Lieux d’histoire
p. 41-54
Texte intégral
Envisager l’histoire comme une opération, ce sera tenter, sur un mode nécessairement limité, de la comprendre comme le rapport entre une place (un recrutement, un milieu, un métier, etc.), des procédures d’analyse (une discipline) et la construction d’un texte (une littérature). C’est admettre qu’elle fait partie de la « réalité » dont elle traite, et que cette réalité peut être saisie « en tant qu’activité humaine », en tant que « pratique ». Dans cette perspective, je voudrais montrer que l’opération historique se réfère à la combinaison d’un lieu social, de pratiques « scientifiques » et d’une écriture.
Michel de Certeau1
1J’adhère pleinement à ces lignes écrites par Michel de Certeau2 et à l’importance qu’il accorde au « lieu social » de la production de l’histoire – qui n’est pas sans me faire penser à l’injonction des assemblées générales : « D’où parles-tu camarade ? » Mon travail d’historien porte la marque des lieux dans lesquels il s’est, le plus souvent délibérément, développé et dont la caractéristique principale a toujours été le choix d’une sorte de marginalité institutionnelle et donc d’une faible contrainte institutionnelle. En outre ces lieux sont des lieux habités par des collectifs. Est-ce une trace de mes engagements ? J’ai toujours aimé écrire à 4, 6 voire 8 mains et sur les quelque 94 articles et les 12 ouvrages que j’ai publiés à ce jour, 12 articles et 11 ouvrages le furent en collaboration avec une ou plusieurs personnes. J’ajoute que, de surcroît, la prégnance du collectif ne saurait être limitée à la part visible de l’iceberg : la signature. Chacun de mes textes porte l’empreinte de débats multiples, car je tiens pour certain qu’on pense mieux à plusieurs.
Espaces Temps : « réfléchir les sciences sociales »
2Je dois tout d’abord faire place à un collectif qui a joué un rôle décisif dans ma vie intellectuelle : celui de la revue EspacesTemps.
3Cette revue est née, en 1975, à l’ENSET, de la volonté de quelques jeunes agrégés normaliens – principalement des géographes et, notamment, Christian Grataloup et Jacques Lévy – de promouvoir une revue de sciences sociales à vocation théorique pour interroger les postulats, les concepts et les pratiques disciplinaires, particulièrement ceux de la géographie. C’était, à l’origine, un bulletin ronéotypé de l’ENSET et c’est à cette institution que la revue doit son titre puisque le « ET » de EspacesTemps reprend celui de l’École normale supérieure d’Enseignement Technique. L’aventure aurait pu s’arrêter là et le bulletin disparaître avec le départ de l’école de la génération qui l’avait conçu si un maître de la géographie universitaire, Maurice Le Lannou, qui tenait chronique dans Le Monde, n’avait cru bon de devoir y dénoncer les thèses soutenues dans le premier numéro de la revue3. Cette admonestation publique n’avait pas dû paraître suffisante puisque les pressions se multiplièrent sur la direction de l’école pour qu’elle interdise EspacesTemps, ce qu’elle fit presque aussitôt4. Les fondateurs n’auraient pu rêver meilleure publicité ni confirmation plus éclatante de la justesse de leur combat. Ils ne tardèrent pas à se constituer en revue autoéditée, totalement affranchie de toute contrainte hors celles que le collectif se donnait à lui-même.
4Tracée par un collectif composé, pour la majorité, de militants issus de toutes les tendances de la gauche et de l’extrême gauche, la ligne de la revue n’était pas idéologique (les maîtres mis en cause pouvaient, comme Pierre George, appartenir au même parti que certains des principaux promoteurs de la revue) mais épistémologique et portait un projet de renouvellement disciplinaire, particulièrement – mais non exclusivement – pour la géographie.
En se gardant de s’en prendre à telle ou telle personnalité, il s’agit ici de considérer le discours géographique – et plus spécialement sur la géographie, – disponible en France comme un ensemble cohérent. On peut juger ce discours, pris globalement, ainsi que le dit Yves Lacoste, « comme l’une des formes typiques d’un savoir préscientifique ». C’est ce qui ressort d’un examen de la géographie actuelle fait avec un minimum de recul. Beaucoup de disciplines, dont certaines aujourd’hui sciences adultes, se sont trouvées dans cette situation. Encore faut-il bien savoir que le passage du savoir préscientifique au savoir scientifique exige l’action consciente des chercheurs. À partir de l’exemple de la physique et en utilisant l’apport de Bachelard, Louis Althusser et d’autres philosophes ont élaboré le concept de coupure épistémologique, « point de ‘non-retour’ à partir duquel la science commence ». Cela signifie que tout ce qui précède cette coupure, et donc l’ensemble du discours géographique actuel, est entaché de nullité du point de vue de la science5.
5C’est par la politique que mon itinéraire croisa, quelques années plus tard, celui d’EspacesTemps. En effet je décidai, malgré mon éloignement de plus en plus marqué du parti communiste, de signer, en 1985, l’appel pour un XXVe congrès extraordinaire lancé par des communistes « critiques » dont certains deviendraient bientôt les « rénovateurs communistes » et soutiendraient en 1988 la candidature de Pierre Juquin lors de l’élection présidentielle. N’étant pas introduit dans ces cercles, je finis par être mis en relation par le biais de celle qui deviendra mon épouse, Sylvie Delpech, avec l’un des animateurs de cette mouvance : le géographe Jacques Lévy. La question de ma signature fut réglée en quelques minutes – visiblement l’affaire ne nous passionnait ni l’un ni l’autre – et nous en vînmes à parler « boutique ». Je lui dis mon projet d’étudier les trois commémorations de la Révolution, il me révéla l’existence d’EspacesTemps et, le lendemain, j’en trouvais quelques exemplaires devant ma porte et notamment les deux numéros consacrés à « Cet obscur objet de l’histoire6 » auxquels avait participé de façon très active un nouveau venu dans ce collectif qui avait soutenu en 1983 une thèse de troisième cycle sur l’évolution récente de l’histoire des Annales : François Dosse7.
6Autant je ne me suis jamais engagé pleinement dans le mouvement des rénovateurs communistes, doutant vraisemblablement qu’il trouve un espace politique, autant cette revue suscita mon plus profond intérêt. Je ne pouvais en effet que me retrouver dans la défense d’une histoire totale, contre une « histoire en miettes » que je considérais, comme les membres de la revue, être une dérive empiriste et une trahison du legs de l’histoire économique et sociale.
7L’année suivante, j’étais contacté par l’un des responsables de la revue pour participer à un collectif rédactionnel d’un numéro d’EspacesTemps consacré à une approche croisée de Mai 68 et de la Révolution de 1789. Les réunions se tenaient chez François Dosse, y participaient, notamment, Yannick Bosc, Jacques Lévy, Yveline Lévy-Piarroux, Marie-Flore Mattei, Jean-Louis Margolin…
8Aussitôt la virulence d’un débat d’idées sans concession mais fortement référencé et argumenté, la liberté de ton, l’exigence intellectuelle me plurent. Chaque réunion était l’occasion de croiser de nouvelles références et d’entreprendre de nouvelles lectures. La revue était le lieu d’une autre forme de militantisme : un militantisme intellectuel, non l’instrumentalisation de la réflexion pour une cause ou une carrière mais un militantisme intellectuel pour lui-même, pour comprendre le monde, sonder les disciplines, interroger leurs postulats : une vraie aventure intellectuelle.
9Je pris rapidement ma place dans ce collectif et proposai que la revue publie une enquête sur la perception de la Révolution et de Mai 68. Après divers contacts nous entrâmes en relation avec une agence spécialiste des enquêtes qualitatives : la Cofremca. Si celle-ci ne voulut pas prendre en charge notre projet, elle nous donna de précieux conseils méthodologiques et c’est la Maison de la Villette, en la personne de sa directrice, Élisabeth Philipp, qui nous finança. Après en avoir parlé à Michel Vovelle, qui fut séduit par l’idée d’aller au-delà des sondages à questions fermées lourds des présupposés qui avaient prévalu à leur établissement8, j’exposai le projet à quelques amis, pour la plupart relations nouées à l’ENS Saint-Cloud (Laurent Collobert, Isabelle Lespinet, Brigitte Marin) ou à l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF) (Yannick Bosc, Hélène Dupuy, Serge Leroux) qui, tous, se montrèrent enthousiastes. Nous cherchâmes des contacts dans différentes régions de France pour y collecter des entretiens que nous faisions transcrire. L’introduction de l’article, signé d’un collectif d’analyse et publié dans le n° 38-399 de la revue, rend compte de ce qu’était devenu notre projet :
L’enquête, dont ce numéro d’EspacesTemps publie les premiers résultats, a pour objectif de répondre à trois questions principales.
1. Quelle est l’image que les Français se font, deux cents ans après, de leur Révolution ?
2. Quelles relations cette image entretient-elle avec l’ensemble du système de représentations sociales, et notamment politiques, des enquêtés ?
3. Quelle influence les cérémonies du Bicentenaire peuvent-elles avoir sur cette mémoire ? En d’autres termes s’agit-il d’une représentation définitivement fixée ou bien d’un ensemble en mouvement et donc d’un enjeu politique ? En lançant l’enquête, notre souci n’était donc pas de dresser un état de la connaissance de la période révolutionnaire, mais de saisir l’image de celle-ci, afin de pouvoir mesurer en quel sens elle sera peut-être modifiée par la commémoration10.
10Les entretiens semi-directifs eux-mêmes étaient introduits par une question ouverte : « Qu’évoque pour vous la Révolution française ? » Je ne reviendrai pas ici sur les résultats de l’enquête exposés dans un article et ensuite dans un livre autoédité11 conjointement avec ceux de l’enquête auprès des visiteurs du forum de la Révolution mené au centre Georges-Pompidou en 198912, sinon pour examiner le travail que je dus effectuer à cette occasion sur moi-même.
11En effet, loin de conforter mes propres opinions, ces enquêtes montraient l’image d’une révolution bien moins prégnante que celle que je véhiculais. Non seulement du point de vue de la connaissance des événements révolutionnaires – ce qui est en soi normal – mais du point de vue de la plasticité des représentations de l’événement qui s’articulaient en fonction des conceptions du changement social dont les enquêtés étaient porteurs. De fait, l’hypothèse de départ d’une Révolution patrimoine en danger s’estompait au profit d’une autre approche de la mémoire historique, sans cesse recomposée en fonction du présent à partir d’indices, de traces fragiles, voire de clichés ou de raisonnements de bon sens comme celui de cet immigré d’origine espagnole expliquant que, si la Révolution avait réussi, à l’inverse de la République espagnole, c’est qu’elle ne s’était accompagnée d’aucune guerre civile. « Je ne sais rien mais je dirai tout » nous sembla parfaitement résumer ces entretiens qui reconstruisaient une Révolution ad hoc.
