Le bien-être et le malade
p. 77-82
Texte intégral
1Le sujet est particulièrement délicat puisqu’à première vue les deux termes paraissent totalement contradictoires, voire opposés. En effet le bien-être, dans la définition qu’en donne le dictionnaire Larousse, est un « état agréable résultant de la satisfaction des besoins du corps et du calme de l’esprit ». À l’inverse, s’il n’y a pas de définition du malade, nous nous entendons tous pour considérer que le terme désigne celui qui est atteint de maladie, qui souffre et qui a priori n’est pas dans un état de bien-être. Par conséquent, la recherche du bien-être quand on est malade peut paraître contradictoire.
2Toutefois cette dichotomie n’est pas si imperméable qu’elle peut le laisser y paraître, parce que des liens entre santé et bien-être existent. Ces liens sont parfois ténus, comme en témoigne d’ailleurs la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui précisément décrit la santé comme non seulement l’absence de maladie ou d’infirmité, mais aussi comme « un état de complet bien-être physique, mental et social1 ». Ainsi, les questions de santé et de bien-être semblent présenter des liens inéluctables. Il est vrai d’ailleurs que les spécialistes de santé publique, ainsi que les décideurs publics, conviennent que bien souvent le bien-être englobe la santé, et que cette dernière est un élément, sinon essentiel, du moins indispensable pour le bien-être des individus. D’ailleurs si l’on revient à la définition de la santé donnée par l’OMS, celle-ci ne signifie pas que santé et bien-être sont synonymes, mais plutôt que la première, notamment par ses aspects physiques, mentaux et sociaux, importe pour se sentir bien, et donc pour avoir un certain bien-être. Il est vrai que la santé, aussi bien physique que mentale, influence le bien-être en général ; mais la réciproque est également vraie, c’est-à-dire que le bien-être est aussi un indicateur de bonne ou de mauvaise santé, en tous les cas dans l’avenir. Un certain nombre d’études soulignent par ailleurs l’effet que peut avoir le bien-être sur la santé, et elles montrent qu’il est, certes variable, mais considérable et comparable à d’autres fonctions et indicateurs qui entrent dans les mesures de santé publique2. Le bien-être influence en effet de manière importante l’état de santé à travers toute une série de mécanismes.
3Alors qu’a priori les deux termes pouvaient paraître antinomiques, il devient évident, si l’on englobe le malade dans le système de santé, que les différentes sphères ne sont plus si éloignées l’une de l’autre et que les relations entre le bien-être et la santé fonctionnent dans les deux sens, c’est-à-dire que la santé influence le bien-être en général, mais que le bien-être est un indicateur de bonne ou de mauvaise santé. Autrement dit, ces deux concepts sont interactifs. Ce que l’on recherche en matière de santé en principe, et a fortiori lorsque l’on a une personne malade, c’est de pouvoir l’aider à retrouver une meilleure santé ou à défaut à vivre sa maladie dans un certain compromis qui lui permette de ne pas être plus affectée encore. Il y a à la fois l’idée de vouloir préserver le bien-être du malade, mais aussi celle d’éviter que quelqu’un soit malade, de faire en sorte qu’il reste dans ce bien-être.
4Le terme « bien-être » n’apparaît que très peu dans le code de la santé publique3. Six articles y font référence. Deux occurrences parlent du bien-être, mais davantage de celui des animaux, et quelques autres évoquent le bien-être dans le cadre des établissements et des services d’accueil non permanents d’enfants, lesquels doivent veiller à la santé, à la sécurité, au bien-être et au développement des publics qui leur sont confiés. Donc au final peu d’occurrences, ce qui ne nous aide pas vraiment à circonscrire le sujet. Quand on regarde dans le code de la santé sociale et des familles, qui présente certaines analogies avec le code de la santé publique, on s’aperçoit que le terme « bien-être » y est bien plus référencé. J’ai noté vingt-deux références, toutes relatives à l’hébergement des personnes vulnérables.
