Lectures foucaldiennes d’Augustin
Entre histoire et historiographie1
p. 211-232
Texte intégral
1En 2003 parut aux Presses de l’université Notre-Dame une importante université catholique des États-Unis, un ouvrage d’une théologienne, J. Joyce Schuld, dont l’affiliation confessionelle n’est pas connue de l’auteur de ces lignes, Foucault and Augustine. Reconsidering Power and Love1. L’auteure s’y donnait pour visée de comparer le concept foucaldien de pouvoir au concept augustinien d’amour afin d’éclairer les conceptualisations de l’un par celles de l’autre et réciproquement, ceci en vue d’une theologically oriented cultural analysis. Par cette relecture croisée, J. Joyce Schuld entendait entre autres démontrer l’intérêt de l’œuvre de Foucault pour les théologiens chrétiens contemporains2. Elle ouvrait son propos sur la citation d’une réponse de Foucault incidemment donnée au sociologue américain Robert Bellah (1927-2013) lors d’une interview collective tenue à Berkeley le 21 avril 1983, et sauf erreur toujours inédite3. À Foucault qui déclarait : « Je ne crois pas qu’être en proie au doute implique de n’avoir aucun espoir. Le désespoir ou la désespérance sont une chose, le doute en est une autre », Bellah faisait observer : « En un sens, c’est une réponse très chrétienne aussi », et Foucault de répliquer : « Oui, j’ai une très forte formation catholique [a very strong catholic background], et je n’en ai pas honte. » Quelques instants plus tard – cette suite de l’interview n’était pas citée par Joyce Schuld –, pressé par son interlocuteur de préciser sa réponse, Foucault, visiblement, esquivait la question : « Par exemple, je sais très bien que Mitterand [sic] et ce genre de socialistes considèrent Bocard [sic] et les gens comme moi comme des pseudo- ou des cryptochrétiens. » Le lecteur du Contra Faustum d’Augustin, un de ses grands traités anti-manichéens, aura reconnu là une terminologie qui trouve en partie son origine dans ce traité : à Fauste qui accuse les chrétiens de la Grande Église d’être des « demi-chrétiens » Augustin rétorque que les manichéens sont des « pseudo-chrétiens4 ». Foucault avait-il alors en tête de telles références augustiniennes ?
2Deux ans plus tard, dans une brève recension de l’ouvrage de Joyce Schuld, Mark Vessey, un spécialiste américain de l’évêque d’Hippone, notait pour commencer :
Deux décennies après sa mort, la résurrection de Michel Foucault en théologien chrétien apparaît rien moins que garantie. L’embargo mis par le testament de Foucault sur les brouillons du tome 4 de l’Histoire de la sexualité fait du domaine du christianisme ancien, y compris Augustin, un territoire particulièrement tentant pour ceux qui empruntent son sillage, mais tel n’est pas l’objet premier de l’étude qui nous occupe5.
3Ce que désignait donc en creux le livre Foucault and Augustine, c’était dès l’abord un manque dans la version publiée et librement accessible à cette date de l’enquête foucaldienne sur le christianisme : l’absence ou presque d’Augustin. Non que le nom de l’évêque d’Hippone fût totalement absent du corpus foucaldien alors publiquement disponible : les indices des Dits et écrits et ceux des volumes de la Pléiade permettent d’identifier commodément presque une vingtaine de références, mais la plupart sont faites comme en passant6. Deux retiennent cependant plus particulièrement l’attention. La première se trouve en conclusion de la section « Diététique » de L’usage des plaisirs, le tome 2 de l’Histoire de la sexualité paru en 1984 :
Dans la doctrine chrétienne de la chair, on retrouverait facilement aussi des thèmes d’inquiétude fort voisins [de ceux des textes païens de l’époque hellénistico-romaine] : la violence involontaire de l’acte [sexuel], sa parenté avec le mal et sa place dans le jeu de la vie et de la mort. Mais dans la force irrépressible du désir et de l’acte sexuel, saint Augustin verra l’un des principaux stigmates de la chute (ce mouvement involontaire reproduit dans le corps humain la révolte de l’homme dressé contre Dieu) ; la pastorale fixera, sur un calendrier précis et en fonction d’une morphologie détaillée des actes, les règles d’économie auxquels il convient de les soumettre ; enfin la doctrine du mariage donnera à la finalité procréatrice le double rôle d’assurer la survie ou même la prolifération du peuple de Dieu, et la possibilité pour les individus de ne pas vouer, par cette activité, leur âme à la mort éternelle. On a là une codification juridico-morale des actes, des moments et des intentions qui rendent légitime une activité par elle-même porteuse de valeurs négatives ; et elle l’inscrit sur le double registre de l’institution ecclésiastique et de l’institution matrimoniale. Le temps des rites et celui de la procréation légitime peuvent l’absoudre7.
4De cette courte fresque synthétique on retiendra évoqués, autour de l’acte sexuel et de sa « juridification » en régime chrétien, Augustin, qui semble valoir pour tout le christianisme, l’épisode originel de la Chute et le mariage.
5Une autre référence qui précède celle à peine mentionnée est plus précise ; elle se trouve dans une courte contribution intitulée « Sexuality and Solitude » qui fut publiée dans la London Review of Books du 21 mai 19818. Il s’agit d’un texte issu d’une série d’importantes conférences tenues en novembre 1980 à la New York University, à l’Institute for the Humanities, en compagnie de Richard Sennett, un sociologue et historien du monde contemporain (le texte de ce dernier précède et suit celui de Foucault). On y peut lire entre autres ceci :
Récemment, le professeur Peter Brown m’a déclaré que, selon lui, notre tâche était de comprendre comment il se fait que la sexualité soit devenue, dans nos cultures chrétiennes, le sismographe de notre subjectivité. C’est un fait, et un fait mystérieux, que dans cette infinie spirale de vérité et de réalité du soi la sexualité a, depuis les premiers siècles de l’ère chrétienne, une importance considérable ; et une importance qui n’a cessé de croître. Pourquoi y a-il un lien aussi fondamental entre la sexualité, la subjectivité et l’obligation de vérité9 ?
6Un champ d’étude est défini – la sexualité comme observatoire des processus de subjectivation –, une période circonscrite – des débuts de l’ère chrétienne à nos jours –, une aire culturelle – le christianisme – et un nom cité : celui d’un historien de l’Antiquité tardive, Peter Brown, que le public français découvrit en 1971 à la faveur de la publication d’une traduction de sa Vie de saint Augustin10, version due, cela est à noter, à Jeanne-Henri Marrou, l’épouse de l’un des spécialistes majeurs, au xxe siècle, de l’évêque d’Hippone et de la réception de son œuvre, Henri Irénée Marrou (1904-1977). Dans sa biographie augustinienne, Brown avait consacré quelques brefs développements, au sein d’un chapitre dédié à Julien d’Éclane, l’adversaire déclaré d’Augustin au moins à partir de 418, à ce qui les séparait :
Alors que beaucoup de catholiques en Afrique et en Italie croyaient déjà que le « premier péché » d’Adam avait été en quelque sorte hérité par ses descendants, Augustin va leur dire avec précision où en eux-mêmes il leur faut regarder pour voir les traces persistantes de ce premier péché. Avec l’assurance fatale d’un homme qui croit pouvoir expliquer un phénomène complexe en le réduisant simplement à ses origines historiques, Augustin va rappeler à ses fidèles les circonstances précises de la chute d’Adam et Ève. Après avoir désobéi à Dieu en mangeant le fruit défendu ils avaient eu « honte ». Ils avaient couvert leurs organes génitaux avec des feuilles de figuier. Cela suffisait pour Augustin : Ecce unde [Sermo 151]. […] Cette honte en face de l’excitation incontrôlable des organes sexuels était la punition qui convenait au crime de désobéissance11.
7Au début des années 1980, Peter Brown, qui était professeur à Berkeley depuis 1978 et fut professeur invité au Collège de France en juin 1982 où il tint quatre leçons sur les saints de la paideia12, commençait à donner aux États-Unis un ensemble de lectures dont un premier écho fut publié en 1983 sous le titre « Augustine and Sexuality » dans un des Protocols du Center for Hermeneutical Studies in Hellenistic and Modern Culture, Graduate Theological Union, and the University of California13, et qui furent à l’origine de la publication en 1988, quatre ans donc après la mort de Foucault, de The Body and Society. Men, Women, and Sexual Renunciation in Early Christianity, dont le dernier chapitre, le 19e, sera dédié à Augustin14. En 1983 également, Brown publia dans les Mélanges dédiés à son mentor Arnaldo Momigliano (1908-1987) une importante contribution intitulée « Sexuality and Society in the Fifth Century. Augustine and Julian of Eclanum15 ». Il convient de noter en passant l’importance de cette date charnière de 1983, grosso modo un an avant la disparition de Foucault.