12Vue d’ici et de maintenant, cette plasticité me semble relever de l’évidence. À ce moment, ce fut pour moi une découverte qui me conduisit aussi à modifier mon regard sur l’idéologie. À la suite de la lecture de Maurice Godelier, L’idéel et le matériel13, ou de Cornélius Castoriadis, L’institution imaginaire des sociétés14, que je lisais en même temps que nous procédions à la formalisation de nos analyses, je rompis avec mes certitudes théoriques, notamment avec l’idée de « détermination en dernière instance ». J’envisageai, dans mon dialogue dense avec Jacques Lévy, qui partageait un parcours politique proche du mien, que d’autres facteurs que l’appartenance de classe pouvaient jouer un rôle aussi, sinon plus déterminant, dans les choix politiques, comme, par exemple, l’inscription spatiale et, qu’au demeurant, comme l’avait montré des années auparavant Edward Palmer Thompson15, la notion d’inscription « objective » n’avait que peu de pertinence.
13La livraison d’EspacesTemps, « Concevoir la Révolution. 89, 68 confrontations », puis le livre, écrit à plusieurs mains sans qu’aucun chapitre fût attribué aux uns ou aux autres, portaient la marque de cet effort de penser à nouveaux frais le changement social en utilisant toutes les ressources théoriques à notre disposition, sans souci de s’inscrire dans des marques héritées tout en refusant de déconnecter la connaissance du social de l’idée de sa transformation.
14Cette expérience fut très importante et me permit de regarder le Bicentenaire sous un jour nouveau et de prendre au sérieux les pratiques commémoratives pour ce qu’elles étaient. Elle correspondit aussi à une évolution plus globale du comité de rédaction dont j’étais devenu membre, bientôt enrichi de Christian Delacroix, que je rencontrai au collège Robert-Desnos d’Orly où je fus affecté en septembre 1989.
15Cette rencontre fut, à bien des égards, décisive. Non seulement dans le court terme, puisque Christian Delacroix m’aida à enseigner dans ce collège de ZEP où je peinais à trouver mes marques, n’ayant eu jusque-là qu’à enseigner en lycée, mais aussi parce qu’il m’amena définitivement à reconsidérer mes préjugés concernant l’extrême gauche à laquelle il avait appartenu. C’est avec lui que se constitua le « pôle » historien d’EspacesTemps dont il intégrait bientôt le comité de rédaction et que se réalisa cette improbable troïka que deviendrait le « DDG », composée d’un ancien trotskiste (François Dosse), d’un ancien maoïste (Christian Delacroix) et d’un ancien communiste. Mais ce qui me séduisit allait bien au-delà de ces engagements « partagés » : c’était une immense culture théorique, une grande rigueur du raisonnement – Christian Delacroix, bien qu’agrégé d’histoire, est de formation philosophique – et une chaleur humaine exceptionnelle.
16La revue, sans qu’aucune révision ne soit nécessaire, en synergie avec les parcours de l’ensemble des membres qui l’animaient, se montra, dès ce moment, très attentive aux « changements de paradigmes16 » qui semblaient se dessiner dans les sciences sociales17 : montée en puissance de la notion d’acteur, « retour » du récit, critique des positions de surplomb, intérêt très vif pour le « tournant critique » des Annales18… Autant de thèmes qui donnèrent lieu à des numéros – à la coordination de certains desquels je participai19 – et même à la tentative de produire – en dehors des numéros thématiques à gestation longue en raison des débats qu’ils suscitaient, du désir de creuser la question, de maîtriser la bibliographie et d’élaborer une approche originale – un journal des sciences sociales (EspacesTemps-Le journal) qui connut quelques numéros20 tandis que nous nous dotions d’une « université d’été » et d’un séminaire qui se tenait à l’ancienne École polytechnique et dans lequel intervinrent : Sylvain Auroux, Luc Boltanski, Robert Bonnaud, Alain Boyer, Alain Caillé, François Dosse, Marcel Gauchet, Maurice Godelier, Jacques Guilhaumou, Denis Hollier, Jean-Luc Jamard, Bruno Latour, Bernard Lepetit, Jacques Lévy, Louis Quéré, Isabelle Stengers et Laurent Thévenot. Cet intérêt commun pour ce qui bouge dans les sciences sociales qu’affirmait hautement la double signification du sous-titre de la revue Réfléchir les sciences sociales n’excluait pas l’affirmation de sensibilités théoriques ou de postures différentes : parmi elles, celle de savoir si la revue devait être un observatoire, un amplificateur de ce qui se passait dans les sciences humaines ou bien si elle devait être plus que cela, un acteur à part entière. Immanquablement ne pouvaient, dès lors, que ressurgir les sensibilités disciplinaires, celle d’une géographie rénovée dont plusieurs éléments moteurs se trouvaient au sein du comité de rédaction (notamment Christian Grataloup et Jacques Lévy) d’inspiration nomologique et celle d’une histoire faisant le chemin inverse, réévaluant la part des acteurs, de l’événement. Mais l’important était que le débat ait lieu et que le dialogue se poursuive.
17C’est au demeurant ce que prenait en compte le manifeste d’EspacesTemps, « Réfléchir, infléchir » élaboré en 1995 et qui se décomposait en trois parties :
[Elles] correspondent aux points d’ancrage, aux enjeux du moment, aux problématiques en chantier. Dans la première (« Positions »), seront recensés les éléments fondateurs du travail à EspacesTemps. Dans la deuxième (« Postures »), seront développés des points plus sensibles, questions vives dans les débats actuels. La troisième partie (« Conjectures ») est délibérément constituée d’interventions individuelles de membres du comité de rédaction, permettant de mettre à jour les préoccupations singulières dont la mise en commun fait, nous semble-t-il, la richesse d’une revue comme la nôtre. De même que la revue fonde sa réflexion sur le « frottement », nous espérons à travers la structure même de ce texte donner une image du collectif de travail : un groupe uni autour d’un projet et fort de chacune de ses individualités21.
18Les premières lignes de la section « Positions » explicitent assez bien le projet commun tel qu’il avait mûri au cours des vingt années d’existence de la revue :
EspacesTemps existe d’un désir double, de comprendre et d’intervenir. Analyser la conjoncture d’un champ, d’une discipline ou même de l’ensemble des sciences sociales, ce n’est pas être seulement spectateur ; c’est se donner les moyens de se situer pour prendre position, ce que tout chercheur est censé faire au moment même où il opte pour une théorie, une démarche, un objet. Donner à voir où l’on est pour savoir où l’on va, tel est notre premier objectif. Cette attitude suppose un effort de synthèse qui va à contre-courant de l’hyperspécialisation universitaire. Cela exige d’adopter un point de vue permettant de mettre en perspective des connaissances élaborées dans de multiples cadres de travail.
19Mais il n’est pas sûr que la suite du texte condamnant l’empirisme, « “l’épistémologie du charbonnier” consistant à refuser les théories explicites et à piquer de-ci, de-là, quelques bribes disciplinaires sur un fond où se mêlent descriptions raisonnées, tradition disciplinaire et sens commun », ait obtenu autre chose qu’une unanimité de façade ou que du moins historiens et géographes aient mis le même contenu derrière ces mots…
20Au-delà de ces divergences théoriques (qui recoupent largement des sensibilités disciplinaires comme je tâcherai de m’en expliquer plus loin), sans doute aurait-il fallu, pour que la revue continue durablement, qu’elle devienne celle d’un laboratoire ou bien d’un éditeur. Au lieu de cela, elle resta, tout au long de son existence, un produit artisanal. En effet, tous nos efforts pour opérer une mue, changer de statut, ont été vains tant il est vrai qu’en définitive on ne reconnaît dans l’édition, dans les librairies et dans le monde universitaire que des revues disciplinaires et que, de ce point de vue, avec ses objets changeants, ses préoccupations théoriques « généralistes », EspacesTemps était inclassable. Au long de ma collaboration, qui dura dix-huit ans, j’ai pu aussi mesurer, en m’occupant avec Yveline Lévy-Piarroux de la fabrication puis du financement, qu’une revue n’est pas seulement le produit d’une réflexion, d’échanges nourris, mais que c’est aussi un objet. C’est, pour une part, l’inertie, la lourdeur de la production d’une revue papier ne vivant que des abonnements, des ventes en librairie et de quelques subventions qui conduisit Jacques Lévy à lancer EspacesTemps.net. Ce site existe toujours et je n’y ai guère participé ; la revue papier, quant à elle, cessa de paraître en 2006.
21Plusieurs fois, quand la perspective de mettre un terme à la publication s’imposait de plus en plus, nous avons envisagé de publier un dernier numéro qui aurait été de la part de chacun des animateurs de la revue une sorte de bilan personnel, un peu « EspacesTemps et moi », mais les inévitables tensions qui accompagnent la fin d’une telle aventure collective, à bien des égards unique, n’ont pas permis que nous mobilisions l’énergie nécessaire.
22Je crois que si j’avais dû écrire un tel article, j’aurais d’abord insisté sur la force des liens intellectuels et amicaux qui se sont développés au cours de ce long compagnonnage, sur l’extraordinaire liberté intellectuelle qui régnait au sein de la revue et qui allait de pair avec une exigence extrême non sans parfois quelque rudesse – sans doute héritée de nos pratiques militantes. À bien des égards EspacesTemps était une famille – intellectuelle – mais c’est sans doute ce qui l’empêcha d’agréger durablement des nouveaux venus qui ne partageaient pas le même parcours.
23En second lieu, EspacesTemps a été une vraie revue de sciences sociales. À ce titre les débats du Cret (comité de rédaction d’EspacesTemps) étaient une inépuisable incitation à lire hors de son champ disciplinaire de la géographie, de la philosophie, des sciences politiques, de l’anthropologie, de la critique littéraire… et, pour ma part, de rencontrer nombre de nouveaux auteurs dont Genette, Habermas ou Ricœur – sans même parler de la géographie dont je découvrais, au fil de la lecture des travaux de mes amis, le profond intérêt.
