Constitutionnalisation et quasi-constitutionnalisation du système financier public français
p. 115-132
Texte intégral
1« Le budget » écrivait G. Jèze en 1922, « est essentiellement un acte politique ». Cette formule est doublement exacte. Le budget constitue, en effet, la traduction financière d’une vision politique, et il est en même temps un enjeu de pouvoir. Les changements de majorité s’accompagnent en général d’un changement de programme, même si la marge de manœuvre des pouvoirs publics dans des économies complexes et intégrées dans un système communautaire, est aujourd’hui limitée. Plus encore, si l’on considère le politique comme l’organisation des sociétés dans tous leurs aspects autour de réseaux de pouvoirs, l’étude des phénomènes financiers publics fait apparaître les relations étroites qu’il entretient avec ces réseaux dans tous leurs prolongements. D’autre part, dans tout régime démocratique, le problème de la détermination des choix financiers est au cœur de la problématique du pouvoir. La maîtrise ou le partage du pouvoir financier entre institutions est un enjeu politique majeur. Il suffit de rappeler que les Parlements, notamment en Grande-Bretagne et en France, ont conquis leur statut politique à travers la revendication et l’affirmation de prérogatives financières. C’est bien pourquoi le pouvoir financier public s’exerce dans un cadre institutionnel, et est soumis à des procédures dont les justifications sont à la fois politiques et techniques. Il est encadré par le droit, les textes constitutionnels ou de valeur constitutionnelle fixent les compétences respectives des différents acteurs et déterminent les procédures à suivre. En cela, ils constituent une véritable « charte des finances publiques » dont les composantes se sont considérablement enrichies ces dernières années sous les effets du développement d’une conception nouvelle de la gestion publique1.
2En effet, les évolutions récentes des finances publiques françaises vont dans le sens d’une conception d’ensemble des finances de l’État, des organismes de sécurité sociale et des collectivités territoriales. Ces deux derniers champs, jusqu’alors périphériques, ont ainsi fait l’objet d’une intégration au sein de la Constitution aux côtés par conséquent des dispositions concernant les finances de l’État déjà présentes depuis 1958 et renouvelées depuis par une loi organique du 1er août 2001 et une révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
I – Finances sociales : la constitutionnalisation du processus de financement de la securite sociale
3Longtemps négligées et considérées à part du système financier public, les finances sociales, en prenant l’ampleur que l’on sait, ont été considérées avec une attention particulière et progressivement intégrées dans le champ des finances publiques générales jusqu’à faire l’objet en 1996 d’une intégration au sein de la constitution avec la création d’une catégorie nouvelle de loi aux côtés des lois de finances de l’État : les lois de financement de la sécurité sociale.
A – La révision constitutionnelle du 22 février 2006 et la création de la catégorie « lois de financement de la sécurité sociale » (LFSS)
4La révision constitutionnelle du 22 février 1996 a voulu mettre fin à un paradoxe qui était l’absence de tout contrôle effectif du Parlement sur les comptes des régimes sociaux. En effet, le Parlement vote annuellement plus de trois cents milliards d’euros de dépenses de l’État, et autorise, en regard, les recettes nécessaires pour assurer l’équilibre. Il apparaîtrait paradoxal qu’il n’exerce aucun pouvoir réel sur des dépenses sociales dont le montant représente environ 500 milliards d’euros. De plus, la très grande majorité des recettes de la sécurité sociale, tout en échappant au domaine des lois de finances, provient de prélèvements obligatoires. Ceux-ci constituent sans nul doute des « contributions publiques » dont, selon les termes mêmes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art. 14), les citoyens ont le droit de constater « la nécessité », directement ou par l’intermédiaire de leurs représentants2.
5De multiples tentatives avaient été faites pour tenter de réduire cette limite du contrôle parlementaire. Par exemple, l’information des assemblées sur les comptes sociaux avait été prévue par de nombreux textes, du décret du 19 juin 1956 sur le mode de présentation du budget (art. 3) jusqu’à la loi du 25 juillet 1994. Ce dernier texte avait marqué un progrès important, puisque l’information donnée était désormais globalisée et prévoyait le dépôt par le gouvernement d’un rapport d’ensemble annuel lors de l’ouverture de la session parlementaire.
6Mais de l’information à la décision, il y avait une marge qui n’avait jamais été réellement franchie. On retiendra encore qu’à la fin des années 1980, M. Michel d’Ornano, alors Président de la commission des finances de l’Assemblée, avait été à l’origine d’une loi organique qui étendait aux régimes sociaux, d’une façon d’ailleurs restrictive, le domaine de la loi prévu par l’article 34 de la Constitution. Mais cette loi organique fut considérée comme dépourvue de toute base constitutionnelle par le Conseil Constitutionnel dans une décision du 7 janvier 1988. Par conséquent, seule une révision de la Constitution pouvait permettre de sortir de cette impasse juridique et c’est, en effet, le constat qu’avait fait, en février 1993, le comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le Doyen Georges Vedel.
7La révision du 22 février 1996 a donc modifié les articles 34, 39 et 47-1 de la Constitution de 1958, cette révision étant elle-même complétée par une loi organique du 22 juillet 1996. Les principes de la réforme ont été fixés par le nouvel alinéa ajouté à l’article 34. Il est ainsi formulé : « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».
