Une première occasion manquée en Algérie: le projet de loi Mérilhou
p. 83-114
Texte intégral
1Deux doyens ont donné à la Faculté Jean Monnet de Sceaux une impulsion particulière : le doyen Pierre Pactet a doté le Centre d’Études juridiques de Sceaux de ses troisièmes cycles qui lui ont conféré la stature d’une authentique Faculté de droit ; le doyen Jean-Claude Masclet a transformé la Faculté de droit en Faculté de Droit, Sciences Économiques et de Gestion, parachevant ainsi le processus de totale maturation du centre né des événements de 1968. Ces deux doyens sont, tous deux, d’éminents constitutionnalistes, et, si ma mémoire ne m’a pas totalement abandonné, le second est le disciple du premier. Pour rendre hommage à celui qui présida durant deux mandats au destin d’une Faculté où j’ai eu l’honneur d’enseigner et le plaisir de l’avoir comme collègue, il ne saurait être question d’autre chose que de réflexion constitutionnelle. Telle est la raison pour laquelle j’ai choisi de présenter quelques remarques sur un texte peu connu des débuts de la colonisation française en Algérie : le projet de loi Mérilhou.
2« L’Algérie c’est la France » ! Ce slogan répété à satiété durant toute la période que certains appellent pudiquement « les événements », et d’autres « la guerre », et qui apparaissait aux yeux des colons français comme une évidence durant la première moitié du vingtième siècle, ne s’est pas imposé dans le discours constitutionnel français aussi aisément qu’on voulait le faire croire à cette époque. Il est le produit d’un très lent cheminement parcouru de fortes résistances.
3L’intervention de la France en Algérie est fruit du hasard, ou, pour le moins, d’un concours de circonstances. L’idée de Polignac d’envoyer l’armée française se parer des lauriers d’une gloire aisée, afin qu’elle revienne raffermir une monarchie chancelante se révéla, le 5 juillet 1830, exacte sur le plan militaire avec la prise d’Alger, mais perdit toute utilité politique après les Trois Glorieuses qui chassèrent Charles x du pouvoir et y installèrent Louis-Philippe. Cependant aucune ligne de conduite ferme ne vit le jour durant les quatre années, de 1830 à 1834, que les historiens baptisent période des hésitations ou des incertitudes1. Les avis se partagèrent entre les hommes politiques qui souhaitaient le rembarquement du corps expéditionnaire2 et ceux qui prônaient la mise en place d’une colonisation des terres conquises, voire même leur extension3. Les partisans de la colonisation ne présentaient pas, tant s’en faut, un front uni. Ainsi, parmi de nombreux projets qui virent le jour, d’aucuns prônaient une limitation de la colonisation aux quelques villes occupées par la France, le reste du territoire étant géré par des feudataires locaux4 ; d’autres suggéraient l’annexion progressive par la France des terres colonisées, enfin un Pellissier de Reynaud penchait pour une fusion progressive des populations et des religions chrétiennes et musulmanes, donnant de la sorte naissance à une création originale5.
4C’est dans ces conditions que Joseph Mérilhou6 magistrat, député, pair de France connu en son temps mais depuis lors sombré dans l’oubli le plus complet, farouche partisan de la conservation totale de la conquête, fut conduit à déposer un projet de loi dont l’intérêt est d’avoir été complètement visionnaire et… méconnu ! Ce projet a été visionnaire, en ce sens que dès 1834 il propose un régime qui s’imposera en Algérie, mais quinze à cent-vingt ans après le débarquement de Sidi-Ferruch. Ce projet est méconnu, car ses dispositions ont certes été en large partie reprises dans le droit français mais sans que les auteurs de ces reprises n’aient conscience de leur dette envers Mérilhou.
5Nous avons eu connaissance de ce projet de loi par la publication qui en est faite dans la Revue Africaine. Disons, dès à présent, qu’il ne s’agit pas de la « grande » Revue Africaine7, dont l’existence s’étend de 1856 à 1962, mais de la Revue Africaine : Recueil consacré aux intérêts matériels et moraux des possessions françaises en Afrique et au succès de la colonisation d’Alger, mentionnée par Pellissier de Reynaud dans ses Annales Algériennes8 et qui connut dix livraisons entre août 1836 et mai 18389.
6En sus de nous faire connaître le projet de loi Mérilhou, cette revue présente au moins trois autres mérites.
7Le premier est anecdotique, mais il permet peut-être de résoudre une petite énigme algérienne : pourquoi la grande Revue Africaine porte-t-elle ce titre si peu approprié, alors qu’il s’agit pour l’essentiel d’une revue consacrée à l’histoire de l’Algérie et qui ne déborde pas le cadre du Maghreb ? Cette anomalie peut s’expliquer par l’existence de notre première Revue Africaine qui voit le jour (1836) alors que la dénomination d’Algérie n’existe pas encore de façon officielle10 ; à cette époque, on parle de « possessions françaises dans le nord de l’Afrique »11. Le titre choisi : Revue Africaine (consacrée) au succès de la colonisation d’Alger, est donc parfaitement correct. Cette revue est fondée par deux avocats, Franque et Firbach, elle comporte également parmi les membres de son comité de rédaction un certain Adrien Berbrugger, celui-là même qui deviendra le premier rédacteur en chef de la (grande) Revue Africaine12. La participation de Berbrugger à la première Revue Africaine explique vraisemblablement pourquoi il fit revivre ce titre à travers celle, la grande, qu’il devait diriger pendant quatorze années.
8En second lieu, toute la période qui s’étend de 1834 à 1842, période que les historiens ont pris l’habitude de baptiser « occupation restreinte »13 est marquée par une vive opposition entre les colonistes et les anticolonistes. Les uns et les autres ont pleinement conscience de la fragilité du statu quo créé par l’ordonnance de 1834. L’occupation restreinte ne favorise pas l’extension de la colonisation et le principe même de la présence française est à la merci d’un simple rembarquement du corps expéditionnaire. La Revue Africaine, créée par des colonistes déclarés, pour ne pas dire enragés, et parue durant les années 1836, 1837 et 1838, permet de tâter finement le pouls de ce lobby et de voir se développer, au gré des circonstances, son argumentation, voire une large partie de sa stratégie, qui vise à la colonisation totale de l’Algérie.
9Enfin, la Revue Africaine fait intervenir un personnage fondamental dans la connaissance des premières années de la colonisation de l’Algérie : Edmond Pellissier de Reynaud14. Cet acteur et observateur de la colonisation de l’Algérie est mentionné à plusieurs reprises dans la Revue Africaine ; son audience est telle que, dès le troisième fascicule, en avril 1837, le titre de la revue est suivi d’un sous-titre éloquent : « Faisant suite aux Annales Algériennes de M. Pelissier [sic], capitaine d’état-major ». Ce sous-titre disparaît en 1838, Pellissier ayant fait connaître son intention de ne pas donner suite à une collaboration étroite avec la Revue15. Il n’en demeure pas moins que le bref cheminement commun de Pellissier et de Franque, le rédacteur de la Revue16, est loin d’être dépourvu d’intérêt et se devait d’être rappelé.
10Le projet de loi Mérilhou est mentionné dans le premier numéro de la Revue Africaine17. Le rédacteur de la Revue, Franque, nous indique que le projet fut conçu en 1834, mais qu’il ne fut pas soumis à la chambre, les esprits et le gouvernement n’étant pas encore prêts à accepter une telle solution pour l’Algérie. Il est vraisemblable que Mérilhou rédigea son projet immédiatement après la publication du rapport final de la commission d’Afrique, c’est-à-dire après le 7 mars 183418. La commission se prononçait pour que, jusqu’à nouvel ordre, la France restât en Algérie et que son occupation se bornât aux points du territoire déjà sous sa maîtrise : Alger, Oran, Bejaia et Annaba19. Elle recommandait de mener la colonisation avec la plus extrême prudence20. Ces suggestions trouvèrent leur expression dans l’ordonnance prise au mois de juillet 183421. Dans ces conditions et en prenant en considération son contenu, on comprend aisément que le projet Mérilhou était, pour le moins, inopportun.
11Voici le texte22 :
Projet de loi (9 mars 1834)
12Art. 1. Les pays connus sous le nom de Régence d’Alger et de ses dépendances sont définitivement réunis au territoire français, et formeront la 21e division militaire.
13Art. 2. Les lois françaises y seront mises en vigueur le sept août de la présente année.
14Art. 3. Les individus nés et domiciliés dans ledit territoire au moment de la promulgation de la présente loi, sont déclarés citoyens français, sans distinction de religion, de couleur, ni d’origine, à la charge par eux de faire, dans les six mois de la présente loi, la déclaration qu’ils entendent réclamer la qualité de citoyens français.
15Art. 4. L’esclavage est aboli dans le territoire d’Alger et de ses dépendances. Le commerce d’esclaves y est défendu sous les peines portées par les lois. Tout individu introduit à titre d’esclave dans ledit territoire, postérieurement à la présente loi est déclaré libre.
16Quant à ceux qui étaient en état d’esclavage avant l’entrée des Français, il sera statué par une loi postérieure sur les moyens d’effectuer leur émancipation.
17Ceux qui sont nés d’une mère esclave, depuis l’entrée des Français, et ceux qui en naîtront à l’avenir, sont déclarés libres et l’état pourvoira à leur subsistance jusqu’à ce qu’ils soient en âge d’y pourvoir eux-mêmes.
18Art. 5. L’exercice de la religion musulmane et de la religion juive, ainsi que la conservation des fondations religieuses affectées au service desdits cultes sont solennellement garantis.
19Art. 6. Aussitôt que le territoire d’Alger et de ses dépendances aura 180 000 âmes de population, il enverra deux membres à la chambre des députés, nommés dans les formes voulues par la loi.
20Art. 7. Les immeubles situés dans ledit territoire d’Alger et de ses dépendances, qui n’appartiennent pas à des particuliers, sont déclarés domaines de l’état.
21En conséquence, l’administration de l’enregistrement et des domaines en prendra possession dans le plus bref délai : elle en fera dresser un état avec l’indication de la nature de la culture et de la contenance, et procédera à la vente en divisant les terrains par lots de 50 hectares.
22Le prix en provenant sera appliqué, concurremment avec le produit des impôts et autres revenus publics, à couvrir les frais de l’administration civile et militaire du pays, et le surplus à des travaux d’utilité locale.
23Art. 8. Les militaires de tous grades qui auront servi dans l’armée française à Alger ou dans les dépendances, recevront à l’époque de leur libération ou de leur retraite du service, une donation de terres d’une étendue de 50 à 500 hectares, suivant leurs grades, d’après la proportion qui sera fixée pour chaque grade par une ordonnance du roi.
24Lesdites terres seront possédées et transmises par les donataires conformément aux lois ordinaires, mais sous la condition du défrichement dans l’année de la délivrance du titre de propriété, lequel pourra être annulé par le Gouvernement, faute d’accomplissement de ladite condition.
25Art. 9. Pendant les cinq ans qui suivront la promulgation de la présente loi, le Gouvernement aura le droit de statuer, par des ordonnances royales, sur les points à l’égard desquels il ne croirait pas la législation française applicable au territoire de la régence d’Alger.
26À l’expiration desdites cinq années, lesdites ordonnances cesseront d’avoir leur effet, à moins qu’elles n’aient été confirmées par une loi.
27Art. 10. Dans cinq ans à dater de ce jour, le Gouvernement présentera aux chambres un projet de loi pour établir la division dudit territoire en communes, cantons et arrondissements, pour former un ou plusieurs départements.