24Enfin, si le collectif s’est finalement disloqué, à l’incitation des géographes de la revue dont la lisibilité dans le champ institutionnel et disciplinaire n’a cessé de se renforcer, trois des historiens du comité de rédaction, Christian Delacroix, François Dosse et moi-même, ont été conduits à affirmer l’existence d’un pôle « historien », soit l’affirmation progressive d’un nouvel acronyme et la naissance d’un nouveau lieu : le « DDG ».
Le « DDG » (Delacroix, Dosse, Garcia)
Un séminaire : « Grandes figures de l’épistémologie de l’histoire »
25La collaboration pérenne du « DDG » est née presque par défaut à la suite d’un désaccord au sein d’EspacesTemps sur la thématique du séminaire de la revue que nous voulions, pour notre part, consacrer à un auteur : Michel de Certeau. Comme ce projet ne rencontrait pas l’approbation du collectif, nous décidâmes de chercher un autre lieu pour nous accueillir, partant du fait que la complicité intellectuelle et amicale qui nous unissait déjà et que nous avions éprouvée au sein d’EspacesTemps rendait cette entreprise possible et pleine de promesses. Michelle Zancarini-Fournel nous suggéra de prendre contact avec l’IHTP auquel elle avait été associée plusieurs années en tant que coorganisatrice du séminaire « Les années 6822 », et particulièrement avec Michel Trebitsch, historien des intellectuels qui devait décéder quelques années plus tard. L’IHTP, que je connaissais depuis ma participation au séminaire « La France au miroir du Bicentenaire » et dont l’une des caractéristiques est la place dévolue aux questions épistémologiques, nous parut un lieu alternatif tout à fait adapté. C’est dans cet esprit que nous allâmes rencontrer Michel Trebitsch afin de lui proposer que l’IHTP accueille un séminaire qui traiterait de questions historiographiques et épistémologiques. Celui-ci, après avoir consulté Henry Rousso, alors directeur de ce laboratoire de recherche, donna son accord au projet, qui prit le nom de « Grandes figures de l’épistémologie de l’histoire » et qui dure encore. Il porta les deux premières années (1998-2000), en coorganisation avec Michel Trebitsch, sur « Michel de Certeau et l’écriture de l’histoire ». Ce thème s’inscrivait en synergie avec le travail de recherche entamé, pour son propre compte, par François Dosse sur cet historien et qui devait déboucher sur Michel de Certeau, le marcheur blessé23, tandis que nous éditions dans la collection de l’IHTP chez Complexe quelques-unes des interventions données au séminaire24 et que nous publiions un numéro d’EspacesTemps centré, à partir de l’œuvre de Michel de Certeau, sur les rapports entre histoire et psychanalyse25. Puis, avec la participation d’Henry Rousso, nous avons fait porter notre interrogation d’abord sur l’événement puis sur la notion d’historicité en interrogeant des antiquisants, des médiévistes et des modernistes sur les présents du passé, cycle qui donna lieu, quelques années plus tard, à la publication d’un volume à La Découverte26. Le séminaire prit ensuite pour objet « Paul Ricœur et les sciences humaines » auquel François Dosse venait de consacrer une biographie intellectuelle27. Progressivement, le séminaire est devenu pleinement partie prenante de l’un des axes de l’IHTP et a bénéficié de la bienveillance constante des deux directeurs qui ont succédé à Henry Rousso : Fabrice d’Almeida et Christian Ingrao.
26Au-delà des publications et de la richesse des débats, je retiendrai, pour ma part, deux moments particulièrement émouvants. Tout d’abord la venue de Reinhart Koselleck, qui devait décéder peu de temps après et qui nous raconta, lors du dîner qui suivit son intervention, comment, alors qu’il était jeune soldat allemand capturé par les Soviétiques, l’un des officiers de cette armée lui avait mis un revolver sur la tempe en lui demandant d’oser réaffirmer qu’il ne savait rien des camps de la mort. Ensuite l’intervention de Paul Ricœur exprimant son regret de n’avoir pas dialogué avec Michel de Certeau à la fin de l’une des séances consacrées à ce dernier à laquelle il avait assisté.
27Bien que ce séminaire ne participe toujours pas d’une école doctorale et ne puisse donc être validé dans un cursus, il est remarquable qu’il ait réussi à fidéliser quelques jeunes chercheurs – dont Vincent Auzas, qui s’est investi depuis quelques années dans son organisation – tandis que, selon la thématique annuelle, d’autres chercheurs – dont nombre d’étrangers doctorants ou chercheurs confirmés – le fréquentent quand ils en ont la possibilité.
Les courants historiques en France
28À côté du séminaire, nous avons décidé de rassembler l’enseignement d’historiographie que nous donnions en IUFM dans le cadre de la préparation à l’épreuve introduite au Capes à partir de la session 1992-199328. Il nous semblait, en effet, nécessaire de présenter pour un large public une lecture actualisée de l’évolution de l’historiographie française. Pour écrire ce livre, publié sous le titre Les courants historiques en France, d’abord chez Armand Colin en 1999 dans la collection « U » puis dans une version mise à jour et augmentée en « Folio histoire » en 2005, il fallait convenir tant d’un découpage chronologique que d’une règle pour trancher nos éventuelles divergences. La question du découpage fut vite résolue et j’héritai, pour mon plus grand plaisir, d’un large xixe siècle, de la Révolution française au débat Seignobos/Simiand. Pour la seconde question, nous avons décidé que chacun posséderait un droit de veto sur ce qui pouvait lui apparaître inacceptable – principe que nous avons reconduit depuis lors pour chacune de nos collaborations. En vérité, jamais nous n’avons eu à utiliser ce droit de veto et nous avons toujours pu trouver un compromis pour régler nos différends, en définitive peu nombreux. Mais le fait de poser cette règle ouvrait de facto un espace de dialogue et de concertation d’autant plus nécessaire que nous avions chacun admis que le pluralisme interprétatif est constitutif de l’écriture de l’histoire. Si l’originalité de ce travail relève pour une part de son mode d’élaboration, elle tient aussi et surtout à la nature de l’approche mise en œuvre et notamment à la notion de « moments », centrale dans notre lecture de l’historiographie qui privilégie les mises en contexte – i. e. l’historicité des pratiques d’écriture de l’histoire – plutôt que celle d’« école », souvent rétrospective et par trop rigide. La réception de l’ouvrage nous incita à réitérer pour l’ADPF29, cette fois en produisant une anthologie commentée de l’histoire en France de 1945 à nos jours30 qui devait appuyer une exposition itinérante qui ne vit jamais le jour en raison de restrictions budgétaires.
« L’histoire en débats »
29Dans l’élan de la publication des Courants et de leur réception très positive, en 2000, nous avons proposé à Richard Figuier, qui dirigeait la collection « Points histoire » au Seuil, d’y développer une série consacrée à l’historiographie dont nous assurerions collectivement la direction. Ce projet rencontra un écho très favorable auprès de cet éditeur et c’est ainsi que naquit la série « Histoire en débats ». À l’origine nous souhaitions que chaque volume, outre une mise en perspective historiographique, présente les pièces du débat et rende ainsi accessibles les principaux textes (articles, extraits de livre) des controverses historiques31.
30Après évaluation du coût des droits, dès lors que la partie anthologie ne serait pas composée d’œuvres tombées dans le domaine public, nous fûmes contraints de nous orienter vers une forme plus classique : celle de l’essai avec des citations d’un même texte n’excédant pas dix lignes. Il fut entendu que chacun d’entre nous suivrait plus spécifiquement un volume. C’est sur cette nouvelle base que la collection fut effectivement lancée et les premiers contrats signés à l’automne 200032.
31Chacun des ouvrages publiés connut un succès certain, mesurable tant aux recensions nombreuses en dépit d’une publication initiale en poche qu’au volume des ventes elles-mêmes. Néanmoins nous étions les « enfants » de Richard Figuier et, dès que celui-ci quitta le Seuil, aucun des éditeurs suivants en charge de « Points Seuil » ne fut pleinement convaincu de développer une série historiographique. Le comble a été atteint par la dernière en date : Laurence Devillairs. En effet, en 2008, le Seuil décida de transférer la série « Histoire en débats » de la collection « Points histoire » vers « L’univers historique », arguant qu’une première publication en grand format serait plus rentable du fait des coûts de fabrication au Seuil, ce dont nous convînmes à regret, soucieux que les ouvrages publiés soient accessibles au lectorat étudiant. Cependant quelle ne fut pas notre déconvenue lorsque nous découvrîmes que la mention de la série disparaissait des épreuves du livre de Michelle Zancarini-Fournel, Le moment 68. Une histoire contestée, pourtant commandé pour celle-ci et dont Christian Delacroix avait assuré le suivi. Aucun recours ne fut possible puisqu’un contrat léonin stipulait : « Les ouvrages publiés à l’initiative du Directeur pourront porter en page de copyright, sur décision de l’Éditeur, la mention “cet ouvrage est publié dans la série dirigée par (suivi du nom du Directeur)”, ou “Cet ouvrage est édité par… ”33. » Une page était tournée de façon fort peu élégante.
32Ce projet a repris vie, cette fois à La Découverte sous le titre « Écritures de l’histoire ».
Historiographies. Concepts et débats
33Enfin il y a, bien sûr, l’aventure d’Historiographies. Concepts et débats34, que nous avons publié en 2010 chez Gallimard – collection « Folio » – en codirection avec Nicolas Offenstadt. La préhistoire de ce projet est longue. Elle n’est pas sans rapport avec la publication sous la direction de Jacques Lévy et de Michel Lussault du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés35 puis du Dictionnaire des sciences sociales36, dirigé par Sylvie Mesure et Patrick Savidan, entreprises auxquelles nous avions tous trois participé. Nous avons dès lors formé le projet d’apporter une contribution semblable en histoire.
34Un tel projet nous semblait d’autant plus nécessaire que le seul dictionnaire disponible sur l’histoire était alors Le dictionnaire des sciences historiques publié aux Presses universitaires de France sous la direction d’André Burguière en 1986, dictionnaire conçu comme celui d’une école, réalisé dans la foulée de Faire de l’histoire (1974) et de La nouvelle histoire (1978) et, de ce fait, déconnecté et presque à contretemps des évolutions historiographiques qui devaient s’imposer dès la fin de la décennie 1980. C’est sur ce constat que s’appuyait notre premier projet élaboré en juin 200437.
