans ce contexte que Sartre introduit le concept de situation. Le problème fondamental pour la liberté n’est pas de supprimer l’aliénation en général, puisque la conscience est toujours au milieu de choses disposées par d’autres consciences, donc en situation. Il est d’être authentique. Dans ce contexte, l’inauthenticité est une vaine tentative d’ignorer le regard aliénant d’autrui, à l’image du Juif qui tente de vivre comme s’il n’était pas juif alors qu’il l’est puisqu’il est constitué ainsi par le regard antisémite. L’authenticité, en revanche, assume ce moi, dont la constitution par des interactions nécessaires et contingentes avec d’autres libertés, réduit inévitablement les possibles que je suis à une parcelle du monde des autres pour-soi. Ontologiquement, il y a juste un fait à reconnaître et rien à déplorer, même s’il se manifeste le plus clairement dans des moments douloureux8.
8 Cette analyse oblige à revenir sur l’opposition des points de vue philosophique et sociologique sur l’individu et son éventuelle liberté. Pour Bourdieu, Sartre est le philosophe exemplairement aveugle aux réalités sociales. Mais, de manière sans doute involontaire, les articles phénoménologiques du jeune Sartre sur la transcendance de l’ego (1936) et l’intentionnalité de Husserl (1939) offirent au sociologue un objet que se réservent jalousement la psychologie et une certaine philosophie. L’article sur l’intentionnalité se termine ainsi : « Nous voilà délivrés de Proust. Délivrés en même temps de la “vie intérieure”. […] finalement tout est dehors, tout, jusqu’à nous-mêmes : dehors, dans le monde, parmi les autres. Ce n’est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c’est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes9. » Bien que Sartre s’oppose à la réduction matérialiste et au déterminisme de la sociologie, que l’on symbolise volontiers avec le slogan durkheimien « traiter les faits sociaux comme des choses », un moment de sa défense de la liberté de la conscience pose une équivalence entre deux formules qu’une philosophie de la liberté humaine aurait, selon toute attente, toujours dû opposer : « chose parmi les choses » et « homme parmi les hommes ». En vertu de son intentionnalité, la conscience n’a en elle-même aucun contenu et elle n’assimile pas les choses extérieures en les réduisant à des sensations et à des idées subjectives comme le croit l’idéalisme. Elle est conscience de quelque chose qu’elle n’est pas et elle n’existe que dans sa projection et son éclatement vers le monde extérieur, comme le curieux qui est tout entier dans l’acte de regarder ce qui se passe derrière la porte ou comme Roquentin qui, dans ses moments de nausée, s’identifie aux choses. L’idée de la transcendance de l’ego est une application de cette thèse au je. L’ego n’est pas une réalité intérieure que chacun a le privilège d’explorer par introspection, mais une réalité extérieure et transcendante, présente dans le monde et sous sa dépendance10. Nous admettons que l’objet du discours de Pierre et de Paul est le même lorsqu’ils parlent de la chaise de ce dernier. En revanche, lorsqu’ils s’intéressent à ses états psychiques, comme l’amour ou la haine, nous avons le sentiment que lui seul peut les atteindre parce qu’ils sont en lui, dans son moi. Or quand Pierre et Paul parlent de l’amour de ce dernier, ils se réfèrent par des voies diffiérentes à la même chose. Ce sentiment est accessible à la conscience de Paul comme à celle extérieure de Pierre11 et il n’est pas impossible que Pierre voie cet amour dans le regard de Paul avant qu’il n’en prenne conscience. En faisant du je étudié par la psychologue une chose du monde, le philosophe invite, avec des concepts peut-être maladroits et sans le vouloir, le sociologue à entrer dans le secret de l’individualité par le biais des interactions sociales qui contribuent à façonner le je12.
9Le roman de Jack London, Martin Eden, qui peut se lire comme une introduction littéraire à La distinction, permet d’imaginer comment les concepts sartriens peuvent fonctionner dans un contexte bourdieusien. C’est en quasi-sociologue que le romancier montre comment l’amour de Martin Eden pour Ruth Morse se fracasse sur la diffiérence des classes. Martin est invité à dîner chez les Morse pour avoir défendu le frère de Ruth agressé par des voyous. Le jeune marin sans éducation est ébloui par la jeune bourgeoise si cultivée. Sa passion malheureuse est une expression de la domination sociale et de l’idéalisation qui la rend acceptable et désirable aux yeux fascinés du dominé13. Martin travaille en effiet avec acharnement pour entrer dans ce monde idéal par la voie la plus enchantée, celle de la culture. Malheureusement, au moment où elle semblait réussir, la magie sociale cesse d’opérer. Il rencontre des limites que le jeu des rapports de classe ne permet pas de franchir. Initialement honteux de sa grossièreté, puis fier d’être reçu dans ce milieu supérieur, il prend conscience de sa supériorité intellectuelle, de la distance et de l’incompréhension entre les classes14. Devenu, à la surprise générale, un écrivain célèbre, Martin Eden souffire de l’admiration de ceux qui le méprisaient lorsque ses manuscrits étaient refusés. Il aurait voulu être estimé pour lui-même, comme l’aiment les amis de sa classe d’origine quand il les retrouve après s’être longuement isolé pour écrire. Il se suicide, alors que Ruth s’offirait à lui, parce que ce mariage, désormais fondé sur la fiction sociale de la valeur réduite au succès, n’a plus de sens. Il ne comprend pas pourquoi sa valeur est diffiérente de celle qu’il avait lorsqu’il était un pauvre marin qui se cultivait pour devenir digne d’épouser une bourgeoise :
[…] ces mots : « J’étais le même », rongeaient son cerveau inlassablement. Il les retrouvait au réveil. À travers ses rêves, il les entendait. Les plus petits détails de la vie ne pénétraient ses sens qu’à travers ces mots : « J’étais le même. » Et une logique implacable l’amena enfin à conclure qu’il n’était rien, absolument rien. Mart Eden le voyou, Mart Eden le marin avaient existé eux : mais Martin Eden, le célèbre écrivain, n’existait pas. Martin Eden, le célèbre écrivain, n’était qu’une illusion créée par l’imagination de la foule. Mais il ne s’y laisserait pas prendre. Il n’était pas cette idole que la foule adorait et à qui elle offirait de la nourriture en sacrifice propitiatoire. Il ne marchait pas15.
10Les mots écrits sur les feuilles du manuscrit et du livre publié sont les mêmes, mais, comme un manuscrit est une chose sociale tout à fait distincte d’un livre, l’auteur du second est diffiérent du premier, surtout s’il a du succès. Son je est transformé par le « regard » de l’éditeur et celui des lecteurs. D’un point de vue sartrien, le suicide qui parachève le raisonnement de Martin Eden repose sur une erreur philosophique. Il croit que ses anciens amis l’aiment pour lui-même comme si son moi était une réalité indépendante de ce qu’il est extérieurement et fictivement pour les bourgeois qui achètent ses livres sans les comprendre. En réalité, le bonheur d’être avec ses amis est simplement de retrouver le milieu social où son moi initial s’est formé, ou plutôt de ne plus ressentir le douloureux décalage avec le monde bourgeois où l’a miraculeusement projeté un succès qu’il ne comprend pas. Ce sentiment d’être chez soi ne dure évidemment qu’un moment car le moi-écrivain qu’a produit son intense travail sur soi l’a rendu étranger à son milieu d’origine et au moi qui lui correspondait, celui du marin et du voyou. Mart Eden, réputé pour ses qualités de lutteur et de séducteur, était alors une chose aussi transcendante, mondaine ou sociale, que Martin Eden aujourd’hui. Pour le sartrien, le passage du premier au second moi n’est possible que pour un être jouissant de la liberté. Sa souffirance montre également que l’aliénation ne l’a pas supprimée. Devenu l’égal des bourgeois, Martin Eden reste étranger à leur monde et ne s’identifie pas au moi-écrivain qu’ils célèbrent. Mais c’est parce qu’il n’était pas identique au précédent moi qu’il s’est transformé pour devenir le moi-écrivain et qu’il pouvait être encore quelqu’un d’autre. Il envisage, un moment, de jouir de ce moi qu’il est sans l’être en capitalisant suffiisamment d’argent pour acheter une propriété aux îles Marquises et arrêter d’écrire. finalement, il choisit le suicide. C’est, bien sûr, un acte libre, mais d’une liberté inauthentique puisqu’il n’assume pas sa nouvelle identité. On le voit, le sartrien trouve beaucoup de ressources dans une situation particulièrement favorable aux analyses sociologiques.
11Pour ne pas risquer d’être attiré dans le cercle sartrien, il convient d’abord de ne pas prétendre émanciper les hommes. On peut, par exemple, soutenir dans un style hobbesien que le rôle de l’État n’est pas de garantir la liberté, mais juste d’empêcher la guerre civile. Comme nous le rappelle néanmoins Martin Eden avec d’innombrables exemples, c’est précisément ce que refuse la modernité. Même un esprit aussi lucide et rebelle que celui de Michel Foucault ne résiste pas à ses sirènes. Jürgen Habermas souligne que le généalogiste impitoyable et cynique, totalement insensible aux charmes de la société démocratique et de l’État libéral, inscrit sa critique démystificatrice du monde moderne dans le sillage des Lumières16. L’impératif de la transformation de soi, théorisé par l’étude de la philosophie grecque, est une manière de renouveler la devise kantienne du devenir majeur : « Le fil qui peut nous rattacher de cette manière à l’Aufklärung n’est pas la fidélité à des éléments de doctrine, mais plutôt la réactivation permanente d’une attitude ; c’est-à-dire d’un êthos philosophique qu’on pourrait caractériser comme critique permanente de notre être historique », comme « une création permanente de nous-mêmes » où nous nous détachons sans cesse de la contingence historique qui nous a fait être ce que nous sommes. Or cette critique est pensée comme l’œuvre d’« êtres libres », de « l’impatience de la liberté » ou comme son « travail indéfini17 ». Raisonnant selon les oppositions ordinaires, des lecteurs de Foucault comprennent que si le pouvoir est partout, la liberté n’est nulle part. Or Foucault dit exactement le contraire en distinguant l’irréversibilité de la domination de la réversibilité du pouvoir. Comme nous avons la possibilité de résister et de transformer la situation, y compris en cas de complet déséquilibre, « nous sommes toujours libres18 ». En modernes, Sartre et Foucault estiment que les hommes ne sont pas encore considérés comme majeurs19 et ils présupposent, que, loin de l’avoir complètement perdue, ils ont conservé suffiisamment de liberté pour espérer s’émanciper. Le foucaldien cherchera naturellement à minimiser la portée de ces formulations en les réinterprétant dans un sens non humaniste. Le sartrien estimera au contraire qu’elles lui donnent une prise suffiisante pour tenter d’entraîner le foucaldien dans son cercle. L’ontologie historique et critique de nous-mêmes, prônée par Foucault, est, à ses yeux, l’œuvre d’un pour-soi qui se veut authentique en déjouant les ruses de la mauvaise foi. Ce succès polémique a naturellement son point faible. Le pour-soi est un concept ontologique. Mais son accord avec les exigences de la modernité est suffiisant pour le soupçonner de se référer à une réalité historique, sociale et politique. Les défenseurs néolibéraux de l’ordre établi ne valorisent-ils pas cette subjectivité vide et libre de toute attache20 ? Souvenons-nous de l’éblouissement du jeune Robert Misrahi à la lecture de L’être et le néant en 1943. Au milieu d’une guerre, déclenchée par un État qui niait les valeurs des Lumières, l’exigence émancipatrice de la modernité devenait, avec ce pesant essai d’ontologie phénoménologique, une vertigineuse et indépassable trouée dans l’être lui-même.