8D’un point de vue juridique, l’introduction dans le droit français de cette nouvelle catégorie législative pose le problème de la nature de ces textes, notamment par rapport aux lois de finances. La réponse à cet égard est claire : s’agissant de la procédure, les similitudes sont fortes ; il en va, en revanche, tout à fait autrement sur le plan du contenu et des pouvoirs conférés au Parlement.
9En effet, en matière de procédure, on ne peut qu’être frappé par les ressemblances entre les solutions adoptées. Dans l’un et l’autre cas, un délai global d’examen est assigné au Parlement (70 jours pour les lois de finances, 50 jours pour les lois de financement de la sécurité sociale), faute de quoi les dispositions du projet pourront être mises en œuvre par ordonnance. L’Assemblée Nationale, pour les deux catégories de textes, est saisie en priorité des projets de loi3, et se voit impartir en première lecture un délai maximum, passé lequel le gouvernement saisit le Sénat (ce délai étant de 40 jours après le dépôt du projet pour les lois de finances, et de 20 jours pour les lois de financement)4. Enfin, le souci de garantir une cohérence entre loi de finances initiale et loi de financement de la sécurité sociale a conduit à fixer à l’automne la discussion de cette dernière. Par ailleurs, il est prévu des lois de financement rectificatives qui jouent en principe un rôle analogue à celui des textes législatifs modifiant le budget en cours d’année.
10En revanche, s’agissant du fond – c’est-à-dire des pouvoirs du Parlement sur les comptes sociaux – la situation se présente de façon tout à fait différente. La normativité des votes du Parlement est une normativité atténuée par rapport à celle qui régit les lois de finances.
11C’est ainsi qu’il se prononce sur des « objectifs de dépenses », et non sur des crédits, et que sa maîtrise des recettes reste limitée puisqu’il continue à ne pas fixer le taux des cotisations. Certes, l’examen des lois de financement de la sécurité sociale va au-delà du simple débat d’orientation, puisqu’il aboutit à l’adoption d’un texte, mais il constitue une sorte de processus législatif imparfait5.
B – La loi organique du 2 août 2005 relative au financement de la Sécurité sociale et l’entrée dans une culture de la performance
12La loi organique du 2 août 2005 a eu pour objectif d’améliorer le processus mis en place par la révision constitutionnelle du 22 février 19966. Cette loi, dans le cadre de laquelle a été adoptée la LFSS pour 2006, se caractérise par un meilleur pilotage des finances de la Sécurité sociale avec une plus grande cohérence des lois de financement, une meilleure lisibilité et une transparence accrue, ainsi qu’une logique de la performance. On retrouve dans cette loi les objectifs qui sont ceux de la LOLF du 1er août 2001, à savoir la double préoccupation d’élargir le pouvoir des parlementaires et d’instituer une culture de résultat. Sa philosophie générale est de développer le processus démocratique dans le champ des finances sociales en l’articulant à un processus de rationalisation de la gestion publique.
13Plusieurs mesures vont dans ce sens. La loi introduit un débat d’orientation budgétaire pour les lois de financement de la Sécurité sociale. Ce débat est commun avec celui qui concerne le budget de l’État. Elle introduit également une dimension pluriannuelle dans la présentation des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses. Cette intégration des prévisions dans un cadrage pluriannuel se traduit par une présentation de la LFSS en quatre parties. Une partie concerne le dernier exercice clos, une autre l’exercice en cours, une troisième expose les recettes et l’équilibre général de l’année à venir, la quatrième traite des dépenses de l’année à venir. Par ailleurs, chaque LFSS expose les perspectives de dépenses et de recettes pour les quatre années à venir. Il faut aussi souligner une plus grande transparence de la LFSS du fait d’une présentation et d’une adoption par branche des recettes et des dépenses qui se traduit par un vote du Parlement sur des tableaux d’équilibre et par conséquent sur des soldes, branche par branche ; en effet, le rapprochement des prévisions de recettes et de dépenses est devenu possible pour les trois niveaux que représentent le régime général, les régimes obligatoires de base, les organismes qui concourent à leur financement (par exemple le Fonds de solidarité vieillesse).
14S’appliquent également les principes de sincérité, de régularité et de fidélité des comptes, principes dont la Cour des comptes est chargée de vérifier la bonne application7. Enfin, la loi du 2 août 2005 introduit les acteurs politiques et sociaux à la culture de performance déjà présente, on l’a dit, dans la LOLF du 1er août 2001. En effet, une annexe, jointe à la LFSS, expose les « programmes de qualité et d’efficience » pour chaque branche ; figurent à ce titre les objectifs auxquels sont associés des indicateurs ainsi qu’une présentation des résultats des derniers exercices.
15Les finances sociales, avec d’une part la création des lois de financement les concernant, d’autre part leur introduction récente au sein d’une culture de la performance, ont fait l’objet d’une insertion réussie au sein du système financier public. Celle-ci pourrait dans l’avenir aboutir à une intégration des lois de financement de la sécurité sociale avec les lois de finances de l’État en totalité ou en partie, comme le souhaitent certains parlementaires8.