28Ce texte, fort bref, propose ainsi des solutions dans trois domaines : le statut du territoire de l’Algérie, le statut politique des populations de l’Algérie et, enfin, quelques mesures relatives à la colonisation. Sur ces trois points, ainsi que nous l’avons déjà écrit, Mérilhou avance des propositions qui ne seront mises en œuvre que plusieurs décennies, voire plus d’un siècle, après avoir été formulées. Les propositions de Mérilhou en matière de colonisation, pour intéressantes qu’elles soient, ne retiendront pas notre attention23, nous nous attacherons essentiellement au statut du territoire et à celui des populations de l’Algérie.
I – Le statut territorial de l’Algérie
29Lorsque Mérilhou envisage de présenter son projet de loi, en mars 1834, la plus grande confusion règne sur le territoire algérien. Aucun texte officiel ne se hasarde à qualifier juridiquement la présence française ni à légitimer cette dernière. La France était intervenue pour « châtier » une prétendue insulte faite à son consul, pour assurer la sécurité en Méditerranée menacée par des « pirates » qui ne sévissaient plus réellement depuis des décennies. Les présupposés culturels, justificatifs du processus colonial, n’étaient pas encore établis. En outre, l’étendue exacte de l’emprise française ne pouvait être précisée ; réellement et militairement elle s’étendait à quatre agglomérations d’inégale importance : Alger, Oran, Annaba et Béjaia, virtuellement elle pouvait recouvrir tout un pays dont la configuration et les limites demeuraient inconnues24. Telles sont les raisons, parmi d’autres, pour lesquelles les premiers textes qui consacrent l’occupation française se bornent à décrire sommairement le jeu des institutions destinées à régler, au quotidien, la vie administrative du corps expéditionnaire ainsi que celle de la population d’origine européenne débarquée dans le sillage du premier, sans chercher à préciser le statut juridique du pays, ni celui de ses habitants. Il est vrai cependant que le mot « Algérie » figure dans ces tout premiers textes concernant le fonctionnement des institutions mises en place dans les zones occupées par l’armée française25, mais l’utilisation de ce néologisme souligne davantage, selon nous, le trouble du gouvernement français quant à la qualification de la situation locale, plutôt qu’il ne clarifie cette dernière. Pour s’en convaincre, il suffit de lire avec attention la totalité de ces textes. L’ordonnance du 1er décembre 1831, dans son préambule, commence par dire : « Considérant que s’il a été nécessaire dans les premiers temps qui ont suivi l’occupation du pays d’Alger » ; elle poursuit en déclarant : « La direction et la surveillance de tous les services civils en Algérie ». Il est évident que le mot « Algérie », créé pour la circonstance, sert à masquer l’incapacité dans laquelle on se trouve à l’époque de déterminer l’étendue de la zone occupée ainsi que la nature de cette occupation. Cette évidence est renforcée par le fait que cinq jours plus tard, dans une nouvelle ordonnance, le mot Algérie disparaît pour laisser la place à une périphrase : « Le général commandant à Alger aura le titre de commandant en chef le corps d’occupation d’Afrique… Le général commandant en chef pourvoira à la conservation, à la défense et à la sûreté des possessions françaises en Afrique »26.
30Le 22 juillet 1834 une ordonnance royale, brève et décisive, consacre le système de l’occupation restreinte : « Le commandement général et la haute administration des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique (ancienne régence d’Alger) sont confiées à un gouverneur général »27. Désormais l’appellation officielle devient : « Possessions françaises dans le Nord de l’Afrique » et pour que toute ambiguïté soit levée, il est ajouté : « (ancienne régence d’Alger) ». Il s’agit donc bien d’une désignation du territoire occupé par la France à la suite de l’expédition d’Alger, mais le texte ne va pas au-delà, il ne précise pas ce qu’il faut entendre par « possessions ». Certes, depuis la Restauration et sous la Monarchie de Juillet, nous ne sommes plus dans l’idéologie républicaine et il est difficile de parler de l’unité et de l’indivisibilité des terres républicaines, surtout celles conquises de fraîche date28, mais la notion de colonie aurait pu être utilisée, elle figure dans la Charte29. L’ordonnance ne se prononce pas non plus sur le caractère définitif ou provisoire de cette possession ; Elle se contente d’énoncer les institutions qui concourent à l’administration des diverses populations placées sous l’autorité de l’armée française dans le nord de l’Afrique. En définitive ce texte conserve un caractère ambigu. S’il pose le principe de l’occupation restreinte pour l’année 1834, il ne s’engage pas pour l’avenir, l’hypothèse d’un rembarquement du corps expéditionnaire ne saurait être théoriquement exclue30.
31En comparaison le projet Mérilhou témoigne d’une véritable originalité. À l’inverse de l’ordonnance de 1834, il s’attache essentiellement à la préoccupation majeure des colonistes : rendre le territoire de l’Algérie définitivement indissociable de celui de la métropole. Mérilhou semble être parfaitement conscient des difficultés intellectuelles que suscite cette opération : le territoire visé n’est pas délimité, il est appelé à changer par voie d’extension, les institutions qui concourent à sa gestion ne sauraient qu’être exorbitantes du droit commun, etc., aussi procède-t-il selon un schéma que l’on pourrait qualifier d’évolutif.
32L’article 1er proclame que le territoire de la Régence d’Alger est définitivement réuni au territoire français. Ce texte, bien que laconique, règle toute une série de préoccupations propres aux colonistes de l’époque. Pour éviter de définir ce qui doit devenir l’Algérie, Mérilhou utilise une longue périphrase tout à la fois suffisamment vague et précise pour autoriser toutes les interprétations31. Cette démarche témoigne du fait qu’en 1834 nul n’est capable de tracer, ne serait-ce qu’approximativement, les confins de l’actuelle Régence, de la future Algérie32 ; mais le désir d’annexion, à terme, de l’ensemble du territoire compris entre le royaume du Maroc et le beylik de Tunis – aux limites tout aussi imprécises que celles de l’Algérie à l’époque – ressort clairement de cet article. L’emploi de l’adverbe « définitivement » témoigne de la volonté de sortir de la période des hésitations pour entrer dans celle du maintien délibéré et permanent de la présence française.
33Le caractère évolutif de la démarche de Mérilhou, ressort de la juxtaposition des articles 1, 6 et 10 du projet de loi.
34Art. 1er : Les pays connus sous le nom de Régence d’Alger… formeront la 21e division militaire.
35Art. 6 : Aussitôt que le territoire d’Alger… aura 180 000 âmes de population, il enverra deux membres à la chambre des députés.
36Art. 10 : Dans cinq ans à dater de ce jour, le Gouvernement présentera aux chambres un projet de loi pour établir la division dudit territoire en communes, cantons et arrondissements, pour former un ou plusieurs départements.
37Si le principe posé est celui de l’assimilation de la Régence d’Alger à la France, cette assimilation demeure cependant subordonnée à la réalisation de plusieurs conditions, dont deux, semble-t-il, sont clairement soulignées par notre auteur.
38La première condition est territoriale. En 1834, l’occupation française se borne à quatre agglomérations : Alger, Annaba, Béjaia et Oran33. La population d’origine européenne (population française comprise) s’élève à 9 750 personnes34 ; en revanche la présence militaire est plus importante : 29 858 soldats35. La faiblesse de la population civile36 ne permet pas encore de transposer les institutions politiques, administratives et civiles en Algérie, mais il est possible d’introduire les structures militaires. C’est ce que propose Mérilhou, en déclarant que l’actuelle partie occupée de la Régence formera la 21e région militaire ; effectivement, le nombre important de soldats en Algérie permet de réaliser ce qui, cependant, ressemble quelque peu à un tour de passe-passe, en effet parler de « 21e région militaire »37 revient à inscrire la Régence d’Alger dans le prolongement immédiat des 20 autres régions métropolitaines, mais c’est également glisser rapidement sur le fait que le territoire de cette 21e région est tout à la fois éclaté, peu consistant et reposant sur la dynamique expéditionnaire.
39C’est très certainement pour cette raison que Mérilhou n’envisage pas une installation immédiate des autres institutions. Anticipant sur la continuation de l’extension territoriale, Mérilhou donne cinq ans au gouvernement pour accomplir une conquête suffisamment consistante pour former au moins un département38. Deux conséquences découlent de cette disposition : l’introduction de la notion de département a pour corollaire la mise en place des principales structures administratives françaises en Algérie ; celle-ci sera dès lors assimilée totalement à la métropole ; mais, à l’inverse, si dans les cinq années à venir l’armée n’est pas parvenue à « sécuriser » un territoire correspondant à la superficie d’un département métropolitain, le statut de l’Algérie, voire son éventuel abandon, reviendra à l’ordre du jour. Mérilhou reste cependant silencieux sur un point : les quatre points détenus par la France, sont distants les uns des autres de 200 à 800 kilomètres, il est donc peu vraisemblable qu’il ait envisagé un département éclaté en quatre morceaux aussi éloignés les uns des autres, il est beaucoup plus probable que le territoire appelé à former un département doit être d’un seul tenant, et telle est sans doute la raison pour laquelle Mérilhou envisage l’éventualité d’une pluralité de départements (« un ou plusieurs départements »), celle-ci peut advenir dans l’hypothèse d’un accroissement simultané du territoire de chacun des quatre sites occupés, voire à partir d’un site nouveau39.
40La seconde condition est liée à la réussite de la colonisation. Cette dernière dépend de l’installation d’une population européenne suffisamment nombreuse sur le territoire de la Régence. À l’article 6 de son projet, Mérilhou évalue le nombre critique de colons nécessaires : 180 000. Dès que ce chiffre sera atteint, l’Algérie pourra envoyer deux députés à la chambre. Cette disposition est tout à la fois audacieuse et particulièrement floue. Il s’agit là du signe le plus fort qui pouvait être adressé au parti de la colonisation ; si l’Algérie est habilitée à élire des députés, c’est bien qu’elle est partie intégrante du territoire français, que sa population (pour partie au moins) est considérée comme constituée de citoyens. Mais, au regard de ce qui peut être considéré, en 1834, comme une audace proche de la provocation, que de questions et d’interrogations ! Que faut-il entendre par cette formule : « Aussitôt que le territoire d’Alger et de ses dépendances aura 180 000 âmes de population… » ? S’agit-il du seul territoire d’Alger stricto sensu ? « Alger et ses dépendances » désigne-t-il l’ensemble des points occupés par l’armée française ? Une comparaison avec l’article 1er du projet pourrait faire pencher en faveur de la seconde interprétation, mais il n’y a pas une concordance de termes complète ; dans le cas de l’article 1er il est question de « Régence d’Alger et de ses dépendances », dans le cas de l’article 6, nous avons « territoire d’Alger et de ses dépendances ». Même en optant pour la seconde hypothèse, des zones d’ombre subsistent : sur quelle base calculer les 180 000 âmes ? S’agit-il de l’ensemble de la population ? S’agit-il des seuls colons ? Des colons d’origine française ? d’origine européenne ? Faut-il comptabiliser les femmes et les enfants ? Si la démarche de Mérilhou est évidente et réaliste : l’assimilation de l’Algérie à la France est subordonnée à la réussite du mouvement de colonisation, en revanche l’indicateur choisi demeure singulièrement imprécis, d’autant plus que la finale du texte prête elle aussi à confusion : les députés seront nommés dans les formes voulues par la loi. S’agit-il de la loi électorale générale française ou d’une loi propre à l’Algérie ainsi que l’autorise l’article 9 du projet.