8Le texte, paru en 1981 dans la London Review of Books, continuait par une comparaison brève entre la Clef des songes d’Artémidore de Daldis16, une œuvre du iie siècle, et le livre XIV de la Cité de Dieu d’Augustin17, tout entier dédié à la question du péché originel et de la concupiscentia. Foucault analysait avec une ampleur relative ce dernier texte. On retiendra deux notations. Voici la première :
Pourquoi ai-je tant insisté sur ce qui n’est peut-être que l’une des nombreuses fantaisies exégétiques dont la littérature chrétienne est si prodigue ? Ce texte témoigne, selon moi, du nouveau rapport que le christianisme a établi entre la sexualité et la subjectivité. La manière de voir de saint Augustin est encore dominée par le thème et la forme de la sexualité masculine. Mais loin que la grande question soit, comme chez Artémidore, celle de la pénétration, elle est celle de l’érection. D’où il ressort que le problème n’est pas celui du rapport aux autres, mais celui du rapport de soi à soi ou, plus précisément, du rapport entre la volonté et l’expression involontaire18.
9Augustin est d’abord présenté comme le témoin par excellence du christianisme et du nouveau rapport au sexe et à la subjectivité qu’il établit. Mais quelques lignes plus loin, Foucault introduit une nuance pour souligner la spécificité de certaines positions augustiniennes :
Envisagée ainsi, l’éthique sexuelle implique des obligations de vérité très strictes. Il s’agit non seulement d’apprendre les règles d’un comportement sexuel conforme à la morale, mais aussi de s’examiner sans cesse afin d’interroger l’être libidinal en soi. Faut-il dire qu’après saint Augustin, c’est avec la tête que nous éprouvons la chose sexuelle ? Disons au moins que l’analyse de saint Augustin introduit une véritable libidinisation du sexe. La théologie morale de saint Augustin représente, dans une certaine mesure, la mise en système d’un nombre important de spéculations antérieures, mais elle offre aussi un ensemble de techniques spirituelles19.
10Une telle tension entre l’universel chrétien et la singularité augustinienne est à souligner.
11Ce texte de Foucault a suscité l’intérêt de quelques-uns de ses lecteurs, philosophes et non spécialistes d’Augustin. On en citera deux, parmi les plus anciens : en 1999, Ladelle McWhorter, dans son Bodies and Pleasures. Foucault and the Politics of Sexual Normalization20, dédie, sur les pas de Foucault, une note abondante au commentaire d’un passage du livre XIV de la Cité de Dieu – écrit à la fin des années 410 –, les chapitres 16-24 consacrés à la maîtrise de son excitation sexuelle par Adam dans l’état prélapsaire. L’année suivante, en 2000 donc, le regretté Alessandro Pandolfi (1955-2017), éditeur deux ans plus tôt de l’un des volumes de l’adaptation italienne des Dits et écrits qui contient précisément une traduction de « Sexuality and Solitude21 », commente ce texte dans l’un de ses Tre studi su Foucault22, un ouvrage méconnu et en raison de son éditeur, une petite maison d’édition napolitaine, et en raison de sa langue – italicum est non legitur –, et il note :
Aussi longtemps que le texte des Aveux de la chair ne sera pas rendu accessible, il sera difficile de déterminer précisément l’importance donnée par Foucault à la pensée d’Augustin et d’identifier de manière plus complète les sources utilisées par le philosophe sur ce point. Si l’on confronte toutefois les passages consacrés par Foucault au monachisme ancien avec les brèves analyses des écrits augustiniens, on peut voir émerger les traits d’une alternative théologique fondamentale. Augustin oppose un obstacle insurmontable à l’émancipation de la volonté des liens qui l’emprisonnent dans la chair. Les textes des conférences des Pères du désert et les institutions cénobitiques de Cassien révèlent en revanche une conception volontariste qui, tout en réaffirmant les limites du corps, en reconnaissant les attaches de la nature et en prenant en compte la fragilité de la volonté, montre néanmoins la possibilité d’emprunter une voie qui conduit, avec la conquête de la chasteté, vers une nouvelle condition de la créature.
12En quelques mots, Pandolfi décrivait exactement ce qui, dix-huit ans plus tard, était toujours la situation, à la veille de la publication des Aveux de la chair, de ceux qui n’avaient pas eu accès au texte de cet inédit23, soit qu’ils ne se fussent point rendus à la bibliothèque des pères dominicains du Saulchoir quand ce document y était consultable il y a à peu près trente ans24, soit qu’ils ne fissent pas partie des intervenants au colloque de février 2018 qui ont pu bénéficier, in anteprima comme aurait pu dire Pandolfi, de la communication d’une première transcription, provisoire, de ce texte. En effet, en l’absence de la publication des Aveux de la chair, de l’Augustin de Foucault on ignorait à vrai dire presque tout et l’on en était réduit à supputer ce qu’il pouvait être. Supputation qui pouvait ne pas être sans fondement : la polarité Cassien vs Augustin que met en relief Pandolfi est bien présente tout au long des Aveux de la chair qui se concluent, dans l’état inachevé qui paraît être le leur, sur une synkrisis entre les deux auteurs.
13Après ces préliminaires, dont on voudra bien excuser la longueur, deux caveat sont encore nécessaires. Tout d’abord l’auteur n’a eu le temps de consulter qu’une faible partie des archives Foucault, soit les fiches de lecture « patristiques » et le dossier relatif aux conférences américaines de l’automne 1980, tous conservés à la BNF25 ; il n’a donc eu recours ni aux brouillons, ni aux correspondances, ni aux dossiers de travail qui peuvent être conservés à l’IMEC ou à la BNF ; bref, il n’a pu utiliser qu’une fraction de la documentation que Foucault a pu amasser au fil de l’écriture de ce livre. Situation singulière pour un historien du contemporain ; situation plus familière à un historien de l’Antiquité qui généralement, sauf exception, ne dispose pas de telles sources. Cela implique que les observations qui suivront sont bien souvent de l’ordre de l’hypothèse, du provisoire, et sont susceptibles pour partie de devoir être corrigées en fonction des données archivistiques.
14Seconde précision : dans un article de jeunesse intitulé « Les anamnèses mathématiques26 », Michel Serres distinguait trois types d’histoire des sciences : 1) « l’histoire connexe », « une et totalisante », « des professeurs » conçue « comme une totalisation accumulative de la tradition, comme rassemblement de la totalité des documents, dont l’idéal serait l’absence de perte, et dans la réunion et dans la communication le long de la diachronie ordinaire » ; 2) « l’histoire récurrente, adossée à la dernière en date des vérités, c’est-à-dire à la vérité » ; 3) « l’histoire qu’est la science elle-même comme mouvement original, comme formation indéfinie d’un système ». Mutatis mutandis, les éléments d’analyse que l’on souhaite proposer ici s’apparentent au premier type d’histoire : il ne s’agira donc pas de tenter d’évaluer l’Augustin de Foucault sub specie aeternitatis ou à l’aune des études postérieures à la rédaction de ses pages, si tant est d’ailleurs que l’on puisse connaître avec exactitude et précision les étapes de la composition des Aveux de la chair27. Il a été souligné précédemment combien 1983 pouvait être considérée comme une date charnière dans l’historiographie relative aux thématiques augustiniennes qui intéressent Foucault. Si l’on prend donc en compte la date d’octobre 1982 qui figure sur le tapuscrit des Aveux, et plus encore si l’on observe que la structure générale des Aveux de la chair, et parfois même un certain nombre de développements, sont déjà présents dans les conférences données à la New York University à l’automne 198028, on en déduira que Foucault n’a guère pu utiliser les études précédemment évoquées de Peter Brown, sauf à supposer que Brown lui en ait lui-même donné la primeur avant publication29. De même ignore-t-on quelle fut la teneur des conversations entre Brown et Foucault. Dans une lecture autobiographique intitulée A Life of Learning et prononcée en 2003, Brown ironise sur de prétendus séminaires qu’il aurait tenus à Berkeley en compagnie de Foucault :
Cette image proprette de la transmission correcte du savoir, au cours de séminaires de haut niveau dans des centres de recherche de premier plan, était aussi stupide et anachronique que les charmantes lettres apocryphes de la période de l’Antiquité tardive, dans lesquelles saint Paul écrit au philosophe Sénèque, ou Socrate conseille son savant collègue Plotin.