II – Finances locales : la constitutionnalisation de l’autonomie financière des collectivités locales9
16Il faut le rappeler : annonciatrices d’une crise profonde et de longue durée, les difficultés économiques de la seconde moitié des années 1970 avaient conduit, en France comme ailleurs, à appréhender l’État comme un problème et les collectivités locales comme une solution10. Celui-ci qui avait été magnifié pendant « les 30 glorieuses » s’est alors trouvé frappé de discrédit à l’instar de toutes les grandes structures publiques et privées, le slogan Small is beautiful11 s’étant répandu dans le monde comme une trainée de poudre. C’est à ce moment qu’a commencé à se dessiner d’abord sur le plan intellectuel, puis dans les faits, un processus de profonde transformation de l’État et disons le sa métamorphose, ce processus tendant à conférer une place essentielle à l’autonomie financière des collectivités locales. À travers cette transformation il s’est produit en définitive un déplacement de la sphère économique vers la sphère administrative et politique avec pour objectif une organisation décentralisée de la société, celle-ci étant posée non seulement comme une voie vers le renouveau économique mais aussi comme le moyen de répondre à la crise des finances publiques d’alors. C’est ainsi, qu’au cours d’un processus ininterrompu de trente années, on a assisté à un mouvement continu de déconstruction puis de reconstruction de l’État sans que ce mouvement parvienne à une forme stable intégrant de manière harmonieuse pouvoir central et pouvoirs locaux. À l’inverse de ce mouvement, le développement de la globalisation accentué par la crise récente et l’aggravation considérable du déficit et de l’endettement publics a amené ces dernières années à reconsidérer l’action de l’État comme pertinente et indispensable12.Le contexte actuel ne peut donc être sans conséquences sur le pouvoir financier local. C’est en effet l’autonomie fiscale locale qui est susceptible d’apparaître anachronique compte tenu d’un cadre conceptuel et matériel différent de ce qu’il était il y a près d’une quarantaine d’années. Cette situation, par voie de conséquence, pourrait entraîner une autre conception de l’autonomie financière locale.
17On s’est longtemps interrogé en France sur les conditions financières de l’application du principe de libre administration des collectivités territoriales inscrit dans la Constitution13, autrement dit sur le degré d’autonomie financière pouvant être considéré comme déterminant. Et dans la mesure où ni la Constitution, ni le juge constitutionnel ne permettaient de trancher il apparaissait logique que le dernier mot revienne aux parlementaires. C’est bien la conclusion à laquelle, de fait, ont abouti les sénateurs qui déposèrent, sans succès en octobre 2000, une première proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications financières, puis une seconde, sans plus de succès, en juillet 200214. Cette logique fut poursuivie, et couronnée de succès, en mars 2003 par une révision constitutionnelle initiée cette fois par le gouvernement avec la loi du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République. La mise en œuvre du nouveau dispositif fut ensuite définie par une loi organique du 29 juillet 2004.
A – La révision constitutionnelle du 28 mars 2003
18Outre que ce texte étend le champ de compétences des collectivités territoriales et introduit la possibilité pour elles de « déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences » (art. 72) il concerne fondamentalement la définition de l’autonomie financière des collectivités territoriales.
19En effet, un article 72-2 a été inséré dans la Constitution selon lequel les collectivités territoriales peuvent non seulement recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures mais également être autorisées par la loi pour en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine. Par ailleurs, les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales doivent représenter, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. Enfin, des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales doivent également être prévus par la loi15.
20On peut à juste titre estimer que ce dispositif a pour conséquence de donner un fondement financier au principe de libre administration des collectivités territoriales.
21Ainsi, et à travers cette révision, c’est constitutionnellement qu’il est répondu à l’un des enjeux les plus brûlants des finances locales, c’est-à-dire leur autonomie financière. Car il faut également souligner que c’est la fiscalité qui est au centre du dispositif ; elle en est le pivot, et c’est à travers elle que se trouve implicitement définie et ancrée constitutionnellement la notion d’autonomie financière.
22Or c’est bien sur ce dernier terrain, celui d’une autonomie financière fondée sur l’existence d’une certaine autonomie fiscale et prenant acte que les collectivités locales ne sont plus de simples espaces de gestion, que se joue l’avenir de la décentralisation. Les élus locaux ne se bornent plus, en effet, à s’efforcer de satisfaire les besoins de leurs administrés en leur offrant des services. Ils ne sont plus seulement comme autrefois des bâtisseurs et des gestionnaires. Ils sont devenus des décideurs aptes à faire des choix de dépenses comme de recettes. C’est bien la raison pour laquelle la question de l’autonomie fiscale locale est devenue au fil du temps l’élément crucial du débat relatif à la libre administration des collectivités territoriales. Poser la question de l’autonomie financière sous l’angle de l’autonomie fiscale, c’est en effet toucher le cœur du politique dans la mesure où elle concerne un point essentiel du dispositif institutionnel. Le pouvoir fiscal a toujours été on le sait la condition du pouvoir politique. Fait politique majeur, source et symbole du pouvoir, la fiscalité en est même son principal attribut. Il est banal de le dire mais il est en même temps essentiel de le rappeler : il n’est pas de pouvoir politique véritable sans pouvoir fiscal.
23L’article 72-2 peut être regardé à ce titre comme le premier pas d’un élargissement du principe du consentement de l’impôt en direction des élus locaux. Il leur confère en effet la possibilité de disposer d’un embryon de pouvoir normatif en matière fiscale dans la mesure où il mentionne que la loi peut autoriser les collectivités territoriales à fixer l’assiette et le taux des impôts dans les limites qu’elle détermine. Ce n’est pas là d’un partage du produit fiscal entre l’État et les collectivités locales dont il est question mais bien d’un partage du pouvoir normatif fiscal.