12Cette historicisation de la dimension « ontologique » de la liberté contredit l’idée que la liberté politique doit se fonder sur la liberté métaphysique. Le sartrien va naturellement s’obstiner et répéter sa thèse. La liberté est une propriété de la conscience, le pouvoir inaliénable de dire non, de prendre une distance critique envers soi et le monde, une trouée dans l’être. La présupposer est la seule manière de comprendre l’existence de la révolte. Le sartrien se répète avec conviction parce qu’il a le sentiment que sa position est logique. Mais quelle est la portée de cet argument ? Cette métaphysique a-t-elle un pouvoir d’explication supérieur à celui du matérialisme complètement absorbé dans la plénitude de l’être ? À l’image de l’opium qui fait dormir grâce à sa vertu dormitive, l’homme nie la réalité parce que la conscience est négation ! En guise d’argumentation nous n’avons, en dernière analyse, que le vide d’une tautologie. Notre déception nous pousse à nous demander s’il existe une pareille coupure entre l’homme et les autres êtres. La science n’a-t-elle pas souvent montré que ce que l’homme prenait orgueilleusement pour un attribut ontologique singulier obéissait prosaïquement aux lois de la nature ? Et l’on nous assure que ce n’est pas fini… Il existe un contraste saisissant entre l’évidence de la valeur pratique, morale et politique, de la liberté et les inextricables diffiicultés rencontrées par la raison en quête de la preuve de son existence dans le monde. Notre raison soumet à la causalité de la motivation interne et du monde extérieur les actes que nous accomplissons avec la conviction d’être des agents libres si bien qu’un moi libre nouménal, distinct du moi phénoménal empiriquement déterminé, ne peut jamais nous apparaître dans sa pureté21. Est-il réel ? Est-il autre chose qu’une pensée, une illusion peut-être utile ? La philosophie de Kant montre bien comment la supposition d’un sujet libre non empirique nous donne le réconfort de sauver notre idée de la morale. Mais que gagne sur le plan théorique le philosophe qui aime vraiment la vérité ? L’individu torturé, écrit Sartre, décide librement du moment où la souffirance est intolérable. Il peut donc encore résister au moment où il cède. Son acte est libre parce qu’un trou, un rien, le sépare radicalement de son histoire antérieure, des circonstances présentes et de la douleur de son corps. C’est ce vide à la racine de l’acte qui explique qu’il aurait pu faire autre chose que ce qu’il a fait. Ne pas le postuler, c’est le faire dépendre de quelque chose d’antérieur, de déterminations psychologiques, sociologiques ou historiques, qui le réinscrivent dans la chaine des événements mondains et lui ôtent cette liberté, c’est-à-dire le pouvoir de s’émanciper de la série des causes et de commencer par lui-même quelque chose de nouveau. Il nous est diffiicile de croire à la liberté de celui qui cède sous la torture parce que la contrainte est tellement grande que l’individu s’identifie totalement à la douleur envahissante provoquée par un corps extérieur. Il nous est beaucoup plus facile d’y croire dans les situations ordinaires parce que nous avons le sentiment d’être réellement coupés de ce qui n’est pas nous et d’agir spontanément, indépendamment des facteurs externes. La critique du libre arbitre consiste à montrer qu’il s’agit d’une illusion de la conscience. L’ignorance de l’inextricable réseau des causes nous donne le sentiment d’une faille ou d’un vide entre nous et le cours des événements extérieurs. Si l’individu est conscient que son choix d’une carrière professionnelle est le fruit d’une éducation qui l’a « naturellement » inscrit dans une histoire familiale, en faisant de lui le maillon d’une dynastie d’avocats ou de cuisiniers, il n’emploie pas le mot « liberté22 ». En revanche, quand il ne sait pas ce qui le lie intimement au passé et au présent, il ignore ce qui a déterminé son désir, en particulier lorsqu’il va à l’encontre des modèles dominants. L’individu a le sentiment qu’il ne dépend de rien d’autre que de lui-même, et, comme le montre Spinoza, il dit, en se fondant sur le témoignage impérieux de sa conscience, qu’il est libre.
13Cette critique ne prive pas de sens l’idée de liberté. Comme le souligne Tolstoï, la satisfaction de l’exigence déterministe de la raison donnée par la science et les limites, inévitables et variables, du champ de la conscience où se fonde notre sentiment de liberté, nous contraignent de penser que certaines actions sont nécessaires et que d’autres sont libres. Comme nous ne pouvons pas penser concrètement que nous sommes totalement déterminés ou totalement libres, nous faisons simplement varier la part que nous attribuons à la nécessité et à la liberté dans notre vie. Celle-ci « diminue ou grandit d’après la liaison plus ou moins étroite de l’acte avec le monde extérieur, le degré de son éloignement dans le temps, sa dépendance plus ou moins grande des causes23 ». Un véritable philosophe de la liberté ne se contente évidemment pas du constat qu’il est impossible de faire l’économie du mot et de l’idée de liberté parce que nous pensons nécessairement que certaines de nos actions sont libres. L’usage du mot et du concept n’est à ses yeux pleinement justifié que s’il existe une entité qui est intrinsèquement libre. Que doit-elle être pour être capable de faire le contraire de ce qu’elle fait ? Sartre rapporte le cas d’une patiente de Janet, récemment mariée, qui redoutait de se mettre à la fenêtre et d’interpeller les passants comme une prostituée. La raison nous dit qu’il faut explorer son histoire pour trouver l’explication de son étrange comportement. Le jeune philosophe tranche avec l’assurance d’un souverain :
Rien dans son éducation, dans son passé, ni dans son caractère ne peut servir d’explication à une crainte semblable. Il nous paraît simplement qu’une circonstance sans importance (lecture, conversation, etc.) avait déterminé chez elle ce qu’on pourrait appeler un vertige de la possibilité. Elle se trouvait monstrueusement libre et cette liberté vertigineuse lui apparaissait à l’occasion de ce geste qu’elle avait peur de faire. Mais ce vertige n’est compréhensible que si la conscience s’apparaît soudain à elle-même comme débordant infiniment dans ses possibilités le Je qui lui sert d’unité à l’ordinaire24.
14Le psychologue cherche l’explication de cette conduite dans le je de cette personne. Il doit y avoir, dans son passé ou son caractère, quelque chose d’inaperçu, d’oublié ou de refoulé. Sartre ne s’attarde pas à discuter les explications proposées. Il déclare a priori que l’enquête empirique va échouer : il n’y a rien à chercher puisque, à la racine de ce comportement, il n’y a que du rien. Quand il se réfère à un événement biographique, au lieu d’y voir une cause, il l’interprète comme l’occasion d’une révélation. Le vide, dont l’échec de l’enquête empirique est l’expression négative, lui apparaît positivement comme de la liberté. L’extravagance de la crainte confronte la névrosée à une possibilité dont le je empirique ne peut pas rendre compte. Bien sûr, c’est bien cet individu, avec une histoire singulière, qui éprouve cette crainte, mais en tant qu’il est autre chose que ce je, à savoir une conscience libre. Cette liberté est monstrueuse et vertigineuse parce qu’elle rend possible ce qui, du strict point de vue du je, est impossible et impensable. La thèse de Sartre est psychologiquement étrange puisque chacun de nous s’identifie naturellement à son moi. La vertu de la réduction phénoménologique est précisément de mettre entre parenthèses cette attitude naturelle pour isoler le champ transcendantal de la conscience. Le je empirique et psychique apparaît alors comme « une fausse représentation d’elle-même » produite par la conscience pour « s’échapper à elle-même en se projetant dans le Moi et en s’y absorbant » et pour se protéger de « l’angoisse absolue et sans remèdes », de la « peur de soi » qui la saisit25.
15Qui prend au sérieux cette interprétation de la névrose ? Sylvie Le Bon remarque, dans une note, que le Sartre de la maturité la trouve « enfantine26 ». Elle n’en est pas moins philosophiquement significative de la logique du concept de liberté. Nous distinguons les individus par la diffiérence de leur patrimoine génétique, le lieu et la date de leur naissance, leur éducation, leur caractère, leur place dans la société et la succession imprévisible des circonstances de leur vie. La transcendance de l’ego signifie que ce je est une chose du monde qui, malgré son intimité avec le pour-soi, doit être radicalement distinguée de lui. Quand nous sommes en quête d’un sujet libre, il est diffiicile d’éviter ces distinctions problématiques. En effiet, on doit situer le sujet libre dans une région de l’être conforme à ses propriétés. Peut-on le trouver dans ce nœud inextricable de déterminations empiriques qu’est le je ? Quand on l’y voit, c’est que ces déterminations ont une faille. « Le néant est toujours un ailleurs27 » ; c’est donc dans ce trou, aussi minuscule soit-il, qu’il faut chercher le sujet de la liberté. La dissociation du sujet de la liberté et du je obéit en conséquence à la logique du concept de liberté dans la mesure où cette idée exige métaphysiquement que l’on échappe au déterminisme du monde empirique.