41Par delà les interrogations, les questions sans réponse, il n’en demeure pas moins que le projet Mérilhou présente une grande qualité, celle du réalisme. L’auteur semble avoir, mieux que quiconque, cerné les données exactes du problème. La nécessité de sortir de l’ambiguïté, de définir une politique claire et ferme vis-à-vis de notre présence sur le territoire de l’Algérie. Cette présence, selon Mérilhou, n’est pas uniquement militaire, elle est coloniale, mais la réussite de cette politique coloniale n’est pas encore, en 1834, établie. La preuve de la réussite sera faite lorsque la France occupera un territoire suffisamment consistant pour former au moins un département et lorsque la population ralliée à l’idée de souveraineté française atteindra 180 000 âmes.
42La question que l’on pourrait se poser est pourquoi Mérilhou, lui aussi, ne recourt pas au concept de colonie qui figure dans les deux chartes de 1814 et 1830 et qui régit le statut des territoires situés hors de la France métropolitaine40. Sans doute en raison du contexte. Déjà la société d’Ancien Régime et les premiers régimes révolutionnaires s’affrontèrent à propos de l’exploitation des colonies et sur la question de l’esclavage41 ; il faut attendre la Convention pour assister à l’abolition de l’esclavage et à l’octroi de la citoyenneté française aux anciens colonisés42. Le Directoire procédera à l’assimilation du territoire colonial à celui de la métropole43. Bonaparte, quant à lui, adopte une démarche beaucoup plus pragmatique. S’agissant des anciennes colonies il réintroduit tout à la fois l’esclavage44 et la notion de colonie en précisant que ces dernières seront régies par des dispositions spéciales45 ; s’agissant de nouvelles acquisitions, l’Égypte par exemple, il s’engage à respecter la culture et les institutions de ses nouveaux administrés46. Mérilhou est marqué, tout à la fois, par l’idéologie de la Convention et ses convictions napoléoniennes. Ceci explique qu’il emprunte tant à l’une qu’aux autres. À la Convention et au Directoire il reprend les deux notions de rattachement au territoire français et de citoyenneté française, à Napoléon il emprunte le concept de lois spéciales régissant les territoires nouvellement acquis, mais pendant une durée déterminée seulement.
43Il reste à s’interroger sur le devenir des idées de Mérilhou en matière territoriale. En 1842, alors que les combats mettent aux prises Abd-el-Kader et Bugeaud pour la maîtrise de l’Algérie, un arrêté ministériel partage le territoire en trois divisions militaires organisées autour d’Alger, Constantine et Oran, il s’agit d’un premier pas vers l’intégration militaire de l’Algérie47.
44En 1845, l’ordonnance royale des 15 avril et 31 août, fixe la nouvelle organisation de l’Algérie48. Le rapport au roi qui accompagne cette ordonnance est éloquent, les services du maréchal Soult, considèrent que la colonisation de l’Algérie est en voie de réalisation et qu’il convient d’introduire un mode de gestion qui tienne compte des spécificités des diverses populations en présence49. Ainsi, le territoire de l’Algérie est divisé en trois provinces, Alger, Constantine et Oran50. À l’intérieur de chaque province il existe des territoires civils, des territoires mixtes51 et des territoires arabes déterminés en fonction de l’importance de la population européenne52. Ainsi, le rapprochement avec le statut métropolitain est dicté par le degré supposé d’assimilation de la population et ce dernier dépend de l’origine européenne des individus, ou, pour être plus précis, de leur culture chrétienne. Un paysan calabrais, un ouvrier maltais sera réputé plus français, ou, pour le moins, « plus francisable » que n’importe quel autre Algérien. Ceci est clairement énoncé dans le rapport qui accompagne le projet d’ordonnance : « car la même province, le même arrondissement, le même cercle… suivant la différence des mœurs et les besoins qui y règnent, exige de toute nécessité un régime administratif différent »53. Au demeurant l’ordonnance de 1845 reprend l’idée, déjà exprimée par Mérilhou et l’ensemble des colonistes, selon laquelle la colonisation de l’Algérie ne saurait se faire sans l’apport d’une population européenne dense et nombreuse54.
45C’est en 1848 que la situation bascule. Les mesures prônées par Mérilhou, vont alors être largement adoptées. L’Algérie est déclarée territoire français55. Elle demeure partagée en trois provinces, mais le territoire de chaque province est subdivisé en département et en territoire militaire56. Chaque département algérien est théoriquement soumis au même régime administratif que les autres départements métropolitains, sauf… les exceptions résultant de la législation spéciale de L’Algérie57. Enfin, l’Algérie est habilitée à envoyer quatre députés à l’Assemblée constituante, cette disposition est reprise dans la Constitution de 184858. L’essentiel du projet Mérilhou, dans sa partie relative au territoire de l’Algérie, se trouve ainsi mis en œuvre quatorze années après son élaboration ; et encore…! la Constitution de 1852 ne reprendra pas l’idée de représentants élus des Français d’Algérie. Il faut attendre le décret du 24 octobre 1870 pour que chacun des trois départements algériens puisse participer à la désignation de représentants : deux par département en 187059, mais seulement un seul en 187560. Par la suite ces chiffres ne feront que croître proportionnellement à l’augmentation de la masse des citoyens en Algérie61.
46Ainsi, pour ce qui est du statut du territoire de l’Algérie, Mérilhou fait preuve d’une originalité certaine, il anticipe la volonté législative de près d’une quinzaine d’années, sa démarche peut être qualifiée d’audacieuse, mais elle demeure réservée si on la compare à ses propositions concernant les droits politiques conférés à la population de l’Algérie dont certaines peuvent être qualifiées de révolutionnaires.
II – Le statut politique des Algériens
47C’est aux articles 3, 4 et 5 de son projet, que Mérilhou envisage le statut juridique des populations résidant en Algérie.
48Art. 3. Les individus nés et domiciliés dans ledit territoire au moment de la promulgation de la présente loi, sont déclarés citoyens français, sans distinction de religion, de couleur, ni d’origine, à la charge par eux de faire, dans les six mois de la présente loi, la déclaration qu’ils entendent réclamer la qualité de citoyens français.
49Art. 4. L’esclavage est aboli dans le territoire d’Alger et de ses dépendances. Le commerce d’esclaves y est défendu sous les peines portées par les lois. Tout individu introduit à titre d’esclave dans ledit territoire, postérieurement à la présente loi est déclaré libre.
50Quant à ceux qui étaient en état d’esclavage avant l’entrée des Français, il sera statué par une loi postérieure sur les moyens d’effectuer leur émancipation.
51Ceux qui sont nés d’une mère esclave, depuis l’entrée des Français, et ceux qui en naîtront à l’avenir, sont déclarés libres et l’état pourvoira à leur subsistance jusqu’à ce qu’ils soient en âge d’y pourvoir eux-mêmes.
52Art. 5. L’exercice de la religion musulmane et de la religion juive, ainsi que la conservation des fondations religieuses affectées au service desdits cultes sont solennellement garantis.
53Lorsque l’on considère respectivement ces trois articles il saute immédiatement aux yeux que l’article 4, consacré à l’abolition de l’esclavage, a été rédigé avec le plus de soin, avec le plus grand souci d’entrer dans les détails. Pourtant ce sont les articles 3 et 5, relatifs au statut politique des habitants de l’ex Régence passée sous domination française, qui présentent le plus d’intérêt.
54La question de l’esclavage, qui avait déjà fait débat durant la Révolution, resurgit en 1830 à la faveur des Trois Glorieuses qui firent naître, en ce domaine, bien des espoirs62. L’année 1834, en particulier, est marquée par l’abolition de l’esclavage en Angleterre, par l’émergence de la Société française pour l’abolition de l’esclavage, sorte de résurgence de la Société des amis des Noirs63. Ces diverses considérations expliquent l’intérêt porté par Mérilhou à la question de l’esclavage en Algérie. Au demeurant ses sympathies révolutionnaires ne pouvaient que le conduire à se préoccuper du sort des esclaves ; enfin, l’image véhiculée de l’Algérie avant sa conquête était celle d’un pays qui, sans pratiquer réellement la traite, s’adonnait à l’esclavage : l’esclavage des Noirs64 et celui des chrétiens, même si ce dernier était en voie de disparition depuis 181665. Mérilhou ne se préoccupe que des Noirs, car il est évident, dans son esprit, que la prise d’Alger a eu pour effet de rendre la liberté aux chrétiens. Le territoire occupé par l’armée ayant été rattaché au territoire français, il en découle que l’esclavage ne saurait être toléré, en conséquence l’esclavage y est aboli. Ce principe proclamé, Mérilhou adopte une attitude beaucoup plus prudente ; sans doute a-t-il été renseigné, par quelque informateur, de la situation prévalant en Algérie. Les personnages indigènes influents demeurent attachés à l’esclavage, posséder des esclaves est un signe de prestige social. Aussi Mérilhou distingue-t-il la population servile existant au moment de l’occupation du territoire par l’armée française, de celle qui pourrait se former sur ce territoire postérieurement66. La première fera l’objet d’une émancipation dont les conditions de mise en œuvre seront déterminées par une loi ultérieure. Notre auteur considère qu’il est primordial de poser le principe de l’abolition, mais renvoie à des discussions législatives futures les questions telle l’éventuelle indemnisation des anciens propriétaires d’esclaves. En revanche, les personnes qui pourraient tomber en servitude du fait de leur naissance ou du fait d’une négociation commerciale, seront déclarées libres. Il ne s’agit pas là d’une simple attitude de principe de notre auteur, ce qui lui importe est de poser le principe de l’abolition et de le rendre le plus effectif possible. Nous en voulons pour preuve le passage dans lequel il envisage le sort des enfants nés d’une mère esclave depuis l’entrée des Français à Alger ; la mère verra son sort réglé par la loi ultérieure, les enfants, en revanche sont déclarés libres et comme personne n’est tenu de les prendre en charge67, c’est l’État qui assumera cette obligation. Néanmoins, il est un point sur lequel Mérilhou demeure muet : quel sera le statut politique des anciens esclaves affranchis ? Notre auteur se contente d’écrire qu’ils seront libres ; pourtant il ne saurait méconnaître la loi de 1833 qui confère la nationalité française aux anciens esclaves des colonies68. C’est donc volontairement qu’il se garde de trancher cette question en s’appuyant sur le fait que l’Algérie ne relève pas, stricto sensu, des colonies françaises.
55Mérilhou n’avait pas tort de se préoccuper du sort des esclaves, en effet, ici encore, il fallut attendre 1848 pour qu’un début de solution soit adopté. Les différents gouverneurs de l’Algérie, ne voulant pas heurter leurs administrés, surtout les plus influents d’entre eux, préférèrent laisser cette question en suspens69. En 1848, par le décret du 27 avril, V. Schoelcher fit proclamer l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies et possessions françaises70. Le texte ne suscita guère d’écho en Algérie, le gouverneur général se borna à le viser71 et, dans l’ensemble, la commission de mise en œuvre du décret évalua le nombre d’esclave résidant dans les territoires civils, c’est-à-dire les futurs départements, à 18 329, lesquels obtinrent leur affranchissement. En revanche, dans les territoires mixtes et militaires, aucune mesure d’application réelle ne fut réellement prise. Un voile discret fut jeté sur ce genre de pratiques, les marchés d’esclaves entrèrent dans une clandestinité plus ou moins tolérée, et, selon Ch.-A. Julien, une forme d’antagonisme s’établit entre les officiers de l’armée favorables à l’abolition dans laquelle ils voyaient la possibilité d’un recrutement possible des noirs d’une part, et les officiers des bureaux arabes, hostiles à des affranchissements automatiques qui pouvaient se révéler source de tensions avec la population locale d’autre part72. Ajoutons, enfin, que l’abolition de l’esclavage présentait une difficulté qui n’était pas des moindres. La plupart des auteurs s’accordent sur le point que le statut de l’esclave en Algérie est proche de celui d’un domestique non rémunéré, il ne suscitait donc pas la même compassion que l’esclave des plantations antillaises73 ; par ailleurs le décret du 27 avril 1848 ne pouvait concerner que la population placée sous l’autorité des chefs militaires français, c’est-à-dire la population résidant de façon constante dans les territoires durablement annexés ; il était pratiquement impossible de l’appliquer au reste de la population de l’Afrique du Nord, dont une partie était nomade et pouvait même se prévaloir de la Convention de 1830 garantissant leurs droits antérieurs. Toutes ces considérations, ces contingences expliquent sans doute, par delà d’éventuels réflexes racistes, l’attitude timorée des autorités militaires françaises74.