15Et Brown de préciser :
Pour ce qui est de Michel Foucault, deux heures d’une discussion enjouée sur la relation entre la notion de concupiscence chez Augustin et la notion de combat spirituel chez Jean Cassien dans la Tanière de l’Ours, à Berkeley, vers la fin 1980, ont posé les bases d’une amitié intellectuelle. Celle-ci nous poussa à nous rencontrer ultérieurement, à la cafétéria de University Books sur Bancroft Way et au French Hotel sur Shattuck Avenue – conversations toujours intenses mais largement improvisées, trop tôt interrompues par sa mort prématurée30.
16Dans tous les cas, il faut noter, d’une part, que les Aveux de la chair ont été élaborés au plus tard (nous soulignons) au moment même où commençait à se faire jour, quant aux études augustiniennes relatives aux positions de l’évêque d’Hippone sur la sexualité, une importante, quoique partielle, translatio studiorum vers le monde anglo-saxon et singulièrement les États-Unis, et d’autre part que Foucault est mort avant que ce mouvement ne prenne véritablement toute son ampleur et ne conduise à des publications majeures : pour ne citer que quelques exemples, en 1986, un important article d’Elizabeth Clark, « “Adam’s Only Companion”. Augustine on the Early Christian Debate on Marriage », publié dans les Recherches augustiniennes31, ou en 1988, The Body and Society de Peter Brown, ou une contribution fort éclairante de Paula Fredricksen, « Beyond the Body/Soul Dichotomy. Augustine on Paul against the Manichaeans and Pelagians », publiée là encore dans les Recherches augustiniennes32. La translatio studiorum cherche et trouve ses lettres d’accréditation en Europe. Bien d’autres publications pourraient être mentionnées pour les années suivantes.
17Dans Les aveux de la chair, Augustin tient une place capitale, comme point d’aboutissement provisoire d’une analyse inachevée ; il occupe plus du cinquième du livre et les deux derniers chapitres dans l’état actuel du manuscrit lui sont dédiés. De figure mentionnée comme en passant dans l’œuvre précédemment publiée33, à l’égal d’un Origène notons-le, l’Africain acquiert par la grâce de la publication des Aveux une présence et une consistance dans l’élaboration foucaldienne qui, en revanche, font toujours défaut à l’Alexandrin. Dès le premier chapitre des Aveux consacré à Clément d’Alexandrie, la double perspective selon laquelle sera envisagé Augustin est esquissée :
[L’]analyse de Clément est fort éloignée des thèmes qu’on trouvera plus tard chez saint Augustin et qui, eux, auront un rôle beaucoup plus déterminant pour la cristallisation de « cette » morale [chrétienne]. De Clément à Augustin, il y a évidemment toute la différence entre un christianisme hellénisant, stoïcisant, porté à « naturaliser » l’éthique des rapports sexuels, et un christianisme plus austère, plus pessimiste, ne pensant la nature humaine qu’à travers la Chute, et affectant par conséquent les rapports sexuels d’un indice négatif. Mais on ne peut en rester au constat de cette différence. Et surtout, ce n’est pas en termes de « sévérité », d’austérité, de rigueur plus grande dans l’interdit, qu’on peut estimer le changement qui s’est produit. […] [D]e toutes façons, les grandes lignes de partage entre le permis et le défendu sont, pour l’essentiel et dans leur dessein général, restées les mêmes entre le second et le cinquième siècles. En revanche, dans ce même laps de temps, des transformations capitales se produiront : dans le système général des valeurs, avec la prééminence éthique et religieuse de la virginité et de la chasteté absolue ; dans le jeu des notions utilisées avec l’importance croissante de la « tentation », de la « concupiscence », de la chair et des « mouvements premiers », qui montrent non seulement une certaine modification de l’appareil conceptuel, mais un déplacement du domaine d’analyse. Ce n’est pas tellement le code qui a été renforcé, ni les rapports sexuels plus strictement réprimés ; c’est un autre type d’expérience qui peu à peu se forme (AC, p. 49).
18Autrement dit, Augustin s’inscrit comme le point de fuite de toute l’analyse des Aveux sous le double point de vue, d’une part, des « déplacement[s] et dissociation[s] » (AC, p. 296) qu’il a opérés dans les élaborations relatives à la virginité et au mariage d’intellectuels chrétiens, antérieurs (Clément d’Alexandrie) ou contemporains (Jean Chrysostome, Grégoire de Nysse, Cassien), et d’autre part, des théorisations qu’il a mises en œuvre et qui furent promises et promues à une position autoritative dans la tradition chrétienne occidentale. Quelques dizaines de pages avant la section proprement dédiée à Augustin, Foucault, en une incise augustinienne qui n’est pas la seule dans l’ouvrage – dans le présent propos on ne passera pas en une revue de détail ces annotations, annonces ou pierres d’attente –, précise :
Je réserve à un dernier chapitre la conception de saint Augustin. À la fois parce qu’elle constitue le cadre théorique le plus rigoureux qui permet de donner place simultanément à une ascèse de la chasteté et à une morale du mariage. Et parce que, ayant servi de référence constante à l’éthique sexuelle du christianisme occidental, elle sera le point de départ de l’étude suivante [qui n’a pas vu le jour (MYP)] (AC, p. 254).
19Les deux derniers chapitres sont donc consacrés à la théorèse augustinienne dont ne sont point ignorés les évolutions ni les contextes polémiques d’élaboration (contre Jovinien, contre les manichéens, contre Pélage et Julien d’Éclane), même si Foucault centre son analyse sur un ensemble théorétique doté d’une relative stabilité, laissant généralement tomber les premières œuvres de l’évêque d’Hippone et ne prenant en considération que le corpus écrit à partir des alentours de 400 – peut-on parler de la maturité d’Augustin ? –, soit pour l’essentiel le De sancta virginitate et le De bono coniugali vers 401, le De genesi ad litteram à la rédaction échelonnée sur une quinzaine d’années à partir de 401/402, et les livres IX-XIV du De civitate Dei, écrits à la fin des années 410, et toute une série d’œuvres dites antipélagiennes, en fait dirigées contre Julien d’Éclane : De nuptiis et concupiscentia, De gratia Christi et de peccato originali en 418, Contra Iulianum en 422, Contra Iulianum opus imperfectum en 427-43034. On notera l’absence des Confessions ou du Contra Faustum qui auraient pu fournir matière à son propos et qui sont d’ailleurs mentionnés dans la chemise augustinienne des fiches de lecture. En revanche, quelques sermons sont référés en note35.
20À examiner les nombreuses citations que prodigue Foucault, on conclura sans difficulté qu’il utilise à l’envi et avec une grande confiance les volumes de la Bibliothèque augustinienne36 lorsqu’ils présentent une traduction des textes qui intéressent son propos, ce que confirment ses fiches de lecture, ou à défaut l’une des deux grandes traductions françaises du corpus augustinien réalisées au xixe siècle, en l’occurrence celle parue chez Vivès de 1872 à 187837, et non celle, à peu près contemporaine (1864-1873), dirigée par le littérateur Jean-Joseph François Poujoulat (1808-1880) et l’abbé Jean-Baptiste Raulx38, probablement parce que la première comporte commodément en bas de page le texte latin des Mauristes issu de la Patrologie latine de Migne.
21À un premier examen, qui demanderait à être poursuivi, on ne trouve guère de ces « réajustements » des traductions que Philippe Chevallier a pu mettre en évidence pour d’autres textes foucaldiens mettant à profit la documentation patristique39. On pourra se demander comment Foucault a pu s’orienter ainsi dans la sylve augustinienne – comme on le sait, dès après la mort de l’évêque d’Hippone, son biographe Possidius pouvait écrire qu’il est presque impossible de lire tout Augustin40, et l’encyclopédiste Isidore de Séville, au début du viie siècle, s’exclamera : « Il ment celui qui prétend t’avoir lu en entier41. » Au témoignage de ses fiches de lecture, Foucault s’est servi pour nombre d’auteurs patristiques autres qu’Augustin de certaines contributions du Reallexikon für Antike und Christentum42, dont il avait pu mesurer l’utilité en travaillant sur des auteurs antiques non chrétiens, du Dictionnaire de théologie catholique43 ou du Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique44, et d’une version française du fameux Enchiridion Asceticum du jésuite Marie-Joseph Rouët de Journel (1880-1974)45. Sauf rares exceptions, ces ouvrages n’ont guère été mis à contribution pour l’étude d’Augustin46.