35D’emblée nous n’avions pas souhaité faire de ce dictionnaire celui d’une école – ce qu’au demeurant nous ne formons pas – mais plutôt promouvoir une position réflexive tout en prenant acte du pluralisme interprétatif, d’où le fait d’accorder une large place à l’épistémologie de l’histoire et aux débats historiographiques. Ce projet fut présenté à différents éditeurs, qui rechignèrent devant le coût d’une telle entreprise pour un livre dont ils pensaient qu’il ne trouverait pas son public. De notre côté, conscients de l’importance du travail qu’il faudrait fournir et de la nécessité de ne pas nous enfermer dans l’histoire contemporaine, nous avons proposé à Nicolas Offenstadt de devenir ès qualités le quatrième directeur de l’ouvrage. Outre ses qualités intellectuelles et la connaissance du milieu des « jeunes » historiens, la participation de Nicolas Offenstadt présentait un autre avantage, celui de nous contraindre de façon effective à faire pleinement jouer le pluralisme interprétatif puisque, sur nombre de questions, nos positions respectives ne sont pas identiques. C’est donc un projet porté par quatre directeurs que nous présentâmes à Éric Vigne avec qui nous avions pris contact aux éditions Gallimard38.
36Éric Vigne l’accepta immédiatement, d’abord pour la collection « Tel », puis, en définitive, le publia en « Folio histoire » où il est paru en 2010.
37Avec ce dictionnaire commençait une nouvelle aventure : trouver les auteurs, les presser, suivre les notices souvent fortes de 30000 signes, proposer le cas échéant des réécritures ou des demandes d’explicitation après lectures croisées des articles reçus, identifier clairement ce que nous souhaitions puisque nous avions choisi d’ouvrir le spectre, de la notice informative jusqu’à l’essai. Dans l’ensemble les auteurs furent au rendez-vous puisque seuls deux projets de notices n’aboutirent pas. Le succès éditorial de l’entreprise, qui doit beaucoup au choix d’Éric Vigne de faire paraître directement les deux volumes en poche – une réimpression a d’ores et déjà eu lieu –, nous confirma dans le fait que, contrairement à ce que bien des éditeurs pensent, l’idée d’une nécessaire réflexivité des pratiques est désormais de plus en plus partagée. Bien sûr, on est en droit d’avoir certains regrets : certaines notices sont bizarrement – connaissant nos centres d’intérêt respectifs – absentes comme « histoire et littérature » et « histoire et droit », ou bien encore – c’est mon sentiment pour quelques entrées – le jeu du pluralisme interprétatif n’a pas toujours été conduit à son terme qui aurait été de présenter à la suite ou en regard des notices défendant des points de vue différents.
38Sans qu’il s’agisse d’une quelconque autosatisfaction, au total le bilan (provisoire) du « DDG » n’est pas mince puisque nous avons déjà publié six ouvrages sous notre nom commun et tenu séminaire depuis plus de dix ans39. Mais, au-delà de ce bilan quantitatif, il me revient de souligner une association toujours respectueuse des inévitables divergences intellectuelles, une commune volonté de peser en faveur d’une place nouvelle pour la réflexion historiographique et épistémologique et, évidemment, une amitié complice qui ne s’est jamais démentie. De ce point de vue, il s’agit bien d’un combat pour une certaine façon de faire de l’histoire, d’un engagement militant.
L’IHTP (Institut d’histoire du temps présent)
39L’Institut d’histoire du temps présent est né en 1978- 1979 de la volonté du CNRS de promouvoir la recherche sur les décennies les plus récentes à un moment où l’histoire la plus contemporaine était négligée, voire proscrite dans la plupart des universités40. Pour se légitimer dans un monde historien qui tenait fréquemment le recul temporel pour une condition nécessaire, pour positionner cette histoire vis-à-vis d’autres écritures du présent – celle des témoins – et justifier le fait de répondre aux demandes sociales, le premier directeur de l’Institut – François Bédarida – instaura un séminaire d’épistémologie, ce qui est très inhabituel, voire unique dans la tradition universitaire française41. L’équipe de l’IHTP développa aussi des protocoles de séminaires ou de tables rondes novateurs privilégiant le dialogue avec des historiens spécialistes d’autres périodes ou des chercheurs venus d’autres disciplines.
40Cette description rapide permet de comprendre en quoi, dès que je le connus, je trouvai l’IHTP en phase avec mes propres conceptions. Mais, en vérité, j’ignorais tout cela quand j’appris que la Mission du Bicentenaire avait passé contrat avec l’IHTP pour conduire l’enquête « La France au miroir du Bicentenaire » qui prendrait la forme d’un séminaire pluriannuel devant déboucher sur un colloque tandis qu’étaient confiés aux sociologues Marcel Jollivet et Annick Percheron l’élaboration d’un questionnaire sur les manifestations du Bicentenaire, adressé à toutes les communes de France, et le traitement des résultats42. Je fis mien ce séminaire, qui dura du 27 mai 1991 au 10 juin 1994.
41La présence de chercheurs d’autres disciplines, notamment l’anthropologue Pascale Baboulet, le politologue Philippe Dujardin, le philosophe Christian Ruby et, bien sûr, de nombreux historiens dont Maryline Crivello, Robert Frank, Jean-Clément Martin, Nicolas Rousselier – en détachement à l’IHTP pour conduire l’enquête – fit de ce séminaire un lieu d’échanges et de réflexion où je présentai à deux reprises mes propres travaux tout en participant à l’élaboration collective. Indéniablement je commençais alors à me sentir de l’IHTP d’autant que je cessais de me réclamer de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF) à la suite du différend qui nous avait opposés, Michel Vovelle et moi-même, sur l’opportunité de publier mon article sur « François Mitterrand, chef de l’État, commémorateur et citoyen », ce que j’avais finalement fait dans le cadre d’un numéro de Mots intitulé « Geste d’une commémoration » que je coordonnais avec Simone Bonnafous et Jacques Guilhaumou, sans mentionner mon appartenance à l’IHRF comme nous en étions convenus43.
42C’est quatre années plus tard que je reprenais contact avec l’IHTP, porteur, comme je l’ai déjà mentionné, du projet de séminaire conçu avec Christian Delacroix et François Dosse. J’y suis ainsi devenu « chercheur associé » puis « chercheur associé permanent », titres au demeurant officieux, puisque le CNRS n’a toujours pas défini un véritable statut de l’association qu’exige pourtant – pour les laboratoires – la diminution des postes mis au concours au CNRS. J’ajouterais que l’autonomie des universités rend aussi ce statut précaire puisque celles-ci tendent à vouloir inscrire leurs chercheurs « publiant » dans leurs laboratoires au mépris de toute logique intellectuelle. De ce point de vue, François Dosse et moi-même avons eu la chance, pendant plusieurs années, de dépendre d’un IUFM qui ne possédait pas d’équipe de recherche propre, du moins en histoire. Ce qui n’est plus le cas depuis l’intégration des IUFM dans l’une des universités de l’académie concernée ; en ce qui me concerne dans celle de Cergy-Pontoise et pour celui de Créteil, où François Dosse a été élu professeur des universités, l’université Paris 12 (Upec). J’ajoute qu’évidemment, pour nous, l’IHTP a joué le rôle d’un « lieu hors lieu » puisque, n’étant pas chercheurs CNRS ès qualités, les seuls enjeux y étaient (et y demeurent) strictement intellectuels.
43Quoi qu’il en soit, c’est vers l’IHTP que je me suis tourné quand il s’est agi de demander un détachement au CNRS et c’est à l’IHTP que j’ai été affecté quand je l’ai obtenu, prenant notamment durant cette période la responsabilité du séminaire interne du laboratoire.
44Mais l’IHTP est bien plus à mes yeux qu’un simple lieu. C’est un milieu de recherche qui correspond à mes préoccupations et la levée de l’interdit de faire de l’histoire du « très » contemporain (dont j’ai pu mesurer la prégnance quand, titulaire d’un doctorat d’histoire portant sur le « présent le plus proche44 », j’ai candidaté sur des postes de maître de conférences) ne change, de mon point de vue, rien à la nécessité de conserver et de promouvoir, sinon cette institution, du moins la notion elle-même.
45Je reviendrai plus loin sur l’importance que revêt à mes yeux cette notion de « temps présent » à laquelle j’identifie mon travail.
L’IUFM (Institut de formation des maîtres)
46L’IUFM de Versailles où je suis entré en tant qu’Ater en janvier 1992 et où je suis devenu, tour à tour, Prag (septembre 1992 à septembre 1998) puis maître de conférences45 a été assurément mon « lieu » institutionnel. C’est « là » que j’ai délivré des cours pendant près de vingt ans – soit pendant la totalité de son existence46.
47J’y suis entré un peu par hasard puisqu’une de mes amies, Isabelle Lespinet, m’a indiqué que le professeur des universités élu en histoire à l’IUFM de Versailles à sa création – André Thépot – cherchait un Ater pour y faire les cours de la nouvelle épreuve instaurée au Capes : l’épreuve sur dossier. Comme tout un chacun, j’ignorais tout de celle-ci, mais Jean Leduc, qui avait fait partie du groupe qui avait conçu l’épreuve autour de Dominique Borne – inspecteur général et président du jury du Capes – , m’encouragea à me porter candidat (je fis de même l’année suivante en suggérant à Christian Delacroix de candidater au poste de Prag ouvert pour cette épreuve à l’IUFM de Créteil, puis en incitant François Dosse à postuler au poste de maître de conférences à l’IUFM de Versailles).
48Si, en dépit de cette longue appartenance, je ne m’identifie pas à l’IUFM, il n’en est pas moins clair que cette structure, souvent dénigrée comme le temple du « pédagogisme », a tenté – malgré les orientations contradictoires données par les gouvernements successifs – de remédier à l’absence de lien entre la formation universitaire et la formation aux métiers de l’enseignement. Le parti pris idéologique des gouvernements de droite de lui dénier ce rôle pour, en définitive, intégrer chaque IUFM à l’une des universités de l’académie dont il relevait ne peut être regardé comme une solution – tant s’en faut. Les difficultés rencontrées aujourd’hui pour mettre en place les ESPE (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation) créées dans chaque académie à la rentrée 2013 tiennent, pour partie, à l’impossibilité de revenir sur cette décision sans un important engagement financier d’une part et une remise en cause de l’autonomie des universités de l’autre. Il faut dès lors faire collaborer ensemble des universités autonomes aux formations concurrentes, chacune vigilante à réduire les coûts de ce type de formation et à limiter l’influence des autres partenaires…
L’ESD (l’épreuve sur dossier du Capes) 1992- 2013
49L’ambition de cette nouvelle épreuve, ajoutée à l’oral en sus des épreuves traditionnelles de géographie et d’histoire, était, en cette période de haut recrutement (plus de 1000 postes mis en concours dans les années 1990), de professionnaliser le Capes et d’évaluer les compétences à enseigner des candidats47. Tous n’ayant pas la possibilité d’effectuer un stage en établissement scolaire – qu’ils soient salariés ou qu’ils préparent aussi l’agrégation –, elle comportait dans sa formule initiale deux options. L’une était fondée sur l’observation par les candidats des séquences de cours d’histoire ou de géographie dans le secondaire auxquelles ils avaient assisté et sur lesquelles ils fournissaient un rapport qui servait de base à l’interrogation au jury. L’autre consistait en un dossier remis au candidat comprenant des textes de réflexion sur l’une des deux disciplines et des extraits de programmes ou de manuels scolaires48.
