Pastorat, direction, aveu
Limites d’un paradigme
p. 123-138
Texte intégral
1Réalisant l’édition du cours de 1980, Du gouvernement des vivants1, qui expose, pour la première fois, la matière du livre en cours de rédaction, Les aveux de la chair, j’avais été frappé par l’absence presque totale de référence au thème pastoral, longuement et minutieusement développé par Foucault en 1978, dans son cours Sécurité, territoire, population2. Dans une conférence récemment publiée3, mais écrite il y a quatre ans, où je discutais l’analyse foucaldienne de l’exomologèse, j’avais essayé de montrer pourquoi ce thème s’effaçait alors de son travail et pourquoi Foucault, après avoir si richement élaboré le concept, donnait, en quelque sorte, « congé au pastorat4 ». La formule, toutefois, était quelque peu excessive. Elle allait au-delà de ce que je me proposais réellement d’expliquer. Plutôt que de mise à l’écart, c’est de reconfiguration du thème pastoral qu’il aurait fallu parler. Mais cette reconfiguration, attestée par l’une des rares occurrences du mot dans le cours, me paraît d’une importance capitale. Elle marque une véritable rupture avec les analyses développées, et maintes fois répétées, avec des inflexions diverses, en 1978-1979, et permet de comprendre, notamment, pourquoi l’histoire du discours chrétien sur la sexualité, dans Les aveux de la chair, ne s’inscrit pas globalement sous le signe du pastorat. Elle ouvre également, me semble-t-il, à partir du texte même de Foucault, des perspectives interprétatives qui n’ont pas été suffisamment aperçues à ce jour.
2Je me propose donc, dans cet article, de reprendre la question, en suivant en quelque sorte le thème pastoral à la trace, dans les textes où il émerge, se précise et s’élabore, en premier lieu, puis dans ceux, étroitement solidaires, du cours de 1980 et des Aveux de la chair.
L’ANALYSE DU PASTORAT EN 1978-1979
3Si Foucault aborde, pour la première fois, la pastorale comme technique de gouvernement des âmes élaborée par l’Église dans son cours de 1975, Les anormaux, c’est dans le cours de 1978, Sécurité, territoire, population, qu’il élabore véritablement le concept de pastorat. À travers l’analyse de la pénitence, dans le cadre de la Contre-Réforme tridentine, il s’agissait, en 1975, de montrer comment la discipline des corps et le gouvernement des âmes, au xvie siècle, constituaient les deux faces complémentaires d’un même processus de normalisation :
Au moment où les États étaient en train de se poser le problème technique du pouvoir à exercer sur les corps […], l’Église, de son côté, élaborait une technique de gouvernement des âmes qui est la pastorale, la pastorale définie par le concile de Trente et reprise, développée ensuite par Charles Borromée5.
4En 1978, Foucault opère un double déplacement de son analyse. Déplacement chronologique, tout d’abord : ce n’est plus au xvie siècle, en réaction à la Réforme, que se constitue la pastorale, mais dès les premiers siècles du christianisme, le gouvernement des âmes étant défini par les Pères comme « l’art des arts » ou la « science des sciences6 ». Foucault réinscrit donc la pastorale tridentine dans la longue durée du pastorat chrétien. Déplacement théorique, ensuite : le pastorat n’apparaît plus comme le symétrique, au plan religieux, du pouvoir disciplinaire, au sein d’un même dispositif de « gouvernement », mais comme la matrice d’un nouveau type de pouvoir, dont les techniques disciplinaires mises en œuvre à l’âge classique ne constitueraient, en somme, qu’une tardive extension. Il représente désormais, selon Foucault, la première élaboration systématique d’« un art de gouverner les hommes » et
[…] c’est de ce côté-là qu’il faut chercher l’origine, le point de formation, de cristallisation […] de cette gouvernementalité dont l’entrée en politique marque, fin xvie, xviie-xviiie siècles, le seuil de l’État moderne. L’État moderne naît, je crois, lorsque la gouvernementalité est effectivement devenue une pratique politique calculée et réfléchie. La pastorale chrétienne me paraît être l’arrière-plan de ce processus7.
5L’État moderne ne marque donc pas une rupture avec le gouvernement ecclésiastique, mais plutôt la reprise du projet pastoral de prendre en charge la conduite des hommes, même s’il y a, bien sûr, un écart important « entre le gouvernement pastoral des individus et des communautés et le développement des arts de gouverner [au sens proprement politique] à partir des xvi-xviie siècles8 ».
6Trois leçons sont donc consacrées par Foucault au pastorat : dans la première (8 février 1978), il avance la thèse que l’idée du gouvernement des hommes, inscrite dans l’histoire du mot jusqu’au xvie siècle, est étrangère à la pensée gréco-romaine et trouve son origine dans l’Orient préchrétien et chrétien, sous la forme d’un pouvoir de type pastoral, dont il décrit alors les caractères. Dans la deuxième (15 février 1978), après une longue analyse du Politique de Platon, qui constitue selon lui « la récusation en bonne et due forme du thème du pastorat9 », il explique en quoi « l’histoire du pastorat, comme matrice de procédures de gouvernement des hommes10 » ne commence, en Occident, qu’avec le christianisme. Dans la troisième (22 février 1978), enfin, il montre quels traits spécifiques distinguent le pastorat chrétien des traditions orientale et hébraïque.
7En quoi résidait l’originalité de cette approche ? Il existe, en effet, de nombreuses études du thème pastoral dans la littérature orientale préchrétienne (la métaphore omniprésente du roi-berger), les Écritures et, plus généralement, la littérature politique jusqu’à l’époque moderne11. Foucault s’appuyait notamment, pour la tradition orientale, sur le livre de Philippe de Robert, Le berger d’Israël, paru en 196812.