22Dans le texte publié des Aveux de la chair, les références à la littérature secondaire sont rarissimes. Pour la section augustinienne, on en compte trois, l’une à l’augustin Luc Verheijen (1917-1987), Nouvelle approche de la Règle de saint Augustin (1980) (AC, p. 287, n. 1), une autre à l’assomptionniste Athanase Sage (1896-1971), « Le péché originel dans la pensée de saint Augustin », publiée dans la Revue des études augustiniennes en 1969 (AC, p. 341, n. 1), la dernière à une longue note complémentaire du deuxième tome de la traduction annotée du De Genesi ad litteram dans la Bibliothèque augustinienne, paru en 1972, par deux jésuites Paul Agaësse (1905-1979) et Aimé Solignac (1917-2007), relative au livre IX et intitulée « La femme, la sexualité et le mariage dans le De Genesi » (AC, p. 301, n. 1). Il est clair que Foucault a fait son miel de l’annotation de la Bibliothèque augustinienne, qui fait partie des usuels de la bibliothèque du Saulchoir où il travailla très régulièrement à partir de novembre 1979, et des notes complémentaires des différents volumes qu’il utilisait. Cet apparat critique, non moins que le fichier topographique des matières de la susdite bibliothèque47, lui ont permis d’atteindre une littérature secondaire essentiellement constituée par un ensemble d’études de théologiens ou philosophes catholiques depuis le début du xxe siècle. Les fiches de lecture offrent un panorama – est-il pour autant exhaustif ? – des dépouillements, semble-t-il assez limités, de Foucault. On proposera ici à titre heuristique une sélection dans l’ordre chronologique des principales études dédiées aux vues augustiniennes sur le mariage et susceptibles d’avoir intéressé l’auteur des Aveux, et l’on notera au fur et à mesure les références attestées par le Nachlass : Bernard Alves Pereira, un franciscain auteur de La doctrine du mariage selon saint Augustin, paru posthume à Paris48, l’année qui suivit l’encyclique Casti Connubii de Pie XI (31 décembre 1930), qui avait fait une large place aux textes de saint Augustin sur le mariage ; un livre d’un Russe (probablement converti), professeur à la faculté de théologie de la Propagande à Rome, Nicolas Ladomérszky, paru en 1942, Saint Augustin docteur du mariage chrétien. Étude dogmatique sur les biens du mariage chrétien49, qui, dans le sillage de Casti Connubii, donne à Augustin le titre de « docteur du mariage chrétien » ; la même année, aux Presses de la Grégorienne, paraissait une dissertation latine d’un oblat de Marie-Immaculée, Amand Reuter (1911-1992), Sancti Aurelii Augustini Doctrina de Bonis Matrimonii50 ; Michael Müller, Die Lehre des Hl. Augustinus von der Paradiesehe und ihre Auswirkungen in der Sexualethik des 12. und 13. Jahrhunderts bis Thomas von Aquin. Eine moralgeschichtliche Untersuchung (paru à Ratisbonne en 1954 dans les Studien sur Geschichte der katholischen Moraltheologie)51, qui figure dans une liste bibliographique de Foucault52 ; une contribution qui fit date d’un anglican High Church avec de fortes sympathies catholiques, Gerald I. Bonner (1926-2013), « Libido and concupiscentia in St. Augustine », dans les Studia Patristica en 1962, qui a trouvé place dans la même liste53 ; divers articles de François-Joseph Thonnard, un assomptionniste belge (1896-1974), membre de l’Institut d’études augustiniennes, annotateur de la Cité de Dieu dans la Bibliothèque augustinienne (« La notion de concupiscence en philosophie augustinienne », Recherches augustiniennes [1965] ; « Péché originel. Naissance d’un dogme », Revue des études augustiniennes [1967] ; « La morale conjugale selon saint Augustin », Revue des études augustiniennes [1969], etc.), que Foucault a assurément lus, comme le prouvent ses fiches de lecture54 ; Emanuele Samek Lodovici (1942-1981), un philosophe formé à l’Università Cattolica del Sacro Cuore à Milan, auteur en 1976 d’une importante étude, « Sessualità matrimonio e concupiscenza in Sant’Agostino55 », que Foucault mentionne dans une liste bibliographique56 ; l’ouvrage d’un théologien strasbourgeois, Émile Schmitt, Le mariage chrétien dans l’œuvre de Saint Augustin. Une théologie baptismale de la vie conjugale (Paris, IEA, 1983), paraît avoir paru trop tardivement pour que Foucault pût l’utiliser. À cette liste sélective, faut-il ajouter la somme en deux volumes de Josef Mausbach (1861-1931), prêtre catholique, professeur de théologie morale et d’apologétique à Münster, auteur de Die Ethik des heiligen Augustinus57, qui offrait à Foucault un traitement extrêmement détaillé des questions qui l’intéressaient, avec au tome I un chapitre intitulé Die Weltlust (cupiditas) als Wesen und Quellen der Sünde et surtout, au tome II, une section sur la question du péché originel ? C’est possiblement de Mausbach que Foucault tire son intérêt pour les sermons – exclusivement mauristes – d’Augustin, que la bibliographie sur le mariage chez l’évêque d’Hippone n’utilise généralement guère.
23Dans l’appendice à la deuxième édition de son grand œuvre, Mausbach notait avec une satisfaction non dissimulée que Karl Holl (1866-1926), le collègue de Harnack à Berlin, avait pu écrire : « Si l’on considère les tendances fondamentales de sa pensée, l’Église catholique l’a [sc. Augustin] toujours mieux compris que ses adversaires58 », et Ernst Troeltsch (1865-1923), dans son fondamental Augustin, die christliche Antike und das Mittelalter. Im Anschluss an die Schrift « De civitate Dei » (1915), ouvrait son ouvrage sur cette déclaration : « Les théologiens protestants ont longtemps vu en lui [sc. Augustin] un saint Paul après saint Paul et un Luther avant Luther. Là contre, les savants catholiques ont justement mis en garde : ils demeurent les meilleurs connaisseurs de leur propre littérature, envers laquelle ils présentent la garantie d’une affinité naturelle, contre toutes les tentations dogmatisantes59. » C’est très clairement au moyen d’éditions de matrice catholique et au filtre d’une exégèse catholique que Foucault lit Augustin – dans ses fiches de lecture, on ne relève pratiquement aucune référence sur ce sujet, sinon de seconde main, à des auteurs ou études acatholiques60 –, même s’il a pu bénéficier d’autres sources d’information : on a cité André-Jean Festugière, Peter Brown, on pourrait ajouter Pierre Hadot (1922-2010), qui tint de 1964 à 1970 une chaire de patristique latine à l’EPHE où il commenta de manière suivie les Confessions, et dont Foucault fut en 1982 l’artisan de l’élection au Collège de France61.
24Le traitement que Foucault réserve à Augustin dans les Aveux relève à bien des égards d’une classique histoire des doctrines et des dogmes, ce qui répond à la fin qui est la sienne – examiner la théorisation augustinienne –, mais il s’inscrit aussi dans ce « tournant, dans l’œuvre de Foucault, de la fin des années 1970 », sur lequel Michel Senellart a attiré l’attention en 2013, à savoir « un resserrement de l’analyse au domaine de la théologie morale62 ». Et comme il le subodorait, la publication des Aveux corrobore de manière éclatante cette hypothèse. Il n’entre pas dans le présent propos de présenter un examen détaillé de l’analyse foucaldienne. Il suffit de renvoyer le lecteur aux contributions d’Elizabeth Clark et de Laurent Lavaud dans ce volume. On voudrait seulement indiquer qu’à une pesée globale l’analyse de Foucault ne paraît pas se caractériser par la défense d’interprétations originales des doctrines augustiniennes ou l’attribution à Augustin de positions doctrinales qui auraient été jusque-là méconnues ; Foucault multiplie d’ailleurs les formules du type : « cet édifice théorique est très connu », à propos du De bono coniugali (AC, p. 305) ; « Rappelons rapidement comment Augustin définit » (AC, p. 333) ; « les propositions fondamentales d’Augustin sont trop connues pour qu’il soit nécessaire de les reprendre ici » (AC, p. 350) ; etc. Formules qui n’ont pas une densité équivalente dans le reste de l’ouvrage. Il faudrait assurément mener une analyse minutieuse point par point pour préciser cette impression générale, en particulier autour des notions de libido, concupiscentia, reatus, voluntas, consensus, usus, qui sont traitées avec un soin méticuleux. On souhaiterait seulement attirer l’attention sur quelques traits de l’analyse foucaldienne. D’abord le souci constant de préciser l’ampleur et les limites de l’éventuelle différence augustinienne par rapport aux auteurs et aux sources précédemment examinés, ce qu’il appelle souvent « déplacement[s] et dissociation[s] » (AC, p. 296) ou « décalages » (AC, p. 318) ; cela lui permet de corriger ce que pouvait avoir de rapide (et donc d’inexact) la présentation du corpus augustinien comme la « cristallisation » d’un développement antécédent (AC, p. 49). Il s’agit plus que d’une simple application du conseil des rhéteurs de procéder per differentias. Par exemple, Foucault souligne, après bien d’autres, l’originalité de la position d’Augustin sur la possibilité de rapports sexuels entre Adam et Ève au paradis, donc avant la Chute (AC, p. 295-296) ; plus avant, « loin qu’on trouve chez lui un bloc unitaire constitué par le mariage, le rapport sexuel et la procréation (ce qui était le cas chez certains moralistes de l’époque hellénistique et romaine, ou chez Clément d’Alexandrie), on peut constater un certain nombre de dissociations et de décalages […] Augustin, tout en justifiant les pratiques rituelles, évite de donner à l’acte sexuel une valorisation négative » (AC, p. 318) ; etc. Cette perspective assez systématiquement comparatiste de l’analyse foucaldienne est l’une de ses nouveautés majeures, et, s’il est permis en passant d’en tirer un enseignement pour l’historiographie la plus contemporaine, elle rend justice au caractère si singulier de l’itinéraire d’Augustin et de nombre de ses positions doctrinales. À cet égard, par exemple, la « crise pélagienne » mériterait d’être plus justement dénommée « crise augustinienne ».
