Intériorité de la conscience et extériorité des aveux
Le sujet chrétien selon Foucault
p. 53-65
Texte intégral
1Les aveux de la chair vont à coup sûr transformer le débat sur la conception patristique de la sexualité. La lecture de ce texte nous rappelle quelle tragédie a été la mort prématurée de l’auteur. En 1988, Peter Brown publiait The Body and Society in Late Antiquity1, livre qui a inauguré une intense discussion sur la signification des idées et des pratiques chrétiennes concernant le corps et la sexualité dans le contexte historique de l’Antiquité tardive2. Imaginons un instant quelle influence Les aveux de la chair auraient pu avoir sur ce débat, et même au-delà, s’ils avaient été publiés dès les années 19803. En lisant ce livre aujourd’hui, il faut toujours se rappeler qu’il a été rédigé il y a trente-cinq ans, soit avant la vague des recherches spécialisées sur ce thème4. Néanmoins, cette publication, retardée pour des raisons bien connues, reste extrêmement actuelle, dans la mesure où le monde d’aujourd’hui, avec son débat permanent sur l’identité sexuelle, illustre abondamment la thèse fondamentale de l’Histoire de la sexualité sur la relation entre la notion du soi et les conceptions de la sexualité.
2Dans ce chapitre, j’examinerai cette relation à partir des Aveux de la chair. Selon Foucault, le christianisme a joué un rôle décisif dans l’émergence de la conception moderne du soi5. Il n’est pas le premier à avoir avancé cette hypothèse. Au contraire, l’idée qui consiste à associer la genèse du monde moderne à des transformations ou sécularisations de conceptions et de pratiques d’origine chrétienne a une longue histoire, au moins depuis Hegel6. Pourtant, l’interprétation foucaldienne du soi moderne et de ses racines chrétiennes peut être vue comme une critique de ses rivales, qu’elles soient de provenance hégélienne ou wébérienne7. Tandis que celles-ci considéraient la connexion entre le christianisme et le monde moderne comme un tournant vers le sujet qui, en même temps, éloignait l’homme de la nature extérieure, Foucault s’est concentré, au contraire, sur des institutions et des pratiques de la confession conçues dans le but exprès de contrôler et de règlementer les individus8. Cette thèse est bien connue ; j’y reviendrai à la fin de ce chapitre. La question principale qui se pose, cependant, est la suivante : comment l’histoire de la sexualité à l’époque des Pères, selon le récit qu’en donne Foucault dans Les aveux de la chair, a-t-elle contribué à ce contrôle des individus ? Ou, autrement dit : dans quelle mesure la présentation par Foucault des conceptions de la sexualité à l’époque des Pères est-elle influencée par ses vues plus générales sur la signification du christianisme pour l’émergence du soi moderne ?
LA SEXUALITÉ ET LE SOI DANS LE CHRISTIANISME ANCIEN SELON MICHEL FOUCAULT
3Commençons par une brève analyse de l’argument présenté dans Les aveux de la chair. Il n’y a aucun doute9 : Foucault aborde la période patristique avec une érudition considérable et, en particulier, une connaissance impressionnante d’un grand nombre de textes des Pères de l’Église. Utilisant des auteurs divers, grecs et latins, du iie au ve siècle, il livre l’image d’une époque de transition, en soulignant surtout les continuités avec l’hellénisme, mais en identifiant aussi les innovations typiques de la nouvelle religion.
4Les auteurs utilisés par Foucault sont les penseurs majeurs qu’on attendait dans un tel récit : Clément d’Alexandrie, Tertullien, Cyprien, Méthode d’Olympe, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Augustin, Cassien, pour ne nommer que les plus importants. On observe, néanmoins, deux limites importantes : il commence avec Clément et donc vers la fin du iie siècle. Pourquoi pas plus tôt ? Après tout, le christianisme existe depuis le ier siècle, et il y eut des débats sur la sexualité dès son origine. Foucault discute parfois des passages du Nouveau Testament, mais il les considère seulement du point de vue de leur exégèse par les Pères.