56Même si le décret de 1848 ne fut que partiellement appliqué, il n’en demeure pas moins que Mérilhou, en proposant dès 1834 d’abolir l’esclavage, fit preuve en ce domaine d’une prescience remarquable. Ce don si particulier d’aller au devant des difficultés réelles et de tenter d’y apporter une solution durable, va se révéler dans tout son éclat lorsqu’il s’agit de donner un statut à l’ensemble de la population algérienne.
57Le premier texte qui se prononce sur le statut de la population locale après la prise d’Alger est la convention de 1830, encore ce texte concerne-t-il davantage le sort du dey et de la milice d’Alger ; trois paragraphes leur sont dédiés, alors qu’un seul et unique se borne à disposer : « L’exercice de la religion musulmane restera libre. La liberté des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leur commerce, leur industrie ne recevront aucune atteinte. Leurs femmes seront respectées. Le général en chef en prend l’engagement sur l’honneur »75. À lire ce texte, par delà ses redondances76, il apparaît qu’il s’agit essentiellement de l’engagement pris par Bourmont de ne pas livrer la ville au pillage. Notons que la population de la ville est appelée : « habitants », sans autre qualification juridique. Cette attitude perdure pendant des décennies. La qualification du territoire occupé par l’armée française s’est révélée particulièrement ardue à mettre en œuvre, la même difficulté se retrouve lorsqu’il s’agit de la population. Longtemps on se contente, dans les textes officiels, d’utiliser un terme vague et générique : les habitants, les indigènes, les musulmans, les Arabes77. Le lieu, la religion, la « race », servent indifféremment à effectuer la distinction entre l’occupant et l’occupé. Ainsi, sur le territoire de l’Algérie, cohabitent des indigènes arabes ou israélites, des Français et des Européens78. La constitution de 1848 qui rattache le territoire de l’Algérie à la France, demeure muette en ce qui concerne la population.
58Il faut attendre 1865 pour trouver un début de solution. Le Sénatus-consulte des 14 juillet et 16 août 1865, dans son article 1er, déclare : « L’indigène musulman est français ; néanmoins il continuera d’être régi par la loi musulmane. – Il peut être admis à servir dans les armées de terre et de mer. Il peut être appelé à des fonctions et emplois civils en Algérie – Il peut, sur sa demande être admis à jouir des droits de citoyen français ; dans ce cas il est régi par les lois civiles et politiques de la France »79. Ce texte, ainsi que l’a fort bien rappelé Annie Rey-Goldzeiguer80, ne satisfera personne et ne constitue même pas une demi-mesure. La terminologie est imprécise, voire outrée ; que faut-il entendre par « indigène » musulman ? Que tous les indigènes sont musulmans ? Qu’il existe des indigènes non musulmans dont le statut ne serait pas réglé ? Qu’est-ce que cette « loi musulmane » qui régit le statut des indigènes ? Toutes ces imprécisions traduisent l’embarras dans lequel la détermination du statut des Algériens plonge le législateur, qui, pourtant, sur ce point se contente de reprendre la jurisprudence locale et nationale81.
59En réalité, le sénatus-consulte remet au goût du jour le système de « catégorisation » du droit romain d’après lequel les sujets de l’empire, en fonction des droits exercés, relevaient de catégories juridiques bien différenciées et hiérarchisées.
60Désormais on rencontre quatre catégories de ressortissants en Algérie : le citoyen français, le Français indigène musulman, le Français indigène israélite – tous deux qualifiés de sujets – et l’étranger82. Les membres des trois dernières catégories sont admis à la citoyenneté française à condition de satisfaire à plusieurs conditions et, en particulier, de renoncer à leur statut personnel pour être entièrement soumis au statut civil français83. Ainsi le territoire de l’Algérie est considéré comme identique au territoire de la France, mais la population d’origine, même si elle est déclarée française, ne peut exercer les mêmes droits qu’une personne née en France. Déjà pointe l’idée que la citoyenneté française, lorsqu’elle n’est pas obtenue automatiquement, doit se mériter. Cette affirmation, que l’on retrouve jusqu’à nos jours, repose sur le présupposé colonial que celui qui va « bénéficier » de la citoyenneté française est originellement d’une essence inférieure et doit donc faire un effort pour mériter, justifier cet accès à une catégorie supérieure.
61Après la Première Guerre mondiale, en considération du lourd tribut payé par la population maghrébine, une loi84 vient assouplir les conditions d’acquisition de la citoyenneté française85, mais elle maintint la catégorie des Français indigènes musulmans tout en améliorant quelque peu leur condition. Cette loi aboutissait à créer des indigènes musulmans citoyens et des indigènes musulmans non citoyens86.
62La dernière étape est franchie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par la loi du 7 mai 1946, dite loi Lamine-Gueye, aux termes de laquelle tous les ressortissants de l’Algérie sont déclarés citoyens français, sans pour autant devoir renoncer à leur statut personnel87. L’art de la « catégorisation »88 ne disparaît pas pour autant, car désormais on distingue le citoyen de statut français du citoyen de statut local. Il apparaît ainsi que la substitution totale concerne le seul système juridique français, et non pas son objet : l’être auquel il s’applique. Ce dernier conserve toujours un élément qui le différencie, qui le rend étranger, différent au regard du « Français de souche ». Il est vrai, à l’inverse, que ce « système juridique français » ne présente qu’un attrait médiocre au regard du colonisé. Le faible nombre de demandes de naturalisation, déposées entre 1865 et 1947, en constitue la meilleure preuve89. Si l’exercice de certains droits attachés à la qualité de citoyen français pouvait séduire un Algérien, cette séduction n’allait pas jusqu’à la renonciation à son identité culturelle90.
63Il aura donc fallu cent seize ans pour que soit reconnu aux Algériens la citoyenneté française par delà la spécificité de leur statut personnel. Ce qui sera accordé sans grande hésitation aux Alsaciens et aux habitants des départements de la Moselle en 1918, faisait problème pour les habitants de l’Algérie, ils n’avaient que le tort d’être musulmans ! À la lueur de ces considérations il est possible d’apprécier le caractère révolutionnaire du projet Mérilhou.
64« Les individus nés et domiciliés dans ledit territoire au moment de la promulgation de la présente loi, sont déclarés citoyens français, sans distinction de religion, de couleur, ni d’origine, à la charge par eux de faire, dans les six mois de la présente loi, la déclaration qu’ils entendent réclamer la qualité de citoyens français. »
65Ce texte appelle plusieurs réflexions.
66La première concerne le champ d’application du texte. Sont Français les individus nés et domiciliés dans le territoire au moment de la promulgation de la loi. Nous avons vu toute l’ambiguïté qui s’attache à cette notion de territoire, appelé à évoluer au gré d’une extension (souhaitée) de la conquête. Il est vrai qu’au moment où Mérilhou rédige son texte, la Commission d’Afrique opine pour une occupation restreinte de la Régence d’Alger, limitée aux quatre villes tenues par l’armée ; mais nous avons également relevé que Mérilhou subordonne l’extension de l’organisation administrative française à un accroissement du territoire occupé ; ainsi sommes-nous en droit de poser la question du champ d’application de la loi. La population des villes d’Alger, Oran, Annaba et Béjaia, née et domiciliée dans ces villes accédera à la citoyenneté française sur sa simple demande faite dans les six mois de la promulgation de la loi. Il en résulte que ce texte ne s’applique pas qu’aux seuls « indigènes », il concerne toutes les personnes qui vivraient à Alger en 1834. Par ailleurs, cette disposition a pour effet d’écarter du bénéfice de la citoyenneté les personnes qui ne souhaitent pas l’acquérir, qui ne se considèrent pas comme ayant un lien quelconque avec la France ou sa culture, gageons que Mérilhou visait essentiellement les étrangers venus s’installer dans la Régence et n’ayant pas rompu tout lien avec leur pays d’origine, ainsi que leurs enfants nés après l’installation des parents.
67Deux difficultés demeurent pendantes, comment faire la preuve de la domiciliation et de la naissance sur le territoire occupé de la Régence ? Mérilhou reste muet. De même qu’adviendra-t-il des populations qui, du fait de conquêtes ultérieures, passeraient sous la domination française ? Sans doute Mérilhou pense-t-il que la procédure mise en place par sa loi serait appelée à être systématiquement reconduite, mais nous ne pouvons rien avancer avec certitude.
68La deuxième réflexion porte au cœur de l’originalité du projet Mérilhou : les indigènes devenus citoyens français le deviendront « sans distinction de religion, de couleur, ni d’origine », l’exercice de cette religion leur sera en outre garanti. Mérilhou, sans l’ombre d’une hésitation, transgresse un tabou colonial fondamental et qui sera rappelé par le sénatus-consulte de 1865, à savoir que pour devenir citoyen, un indigène doit renoncer, sinon à sa religion, du moins à son statut matrimonial issu de cette religion. En effet, selon la doctrine coloniale91, le Coran fixe tout à la fois les principes de la religion islamique et du droit musulman, or ce dernier régit un mariage polygynique, précoce et soumis aux aléas de la répudiation arbitraire et, de ce fait, incompatible avec l’ordre public français92. On peut légitimement se demander ce qui pousse notre auteur à témoigner d’une telle hardiesse. La réponse nous semble tenir dans la date de la proposition de loi : 1834. À cette époque, le socle de l’idéologie coloniale n’est pas totalement constitué, en particulier les données du droit musulman ne sont pas encore connues avec précision.