5Donc, si le terme de bien-être est si peu employé dans le code de la santé publique, est-ce à dire pour autant qu’il est inexistant ? Peut-être pas si l’on se réfère à des notions voisines du bien-être. Effectivement, dans le droit de la santé, on peut concevoir qu’un certain nombre de notions peuvent contribuer à l’approche de ce que peut être le bien-être en matière de santé et ce que peut être le bien-être du malade. Je songe par exemple à la notion de « qualité de la vie » ou à d’autres actions que le droit de la santé promeut, à savoir notamment la lutte contre la douleur, qui peut à certains égards apparaître comme un moyen d’éviter le mal-être, donc de renforcer le bien-être de la personne malade. Autrement dit, le droit de la santé s’attache davantage à des concepts qui vont permettre d’améliorer ou de préserver le bien-être du malade. Et cet objectif, a fortiori lorsque la personne est malade, peut faire partie du contrat social notamment entre les pouvoirs publics et les individus qu’ils représentent. Pour accroître durablement ce bien-être, il va peut-être être nécessaire de regarder tout d’abord ce que celui-ci comprend avant d’essayer de le mesurer. Et précisément, la caractéristique de la personne, à savoir le fait qu’elle soit malade, va influer sur ces deux éléments, à la fois sur les éléments notionnels et composites de la notion de bien-être et sur la mesure du bien-être du malade.
Les éléments du bien-être du malade
6Plusieurs approches existent. Sans revenir sur les dimensions objectives ou subjectives de cette notion de bien-être, mais si on se limite au droit de la santé et à l’appréciation du bien-être de la personne malade, il apparaît que certains éléments peuvent composer ce bien-être, et plus précisément qu’il peut y en avoir trois, distincts, qui constituent le bien-être d’un malade.
7Premier élément : le bien-être hédonique, qui s’exprime notamment au travers de la perception de l’autonomie. Le droit de la santé renforce ici cette idée de bien-être via la défense de l’autonomie du patient au travers de l’expression d’un certain nombre de droits. Par exemple le droit à l’information, le droit au consentement, notamment avec son versant négatif qui est la possibilité qu’a le malade - car c’est son choix, concernant son bien-être à lui - de refuser des soins parce que cela lui paraît plus acceptable que des soins avec des effets indésirables. On le voit, ce droit à la santé qui renforce l’autonomie du patient, en donnant au bien-être une dimension hédonique relative à la perception de l’autonomie, a été accentuée encore ces dernières années au travers de différents concepts. Parmi ceux-ci, l’éducation thérapeutique du patient qui, depuis la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST)4, conduit celui-ci à pouvoir s’impliquer davantage dans le suivi de son traitement précisément pour renforcer, développer et préserver son bien-être.
8Une autre composante du bien-être du malade s’exprime au travers des états positifs et négatifs. Le droit de la santé peut prendre en compte, non pas les expériences de joie et de bonheur du malade, mais davantage un aspect négatif comme l’anxiété du malade. Et il vise alors à indemniser le patient dans l’hypothèse où il y aurait trop d’anxiété de sa part. Notre droit a pris en compte ces dernières années l’indemnisation du préjudice d’anxiété. La première situation dans laquelle la Cour de cassation a été amenée à le faire, en 1996, c’était précisément en matière de santé, en accordant la réparation de l’anxiété d’une personne contaminée par le virus de l’hépatite C5. L’indemnisation de l’anxiété n’a cessé de gagner du terrain ensuite, concernant des salariés de l’amiante, et plus récemment des patientes dans le cadre du procès des prothèses mammaires ou du Mediator6. Le droit prend en compte cette dimension et appréhende cet aspect d’anxiété pour indemniser ce qui ne peut pas être assuré aux malades, à savoir davantage de bien-être.