5Foucault affirme que les Pères du iie siècle « n’auraient pas trouvé les principes [de leur doctrine sur les aphrodisia] dans les milieux chrétiens primitifs ni dans les textes apostoliques – exception faite des lettres fortement hellénisantes de saint Paul » (AC, p. 9). Les idées patristiques sur la sexualité seraient donc le résultat d’une « hellénisation du christianisme », pour reprendre la formule fameuse d’Adolf von Harnack. La même tendance à l’élision du christianisme primitif a été observée par Philippe Chevallier à propos du « pastorat chrétien » chez Foucault10. Michel Senellart a pu parler de « l’apousie de Christ » dans la conception foucaldienne de l’histoire de l’Église11 ; en fait, c’est plutôt une « apousie » du christianisme primitif dans son ensemble que nous constatons. Le parallèle avec Harnack pourrait donc être plus qu’une vue de l’esprit, si l’on prend acte que la critique théologique de l’hellénisation du christianisme a reposé sur une théorie historique qui voyait un abîme entre le monde du christianisme primitif et celui du « catholicisme ancien » de l’Église du iie siècle12. Foucault semble, pour des raisons que j’ignore, avoir partagé avec Harnack l’idée d’une discontinuité catégorique entre le mouvement religieux du ier siècle et l’Église qui s’est constituée comme institution dès la fin du iie siècle. Mais tandis que le théologien luthérien cherchait dans l’évangile de Jésus-Christ le vrai noyau de la religion chrétienne, Foucault ne s’y est pas du tout intéressé et s’est plutôt focalisé sur la grande structure institutionnelle qui a émergé une centaine d’années plus tard.
6Une seconde observation concerne la contextualisation historique et culturelle du christianisme lui-même. L’arrière-plan de la construction que Foucault offre de cette religion est l’hellénisme. Le christianisme, pourrait-on dire, est présenté comme une transformation ou comme une mutation de la culture classique ; d’autres influences historiques sur son caractère sont plus ou moins ignorées. L’exemple le plus étonnant est le judaïsme, qui est presque totalement absent de l’histoire de la sexualité à l’époque des Pères selon Foucault13.
7Je ne peux ici discuter ou critiquer en détail ces limites. Marquons-en au moins le principe : le christianisme, pour Foucault, représente principalement une charnière entre la culture classique et le monde moderne. Pour pouvoir ainsi faire charnière, le christianisme doit être compris comme un produit ou un résultat de l’hellénisme : produit modifié certes, mais produit quand même.
8Quant au changement introduit par le christianisme vis-à-vis de l’hellénisme, le lecteur de Foucault ne sera pas surpris d’apprendre que l’auteur des Aveux de la chair s’oppose strictement à la vision courante qui veut que le christianisme se soit distingué de la culture païenne de son temps par une hostilité particulière envers la chair, le corps et la sexualité14. À travers ce livre, l’intention distincte de Foucault est de nier une telle perception de la nouveauté du christianisme. « Avec le christianisme, insiste-t-il, on n’est pas passé d’un code tolérant aux actes sexuels à un code sévère, restrictif et répressif » (AC, p. 51).
9Foucault souligne donc, à juste titre, l’affinité entre les prescriptions relatives aux actes sexuels chez les apologètes du iie siècle et celles des philosophes stoïciens15. Leurs vues convergent quant à la limitation des actes sexuels au contexte conjugal ; elles partagent aussi le principe fondamental selon lequel le seul but légitime des actes sexuels est la procréation. En fait, les apologètes « comme Justin ou Athénagoras font valoir, aux empereurs auxquels ils s’adressent, que les chrétiens mettent en pratique, à propos du mariage, de la procréation et des aphrodisia, des principes qui sont les mêmes que ceux des philosophes » (AC, p. 9).
10Les analyses textuelles de Foucault sont toujours nuancées ; il note ainsi que Clément d’Alexandrie part de la tradition hellénistique en inscrivant la sexualité dans un grand système théologique déterminé par les doctrines cosmologiques et anthropologiques du premier christianisme. Tandis que « le contenu de l’enseignement » est absolument conforme à celui des philosophes païens, « tout l’effort de Clément est d’insérer ces aphorismes connus et courants dans un tissu complexe de citations, de références, ou d’exemples qui les font apparaître comme prescriptions du Logos, qu’il s’énonce dans la nature, la raison humaine, ou la parole de Dieu » (AC, p. 16). Malgré cet effort d’insertion, Foucault conclut que l’enseignement sur les pratiques sexuelles que Clément présente dans son Pédagogue, enseignement qu’il considère typique de l’Église ancienne en général, est plus ou moins identique à celui de ses contemporains païens : il « témoigne […] d’une grande continuité avec les textes de la philosophie et de la morale païenne de la même époque, ou d’une période aussitôt antérieure » (AC, p. 48)16. L’auteur chrétien partage « la même forme de prescription : un « “régime” de vie qui définit la valeur des actes en fonction de leurs fins rationnelles et des “occasions” qui permettent de les effectuer légitimement ». On retrouve donc, chez Clément, « les mêmes interdits (l’adultère, la débauche, la souillure des enfants, les relations entre hommes), les mêmes obligations (avoir en vue la procréation des enfants quand on se marie et quand on a des rapports sexuels), avec la même référence à la nature et à ses leçons » (AC, p. 48).