69Concernant l’Algérie, nous possédons deux témoignages précieux qui encadrent cette date de 1834 ; le premier est de W. Shaler93 dont l’ouvrage, publié en 182694, est traduit et réédité à la hâte par X. Blanchi en 183095. En effet, si Shaler rapporte la présence de deux cadis et de deux muftis rendant la justice à Alger, il nous fournit une information importante lorsqu’il écrit : Anciently it was necessary to have been graduated in the schools of either Constantinople or Grand Cairo to qualify a man for the posts of either Cadi or Mufti ; but the Turks accustomed to discharge the highest functions of government without having ever learned to read, naturally determined that any man supposed to have common sense, and the faculty of reading the Koran, might well enough be eligible to those judicial posts96Il est évident que Shaler s’appuie sur l’ouvrage de Shaw quant à sa première affirmation sur l’obligation pour le cadi d’avoir suivi des études universitaires à Istanbul ou au Grand Caire97. Mais il découle des considérations de Shaler, que la présentation, l’agencement et le contenu du droit musulman applicable en Algérie sont parfaitement méconnus, les garants de son authenticité sachant tout juste lire le Coran. Le deuxième témoignage, qui date de 1839, est celui de Genty de Bussy98 ; nous rencontrons pour la première fois une véritable interrogation sur le droit de la population musulmane algérienne. Le passage mériterait d’être cité in extenso, nous en donnerons quelques larges extraits. L’auteur émet, dès le principe, l’affirmation qui va devenir une sorte de sempiternel refrain durant tout le xixe et les siècles suivants à savoir que : « Chez les musulmans, politique, finances, administration, principes de conduite, prières, tout est dans le Koran… »99 Mais, contrairement à certains de ses prédécesseurs et à la quasi-totalité de ses successeurs, Genty de Bussy ne dénigre pas ce texte qu’il considère comme l’œuvre d’un « homme de génie »100 et qui a donné naissance à une législation musulmane « admirable de clarté et de simplicité »101. Malheureusement, le Coran a succombé à son succès. « Devenu la proie d’obscurs commentateurs, défiguré par des milliers d’ouvrages manuscrits, le Koran n’offre plus à présent qu’un tissu de contradictions. La loi qui, autre part et dans les pays civilisés, inspire avant tout l’obéissance et le respect, obéit elle-même ici aux fantaisies et aux caprices ; et hors les hautes questions, les questions d’État, tout ce qui n’est pas réglé par un usage incontestable est abandonné au pouvoir discrétionnaire de l’autorité qui prononce. Dans la régence, autant de kadis autant de jurisprudences : à Alger, Oran, Bone, Belida, Coléah, Médyah, etc., etc., etc., en d’autres lieux, chacun a la sienne… »102 Enfin, deux remarques méritent d’être rapportées. La première s’exprime sous la forme du regret de n’avoir pu mener à bien une des tâches que notre auteur, intendant civil auprès du gouverneur général, s’était assignée : essayer de rédiger l’équivalent d’un code civil musulman en interrogeant les diverses autorités judiciaires et religieuses musulmanes103. Cette démarche, particulièrement moderne, attestait d’un esprit soucieux d’effectivité juridique ; il faudra attendre le dernier quart du xixe siècle et les travaux de Sautayra, Hannoteau et Letourneux par exemple104, pour en trouver un équivalent couronné de succès.
70La seconde remarque découle de la précédente : le droit musulman en perdant de sa pureté a perdu de sa force ; devenu confus et embrouillé, il ne constitue guère plus qu’un réservoir, un « arsenal neutre » dans lequel chacun peut puiser la justification propre à étayer sa position. Une bonne connaissance de ces solutions, une démarche prudente favoriseraient, à terme, un rapprochement entre les deux législations, les deux cultures française et algérienne105.
71Ces deux témoignages attestent à l’envie de l’ignorance dans laquelle se trouvent les juristes quant au contenu du droit musulman à l’aube de la conquête de la Régence et ce ne sont pas les études sur le droit musulman en d’autres parties de l’empire ottoman qui peuvent les éclairer. Les ouvrages rédigés en français concernant ce domaine n’abondent pas, on ne peut guère citer que I. Mouradgea d’Ohsson106 qui donne un aperçu du rite hanafite. Les travaux, sommaires de Pharaon107 ne verront le jour qu’à la fin des années trente et la résurrection de Sidi Khalil ne s’effectue que dans les années cinquante108.
72Ainsi, Mérilhou avance-t-il en terrain inconnu, ce qui a, pour lui, l’immense avantage de ne pas déchaîner la critique. En quelque sorte il ne transgresse pas encore un tabou, car ce dernier n’est pas formulé avec toute sa vigueur, nous en voulons pour preuve l’existence de décisions judiciaires telle celle rendue par le Tribunal Supérieur d’Alger en 1836109 qui font prévaloir la « loi musulmane » sur le droit français. Mérilhou peut, de la sorte, laisser libre cours à ses penchants révolutionnaires et napoléoniens et proposer l’intégration des populations indigènes sans exiger leur préalable assimilation à la culture occidentale.
73Notre troisième et dernière réflexion consistera à nous interroger sur le point de savoir si Mérilhou, en militant pour l’attribution de la citoyenneté française aux Algériens, se fait toujours le porte-parole du parti coloniste. Rien n’est moins sûr. Si les colonistes se montrent très attachés au territoire de l’Algérie, ils ne témoignent pas du même enthousiasme pour les populations habitant le territoire. Mais il ne faut pas oublier qu’en 1834 nous sommes à la charnière de la période des hésitations et de l’occupation restreinte, la question du statut des populations indigènes ne revêt pas l’acuité qu’elle aura une décennie plus tard. Déjà, les lettres des colons venus s’établir dans la Régence d’Alger à la suite du corps expéditionnaire français et publiées dans la Revue Africaine en 1837110, montrent à quel point un fossé se creuse entre la population algérienne et la population d’origine européenne. Par delà cette remarque, la clairvoyance de Mérilhou en sort renforcée ; reconnaître la citoyenneté française à tous les habitants de l’Algérie sous domination française, et ce dès 1834 en profitant du peu de consistance encore du sentiment colonial, aurait vraisemblablement constitué un coup de maître.
74On pourrait objecter que le projet de loi Mérilhou n’a consisté qu’en une rêverie passagère qui n’a duré que le temps s’écoulant entre la parution de deux numéros d’une revue éphémère ; que ce projet, jamais déposé ni défendu devant les Chambres par son auteur, serait demeuré dans un oubli total s’il n’avait été exhumé trois ans plus tard ; qu’en définitive il ne mérite pas autre chose que cette ignorance dans laquelle il reposait. Il nous semble cependant qu’une telle attitude ne rendrait pas justice à Mérilhou. Si, en 1837, il accepte de communiquer son texte à Franque, le rédacteur de la Revue Africaine, c’est qu’il pense que ce document peut encore avoir son utilité, alors qu’à l’époque il n’est plus en mesure de le faire revenir de son propre chef sur la scène législative111. Quelles que soient les remarques critiques qui peuvent être formulées à son encontre, ce document n’a pas été rédigé par un néophyte, son auteur est un ancien ministre – même s’il ne l’a été, à deux reprises, que brièvement – initié, de ce fait, à la technique législative, il s’agit donc d’un travail qui présente un sérieux et une crédibilité certains ; son contenu est tel, de par sa nature visionnaire et l’analyse pénétrante de la situation sous-tendant les propositions, qu’il ne peut laisser indifférent. Il témoigne qu’en ce début de conquête, qui s’avérera exemplaire dans tous les sens du terme, il existait un courant de pensée qui aurait pu donner un sens autre au mot colonisation. Par sa démarche Mérilhou rejoint, voire dépasse, nombre de Saint-simoniens qui eux aussi virent dans l’Algérie une terre nouvelle autre qu’une colonie purement utilitariste. Il dépasse également les acquis de l’histoire ; en effet sa proposition de conférer la citoyenneté française aux habitants de l’Algérie colonisée ne sera que partiellement réalisée et demeurera inachevée. La loi Lamine-Gueye, votée en 1947, appliquée trop tard, était devenue inutile.
75De ce fait, c’est à juste titre que ce projet de loi peut être rangé parmi les multiples occasions manquées qui n’ont cessé de jalonner l’histoire commune de la France et de l’Algérie.
Notes de bas de page
1 Sur l’ensemble de la question, l’ouvrage fondamental demeure celui de Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, conquête et colonisation, Paris, PUF, 1964, p. 21 et suiv.
2 Parmi ces derniers, le plus emblématique fut sans conteste Amédée Desjobert (1796-1853), député de la Seine-Inférieure, qui publia plusieurs ouvrages dans lesquels il préconisait l’abandon d’Alger : A. Desjobert, La question d’Alger : politique, colonisation, commerce, Paris, Dufart, 1837 (repris en 1838, 1844 et 1846 sous le titre : L’Algérie en 1838, 1844, etc.). Àpartir de 1848, Desjobert prit acte du fait accompli (annexion de l’Algérie) et défendit la politique de l’occupation militaire restreinte à quelques points du littoral. Jusqu’à sa mort, il demeura un adversaire de la colonisation européenne de l’Algérie (voir Assemblée Nationale Législative, Discours prononcé par M. Desjobert représentant du peuple (Seine-Inférieure) dans la discussion du projet de loi tendant à régler le régime commercial de l’Algérie, Paris, Panckoucke, 1850).
3 Ceux, qu’à l’époque, on appelle les « colonistes » (Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, conquête et colonisation, op. cit., p. 78.) sont fort bien représentés par l’avocat Franque qui fondera à leur intention La Revue Africaine. Recueil consacré aux intérêts matériels et moraux des possessions françaises en Afrique, et au succès de la colonisation d’Alger, dont dix numéros furent publiés entre 1836 et 1838.
4 Cette politique fut surtout le fait des militaires qui tentèrent de confier l’administration de la Régence à des chefs arabes locaux. Ainsi, le maréchal Clauzel négocia avec le bey de Tunis que l’administration soit confiée à deux de ses frères ; l’opposition du ministre des affaires étrangères, Sébastiani, fit avorter le projet. Deux généraux, Desmichels et Bugeaud, traitèrent avec Abd el-Kader et signèrent les célèbres traités Desmichels (1834) et de la Tafna (1837).
5 Sur ce personnage fortement inspiré par les idées des Saint-Simoniens, voir C. Bontems, « Un “fusionnaire” en Algérie : Pellissier de Reynaud », dans Mélanges offerts au Doyen François-Paul Blanc, Perpignan, PUP, 2011, p. 245 et suiv.