9Un autre élément est la notion de « qualité de vie », que l’on retrouve à plusieurs reprises exprimée dans le code de la santé publique dans plusieurs dispositions, notamment les articles L110-5 et L111-47. Notons que ce sont des articles qui sont surtout centrés sur le droit des patients en fin de vie, mais pas seulement. À propos de l’appréhension de cette notion de « qualité de la vie », on peut souligner qu’il y a une décision particulièrement importante du Conseil d’État qui, en 2010, est venue préciser ce qu’il fallait entendre par qualité de la vie du patient8. Il s’agissait dans cette affaire d’un médicament anticancéreux qui visait tout d’abord à lutter contre le cancer du poumon. Le laboratoire demandait à ce que ce médicament soit également remboursé dans une autre indication thérapeutique, à savoir des métastases du pancréas. La Haute Autorité de santé et le ministère de la Santé ont refusé cette extension en disant qu’en l’espèce on ne pouvait pas rembourser ce médicament, car le gain de survie auquel il conduisait dans ce cas n’était que de vingt-six jours, et donc était insuffisant pour justifier une prise en charge par la collectivité. Cet arrêt est important, car il permet d’appréhender le fait que la notion de qualité de la vie peut être appréciée de manière individuelle. Mais, dans cette décision, c’était la première fois que cette notion de qualité de la vie, donc de bien-être, était appréhendée par le juge dans sa dimension collective pour invalider la prise en charge par la collectivité du remboursement du médicament. On peut alors se poser la question de savoir si le droit de la santé n’a pas évolué en ayant une dimension plus collective de cette appréhension du bien-être du malade.
La mesure du bien-être du malade
10Si l’on cherche à aller au-delà de ces trois composantes de la notion de bien-être du malade, en s’attardant sur sa mesure, on peut souligner qu’il y a deux axes que le droit de la santé a développés pour mesurer et renforcer le bien-être du malade : d’une part, lorsque le malade est dans sa vie de malade normale, et d’autre part lorsqu’il est en fin de vie. La lutte contre la douleur et la manière dont notre droit appréhende l’acharnement thérapeutique ou l’obstination déraisonnable participent de cette démarche.
11La lutte contre la douleur est mentionnée à différentes reprises dans le code de la santé publique, mais c’est essentiellement la loi du 4 mars 2002 qui reconnaît le soulagement de la douleur comme un droit fondamental inscrivant dans le code de la santé publique à l’article 1110-59. Cette disposition définit notamment la notion de prise en charge de la douleur, et vise à reconnaître que les établissements professionnels de santé doivent prévenir la douleur, l’évaluer, la traiter. On peut d’ailleurs mentionner que le droit est d’autant plus enclin à favoriser la lutte contre la douleur et donc la préservation du bien-être du malade, qu’a contrario il vient sanctionner par exemple un établissement de santé qui ne prendrait pas en charge la douleur du patient. En 2006, la cour administrative d’appel de Bordeaux a ainsi retenu la responsabilité d’un établissement de santé pour ne pas avoir pris en charge la douleur d’un patient, qualifiant cette absence de prise en charge comme étant une faute10. Cela est d’autant plus intéressant que c’est la seule faute qui a été retenue à la charge de l’établissement. C’est bien, semble-t-il, le signe que notre droit prend en compte le bien-être de la personne malade en considérant que c’est précisément à partir du moment où l’on mesure que ce bien-être n’est pas assuré, et que par exemple la douleur n’est pas prise en charge, que l’on peut sanctionner les personnes qui ne l’assurent pas.