11La même stratégie est poursuivie par Foucault lorsqu’il discute les opinions des Pères sur la virginité. Il cite Galien, le célèbre médecin du iie siècle, qui comparait les chrétiens (et les juifs) aux philosophes païens en vertu de leur continence17. Selon Foucault, cette comparaison indique que l’idéal de la virginité, vivre à perpétuité en dehors du mariage et s’abstenir entièrement des actes sexuels, n’avait rien d’étonnant pour l’homme grec cultivé : le témoignage de Galien, écrit-il, « est intéressant dans la mesure où, attestant le fait, il n’y voit guère quelque chose de nouveau » (AC, p. 150).
12Je suppose que peu de lecteurs seront totalement convaincus par cette thèse. Après tout, s’il y a beaucoup de livres chrétiens sur la virginité18, il n’y en a en revanche aucun de provenance païenne. Foucault a raison, bien sûr, d’affirmer que la célébration de la virginité chez les chrétiens était intégrée à une conception plus vaste de la vie spirituelle et de l’ordre du salut selon laquelle « la virginité est […] à la fois élément d’un monde sans mort et germe de ce monde : fragment ici-bas de ce monde et accès à la réalité céleste qu’il constitue » (AC, p. 196). De plus, il fait l’observation géniale que l’identification de la sexualité avec la concupiscence chez Augustin – Foucault parle de la « libidinisation du sexe » (AC, p. 329) – a servi à aligner la conception chrétienne du bien du mariage avec l’idéal absolu de la virginité :
[…] avec l’idée de la concupiscence comme mal, il était possible de joindre, en un même thème du combat spirituel, l’exercice de la virginité et la pratique du mariage. Dans les deux états c’est au même mal qu’on a affaire, c’est le même renoncement à la forme concupiscente de la volonté qui est exigé : la différence étant que, dans le mariage, le non-consentement passe par une certaine forme d’usage dont se détournera habilement la virginité (AC, p. 360).
13La problématique centrale d’une histoire de la sexualité pour Foucault est, on le sait, l’émergence d’une connexion intime entre sexualité et subjectivité. Le récit que l’auteur donne, des apologètes du iie siècle à saint Augustin, mène à une vision selon laquelle la morale sexuelle d’origine hellénistique s’est trouvée profondément transformée et intégrée à une conception chrétienne qui a défini la relation du sujet avec lui-même. Ainsi Augustin aurait développé la théorie chrétienne classique qui, on le suppose, a été par la suite transmise au monde médiéval et, de là, aux Temps modernes.
14Le lecteur d’une histoire de la sexualité à l’âge patristique s’attend tout naturellement à une présentation et à une discussion des conceptions chrétiennes sur le mariage et la virginité. De ce point de vue, Foucault ne surprend pas. Mais il y a des éléments inattendus et même étonnants dans son livre. En général, Foucault ne s’intéresse pas beaucoup aux détails spécifiques des pratiques sexuelles ou des débats sur l’ascétisme parmi les chrétiens de l’Antiquité tardive, comme le faisait par exemple Peter Brown. En revanche, il inclut une représentation de pratiques qui ne sont apparemment pas liées à la sexualité ou associées à elle. On pensera à son analyse détaillée du développement de l’institution de la catéchèse baptismale et de la confession. Ces deux sections sont écrites avec la même rigueur que le reste du livre. Elles témoignent de l’érudition extraordinaire de l’auteur, de son analyse nuancée d’un grand nombre de sources et de la sûreté de son jugement. Mais pourquoi ces sections sont-elles incluses dans ce livre ?
L’INTERPRÉTATION DU CHRISTIANISME ANCIEN ET MODERNE
15Pour répondre à ces questions, on peut se tourner vers un bref texte publié en annexe des Aveux de la chair. Dans cet exposé, intitulé « Ce qu’il s’agit de démontrer », Foucault exprime sa conviction qu’« il existe un noyau prescriptif relativement constant dans le christianisme. Ce noyau est ancien. Et il s’est formé antérieurement au christianisme » (AC, p. 365). Il poursuit : « C’est la nouvelle définition des rapports entre subjectivité et vérité qui va donner à ce noyau prescriptif ancien une signification inédite, et apporter à la conception ancienne des plaisirs et de leur économie des modifications importantes » (ibid.).
16En d’autres termes, l’intention de Foucault n’était pas de détailler pour elles-mêmes les prescriptions ou prohibitions relatives aux pratiques sexuelles chez les auteurs de l’Église ancienne, car il ne considérait pas que ces prescriptions ou prohibitions constituaient une nouveauté particulière vis-à-vis des conceptions hellénistiques. Son intérêt fondamental était de découvrir dans le christianisme ancien un tournant concernant la subjectivité. Ce tournant, nous l’avons vu, était déjà indiqué par le discours patristique sur la virginité et par la « libidinisation du sexe » chez Augustin, mais ce sont en particulier des institutions comme la catéchèse baptismale et le système pénitentiel qui ont introduit un nouveau « rapport entre la subjectivité et la vérité », pour utiliser encore une fois les termes de Foucault.