50Les étudiants choisissaient majoritairement la première option mais, dès la deuxième année, nombre d’entre eux ne présentaient plus des séquences qu’ils avaient directement observées mais des « observations au second degré » – i. e. des observations « préparées » par leurs formateurs. La formalisation didactique imprégnait ces exposés, parfois de façon ridicule. Ainsi entendait-on, lors des oraux du Capes, les étudiants parler de « méthode impositive frontale » pour désigner un cours « magistral » fait par un professeur devant une classe.
51À l’inverse, je cherchais à développer à l’IUFM de Versailles une préparation plus historiographique et épistémologique et à constituer un réseau avec d’autres préparateurs pour échanger nos expériences et, pourquoi ne pas le dire, tâcher d’influer sur le contenu de l’épreuve.
52Qu’on ne se méprenne pas. Je ne pense pas que toute réflexion didactique soit inutile (la didactique est une réflexion pédagogique appliquée à un champ disciplinaire alors que la pédagogie est une réflexion sur la façon d’enseigner sans référence à des contenus spécifiques). Mes amis géographes avaient d’ailleurs fait de la didactique de la géographie leur cheval de Troie pour rénover cette discipline. Mais je pensais – et je pense toujours – qu’il ne peut y avoir de réflexion didactique en dehors d’une pratique effective de longue durée – ce qui exclut de lui donner pour fondement un stage d’observation49, voire un stage en responsabilité50 de quelques semaines. Au contraire, il me semble qu’à ce stade du moins la formalisation didactique est préjudiciable aux futurs enseignants car elle risque de « formater » des pratiques au lieu d’ouvrir le champ des possibles. En outre, la didactique de l’histoire a été conçue en référence aux paradigmes de l’histoire économique et sociale. Elle s’efforce de faire percevoir un réseau de causalités, de rendre compte des déterminations alors que, dès ce moment, l’histoire développée par la recherche réévaluait la part de l’événement, des acteurs, des contingences et réhabilitait le récit comme moyen de rendre à l’histoire sa fluidité. Plus fondamentalement encore, j’ai toujours pensé qu’une relation pédagogique est une relation d’un individu à un groupe ; comme je l’ai souvent dit à mes étudiants, pour toute doctrine pédagogique je n’ai jamais retenu que la phrase de Deng Xiaoping : « Qu’importe que le chat soit noir ou blanc pourvu qu’il attrape des souris. » Il y avait donc deux lectures de l’épreuve, celle des didacticiens et celle que nous tâchions, Christian Delacroix, François Dosse, Jean Leduc, Michelle Zancarini-Fournel, moi-même et quelques autres, de faire prévaloir avec le renfort inestimable de l’inspecteur général Dominique Borne qui, dès les programmes du secondaire de 1995, élimina toute référence à la didactique dans les textes d’accompagnement du nouveau programme.
53Mais quel pouvait être l’apport d’une connaissance de l’histoire de la discipline et de son épistémologie à son enseignement ? La question n’avait jamais été posée en ces termes puisque jusqu’alors l’épistémologie était cantonnée dans les écrits de quelques spécialistes, bien souvent des philosophes… et était considérée par les historiens dans leur majorité comme un détour improductif – « une morbide Capoue », disait Pierre Chaunu51. Il nous semblait cependant – intuitivement – que la connaissance des conditions réelles d’élaboration et de structuration d’un savoir pouvait conduire les enseignants à considérer leur discipline comme à distance et donc à opérer les choix nécessaires, à privilégier l’essentiel sur l’accumulation factuelle, bref à les rendre plus libres et donc plus à même d’accomplir leur métier52.
54Pour promouvoir cette façon de voir nous organisâmes Jean-Marie Baldner, Christian Delacroix, Jean Leduc, Michelle Zancarini-Fournel et moi-même53, avec la bienveillance et l’attention d’André Thépot, une université d’été à Blois en septembre 1993 dans laquelle intervinrent Alain Boureau, François Dosse, Olivier Dumoulin, Robert Frank, Jacques Lévy, Jean-Clément Martin, Jean-Pierre Olivier de Sardan et Jacques Rancière54 et dont les actes furent par la suite publiés sous le titre L’histoire entre épistémologie et demande sociale par les IUFM de Créteil, Toulouse et Versailles.
55D’une certaine façon l’alternance politique et l’arrivée au ministère de la Recherche et des Universités de François Fillon régla le problème puisque l’une des premières mesures prises fut de supprimer l’option fondée sur les observations de cours tandis que le lobbying de Dominique Borne auprès de François Bayrou permettait de conserver l’épreuve réduite à une seule option : le dossier remis par le jury, constitué de textes réflexifs d’historiens ou de géographes parfois assortis d’extraits de manuels scolaires du secondaire. Notons qu’il s’agit là d’une évolution singulière puisque, dans la plupart des autres disciplines, l’épreuve a évolué soit vers la présentation d’une leçon ou d’une partie de leçon, soit vers la présentation d’un projet didactique.
56Si l’épreuve était sauvée, elle n’en demeurerait pas moins, aux yeux de la plupart des universitaires, bien des années plus tard, une toujours « nouvelle » épreuve, dont la préparation était assurée par les enseignants des IUFM et donc forcément pédagogique ! – ce qui est dans l’esprit de la majorité des universitaires une qualification péjorative.
57Mais il fallait, dès lors, y préparer. Pour ma part, avec bientôt le renfort de François Dosse, je le faisais à l’université de Nanterre et également à Saint-Quentin-en-Yvelines, dès que Pascal Ory eut convaincu ses collègues d’y ouvrir une préparation au Capes. Christian Delacroix, quant à lui, y préparait à Paris 8, Paris 12 et Paris 13, puis plus tard à Marne-la-Vallée où il enseigne depuis quelques années. Cet état de fait – délivrer des cours dans les locaux des universités de l’académie du ressort de l’IUFM – nous valut une certaine marginalité, tant au sein de l’IUFM dont la préparation au métier de professeur des écoles constituait le cœur du métier qu’au regard des autres universitaires volontiers suspicieux à l’égard de l’épreuve.
58C’est en construisant ces cours que je me suis progressivement intéressé à l’histoire de l’enseignement de l’histoire – domaine sur lequel il n’y avait alors aucune synthèse – et que j’ai commencé une lecture plus systématique de l’historiographie.
59Antoine Prost a coutume de dire qu’on fait l’histoire du lieu où l’on se trouve. Il a raison. Si j’avais été élu maître de conférences à Lille, à Paris 1 ou à l’ENSSaint-Cloud, trois des endroits où j’ai été classé deuxième, je n’aurais vraisemblablement ni participé à l’écriture des Courants historiques en France xixe-xxe siècle55, ni à celle de L’enseignement de l’histoire en France de l’Ancien Régime à nos jours56, sans parler de toutes les publications liées à ces deux thèmes.
60On l’aura compris, l’existence d’une épreuve réflexive au sein du principal concours de recrutement des enseignants du secondaire me paraît un net progrès et on peut regretter qu’il n’y en ait une de même nature à l’agrégation.
61Quel a été l’impact de cette préparation sur les cursus universitaires et sur la génération des enseignants qui a été formée à ce questionnement ?
62Le bilan des effets de l’ESD sur les formations universitaires est, en définitive, le plus simple à établir. En effet les concours exercent sur les cursus une sorte de commande par l’aval et le fait qu’il existe une épreuve à forte composante historiographique et épistémologique n’a pas été sans conséquence puisqu’on assiste, depuis une dizaine d’années, dans les départements d’histoire et de géographie, au développement dans les cursus de cours qui leur sont explicitement dévolus. C’est ce qu’a permis d’établir l’enquête par questionnaire réalisée en 2007-2009 dans le cadre des activités du réseau Historiographie-épistémologie – basé à l’IHTP, qui en héberge le site – constitué à l’initiative de François Dosse, Christian Delacroix et moi-même, avec la collaboration de l’Inspection générale d’histoire-géographie et notamment de l’inspecteur général, ancien président du Capes, Yves Poncelet.
63Certes l’ESD n’est pas le seul facteur qui contribue à cette généralisation des enseignements d’historiographie et d’épistémologie : la conjoncture historiographique globale – le « tournant » réflexif que nous avons, parmi d’autres, diagnostiqué – n’y est évidemment pas étrangère en ce qu’elle a légitimé ce type de questionnement. Mais, dans le cadre des choix et arbitrages que suppose l’établissement d’un cursus, l’ESD a été un argument de poids offert à ceux qui voulaient les promouvoir. Je reviendrai sur ce bilan plus loin.
64En ce qui concerne les enseignants formés à cette épreuve et aux questionnements qu’elle suppose, le bilan est plus complexe à dresser. Il est vraisemblablement différent selon les individus et les régions. Il est sans doute plus nettement visible en géographie – discipline où l’ESD a incontestablement permis de diffuser auprès d’un public majoritairement historien57 les concepts majeurs de la géographie contemporaine –, ce qui a peut-être entraîné un recul, dans les cours délivrés aux élèves du secondaire, de la « géographie des historiens », d’autant plus conservatrice des anciens raisonnements géographiques qu’elle est ignorante des évolutions de cette discipline58. Pour l’histoire, le bilan est sans doute plus mitigé, puisque contrairement à la géographie, les étudiants avaient le sentiment de connaître déjà les ressorts de cette discipline. Il n’en demeure pas moins que j’ai pu constater, à travers les cours donnés dans le cadre de la préparation à l’agrégation interne, que ce type de questionnement a acquis au fil des années une légitimité plus forte.