24Il convient encore de souligner que selon le texte, et pour que l’on puisse constater une réelle autonomie financière, les ressources propres des collectivités locales (qui comprennent essentiellement les impôts aux côtés des revenus du domaine) doivent représenter pour chaque catégorie de collectivité « une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ».
B – la loi organique du 29 juillet 2004 relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales
25La loi organique du 29 juillet 2004 relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales qui a été prise en application de l’article 72-2 de la Constitution définit quant à elle les éléments permettant de déterminer avec précision la notion d’autonomie financière, et par conséquent ce que l’on entend par « ressources propres ».
26Entrent dans la catégorie des ressources propres, selon l’article 3 de la loi, « le produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l’assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d’assiette, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d’urbanisme, des produits financiers et des dons et legs ». Ne sont par conséquent inclus dans cette catégorie ni les emprunts et recettes de trésorerie ni les subventions et dotations versées par l’État ou d’autres collectivités.
27Une fois définie la notion de ressources propres, il restait à préciser par la loi organique ce que l’article 72-2 de la Constitution qualifie de « part déterminante ». Selon la LO du 29 juillet 2004, « pour chaque catégorie de collectivités16, la part des ressources propres est calculée en rapportant le montant de ces dernières à celui de la totalité de leurs ressources à l’exclusion des emprunts, des ressources correspondant au financement des compétences transférées à titre expérimental ou mises en œuvre par délégation ». Cette part ne peut pas être inférieure, pour chaque catégorie, au niveau constaté en 2003.
C – Le rendez-vous manqué
28La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 semblait avoir ancré le principe de libre administration des collectivités territoriales dans celui d’autonomie financière, celui-ci paraissant lui-même largement amarré, on l’a dit, au pouvoir fiscal local. En fait, d’année en année le pouvoir de décision fiscale des élus locaux s’est trouvé réduit par la multiplication des allégements fiscaux concernant les principaux impôts directs locaux. C’est par conséquent dans ce contexte de disparition progressive de la fiscalité locale qu’a été institué l’ancrage fiscal de l’autonomie financière locale ce qui a pu faire penser à un renouveau de l’autonomie fiscale locale mais qui ne fut qu’un rendez-vous manqué, une illusion que souligne, d’une certaine manière, le Conseil constitutionnel lorsqu’il dissocie l’autonomie fiscale, qu’il récuse, de l’autonomie financière, dont il reconnait le principe, en considérant « qu’il ne résulte ni de l’article 72-2 de la Constitution ni d’aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d’une autonomie fiscale »17.
29Ainsi, la réforme de 2003/2004 a confirmé une logique allant dans le sens d’une dissociation de l’autonomie de gestion des ressources locales et d’une autonomie fiscale perdant progressivement sa substance. La récente suppression de la taxe professionnelle18 par la loi de finances initiale pour 2010 ne fait que poursuivre cette évolution dont elle constitue une étape nouvelle. Au total, c’est un nouveau système financier local qui prend forme sur la base d’un partage du pouvoir fiscal différent entre l’État et les collectivités locales, mais également entre collectivités locales. Dans ce nouveau cadre, l’autonomie financière peut se définir comme une autonomie de gestion assortie d’une autonomie fiscale limitée.
30Autrement dit, il apparaît désormais que l’autonomie financière locale ne peut plus être envisagée qu’intégrée au sein d’une gouvernance financière publique entendue d’une façon globale19.
31On l’a compris, il s’agit pour l’État de poursuivre une voie déjà amorcée allant dans le sens d’une régulation globale des finances publiques. Une telle logique s’inscrit dans un projet d’ensemble qui concerne tout à la fois la maîtrise des finances du secteur social, celle des administrations d’État et des collectivités locales, et qui devrait s’étendre dans les années à venir à la totalité du secteur public et para-public. Il s’agit d’une logique de contrôle-régulation qui devrait amener une reformulation de l’un des principes essentiels du droit public financier, le principe d’unité. Plus encore, c’est à la question du pilotage des sociétés contemporaines, plus complexes et plus rapidement changeantes qu’autrefois, que se rattache cette logique et c’est finalement l’adaptation de l’État à son environnement interne et externe qui constitue le motif fondamental des réformes réalisées, en cours ou en discussion.
32Une telle évolution suppose une transformation inéluctable de l’État et partant des modes de financement ainsi que du processus de décision et de gestion financière du secteur public local et national20. Ce débat, qui sur le fond concerne la normalisation des finances locales, est révélateur des incertitudes actuelles ainsi que des adaptations indispensables du système financier local à son nouvel environnement.
III – Finances de l’État : une « nouvelle gestion publique »
A – La loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001
33Bien que la mesure n’ait pas donné lieu à révision constitutionnelle, le Parlement a réformé à son initiative21, par une loi organique, le texte qui régissait depuis la fin des années 1950 le budget de l’État, l’ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances. Cette réforme est doublement importante. Elle l’est par son objet puisque c’est en effet la « constitution financière » de la France qui se trouve concernée. Elle l’est par son ampleur puisque le cadre budgétaire de l’État se trouve remanié en profondeur avec cette nouvelle loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF).