17Cette thèse est bien connue du lecteur de l’œuvre tardive de Foucault. Par exemple, dans ses conférences données à Dartmouth College en 1980, publiées en français sous le titre L’origine de l’herméneutique de soi, Foucault montre la différence entre l’idéal grec de paideia, l’éducation d’un élève ordonnée à son indépendance intellectuelle comme but ultime, et la discipline pénitentielle du monachisme fondée sur la doctrine chrétienne du péché originel et institutionnalisée dans le principe de l’obéissance absolue envers le père abbé19.
18L’intérêt de Foucault pour ces questions n’a donc rien d’étonnant. Au contraire, l’origine de la confession chrétienne et sa relation avec l’impératif de « dire-vrai » sont des problèmes liés au projet intellectuel que Foucault a poursuivi dans la dernière décennie de sa vie20. On sait que, pour son cours au Collège de France de 1979-1980, Du gouvernement des vivants, Foucault a utilisé une grande partie des matériaux qui se retrouveront dans les Aveux de la chair21. Mais dans ce cours, Foucault les aborde sans presque aucune indication de leur relation supposée avec la problématique de la sexualité. Cette comparaison entre Les aveux de la chair et le cours indique à mon sens qu’en rédigeant Les aveux de la chair, Foucault n’avait aucune évidence textuelle lui permettant d’intégrer l’histoire des institutions pénitentielles et celle plus générale de la confession à son récit du développement de la sexualité à l’époque patristique. Il nous présente donc, en effet, deux récits séparés sans achever leur synthèse. La grande ambition d’aligner, d’une manière définitive, la perspective patristique sur le mariage et la virginité et l’étude des institutions disciplinaires de l’Église ancienne reste, à mon avis, une interprétation possible mais non nécessaire de ce matériel historique.
19Je voudrais donc suggérer que la lecture du christianisme ancien présentée par Foucault devient plus intelligible et plus plausible à partir d’une interprétation téléologique, déterminée par le but ultime de son récit historique, à savoir l’interprétation de l’émergence de la modernité occidentale22. Autrement dit, la connexion entre les différentes strates de l’analyse foucaldienne devient plus évidente à partir du moment où l’on prend en considération le lien fort entre la conception de la sexualité et les institutions disciplinaires dans l’Église catholique des xvie et xviie siècles.
20En proposant une telle reconstruction de la théorie foucaldienne de la transformation chrétienne du sujet dans l’Antiquité tardive, mon intention principale n’est pas de la critiquer, encore moins de la rejeter. Je considère l’Histoire de la sexualité comme une généalogie du monde d’aujourd’hui, dont le but est de produire, non pas une histoire pour ainsi dire objective, mais un récit relatif aux sources du soi moderne, pour emprunter le titre du célèbre ouvrage de Charles Taylor23. Le succès d’un tel projet dépend donc principalement de sa capacité à expliquer ce que nous sommes devenus.
21Pour comprendre le récit que Foucault nous offre du lien entre sexualité et subjectivité dans le christianisme ancien, il faut reconstruire deux postulats constitutifs de sa conception des rapports entre le christianisme et le monde moderne. Le premier postulat tient dans le rejet de toute relation antithétique entre ces deux termes. Foucault n’admet pas l’idée d’un monde moderne intégralement séculier, ou encore il refuse de considérer que le Moyen Âge constituerait la période classique de la religion chrétienne. Au contraire, Foucault suit Jean Delumeau, son collègue au Collège de France, qui critiquait l’idée du Moyen Âge comme âge d’or du christianisme et considérait l’époque de la Réforme et de la Contre-Réforme comme un temps d’intensification de l’identité chrétienne de l’Europe24.
22En second lieu, Foucault partage la perspective de Delumeau, qui a montré en détail l’importance particulière de l’institution pénitentielle pour le catholicisme post-tridentin25. Selon Delumeau, cette histoire commence au xiiie siècle avec l’introduction de la confession privée obligatoire, mais elle atteint son apogée dans les deux siècles de la première modernité. Foucault, pour sa part, a considéré la confession comme une figure privilégiée du rapport entre pouvoir et savoir, une expression classique de l’alèthurgie si caractéristique du christianisme, avec son obligation de toujours dire la vérité sur soi-même, de confesser ses péchés et même ses tentations non seulement à soi-même mais aussi aux autres, et notamment au père confesseur.