16Nous aimons la liberté parce qu’elle fait d’un individu empirique, déterminé comme une chose parmi les choses, une personne responsable de ses actes, que l’on peut louer ou blâmer, récompenser ou punir. Le résistant agit librement, en prenant, à ses risques et périls, la responsabilité de tuer un ennemi. Les autorités peuvent l’arrêter, le juger et l’exécuter. Les balles qui traversent son corps et qui le détruisent sont le châtiment d’un acte qu’il aurait pu ne pas faire et que la postérité l’honore d’avoir accompli. Si l’on demande « qui est responsable de ce sabotage ? », un matérialiste intrépide refuse de répondre à cette question. Il explique prosaïquement comment l’événement s’est produit en étudiant un réseau infiniment complexe de mécanismes physiques, biologiques, psychologiques, sociaux, politiques et historiques qui se concentrent dans un acte attribué à un fragment de cette réalité que notre conscience ignorante découpe selon les normes, socialement constituées, de l’individualité. C’est ce que l’on ne fait généralement pas, à l’image des matérialistes communistes qui s’enorgueillissaient d’avoir été « le parti des fusillés ». Le problème du point de vue sartrien est que la personne libre et responsable, qui porte un nom et qui disparaît avec son corps, est autre chose que le je et le corps, puisqu’elle relève du pour-soi alors que ces derniers appartiennent au monde empirique. Sartre en tire la conséquence audacieuse que la conscience est impersonnelle. Ce n’est pas le je que je suis qui est libre, mais la conscience que je suis sur le mode de l’exister, de l’acte de se projeter hors de soi, dans les choses. L’erreur d’Edmund Husserl, selon Sartre, est d’être remonté du moi empirique au moi transcendantal qui restait quelque chose de personnel. Phénoménologiquement plus radical que le père de la phénoménologie, Sartre dépersonnalise la conscience. Elle ne dit pas « je » parce qu’elle n’est pas un sujet28. La conscience irréfléchie de celui qui regarde par le trou de la serrure n’a pas son je pour objet, mais le spectacle derrière la porte. Phénoménologiquement, il est cependant évident que cette conscience du spectacle est celle d’une conscience particulière. Et quand je suis regardé, c’est une autre conscience qui m’objective dans son monde. Il faut donc reconnaître une individualité à cette conscience impersonnelle29.
17Laissons les phénoménologues résoudre leurs problèmes ! Eux savent ce que le transcendantal ne peut pas être et ce qu’il doit être pour l’être authentiquement ! L’important ici est de comprendre pourquoi l’idée de liberté peut nous amener à concevoir un sujet qui n’en est pas un. Il est un sujet puisqu’il est une spontanéité individualisée, qui d’elle-même fait quelque chose. C’est moi, et pas une autre conscience, ni de la matière ou un rapport social, qui me transcende vers le spectacle derrière la porte. On peut alors m’attribuer exclusivement l’acte d’espionner. Mais ce sujet n’en est pas un parce qu’il est impersonnel. Privé de « je », il est ce qui se transcende vers le « je » lorsqu’il s’interroge sur lui-même en se demandant qui il est. Quel est exactement le rapport entre l’idée de liberté et ce qu’un profane estime être un monstre philosophique, une conscience individuée impersonnelle, donc ( !?) non individuelle, ou l’impersonnalité d’une conscience individuée, donc ( !?) personnelle ? Si la liberté n’est pas une propriété du sujet empirique, le sujet libre est une entité anonyme dont le nom propre ne peut être Jean-Paul ou Simone. Comment ce je, découvert par la philosophie, pourrait-il être un vrai je ? Le sujet qui fait une chose alors qu’il pourrait faire le contraire, qui peut donc faire n’importe quoi, est n’importe qui30. L’identification sartrienne de la conscience avec le néant exemplifie le vide que présuppose l’idée de sujet libre, qu’il prenne la forme de l’âme cartésienne ou du noumène kantien. C’est parce qu’il n’y a rien dans le libre arbitre, ou dans le noumène, qui le pousse à agir d’une manière plutôt que d’une autre que l’on parle de liberté. La rigueur théorique de Sartre est d’appeler simplement cette chose par son nom en identifiant directement la liberté à cette absence.
18De cette soumission aux exigences de l’idée de liberté naît une curieuse diffiiculté. La liberté sert à juger, punir et récompenser. Mais comment emprisonner un pour-soi, un néant, un trou, un rien ? C’est l’individu concret que l’on attrape, donc celui qui est déterminé, pas le néant qui justifie qu’on l’accuse parce qu’il pouvait faire le contraire de ce qu’il a fait. Le tortionnaire de L’être et le néant échoue logiquement à s’approprier la liberté de sa victime en la contraignant de se renier librement par l’identification à la chair torturée. Comme la liberté n’est pas dans le corps qu’il tient en son pouvoir, elle est hors de portée de ses instruments31. De son côté, le philosophe risque de s’égarer dans un sujet qui n’est pas un sujet, une individualité non individuelle, ou une impersonnalité personnelle, parce qu’il tente de saisir conceptuellement la liberté de l’individu concret, qui, en tant que concret, est une chose du monde, qui, en tant que liberté, est du pour-soi. Ce que l’on attrape, c’est un individu singulier, mais on ne peut le faire qu’en l’identifiant à un néant qui n’est pas lui, ni rien, ni personne. Lorsqu’il s’agit de la connaissance, il est légitime de s’appuyer sur un sujet universel comme la substance pensante cartésienne, ou un moi transcendantal kantien ou husserlien car la vérité est universelle. Quand un individu comprend une vérité avec sa démonstration, la pensée est anonyme ; il pense comme tous ceux qui suivent le même raisonnement. En revanche, comme les choix d’un individu sont singuliers, ils sont diffiiciles à comprendre à partir d’un transcendantal impersonnel sartrien ou personnel-universel husserlien. Une réaction spontanée lors d’un entretien avec Simone de Beauvoir fait crûment ressortir le problème :
S. de B. -Vous voulez dire que vous auriez pu faire intérieurement un autre choix [que de jouer le rôle de soldat] ? Par exemple un choix pacifiste ? J.-P.S. – Oui, j’étais libre de faire n’importe quel choix. S. de B. – Ou même un choix collaborateur, pro-nazi. J.-P. S. – Non, pas celui-là, parce que j’étais contre les nazis32.
19La liberté du pour-soi est évidemment de pouvoir faire n’importe quel choix puisqu’il n’est rien. Sartre aurait donc pu collaborer. Mais quand Beauvoir le confronte à cette effirayante possibilité, il recule devant l’infinité de sa liberté. Est-ce de l’angoisse ou de l’effiroi ? Au lieu de répondre positivement en accord avec son néant, il exclut a priori la collaboration. La raison est qu’il se place du point de vue de l’individu concret, qui a une histoire singulière et qui occupe une certaine place dans la société. Sartre ne remplit pas les conditions empiriques qui expliquent la collaboration : être victime des forces sociales de désintégration, accepter le fait accompli et haïr la société où l’on n’a pu jouer de rôle33. Ce sont donc des facteurs historiques et sociologiques qui rendent impossible un choix métaphysiquement possible. Selon les termes de La transcendance de l’ego, en s’hypnotisant et en s’absorbant dans son je, la conscience s’est échappée à elle-même.
20Mais quelle est la valeur théorique de l’idée de liberté s’il est impossible de tirer la conséquence logique qu’elle impose ? Dans une de ces notes assassines qui contribuent au charme de la vie intellectuelle, Bourdieu s’afflige (mais il aurait pu tout aussi bien se moquer) de l’« effiort pathétique » de la vie et de l’œuvre de Sartre « pour arracher la personne, en la personne de l’intellectuel, créateur incréé, fils de ses œuvres hanté par le “projet d’être Dieu”, à toute espèce de réduction au général, au genre, à la classe [… ]34 », autrement dit pour échapper aux prises de la science. Le sociologue s’en prend tout particulièrement aux pages de L’être et le néant consacrées à la psychanalyse existentielle où Sartre défend la supériorité de sa conceptualisation sur celle de la psychologie. Que reproche le philosophe à cette science ?
[…] une semblable analyse psychologique part du postulat qu’un fait individuel est produit par l’intersection de lois abstraites et universelles. Le fait à expliquer – qui est ici les dispositions littéraires du jeune flaubert – se résout en une combinaison de désirs typiques et abstraits tels qu’on les rencontre chez « l’adolescent en général ». Ce qui est concret ici, c’est seulement leur combinaison ; en eux-mêmes ils ne sont que des schèmes […] l’individuel n’est que l’interaction de schèmes universels. Mais – outre l’absurdité logique d’un pareil postulat – nous voyons clairement, dans l’exemple choisi, qu’il échoue à expliquer ce qui fait précisément l’individualité du pro-jet considéré. Que « le besoin de trop sentir » – schème universel – se trompe et se canalise en devenant besoin d’écrire, ce n’est pas l’explication de la « vocation » de flaubert : c’est ce qu’il faudrait expliquer au contraire. Sans doute on pourra invoquer mille circonstances ténues et inconnues de nous qui ont façonné ce besoin de sentir en besoin d’agir. Mais d’abord c’est renoncer à expliquer que de s’en remettre précisément à l’indécelable. En outre, c’est rejeter l’individuel pur, qu’on a banni de la subjectivité de flaubert dans les circonstances extérieures de sa vie35.