6 La biographie de Mérilhou nous est fournie par : A. R. Bourloton et G. Cougny, Dictionnaire des Parlementaires français, Paris, Bourloton, 1889, t. iv, p. 344-345. Nous la reproduisons ici : « Joseph Mérilhou député de 1831 à 1834, ministre pair de France, né à Montignac (Dordogne) le 15 octobre 1788, mort à Neuilly (Seine) le 18 octobre 1856, « fils à Jean Mérilhou et à demoiselle Madeleine Desmond », fit ses études classiques à Périgueux. Reçu avocat à la faculté de droit de Paris, il entra dans la magistrature et devint conseiller auditeur à la cour impériale, par un décret daté de Troyes, quartier général de l’Empereur, du 4 février 1814. Quelques semaines plus tard, le 31 mars, l’Empire était renversé. Maintenu provisoirement en fonctions à la cour royale sous la première Restauration, il siégea à l’une des chambres criminelles lors du procès intenté à Lazare Carnot à l’occasion de son célèbre Mémoire au Roi ; en qualité de rapporteur il présenta des conclusions tendant à une ordonnance de non-lieu. Pendant les Cent-Jours, il fut nommé (11 mai 1825) substitut du Procureur général à la cour impériale de Paris. Aussi la seconde Restauration le comprit-elle sur la liste des magistrats suspendus de leurs fonctions. Obligé de résider quelques mois hors de Paris, M. Mérilhou rentra ensuite au barreau et prit part aux luttes de l’opposition constitutionnelle ; en 1817 il défendit Comte et Dunoyer, rédacteurs du Censeur, traduis devant le tribunal de police correctionnelle, fut l’un des fondateurs de la Société des amis de la liberté de la presse, plaida encore devant la cour d’assises de Paris pour les frères Duclos, accusés d’avoir fait partie de la conspiration de l’épingle noire, pour Arnold Scheffer, Brissot, Feret, etc. ; il s’attachait, dans chacune de ses plaidoiries, à prouver la nécessité de mettre les institutions de la France en harmonie avec l’esprit de la Charte. Le 14 juillet 1819, il gagna la première cause qui, en France, ait été jugée par le jury : celle de Gossuin, auteur de la Bibliothèque historique, poursuivi pour avoir parlé des Suisses de la garde du roi. Membre d’une société chargée de porter secours aux personnes incarcérées en détention préventive, il fut poursuivi de ce chef et fut défendu par Dupin aîné et acquitté le 23 juin 1820. Membre notoire de la Charbonnerie, il appartint successivement à la « haute vente » puis à la « vente suprême ». Il défendit la Tribune de la Gironde, se chargea (août 1822) de la cause de Bories, dans l’affaire des quatre sergents de La Rochelle (août 1822), et fut désigné clairement dans cette phrase du réquisitoire de Marchangy : « Ici les véritables coupables ne sont pas accusés, mais bien sur les bancs des avocats ». Le Courrier français l’eut aussi pour avocat en 1825 et en 1829. Il prit part aux attaques de M. de Montlosier contre le « parti prêtre », fut l’un des signataires de la célèbre Consultation du 1er août 1826, publia, en 1827, un Essai historique sur la vie et les ouvrages de Mirabeau, fit une très vive opposition au cabinet Polignac, conseilla le refus de l’impôt, protesta contre les Ordonnances de juillet et fut directement mêlé à tous les conciliabules qui précédèrent et préparèrent l’avènement de Louis-Philippe. Adjoint, le 29 juillet 1830, à la commission municipale, il sortit, deux jours après, de l’Hôtel de Ville, avec le titre et les fonctions de secrétaire général provisoire du ministère de la Justice. Pendant les trois mois qu’il occupa ce poste, il prit diverses mesures importantes, telles que le renouvellement des parquets, des juges de paix, la suppression du ministère d’État et de la Caisse du sceau des titres, l’abolition de la loi sur le sacrilège, etc. Conseiller d’État le 20 août 1830, M. Mérilhou fut appelé, le 2 novembre suivant, lors de la formation du cabinet Lafitte, à prendre le portefeuille de l’instruction publique et des Cultes, avec la présidence du conseil d’État. Mais il ne justifia pas, dans cette situation nouvelle, les espérances qu’avait mises en lui le parti libéral. « M. Mérilhou, lit-on dans la Biographie des Hommes du jour, qui pendant quinze années avait fait la guerre aux Jésuites, qui dans toutes les circonstances avait poursuivi et attaqué la congrégation avec la plus grande vigueur, laissa tout en place… ». Cependant il supprima la Société des missions de France et réunit au domaine de l’État la maison du Mont Valérien, qui en était le chef-lieu. Il fit rendre aussi une ordonnance prescrivant comme condition d’admissibilité aux diverses fonctions de hiérarchie ecclésiastique, la possession de grades donnés par l’Université. Après la retraite de Dupont (de l’Eure) et de Lafayette, M. Mérilhou continua de servir la dynastie et accepta de succéder à son ami Dupont comme ministre de la Justice (27 décembre 1830 – 7 mars 1831). Il ne tarda pas à donner sa démission à son tour, lorsque M. Persil, procureur général, voulut pousser le pouvoir à des mesures de rigueur contre la presse et destituer M. Comte, procureur du roi. M. Mérilhou se retira avec Laffitte devant le cabinet du 13 mars formé sous la présidence de Casimir Périer. Après avoir refusé un siège à la cour de Cassation, l’ex-ministre fut élu député, le 5 juillet 1831, dans quatre collèges : 1° dans le 5e de la Dordogne (Nontron) avec 155 voix sur 235 votants, 303 inscrits contre 41 à M. de Verneilhe, et 37 au colonel Lamy ; 2 dans le 7e du même département (Sarlat), avec 186 voix (280 votants, 306 inscrits), contre 98 à M. J. Bessière et 19 à M. Lasserre ; 3° dans le 4e de la Haute-Vienne (Saint Yrieix), avec 88 voix (167 votants, 283 inscrits), contre 74 à M. Sulpiey ; 4° dans la 5e de la Gironde (Bazas), avec 125 voix (174 votants, 254 inscrits), contre 30 à M. Lafouta. Il opta pour Sarlat et fut remplacé à Bazas par M. Nicod, à Saint-Yrieix par M. Sulpiey, et à Nontron par M. Lamy. M. Mérilhou prit place dans l’opposition modérée, avec laquelle il vota le plus souvent. Lors de la discussion sur l’hérédité de la pairie, il se prononça contre, et pour l’élection. Après les évènements des 5 et 6 juin, il présenta un amendement qui fut rejeté, tendant à flétrir les ordonnances sur l’état de siège. Il adhéra au compte-rendu de 1832, parla à propos de l’emprunt grec, contre les dangers de l’influence russe, et prononça (1834) un discours contre le projet de loi sur les associations. Toutefois son opposition modérée lui permit de se raviser et de consentir à siéger (21 avril 1832) comme conseiller à la cour de Cassation : il obtint alors le renouvellement de son mandat législatif à Sarlat, par 180 voix (246 votants, 389 inscrits), contre 64 à M. de Maleville. Non réélu député en 1834, M. Mérilhou fut appelé à la pairie le 3 octobre 1837. Au Luxembourg, ce fut lui qui présenta le rapport dans l’affaire de l’insurrection du 12 mai 1839. Il eut une part active aux travaux de la commission chargée de préparer un nouveau projet de code militaire (1842) et de celle qui s’occupa de la réforme de la législation hypothécaire (1845). Éliminé, en 1848, de la Cour de cassation il fut appelé à y reprendre ses fonctions l’année suivante. On a de lui un grand nombre d’articles dans les Annales du barreau français et l’Encyclopédie du droit. Grand officier de la Légion d’honneur. ». Voir également, E. Pascallet, Notice historique sur M. Mérilhou, Pair de France, conseiller à la Cour de Cassation, Paris, 1846.
7 Le titre complet est Revue Africaine, Journal des travaux de la Société Historique Algérienne. Le no 1 a été publié au titre des années 1856-57 ; le dernier volume date de 1962. Cette revue a été partiellement (du no 1 au no 74 [1933]) rééditée par l’Office des Publications Universitaires d’Alger ; la Revue peut être consultée dans son intégralité sur le site d’Alain Spenatto : http://www.algerie-ancienne.com. La Société Historique Algérienne a vu le jour, sous l’impulsion du maréchal Randon gouverneur de l’Algérie, le 1er mars 1856 ; A. Berbrugger en fut élu président et devint, par voie de conséquence, le directeur de la Revue Africaine ; voir Revue Africaine, t. 1, Alger, 1856-57, p. 11.
8 E. Pellissier de Reynaud, Annales algériennes, Paris, Dumaine, 1836-1839, t. 3, p. 317.
9 Qu’il me soit permis de remercier, ici, Christiane Pollin, ancienne conservatrice de la bibliothèque universitaire de Sceaux, dont la science et les recherches aboutirent à la localisation d’un exemplaire complet de cette revue à la médiathèque Michel Crépeau de La Rochelle. Depuis, par l’intermédiaire du Sudoc, il a été possible de localiser un autre exemplaire à la Bibliothèque municipale de Rennes.
10 Néanmoins le mot Algérie apparaît dans l’Ordonnance royale du 1er décembre 1831 : art. 1 et 2 ; ainsi que dans celle du 12 mai 1832 : « Art. 1er – Notre ord. du 1er décembre dernier, concernant l’administration des services civils en Algérie, est révoquée » (P. de Ménerville, Dictionnaire de la législation algérienne, t. 1, Alger, Bastide, 1867, p. 6 et 7). Ainsi, en écrivant que le nom d’Algérie apparaît pour la première fois dans l’ordonnance du 31 octobre 1838, J. Lambert, Manuel de législation algérienne, Alger, Librairie des facultés, 1952, p. 18, commet une légère erreur.
11 Cette appellation de « Possessions françaises dans le Nord de l’Afrique » figure pour la première fois, semble-t-il, dans l’ordonnance royale du 22 juillet 1834 (P. de Ménerville, Dictionnaire de la législation algérienne, op. cit., p. 7). Antérieurement on rencontre : Régence d’Alger, pays d’Alger.
12 Adrien Berbrugger est né le 11 mai 1801. Ancien élève de l’école des Chartes, il vient en Algérie en tant que secrétaire particulier du maréchal Clauzel (1835). Il est nommé rédacteur en chef du Moniteur Algérien où il se montre favorable à l’extension de la colonisation. Il devient également conservateur de la Bibliothèque d’Alger, fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort survenue en 1869. En 1851, il est colonel de la milice d’Alger. Mais c’est par sa production scientifique, en particulier dans le domaine de l’histoire de l’Algérie, qu’il se fera connaître. Lorsqu’il vient en Algérie, il est marqué par ses idées socialisantes. Voir Fr. Pouillon, Dictionnaire des orientalistes de langue françaises, Paris, IISMM-Karthala, 2008, p. 86-88.
13 Voir Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, conquête et colonisation, op. cit., p. 106 et suiv.
14 Pellissier de Reynaud est surtout connu par ses Annales Algériennes qui retracent les débuts de la colonisation en Algérie. Voir supra.
15 E. Pellissier de Reynaud, Annales Algériennes, Paris, Dumaine, 1839, t. 3, p. 317 : « J’ai eu l’honneur de vous faire connaître, Monsieur, les considérations personnelles qui s’opposent à ce que je publie dans votre intéressant recueil la suite de mes Annales algériennes, malgré le désir que j’en éprouvais, et l’offre que je vous en avais faite ».
16 En 1837, Franque se présente, à l’instar de Pellissier de Reynaud, comme un « fusionnaire » : « Mais, quant à nous, nous croyons à la fusion, n’en déplaise à notre correspondant. » Revue Africaine. Recueil consacré aux intérêts matériels et moraux des possessions françaises en Afrique, et au succès de la colonisation d’Alger, no 3, 1837, p. 6, note 1.
17 Revue Africaine. Recueil consacré aux intérêts matériels et moraux des possessions françaises en Afrique, et au succès de la colonisation d’Alger, no 1, août 1836, p. 7 et suiv.
18 Procès-verbaux et rapports de la commission d’Afrique instituée par ordonnance du roi du 12 décembre 1833, Paris, Imprimerie Royale, 1834. Voir plus particulièrement, p. 391 et suiv. Sur l’ensemble de cette question, voir Ch. A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, conquête et colonisation, op. cit., p. 108 et suiv. À la bibliographie citée p. 527 et suiv. Il est possible d’ajouter : X. Yacono, « La Régence d’Alger en 1830 d’après l’enquête des commissions de 1833-1834 », Rev. de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 1966, p. 229-244.
19 Par 17 voix contre 2. Voir Procès-verbaux, op. cit., p. 405.
20 Voir Procès-verbaux, op. cit., p. 408 : « on s’est réuni à penser que, dans l’exécution, ce système (de colonisation) ne devait rien comporter d’absolu ; qu’en ménageant les ressources du présent, il ne fallait point fermer l’accès aux chances favorables de l’avenir. Le gouvernement doit conserver également le territoire que nos troupes peuvent facilement défendre autour de certaines de ces villes, et chercher à étendre l’autorité et l’influence de la France, par toutes les combinaisons qu’autorisent et le droit qu’elle tire de la conquête qui l’a substituée à la Régence, et les règles d’une politique humaine et éclairée ».
21 P. de Menerville, Annales Algériennes, op. cit., t. 1, p. 7 : Ordonnance royale du 22 juillet 1834 portant nomination d’un Gouverneur général des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique et l’organisation de l’administration supérieure placée sous son autorité.
22 Revue Africaine. Recueil consacré aux intérêts matériels et moraux des possessions françaises en Afrique, et au succès de la colonisation d’Alger, no 1, août 1836, p. 9 et suiv.