65Quand est intervenue une nouvelle réforme dont l’axe était de promouvoir des masters d’enseignement au cours desquels, en deux ans, les étudiants étaient censés recevoir à la fois une formation à la recherche, une formation disciplinaire, une formation professionnelle et passer les épreuves d’un Capes redéfini, Christian Delacroix, François Dosse et moi-même avons ressenti la nécessité de prendre publiquement position.
66Ce n’est pas le lieu de revenir sur l’ensemble des motifs qui nous ont conduits à faire état de nos analyses. Nous les avons du reste explicitées dans la pétition que nous avons lancée59, puis dans un article publié dans Esprit60, tandis que nous tâchions de faire naître un débat public en proposant à Emmanuel Laurentin de consacrer une émission de La fabrique de l’histoire61 à ce dossier, puis que nous prenions contact dans le même but avec Brice Couturier, le réalisateur d’une autre émission de France Culture : Du grain à moudre62, et qu’enfin, forts des 1029 signatures recueillies, nous essayions d’infléchir la réforme en rencontrant les conseillers du ministre63.
67Avouons que la mobilisation, dont nous avons été l’un des moteurs, a été lente à se développer et, si le ministère n’avait eu l’insigne maladresse de modifier au même moment le statut des maîtres de conférences, il est vraisemblable que la réaction serait restée limitée. En effet, rares sont les universitaires pleinement au fait des questions de formation des enseignants, voire de l’économie des concours. De surcroît les concours d’enseignement ne sont le débouché « naturel » que d’une faible part des formations – et encore de façon très inégale selon les disciplines – et nous avons vu que l’ESD elle-même a évolué de façon très spécifique en histoire-géographie.
68Le temps est loin où tous les universitaires de quelque envergure avaient à cœur d’intervenir dans les débats sur l’enseignement et où les réformes touchant l’enseignement de l’histoire à l’université et dans le secondaire donnaient le « la » pour l’ensemble des disciplines. De ce point de vue le « moment Lavisse » est bel et bien clos : rappelons qu’à l’époque – les années 1890 – où cet historien présidait le jury de l’agrégation d’histoire et géographie, il obtint du ministère que les candidats aient préalablement fait une année d’initiation à la recherche (sanctionnée par le diplôme d’études supérieures, qui deviendra plus tard la maîtrise) ainsi qu’un court stage de sensibilisation dans les classes. Ces innovations furent généralisées aux autres disciplines dans les premières années du xxe siècle. Lavisse alla même jusqu’à demander, en 1899, que, comme cela se faisait en Allemagne, les nouveaux agrégés reçoivent une formation professionnelle pendant leur première année d’exercice, mais il n’obtint pas satisfaction sur ce point. La pratique d’une formation professionnelle par alternance en début de carrière s’est très progressivement imposée à partir de la création des CPR64 en 1952 pour prendre véritablement forme avec l’instauration en 1985 d’un service réduit en responsabilité permettant de recevoir l’année de stage une formation professionnelle. Elle a été complètement remise en cause en 2010 par la masterisation.
69Il n’en reste pas moins que la mobilisation que nous avons initiée a permis d’infléchir certains aspects très négatifs de la réforme et d’ouvrir des espaces d’aménagement non point, hélas, sur la question de l’année de formation qui suit l’obtention du concours, mais sans doute sur le contenu des épreuves puisque – grâce notamment à l’énergie de Marc Deleplace, vice-président de l’épreuve sur dossier, et du président du Capes, le géographe Laurent Carroué – la seconde épreuve orale conserve à ce jour en histoire-géographie une dimension historiographique et épistémologique forte.
70Toutes raisons pour que nous relancions le réseau Historiographie-épistémologie pour permettre aux préparateurs de se rencontrer et d’échanger leurs expériences, mais aussi – dans la suite de l’université de Blois de 1993 – pour réfléchir aux façons de mieux enseigner l’historiographie et l’épistémologie hors des préparations aux concours.
71Cette articulation entre recherche et pratique peut sembler désuète : j’avoue que c’est un « archaïsme » que, comme mes amis, j’assume bien volontiers puisque la réflexion historiographique et épistémologique est bien plus, pour nous, qu’un terrain intellectuel parmi d’autres. Il s’agit, nous en sommes convaincus, d’une ressource pour répondre aux questions posées à l’enseignement de l’histoire dans ce pays. Enfin, quitte à apparaître comme des néolavissiens, nous pensons que l’Université ne peut se désintéresser de l’enseignement secondaire ni même élémentaire et qu’il y a là une responsabilité sociale incontournable.
72L’ironie du sort veut que, l’IUFM de Versailles ayant été intégré dans l’université de Cergy-Pontoise, je sois devenu responsable du master enseignement histoire-géographie et que j’ai pu ainsi mesurer très concrètement les incohérences de la récente réforme en dépit de tous les efforts que nous avons déployés pour, néanmoins, délivrer un enseignement satisfaisant65…
73L’alternance politique n’a pas réduit les incertitudes puisqu’elle s’est accompagnée d’une nouvelle réforme du Capes. Si la modification du cadre, et notamment le rétablissement de la tenue des épreuves du concours – écrits et oraux – la même année, est un très net progrès, l’inflexion « professionnalisante » du ministère précédent est poursuivie et amplifiée, aboutissant à une profonde transformation de la formation et des épreuves. Qu’il soit clair que ce n’est pas la nécessité du développement d’une réflexion sur les pratiques professionnelles qui est en cause dans l’appréciation plus que réservée portée sur cette nouvelle réforme, mais le fait d’introduire une évaluation de cette réflexion dans un concours où les candidats n’ont qu’une expérience pratique réduite aux quelques semaines du stage. Or, il ne peut y avoir de didactique hors sol. C’est pourquoi avec Christian Delacroix et François Dosse nous avons adressé une lettre ouverte à Vincent Peillon et lancé une nouvelle pétition66, ni l’une ni l’autre n’ont reçu la moindre réponse…
Pratiques
La preuve du pudding c’est qu’on le mange.
Formule attribuée à Friedrich Engels
Expérimenter
74Je suis très reconnaissant à Michel Vovelle d’avoir qualifié d’« histoire expérimentale67 » la tentative de mesure des effets de la commémoration du Bicentenaire que nous avions engagée avec l’équipe d’EspacesTemps et que j’ai, pour partie, poursuivie pour mener ma thèse à bien. J’avoue que j’aime bien cette notion d’expérimentation et que j’ai eu recours à plusieurs reprises à un dispositif permettant de confronter mes analyses et des situations pratiques.
75C’est ainsi que, lorsque j’ai commencé à travailler sur l’histoire de l’enseignement, j’ai saisi les deux opportunités qui m’ont été offertes de passer de l’autre côté du miroir et de pratiquer ce que, par ailleurs, j’étudiais.
76La première d’entre elles a été l’invitation de Jean-Clément Martin de participer au Groupe technique disciplinaire (GTD) du Conseil national des programmes (CNP) placé sous son autorité et à l’élaboration du projet de programme présenté par ce groupe et rejeté par le ministère en 199368. Cette expérience m’amena à mieux comprendre ce qu’était un programme et à le considérer comme un « texte d’action69 », c’est-à-dire un projet visant à infléchir significativement des pratiques. Elle me conduisit, bien sûr, à prendre conscience de l’immense difficulté de la chose dès que l’on s’écarte d’un aménagement, plus ou moins audacieux, de l’existant pour tenter de promouvoir une conception différente de ce qui doit être enseigné. Elle m’a aussi instruit sur la notion de choix puisqu’un programme ne peut vouloir embrasser le « tout » de l’histoire et que toute réduction à un item et à un nombre d’heures – par définition trop restreint – ne peut qu’engendrer la frustration de ceux qui le tiennent pour important, qu’il s’agisse des universitaires spécialistes ou des groupes pour lesquels cette histoire est fondatrice d’une identité. J’ai pu, d’autre part, mesurer à cette occasion l’effet pervers d’une double approche en termes de contenus et de compétences. Cette dernière approche, très inspirée des recherches en didactique, entend en effet décomposer les apprentissages en énoncés fondamentaux à fin d’évaluation. Elle correspond au souci contemporain de la mesure de l’efficacité et dans certains pays, comme le Canada, l’énumération des compétences à acquérir a même remplacé celle des contenus, réglant, par éviction du problème, la difficile question de la place à assigner au roman national québécois, volontiers doloriste70. Or comment ramener à des énoncés simples la connaissance historique sans la réduire à des savoir-faire ou à des données factuelles élémentaires ?
77La seconde opportunité qui m’a été offerte pour mieux explorer les questions soulevées par l’enseignement de l’histoire a été de collaborer à la rédaction de manuels du secondaire dans la collection lancée par Jacqueline Le Pellec chez Bertrand-Lacoste pour les classes de lycée (1996-2003), puis, pour la quatrième, chez Belin dans la collection dirigée par Éric Chaudron (2002). Là encore l’expérience fut riche. Elle m’a permis d’abandonner définitivement une lecture implicitement idéologique des silences des manuels scolaires tant j’ai pu mesurer que les marges d’inflexion de ce qui y est écrit sont, en définitive, faibles, une fois explicité ce qui est attendu – ce qui est légitime – pour faire du texte auteur une référence pour les apprentissages de l’élève. Finalement les « textes auteur » que je produisais m’apparaissaient saturés – pour cause de nécessaire concision – d’un sens qui ne pouvait qu’échapper aux élèves et dont je devais continuellement, de relecture en relecture, réduire l’originalité et la place accordée aux interprétations les plus novatrices pour les rendre lisibles par eux. Il me semble que, tant qu’on ne s’est pas soi-même confronté à l’exercice, il est difficile d’en saisir pleinement la singularité.