21Le problème qui intéresse Sartre est celui de l’individualité de l’individu, l’individuel pur. Or la psychologie, et l’on pourrait bien évidemment ajouter la sociologie, commet une erreur logique en croyant déduire le comportement singulier d’un individu à des principes universels. Les propriétés psychologiques et sociologiques de flaubert n’expliquent pas pourquoi, à la diffiérence d’autres individus ayant des traits similaires, il a voulu être écrivain plutôt qu’acteur. Le psychologue et le sociologue admettront que pour expliquer comment les traits généraux se concrétisent dans la décision singulière de flaubert, il faudrait connaître une multitude de facteurs qui nous échappent. Sartre rejette cette invocation des paramètres cachés car elle refuse a priori de prendre l’homme au sérieux en appliquant la définition du matérialisme par Auguste Comte, celle de l’explication du supérieur par l’inférieur. La distinction de l’en-soi et du pour-soi signifie que l’explication de l’homme par ses désirs et le déterminisme, comme s’il était un vivant ou une chose, le fait disparaître. L’objet d’étude, l’individualité de l’individu, exige un autre type d’explication. L’individuel pur n’est pas dehors, là où le cherche la psychologie, à l’intersection de lois qui régissent les êtres mondains. Il est à l’intérieur. Autrement dit, la psychologie confond le moi avec la conscience. Il est vrai que la conscience n’existe que dans sa projection vers l’extérieur. Mais cette dévalorisation de la vie intérieure vise la substantialisation de la conscience, sa réduction à une chose parmi les choses, que l’on croit accessible par introspection. L’extérieur est valorisé par Sartre, non en tant qu’opposé à l’intérieur, mais comme le résultat du mouvement de projection constitutif de la conscience. Le réalisme de Sartre, son intérêt pour le retour aux choses promis par la phénoménologie, n’est que l’autre face du subjectivisme dénoncé par Bourdieu. L’intentionnalité de la conscience, le fait d’être la conscience de quelque chose qu’elle n’est pas, prétend dépasser l’alternative du réalisme et de l’idéalisme puisque la conscience et son objet sont donnés simultanément. Le centre de gravité de l’argumentation est cependant la projection de la conscience vers des fins propres. La dénonciation de l’impuissance de la psychologie à penser l’individualité de l’individu montre comment le coup d’éclat réaliste qui transforme le moi lui-même en une chose du monde, implique un retour à la subjectivité, et donc à une intériorité, comme lieu de l’individuel pur. La psychologie ou la sociologie commettent l’erreur d’arrêter leur enquête à l’ambition ou à la condition bourgeoise comme s’il s’agissait d’une donnée irréductible, en deçà de laquelle il est impossible de remonter. Sartre part en conséquence à la recherche d’« un véritable irréductible, c’est-à-dire un irréductible dont l’irréductibilité serait évidente pour nous […] dont la constatation s’accompagnerait chez nous d’un sentiment de satisfaction36 ». Comme le propre de l’irréductible est de ne pouvoir être analysé et recomposé par synthèse, il est ce dont il faut absolument partir, ce sur quoi se fonde toute explication. Autrement dit, son évidence va contenter l’esprit sartrien s’il répète le présupposé de la liberté de l’homme. La singularité de la personne se découvre non dans la juxtaposition de ses tendances psycho-sociologiques, ni dans une substance abstraite dont elle serait le support et l’unité, mais dans le projet « initial »», « originel » ou « fondamental » par lequel le sujet se définit et dont les tendances particulières sont une expression parce qu’il les unifie en leur donnant une signification37.
22L’argumentation de Sartre inspire de la pitié au sociologue. Confronté à un problème qui le dépasse, le philosophe se débat pour sauver ses préjugés comme un théologien qui tente de penser le vivant à l’aide de la Bible au temps de la théorie de l’évolution :
C’est au terme de cette longue « démonstration », dans laquelle il démontre surtout que tous les moyens lui sont bons pour sauver ses convictions ultimes, que Sartre introduit cette sorte de monstre conceptuel qu’est la notion autodestructrice de « projet originel », acte libre et conscient d’autocréation par lequel le créateur s’assigne son projet de vie. Avec ce mythe fondateur de la croyance dans le « créateur » incréé (qui est à la notion d’habitus ce que la Genèse est à la théorie de l’évolution), Sartre inscrit à l’origine de chaque existence humaine une sorte d’acte libre et conscient d’autodétermination […], les arrachant définitivement, par cette dénégation transcendantale, aux prises de la science38.
23Il est toujours fascinant de voir comment l’évidence pour certains n’existe pas pour d’autres39. Les termes « originel », « fondamental », « irréductible », expriment l’intention de radicalité du philosophe. On voit surtout comment la volonté de remonter à la racine amène le théoricien à surestimer sa position car il a seulement rappelé le principe de sa théorie. Cette argumentation tautologique ne peut évidemment satisfaire qu’un sartrien. Son charme est de le renforcer dans ses convictions par la réactivation du principe. Il est donc naturel que la radicalité philosophique soit contestée par le sociologue, ou par le membre d’une autre chapelle philosophique. En posant des principes alternatifs (l’habitus contre le projet originel), il prétend également faire preuve de radicalité. Cette ambitieuse et banale revendication est totalement vide puisque les théories rivales reposent sur des principes spécifiques qui prétendent saisir ce qui est essentiel dans l’être et dans l’homme. Mais Bourdieu attaque également la thèse de Sartre d’un point de vue logique. Comment flaubert (un enfant prénommé Gustave, né dans une famille bourgeoise, etc.) est-il devenu flaubert (l’écrivain) ? La réponse est que flaubert, comme sujet libre, s’est fait flaubert, comme écrivain, grâce à un projet originel. Cette autocréation est incohérente car elle exige à la fois la présence et l’absence de l’effiet dans la cause. Le je est déjà là puisqu’il est en train de faire quelque chose de lui-même et il doit être absent parce qu’il est à faire. Si l’effiet préexiste, il faut encore comprendre d’où provient le désir d’être écrivain. S’il ne préexiste pas, une authentique création par soi devient possible. Mais comme la cause est vide, elle est compatible avec tous les possibles40 et l’on ne comprend pas pourquoi c’est précisément celui-ci qui se réalise. Soit l’effiet préexiste et il n’y a plus de liberté. Soit il y a de la liberté, et l’idée ne peut remplir son rôle théorique explicatif. Elle est donc inutile.
24Dans la seconde hypothèse on sauve l’idée, ce qui n’est pas négligeable, ne serait-ce que pour notre orgueil. Mais ce résultat est-il bien solide ? Allons au cœur du drame existentiel pour nous en assurer :
Dans l’angoisse, […] nous appréhendons en outre notre choix, c’est-à-dire nous-mêmes, comme injustifiable, c’est-à-dire que nous saisissons notre choix comme ne dérivant d’aucune réalité antérieure et comme devant servir de fondement, au contraire, à l’ensemble des significations qui constituent la réalité. L’injustifiabilité n’est pas seulement la reconnaissance subjective de la contingence absolue de notre être, mais encore celle de l’intériorisation et de la reprise à notre compte de cette contingence41.
25La liberté n’est pas une idée abstraite. Elle est vécue. Elle se donne avec évidence dans le sentiment d’angoisse. Nous l’éprouvons comme un fardeau. Nous sentons que notre vie serait plus légère sans l’obligation de nous choisir en l’absence de tout fondement. Dans ces moments, chacun sait que le choix qu’il fait de son moi, de ses valeurs et de son monde, est radical et absolu, qu’il procède de lui et ne repose sur rien. Dépendant exclusivement de moi, constamment révocable, ce choix est contingent. Il est peut-être douloureux de flotter dans le néant comme le souligne le philosophe, mais il est tout de même réconfortant de se sentir au cœur de la réalité humaine. Malheureusement, de la contingence qui se révèle au fond de l’angoisse surgit une nouvelle inquiétude théorique. Comme nous le rappelle le héros de La nausée, le néant est une manière humaine de se référer à la contingence : « L’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. […] aucun être nécessaire ne peut expliquer l’existence : la contingence […] c’est l’absolu, par conséquent, la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même42. » La nausée de Roquentin est la prise de conscience de la contingence absolue, qui échappe à toute raison et à toute explication et que l’on se dissimule ordinairement. L’existence n’a pas dans ce roman le sens phénoménologique et spécifiquement humain de L’être et le néant. Elle est ici la présence gratuite des hommes et surtout des choses. Dans l’expérience de la nausée, le pour-soi se laisse envahir par les choses43, il existe comme elles lorsque le sens attribué par la conscience a disparu. La racine n’est plus la partie d’un arbre que l’on a planté pour créer un espace vert ou un élément de la nature telle que la construisent les sciences. Elle est une pure présence en deçà des mots et des significations habituelles que les hommes lui attribuent et qui leur dissimulent la contingence absolue de l’existence en l’inscrivant dans un ordre signifiant, c’est-à-dire un monde. Le néant que nous sommes et qui nous distingue radicalement de l’en-soi implique la contingence de nos choix. Mais comme la contingence s’applique également à l’en-soi, la frontière qui sépare ces deux régions de l’être se brouille et une nouvelle menace pèse sur l’idée de liberté. Si elle se résout en contingence, elle devient inutile et notre orgueil métaphysique d’être libres n’a plus de sens.
26La liberté implique la contingence puisque mon choix pourrait être diffiérent, mais la contingence n’implique pas la liberté, comme le montre l’application de ce terme aux choses. On parle raisonnablement de la contingence du monde alors que l’expression « la liberté du monde » n’a ordinairement pas de signification. L’inconfort de l’affiinité entre la liberté et la contingence est sensible lorsque Sartre parle de celle-ci comme d’« une espèce de liberté des choses, qui ne sont pas rigoureusement nécessitées par l’instant précédent44 ». La possibilité d’attribuer de la liberté aux choses du fait de leur contingence s’accompagne de son refus immédiat. Il n’y a qu’une espèce de liberté parce que la contingence des choses ne partage avec la liberté de l’homme que la gratuité. L’absence de détermination fait exister les choses et les hommes sans raison, comme s’ils n’avaient pas à être là, comme s’ils étaient de trop. La liberté n’est pas simplement la contingence parce qu’elle ajoute quelque chose à la gratuité, l’autonomie45. On le voit lorsque Mathieu se demande s’il doit épouser Marcelle : « L’autobus […] l’emportait, le faisait virer à droite, à gauche, le secouait […], il pensait : “Ma vie n’est plus à moi, ma vie n’est plus qu’un destin” […] L’épousera, l’épousera pas : “Ça ne me regarde plus, c’est pile ou face”. » Si le mariage est un fait contingent et indépendant de la volonté de Mathieu, il est le fruit du jeu imprévisible des circonstances, ce qu’on appelle le hasard, symbolisé ici par les mouvements chaotiques du bus. Comme il est indépendant de sa volonté et s’impose à lui, l’alternative aléatoire du pile ou face est équivalente à un destin. Mais « il y eut un brusque coup de frein et l’autobus s’arrêta. […] toute sa liberté venait de refluer sur lui. Il pensa : “Non, non, ce n’est pas pile ou face. Quoi qu’il arrive, c’est par moi que tout doit arriver”46 ». Le mariage ou le non-mariage est toujours un fait contingent, mais il n’est plus le fruit d’un hasard transformé en destin du fait de l’indépendance par rapport à l’homme. L’arrêt du bus est l’occasion de la prise de conscience de la liberté. Mathieu sait que l’événement futur, quel qu’il soit, dépend de lui. Le hasard est une contingence passive vécue comme un destin alors que la liberté est une contingence active dont on assume la responsabilité.