25Autre élément à souligner, l’attention au thème de la societas chez Augustin quand il traite du mariage : ainsi dans un développement sur l’Église formée de personnes mariées et de personnes non-mariées (AC, p. 289) ; ou en cet autre passage, « de ce que l’adjoint donné à l’homme ait été cet “autre” qu’est la femme […] Augustin déduit que cette altérité avait pour fonction d’aider l’homme à fonder et développer sur toute la terre une societas : une multiplicité d’individus liés entre eux par une identité de nature et une parenté d’origine » (AC, p. 303-304, voir aussi 307-308) ; ou, plus loin encore, « le privilège accordé à la societas permet de donner une caractérisation du mariage centrée sur la notion de lien. Le mariage est avant toutes choses une association, et comme tel un élément de base de la société » (AC, p. 310). Cette insistance sur la societas consonne avec cette remarque que fait Foucault dans Le souci de soi en introduction au chapitre intitulé « Le lien conjugal » : « L’intensification du souci de soi va de pair ici avec la valorisation de l’autre63. »
26Un dernier point mérite d’être mis en relief : l’insistance sur le fait que « c’est donc une opération de type juridique que le baptême opère sur la concupiscence du sujet en tant qu’elle est en lui la présence actuelle du péché originel » (AC, p. 348-349). Il a été débattu, autour de la communication de Johannes Zachhuber lors du colloque de février 2018, de la place que pouvait tenir dans l’économie des Aveux la section consacrée aux rituels du catéchuménat et du baptême (AC, p. 52-77). On trouve peut-être là un élément de réponse.
27En 1968, dans sa toute augustinienne Théologie de l’histoire, l’un des maîtres des études sur l’évêque d’Hippone au xxe siècle, Henri Irénée Marrou, faisait se succéder deux notations vengeresses. La première énonçait :
Il n’est pas d’idole plus dangereuse que l’hypothèse qui postule entre les différentes manifestations contemporaines de la vie une unité plus ou moins comparable à celle d’un organisme vivant. Ce témoignage du praticien est l’avertissement solennel que l’historien adresse à son frère le philosophe ; nous devons, plus que jamais, le lancer avec force car la tentation d’adorer cette idole renaît, de génération en génération, comme le phénix de ses cendres : ne voyons-nous pas, en ce moment même, le structuralisme à la mode rechausser allègrement les bottes de Spengler ?
28Et en note il était précisé :
Il n’est pas sans signification de voir le nom de ce maître d’erreurs sombres, de ce précurseur du nazisme, apparaître comme naturellement sous la plume de Michel Foucault, au moment d’achever les Mots et les Choses (p. 345 et 382 (bis !)64.
29Ce n’est pas le lieu d’enquêter ici sur les rapports respectifs de Marrou et de Foucault avec l’auteur de Der Untergang des Abendlandes65. On se bornera à souligner combien en quinze ans la conjoncture intellectuelle a pu se modifier. Marrou, mort en 1977, aurait été sans doute bien marri de lire sous la plume de Foucault une analyse des doctrines augustiniennes sur le mariage d’une part, et d’autre part une exégèse si consonante à bien des égards avec celle d’une illustre lignée d’interprètes ecclésiastiques d’Augustin. Le dernier Foucault réserve bien des surprises. Au début de 1946 avait paru à Rome un petit livre d’un fameux spécialiste d’Augustin, ancien titulaire de la chaire de Storia del cristianesimo à La Sapienza, prêtre excommunié vitandus depuis vingt ans, Ernesto Buonaiuti (1881-1946), auteur de I Rapporti sessuali nell’esperienza religiosa del mondo mediterraneo. À Augustin, le vieux maître consacrait quelques pages. On en citera deux extraits :
Saint Augustin est le créateur de la société chrétienne médiévale, non seulement avec sa doctrine des deux cités, la cité de Dieu et la cité du monde, qui vivent mélangées, en chemin vers le Royaume céleste, mais aussi avec sa conception pessimiste et parfaitement antidémographique des rapports sexuels [… ]66.
30Et quelques pages plus loin :
Lorsque nous considérons que les doctrines augustiniennes ont imprégné d’elles-mêmes tout le mode associatif du Moyen Âge, et lorsque nous nous rappelons que le De Civitate Dei d’un côté, les ouvrages augustiniens de la grande polémique antipélagienne de l’autre, ont façonné les mœurs et toute la moralité des siècles médiévaux, nous saisissons quelque chose dont on ne saurait sous-estimer l’importance, à savoir le fait qu’une configuration civile et une époque historique sont principalement caractérisées par leur manière d’entendre et de pratiquer la morale sexuelle67.
31On ignore si Foucault connaissait ce texte, mais il y a mutatis mutandis un accord sur l’importance d’Augustin pour le Moyen Âge en matière d’histoire de la sexualité. En 2013, dans l’article « Marriage » de l’Oxford Guide to the Historical Reception of Augustine, Philip L. Reynolds, un éminent historien du mariage médiéval68, pouvait écrire :
Sur les question de mariage et de sexualité, la réception d’Augustin fut des plus intenses au cours du Moyen Âge central […] Lire l’œuvre d’Augustin à des fins d’édification morale était une chose, les intégrer à une théologie ou au droit canon en était une autre. Ces deux usages n’ont pas toujours été très étroitement corrélés. L’intégration de la théologie augustinienne du mariage se produisit au cours du xiie siècle, à partir des années 112069.
32Tel est donc l’horizon chronologique et historique qui forme la visée des développements augustiniens dans les Aveux de la chair.
33Le 29 juin 1984 eurent lieu dans l’église de Vendeuvre-du-Poitou, à la demande de sa famille (sa mère, sa sœur et son frère), les obsèques religieuses de Michel Foucault, sous la forme d’une simple absoute, sans la célébration d’une messe ; Foucault était agnostique70. Elles furent conduites par un dominicain, en habit, le révérend père Michel Albaric, bibliothécaire du Saulchoir et ami de Foucault. En première lecture fut lu un extrait de L’archéologie du savoir71 ; en seconde lecture, texte choisi par le célébrant, un passage du livre IV des Confessions72.
Notes de bas de page
1 J. Joyce Schuld, Foucault and Augustine. Reconsidering Power and Love, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2003.
2 Elle projetait pour Cambridge University Press un Michel Foucault. An Introduction for Theologians, qui n’a jamais, semble-t-il, été publié.
3 Notre traduction. Nous avons pu lire à la bibliothèque du Saulchoir, le 31 janvier 2018, une photocopie d’une transcription dactylographiée de cette interview, conservée sous la cote Document D 250 (7). Nous devons la connaissance de cette copie au précieux inventaire de Ester Jordana Lluch, « “Foucault chronologique”. Inventario cronológico de Michel Foucault » (consultable sur Academia.edu).
4 Augustin, Contre Fauste le Manichéen, I, 2-3, éd. par Martine Dulaey, Paris, Institut d’études augustiniennes (Bibliothèque augustinienne, 18/A), 2018, p. 88-91, avec la note complémentaire de Michel-Yves Perrin, « Semichristiani et pseudochristiani », p. 389-392.