23Dans leur ensemble, ces deux postulats expliquent le rôle joué par le christianisme dans le diagnostic foucaldien sur la genèse du monde moderne. Le christianisme est fondamental pour comprendre le sujet moderne en tant qu’il a produit les institutions alèthurgiques qui ont contribué à l’émergence d’une nouvelle forme de pouvoir politique et social. Il apparaît ainsi à l’origine des institutions séculières qui ont contribué plus tard à forger notre monde, soit le système pénal, la psychiatrie ou la psychanalyse26.
24La sexualité, au sens où Foucault l’entend, est un aspect de cet ordre. Parler de sexualité, c’est, pour nous, parler du soi dans le contexte de l’alèthurgie moderne : ma sexualité, c’est moi. Par conséquent, la notion moderne de sexualité dépend des institutions du dire-vrai qui se sont façonnées sur le modèle de la confession ecclésiastique. Comprendre la sexualité en ce sens revient donc à comprendre son émergence à partir du système pénitentiel de l’Église catholique. Mais compte tenu du fait que les racines historiques de ce système s’étendent à l’époque patristique, il fallait chercher les origines de leur lien intime avec le sujet chrétien dans cette période historique. Cette hypothèse, sans aucun doute, a motivé la recherche de Michel Foucault sur l’histoire de la sexualité à l’époque patristique, dont le résultat a inspiré la rédaction des Aveux de la chair. Mais je crois qu’elle pourrait aussi avoir influé sur sa perception et sa lecture des textes patristiques. Autrement dit, Foucault a découvert ce qu’il s’attendait à découvrir.
25À mon sens, Michel Foucault avait bien des raisons de s’attendre à trouver dans les textes des Pères l’origine de tous les éléments qui constituent le christianisme médiéval et moderne. Mais la lecture de ces sources a ouvert de nouvelles voies de réflexion imprévues. Il n’y a pas de trajectoire unique qui commencerait avec l’Église ancienne et mènerait au christianisme occidental médiéval et, plus tard, au catholicisme post-tridentin. L’Église orthodoxe, par exemple, est aussi un produit historique du christianisme ancien, mais elle n’a jamais introduit la confession privée obligatoire et elle n’a donc jamais connu la problématique que Foucault identifie dans la modernité occidentale. Les Églises protestantes, pour leur part, ont plus ou moins aboli la confession privée au xvie siècle et ont donc puisé d’une manière encore différente dans les traditions patristiques du sujet chrétien.
26La manière dont Foucault aborde les textes des Pères n’a certes pas mené à une mésinterprétation du matériel historique, mais elle a sans doute conduit à des résultats plus univoques et plus définitifs que les sources ne le permettent.
INTÉRIORITÉ DE LA CONSCIENCE ET EXTÉRIORITÉ DES AVEUX
27Je voudrais pour finir élargir un peu le regard. En parlant d’un contraste ou d’une contradiction entre l’extériorité des aveux et l’intériorité de la conscience, je faisais d’entrée de jeu référence à la concurrence qui existe entre l’interprétation foucaldienne du tournant chrétien dans l’Antiquité tardive et sa rivale majeure, selon laquelle l’innovation la plus fondamentale du christianisme a été la découverte de l’intériorité. Charles Taylor, dans Sources of the Self, a par exemple intitulé son chapitre sur Augustin In interiore homine, « dans l’homme intérieur » ou « selon l’homme intérieur27 ». Selon cette interprétation, la nouveauté du christianisme, son originalité dans le monde, ancien, repose sur sa tendance à donner la priorité à l’expérience intérieure par rapport à sa manifestation dans le monde visible. Du point de vue de la morale, les motivations des actes devenaient par là aussi importantes que leur réalisation ; des rituels traditionnels comme les sacrifices publics s’en sont trouvés abolis ; la foi comme attitude interne et l’acceptation personnelle des dogmes de l’Église ont pris une importance croissante, etc.28.
28Il est donc évident qu’il y a une opposition nette entre cette théorie de l’intériorité (pour la caractériser d’un mot simplificateur) et la conception de Foucault, qui met l’accent sur la confession des péchés et la création des institutions disciplinaires29. Une confrontation de ces deux perspectives peut toutefois révéler autant de similarités que de différences. Il faut noter d’abord que toutes deux constituent en fait des interprétations téléologiques du christianisme ancien. J’ai déjà mentionné la connexion qui existe entre l’interprétation que Foucault fait du christianisme patristique et sa conception du catholicisme français pendant la première modernité. Mais la thèse opposée, celle de Taylor, trouve elle aussi son telos dans la modernité. Dans la mesure où elle est en fin de compte de provenance hégélienne, sa conception du christianisme comme religion de l’intériorité mène évidemment à une idée du monde moderne comme âge du sujet ou de la subjectivité, dans lequel le christianisme fait figure de préparation historique.