23 Disons cependant que Mérilhou propose essentiellement deux mesures, la première consiste dans l’identification des biens du domaine public ainsi que des biens devenus vacants. Cette mesure était plus que souhaitable compte tenu de la spéculation foncière qui s’était abattue sur Alger et dont Pellissier de Reynaud s’est fait largement l’écho dans ses Annales algériennes. La seconde préfigure les mesures préconisées par Bugeaud pour développer la colonisation ; voir également : E. Pellissier de Reynaud, Quelques mots sur la colonisation militaire en Algérie, Paris, Garnier frères, 1847, p. 10 et suiv.
24 À l’époque, les récits des voyageurs et des diplomates ne fournissent guère d’indications que sur Alger et ses environs ; ceci n’a rien d’étonnant puisque ces personnages résidèrent à Alger dont ils ne s’écartèrent guère. Seul Shaw fournit quelques renseignements plus détaillés sur le reste du territoire de la régence, mais ceux-ci sont bien souvent de seconde main et puisés dans l’érudition antique de cet auteur. Selon Zehor Zidi, qui a consacré sa thèse à Thomas Shaw, « Étudiant d’Oxford, pétri de culture classique, connaissant l’arabe et l’hébreu outre le latin et le grec, Thomas Shaw se fit ordonner pasteur de l’Église Anglicane en 1720. Son recueil de voyages (Th. Shaw, Travels or Observations relating to several Parts of Barbary and the Levant, Oxford, A. Miller, 1738) est l’aboutissement de ses douze années de résidence à Alger (1720-1732) en qualité de chapelain du consulat britannique. « Ni Alger, ni Tunis ne semblent pourtant avoir excité au départ la curiosité du voyageur. Aussitôt arrivé à Alger, il mit le cap sur l’Égypte, première étape d’un périple qui devait le mener en Palestine, en Arabie Pétrée, en Syrie. Quelle Égypte nous donne-t-il à voir ? Voyage d’ecclésiastique, le périple en Égypte est avant tout un pèlerinage sur les lieux saints de la Bible. Aveugle à la réalité vivante qui l’entoure, Shaw est entièrement guidé par un souci d’élucidation des Écritures, d’élaboration d’une géographie et d’une histoire naturelle sacrées. Œuvre d’exégèse biblique, les Travels sont aussi une œuvre d’apologétique chrétienne, car la description de l’Égypte s’inscrit résolument dans le débat philosophique et religieux qui agite cette première moitié du dix-septième siècle. » Il existe deux traductions partielles de l’œuvre de Th. Shaw : Voyages de Monsieur Shaw, M.D. dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant ; contenant des observations géographiques, physiques, philologiques et mêlées sur les royaumes d’Alger et de Tunis, sur la Syrie, l’Égypte et l’Arabie Pétrée, avec des cartes et des figures, traduit de l’Anglais, 2 volumes, La Haye, Jean Neaulme, 1743 et Voyage dans la Régence d’Alger ou description géographique, physique, philologique, etc. de cet État, par le Docteur Shaw, traduit de l’anglais par J. Mac Carthy, Paris, Marlin, 1830. Cette seconde traduction est certainement la moins fidèle, Mac Carthy entremêle quelques extraits de l’ouvrage de Shaw à ses réflexions personnelles, bien souvent empruntées à d’autres auteurs dont Laugier de Tassy notamment.
25 Ordonnance du 1er décembre 1831 et Ordonnance du 12 mai 1832. (voir supra).
26 Ordonnance du 6 décembre 1831, art. 1 et 3. P. de Ménerville, Dictionnaire de la législation algérienne, op. cit., t. 1, p. 6.
27 Ordonnance du 22 juillet 1834. Art. 1er.
28 Les constitutions de 1791, 1793, 1795 et 1799 comportaient toutes une référence au territoire de la France, une et indivisible ; cette référence disparaît dans la Charte de 1814.
29 Charte constitutionnelle du 14 août 1830, art. 64 : Les colonies sont régies par des lois particulières.
30 Ceci explique pourquoi les débats à la chambre des députés et à la chambre des pairs consacrés aux crédits affectés à l’Algérie sont suivis, voire scrutés avec la plus grande attention par les colonistes. Ainsi, la Revue Africaine rapporte les débats des mois de juin et juillet 1836 ; les interventions des politiques favorables à la colonisation sont reproduites in extenso, celles des adversaires sont sommairement résumées. (voir Revue Africaine. Recueil consacré aux intérêts matériels et moraux des possessions françaises en Afrique, et au succès de la colonisation d’Alger, no 1, août 1836, p. 28 et suiv. De même il est possible de citer le no 4, p. 10 et suiv. ; le no 8 de décembre-janvier 1838, p. 15 et suiv. ; le no 9, p. 3 et suiv.). La prise de Constantine, par Damrémont et Valée en 1837, provoque parmi les colonistes un mouvement d’enthousiasme, chacun voulant y voir la preuve de la volonté du gouvernement français de rester définitivement en Algérie et d’étendre les limites de la conquête. Cette réaction est perceptible dans la Revue Africaine. Recueil consacré aux intérêts matériel, op. cit., no 7, p. 1 à 47.
31 « Les pays connus sous le nom de Régence d’Alger et de ses dépendances ». Ainsi que le fera quelques mois plus tard l’ordonnance du 22 juillet, Mérilhou renvoie à la notion de Régence d’Alger, qui apparaît comme le concept le plus significatif en ce début du xixe siècle. Il prend soin d’ajouter « ses dépendances », avouant ainsi l’ignorance dans laquelle on est quant aux limites, même approximatives, de l’Algérie.
32 William Shaler (1773-1833) fut consul des États-Unis à Alger de 1815 à 1826 (voir W. Shaler, Esquisse de l’État d’Alger, présentation C. Bontems, Saint-Denis, Bouchene, 2001, p. 9 et suiv. Voir Connor, pour sa part, déclare : « From 1818 to 1830 he was consul general at Algiers. », Handbook of Texas Online) ; il est l’un des derniers auteurs ayant écrit un ouvrage sur la Régence avant l’expédition de 1830 ; il n’hésite pas à écrire, interprétant de façon erronée un passage de Shaw, que l’Algérie, dans sa plus grande largeur n’excède pas 60 milles. Ceci montre à l’évidence que la Régence relève des terræ quasi incognitæ à l’époque.
33 Ces quatre agglomérations ont été occupées aux dates suivantes : Alger le 5 juillet 1830, Oran le 10 décembre 1830, Bône (Annaba) fin mai 1832 et Bougie (Bejaia) le 29 septembre 1833. Voir P. Genty de Bussy, De l’établissement des Français dans la Régence d’Alger, Paris, Firmin Didot, 1839, t. 2, p. 468.
34 Ce chiffre est extrait du Discours prononcé par M. Desjobert représentant du peuple (Seine-Inférieure) dans la discussion de loi tendant à régler le régime commercial en Algérie, séance du 19 décembre 1850, Paris, Panckoucke, 1850, p. 22. Les indications chiffrées de Desjobert sont reprises des documents officiels et concordent avec celles données par E. Pellissier de Reynaud, Annales Algériennes, op. cit., t. 3, p. 190.
35 Discours prononcé, op. cit., p. 21.
36 Cette relative faiblesse de la population européenne atteste du succès mitigé de la colonisation de l’Algérie. Ainsi que nous le verrons plus loin, les colonistes sont enfermés dans le dilemme suivant : il est difficile de réclamer l’annexion de l’Algérie au nom d’une colonisation qui n’existe pas encore, mais seule l’annexion est de nature à provoquer une dynamique de l’immigration européenne.
37 L’Algérie deviendra la xixe région militaire par décret du 28 septembre 1873 (R. Estoublon, A. Lefébure, Code de l’Algérie annoté, Alger, Jourdan, 1896, t. 1, p. 421).
38 Il est impossible de savoir si Mérilhou se réfère ou non, à la superficie moyenne d’un département métropolitain, c’est-à-dire un territoire d’une superficie oscillant entre 4 à 7 000 km2.
39 Les colonistes de l’époque étaient favorables à une extension de la conquête et l’on commençait à évoquer une prise de Constantine, dont la première expédition, malheureuse, aura lieu moins de deux ans plus tard. Voir Ch. A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, conquête et colonisation, op. cit., p. 113. En outre, l’occupation définitive d’agglomérations telles Tlemcen, Mascara et Djigelli (Jijel) reste présente à l’esprit de nombreux généraux opérant en Algérie.
40 Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, art. 73 et Charte constitutionnelle du 14 août 1830, art. 64. Notons que Mérilhou, à la différence des divers gouvernements qui se succèdent entre 1830 et 1834, n’a pas à se soucier de considérations diplomatiques et à ménager la susceptibilité britannique hostile à une implantation de la France sur la façade Sud de la Méditerranée.
41 La bibliographie relative à cette question est immense, nous nous contenterons de renvoyer aux quelques ouvrages suivants, ainsi qu’à la bibliographie qu’ils fournissent : Esclavage, colonisation, libérations nationales de 1789 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 1990 ; M. Ferro(dir.), Le livre noir du colonialisme xvie - xxie siècle : de l’extermination à la repentance, Paris, Robert Laffont, 2003 ; C. Bontems, « La Révolution française, les Droits de l’homme et l’Esclavage », L’héritage politique de la Révolution française, Lille, PUL, 1993, p. 237 et s ; H. Deschamps, Méthodes et doctrines coloniales de la France, Paris, Armand Colin, 1953.
42 Décret du 16 Pluviôse an II (4 février 1794).
43 Constitution du 5 fructidor an iii (22 août 1795), art. 6 : les colonies françaises sont parties intégrantes de la République et sont soumises à la même loi constitutionnelle.
44 Loi du 20 mai 1802.
45 Constitution du 22 frimaire an viii (13 décembre 1799), art. 91 : Le régime des colonies françaises est déterminé par des lois spéciales.
46 H. Deschamps, Méthodes et doctrines coloniales de la France, op. cit., p. 90 et suiv.
47 Voir P. De Ménerville, Dictionnaire de la législation algérienne, op. cit., t. 1, p. 13. Nous citons ce texte afin d’établir un parallèle avec la proposition de Mérilhou de faire de l’Algérie la vingt-et-unième région militaire française.
48 Ibid., t. 1, p. 13 et suiv.
49 Mérilhou estimait que la colonisation serait considérée comme un fait acquis lorsque la population atteindrait 180 000 âmes. La population d’origine européenne s’élevait à 75 410 âmes en 1844 (37 701 d’origine française et 37 719 d’origine européenne) et à 95 321 âmes en 1845 (45 339 Français et 48 982 Européens). Voir Discours prononcé par M. Desjobert représentant du peuple (Seine-Inférieure) dans la discussion de loi tendant à régler le régime commercial en Algérie, séance du 19 décembre 1850, Paris, Panckoucke, 1850, p. 22. Nous sommes donc loin des objectifs fixés par Mérilhou, mais il est vrai que l’ordonnance de 1845 n’envisage pas une intégration aussi poussée que celle préconisée par notre auteur, en particulier il n’est pas question de faire élire des députés.
50 Ordonnance des 15 avril et 31 août 1845, art. 11.
51 Il s’agit en particulier du territoire des agglomérations de Constantine, Sétif, Djidjelli, Bougie, Dellys, Médéa, Miliana, Orléansville, Mascara, etc. (P. de Ménerville, Dictionnaire de la législation algérienne, op. cit., t. 1, p. 14.
52 Ordonnance des 15 et 31 avril 1845, art. 13 : Sont déclarés : « – Territoires civils, ceux sur lesquels il existe une population civile européenne, assez nombreuse pour que tous les services publics y soient ou puissent y être complètement organisés ; – Territoires mixtes, ceux sur lesquels la population européenne, encore peu nombreuse, ne comporte pas une complète organisation des services publics ; – Territoires arabes, tous ceux situés, soit sur le littoral, soit dans l’intérieur du pays, qui ne sont ni mixtes, ni civils ».