8La pastorale, en outre, en tant que ministère spécifique du clergé auprès des fidèles dont il a la charge, a fait l’objet d’une élaboration doctrinale très développée dans la théologie chrétienne depuis le Moyen Âge. Mais il est vrai qu’entre l’exégèse, religieuse ou littéraire, du thème pastoral et la théologie de l’action pastorale, le pastorat comme technique de gouvernement des hommes ne semblait pas avoir retenu l’attention des historiens. Il n’y avait pas d’histoire de ce qu’on peut appeler, pour le distinguer du thème pastoral, le schème pastoral du gouvernement :
[…] l’histoire des techniques employées, l’histoire des réflexions sur ces techniques pastorales, l’histoire de leur développement, de leur application, l’histoire de leur raffinement successif, l’histoire des différents types d’analyse et de savoir qui étaient liés à l’exercice du pastorat, il me semble, écrit Foucault, que cela n’a jamais été très réellement fait13.
9Or c’est avec le christianisme, selon Foucault, que s’est effectuée la transformation du thème, littéraire et iconographique, du bon pasteur en schème d’action gouvernementale. Le « pastorat », de la sorte, en tant que technologie spécifique de pouvoir, constituait un concept nouveau, qui ne venait pas simplement combler une lacune dans l’historiographie du thème, mais éclairait d’un jour original l’histoire de la christianisation des sociétés occidentales et la genèse de l’État moderne.
10L’analyse déployée dans les trois leçons de son cours, est ensuite reprise par Foucault, sous une forme plus ou moins synthétique, dans une série de conférences jusqu’en octobre 197914. Il la résume, une dernière fois, dans un texte paru en 1982, « Le sujet et le pouvoir15 », mais celui-ci, écrit en anglais pour Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, a sans doute été rédigé bien plus tôt, vraisemblablement en 1979, date de ses premiers échanges avec les chercheurs américains16. On peut donc dire qu’après cette date, le problème du pastorat, sans disparaître complètement, s’efface du travail de Foucault. Absent des derniers cours, c’est à peine s’il affleure – mais avec une inflexion décisive – dans celui de 1980. Le concept de « pouvoir pastoral » n’apparaît qu’une fois, en passant et dans un sens relativement faible, dans Les aveux de la chair. Assez fréquent, en revanche, demeure l’usage, beaucoup plus banal, du mot au féminin : huit occurrences du substantif (je laisse de côté les adjectifs dérivés) dans Les aveux de la chair, neuf dans L’usage des plaisirs (où l’on note la mention, là encore allusive, du « pouvoir pastoral17 »)18, quatre dans Le souci de soi19. Ce glissement du « pastorat » à la « pastorale » (souvent couplée avec la « doctrine ») me paraît le signe d’un délestage considérable du premier concept et d’un retour, le plus souvent, à l’emploi commun du mot dans sa signification religieuse traditionnelle.
11Tout se passe donc comme si Foucault, partant de la pastorale (tridentine) pour forger le modèle d’une technologie gouvernementale propre à l’histoire de l’Église depuis les premiers siècles, s’était trouvé, avec le « pastorat », encombré d’un concept trop massif et englobant pour rendre compte, avec rigueur, des développements de la pensée chrétienne. De là, sa relégation à l’arrière-plan, dans une abstraction un peu floue20, au profit du concept plus modeste, mais techniquement plus juste, de « pastorale ».
12Avant d’examiner les raisons de ce geste, il me semble nécessaire de rappeler les traits essentiels du pastorat chrétien, tels que les dessine Foucault, avec une grande constance, en 1978-1979. Plutôt que de résumer les pages, si denses et complexes, du cours Sécurité, territoire, population, j’utiliserai l’une des premières conférences prononcées après celui-ci, « Sexualité et pouvoir21 ». Elle n’offre pas seulement un clair aperçu de l’évolution du thème pastoral, de l’Orient ancien au christianisme, mais aide à comprendre comment, à ce stade de sa recherche, où Foucault expose les premières hypothèses d’un travail encore envisagé sous la forme du plan initial en six volumes22, la problématique de la chair s’articule étroitement avec le schéma pastoral.
PASTORAT ET DIRECTION
13Foucault souligne d’abord l’originalité du thème pastoral, dans l’Orient ancien, par rapport au pouvoir politique traditionnel. Quatre traits, chez les Hébreux, le caractérisent. Il désigne (1) un pouvoir qui ne porte pas sur un territoire, mais sur une multiplicité d’individus ; (2) un pouvoir qui ne vise pas la conquête et la domination, mais assure la subsistance du groupe et des individus (pouvoir, donc, non pas triomphant, mais bienveillant) ; (3) un pouvoir essentiellement dévoué (le berger prêt à se sacrifier pour le salut de son troupeau23), et non un pouvoir qui exige le sacrifice de ses sujets ; (4) un pouvoir individualisant, enfin, qui veille sur les individus pris un par un24. Sur fond de ces éléments communs, quel a été l’apport spécifique du christianisme ? Celui-ci – non pas immédiatement, sans doute, mais à partir du moment où « il est devenu [aux iiie-ive siècles] une force d’organisation politique et sociale25 » — a transformé le modèle hébraïque sur plusieurs plans essentiels : (1) il a fait du salut une obligation pour tous ; (2) obligation qui implique pour chacun d’accepter l’autorité d’un autre (i. e. pour les brebis, de se soumettre à la « surveillance et [au] contrôle continus » du pasteur) ; (3) rapport qui prend la forme d’une « obéissance totale, absolue et inconditionnée », celle-ci devenant une vertu en elle-même ; (4) ce pouvoir, enfin, exige, pour s’exercer, de connaître la vérité intérieure des brebis, vérité (« aveu exhaustif ») obtenue par l’examen de conscience, la confession et le développement de la direction de conscience. C’est avec ce dernier point, précise Foucault, que l’on touche spécialement au problème de l’histoire de la sexualité26.