29Nous avons donc affaire à deux interprétations différentes du christianisme ancien construites pour soutenir deux conceptions également différentes du monde moderne. Mais tandis que la modernité de Michel Foucault est catholique et française, la modernité hégélienne et wébérienne est protestante et germanique. Pour la première, la modernité est une formation caractérisée par des institutions disciplinaires dérivées de l’institution pénitentielle de l’Église catholique du xviie siècle ; pour la seconde, elle est l’histoire de l’aliénation de l’homme intérieur par rapport à un monde physique de plus en plus « désenchanté » ainsi que de l’atomisation des individus qui perdent leurs identités traditionnelles comme membres de leurs communautés d’appartenance30.
30On peut se demander, cependant, si ces deux interprétations n’ont pas plus en commun qu’on ne s’y attendrait au premier abord. La perception de l’existence des institutions disciplinaires d’un côté, la vision d’une société intégralement individualisée de l’autre, pourraient, il est vrai, sembler antithétiques. Nous savons cependant tous que le monde radicalement individualisé d’aujourd’hui peut en fait créer de nouvelles institutions disciplinaires, par exemple dans les réseaux sociaux, excellent exemple d’alèthurgie contemporaine31.
31Mais revenons à l’Antiquité tardive et au christianisme patristique. Là aussi, les deux théories qui insistent respectivement sur les aveux publics et sur l’intériorité de la conscience, peuvent bien décrire des phénomènes étroitement liés. Après tout, la nécessité des aveux publics et de la confession était enracinée dans l’importance donnée à l’intériorité humaine. Sans une telle importance accordée aux pensées, aux intentions, aux motivations et tentations qui toujours restent invisibles et inscrutables dans l’esprit humain et que l’individu seul peut révéler, on n’aurait pas eu besoin des techniques d’aveu sophistiquées qui supposent la coopération principalement volontaire de l’individu.
32En ce sens, la conception foucaldienne du sujet chrétien révèle un aspect véritablement central du christianisme comme facteur culturel. On pourrait dire qu’il a changé ou transformé l’équilibre entre l’intériorité et l’extériorité humaine avec des résultats décisifs et toujours ambivalents. Le nouveau monde culturel créé par le christianisme a conduit à la culture de la vie intérieure de l’individu et en dernière analyse à l’idée de la protection de la liberté de la conscience. Mais il a aussi inventé des institutions brutales pour intervenir sur l’intériorité de l’individu afin de pénétrer le contenu entier de son esprit et donc de son humanité. La sexualité, Foucault l’a bien perçu, offre une illustration importante de ce principe. Reconnue comme aspect fondamental de notre identité, elle entre dans l’ambivalence que je viens de décrire. Notre culture séculaire ou plus exactement postchrétienne a la capacité, je crois, de la cultiver et de la protéger comme expression de l’humanité et de la liberté en chaque personne, mais elle a aussi le potentiel pour utiliser cette idée dans le but de pervertir l’humanisme que le monde moderne promet. Pour comprendre cette ambivalence, il faut se rendre compte de son histoire et, en particulier, de l’influence durable des transformations de l’Antiquité tardive. La publication des Aveux de la chair nous donne l’occasion d’interroger à nouveaux frais ce fait important.
Notes de bas de page
1 Pour la traduction française, voir Peter Brown, Le renoncement à la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, trad. par P.-E. Dauzat et C. Jacob, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1995.
2 La relation entre le projet de Foucault et celui de Peter Brown est fascinante. Tandis que Brown (A Life of Learning, New York, American Council of Learned Societies [ACLS Occasional Paper, 55], 2003, p. 2-3) a parlé d’une « amitié intellectuelle » entre lui et Foucault en termes assez vagues (« des conversations intenses mais essentiellement imprévues »), Foucault a attribué à son collègue l’intuition selon laquelle « notre tâche était de comprendre comment il se fait que la sexualité soit devenue, dans nos cultures chrétiennes, le sismographe de notre subjectivité » (« Sexualité et solitude » [1981], DE 2, 295, p. 991), suggérant que Brown pourrait avoir eu une influence considérable sur la direction fondamentale de l’enquête des Aveux de la chair.
3 Pour la discussion dans les années 1980, voir le compte rendu des tomes 2 et 3 de l’Histoire de la sexualité par Averil Cameron : « Redrawing the Map. Early Christian Territory after Foucault », The Journal of Roman Studies, 76, 1986, p. 266-271. Voir aussi Richard Alston, « Foucault and Roman Antiquity. Foucault’s Rome Introduction », Foucault Studies, 22, 2017, p. 8-30. Alston atténue les critiques de l’interprétation foucaldienne concernant la sexualité dans l’Empire romain en observant que le projet de Foucault est d’abord guidé par l’interprétation des textes chrétiens anciens : « Foucault travaillait à reculons, en partant de la conception chrétienne du soi et en remontant à son origine discursive » (p. 22).