78Une autre occasion m’a été offerte sur un tout autre chantier, celui des cérémonies publiques. En effet, lorsque j’ai enquêté, à l’instigation de Danielle Tartakowsky, sur l’entrée au Panthéon d’André Malraux, dans l’élan de ma thèse qui avait pointé l’importance de l’esthétisation du politique, je me suis intéressé très précisément à la mise en scène de la cérémonie et j’ai pris contact avec son maître d’œuvre : Patrick Legrand. Dans un premier temps, celui-ci n’a pas voulu me recevoir, arguant non sans humour que son entreprise avait nom « Silence Productions » et qu’il se sentait tenu par une sorte de devoir de réserve. Je lui ai cependant envoyé – comme je m’en fais toujours une règle – la première version de l’article que je destinais à Sociétés et représentations71 dans lequel je m’attachais à produire une lecture minutieuse du déroulement de la cérémonie et de sa scénographie. Le résultat ne se fit pas attendre et je recevais quelques jours plus tard un coup de fil de Patrick Legrand me proposant de le rencontrer. Il me dit tout l’intérêt qu’il avait pris à mes analyses et me proposa immédiatement de collaborer avec lui. Cette collaboration prit, tout d’abord, la forme d’une chronique dans la Lettre de l’événement (2001-2004) – bulletin réflexif qu’il tentait de lancer au sein de la profession. En écrivant ces papiers je restais cependant à mi-chemin puisque je ne me départais pas de mon rôle habituel d’observateur et d’analyste. Plus tard il me fit la proposition de concevoir avec lui un projet de panthéonisation : celle d’Alexandre Dumas. J’avoue que, dans un premier temps, j’ai hésité à accepter cette proposition. N’y avait-il pas le risque de franchir une limite sensible et de passer de la position d’analyste et d’historien à celle d’ordonnateur des cérémonies publiques, même en restant dans la position seconde de conseiller scientifique ? Finalement je suis passé outre ces scrupules, pensant que la meilleure façon de comprendre le fonctionnement des mises en scène du politique était de me confronter aux contraintes qui les régissent. Cette expérience fut doublement instructive. Au contact de l’événementialiste, ainsi que je qualifiais sa profession, j’ai pris conscience de l’ensemble des paramètres en jeu dans ce type de cérémonies, du soin apporté à servir celui qui en occuperait le rôle central – le président de la République –, de l’importance accordée par ce grand praticien, qui possède à son palmarès nombre de grandes rencontres internationales72, au moindre détail. Mais l’expérience fut fascinante d’une autre manière : lors de nos échanges avec Patrick Legrand les idées fusaient. Je lançais des mots, des phrases, des concepts… Et tantôt il relevait l’un d’eux pour m’inviter à aller plus loin, tantôt il avançait aussitôt des éléments de scénographie, ou bien encore – moment pour moi magique – il prenait son crayon et brossait en quelques minutes une esquisse puis me disait : « Cela correspond-il à ce que vous pensez ? », ou bien : « Pour ma part je verrais ça : qu’en pensez-vous ? Qu’en dites-vous ?… » C’était la découverte d’un autre monde intuitif et créatif fort éloigné de la façon dont j’ai appris à raisonner à l’université et même dans mon expérience militante –, un monde d’une intelligence de très grande vivacité. Je croyais tellement à la force de notre projet que je l’avais inclus dans l’exposé du dispositif de recherche que je présentai pour étayer ma première demande de délégation au CNRS en 200173.
79Introduit par Patrick Legrand auprès de Thierry Borja de Mozota, ambassadeur qui dirigeait le Service de la logistique diplomatique, je conçus avec celui-ci le projet de réaliser une étude sur le dispositif cérémoniel français.
80Cette candidature à une délégation ne fut pas retenue et aucun des deux projets n’aboutit, le ministère de la Culture ayant choisi un autre scénographe pour la cérémonie d’entrée au Panthéon d’Alexandre Dumas et les successeurs de Thierry Borja de Mozota n’ayant pas le même souci de produire une réflexion sur la scénographie d’État.
81Ma collaboration avec Patrick Legrand, devenue amicale au fil de nos rencontres, s’est néanmoins poursuivie. En d’autres occasions, il m’a demandé de lui proposer le canevas du discours d’un ministre ou d’un dirigeant associatif pour telle ou telle manifestation qu’il avait la charge d’organiser : exercice de style fort utile quand soi-même on entreprend de travailler sur des discours le plus souvent écrits par des « nègres74 »…
82Je n’ai pourtant jamais franchi la ligne que je m’étais fixée : conserver une position d’observateur-participant et je n’ai pas, par exemple, donné suite à des propositions d’écrire des biographies signées par d’autres…
Enseigner
83Je ne voudrais pas clore ce chapitre sans insister sur le plaisir non dissimulé que je prends à enseigner. C’est une mission que j’apprécie vraiment. Jamais je n’ai eu le sentiment de perdre mon temps en me consacrant à la préparation de mes cours ou en les donnant et je partage cela avec mes amis. Tout au contraire, la nécessité d’aborder telle ou telle question a toujours fonctionné comme un moteur pour mes recherches personnelles, ce dont portent la trace nombre des travaux que j’ai publiés. Je n’y vois pas une servitude mais une opportunité. En outre enseigner est toujours pour moi l’occasion de mieux comprendre, de soumettre au test de la réception et de la critique mes interprétations, mes hypothèses. D’une certaine façon, au regard de l’inquiétude toujours renouvelée de la pratique de la recherche, l’enseignement est pour moi une source de réassurance. J’avoue que le fait d’être largement cantonné à l’épreuve sur dossier a permis une sorte d’économie d’échelle et une très grande liberté dont la seule sanction était les résultats des étudiant-e-s – qu’il s’agisse des candidat-e-s au concours de professeurs des écoles, au Capes ou à l’agrégation interne – qui m’étaient confiés et que de ce fait, en outre, j’ai essentiellement dispensé mon enseignement auprès de publics très motivés.
84Évidemment, avoir enseigné un certain temps dans le secondaire – cinq ans pour moi, bien plus pour Christian Delacroix et François Dosse – n’est pas sans conséquence sur la façon dont nous considérons l’enseignement et sans doute sur la façon dont nous le pratiquons. J’avoue que cette tradition française qui veut que l’on passe par l’enseignement secondaire avant d’entrer, le cas échéant, dans le supérieur me paraît très positive même si, objectivement, elle constitue un frein à la rapidité d’une carrière, ne serait-ce qu’en raison de la limitation du temps pouvant être consacré à la recherche et de la tension qui en résulte entre l’investissement pédagogique et celui dans la recherche. Situation dont Jean-Clément Martin avait parfaitement montré, alors qu’il enseignait encore dans le secondaire, l’extrême difficulté dans un article intitulé « Historien à temps partiel75 » que j’avais lu avec délice, y reconnaissant ma propre situation.
85Nonobstant cela, je reste, pour ma part, fidèle à la tradition « méthodique » aujourd’hui bien ébranlée puisque le secondaire est devenu une sorte de purgatoire qu’il faudrait à tout prix éviter.
86Ces « lieux » d’histoire profondément différents, allant de lieux choisis à des lieux « échus », j’ai essayé, dans mes pratiques de recherche, de les mettre en cohérence, de les faire résonner les uns avec les autres. Cela n’a pas été sans conséquence sur mes itinéraires en histoire, mon parcours d’historien. Dois-je préciser que j’apprécie au plus haut point la liberté que leur institutionnalisation faible m’a toujours permise ?
Notes de bas de page
1 Michel de Certeau, « L’opération historiographique », dans Jacques Le Goff, Pierre Nora (dir.), Faire de l’histoire, op. cit. repris dans L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975.
2 Nous en avons fait avec Christian Delacroix et François Dosse l’axe de notre approche de l’historiographie française : Les courants historiques en France xixe-xxe siècle, en coll. avec Christian Delacroix et François Dosse, Paris, Armand Colin (U), 1re éd. 1999.
3 Maurice Le Lannou, « Des géographes contre la géographie », Le Monde, 8-9 février 1976, auquel répondait un article de Christian Grataloup et Jacques Lévy, « Des géographes pour une autre géographie », Le Monde, 14-15 mars 1976, publié dans la correspondance de ce journal.
4 Ce qu’attestent les archives de l’école récemment ouvertes. Lire en dernier lieu Christian Grataloup, « 1975-1976 : la géographie française bousculée à Cachan », dans Virginie Albe, Gérard Bodé, Florent lebot, Guy Bruey, Élisabeth Chatel (dir.), L’ENSCachan. Le siècle d’une grande école pour les sciences, les techniques, la société, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
5 EspacesTemps, n° 1, 1975, cité par Jacques Lévy, Egogéographies, op. cit., p. 26.
6 EspacesTemps, « Cet obscur objet de l’histoire », « 1. Une force trop tranquille », n° 29, 1985 et « 2. À la recherche du temps social », n° 30, 1985.
7 Cette thèse fut publiée à La Découverte sous le titre L’histoire en miettes en 1987.
8 Pour donner un exemple significatif de ce biais : dans tous les sondages où son nom était cité, La Fayette apparaissait comme le personnage le plus populaire de la Révolution. Dans les enquêtes qualitatives son nom n’apparaît que très rarement car il n’est pas directement associé à la Révolution…
9 EspacesTemps, « Concevoir la Révolution. 89, 68, confrontations », n° 38-39, 1988.
10 « Passé présent : les Français et leur Révolution », ibid., p. 25-35, en collaboration.
11 Révolutions, fin et suite…, op. cit.
12 Février 1988. Conception et direction d’enquêtes qualitatives sur la perception contemporaine de la Révolution et les attentes à l’égard de la commémoration. Rapport de recherche : Les Français et la Révolution, Paris, Maison de la Villette, 1989. Juin-août 1989. Conception et direction d’enquêtes qualitatives sur la perception contemporaine de la Révolution et l’accueil réservé à la commémoration auprès d’un échantillon des visiteurs du Forum de la Révolution du centre Georges-Pompidou. Rapport de recherche « (Re) visiter la Révolution française, une enquête qualitative », Paris, BPI/centre Georges-Pompidou, décembre 1989.
13 Maurice Godelier, L’idéel et le matériel. Pensée, économies, sociétés, Paris, Fayard, 1984.
14 Cornélius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975.
15 Edward Palmer Thompson, The Making of the English Working Class, Londres, Victor Gollancz Ltd, 1963, traduction (plus que tardive au regard de l’importance de ce livre) La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Éditions de l’EHESS/Seuil, 1988.
16 Marcel Gauchet, « Changement de paradigme en sciences sociales ? », Le Débat, no 50, 1988. Repris dans Les idées en France 1945-1988, Paris, Gallimard (Folio histoire), 1989.
17 François Dosse, en observateur averti, a livré la meilleure description et analyse de ce tournant dans L’empire du sens. L’humanisation des sciences humaines, Paris, La Découverte, 1995.
18 Christian Delacroix s’est fait le commentateur avisé du « tournant critique » des Annales : « La falaise et le rivage. Histoire du “tournant critique” », EspacesTemps, n° 59/60/61, 1995, « Le temps réfléchi. L’histoire au risque des historiens », p. 86-111.