14D’Israël aux premiers siècles du christianisme, on passe donc d’un pastorat oblatif à un pastorat essentiellement prescriptif ; d’une crainte de Dieu à une dépendance individuelle, impliquant le renoncement à toute volonté propre ; d’une vigilance bienfaisante à une exigence d’aveu, par chacun, de ses vérités cachées. Ou plutôt — car il s’agit de recomposition, et non de substitution d’un modèle à un autre —, ce sont les valeurs directive, oblative, sacrificielle et individualisante du pastorat hébraïque que le christianisme a réinvesties dans l’exercice d’un pouvoir pastoral requérant l’assujettissement de chacun à une instance de contrôle permanent, dont découle l’impératif d’aveu.
15Direction continue, obéissance intégrale, aveu exhaustif : ce sont ces trois éléments qui définissent le profil spécifiquement chrétien du pastorat au sein du paradigme hérité de la tradition biblique, comme en témoigne, par exemple, cet extrait de « Qu’est-ce que la critique ? » :
La pastorale chrétienne [le mot, ici, doit s’entendre au sens fort de pastorat (MS)], […], a développé cette idée – singulière, je crois, et étrangère tout à fait à la culture antique – que chaque individu, quels que soient son âge, son statut, et ceci d’un bout à l’autre de sa vie et jusque dans le détail de ses actions, devait être gouverné et devait se laisser gouverner, c’est-à-dire diriger vers son salut, par quelqu’un auquel le lie un rapport global et en même temps méticuleux, détaillé, d’obéissance. Et cette opération de direction vers le salut dans un rapport d’obéissance à quelqu’un […] implique un certain mode de connaissance particulière […] des individus [… ]27.
16Cette analyse, je l’ai rappelé, demeure inchangée jusqu’à la fin de 1979. C’est en 1980, dans son cours Du gouvernement des vivants – et, en fait, nous pouvons le constater maintenant, dans l’écriture des Aveux de la chair –, que se marque un décrochage capital par rapport à elle. Le passage en question se trouve au début de la leçon du 19 mars, consacrée à la pratique de la direction et de l’examen de conscience dans les premiers siècles du christianisme. Il correspond, presque mot pour mot, dans Les aveux de la chair, au texte du quatrième chapitre de la première partie, « L’art des arts », p. 114. Le premier étant malgré tout, dans sa forme orale, un peu plus précis que le second, c’est lui que je choisirai de citer et commenter.
17La question qu’étudie Foucault, alors, est celle de la réception par le christianisme des techniques d’examen de soi et de direction spirituelle élaborées par les écoles de philosophie antiques. Celles-ci, constate-t-il, n’y ont guère été introduites avant le ive siècle. Après avoir brièvement traité de l’examen de conscience, voici ce qu’il dit à propos de la direction :
Le fait même de la direction, ou plutôt l’institutionnalisation de la direction, la mise en place d’une technique pour diriger, cela est quelque chose qui apparaît tardivement dans le christianisme. Bien sûr, on trouve très tôt, dès le début, le thème du pouvoir pastoral, c’est-à-dire le fait qu’il doit y avoir à la tête du troupeau un guide qui le conduit jusqu’au salut. Ce berger a la responsabilité du troupeau lui-même et il a la responsabilité non seulement du troupeau, mais aussi de chacune des brebis, et il lui faut sauver chaque brebis et lui porter aide aussitôt qu’elle tombe. Ce thème pastoral, donc, est important, il est évident, mais il ne coïncide pas avec l’idée ou avec la technique d’une direction. Il ne coïncide pas avec l’idée d’une intervention permanente qui serait celle d’un individu sur un autre, avec pour but de l’observer, le connaître, le guider, le conduire, le conduire point par point tout au long de son existence dans un rapport d’obéissance ininterrompue. Le thème du pouvoir pastoral n’implique pas une technique de direction, même si, plus tard, lorsque cette technique de direction sera développée à l’intérieur du christianisme, c’est sous le signe du pastorat qu’elle sera placée28.
18Ce texte comporte trois enseignements essentiels :
19Il souligne, tout d’abord, le décalage chronologique entre « le thème du pouvoir pastoral », présent « dès le début » du christianisme, et le principe de direction, qui n’y apparaît que plus tardivement.
20Il met en évidence, ensuite, le noyau autour duquel s’organise ce thème pastoral, dans lequel on reconnaît les dimensions oblative et individualisante du pastorat hébraïque. Nulle différence, ici, entre le pastorat chrétien et ce dernier. Les traits spécifiques, en revanche, par lesquels le christianisme avait renouvelé le modèle pastoral, d’après l’interprétation proposée en 1978-1979 – « intervention permanente […] d’un individu sur un autre, […] tout au long de son existence dans un rapport d’obéissance ininterrompue » –, se trouvent déplacés du côté de la seule direction. Plus loin, dans la même leçon, Foucault, comparant la direction stoïcienne et la direction chrétienne, explique que la première était essentiellement provisoire29, tandis que la seconde impliquait une soumission totale et continue30. C’est donc bien de la direction proprement chrétienne qu’il s’agit dans le passage cité.