34Sans évoquer immédiatement la philosophie et les changements profonds introduits par ce texte c’est d’abord, et à la différence de l’ordonnance de 1959, l’aspect consensuel du processus d’élaboration de ce document qu’il convient de souligner ; un processus législatif dont l’issue positive nécessitait un très large accord. C’est pourquoi Didier Migaud, rapporteur de la Commission des finances de l’époque et initiateur du texte, s’adressait ainsi aux députés le 8 février 2000 : « Nous devons aboutir ! Mais nous ne le pourrons que si nous sommes d’accord à trois : Assemblée nationale, Sénat et Gouvernement ». De ce point de vue c’est donc avec un sens de l’intérêt général et des responsabilités particulièrement poussé que la classe politique a pu mener à son terme la réforme et dessiner ainsi une nouvelle architecture financière pour l’État22. On pourra même retenir plus tard que l’adoption de ce texte fut, selon l’expression du sénateur Alain Lambert, alors Président de la commission des finances du Sénat, « un moment d’exception et d’excellence... un acte majeur de maturité démocratique... », un acte par lequel des personnalités très différentes ont eu « le génie de s’accorder pour redonner sens à la démocratie et redonner vie et force à leur État ».
35Au regard de l’histoire du droit public financier comme de celle des institutions politiques, le texte marque à l’évidence une étape importante. Ce n’est pas seulement d’une adaptation du droit budgétaire dont il s’agit. Plus largement, c’est un nouveau contrat social pour les finances publiques, socle d’une réforme de l’État qui est en filigrane du nouveau dispositif. Celui-ci ne se contente pas, en effet, de redéfinir les rapports entre le Parlement et le Gouvernement en augmentant de manière notable les pouvoirs d’initiative et de contrôle des députés et des sénateurs, alors que l’ordonnance de 1959, dans la logique de la Constitution de 1958, avait eu au contraire pour objectif de renforcer ceux du Gouvernement. Tournant le dos à la classique, et parfois courtelinesque, logique de moyens (qui s’attache à ne considérer que le montant des crédits alloués), il lui substitue une logique de performance (qui, marquée par une philosophie d’entreprise, prend d’abord en considération les objectifs à atteindre et l’évaluation des résultats obtenus), ce qui entraîne des bouleversements en profondeur de la gestion publique et partant de l’organisation interne des administrations.
36C’est dans les évolutions des trente dernières années que le texte prend tout son sens, une période au cours de laquelle s’est amorcé un processus portant en germe une véritable métamorphose des systèmes financiers publics, et partant de l’État, une période dominée par ailleurs sur le fond par la généralisation d’une conception beaucoup plus libérale de la société et traversée enfin par des réformes institutionnelles d’ampleur comme la décentralisation, la monnaie unique européenne ou encore le développement spectaculaire des finances sociales. On ne s’étonnera pas que dans ce contexte les limites de l’ordonnance du 2 janvier 1959 aient pu se faire de plus en plus évidentes au fur et à mesure que celle-ci s’est trouvée confrontée à des réalités nationales et internationales fort différentes de celles qui, à l’origine, avaient présidé à l’élaboration du texte23. Prise dans le cadre de la fin des années 1950, dominée par une conception très centralisatrice et très interventionniste de l’État, l’ordonnance en porte incontestablement les marques, reflétant en effet les préoccupations de la société d’après-guerre, alors qu’elle a continué à s’appliquer à un environnement dans lequel des valeurs souvent inverses avaient pris le pas.
37Pour autant, les raisons de la réforme ne se limitent pas à la seule obsolescence d’un texte ni même, à vrai dire, à la seule situation française qui n’a rien de bien singulier. Un peu partout dans le monde les systèmes financiers publics sont pareillement en pleine mutation en faisant l’objet de réformes plus ou moins significatives. Les causes de ces changements sont en réalité complexes, elles ne sont pas exclusivement liées non plus à des nécessités économiques et financières mais également au fait que le contexte politique a changé avec notamment la volonté du législatif d’accroître son pouvoir en matière de finances publiques24. En même temps, c’est sans doute aussi le regard porté par les citoyens sur les dépenses et les recettes publiques qui s’est modifié. L’argent se faisant rare ils se montrent indéniablement plus réceptifs à la question du contrôle des deniers publics, plus intéressés qu’autrefois par l’usage qui en est fait, plus sensibles donc au thème du contrôle de la dépense et à son corollaire, l’utilisation des prélèvements obligatoires. Par voie de conséquence, et dans les attentes à ce sujet, deux logiques viennent dorénavant se côtoyer : la première, d’essence plutôt politique place au premier plan la transparence financière, la lisibilité des budgets et des comptes publics ; la seconde, d’essence plutôt économique, et qui se montre quant à elle essentiellement préoccupée par la rationalisation, l’efficacité et la performance de la gestion de l’argent public favorise dans les esprits la montée d’une culture du contrôle et de la gestion des fonds publics et cela au-delà même du cercle restreint des décideurs politiques et des gestionnaires.
38Si la réforme de notre droit budgétaire public s’imposait, c’est qu’il était impossible de laisser subsister plus longtemps l’écart toujours croissant entre un système budgétaire conçu quasiment exclusivement à travers son aspect normatif (la législation financière), s’appliquant à lui-même des règles autonomes, et un environnement économique et international qui obéit davantage à une logique de gestion. Certes, les objectifs de l’action publique, et donc ses critères d’évolution, ne peuvent être, en tous points, identiques à ceux qui commandent l’existence du secteur privé. Mais la société française, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, appelle une intelligibilité renouvelée dans le fonctionnement de l’État. Et telle est précisément la portée et la signification véritable de la nouvelle loi organique. Il y a bien là, dans le regard porté sur l’action de l’État et l’exigence d’efficacité (au sens large) qu’elle doit désormais privilégier, un changement complet de perspective. Paradoxalement peut-être, c’est à la lumière de celle-ci, qui constitue la trame de la loi organique du 1er août 2001, que l’on est conduit à définir l’étendue des responsabilités et des pouvoirs respectifs des parlementaires et des ministres au regard des finances de l’État.