27Le propre de l’autonomie du sujet est d’arracher la contingence au hasard-destin en lui donnant librement un sens47. Ce choix est néanmoins de faire quelque chose de totalement contingent. Pour maintenir l’opposition entre les formes libre et aléatoire de la contingence, il faudrait montrer que la modalité du surgissement du contingent (« par moi ») est plus significative que sa contingence. Cette position n’est pas facile à tenir. Le sujet, totalement indéterminé, qui décide seul, sans dépendre de valeurs préexistantes, n’a, du fait de sa liberté, aucune raison de pencher vers une action plutôt qu’une autre : il est « libre pour rien ». S’il peut faire n’importe quel choix, il est « libre pour tout48 ». Le sujet est le lieu et le responsable de ce contingent parce que le rien et le tout sont équivalents dans son néant qui l’oppose à la plénitude de l’être. Si l’accent porte sur le fait que ce néant est le mien, alors le mot « liberté » garde une pertinence. Si l’on accentue l’indétermination du sujet, son acte devient une pure contingence. En quoi est-il finalement autre chose que du hasard, un pile ou face ? Si l’on souligne que cette contingence dépend exclusivement du sujet, il en résulte seulement que ce hasard ne s’impose pas à lui de l’extérieur comme une fatalité. Il n’est plus confondu avec un destin. Il est un vrai hasard. La pertinence du mot « liberté » est à nouveau en péril. Si le sujet est bien la source de ce hasard, comment le distinguer lui-même d’un coup de dés ?
28Leibniz avait souligné cette diffiiculté à propos de la liberté d’indiffiérence : « Je ne crois pas qu’on choisisse jamais quand on est absolument indiffiérent. Un tel choix serait une espèce de pur hasard, sans raison déterminante, tant apparente que cachée. […] Mais s’il y a avait une telle indiffiérence vague, ou bien si l’on choisissait sans qu’il y eût rien qui nous portât à choisir, le hasard serait quelque chose de réel [… ]49. » Si l’indiffiérence existait, pourrait-on parler d’un choix et mériterait-il d’être appelé libre ? Descartes répond positivement. Comme le montre la comparaison avec la passivité de l’âne de Buridan, cette situation met en relief la force de la volonté. À la diffiérence des êtres corporels du monde, et à l’image de Dieu, elle possède le pouvoir de préférer une option indépendamment de tout facteur externe, d’agir par elle-même et selon des règles qu’elle se fixe. L’indiffiérence ne supprime ni même ne modifie ce pouvoir. L’ignorance du vrai et du bien fait simplement que je peux agir à mon détriment. Si j’ai autant faim que soif, peu importe le choix, il sera bénéfique. Mais si j’ignore que l’une des alternatives est un poison, je peux mourir de mon choix aveugle. Victime d’un contexte qui me domine ou jouet d’esprits malfaisants, il n’y a guère de sens à s’enorgueillir de sa liberté. Pour être ce bien inestimable, elle doit nous conduire à la plus haute des satisfactions, être son propre maître à l’image de Dieu. C’est pourquoi Descartes considère que la liberté d’indiffiérence montre plutôt l’imperfection de l’entendement que la perfection de la volonté. Elle pourrait nous faire croire que vouloir, c’est agir de manière arbitraire. Or chacun sait que toutes les actions n’ont pas la même valeur. Il est préférable d’agir dans un contexte de non-indiffiérence où une connaissance du vrai et du bien garantit l’innocuité et la valeur positive du choix. Cette volonté est incontestablement la mienne parce qu’elle fait exister mon être. La liberté d’indiffiérence est donc déjà de la liberté, mais, comme les formes plus ou moins éclairées sont supérieures, elle en est le plus bas degré50. Leibniz conteste cette argumentation. Dans l’indiffiérence absolue, il n’y a aucune raison d’aller dans un sens ou dans l’autre. Nous marchons comme des aveugles, ballottés par les circonstances, dans une incertitude source de crainte et d’angoisse. À proprement parler, on ne choisit pas puisqu’on ne préfère rien à rien. Comme cet état n’est pas ce qui est valorisé quand on parle de liberté, il nous faut un autre mot pour le nommer. « Hasard » remplit parfaitement ce rôle : signifier le surgissement d’un événement purement contingent hors du champ du conscient. En un sens, c’est bien le moi qui tranche. Mais comme il ne sait pas ce qu’il fait, il n’est que le lieu du contingent, qui advient à travers lui mais non par lui. L’ignorance a supprimé l’activité qui faisait de la contingence une liberté.
29Si l’on pense que l’indiffiérence et le hasard n’existent pas, la possibilité théorique de réduire la première au second n’est guère embarrassante. Comme il n’existe que des choix où la volonté est toujours inclinée, la liberté réelle est une forme particulière d’inclination, forcément distincte du hasard. Descartes conclut ainsi que le plus haut degré de la liberté est de poursuivre le vrai et le bien connus par la raison ou révélés par Dieu. L’argument de Leibniz est plus embarrassant pour un sartrien. Le néant est en effiet une indiffiérence absolue. « L’ontologie ne saurait formuler elle-même des prescriptions morales. » De son point de vue, il est équivalent de préférer être un conducteur de peuples, un ivrogne ou autre chose. Comme on le sait, Sartre n’a jamais pu fonder la morale sur cette liberté51. La liberté sartrienne est donc particulièrement exposée à être réduite au hasard.
30La pertinence du mot « liberté » peut être mise en doute par une autre voie. Dans ses entretiens de 1974, Sartre dit qu’ils lui ont « réappris » sa théorie de la liberté52. Faut-il conclure qu’il l’avait oubliée ? Quand Sartre aurait-il perdu de vue son idée fondamentale ? Dans les Questions de méthode qu’il publie en 1957, et qui forment le préambule de la Critique de la raison dialectique, il estime que le marxisme est l’horizon philosophique de son temps. Après avoir cité le passage du Capital où Marx explique que le règne de la liberté commence après la nécessité du travail, il fait ce commentaire : « Aussitôt qu’il existera pour tous une marge de liberté réelle au-delà de la production de la vie, le marxisme aura vécu ; une philosophie de la liberté prendra sa place. Mais nous n’avons aucun moyen, aucun instrument intellectuel, aucune expérience concrète qui nous permette de concevoir cette liberté ni cette philosophie53. » On mesure la tristesse d’un lecteur enthousiasmé par L’être et le néant quand il découvre cette phrase ! Pour Robert Misrahi, elle signifie « que, actuellement, la liberté n’est pas pensable et que la philosophie de la liberté n’est pas concevable54 ». C’est l’aliénation et non la liberté qui est le fait fondamental. À ce moment, Sartre subordonne peut-être sa philosophie au marxisme, mais la contradiction avec L’être et le néant n’est pas aussi claire que le fait croire la déception du sartrien. Comme la liberté n’existe qu’en situation, elle est nécessairement aliénée. Quel est le facteur le plus important, la liberté ou les conditions externes qui l’aliènent ? Si l’accent porte sur le fait que seule une liberté peut être aliénée, alors la liberté reste le principe de la compréhension de l’homme. S’il porte sur l’aliénation, le sens de la liberté est subordonné à la possibilité de la dépasser. En cas d’irréversibilité, la liberté-principe se réduit à une abstraction et la liberté ne sera jamais réelle. Cette effiroyable possibilité est évidemment incompatible avec l’idée que nous sommes condamnés à être libres, autrement dit que nous avons toujours le pouvoir de nous désaliéner. Or Sartre n’a pas exclu a priori une aliénation « totale et définitive » sur le plan individuel et même collectif. Cette dernière équivaudrait ontologiquement à la non-existence pure et simple de l’homme dans l’histoire. S’il n’accède pas à la liberté, il est, non pas mort, mais « foutu » parce qu’il n’aura pas suffiisamment existé de manière humaine pour qu’il soit possible de dire qu’il est mort55.
31Quand l’admirateur de L’être et le néant lit les Questions de méthode, il est désagréablement surpris par la rareté du mot « liberté56 ». Il se rassure en pensant que, si l’on peut utiliser le mot et parler d’autre chose, comme le hasard ou l’oppression, son absence n’entraîne pas forcément celle de l’idée. C’est dans cet esprit qu’il lit ces phrases :
Ainsi l’aliénation peut modifier les résultats de l’action mais non sa réalité profonde. Nous refusons de confondre l’homme aliéné avec une chose, et l’aliénation avec les lois physiques qui régissent les conditionnements d’extériorité. […] Pour nous, l’homme se caractérise avant tout par le dépassement d’une situation, par ce qu’il parvient à faire de ce qu’on a fait de lui, même s’il ne se reconnaît jamais dans son objectivation. Ce dépassement nous le trouvons à la racine de l’humain et d’abord dans le besoin […]. […] la conduite la plus rudimentaire doit se déterminer à la fois par rapport aux facteurs réels et présents qui la conditionnent et par rapport à un certain objet à venir qu’elle tente de faire naître. C’est ce que nous nommons le projet57.
32Rien dans ce texte ne s’oppose aux thèses de L’être et le néant. Pour le sartrien, son objet est incontestablement la liberté. Utiliser le mot « liberté » pour expliquer et mieux comprendre ce passage est non seulement légitime, mais nécessaire58. C’est uniquement parce que la liberté permet toujours à l’homme de dépasser le donné en se projetant dans l’avenir que l’aliénation n’est pas une chosification. Pourtant, l’absence du mot secrète une insatisfaction. Il ne suffiit pas de sentir que l’on est l’objet de regards amoureux. On veut entendre les mots magiques qui bouleversent une vie ! Dans ce livre, Sartre s’abstient visiblement d’écrire le mot attendu. Mais puisque la liberté est la vérité de sa pensée, il faut bien qu’il finisse par apparaître ! Le sartrien n’est donc pas surpris de voir sa patience récompensée :
Donc l’homme se définit par son projet. Cet être matériel dépasse perpétuellement la condition qui lui est faite ; il dévoile et détermine sa situation en la transcendant pour s’objectiver, par le travail, l’action ou le geste. […] C’est ce que nous nommons l’existence et par là, nous n’entendons pas une substance stable qui se repose en elle-même mais un déséquilibre perpétuel, un arrachement à soi de tout le corps. Comme cet élan vers l’objectivation prend des formes diverses selon les individus, comme il nous projette à travers un champ de possibilités dont nous réalisons certaines à l’exclusion des autres, nous le nommons aussi choix ou liberté59.