21Or cette direction n’est mise en œuvre, à partir du ive siècle, que dans un cadre rigoureusement délimité, régi par des règles strictes : celui des institutions monastiques. L’erreur, en somme, était d’avoir transposé dans le pastorat, en tant que technologie générale de pouvoir, des techniques de gouvernement des âmes forgées spécialement pour les moines, et d’y avoir vu la contribution originale du christianisme par rapport au modèle pastoral hébraïque. Si donc le pastorat « ne coïncide pas avec l’idée ou la technique d’une direction », on voit que ce qui en faisait, en quelque sorte, le schéma matriciel de la subjectivité chrétienne cesse d’être opératoire. Le thème pastoral, certes, reste « important », mais il ne se distingue plus guère de ce que l’on entend, communément, par la pastorale comme discours et pratique du ministère ecclésial, avec son riche réseau de correspondances symboliques, autour de la figure christique du bon pasteur. Tel est bien le sens, me semble-t-il, qui prévaut dans les écrits de Foucault après 1980.
22On objectera, peut-être, que l’argument selon lequel pastorat et direction ne « coïncident pas » a une valeur purement historique et ne peut se comprendre comme une distinction de principe. C’est ce que semble dire Foucault, en effet, dans les dernières lignes du texte cité (ces mots sont absents des Aveux de la chair), lorsqu’il affirme que « plus tard, lorsque cette technique de direction sera développée à l’intérieur du christianisme, c’est sous le signe du pastorat qu’elle sera placée ». L’allusion à la pastorale tridentine est ici manifeste. Mais je ne crois pas qu’on puisse en conclure que, tout compte fait, au terme d’une longue évolution, pastorat et direction ne forment plus qu’une seule et même technologie de gouvernement. Le fait que la direction, à un moment donné, se trouve placée « sous le signe du pastorat » ne signifie pas qu’elle se confonde avec lui. Bien au contraire, Foucault y insiste, « le thème du pouvoir pastoral n’implique pas une technique de direction ». S’ils se rejoignent à l’époque de la Contre-Réforme, ils n’en demeurent pas moins analytiquement distincts.
23Plutôt que d’entendre l’affirmation de Foucault comme une mise au point d’ordre chronologique, j’yperçoisl’explication – etc’est làle troisièmeenseignement du texte – de l’amalgame effectué, en 1978, entre pastorat et direction. Il résulterait de la projection, sur les premiers siècles chrétiens, d’une structure tardive de gouvernementdes âmes, dans une démarche historique régressive, insuffisamment affranchie, sans doute, de certains présupposés continuistes, et trop exclusivement centrée, encore, sur la généalogie de l’aveu pénitentiel31.
24Quel sens, dès lors, donner à cette reconfiguration du pastorat en 1980 ? Comment analyser son mode d’action, s’il ne se ramène plus, pour l’essentiel, à la triangulation obéissance-examen-aveu32 ? Ce sont quelques aspects de cette question complexe que je voudrais examiner dans la troisième partie.
LE SUBSTITUT SACRIFICIEL
25Une première réponse, banale mais non dépourvue pour autant de pertinence, consiste dans la distinction entre moines et laïcs.
26Rassemblant, dans sa première analyse (qu’il décrivait lui-même comme « une esquisse très vague, très rudimentaire, très élémentaire33 »), un corpus assez hétérogène – Cyprien, Jean Chrysostome, Ambroise, Cassien, Benoît, Grégoire le Grand34 –, Foucault, en 1978, avait occulté ce partage fondamental. C’est la prise en compte de la spécificité du monachisme, comme mode d’institutionnalisation de la vie religieuse35, qui le conduisit, en 1980, à séparer direction et pastorat. Le champ de ce dernier se limitait donc au gouvernement des laïcs, et la question, dès lors, était de savoir quels liens, s’il ne fonctionnait pas selon les mêmes règles, il entretenait avec le modèle monastique. Devait-on les étudier séparément, comme relevant de logiques distinctes, ou ne pouvait-on envisager, entre l’un et l’autre, des échanges et des relations d’influence ? Problème classique, on le sait, de l’histoire de l’Antiquité tardive, qui est au cœur, notamment, du beau livre de Robert Markus, The End of Ancient Christianity36, et de l’analyse de ce qu’il nomme « l’invasion ascétique37 » aux ve-vie siècles.
27Telle est la voie, en effet, suivie par Foucault (mais pour une époque quelque peu antérieure) dans la troisième partie des Aveux de la chair — plus précisément : dans le premier chapitre, consacré aux « devoirs des époux ». De façon remarquable, c’est là que se concentre l’essentiel du vocabulaire pastoral employé dans le livre38. Foucault y étudie, à travers les écrits de Jean Chrysostome, la manière dont s’est constituée, fin ive-début ve siècle, une « pastorale de la vie des conjoints » (AC, p. 254)39. Chrysostome avait été moine avant de devenir évêque40. Ses nombreux écrits relatifs au mariage aident donc à comprendre comment s’est effectué le « transfert » (AC, p. 251) à la « vie quotidienne » (AC, p. 252) de « valeurs, de préoccupations et de pratiques, qui avaient pris une ampleur particulière dans la vie d’ascèse » (AC, p. 250-251) :
[…] plusieurs grands pasteurs, à la fin du ive siècle, […], ayant pratiqué pendant un temps le monachisme, […] avaient pu, une fois placés à la tête d’une église, développer une pratique pastorale inspirée de cette expérience première.
28En Orient comme en Occident :
[…] ils ont favorisé le développement d’une pastorale qui avait pour objectif d’ajuster à la vie dans le monde certaines des valeurs ascétiques de l’existence monastique, ainsi que les pratiques de direction des individus (AC, p. 251).