1 – Une nouvelle présentation des crédits par objectifs : missions, programmes, actions
39La LOLF redéfinit d’abord de manière radicale la présentation du budget et par là même, l’étendue des pouvoirs financiers du Parlement. Ceux-ci portant prioritairement sur la répartition et l’utilisation des crédits en fonction d’objectifs préalablement fixés, le Parlement ne se borne donc plus comme auparavant à faire des choix en termes de moyens. La nouvelle architecture budgétaire s’établit par missions qui elles-mêmes regroupent des programmes, nouvelles unités de répartition des crédits ; la nouvelle structure n’a pas seulement pour effet de donner plus de « lisibilité » au document budgétaire et par conséquent peut être plus d’attrait du fait d’une meilleure visibilité de l’action publique et de ses enjeux financiers ; elle favorise une meilleure cohérence de l’action publique en évitant un trop grand fractionnement des politiques publiques dans l’espace et dans le temps.
40Selon les termes de la loi, les crédits ouverts par les lois de finances pour couvrir chacune des charges budgétaires de l’État sont regroupés par mission relevant d’un ou plusieurs services d’un ou plusieurs ministères. Il s’ensuit que des programmes ayant la même finalité sont regroupés en missions qui peuvent être interministérielles. La mission comprend ainsi un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie. Les crédits destinés à réaliser une action ou un ensemble cohérent d’actions relevant d’un même ministère sont regroupés sous la forme d’un programme.

41Les crédits ouverts sont mis à la disposition des ministres et des responsables de programme sont désignés au sein du ministère. Ces programmes sont ensuite déclinés en Budgets opérationnels de programme (BOP) avec à leur tête un responsable. Ces BOP sont eux-mêmes susceptibles d’être divisés en Unités opérationnelles de programme (UOP) pilotés là encore par un responsable chargé de réaliser les objectifs conjointement fixés avec le responsable du BOP qui a préalablement déterminé ses propres objectifs en concertation avec le responsable du programme. On qualifie cette discussion entre responsables des différents niveaux de « dialogue de gestion ».
42Le dispositif institué par la loi consiste dans la globalisation des crédits et dans leur fongibilité à l’intérieur des programmes. Le gestionnaire public est doté d’une grande autonomie. Il réalise comme il l’entend le programme dont il a la charge et, indiscutablement, ses marges de manœuvre sont très larges ; il peut redéployer les crédits à son gré ; il a la faculté de transformer des crédits de fonctionnement en crédits d’investissement et inversement. Toutefois la fongibilité des crédits ne s’étend pas aux dépenses de personnel, il n’est pas possible d’abonder les crédits de personnels par d’autres. Cette fongibilité est dite asymétrique dans la mesure où des dépenses de personnel peuvent par contre être utilisées pour financer d’autres opérations.
43Il y a bien entendu une contrepartie à cette liberté de choix. Elle consiste dans la responsabilité des gestionnaires vis à vis des objectifs poursuivis et dans leur engagement à devoir réaliser les résultats fixés ; ces derniers doivent ainsi rendre compte de leur gestion et produire un rapport annuel de performances. Des indicateurs permettent d’évaluer la qualité de la gestion accomplie.
2 – Une comptabilité d’exercice et une mesure de la performance
44Ainsi, si les opérations budgétaires sont établies en comptabilité de caisse tant en ce qui concerne les prévisions que l’exécution, la comptabilité générale de l’État est fondée quant à elle sur le principe de la constatation des droits et obligations. Les opérations sont donc prises en compte au titre de l’exercice auquel elles se rattachent, indépendamment de leur date de paiement ou d’encaissement et, en cela, les règles applicables à la comptabilité générale de l’État ne se distinguent de celles applicables aux entreprises (plan comptable général des entreprises) qu’au regard des spécificités de son action. La LOLF institue de la sorte un passage d’une comptabilité de flux à une comptabilité patrimoniale, d’une comptabilité de caisse à une comptabilité d’exercice.
45Le compte général de l’État comprend une balance générale des comptes, un compte de résultat, un bilan et ses annexes, et une évaluation des engagements hors bilan de l’État.
46À première vue, la solution choisie, celle d’une double modalité des enregistrements, n’est pas la plus simple ; en fait, le législateur a entendu traiter différemment les opérations budgétaires et les opérations comptables car il a jugé, d’une part qu’un enregistrement aux encaissements correspond mieux à la réalité de l’exécution du budget et assure une meilleure lisibilité immédiate, d’autre part qu’une comptabilité d’exercice est plus appropriée à la mise en place d’un contrôle de gestion, à une évaluation des performances.
47On ajoutera encore que selon la loi, les comptes de l’État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière.