5 Mark Vessey, Church History. Studies in Christianity and Culture, 74/2, 2005, p. 425-426 (traduction des éditeurs). Voir aussi la recension de John McSweeney dans Foucault Studies, 1, décembre 2004, p. 105-110.
6 S. v. « Augustin (saint) », dans Michel Foucault, DE 2, p. 1665 ; Œuvres, éd. par Frédéric Gros, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2015, t. 2, p. 1674. Pour un bilan sur l’Augustin de Foucault avant Les aveux, voir Jeremy R. Carrette, « Foucault, Michel », dans The Oxford Guide to the Historical Reception of Augustine, éd. par Karla Pollmann, Oxford, Oxford University Press, 2013, t. 2, p. 1002-1004.
7 Foucault, L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, p. 155 (= Œuvres, op. cit., t. 2, p. 858).
8 Foucault, « Sexuality and Solitude », London Review of Books, 3/9, 21 mai 1981, p. 3-7 (https://0-www-lrb-co-uk.catalogue.libraries.london.ac.uk/v03/n09/michel-foucault/sexuality-and-solitude), version française dans DE 2, 295, p. 987-997. Il en existe une version établie sur le manuscrit (There is also a version of Foucault’s part, with slight variants, based on the manuscript instead of the transcript), qui a été publiée dans Marshall Blonsky (dir.), On Signs, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1985, p. 365-372. Arianna Sforzini, « “Corps de plaisir, corps de désirs”. La théorie augustinienne du mariage relue par Michel Foucault », dans Sandra Boehringer, Daniele Lorenzini (dir.), Foucault, la sexualité, l’Antiquité, Paris, Kimé, 2016, p. 153-166, étudie ce texte qu’elle replace dans le cadre des conférences tenues par Foucault à New York, dont les versions anglaise et française sont en partie préservées dans les archives Foucault (boîte 40, BNF, NAF 28730). Voir plus bas, n. 28.
9 Michel Foucault, dans la version publiée par la London Review of Books, poursuivait : This is the point at which I met Richard Sennett’s work (précision absente de la version autographe). Traduction des éditeurs.
10 Peter Brown, La Vie de saint Augustin, trad. par Jeanne-Henri Marrou, Paris, Seuil, 1971 (éd. orig. Augustine of Hippo. A Biography, Londres, Faber and Faber, 1967). Nouvelle édition française augmentée de cet ouvrage, Paris, Seuil, 2001.
11 Peter Brown, La Vie de saint Augustin, op. cit., p. 462, et dans la nouvelle édition révisée la retractatio sur ce point, p. 648-649 et 654-658.
12 L’auteur de ces lignes assista en son temps à ce mémorable événement. Le contenu de ces leçons fut réorchestré plus tard dans Peter Brown, Power and Persuasion in Late Antiquity. Towards a Christian Empire, Madison, The University of Wisconsin Press, 1992 (sans référence au séjour parisien). La traduction française, Pouvoir et persuasion dans l’Antiquité tardive. Vers un empire chrétien, est parue au Seuil en 2003.
13 Peter Brown, « Augustine and Sexuality », dans Mary Ann Donovan (dir.), Protocol of the Forty-Sixth Colloquy, 22 May 1983, Berkeley, The Center for Hermeneutical Studies, Berkeley, 1983.
14 Peter Brown, The Body and Society. Men, Women, and Sexual Renunciation in Early Christianity, New York, Columbia University Press, 1988, p. 387-427. Traduction française sous le titre Le renoncement à la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, trad. par Pierre-Emmanuel Dauzat et Christian Jacob, Paris, Gallimard, 1995. Deuxième édition américaine : Twentieth-Anniversary Edition with a New Introduction, New York, Columbia University Press, 2008.
15 Peter Brown, « Sexuality and Society in the Fifth Century. Augustine and Julian of Eclanum », dans Emilio Gabba (dir.), Tria Corda. Scritti in onore di Arnaldo Momigliano, Côme, New Press, 1983, p. 49-70.
16 Daniel E. Harris-McCoy, Artemidorus’ Oneirocritica. Text, Translation and Commentary, Oxford, Oxford University Press, 2012 ; Artémidore, La Clef des songes = Onirocriticon, trad. par André-Jean Festugière, Paris, Vrin, 1975.
17 Augustin, La cité de Dieu, livres XI-XVIII, trad. par Gustave Combès revue et corrigée par Goulven Madec, Paris, Institut d’études augustiniennes (Nouvelle bibliothèque augustinienne, 4), 1994.
18 Foucault, « Sexualité et solitude », art. cité, p. 995.
19 Ibid., p. 995-996.
20 Ladelle McWorther, Bodies and Pleasures. Foucault and the Politics of Sexual Normalization, Bloomington, Indiana University Press, 1999, p. 118 et 247-248.
21 Foucault, Archivio Foucault. Interventi, colloqui, interviste, 3, 1978-1985. Estetica dell’esistenza, etica, politica, éd. par Alessandro Pandolfi, trad. par Sabina Loriga, Milan, Feltrinelli, 1998, p. 145- 154.
22 Alessandro Pandolfi, Tre Studi su Foucault, Naples, Terzo Millennio, 2000, p. 354 (traduction des éditeurs).
23 Ou n’avaient pas assisté aux conférences newyorkaises de l’automne 1980. Voir plus haut, n. 8 et plus bas, n. 28.
24 Sur Foucault, le fonds Foucault et la bibliothèque du Saulchoir, voir les indications données sur le site de la bibliothèque : https://bibsaulchoir.hypotheses.org/la-bibliotheque/michelfoucault-et-la-bibliotheque-du-saulchoir ; et également le texte en ligne de notre conférence « Foucault au travail : la bibliothèque du Saulchoir » (https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/3888/files/2019/10/MYP-Foucault-au-travail.pdf).
25 Sur la fiche de lecture, voir la synthèse de Jean-François Bert, Une histoire de la fiche érudite, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2017 (http://ficheserudites.enssib.fr) ; pour le cas de Foucault, voir ici même la contribution de Laurence Le Bras.
26 Michel Serres, « Les anamnèses mathématiques », repris dans Id., Hermes, 1, La communication, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 78-112.
27 Voir Frédéric Gros, « Avertissement », dans AC, p. i-xi, et la contribution d’Arianna Sforzini ici même.
28 Cette donnée essentielle a d’abord été signalée par Arianna Sforzini, « “Corps de plaisir, corps de désirs” », art. cité, puis par Frédéric Gros, « Avertissement », art. cité, p. iv-v. En effet, les manuscrits autographes conservés à la BNF prouvent que la structure générale des Aveux était déjà à cette époque fixée ; certains développements présents dans ces conférences newyorkaises seront d’ailleurs repris pratiquement tels quels dans les Aveux, ainsi les pages sur le De habitu virginum de Cyprien de Carthage (AC, p. 157-161, à mettre en parallèle avec chemise 6, sous-chemise 5, feuillets 12 à 17, boîte 40, BNF, NAF 28730) ou celles sur Cassien (AC, p. 216-243, à comparer à chemise 6, sous-chemise 6, boîte 40, BNF, NAF 28730). Dans la quatrième et ultime conférence (chemise 6, sous-chemise 7, BNF, NAF 28730), Foucault étudie successivement « deux ensembles importants » dédiés aux « arts de la vie matrimoniale », des homélies de Jean Chrysostome (feuillets 11-23) d’une part et des textes d’Augustin (feuillets 24- 40) d’autre part. Les considérations augustiniennes sont encore pour partie d’ampleur limitée par rapport à la version des Aveux – il y est essentiellement question du « sexe au paradis », puis de « la structure de la libido », et enfin de « la structure de la révolte ». Ces conférences au style agile et nerveux, qui éclairent singulièrement la genèse et les enjeux du manuscrit des Aveux, mériteraient assurément publication.
29 Dans le dossier « Augustin » du Nachlass de Foucault à la BNF (chemise 7, boîte 24, BNF, NAF 28730) ne figure aucune référence à Peter Brown. Dans la boîte 22, chemise 10 intitulée « Examen chrétien », feuillet 371 (numérotation BNF) est conservée une fiche bibliographique dédiée à l’éthique sexuelle chrétienne au bas du recto de laquelle figure dans une écriture et une encre de couleur différentes, noire au lieu de bleue, signe d’un ajout ultérieur, la référence : « P. Brown, Christianism and Society », ce qui est probablement un renvoi au volume de Peter Brown, Religion and Society in the Age of St. Augustine, Londres, Faber & Faber, 1972.