33Le mot est enfin prononcé ! La joie n’est malheureusement pas sans mélange. « Liberté » termine une phrase, mais sans avoir le même poids que dans le poème d’Éluard où l’absence de l’article lui confère la singularité irremplaçable du nom propre. Le mot est ici prononcé du bout des lèvres comme l’équivalent du choix. Les deux termes sont-ils exactement synonymes ? Faut-il conclure que la liberté se réduit au choix ou qu’elle le fonde ? En parlant d’élan, Sartre évoque le mouvement de dépassement typiquement sartrien depuis La transcendance de l’ego. Le mot « liberté » n’est cependant appliqué qu’à ses multiples formes individuelles. C’est probablement la raison d’introduire la liberté comme synonyme du choix. Une frustration vient alors ternir la joie de lire le mot espéré. Dans cette manière de se réduire au choix, la liberté se banalise. Quelque chose manque. On ne sent pas qu’elle constitue notre être et que nos choix ordinaires consistent trop souvent à la refuser. finalement, le malaise du sartrien s’est peut-être aggravé. Se pourrait-il qu’il ne soit pas réellement question de la liberté quand le mot est prononcé ?
34Il y a des incertitudes sur la pertinence du mot « liberté » parce que son usage n’est pas arbitraire. Il dépend de conditions théoriques. Dans L’être et le néant, Sartre est individualiste60. Avec l’expérience de la guerre et de la captivité, il prend conscience de la dimension sociale et politique de l’individualité et de la liberté. Jusqu’alors, il ne pouvait pas être socialiste parce que son sentiment de liberté était incompatible avec le matérialisme indissociable du socialisme d’alors. La « conversion » au socialisme est devenue possible quand il a « trouvé le moyen de matérialiser cette liberté – ce que j’ai fait pendant les trente années suivantes de ma vie61 ». D’après les concepts de L’être et le néant, l’expression « matérialiser la liberté » est une contradiction qui finira immanquablement par nier la liberté. Dans cette perspective, la rareté du mot « liberté » est un effiet naturel de cette entreprise désespérée. Des formulations justifient cette hypothèse. Comme dans L’être et le néant, le projet est une idée « analytiquement » liée à celle de liberté, la présence du mot dans les Questions de méthode est a priori une occasion naturelle pour y voir la liberté. Cette opération est malheureusement rendue incertaine par le changement de problématique :
Ainsi le subjectif retient en soi l’objectif qu’il nie et qu’il dépasse vers une objectivité nouvelle ; et cette nouvelle objectivité à son titre d’objectivation extériorise l’intériorité du projet comme subjectivité objectivée. Ce qui veut dire à la fois que le vécu en tant que tel trouve sa place dans le résultat et que le sens projeté de l’action apparaît dans la réalité du monde pour prendre sa vérité dans le processus de totalisation. Seul, le projet comme médiation entre deux moments de l’objectivité peut rendre compte de l’histoire, c’est-à-dire de la créativité humaine62.
35Alors que la thématique de la créativité fondée sur le projet aurait dû l’imposer, le mot « liberté » est absent de ces lignes, comme des phrases qui les encadrent. Comment ne pas soupçonner la nouvelle problématique d’être à l’origine de cette déplorable lacune ? La conception dialectique du processus historique de totalisation veut dépasser l’opposition du subjectif et de l’objectif en montrant que la présence du premier dans le résultat final est sa vérité63. Auparavant, la vérité d’un homme était déjà dans la série de ses actes, mais la vérité de la subjectivité était d’échapper à l’objectivité, à celle du tout et même à celle de l’intimité du moi : « À l’évanouissement de son Ego correspondait le surgissement éblouissant de sa subjectivité64 », lisait-on encore dans Saint Genet. Tout se passe maintenant comme si, en déplaçant l’accent sur l’objectivité, le philosophe était gagné par l’esprit de sérieux du matérialiste. La subjectivité s’opacifie. Elle s’englue dans les choses. Nous ne sentons plus ce trou où l’on s’échappe du plein. Où est le coup de vent libérateur ? L’ailleurs de la transcendance ? Quel accablement de voir le projet redéfini comme la médiation entre deux objectivités dans un processus de totalisation… Nous ne sortons plus de l’être ! On étouffie ! Bien sûr, au fond, en dernière instance, il y a la liberté. Les marxistes, d’ailleurs, ne s’y sont pas trompés. Pour Roger Garaudy, la Critique de la raison dialectique nie les principes du matérialisme historique. L’histoire est « la résultante de l’affirontement des projets65 » parce que Sartre ne rompt pas avec le subjectivisme bourgeois. La reconstitution des rapports sociaux avec des individus est purement rhétorique. La condamnation des marxistes n’est évidemment pas une preuve suffiisante aux yeux du sartrien réfractaire à l’idée de matérialiser la liberté. Quand il lit ces phrases, il ne sent pas la liberté, il ne se sent pas libre, appelé à ne pas être ce qu’il est ou à être ce qu’il n’est pas. N’est-il pas plus juste et honnête d’éviter le mot quand finalement ce qui importe est un processus de totalisation dont la subjectivité est un moment ?
36On voit que, même pour un défenseur de la liberté comme Sartre, il peut ne pas être facile d’écrire ce mot. Quand il le fait, sommes-nous sûrs qu’il parle d’elle ? Quand elle semble bien être l’objet de son discours, il lui est parfois diffiicile d’utiliser le mot. Dans les deux cas, le terme court le danger d’être inutile. Un premier écueil provient du sérieux avec lequel Sartre considère la liberté. On lui reproche de ne pas avoir fondé la morale qu’il annonçait. Sa conférence L’existentialisme est un humanisme, prononcée en octobre 1945, peine à dépasser l’individualisme de L’être et le néant. Cette lecture négative, logiquement possible, n’est pourtant pas complètement satisfaisante. Elle ne restitue pas le sentiment de liberté qui peut accompagner la lecture de L’être et le néant. Sartre s’effiorce de penser et de vivre « une liberté qui se veut liberté66 », autrement dit qui reste libre et refuse de se perdre dans les choses pour devenir non libre. Rimbaud a exprimé la douleur de cette lutte dans un pléonasme :
Je meurs, je me décompose, dans la platitude, dans la mauvaiseté, la grisaille. Que voulez-vous, je m’entête affireusement à adorer la liberté libre, et… un tas de choses que « ça fait pitié », n’est-ce pas ? – Je devais repartir aujourd’hui même ; je le pouvais : j’étais vêtu de neuf, j’aurais vendu ma montre, et vive la liberté ! – Donc je suis resté ! je suis resté ! – et je voudrai repartir encore bien des fois. – Allons, chapeau, capote, les deux poings dans les poches, et sortons ! Mais je resterai, je resterai je n’ai pas promis cela. Mais je le ferai pour mériter votre affiection67.
37La liberté non libre de rester l’emporte douloureusement malgré la conscience aiguë que la liberté libre est de partir. La liberté libre nous échappe, mais c’est toujours elle que l’on s’obstine à chercher. « Son âme est seule dans le temps, écrit Jacques Rivière à propos du poète ; elle est traversée par le souffle désert de la totale liberté. À la place des innombrables ménagements qui emplissent la nôtre, il y a en elle comme un vide, mais un vide brûlant, féroce, une sorte de flamme négative68. » La liberté réellement libre, nous dit Sartre, est le dépassement du réel, le pouvoir de le nier en se projetant vers un ailleurs inconnu. Vous voulez la liberté ? Mais pourquoi devrait-elle déboucher sur autre chose qu’elle-même, de l’ordre, des normes, des conventions, de la morale ? Ne perdons-nous pas ce qui est libre en elle ? Est-ce toujours elle que l’on nomme et que l’on aime ? La liberté libre est méfiante. Elle ne veut pas de ce que notre mauvaise foi désigne ordinairement avec ce grand mot, la soumission à un ordre sous lequel les lâches et les salauds sa cachent leur vraie liberté. Nous voyons malheureusement que la rigueur théorique et l’obstination sartriennes de penser une liberté libre bute sur un point d’incertitude où la pertinence du mot révèle sa fragilité. Nous croyons parler de la liberté alors qu’il ne serait peut-être question que du hasard… Nous pouvons choisir de lui livrer notre vie, mais sera-t-elle encore libre ? Un nouvel écueil se profile lorsque l’on n’ose plus se tenir sur ces hauteurs béantes. On éprouve le dur et triste devoir d’être sérieux, de tenir compte de la réalité, de s’y plier. Il y a un moment, indéterminable a priori, où nous hésitons à écrire le mot. Nous sentons qu’il le faudrait, à l’image d’Éluard, mais la pesanteur de l’objectivité et la grandeur du tout nous retiennent. Apprenons à goûter ce point d’incertitude ! Ne cédons pas à la puissante tentation de le contourner, tant il est désagréable d’entrevoir la vanité de ce que l’on croit adorer !
Notes de bas de page
1 J.-P. Sartre, Situations III, op. cit., p. 207.
2 P. Gavi, J.-P. Sartre, P. Victor, On a raison de se révolter. Discussions, Paris, Gallimard, 1974, p. 100.
3 J.-P. Sartre, L’être et le néant, op. cit., p. 306. Sur l’aliénation chez Sartre, voir S. Haber, L’aliénation, Paris, PUF, 2007, p. 173-181 ; F. fischbach, « L’aliénation comme réification », dans E. Barrot (dir.), Sartre et le marxisme, Paris, La Dispute, 2011, p. 285-312.
4 « […] la reconnaissance de mon esclavage (sentiment de l’aliénation de toutes mes possibilités) » (J.-P. Sartre, L’être et le néant, op. cit., p. 314).
5 Ibid., p. 309.
6 « S. de B. – Mais vous n’aviez pas conscience des contraintes que subissent les gens ? J.-P. S. – À un certain moment, non. […] N’oubliez pas que jusqu’en 1937-1938, j’attachais une grande importance à ce que j’appelais alors l’homme seul. C’est-à-dire, au fond, l’homme libre dans la mesure où il vit hors des autres parce qu’il est libre et qu’il fait arriver les choses à partir de sa liberté » (S. de Beauvoir, La cérémonie des adieux, op. cit, p. 446).
7 « Sans doute, ce qui manifeste le plus souvent un regard, c’est la convergence vers moi de deux globes oculaires. Mais il se donnera tout aussi bien à l’occasion d’un froissement de branches, d’un bruit de pas suivi du silence […]. Pendant un coup de main, les hommes qui rampent dans les buissons saisissent comme regard à éviter, non deux yeux, mais toute une ferme blanche qui se découpe dans le ciel […] » (J.-P. Sartre, L’être et le néant, op. cit., p. 303-304 ; voir également Saint Genet, comédien et martyr, Paris, Gallimard, 2011, p. 291).