29Sans entrer plus en détail dans l’analyse de Foucault, on se gardera bien, toutefois, d’en conclure que cette pastorale de la vie mariée – ou ce qu’il appelle encore l’« art de la vie matrimoniale » (AC, p. 281) – hérite purement et simplement de ces valeurs et pratiques ascétiques. Ainsi qu’il le souligne lui-même, à la fin du chapitre :
La symétrie entre l’art de la vie monastique et l’art de l’existence matrimoniale ne doit pas être surestimée. Les différences, bien entendu, sont innombrables. Et sur le thème précis de la concupiscence, il faut bien constater que l’ascèse monastique donnera lieu à des pratiques de surveillance constante de soi, de déchiffrement de ses propres secrets, de recherche indéfinie dans les profondeurs du cœur, d’élucidation de ce qui peut être illusion, erreur et tromperie par rapport à soi-même ; alors que les préceptes de la vie matrimoniale prendront beaucoup plus la forme d’une juridiction que d’une véridiction, et que le thème de la dette donnera lieu à un travail incessant de codification et à une longue réflexion de jurisprudence (AC, p. 281-282).
30La pastorale, de la sorte, s’« inspire » de l’expérience monastique ; elle intègre des « valeurs ascétiques », qu’elle s’efforce « d’ajuster » à l’existence quotidienne des laïcs ; mais elle emprunte d’autres voies que celles tracées par l’ascèse monastique et, loin d’appeler à l’aveu des pensées secrètes, dans l’obéissance continue à un directeur, conduit, autour du problème de la concupiscence (et donc de la question des relations sexuelles), à l’établissement de règles de type juridique41, en interaction avec les structures de la société impériale42.
31L’analyse en termes de transfert, on le voit, ne fait pas entrer la pastorale dans le triangle obéissance-examen-aveu, constitutif de la direction monastique. Bien plutôt, elle met en évidence les lignes d’évolution qui, de plus en plus, tendent à les dissocier. Or, c’est bien dans « l’économie [du] triangle43 » cité que Foucault, en 1980, situe « le schéma de la subjectivation chrétienne » :
[cette] procédure de subjectivation qui s’est historiquement formée et développée dans le christianisme et qui se caractérise d’une manière paradoxale par le lien obligatoire entre mortification de soi et production de la vérité de soi-même44.
32On comprend, dès lors, pourquoi Foucault, après cette date, concentre son analyse sur la direction chrétienne, i. e. la direction selon le modèle monastique, et ne se réfère plus (sinon de manière assez vague, générale et allusive) au paradigme pastoral élaboré deux ans plus tôt. Dans le cadre d’une recherche centrée sur le dire-vrai, le rapport entre véridiction, gouvernement et pratique de soi – thèmes qui définissent l’espace de son travail dans les dernières années –, ce sont les formes, antique et chrétienne, de l’examen et de la direction de conscience qui vont retenir d’abord son attention, et c’est à travers elles qu’il rencontre le thème de la parrêsia45, objet des derniers cours. Il n’y a plus lieu, sur ce nouvel axe véridictionnel, de recourir au schème gouvernemental du pastorat, déconnecté désormais du principe de direction.
33Est-ce à dire, pour autant, que le thème pastoral perdrait tout intérêt chez Foucault ? Ou, pour le dire autrement, que le pastorat chrétien ne présenterait plus, à ses yeux, de traits originaux ? Je ne le pense pas. Il me semble, au contraire, que son autonomisation, par rapport à la direction monastique, permet à Foucault d’accentuer un trait, déjà mentionné en 1978-1979, sans doute, mais laissé en suspens, dont les implications restent à approfondir. Il s’agit du principe – « tout à fait spécifique du pastorat chrétien46 », dit-il alors – « de l’inversion du sacrifice47 », en référence à la figure johannique du Bon Pasteur48.
34Revenons au texte du cours de 1980, que nous avons lu plus haut, dans lequel Foucault dissocie le thème du pasteur du modèle de la direction monastique. Quelle procédure de « guidage49 » définit le premier, s’il ne coïncide pas avec le second ? Foucault l’illustre par un épisode, rapporté par Clément d’Alexandrie dans le Quis dives salvetur (Quel riche sera sauvé ?). C’est l’exemple d’un jeune païen converti par saint Jean, puis retombé dans ses errements, et que l’apôtre, offrant de « mourir à sa place, à l’exemple de Notre Seigneur », parvient à rendre à l’Église50. L’essentiel, commente Foucault, dans ce rapport pastoral,
n’est […] pas autour d’une technique de direction. C’est autour d’un substitut sacrificiel, c’est-à-dire autour du modèle christique. C’est en tant que saint Jean est le Christ par rapport à ce jeune homme et c’est en tant qu’il fait le même type de sacrifice que le Christ par rapport à l’humanité que le salut de l’autre peut être opéré par celui qui le guide [… ]51.
35Substitut sacrificiel et non dépendance totale d’individu à individu : c’est en cela que résiderait la spécificité du pastorat par rapport à la direction. Dans le cours de 1980, et le passage correspondant des Aveux de la chair, cette figure christique n’est pas mise en relation avec la pénitence publique et la pratique de l’exomologèse, analysées plus haut52. J’avais essayé de montrer comment elle s’y rattachait étroitement, liant le « gouvernement de l’être-autre53 » – du fidèle en ce que, par la conversion, il a à devenir autre – à une logique ecclésiale d’incorporation. Logique fondée sur l’appartenance à un même corps : l’Église, corps du Christ. C’est cette concorporatio54 qui justifiait l’inversion sacrificatoire, en rendant chacun substituable à autrui.