4 Voir en particulier Kyle Harper, From Shame to Sin. The Christian Transformation of Sexual Morality in Late Antiquity, Cambridge, Harvard University Press, 2016. L’important livre d’Aline Rousselle, Porneia. De la maîtrise du corps à la privation sensorielle, iie-ive siècles de l’ère chrétienne, Paris, Puf, 1983, a été publié peu avant les volumes 2 et 3 de l’Histoire de la sexualité.
5 Pour une présentation intégrale du rôle du christianisme dans la pensée de Michel Foucault, voir Philippe Chevallier, Michel Foucault et le christianisme, Lyon, ENS Éditions, 2011.
6 Hans Blumenberg, La légitimité des temps modernes, trad. par M. Sagnol, J.-L. Schlegel, D. Trierweiler, Paris, Gallimard, 1999.
7 Foucault a notamment rejeté l’idée de la sécularisation, voir Philippe Büttgen, « Théologie politique et pouvoir pastoral », Annales. Histoire, sciences sociales, 62/5, 2007, p. 1129-1154, ici p. 1137-1139.
8 Moshe Sluhovsky, Becoming a New Self. Practices of Belief in Early Modern Catholicism, Chicago, The University of Chicago Press, 2017, p. 33-36 et 193-198 ; Arianna Sforzini, « L’autre modernité du sujet. Foucault et la confession de la chair. Les pratiques de subjectivation à l’âge des Réformes », Revue de l’histoire des religions, 235/3, 2018, p. 485 – 505.
9 Stuart Elden, « Review : Foucault’s Confessions of the Flesh », Theory, Culture & Society, 20 mars 2018 (https://www.theoryculturesociety.org/review-foucaults-confessions-flesh/, consulté le 30 septembre 2018). Voir aussi Id., Foucault’s Last Decade, Cambridge, Polity Press, 2016.
10 Philippe Chevallier, « Étudier l’église comme “gouvernementalité” », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, 7, 2013 (https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cem/12874, consulté le 30 septembre 2018), § 2, p. 1.
11 Michel Senellart, « Michel Foucault. Une autre histoire du christianisme ? » Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, 7, 2013 (https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cem/12872, consulté le 30 septembre 2018), § 15, p. 7.
12 Adolf Harnack, L’essence du christianisme. Seize conférences prononcées à l’université de Berlin, Paris, Fischbacher, 1907, p. 231. Pour cette théorie, voir Johannes Zachhuber, Theology as Science in Nineteenth Century Germany. From F. C. Baur to Ernst Troeltsch, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 162-173 et 280-281.
13 Elizabeth A. Clark, « Foucault, the Fathers, and Sex », Journal of the American Academy of Religion, 56/4, 1988, p. 619 – 641, ici p. 622. Il faut signaler que Foucault a considéré l’arrière-plan « hébreu » de l’Ancien Testament pour sa généalogie du pastorat chrétien. Voir P. Chevallier, « Étudier l’église comme “gouvernementalité” », art. cité, § 20, p. 6.
14 Mark Blasius a rapporté la réponse de Foucault à un étudiant américain en 1980 assimilant à « un mythe dangereux » l’idée d’une morale opposée à la sexualité judéo-chrétienne (Michel Foucault, « About the Beginnings of the Hermeneutics of the Self. Two Lectures at Dartmouth », Political Theory, 21/2, 1993, p. 198-227, ici p. 199). Cette réponse n’est pas reprise dans l’édition française de Foucault, L’origine de l’herméneutique de soi. Conférences prononcées à Dartmouth College [1980], éd. par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2013.
15 Foucault suit ici la recherche de Paul Veyne : voir l’article important « La famille et l’amour sous le Haut-Empire romain », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 33, 1978, p. 35-63, en particulier p. 39 : « Du reste la question est vite tranchée : toutes les transformations de la sexualité et de la conjugalité sont antérieures au christianisme. »
16 Ici, Foucault semble s’éloigner subtilement de l’interprétation historique proposée par Paul Veyne, pour qui la fondation de la moralité chrétienne a été une transformation assez radicale « entre l’époque de Cicéron et le siècle des Antonins » (ibid., p. 35).
17 Galien, Πλατωνικῶν διαλόγων συνόψεις, III. Cette œuvre de Galien est perdue et le fragment que cite Michel Foucault est préservé dans des sources arabes assez diverses. Voir Richard Walzer, Galen on Jews and Christians, Oxford, Oxford University Press, 1949, p. 15, 91-93.