19 Voir liste des travaux en fin de volume.
20 En particulier le n° 49/50, 1992, dont le dossier principal s’intitulait « Ce qu’agir veut dire. Boltanski, Thévenot, Callon, Latour, Pollack, Quéré : une percée en sciences sociales ? ».
21 La section « Postures » est composée d’interventions de Christian Delacroix, François Dosse, Christian Grataloup, Jacques Lévy et Yveline Lévy-Piarroux. Je n’ai moi-même pas écrit de contribution individuelle.
22 Les travaux de ce séminaire ont été publiés sous le titre Les années 68 : le temps de la contestation, Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Paris, Complexe/IHTP, 2000.
23 François Dosse, Michel de Certeau, le marcheur blessé, La Découverte, 2002.
24 François Dosse, Christian Delacroix, Patrick Garcia et Michel Trebitsch (dir.), Michel de Certeau. Chemins d’histoire, Bruxelles, Complexe (Histoire du temps présent), 2002.
25 « Michel de Certeau, histoire/psychanalyse. Mises à l’épreuve », EspacesTemps, n° 79/80, 2002.
26 Christian Delacroix, Patrick Garcia et François Dosse et (dir.), Historicités, Paris, La Découverte, 2009.
27 François Dosse, Paul Ricœur, les sens d’une vie, Paris, La Découverte, 1997.
28 Cf. supra.
29 Association pour la diffusion de la pensée française.
30 L’histoire en France depuis 1945, en coll. avec Christian Delacroix et François Dosse, APDF, ministère des Affaires étrangères, 2003.
31 Voir la présentation du projet en annexe I.
32 Voir la liste des ouvrages publiés en annexe II.
33 Souligné par moi. Contrat de directeurs de série du 6 juillet 2000.
34 Historiographies. Concepts et débats, en codirection avec Christian Delacroix, François Dosse et Nicolas Offenstadt, Paris, Gallimard (Folio histoire), 2010, 2 vol.
35 Jacques Lévy, Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003.
36 Sylvie Mesure, Patrick Savidan (dir.), Dictionnaire des sciences sociales, Paris, PUF, 2006.
37 Voir projet initial daté du 30 juin 2004 en annexe III.
38 Voir le projet présenté aux éditions Gallimard en annexe IV.
39 Il faudrait y ajouter les prises de position collectives sur les questions professionnelles dont je parlerai plus loin.
40 « Essor et enjeux de l’histoire du temps présent au CNRS », La Revue pour l’histoire du CNRS, n° 9, novembre 2003, p. 16-23 et « Histoire du temps présent », dans Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia, Nicolas Offenstadt (dir.), Historiographies. Concepts et débats, op. cit., t. I, p. 282-294.
41 Voir sur cet aspect l’article de Christian Delacroix, « Demande sociale et histoire du temps présent : une normalisation épistémologique ? », EspacesTemps, n° 84/85/86, 2004, « L’opération épistémologique », p. 106-119.
42 J’eus, grâce à Marcel Jollivet qui m’accueillit chaleureusement, accès à l’ensemble des résultats quantitatifs de cette enquête ainsi qu’aux données qualitatives (brochures, vidéos, discours…) envoyés par nombre de communes que j’ai ainsi pu utiliser pour mon doctorat en complétant ce corpus par d’autres enquêtes lancées à mon initiative.
43 Mots/Les langages du politique, « Gestes d’une commémoration », n° 31, juin 1992.
44 J’ai conscience qu’il s’agit presque d’un pléonasme.
45 J’y ai été élu professeur des universités en juin 2013.
46 En vérité le « là » ne renvoie pas à un lieu physique puisque mes cours étaient délivrés dans les locaux des universités de Nanterre et de Saint-Quentin-en-Yvelines.
47 Les premiers textes de cadrage de l’épreuve évoquent la mesure de la « force de conviction » du candidat.
48 Jean Leduc a esquissé une histoire de l’ESD : « L’épreuve sur dossier du Capes de 1992 à 2009 », Cahiers d’histoire immédiate, n° 37-38, 2010, p. 319-335.
49 Il existe trois types de stage. Le stage d’observation consiste à observer la façon dont un enseignant fait cours. Le stage de pratique accompagnée consiste à faire cours dans une classe sous le regard de l’enseignant titulaire, qui aide à la préparation de la séquence et commente son déroulement. Le stage en responsabilité consiste à prendre en main la classe d’un enseignant en son absence.
50 C’est le schéma qui a fonctionné pendant deux années universitaires de 2011 à 2013 lors de la mise en place de la masterisation. Dans cette première formule les étudiants admissibles (et parfois aussi non admissibles) avaient un service en charge (souvent en binôme) pendant quatre semaines, ce qui était considéré par le ministère comme une formation pratique suffisante pour se voir attribuer un service complet à la rentrée suivante alors que, dans le système précédent, ils avaient, pendant la première année d’enseignement, un service en responsabilité réduit (entre 8 heures et 10 heures/18 heures). Depuis la rentrée 2013, le concours a été rétabli en première année de master, les étudiants effectuant pendant celle-ci un stage de quatre à six semaines. Les admis au concours, fonctionnaires stagiaires et étudiants en seconde année de master, sont désormais assujettis à neuf heures de cours hebdomadaires. Soit une sorte de retour au système précédent mais en conservant le cadre de la masterisation.
51 « L’épistémologie est une tentation qu’il faut résolument savoir écarter […]. Tout au plus est-il opportun que quelques chefs de file s’y consacrent – ce qu’en aucun cas nous ne sommes ni ne prétendons être – afin de mieux préserver les robustes artisans d’une connaissance en construction – le seul titre auquel nous prétendions – des tentations dangereuses de cette morbide Capoue. » Pierre Chaunu, Histoire quantitative, histoire sérielle, Paris, Armand Colin, 1978, p. 10.
52 Je suis revenu sur cette question dans le cadre d’une communication dans un colloque publiée sous le titre « L’historiographie et l’épistémologie : une ressource pour enseigner l’histoire ? », Revue de l’UFR de l’école doctorale ED 400, université Paris Diderot-Paris 7, 2009, Cécile de Hosson, Aline Robert (dir.), « Intelligence des contenus et méthodes d’enseignement », p. 73-86. Colloque où j’ai eu la chance de rencontrer Dominique Lecourt dont le livre sur l’affaire Lyssenko avait été des années durant l’une de mes références fondamentales.
53 Une scorie a fait que ni le nom de Jean Leduc ni le mien ne figurent dans la liste des organisateurs.
54 Soit une forte présence d’EspacesTemps, qui comptait cinq représentants entre les organisateurs et les intervenants.
55 Op. cit.
56 L’enseignement de l’histoire en France de l’Ancien Régime à nos jours, en coll. avec Jean Leduc, Paris, Armand Colin (U), 2003, [rééd. 2004].
57 Dans Les mots de la géographie. Dictionnaire critique dirigé par Roger Brunet, Robert Ferras et Hervé Théry, Paris, Reclus/ La Documentation française, 1992, on peut lire à l’entrée « Historien » : « Personne qui enseigne la géographie. C’est du moins ce qui se passe pour l’essentiel dans l’enseignement secondaire français […]. »
58 J’ai été à l’initiative de deux numéros d’EspacesTemps sur le dialogue histoire/géographie qui aurait pu se prolonger dans d’autres livraisons si le comité de rédaction n’avait pas estimé que ce dialogue interdisciplinaire portait en germe le risque d’un rétrécissement trahissant l’esprit pluridisciplinaire de la revue.
59 Voir le texte de l’appel en annexe.
60 « Formation et recrutement des enseignants : une réforme en trompe l’œil », en coll. avec Christian Delacroix et François Dosse, Esprit, février 2009, p. 216-223.
61 Émission du 21 novembre 2008, France Culture.
62 Émission de décembre 2008.
63 Compte rendu de la rencontre avec Marc Sherrigham, conseiller du ministre, sur le site de l’appel.
64 Centres pédagogiques régionaux chargés de la formation professionnelle des néotitulaires.
65 La mise en place de ce master a reposé principalement sur les universitaires issus de l’IUFM : les géographes Anne Hertzog, Sonia Lehman-Frisch et Alexis Sierra ; les historien-ne-s, Annie Duprat, Hélène Bernier, Paul-Alexis Mellet et Claire Soussen ainsi que certains des anciens formateurs de l’année de stage en alternance, Christian Barret, Hugues Febvre et Thierry Fourmond. En dépit de leur rejet de la réforme – avec l’aide de l’Inspection pédagogique régionale, notamment de l’IPR-IA Marc Vigié, et de collègues déjà présents à l’université de Cergy-Pontoise dont Didier Desponds et François Pernot –, tous se sont investis sans compter dans l’élaboration de la moins mauvaise maquette puis dans sa mise en œuvre au nom de l’intérêt des étudiants et des élèves auxquels ils devront par la suite enseigner.
66 Annexe VI : « La professionnalisation incantatoire comme panacée pour la formation des enseignants ? », Lettre ouverte à M. Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale, 21 janvier 2013.
67 Préface à Révolutions, fin et suite…, op. cit.
68 L’architecture globale proposée pour le secondaire consistait en un parcours chronologique de la sixième à la seconde, puis en une démarche régressive sur des questions contemporaines en première et en terminale.
69 Je suis revenu sur cette dimension dans l’article publié par EspacesTemps : « Un texte sous contraintes », n° 65/66, 1998, p. 96-101.
70 Cf. Jocelyn Létourneau, Le Québec entre son passé et ses passages, Montréal, Fides, 2010.
71 Patrick Garcia, « Jacques Chirac au Panthéon. Le transfert des cendres d’André Malraux », Sociétés & Représentations, n° 12, 2001, p. 205-223.
72 Dont les mises en scène des cérémonies de commémoration du cinquantième anniversaire du débarquement (Omaha Beach, 6 juin 1994), de la victoire alliée (Paris, 8 mai 1995), de nombreuses conférences internationales et européennes (dont le sommet de Nice).
73 Voir le projet en annexe VII.
74 Je préfère nettement l’expression anglo-saxonne de ghost writer (écrivain fantôme) : rencontrant l’un des actuels conseillers du ministre de la Culture, j’ai pu constater sur sa carte de visite que la fonction était sortie de l’ombre puisque celle-ci stipule qu’il est « conseiller aux discours ».
75 Jean-Clément Martin, « Historien à temps partiel », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 15, 1987, p. 95-101.
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L’exercice de la pensée
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