36Je ne veux pas développer à nouveau ce point et préfère, pour conclure, indiquer une autre direction d’analyse, qui offre, me semble-t-il, un prolongement remarquable au thème pastoral du substitut sacrificiel55. Elle est esquissée par Jacques Dalarun – l’un des meilleurs spécialistes, comme on le sait, des origines du mouvement franciscain – dans son livre Gouverner, c’est servir, paru en 201256. L’historien y expose la thèse, surprenante, d’une « puissance de la faiblesse57 ». Tel serait l’oxymore, selon lui, auquel se résume l’art pastoral de gouverner les hommes.
37Dalarun part d’un paradoxe : celui que constitue le rapport entre la société médiévale et la religion chrétienne. Société, d’une part, fondée sur la domination ; religion, de l’autre, qui, certes, cautionne l’ordre social existant, mais exalte, en la figure même du Christ, la pauvreté, la faiblesse et le sacrifice. « Le bois de la croix est à la fois la charpente et l’écharde des sociétés médiévales58. » Le christianisme apparaît ainsi, au Moyen Âge, comme « une religion dominante [par son rôle de charpente] mal douée [par son rôle d’écharde] pour être une idéologie dominante59 ».
38C’est de ce « paradoxe chrétien de l’Occident médiéval60 » que découle, pour Dalarun, la mise en œuvre d’expériences de gouvernement originales, non pas au niveau proprement politique (celui du gouvernement royal), mais à celui des communautés monastiques, qui n’en est pas moins « politique » d’une autre manière. Reprenant les concepts de Foucault – dont il résume longuement, dans le troisième chapitre, les leçons centrales du cours de 197861 –, il soutient en effet que « les communautés religieuses médiévales ont servi de laboratoire à l’élaboration de la “gouvernementalité” moderne62 », c’est-à-dire à un « art de gouverner les hommes » qui, à la différence de la souveraineté, « les enrobe plus qu’il ne les domine63 ».
39L’analyse de Dalarun, comme l’indique le titre du livre, se concentre sur un aspect du pastorat bien mis en évidence par Foucault, mais sur lequel celui-ci glisse rapidement :
le pasteur doit éprouver sa charge de pasteur comme étant un service, et un service qui fait de lui le serviteur de ses brebis64.
40Alors que Foucault, en 1978, s’en tient au « couple servitude-service65 » – le gouvernement-service comme corrélat de la « servitude intégrale66 » exigée des brebis –, Dalarun entreprend de montrer, à partir d’exemples tirés d’expériences plus ou moins marginales67, quels effets novateurs ou transgressifs, dans la conception du gouvernement monastique, a produits le thème évangélique de « l’inversion des premiers et des derniers68 » : « retournement du haut et du bas69 », « monde à l’envers70 », « jeu de l’obéissance réciproque71 », « obéissance à front renversé72 », « hybridation entre pouvoir pastoral et gouvernement maternel73 », « renversement des genres sexués74 ». À travers ces exemples, et selon des modalités très diverses, s’exprime « une sorte d’appel du vide au sommet », l’idée d’un pouvoir qui ne s’exerce qu’à la condition de s’effacer, ou qui n’a de force que de s’accepter faible.
Le prince cherche les moyens de préserver sa puissance, y compris en simulant une absence qui est le révélateur de son évidence. Le pasteur [quant à lui] est toujours à la limite de la résignation [selon le modèle de l’Incarnation, « la plus radicale des […] résignations de puissance, puisqu’elle est la résignation de la toute-puissance75 »]. Le gouvernement [au sens pastoral du mot], c’est un pouvoir par avance résigné76.
41Or, c’est un dans un tel « vide », selon Dalarun, que réside non seulement l’antidote à toute tentation de pouvoir charismatique, dont le pastorat paraît porteur, mais aussi « l’espace d’une potentialité démocratique77 », c’est-à-dire d’une démocratie qui reste, de nos jours encore, « sans cesse à inventer78 ».
42Le pastorat, de la sorte, ne serait pas seulement le concept d’un nouveau type de pouvoir inquisiteur et contraignant, sous son apparente douceur, mais également – c’est la piste, du moins, que Foucault, à rebours de ses propres intentions, nous invite à explorer – celui d’un pouvoir s’exerçant comme un anti-pouvoir.
Notes de bas de page
1 Michel Foucault, Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France (1979-1980), éd. par Michel Senellart, Paris, Gallimard/Seuil, 2012.
2 Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France (1977-1978), éd. par Michel Senellart, Paris, Gallimard/Seuil, 2004.
3 Michel Senellart, « Gouverner l’être-autre. La question du corps chrétien », dans Jean-François Braunstein, Daniele Lorenzini, Ariane Revel, Judith Revel, Arianna Sforzini (dir.), Foucault(s), Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, p. 205-221.
4 Ibid., p. 221.
5 Foucault, Les anormaux. Cours au Collège de France (1974-1975), éd. par Valerio Marchetti et Antonella Salomoni, Paris, Gallimard/Seuil, 1999, p. 165.
6 Voir Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 154.
7 Ibid., p. 169.
8 Ibid.
9 Ibid., p. 150.
10 Ibid., p. 151.
11 Voir ibid., les références indiquées n. 25, p. 136, et n. 28, p. 137.
12 Philippe de Robert, Le berger d’Israël. Essai sur le thème pastoral dans l’Ancien Testament, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé (Cahiers théologiques), 1968. Je n’ai découvert cet ouvrage qu’après l’édition de Sécurité, territoire, population, et l’ai utilisé pour celle de la conférence « Omnes et singulatim » dans la Pléiade (voir plus bas, n. 14).
13 Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 154.