30 Peter Brown, A Life of Learning. Charles Homer Haskins Lecture for 2003, New York, American Council of Learned Societies (ACSL Occasional Paper, 55), 2003, p. 2-3 (traduction des éditeurs). Cité également dans Philippe Chevallier, Michel Foucault et le christianisme, Lyon, ENS Éditions, 2011, p. 125.
31 Elizabeth Clark, « “Adam’s Only Companion”. Augustine on the Early Christian Debate on Marriage », Recherches augustiniennes, 21, 1986, p. 139-162.
32 Paul Fredricksen, « Beyond the Body/Soul Dichotomy. Augustine on Paul against the Manichaeans and Pelagians », Recherches augustiniennes, 23, 1988, p. 87-114.
33 Le dépouillement des fiches de lecture « patristiques » confirme cette observation : en dehors d’une chemise spécifiquement dédiée à Augustin (fasc. 7, boîte 24, BNF, NAF 28730), les références à l’évêque d’Hippone sont par ailleurs excessivement réduites, comme si Foucault dans ses notes avait jusque-là laissé tomber, sauf exception, l’Hipponate, alors même que les ouvrages qu’il lisait l’évoquaient dans un certain nombre de cas. On signalera précisément comme un cas fort rare, dans la boîte 22, chemise 1 intitulée « Chair (Antiquité). Noces spirituelles », une fiche titrée « L’Église sans tache ni ride » où, se fondant sur Josef Schmid, s. v. « Brautschaft, heilige », dans Reallexikon für Antike und Christentum, Stuttgart, A. Hiersemann, 1954, t. 2, col. 528-564, ici 556-557, Foucault donne un résumé de l’exégèse d’Éphésiens 5, 27 d’après l’auteur de l’article. L’étude statistique toute récente des références patristiques présentes dans l’œuvre de Foucault qu’a effectuée Niki Kasumi Clements (http://www.nikiclements.com/foucault/, consulté le 7 mars 2021) corrobore cette observation (je remercie Matthieu Pignot [Namur-Durham] pour cette précieuse indication).
34 Sur toutes ces œuvres, voir, par exemple, les notices de Goulven Madec, Introduction aux « Révisions » et à la lecture des œuvres de saint Augustin, Paris, Institut d’études augustiniennes (Collection des études augustiniennes, série Antiquité, 150), 1996, ou celles de The Oxford Guide to the Historical Reception of Augustine, op. cit., t. 1, ou bien évidemment celles de l’Augustinus-Lexikon, éd. Cornelius Mayer, Bâle, Schwabe, à partir de 1986.
35 AC, p. 69, n. 2 ; p. 82, n. 6 ; p. 100, n. 3 ; p. 102, n. 5 ; p. 103, n. 2 ; p. 185, n. 1 ; p. 235, n. 6 ; p. 287, n. 1 ; p. 290, n. 1.
36 Sur cette collection fondée en 1933 par l’assomptionniste Fulbert Cayré (1884-1971) et dont le premier volume de textes augustiniens parut en 1937, voir http://www.etudes-augustiniennes.paris-sorbonne.fr/catalogue-ba?lang=fr. La collection Sources chrétiennes, que Foucault utilise par ailleurs, offrait très peu de textes augustiniens : des sermons sur la Pâque (Augustin d’Hippone, Sermons pour la Pâque, introduction, texte critique, traduction et notes par Suzanne Poque, Paris, Cerf [SC, 116], 1966) et le commentaire sur la Première épître de Jean (Augustin d’Hippone, Commentaire de la première épître de S. Jean, introduction, traduction et notes par Paul Agaësse, Paris, Cerf [SC, 75], 1961). Foucault ne cite aucune de ces deux œuvres, et seul le sermon 232 apparaît dans les fiches de lecture.
37 Œuvres complètes de saint Augustin, traduites en français et annotées par MM. Péronne, Écalle, Vincent, renfermant le texte latin et les notes de l’édition bénédictine, Paris, Vivès, 1872- 1878. Dans ses fiches de lecture, Foucault la mentionne souvent sous la référence « Peronne », soit Joseph-Maxence Péronne (1823-1892).
38 Œuvres complètes de saint Augustin, traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Poujoulat et de l’abbé Raulx, Nantes/Bar Le Duc/Paris, Boirot-Guérin, 1864-1873.
39 Philippe Chevallier, Michel Foucault et le christianisme, op. cit., p. 187-205.
40 Possidius, Vie de saint Augustin 18, 9 (Possidio, Vita di Agostino. Catalogo di tutti i libri, sermoni e lettere del vescovo Sant’Agostino, éd. par Elena Zocca, Milan [Letture cristiane del primo millennio, 45], 2009, p. 226).
41 Isidore de Séville, Versus VII, 1-2, éd. José María Sánchez Martín, Turnhout, Brepols (Corpus christianorum, series latina, 113A), 2000, p. 219.
42 Voir cependant plus haut, n. 31, un exemple augustinien. Sur cet ouvrage encore en cours de publication, voir Theodor Klauser, Das Reallexikon für Antike und Christentum und das F.J. Dölger Institut in Bonn. Berichte, Erwägungen, Richtlinien, 2e éd., Stuttgart, Hiersemann, 1970.
43 Sur cette œuvre monumentale publiée de 1899 à 1972, voir Sylvio Hermann De Franceschi (dir.), Théologie et érudition de la crise moderniste à Vatican II. Autour du Dictionnaire de théologie catholique, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2014.
44 Sur les débuts de cette entreprise jésuite publiée de 1932 à 1995, voir Agnès Desmazières, « Dialogue spirituel ? L’entreprise du Dictionnaire de spiritualité (1928-1937) », dans Étienne Fouilloux, Philippe Martin (dir.), Y a-t-il une spiritualité jésuite ? (xvie-xxie siècle), Lyon, LARHRA, 2016, p. 79-102.
45 Marie-Joseph Rouët de Journel, Textes ascétiques des Pères de l’Église, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1947. Son auteur décrit le but de l’ouvrage en ces termes (p. v-vi) : « grouper en un volume, qui fût comme une petite Somme spirituelle, les principaux textes des Pères de l’Église et des Écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, qui ont constitué les assises de la spiritualité chrétienne, assises reposant elles-mêmes sur la doctrine évangélique, dont elles sont les développements primitifs. Recueil de textes sans lien entre eux, sans commentaires et sans notes, par conséquent ne constituant pas une Histoire de la spiritualité, mais bien plutôt destiné à compléter celles qui existent en les illustrant abondamment par les documents eux-mêmes ». Ce recueil était la traduction mise à jour de l’Enchiridion Asceticum (1re éd., Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1930) du même auteur. La bibliothèque du Saulchoir conserve, sous la cote Rés. Mod. D 244, l’exemplaire abondamment annoté du R. P. André-Jean Festugière (1898-1982) (5e éd., Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1958). On sait que Foucault et Festugière étaient liés d’amitié : voir Michel-Yves Perrin, « Foucault au travail : la bibliothèque du Saulchoir », art. cité, p. 7. La bibliothèque du Saulchoir conserve les premiers témoins d’une correspondance entre Festugière et Foucault : voir Pierre Vesperini, « “Un gentil mécréant, avec qui l’on entre aussitôt dans le seul monde qui compte”. Cinq lettres du père Festugière à Michel Foucault (1956- 1957) », Anabases, 31, 2020, p. 125-130.
46 Il est vrai que la section augustinienne des Textes ascétiques de Rouët de Journel (op. cit., p. 254-321) ne lui offrait guère de matériaux pour son enquête.
47 Dans la « Table alphabétique des matières du Plan de Classement », on relève les entrées : « Baptême », « Catéchèse », « Grâce/théologie », « Mariage », « Patristique latine », « Patristique grecque », « Patristique orientale », « Pénitence/sacrement ».
48 Bernard Alves Pereira, La doctrine du mariage selon s. Augustin, Paris, Beauchesne (Études de théologie historique), 1930 [en fait 25 mars 1931].
49 Nicolas Ladomérszky, Saint Augustin docteur du mariage chrétien. Étude dogmatique sur les biens du mariage chrétien, Rome, Officium libri catholici, 1942.
50 Amand Reuter, Sancti Aurelii Augustini Doctrina de Bonis Matrimonii, Rome, Universitas Gregoriana, 1942.
51 Michael Müller, Die Lehre des Hl. Augustinus von der Paradiesehe und ihre Auswirkungen in der Sexualethik des 12. und 13. Jahrhunderts bis Thomas von Aquin. Eine moralgeschichtliche Untersuchung, Ratisbonne, F. Pustet, 1954.