18 Sur le thème de la virginité chrétienne, voir P. Brown, Le renoncement à la chair, op. cit. ; Susannah Elm, Virgins of God. The Making of Asceticism in Late Antiquity, Oxford, Oxford University Press, 1994.
19 Foucault, « About the Beginnings », art. cité, p. 215-221.
20 Voir S. Elden, Foucault’s Last Decade, op. cit., p. 45-80, 112-133.
21 Foucault, Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France (1979-1980), éd. par Michel Senellart, Paris, Gallimard/Seuil, 2012, p. 91-313.
22 Pour une interprétation similaire, voir Moshe Sluhovsky, « Confessing Subjects and the Construction of Modern Catholic Selves », Culture & History Digital Journal, 6/2, 2017 (http://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3989/chdj.2017.013, consulté le 30 septembre 2018). Selon Sluhovsky, « Foucault avait en tête le catholicisme moderne lorsqu’il a présenté les révolutions cognitives concernant le péché qu’il a attribuées à l’Antiquité tardive ».
23 Charles Taylor, Sources of the Self. The Making of the Modern Identity, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
24 Dans le cours au Collège de France intitulé Les anormaux, Foucault fait sienne l’interprétation d’un « certain nombre d’historiens » qui ont présenté le xvie siècle comme « une phase de christianisation en profondeur » (Foucault, Les anormaux, Cours au Collège de France [1974-1975], éd. par Valerio Marchetti et Antonella Salomoni, Paris, Gallimard/Seuil, 1999, p. 164). Comme l’éditeur le remarque (ibid., p. 182, n. 18), Foucault fait allusion ici au livre de Jean Delumeau, Le catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, Puf, 1971.
25 Jean Delumeau, L‘aveu et le pardon. Les difficultés de la confession, xiiie-xviiie siècle, Paris, Fayard, 1990. Voir M. Sluhovsky, Becoming a New Self, op. cit., p. 109.
26 Foucault, Histoire de la sexualité, t. 1, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 78-79. Voir aussi S. Elden, Foucault’s Last Decade, op. cit., p. 52-53.
27 Charles Taylor, Sources of the Self, op. cit., p. 127.
28 Voir aussi Guy Stroumsa, La fin du sacrifice. Les mutations religieuses de l’Antiquité tardive, Paris, Odile Jacob, 2005 pour un récit similaire mais soulignant l’importance historique du judaïsme.
29 En ce sens, c’est à juste titre qu’Arianna Sforzini parle de « l’autre modernité du sujet » chez Michel Foucault (« L’autre modernité du sujet », art. cité).
30 Johannes Zachhuber, « Martin Luther and Modernity, Capitalism, and Liberalism », dans The Oxford Research Encyclopedia of Religion, mars 2017 (http://0-religion-oxfordre-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/view/10.1093/acrefore/9780199340378.001.0001/acrefore-9780199340378-e-301, consulté le 30 septembre 2018).
31 Pour une comparaison qui montre, dans ce sens, des parallèles assez instructifs entre la vision foucaldienne de la modernité et celle de Max Weber, voir Colin Gordon, « The Soul of the Citizen. Max Weber and Michel Foucault on Rationality and Government », dans Sam Whimster, Scott Lash (dir.), Max Weber. Rationality and Modernity, Londres, Allen & Unwin, 1987, p. 293-316.
Auteur
Docteur de l’université d’Oxford (1998), habilité de l’université Humboldt de Berlin (2011), est professeur de théologie historique et systématique à l’université d’Oxford. Ses travaux portent sur l’histoire de la pensée chrétienne dans l’Antiquité tardive et au xixe siècle. Il est notamment l’auteur de Human Nature in Gregory of Nyssa. Theological Background and Theological Significance (Brill, 1999) et de Theology as Science in Nineteenth Century Germany. From F. C. Baur to Ernst Troeltsch (Oxford University Press, 2013). Il a dirigé le Oxford Handbook of Nineteenth Century Christian Thought (Oxford University Press, 2017) et coordonne chez le même éditeur la Oxford History of Modern German Theology.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Foucault, les Pères, le sexe
Autour des Aveux de la chair
Philippe Büttgen, Philippe Chevallier, Agustín Colombo et al. (dir.)
2021
Le beau et ses traductions
Les quatre définitions du beau dans le Hippias majeur de Platon
Bruno Haas
2021
Des nouveautés très anciennes
De l’esprit des lois et la tradition de la jurisprudence
Stéphane Bonnet
2020
Les mondes du voyageur
Une épistémologie de l’exploration (xvie - xviiie siècle)
Simón Gallegos Gabilondo
2018