8 La neutralité du point de vue ontologique est naturellement suspecte car le philosophe privilégie l’exemple de la honte et utilise un vocabulaire négatif, sentiment que renforce la célèbre formule de Huit clos, « l’enfer, c’est les autres ». Cette diffiiculté n’est pas propre à Sartre, mais à l’idée même d’authenticité comme le montrait déjà Martin Heidegger. Même pour ceux qui ont la foi heideggérienne, il est diffiicile de croire que les analyses existentiales de l’inauthenticité du « on » ont un sens neutre et non normatif (M. Zarader, Lire Être et temps de Heidegger, Paris, Vrin, 2012, p. 204-206).
9 J.-P. Sartre, La transcendance de l’ego et autres textes phénoménologiques, Paris, Vrin, 2003, p. 89.
10 « Et le rapport d’interdépendance qu’elle [la conscience] établit entre le Moi et le Monde suffiit pour que le Moi apparaisse comme “en danger” devant le Monde, pour que le Moi (indirectement et par l’intermédiaire des états) tire du Monde tout son contenu » (ibid., p. 131).
11 Ibid., p. 125-126.
12 Pensons aux observations, formulées dans un vocabulaire « phénoménologique », que Bourdieu a consacrées à la timidité : « […] l’expérience petite-bourgeoise du monde social est d’abord la timidité, embarras de celui qui se sent mal à l’aise dans son corps et dans son langage, qui, au lieu de faire corps avec eux, les observe en quelque sorte du dehors, avec les yeux des autres, se surveillant, se corrigeant, se reprenant, et qui, par ses tentatives désespérées pour se réapproprier un être-pour-autrui aliéné, donne précisément prise à l’appropriation, se trahissant par son hypercorrection autant que par sa maladresse » (P. Bourdieu, La distinction, op. cit., p. 229).
13 « Puis, il se retourna et vit la jeune fille […]. C’était une créature éthérée » ; « pendant qu’elle bavardait, il tâchait de la suivre ; il s’émerveillait de toute la science emmagasinée dans cette jolie tête et s’imprégnait de la pâle beauté de son visage. […] “C’est ça la vie intellectuelle ! se disait-il, la beauté intense et merveilleuse !” » (Jack London, Martin Eden, traduction de Claude Cendrée, Paris, 10/18, 1973, p. 14-15 et 18-19).
14 « […] vous [Ruth] vouliez me rabaisser et me modeler à l’image des vôtres, d’après l’idéal de votre classe […]. Et même en ce moment, vous ne me comprenez pas. […] C’est tout au plus si ça vous intrigue et vous amuse un peu que ce jeune sauvage, sorti en rampant d’un abîme de boue, se permette de juger votre classe et de la trouver vulgaire. […] Il pensait à son amour défunt. […] Il avait aimé une Ruth idéale […]. La vraie Ruth, celle de tous les préjugés bourgeois, marquée du sceau indélébile de la mesquinerie bourgeoise, celle-là, il ne l’avait jamais aimée » (ibid., p. 428, voir également p. 12, 29, 123-124, 134, 149, 188, 219 et 268).
15 Ibid., p. 418, voir également p. 380-381, 408-417 et 425-429. Sur la souffirance de Martin Eden comme celle d’un « transclasse », voir Chantal Jacquet, Les transclasses ou la non-reproduction, Paris, PUF, 2014.
16 J. Habermas, « Le présent pour cible », dans D. Cousens Hoy, Michel Foucault. Lectures critiques, Bruxelles, De Boeck Université, 1989, p. 121-125 ; sur la critique de l’État libéral, voir la contribution de Michael Walzer, « La politique de Michel Foucault », dans ibid., p. 65-83. Pour un exemple de position critique prise par Foucault : « Non, je ne crois absolument pas que notre société soit démocratique. […] Il est tout aussi clair que nous vivons sous un régime de dictature de classe, de pouvoir de classe qui s’impose par la violence, même quand les instruments de cette violence sont institutionnels et constitutionnels » ; « Quand le prolétariat prendra le pouvoir, il se peut qu’il exerce à l’égard des classes dont il vient de triompher un pouvoir violent, dictatorial et même sanglant. Je ne vois pas quelle objection on peut faire à cela » (M. Foucault, Dits et écrits, II, op. cit., p. 495 et 503). Noam Chomsky décrit en ces termes son désarroi devant la position politique et morale de Foucault : « Mais avec lui, j’avais l’impression de parler à quelqu’un qui n’habitait pas le même univers moral. Vous comprenez, je l’aimais bien en tant qu’individu ; c’est juste que je n’arrivais pas à le comprendre. On aurait dit qu’il était, pour ainsi dire, d’une autre espèce » (cité dans J. Miller, La passion Foucault, op. cit., p. 233).
17 M. Foucault, Dits et écrits, IV, op. cit., p. 571, 573-574, 575 et 578. Il est donc naturel que, dans son interprétation des Grecs, Foucault ignore, comme le lui a reproché Pierre Hadot, que le but du travail sur soi est la sagesse, c’est-à-dire le dépassement de soi dans l’ordre du monde (Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Albin Michel, 2002, p. 323-332).
18 M. Foucault, Dits et écrits, IV, op. cit., p. 740 ; « Il ne peut y avoir de relations de pouvoir que dans la mesure où les sujets sont libres. […] Même lorsque la relation de pouvoir est complètement déséquilibrée, lorsque vraiment on peut dire que l’un a tout pouvoir sur l’autre, un pouvoir ne peut s’exercer sur l’autre que dans la mesure où il reste à ce dernier encore la possibilité de se tuer, de sauter par la fenêtre ou de tuer l’autre. Cela veut dire que, dans les relations de pouvoir, il y a forcément possibilité de résistance. […] s’il y a des relations de pouvoir à travers tout champ social, c’est parce qu’il y a de la liberté partout » (ibid., p. 720, voir également p. 728, 160 et 237-238). Ici, Foucault tombe naturellement sous le coup de la critique sociologique (B. Lahire, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, Paris, La Découverte, 2015, p. 75-76).
19 « On ne considère pas les hommes comme majeurs » (P. Gavi, J.-P. Sartre, P. Victor, On a raison de se révolter, op. cit., p. 141). « Je ne sais pas si jamais nous deviendrons majeurs. Beaucoup de choses dans notre expérience nous convainquent que l’événement historique de l’Aufklärung ne nous a pas rendus majeurs ; et que nous ne le sommes pas encore. Cependant il me semble qu’on peut donner un sens à cette interrogation critique sur le présent et sur nous-mêmes » (M. Foucault, Dits et écrits, IV, op. cit., p. 577).
20 F. fischbach, Sans objet. Capitalisme, subjectivité, aliénation, Paris, Vrin, 2009.
21 H. Arendt, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972, p. 186-188.
22 Sartre en donne lui-même un exemple : « D’une certaine façon nous naissons tous prédestinés. Nous sommes voués à un certain type d’action dès l’origine par la situation où se trouvent la famille et la société à un moment donné. Il est certain, par exemple, qu’un jeune Algérien né en 1935 est voué à faire la guerre. Dans certains cas, l’histoire condamne d’avance. La prédestination, c’est ce qui remplace chez moi le déterminisme : je considère que nous ne sommes pas libres – tout au moins provisoirement, aujourd’hui – puisque nous sommes aliénés » (J.-P. Sartre, Situations X, op. cit., p. 98-99).
23 L. Tolstoï, La guerre et la paix, op. cit., Épilogue, II, 10, p. 1598.
24 J.-P. Sartre, La transcendance de l’ego, op. cit., p. 128.
25 Ibid., p. 129-130.
26 Dans son édition de La transcendance de l’ego, Paris, Vrin, 1985, p. 81.
27 J.-P. Sartre, L’être et le néant, op. cit., p. 116.
28 « Le champ transcendantal devient impersonnel, ou, si l’on préfère, “prépersonnel”, il est sans Je » (Id., La transcendance de l’ego, op. cit., p. 96) ; « Le Cogito affiirme trop. Le contenu certain du pseudo “Cogito” n’est pas “j’ai conscience de cette chaise” mais “il y a conscience de cette chaise” » (ibid., p. 104) ; « Cette conscience absolue, lorsqu’elle est purifiée du Je, n’a plus rien d’un sujet » (ibid., p. 131).
29 « L’attitude réflexive est exprimée correctement par cette fameuse phrase de Rimbaud (dans sa lettre du voyant) “Je est un autre”. Le contexte prouve qu’il a simplement voulu dire que la spontanéité des consciences ne saurait émaner du Je, elle va vers le Je, elle le rejoint, elle le laisse entrevoir sous son épaisseur limpide mais elle se donne avant tout comme spontanéité individuée et impersonnelle » (ibid., p. 127).
30 On peut reprendre, dans ce contexte, cette observation : « Cette intuition fulgurante est parfaitement vide : l’enfant vient d’acquérir la conviction qu’il n’est pas n’importe qui, or il devient précisément n’importe qui en acquérant cette conviction. Il est autre que les autres, cela est sûr ; mais chacun des autres est autre pareillement » (J.-P. Sartre, Baudelaire, Paris, Gallimard, 1975, p. 21).
31 « Mais précisément cette liberté demeure par principe hors d’atteinte. […] Le sadique découvre son erreur lorsque sa victime le regarde, c’est-à-dire lorsqu’il découvre l’aliénation absolue de son être dans la liberté de l’Autre. […] Il découvre alors qu’il ne saurait agir sur la liberté de l’Autre […] car c’est précisément dans et par la liberté absolue de l’Autre qu’un monde vient à exister où il y a un sadique et des instruments de torture et cent prétextes à s’humilier et à se renier » (Id., L’être et le néant, op. cit., p. 456).
32 S. de Beauvoir, La cérémonie des adieux, op. cit., p. 451.
33 J.-P. Sartre, Situations III, op. cit., p. 43-71.
34 P. Bourdieu, La distinction, op. cit., p. 550.
35 J.-P. Sartre, L’être et le néant, op. cit., p. 617. « Eh bien, non : une invention technique, une œuvre d’art ont un contenu positif qui demeure irréductible ; quand vous aurez expliqué Racine par son époque, par son milieu, par son enfance, il restera Phèdre, l’inexplicable » (Id., Saint Genet, op. cit., p. 266).