3 – Un pouvoir d’amendement parlementaire élargi
48Les parlementaires n’ont pas souhaité remettre en cause le droit d’amendement tel qu’il est organisé à l’article 40 de la Constitution de 1958. Ce dernier continue donc à s’appliquer, interdisant toute proposition ou tout amendement qui aurait pour conséquence une augmentation des charges publiques. Toutefois le droit d’amendement a été élargi car les parlementaires ont la faculté soit de créer des programmes à l’intérieur d’une mission en prélevant des crédits sur les autres programmes de la mission (mais en restant dans le cadre du plafond de crédits attribués à celle-ci), soit de répartir autrement les crédits entre programmes d’une même mission, soit encore de supprimer un programme et d’en créer un nouveau.
B – La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008
49Une révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit en droit public financier français deux nouveaux principes, celui de sincérité des comptes publics et celui de programmation pluriannuelle des finances publiques.
1 – Le principe de sincérité des comptes publics
50La loi organique du 1er août 2001 avait introduit un nouveau principe, le principe de sincérité, qui a ensuite été intégré dans la Constitution. Ce principe, tel que posé par la LOLF, s’applique à la fois au budget et aux comptes de l’État :
51S’agissant des lois de finances, la sincérité s’apprécie, selon l’article 32 de la LOLF, « compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ».
52S’agissant des comptes de l’État le principe énoncé par l’article 27, s’entend dans le sens traditionnel que lui donne la doctrine comptable. « Les comptes de l’État doivent être réguliers, sincères, et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ».
53Il convient de souligner que cette triple exigence à laquelle doivent répondre les comptes de l’État, régularité, sincérité, refléter fidèlement son patrimoine et sa situation financière, est désormais d’ordre constitutionnel en étant inscrite dans l’article 47-2 de la Constitution. Comme on l’a dit, l’exigence de régularité et de sincérité des comptes publics a été en effet consacrée dans le cadre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 200825.
2 – Le principe de programmation pluriannuelle des finances publiques
54Une nouvelle catégorie de lois, les lois de programmation pluriannuelle des finances publiques, a été instituée par la loi de révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Selon l’article 34 révisé de la Constitution, « des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État. Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques »26.
55La démarche pluriannuelle trouve dans ce texte une véritable consécration, bien qu’il faille rappeler qu’une loi de programmation est dépourvue de toute force obligatoire sur le plan financier. Ce ne sont pas des lois de finances mais des lois ordinaires. Néanmoins, il était important, par le vote de la représentation nationale, de donner un caractère solennel non seulement aux engagements pris dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance, mais à une logique de gestion de l’État qui représente un véritable tournant et devrait se poursuivre dans la durée.
56Par ailleurs, il est également fondamental que la maîtrise des finances publiques dont il est question soit conçue de manière globale, on veut dire qu’elle prenne en considération les dépenses et les recettes de l’ensemble du secteur public. Il apparaît en effet crucial de cesser de considérer les acteurs et les structures qui composent le système financier public comme des éléments indépendants les uns des autres, voire même antagonistes. Les orientations pluriannuelles auxquelles il est fait référence ici sont celles du système financier public dans sa totalité et il en est de même pour l’équilibre des comptes publics qui doit en découler. Il est à notre sens particulièrement symbolique que cette approche soit inscrite dans un texte constitutionnel. En effet, au-delà des objectifs financiers immédiats qui sont recherchés, la démarche est significative d’une transformation en profondeur du cadre théorique dans lequel sont maintenant pensées les institutions.
57Autrement dit, derrière les normes financières se profile une attitude intellectuelle nouvelle sensible à la fragilité et à la complexité des sociétés contemporaines. Et, sans que cela soit immédiatement identifiable, il n’en demeure pas moins que le succès des politiques d’assainissement des finances publiques en France comme partout ailleurs dépend d’abord, est-on tenté de dire, de cette approche soucieuse de faire ressortir les rapports existants entre les acteurs du système financiers et d’en tirer les conséquences d’un point de vue opérationnel.
Une refondation des systèmes financiers publics
58On l’a compris, il s’agit pour l’État de poursuivre une voie déjà amorcée allant dans le sens d’une régulation globale des finances publiques. Une telle logique s’inscrit dans un projet d’ensemble qui concerne tout à la fois la maîtrise des finances du secteur social, celle des administrations d’État et des collectivités locales, et qui devrait s’étendre dans les années à venir à la totalité du secteur public et para-public. Il s’agit d’une logique de contrôle-régulation qui devrait amener une reformulation de l’un des principes essentiels du droit public financier, le principe d’unité. Plus encore, c’est à la question du pilotage des sociétés contemporaines, plus complexes et plus rapidement changeantes qu’autrefois, que se rattache cette logique et c’est finalement l’adaptation de l’État à son environnement interne et externe qui constitue le motif fondamental des réformes réalisées, en cours ou en discussion.
59On ajoutera que la crise grave qui frappe le secteur public ne fait qu’accélérer une évolution allant dans le sens d’une intégration des acteurs publics, une évolution déjà en germe depuis plusieurs années notamment en ce qui concerne l’État, les collectivités territoriales et les administrations centrales ou déconcentrées. En d’autres termes, cette nouvelle gouvernance financière publique, locale ou nationale, se traduit d’une part par la généralisation d’une autonomie de gestion relative, donc limitée, qui concerne maintenant l’ensemble du secteur public, d’autre part par une réorganisation du processus de décision qui s’incarne dans une rationalisation du pouvoir fiscal. L’ultime étape, à plus long terme, pourrait bien être celle d’une évolution similaire du pouvoir financier de l’État, dans le cadre de l’Union européenne.