14 Foucault, « Sexualité et pouvoir » [Tokyo, 20 avril 1978], DE 2, 233, p. 552-570 (voir p. 560- 566) ; Foucault, « La philosophie analytique de la politique » [Tokyo, 27 avril 1978], DE 2, 232, p. 534-551, ici p. 548-550 ; Foucault, Qu’est-ce que la critique ? suivi de La culture de soi, éd. par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2015, en particulier p. 35-39 ; Foucault, « Omnes et singulatim : vers une critique de la “raison politique” » [1979], DE 2, 291, p. 953- 980 ; nouvelle édition revue et corrigée, avec appareil critique, dans Œuvres, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2015, t. 2, p. 1329-1358 (notice et notes p. 1634-1641).
15 Foucault, « Le sujet et le pouvoir » [1982], DE 2, 306, p. 1041-1062, ici p. 1048-1051.
16 Voir Daniel Defert, « Chronologie », dans Œuvres, op. cit., t. 2, p. xxxi.
17 Foucault, Histoire de la sexualité, t. 2, L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, « Introduction », p. 17.
18 Ibid., p. 18 (« Les aveux de la chair traitent de la formation de la doctrine et de la pastorale de la chair »), 27, 39 (« la doctrine et la pastorale chrétienne de la chair ») ; chap. I, 1, p. 51 ; II, 2, p. 131 ; II, 4, p. 155 ; III, 1, p. 160 ; III, 3, p. 202 et 203.
19 Foucault, Histoire de la sexualité, t. 3, Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984, chap. V (« La femme »), p. 193, 209, 211, 215.
20 Il convient de ne pas oublier, en effet, qu’au moment de la publication des derniers livres, aucun des textes exposant l’analytique du pastorat n’était disponible au public français. Sauf pour ceux qui avaient suivi le cours de 1978, les mots « pastorat », « pastorale », « pouvoir pastoral », etc., n’avaient pour ses lecteurs aucune connotation spécifiquement foucaldienne. C’étaient, en quelque sorte, des non-concepts (des mots dont on n’éprouvait pas le besoin d’interroger le statut conceptuel dans son discours). Il me paraît très significatif que Foucault n’ait pas ressenti la nécessité, en 1984, de s’expliquer plus précisément sur leur emploi. Il est vrai que l’on ne sait pas quelle introduction il aurait écrite, et s’il y aurait développé ces concepts. Mais il n’est pas moins vrai qu’aucune des présentations qu’il donne, à partir de 1980, de son analyse du christianisme ne fait plus référence au pastorat.
21 Voir plus haut, n. 14.
22 Foucault, « Sexualité et pouvoir », art. cité, p. 553.
23 Dans Sécurité, territoire, population, comme on le verra plus loin, Foucault désigne ce trait comme « tout à fait spécifique du pastorat chrétien ». Voir plus bas, n. 46.
24 Foucault, « Sexualité et pouvoir », art. cité, p. 561-562. « Pouvoir, donc, qui porte sur une multiplicité – sur une multiplicité d’individus en déplacement, allant d’un point à un autre –, pouvoir oblatif, sacrificiel, pouvoir individualiste. »
25 Ibid., p. 562.
26 Ibid., p. 562-565.
27 Foucault, Qu’est-ce que la critique ?, op. cit., p. 35-36.
28 Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 249. Comparer avec le texte plus concis d’AC, p. 114 : « Le thème du pasteur qui doit guider vers les prairies du salut à la fois le troupeau et chacune des brebis, est présent dans les formes les plus anciennes du christianisme. Mais il ne coïncide pas avec l’idée d’une “direction” qui prendrait en charge la vie d’un individu, la guiderait pas à pas, lui prescrirait un régime spécifique, lui donnerait des conseils de conduite quotidienne, prendrait, en permanence, connaissance de ses progrès et exigerait une obéissance continue et sans faille. »
29 Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 261 ; voir AC, p. 121.
30 Ibid., p. 262-263 ; voir AC, p. 122.
31 Le décentrement, en 1980, de l’histoire de l’aveu par rapport à la seule confession, au profit de la mise au jour du « régime de vérité » chrétien, témoigne de cette remise en cause d’une genèse trop continuiste.
32 Sur ce « triangle », voir Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 284.
33 Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 169.
34 Voir ibid., p. 169-170.
35 Voir Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 253 et suiv.
36 Robert Markus, The End of Ancient Christianity, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; trad. D. Kempf, Au risque du christianisme, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2012.
37 Ibid., p. 269.
38 Quinze occurrences (pasteur [1] ; pastorale [8] ; pastoral/e [6]), pour 3 dans la première partie, et une seule dans la deuxième. Ce vocabulaire disparaît complètement des deux derniers chapitres consacrés à Augustin.
39 Expressions équivalentes : « pastorale du mariage » (AC, p. 255), « pastorale des rapports conjugaux » (AC, p. 269), « pastorale de la vie mariée » (AC, p. 280), « pastorale de l’existence conjugale » (AC, p. 281).
40 AC, p. 254.
41 Sur l’analyse des relations sexuelles entre époux comme « objets d’obligation », chez Jean Chrysostome, et l’importance centrale, par conséquent, du « thème juridico-économique » (AC, p. 276) de la « dette », voir p. 273 et suiv.
42 Voir, sur ce dernier point, AC, p. 251-252.
43 Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 284.