36 Ibid., p. 620 ; « La psychanalyse empirique a décidé de son irréductible au lieu de le laisser s’annoncer lui-même dans une intuition évidente. La libido ou la volonté de puissance constituent, en effiet, un résidu psychobiologique qui n’est pas clair par lui-même, et qui ne nous apparaît pas comme devant être le terme irréductible de la recherche » (ibid., p. 631).
37 Ibid., p. 623 et 508-512.
38 P. Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1998, p. 310-311.
39 Pensons à cette confession de Jacques Bouveresse : « Enfin, je dois reconnaître que je suis malheureusement atteint jusqu’à un certain point de cette infirmité regrettable que Norbert Wiener décrivait ainsi dans une lettre à Russell : “Je dois avouer que les contorsions intellectuelles auxquelles on doit se livrer avant de se trouver dans une véritable attitude phénoménologique sont complètement au-dessus de mes forces”. […] (Ce que je viens de dire ne constitue évidemment pas un jugement de valeur. C’est simplement la constatation du fait que, si la vision mentale ne ressemble pas beaucoup à la vision physique, la cécité transcendantale, par exemple, ressemble, quant à elle, beaucoup à la cécité physique : la phénoménologie, en tant que pratique, présuppose des expériences caractéristiques, qui doivent être faites, mais que l’on ne peut pas réellement apprendre à faire) » (J. Bouveresse, Le mythe de l’intériorité. Expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein, Paris, Éditions de Minuit, 1987, p. 23).
40 « En un sens c’est un rien [le champ transcendantal de la conscience] puisque tous les objets physiques, psycho-physiques et psychiques, toutes les vérités, toutes les valeurs sont hors de lui, puisque mon Moi a cessé, lui-même, d’en faire partie. Mais ce rien est tout puisqu’il est conscience de tous ces objets » (J.-P. Sartre, La transcendance de l’ego, op. cit., p. 125).
41 Id., L’être et le néant, op. cit., p. 520.
42 Id., La nausée, dans Œuvres romanesques, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1981, p. 155.
43 « J’étais la racine de marronnier. Ou plutôt j’étais tout entier conscience de son existence. Encore détaché d’elle – puisque j’en avais conscience – et pourtant perdu en elle, rien d’autre qu’elle. Une conscience mal à l’aise et qui pourtant se laissait aller de tout son poids, en porte-à-faux, sur ce morceau de bois inerte » (ibid., p. 155-156).
44 S. de Beauvoir, La cérémonie des adieux, op. cit., p. 446.
45 « […] je constitue ainsi un fait contingent [en caractérisant un ami par le fait qu’il aime canoter] que rien ne peut expliquer et qui, s’il a la gratuité de la décision libre, n’en a aucunement l’autonomie » (J.-P. Sartre, L’être et le néant, op. cit., p. 621).
46 Id., L’âge de raison, I, 15, dans Œuvres romanesques, op. cit., p. 664.
47 C’est la diffiérence entre Sartre et Albert Camus selon Francis Jeanson, Le problème moral et la pensée de Sartre, Paris, Seuil, 1965, p. 89-90.
48 « Ma liberté ? Elle me pèse, dit Mathieu au militant communiste Brunet : voilà des années que je suis libre pour rien […]. Eh bien, tu vois : je ne peux pas m’engager, je n’ai pas assez de raisons pour ça. […] Si je me mettais à défiler en levant le poing et en chantant L’Internationale et si je me déclarais satisfait avec ça, je mentirais » (J.-P. Sartre, L’âge de raison, I, 8, op. cit., p. 525). « […] il [Mathieu] était libre, libre pour tout, libre de faire la bête ou la machine, libre pour accepter, libre pour refuser, libre pour tergiverser […] il pouvait faire ce qu’il voulait, personne n’avait le droit de le conseiller, il n’y aurait pour lui ni de Bien ni de Mal que s’il les inventait. […] Il était seul, au milieu d’un monstrueux silence, libre et seul, sans aide et sans excuse, condamné à décider sans recours possible, condamné pour toujours à être libre » (ibid., I, 15, p. 664-665).
49 Leibniz, Essais de théodicée, § 303, Paris, Garnier-flammarion, 1969, p. 298. On peut aussi penser à cette formulation de Hegel : « Le libre arbitre est la contingence, se manifestant comme étant la volonté. […] Le libre arbitre implique cette conséquence que le contenu n’est pas déterminé par la nature de la volonté à être mien, mais seulement par hasard ; je suis donc dépendant à l’égard de ce contenu et c’est là la contradiction qui est incluse dans le libre arbitre » (G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, § 15 et add., traduction par Robert Derathée, Paris, Vrin, 1982, p. 81-82).
50 R. Descartes, Méditations métaphysiques, quatrième méditation, dans Œuvres et lettres, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1953, p. 304-305.
51 J.-P. Sartre, L’être et le néant, op. cit., p. 690-691.
52 P. Gavi, J.-P. Sartre, P. Victor, On a raison de se révolter, op. cit.
53 J.-P. Sartre, Questions de méthode, Paris, Gallimard, 1969, p. 50.
54 R. Misrahi, Qu’est-ce que la liberté ?, Paris, Armand Colin, 1998, p. 132. « Je lus ce livre [la Critique de la raison dialectique] d’aussi près que j’avais lu L’être et le néant, mais sans joie. J’étais déçu par le mauvais usage que Sartre faisait de cette liberté qu’il avait jadis si fortement établie » (R. Misrahi, Le nacre et le rocher, op. cit., p. 139 et 121).
55 J.-P. Sartre, Saint Genet, op. cit., p. 46. « Si on se place sur un plan général, je me dis : ou bien l’homme est foutu – et, dans ce cas, non seulement il est foutu, mais il n’a jamais existé : les hommes n’auront été qu’une espèce, comme les fourmis – ou bien, l’homme se fera en réalisant le socialisme libertaire. Quand j’envisage les faits sociaux particuliers, j’ai tendance à penser que l’homme est foutu. Mais si je considère l’ensemble de toutes les conditions qu’il faudrait pour que l’homme soit, je me dis que la seule chose à faire, c’est de souligner, de mettre en valeur et de soutenir de toutes ses forces, ce qui, dans les situations politiques et sociales particulières, peut amener une société d’hommes libres. Si on ne fait pas ça, on accepte que l’homme soit de la merde » (Id., Situations X, op. cit., p. 217) ; « À ce moment-là [en 1943], je croyais, comme les vieux stoïciens, qu’on est toujours libre […]. Sur ce point, j’ai beaucoup changé. Je pense qu’effiectivement il y a des situations où on ne peut pas être libre. Je m’en suis expliqué dans Le Diable et le Bon Dieu… » (S. de Beauvoir, La cérémonie des adieux, op. cit., p. 453).
56 Simone de Beauvoir soutient que la liberté ne joue pratiquement aucun rôle dans Saint Genet. Sartre n’approuve pas cette interprétation. C’est par la liberté que Genet s’est transformé en grand écrivain (La cérémonie des adieux, op. cit., p. 448-449). L’idée de liberté est fondamentale dans l’étude de Genet où Sartre pense encore largement dans les concepts de L’être et le néant. L’observation de Beauvoir est plus pertinente à propos des Questions de méthode.
57 J.-P. Sartre, Questions de méthode, op. cit., p. 127-128.
58 L’expression « la liberté du projet » est utilisée dans la conclusion et Sartre rappelle que l’« on n’asservit l’homme que s’il est libre » (Id., Questions de méthode, op. cit., p. 248-249). Si Sartre avait écrit dans L’être et le néant cette phrase de la Critique de la raison dialectique, il aurait utilisé le mot « liberté » au lieu de « praxis » : « N’y eût-il qu’un chemin possible […], si ce chemin existe et s’il se donne, s’il s’ouvre, la praxis se saisit elle-même comme l’inventant – et à bon droit puisque, sans elle, ni les possibles, ni les moyens n’existeraient en tant que tels » (Critique de la raison dialectique, 1, Théorie des ensembles pratiques, Paris, Gallimard, 1960, p. 282). L’équivalence de la praxis et de la liberté est ainsi formulée : « […] la rigoureuse équivalence de la praxis avec ses articulations définies et de la dialectique comme logique de l’action créatrice, c’est-à-dire, en définitive, comme logique de la liberté » (ibid., p. 156 ; pour un exemple de traduction d’une thèse de la Critique de la raison dialectique dans le vocabulaire de L’être et le néant, voir ibid., p. 285-286, n. 1). Il arrive toujours à Sartre de « jongler » philosophiquement avec le mot « liberté » : « […] l’expérience élémentaire de la nécessité est celle d’une puissance rétroactive qui ronge ma liberté depuis l’objectivité finale jusqu’à la décision originelle et qui pourtant naît d’elle ; c’est la négation de la liberté au sein de la liberté plénière, soutenue par la liberté elle-même et proportionnée à la plénitude de cette même liberté (degré de conscience, instruments de pensée, réussite pratique, etc.) » (ibid., p. 285).
59 J.-P. Sartre, Questions de méthode, op. cit., p. 209-210.
60 Sur le rôle de l’enfance : « Je me sentais libre en tant que jeune prince, libre par comparaison avec tous les gens que je voyais à ce moment-là. J’avais un sentiment de supériorité dû à ma liberté, sentiment que j’ai par la suite perdu puisque j’estime que tous les hommes sont libres. Mais à ce moment-là c’était imprécis. J’étais ma liberté, et j’avais l’impression que les autres ne sentaient pas cela comme moi » (S. de Beauvoir, La cérémonie des adieux, op. cit., p. 442-443).
61 Ibid., p. 447-448 ; sur l’opposition avec Nizan qui était matérialiste, voir p. 444-445.
62 J.-P. Sartre, Questions de méthode, op. cit., p. 136-138.
63 « […] cette vérité objective du subjectif objectivé, précise une note explicative, doit être considérée comme la seule vérité du subjectif ».
64 J.-P. Sartre, Saint Genet, op. cit., p. 209.
65 Id., Questions de méthode, op. cit., p. 140. Pour la critique de R. Garaudy, voir Questions à Jean-Paul Sartre précédées d’une lettre ouverte, Paris, Revue Clarté, 1960.
66 J.-P. Sartre, L’être et le néant, op. cit., p. 692.
67 Arthur Rimbaud à Georges Izambard le 2 novembre 1870, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1972, p. 245.
68 J. Rivière, Rimbaud. Dossier 1905-1925, Paris, Gallimard, 1977, p. 16-17.
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Liberté, un mot spécieux
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