52 Boîte 24, chemise 13 intitulée « Cynisme et christianisme », BNF, NAF 28730.
53 Cette liste contient aussi la référence à Dominikus Lindner (1889-1974), Der usus matrimonii. Eine Untersuchung über seine sittliche Bewertung in der katholischen Moraltheologie alter und neuer Zeit, Munich, Kosel & Pustet, 1929.
54 Chemise 7 (« Saint Augustin »), boîte 24, BNF, NAF 28730 : nombreuses références.
55 Emanuele Samek Lodovici, « Sessualità matrimonio e concupiscenza in Sant’Agostino », dans Raniero Cantalamessa (éd.), Etica sessuale e matrimonio nel cristianesimo delle origini, Milan, Vita e Pensiero, 1976, p. 212-272.
56 Chemise 10 (« Examen chrétien »), boîte 22, BNF, NAF 28730.
57 Josef Mausbach, Die Ethik des heiligen Augustinus, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1909 [2e éd., 1929].
58 Id., Die Ethik des heiligen Augustinus, zweite, vermehrte Auflage. Zweiter (Schluss-) band. Die sittliche Befähigung des Menschen und ihre Verwirklichung, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1929, p. 391, citant Karl Holl, Augustins innere Entwickung, Berlin, Verlag der Akadamie der Wissenschaften (Abhandlungen der Preussischen Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse, 1923/4), 1923, p. 51 (repris dans Id., Gesammelte Aufsätze zur Kirchengeschichte, 3, Der Westen, Tübingen, Mohr [Siebeck], 1928, p. 116). Traduction des éditeurs.
59 Ibid., citant Ernst Troeltsch, Augustin, die christliche Antike und das Mittelalter. Im Anschluss an die Schrift « De civitate Dei », Munich/Berlin, Oldenbourg (Historische Bibliothek, 36), 1915, p. 1. Traduction des éditeurs.
60 Dans la boîte 22, chemise 18 (« Virginité »), feuillet 486, BNF, NAF 28730, on trouve exceptionnellement une référence à la « thèse protestante (Harnack) à propos du décret de Calliste » d’après l’ouvrage du jésuite Adhémar d’Alès (1861-1938), L’édit de Calliste. Étude sur les origines de la pénitence chrétienne, Paris, Beauchesne, 1914, p. 8, et dans la boîte 24, chemise 10 (« Confession des péchés/Église primitive ») un renvoi à Adolf Harnack (1851-1930) et [probablement Reinhold] Seeberg (1859-1935) à propos de « Poenitentiam agere » d’après la thèse de philologie d’Utrecht d’Anna Elizabeth Wilhelm-Hooijbergh, Peccatum. Sin and Guilt in Ancient Rome, Groningen/Djakarta, Wolters, 1954, p. 105-106.
61 Foucault cite le résumé des conférences d’Hadot à l’EPHE pour l’année 1977-1978 dans la boîte 24, chemise 6, « Clément d’Alexandrie », mais à cette époque Pierre Hadot avait déjà fait changer l’intitulé de sa direction d’études en « Théologies et mystiques de la Grèce hellénistique et de la fin de l’Antiquité ». Sur les relations Foucault/Hadot, voir Philippe Hoffmann, « Pierre Hadot (1922-2010) », dans Annuaire de l’École pratique des hautes études. Sciences religieuses, 119, 2010-2011, p. xxxiii-xlii, ici xxxv.
62 Michel Senellart, « Le cours Du gouvernement des vivants dans la perspective de l’Histoire de la sexualité », dans Daniele Lorenzini, Ariane Revel, Arianna Sforzini (dir.) Michel Foucault. Éthique et vérité, 1980-1984, Paris, Vrin, 2013, p. 32-51, ici p. 42.
63 Foucault, Histoire de la sexualité, t. 3, Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984, p. 175. Pour d’autres premières observations sur l’Augustin de Foucault, voir aussi Stéphane Ratti, Les aveux de la Chair sans masque, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2018, p. 75-102.
64 Henri Irénée Marrou, La Théologie de l’histoire, Paris, Seuil, 1968, p. 66.
65 On se permet de renvoyer à Michel-Yves Perrin, « Henri-Irénée Marrou e la cristianizzazione della cultura nel tardoantico », dans Davide Righi (dir.), Educazione, paideia cristiana e immagini di Chiesa, Bologne, EDB, 2016, p. 53-74, ici 61-65 et 70-71.
66 Ernesto Buonaiuti, I Rapporti sessuali nell’esperienza religiosa del mondo mediterraneo, Rome, De Carlo, 1946 (réimp. Rome, ASEQ, 2016), p. 73 (traduction des éditeurs). Sur Buonaiuti, voir les références données dans Michel-Yves Perrin, « Ernesto Buonaiuti (1881-1946) et l’histoire du christianisme antique », dans Annuaire de l’École pratique des hautes études. Sciences religieuses, 125, 2016-2017, p. 215-218.
67 Ibid., p. 77.
68 Philip L. Reynolds, How Marriage Became One of the Sacraments. The Sacramental Theology of Marriage, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, p. 101-102 (avec une référence à Foucault). Traduction des éditeurs.
69 Philip L. Reynolds, « Marriage », dans Karla Pollmann (dir.), The Oxford Guide to the Historical Reception of Augustine, op. cit., t. 3, p. 1369-1375, ici p. 1371 (notre traduction).
70 Informations tirées du dossier sur les obsèques religieuses de Michel Foucault constitué par le R. P. Michel Albaric.
71 Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 274-275 : de « Eh quoi ! tant de mots entassés etc. » à « Le discours n’est pas la vie : son temps n’est pas le vôtre ; en lui, vous ne vous réconcilierez pas avec la mort ; il se peut bien que vous ayez tué Dieu sous le poids de tout ce que vous avez dit ; mais ne pensez pas que vous ferez, de tout ce que vous dites, un homme qui vivra plus que lui ».
72 Augustin, Confessions, IV, VIII, 13, éd. Aimé Solignac, Paris, Desclée de Brouwer (Bibliothèque augustinienne, 13), 1962, p. 431 : de « Il y avait autre chose qui, dans ces amitiés, prenait davantage le Cœur : causer et rire en commun, etc. » à « comme les aliments d’un foyer où les âmes se fondent ensemble, et de plusieurs n’en font qu’une ».
Notes de fin
1 L’auteur tient à exprimer toute sa gratitude envers les responsables de la bibliothèque des pères dominicains du Saulchoir, en particulier le R. P. Joseph de Almeida Monteiro et Mme Isabelle Séruzier, pour leur libéralité dans l’accès aux documents relatifs à Michel Foucault conservés à la bibliothèque, ainsi que les R. P. Michel Mallèvre et Jean-Michel Potin, et last but not least, le R. P. Michel Albaric, qui a bien voulu communiquer à l’auteur un dossier relatif aux obsèques de Michel Foucault intitulé « Documents sur les funérailles religieuses de Michel Foucault » et le lui commenter de vive voix le 3 août 2018. L’auteur remercie également vivement Mme Laurence Le Bras, conservatrice au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, pour lui avoir permis de consulter le fonds Foucault, et singulièrement les notes de lectures « patristiques » de ce dernier (boîtes 21-24, BNF, NAF 28730) et les dossiers liés à ses conférences à Berkeley et à New York à l’automne 1980 (boîte 40, BNF, NAF 28730). Aux directeurs de cet ouvrage va enfin notre reconnaissance pour leur invitation.
Auteur
Ancien élève de l’École normale supérieure, ancien membre de l’École française de Rome, agrégé d’histoire, est depuis 2009 titulaire de la direction d’études Histoire et doctrines du christianisme latin (Antiquité tardive) à la section des sciences religieuses de l’EPHE, après avoir enseigné l’histoire romaine dans diverses universités françaises. Historien et philologue, il consacre ses travaux à l’histoire et l’historiographie du christianisme antique (histoire sociale des controverses doctrinales entre chrétiens, épigraphie chrétienne, anthropologie religieuse du christianisme antique, histoire des piétés chrétiennes dans l’Antiquité, histoire sociale de la prédication chrétienne, histoire du christianisme dans l’Italie et l’Afrique du Nord antiques, historiographie du christianisme antique aux époques moderne et contemporaine – Buonaiuti, Harnack, Marrou –, histoire des traditions et héritages patristiques). Il a récemment publié Civitas confusionis. De la participation des fidèles aux controverses doctrinales dans l’Antiquité tardive (iiie siècle-c. 430) (Nuvis, 2017). Il est l’auteur de plus d’une centaine d’articles et contributions scientifiques.
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