44 Ibid., p. 303.
45 Comme il l’explique dans sa conférence de Grenoble, « La Parrêsia » [mai 1982], Anabases, 16, 2012, p. 160, rééd. dans Foucault, Discours et vérité, précédé de La parrêsia, éd. par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin (Philosophie du présent), 2016, p. 24 : « La première chose qui m’a frappé, c’est que le mot de parrêsia que nous trouvons dans la spiritualité chrétienne avec le sens de nécessité pour le disciple d’ouvrir entièrement son cœur à son directeur pour lui montrer le mouvement de ses pensées, cette notion de parrêsia, vous la retrouvez bien dans la philosophie gréco-romaine de l’époque impériale, avec cette différence capitale que la parrêsia n’est pas une obligation imposée au disciple, elle est une obligation qui au contraire est imposée au maître. » Formule assez étonnante, car c’est à partir de la traduction d’exagoreusis par « tout dire » que, par un glissement qu’il faudrait interroger, Foucault établit l’équivalence exagoreusis = « tout dire » = parrêsia. Voir ma conférence « Le concept chrétien de parrêsia, de Peterson à Foucault », à paraître chez Brepols, dans Marie-Céline Isaïa (dir.), Liberté de parole. La critique politique des élites religieuses. Islam, Byzance, Occident (viiie-xiiie siècle).
46 Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 174.
47 Ibid. Ce principe, dans cette leçon du cours, est le troisième de ceux qui caractérisent le « rapport au salut », dans l’analyse des traits spécifiques du pastorat chrétien. Il ne concerne donc ni le « rapport à la loi », ni le « rapport à la vérité ».
48 Jn, 10, 11-12 : « Je suis le bon pasteur ; le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, qui n’est pas le pasteur et à qui n’appartiennent pas les brebis, voit-il venir le loup, il laisse les brebis et s’enfuit, et le loup s’en empare et les disperse », La Bible de Jérusalem, 1977, p. 1546.
49 Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 251. Le mot est absent du passage correspondant des Aveux de la chair.
50 Ibid., p. 250-251 ; voir AC, p. 114-115.
51 Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 251. Voir AC, p. 114-115 : « Il s’agit là d’une substitution ou du moins d’une participation sacrificielle qui déborde largement la technique de direction. […] Le modèle, on le voit, n’est pas celui du maître apprenant à son élève comment vivre et se conduire : c’est celui du Christ qui se sacrifie pour les hommes après qu’ils soient tombés et qui intercède pour eux auprès de Dieu. L’échange du sacrifice pour le rachat est là plus important que les procédés permettant de conduire une âme et de la faire peu à peu progresser. »
52 Voir Foucault, Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 197 et suiv. ; AC, p. 89 et suiv. Le rapprochement, en revanche, est clairement effectué par Henri de Lubac, Catholicisme, 7e éd., Paris, Cerf, 1983, p. 62, qui, citant cette même histoire, y voit l’illustration du caractère essentiellement ecclésial de la pénitence publique : « Tout l’appareil de la pénitence publique et du pardon montrait à l’évidence que la réconciliation du pécheur est d’abord une réconciliation avec l’Église. » Et Lubac souligne le fait que l’apôtre « rend à l’Église » le jeune homme.
53 Sur cette expression, qui apparaît dans le manuscrit du cours Du gouvernement des vivants à propos du « pouvoir pastoral » (p. 157, note *), voir Michel Senellart, « Gouverner l’être-autre. La question du corps chrétien », art. cité, p. 206.
54 Sur ce mot, voir ibid., p. 219, n. 85.
55 Michel Foucault, quant à lui, ne donne guère d’indication sur la postérité de cette figure sacrificielle. Voir AC, p. 115, n. 3 : « Il faut noter que même lorsque les techniques de la direction chrétienne se seront développées, le modèle du sacrifice christique ne sera pas pour autant effacé. On le retrouvera constamment, mais avec une place plus restreinte. » À rapprocher de Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 174-175.
56 Jacques Dalarun, Gouverner, c’est servir. Essai de démocratie médiévale, Paris, Alma, 2012.
57 Ibid., p. 398.
58 Ibid., p. 14.
59 Ibid., p. 14-15 ; voir également p. 124.
60 Ibid., p. 15.
61 Ibid., p. 282-306. Voir Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit.
62 Jacques Dalarun, Gouverner, c’est servir, op. cit., p. 15.
63 Ibid., p. 16.
64 Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 183 (cité dans Jacques Dalarun, Gouverner, c’est servir, op. cit., p. 299 et 368) ; voir également p. 132, à propos du « caractère oblatif et […] transitionnel » du pouvoir (« le pasteur est au service du troupeau »).
65 Ibid., p. 183.
66 Ibid.
67 Claire d’Assise (chap. 1 : « La servante servie »), Fontevraud (Robert d’Arbrissel), le rêve abélardien du Paraclet, la communauté de Grandmont (Etienne de Muret), les ordres dominicain et franciscain.
68 Jacques Dalarun, Gouverner, c’est servir, op. cit., p. 15. Voir Mt 20, 26-28 : « […] si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur, et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave. C’est ainsi que le fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir » (trad. TOB).
69 Jacques Dalarun, Gouverner, c’est servir, op. cit., p. 99.
70 Ibid., p. 172.
71 Ibid., p. 192.
72 Ibid., p. 219.
73 Ibid., p. 392.
74 Ibid.
75 Ibid., p. 358.
76 Ibid., p. 360.
77 Ibid.
78 Ibid., p. 400.
Auteur
Professeur de philosophie politique à l’École normale supérieure de Lyon. Il a édité les cours de Michel Foucault au Collège de France, Sécurité, territoire, population (1978), Naissance de la biopolitique (1979), Du gouvernement des vivants (1980), et participé à l’édition de ses Œuvres dans la Bibliothèque de la Pléiade. Il a récemment publié « À propos des anges des nations. Le problème théologico-politique du nationalisme selon Peterson », dans Philippe Büttgen, Alain Rauwel (dir.), Théologie politique et sciences sociales. Autour d’Erik Peterson (Éditions de l’EHESS, 2019) et « À propos de Saeculum de R. Markus », Revue de l’histoire des religions (2019).
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