12À côté de ce premier aspect de la mesure du bien-être du malade qui peut être l’absence de prise en charge de la douleur, une autre idée se dégage en matière de droit de la santé : celui-ci appréhende et vise à renforcer ou à préserver également le bien-être du malade lorsqu’il est en fin de vie. Une telle démarche se fait au travers de la notion d’acharnement thérapeutique ou d’obstination déraisonnable que le droit vient sanctionner lorsque les professionnels de santé abusent, s’acharnent, que ce soit sur un enfant à naître ou sur une personne en fin de vie. Différents exemples peuvent être cités, notamment cette décision du tribunal administratif de Nîmes de 2009, lequel a sanctionné un établissement de santé qui s’est acharné thérapeutiquement sur un enfant à naître en le réanimant pendant trop longtemps ce qui a entraîné des séquelles importantes11. C’est bien le signe que le juge appréhende et évalue ce qu’est le bien-être en estimant qu’à partir du moment où l’établissement de santé s’obstine de manière déraisonnable il ne garantit plus le bien-être de la personne qui va naître. Donc si cette obstination cause des préjudices à cette personne, ceux-ci pourront être réparés. La préservation dans une certaine mesure du bien-être de la personne en fin de vie est également assurée par le droit de la santé. On en a des exemples récents au travers notamment de l’affaire Lambert, où le Conseil d’État dans une décision de juin 2014 a été amené à appréhender ce qu’est l’obstination déraisonnable et, à partir de là, en en définissant les critères, est venu a contrario préciser que certains éléments permettent d’appréhender le bien-être de la personne en fin de vie12. Ainsi, et que, tant que l’obstination n’est pas déraisonnable, le bien-être de la personne en fin de vie est garanti.
13Cette analyse succincte de la notion de bien-être du malade souligne un certain nombre de points. Le bien-être apparaît, au travers de ses différentes composantes et de ses différents instruments de mesure, comme un droit qui semble être consacré en droit de la santé. À côté de cela, la notion de bien-être du malade apparaît aussi, au travers des exemples que l’on a mis en avant, comme étant un droit subjectif que le malade peut invoquer et qui peut conduire à la mise en jeu de responsabilités. On a souligné également que cette notion de bien-être en droit de la santé pouvait apparaître comme étant non seulement un droit individuel du malade, mais plus largement qu’elle pouvait avoir aussi une dimension collective. À partir de là, on peut se poser une question : est-ce-que l’on doit ou est-il possible de consacrer le bien-être comme un droit fondamental, comme un droit absolu du malade ?
Notes de bas de page
1 Déclaration du 25 septembre 2015 sur le lancement du programme Objectifs pour le développement durable.
2 Effets de l’activité physique sur le bien-être et la qualité de vie, Étude de l’Inserm 2013 ; Bien-être et santé mentale, des atouts indispensables pour bien vieillir, D. de Ladoucette, Rapport mars 2011.
3 « Qualité de vie et bien-être vont souvent de pair », M.-H. Amiel, P. Godefroy et S. Lollivier, Étude pour l’INSEE, n° 1428, INSEE Première, 2013.
4 Loi no 2009-879 du 21 juillet 2009, Journal officiel de la République française du 22 juillet 2009.
5 Cour de cassation, Chambre civile 1, 9 juillet 1996, no 94-12-868.
6 Cour d’appel de Paris, 2 arrêts, 14 février 2002.
7 Article L 110-5, Code de la santé publique : « Toute personne, compte tenu de son état de santé [...] a le droit de recevoir [...] les traitements et les soins les plus appropriés [...] qui garantissent le meilleur apaisement possible de la souffrance » ; article 111-4, Code de la santé publique : « Toute personne prise en charge par un professionnel de santé [...] a droit au respect de sa vie privée. »
8 C. E., 12 mai 2010.
9 Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité de système de santé.
10 Cour administrative de Bordeaux, 3e chambre, 13 juin 2006.
11 Cour administrative d’appel de Marseille, 12 mars 2015.
12 C. E., Assemblée du contentieux, 24 juin 2014, Affaire Lambert.
Auteur
Agrégée des universités, professeur à l’université Paris-Descartes, doyenne de la Faculté de droit de l’université Paris-Descartes, co-Directrice de l’Institut droit et santé de l’université Paris-Descartes.
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