60Toutefois, la question qui se pose est celle de la définition à donner à l’autonomie financière de ces structures politiques. Or il peut être parfois plus difficile de l’évoquer ouvertement qu’à y répondre. Le sujet est en effet crucial pour au moins deux raisons : il concerne les solutions à apporter face à un contexte qui s’est complètement transformé depuis ces trente dernières années et il est lié à des représentations et à des constructions institutionnelles ainsi qu’idéologiques parfois pluriséculaires. D’une manière générale, c’est la pertinence des systèmes financiers publics qui est maintenant en cause. Conçus dans des contextes économiques, sociaux, politiques, largement différents de ceux d’aujourd’hui ils ne sont plus adaptés aux enjeux d’une société globalisée en perpétuelle recherche d’équilibre. C’est une réflexion politique au sens fort qui s’avère nécessaire, et ce en vue de dégager une nouvelle conception des rapports financiers entre l’ensemble des acteurs publics. Il s’agit autrement dit de refonder les systèmes financiers publics dans un contexte national et international globalisé.
Notes de bas de page
1 Voir M. Bouvier, M.-C. Esclassan, J.-P. Lassale, Manuel de Finances publiques, Paris, LGDJ, 2010.
2 Art. 14 DDHC : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».
3 Art. 39 : « Les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale ».
4 Art. 47-1 : « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique. Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45. Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance. Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n’est pas en session et, pour chaque assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance, conformément au deuxième alinéa de l’article 28 ».
5 Voir B. Cieutat, « Le projet de la loi de financement de la Sécurité sociale : une innovation ? », dans M. Bouvier (dir.), Innovations, créations et transformations en finances publiques, Paris, LGDJ, 2006. Voir également B. Cieutat : « Qui pilote la mise en place de la réforme des finances sociales ? », dans M. Bouvier (dir.), Réforme des finances publiques : la conduite du changement, Paris, LGDJ, 2007.
6 Voir J.-L. Matt, « Les lois de financement de la Sécurité sociale : vers une intégration dans le budget de l’État », dans M. Bouvier (dir.), Réformes des finances publiques, démocratie et bonne gouvernance, Paris, LGDJ, 2004. Aussi, « Quelle cohérence dans la réforme de la sécurité sociale », dans M. Bouvier (dir.), Réformes des finances publiques, démocratie et bonne gouvernance, Paris, LGDJ, 2007.
7 D’une manière générale, « La Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’application des lois de financement de la sécurité sociale » (art. 47.1 de la Constitution).
8 Voir RFFP, no 97- 2007
9 voir m. bouvier, finances locales, paris, lgdj, 2011, 14e éd.
10 Ce changement total de paradigme fut parfaitement illustré par les propos que tint Ronald Reagan lors de son investiture en tant que Président des États-Unis le 20 janvier 1981 : In this present crisis, government is not the solution to our problem. Government is the problem.
11 Il s’agissait en fait du titre d’un ouvrage publié pour la première fois en 1973 par E. F. Schumacher, un économiste britannique.
12 « La principale de nos conclusions est que la croissance indispensable pour faire reculer la pauvreté et assurer un développement durable réclame un État fort » (dans un rapport de la commission internationale Croissance et développement du 22 mai 2008).
13 « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus » (art. 72 de la Constitution).
14 Voir Ch. Poncelet, « La décentralisation à la croisée des chemins », RFFP, no 81-2003.
15 On ajoutera que tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice et que toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi.
16 La garantie de l’autonomie financière est reconnue non pas aux collectivités locales prises individuellement, mais à leurs catégories, c’est-à-dire les communes, les départements et les régions, ce qui exclut les structures intercommunales.
17 CC 29 décembre 2009, no 2009-599 DC.
18 Voir M. Bouvier, « La réforme de la taxe professionnelle : une refondation de la gouvernance fiscale locale ? », Regards sur l’actualité, no 359-2010.
19 Voir M. Bouvier, « L’autonomie financière locale : illusion ou refondation ? », Rev. Pouvoirs locaux, no 87-2010.
20 Voir M. Bouvier, « La loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances », AJDA, 2001, p. 876. Voir également RFFP, nos 73 et 76-2001 ainsi que RFFP, nos 81 et 82-2003. Voir également A. Barilari, M. Bouvier, La LOLF, une nouvelle gouvernance financière de l’État, Paris, LGDJ, 2010.
21 Proposition « Migaud » du 11 juillet 2000. Il convient de souligner que, contrairement au passé, l’initiative n’est pas venue de l’exécutif. Voir « Les principaux enjeux de la réforme », RFFP, no 73-2001 : Réforme des finances publiques : Réforme de l’État.
22 Comme l’a souligné Laurent Fabius alors ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, « ensemble, Parlement et Gouvernement, majorité et opposition, nous avons su chacun dans notre rôle, chacun avec nos convictions, écrire une page importante de l’histoire budgétaire de notre pays » (Sénat, 28 juin 2001).
23 Sur ces questions, voir RFFP, nos 73 et 76-2001.
24 Voir Colloque Sénat-OCDE des 24 et 25 janvier 2001 : Processus budgétaire, vers un nouveau rôle du Parlement, Paris, Imprimerie du Sénat, juin 2002.
25 Le dernier alinéa de l’article 47 de la Constitution précise en effet que « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ».
26 Loi no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la ve République.
Auteur
Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Directeur de la Revue Française de Finances Publiques
Président de FONDAFIP (www.fondafip.org)
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