53 P. de Ménerville, Dictionnaire de la législation algérienne, op. cit., t. 1, p. 14.
54 Outre les nombreux articles publiés dans la Revue Africaine, Recueil, etc. nous renvoyons aux écrits d’A. de Tocqueville, « Intervention dans le débat sur les crédits extraordinaires de 1846 », dans A. de Tocqueville, Écrits et discours politiques, t. 3, André Jardin, Paris, 1962, p. 295 : « Une troisième idée à laquelle les derniers événements ont imprimé le caractère de la certitude, c’est que désormais l’avenir de notre domination en Afrique dépend d’un seul événement, un seul, entendez-vous, l’arrivée sur le territoire africain d’une population européenne… la chose principale à faire pour conserver l’Afrique n’est pas de vaincre les indigènes, ils sont vaincus. Ce n’est pas de les maintenir sous un gouvernement régulier ; il se passera des années sans que nous puissions jamais les y maintenir ; c’est d’importer en Afrique une population européenne, et j’ajoute une population agricole ».
55 Constitution du 4 novembre 1848, art. 109 : « Le territoire de l’Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières jusqu’à ce qu’une loi spéciale les place sous le régime de la présente constitution ». Cette formule appelle deux remarques. Elle dissocie et confond, tout à la fois, l’Algérie et les autres colonies ; la distinction procède de l’énumération : Algérie et colonies, la confusion provient du fait que ces territoires obéissent aux mêmes règles. Par ailleurs, en écrivant : « présente constitution », les auteurs du texte envisageaient sans doute que le régime spécial ne devait être que de courte durée.
56 Arrêté du Pouvoir Exécutif des 9 décembre 1848 et 16 mars 1849, art. 1.
57 Ibid., art. 2. Cette législation spéciale devait perdurer jusqu’en 1962. C. Bontems, « Le département colonial : l’exemple de l’Algérie », dans R Chagny, G. Chianéa, J.-W. Dereymez, Le département, hier, aujourd’hui, demain, Grenoble, PUG, 1994, p. 475 et suiv.
58 Constitution du 4 novembre 1848, art. 21. Notons que Mérilhou avait posé comme condition « déclenchante » que la population sous domination française soit égale à 180 000 âmes, or, au 31 décembre 1847, la population immigrante s’élevait à 115 184 personnes seulement. Voir Discours prononcé par M. Desjobert représentant du peuple (Seine-Inférieure) dans la discussion de loi tendant à régler le régime commercial en Algérie, séance du 19 décembre 1850, op. cit., p. 22.
59 Décret du 24 octobre 1870, art. 3, voir R. Estoublon et A. Lefébure, Code de l’Algérie annoté, op.cit., p. 372. Sur l’ensemble de la question de la représentation législative en Algérie, voir E. Larcher, G. Rectenwald, Traité élémentaire de législation algérienne, Paris, A. Rousseau, 1923, t. 1, p. 247 et suiv., J. Lambert, Manuel de législation algérienne, op. cit., p. 226 et suiv., P.-E. Viard, Traité Élémentaire de Droit Public et de Droit Privé en Algérie, Alger, Faculté du droit et des sciences économiques, 1960, 1re partie, les caractères politiques de l’Algérie, p. 121 et suiv.
60 Loi du 30 novembre 1875, R. Estoublon, A. Lefébure, Code de l’Algérie annoté, op. cit., t. 1, p. 477.
61 Le nombre de deux députés par département sera rétabli en 1881, passera à trois en 1927, enfin, le département d’Alger désignera quatre députés à partir de 1936, soit un total de dix députés. En 1946 l’Algérie élit trente représentants et 67 en 1958, auxquels on peut ajouter les quatre députés représentant les Oasis et la Saoura.
62 Voir V. Schœlcher, Des Colonies françaises, abolition immédiate de l’esclavage, préface par L. Abénon, Paris, 1998, p. viii. Voir également, A. Gisler, L’esclavage aux Antilles françaises (xviie – xixe siècle), Paris, 1981, p. 14.
63 P. Motylewski, M. Dorigny, La société française pour l’abolition de l’esclavage, 1834 – 1850, Paris, L’Harmattan, 1998.
64 W. Shaler, Esquisse de l’État d’Alger, Saint-Denis, Bouchene, 2001, p. 68 : « Les nègres… sont pour la plupart des esclaves achetés dans l’intérieur de l’Afrique ou à Tripoli et auxquels on accorde facilement la liberté s’ils veulent embrasser l’islamisme… ».
65 Ibid., p. 71, W. Shaler rappelle que la réduction en esclavage des chrétiens a été théoriquement abolie en 1816, mais que les personnes qui, à cette date, étaient esclaves le demeurèrent. Selon Ch.-A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, des origines à 1830, Paris, Payot, 2001, p. 672, il ne restait plus que 122 captifs lorsque les Français s’emparèrent d’Alger. Pellissier de Reynaud, qui pourtant n’est pas avare de détails, demeure particulièrement discret sur cette question.
66 Cette attitude sera reprise, en 1839, par P. Genty de Bussy, De l’établissement des Français dans la Régence d’Alger, op. cit., t. 1, p. 208 : « Parmi les nègres, les uns sont libres, les autres esclaves : ou ils servent, ou ils exercent les plus basses professions. L’effectif de cette population peu nombreuse vient du cœur de l’Afrique. Comme les Mozabites, ils sont sobres, laborieux, et, à peu d’exceptions près, probes et fidèles.
« Mais nous n’avons pas pris l’engagement de maintenir l’esclavage. Ne pas l’encourager par notre exemple ne suffit pas ; il faut encore que nous tâchions de le repousser de la régence. Le même sol ne saurait, en notre présence, porter à la fois l’esclavage et la liberté ; et si nous ne pouvons briser des contrats déjà vieux, toujours est-il que nous devons veiller à ce qu’il ne s’en forme pas de nouveaux. De pareils liens, si nous les souffrions dans l’avenir, accuseraient notre sollicitude, et ce n’est point à l’époque où la traite des noirs a été si solennellement abolie, où il est si bien reconnu que tous les hommes doivent avoir les mêmes droits, que les nègres d’Afrique pourraient être déshérités de ce bienfait de la civilisation ».
67 Mérilhou semble s’être parfaitement rendu compte que, juridiquement, la mère, demeurée esclave jusqu’à ce qu’il soit statué sur son sort par la « loi postérieure », ne dispose pas des moyens financiers lui permettant d’assumer la charge de ses enfants et que le maître, les enfants devenus libres échappant à sa maîtrise, n’est pas tenu de pourvoir à leur entretien.
68 Loi des 24 et 28 avril 1833 concernant l’exercice des droits civils et politiques dans les colonies, Duvergier, Collection complète des lois, 1833, p. 104.
69 Voir Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, conquête et colonisation, op. cit., p. 347. L’auteur rapporte les deux anecdotes relatives aux capitaines de la Moricière (1831) et Pellissier de Reynaud (1839) indignés par l’attitude de leur supérieur hiérarchique qui ordonne de remettre à leur maître des esclaves réfugiés auprès des autorités françaises. Sur l’ensemble de la question. Voir Y. Daddi Addoun, L’abolition de l’esclavage en Algérie 1816 – 1871, York University, 2010. Par ailleurs, nous pouvons mentionner qu’en 1844 Mérilhou revient sur la question de l’esclavage dans les colonies françaises et participera, par son rapport, au projet de loi (26 avril 1844) sur l’émancipation des esclaves : G. Lafond de Lurcy, Un mot sur l’émancipation de l’esclavage et sur le commerce maritime de la France, en réponse… au rapport de M. Mérilhou, Paris, 1844, p. 15 et suiv.
70 Décret du 27 avril 1848 – Art. 1er : L’esclavage sera totalement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles. Voir A. Girollet, Victor Schœlcher abolitioniste et républicain, Paris, Karthala, p. 2000. Pellissier de Reynaud, quant à lui, se borne à écrire : « Le décret du Gouvernement provisoire du 27 avril 1848, qui abolit l’esclavage dans nos colonies, désigna spécialement l’Algérie dans son art. 3. Il mit ainsi fin à une choquante anomalie, qui consistait en ce que pendant que nous tolérions l’esclavage des nègres chez les musulmans de l’Algérie, un petit prince barbare, le bey de Tunis, l’avait aboli dans ses États. Au reste, l’esclavage chez l’infidèle et inculte musulman est un véritable paradis pour le pauvre noir, comparativement à ce qu’il est chez le planteur chrétien et civilisé » (E. Pellissier de Reynaud, Annales algériennes, op. cit., t. 3, p. 355 et suiv.
71 Le 9 juin 1848 ; voir P. de Ménerville, Dictionnaire de la législation algérienne, op. cit., t. 1, p. 316.
72 Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, conquête et colonisation, op. cit., p. 348-349.
73 Parmi les nombreux auteurs qui partagent ce sentiment, nous pouvons citer W. Shaler (supra) et Pellissier de Reynaud (supra).
74 Les autorités administratives civiles françaises qui n’existaient que dans des régions où la population franco-européenne était relativement consistante ne se heurtaient pas à ce genre de problème.
75 Le texte original de la Convention de 1830 ne nous est pas parvenu. Nous le connaissons par les diverses versions qui sont proposées par les auteurs de l’époque : voir C. Bontems, Manuel des institutions algériennes, op. cit., p. 104 et suiv.
76 À deux reprises le texte garantit la religion des habitants de la Régence, en déclarant que son exercice restera libre et qu’elle ne recevra aucune atteinte. Ceci tend à démontrer que nous sommes en présence d’un processus de « remplissage » destiné à donner une consistance formelle à ce texte.
77 Ces termes se rencontrent indifféremment dans les documents législatifs, administratifs ou judiciaires.
78 La catégorie des « européens » donnera lieu à des décisions cocasses, ainsi est-il possible de citer un arrêt de la Cour de cassation qui déclare qu’un Brésilien est un Européen ! Il est vrai qu’en l’occurrence, il s’agissait de l’application de l’ordonnance du 26 septembre 1842 qui décidait que les délits des indigènes ressortissaient des juridictions cadiales et ceux des Français et Européens des tribunaux militaires. Notre Brésilien prétendait échapper de ce fait à toute juridiction sur le territoire de l’Algérie. « Attendu que l’expression « Européens » ne peut être limitée aux habitants de l’Europe, mais s’étend aux sujets des puissances européennes établis dans leurs colonies hors d’Europe, et aux sujets des puissances étrangères qui participent aux termes des traités, au bénéfice des droits réciproques résultant du droit public européen » (Cass., aff. Otero c/ Ministère public, 18 et 19 janvier 1844, Jurisprudence algérienne, 1844, p. 5 et 6).
79 P. De Ménerville, Dictionnaire de la législation algérienne, op. cit., t. 2, p. 151.
80 A. Rey-Goldzeiguer, Le Royaume arabe, Alger, 1977, p. 388.
81 C’est à l’occasion de la célèbre affaire Élie Léon Enos que la jurisprudence française invente la qualification de « Français non citoyen ». Enos, israélite né en Algérie, demande son inscription comme avocat au barreau d’Alger ; elle lui est refusée, le 28 novembre 1861, au motif qu’il n’a pas la nationalité française puisqu’il n’est pas né sur le sol français, ni de parents français, que, par ailleurs, il n’a fait l’objet d’aucune mesure de naturalisation. Certes, un principe du droit public veut que lors du rattachement d’un pays au territoire de la France, les habitants deviennent Français, mais ce principe ne peut s’appliquer aux indigènes de l’Algérie qui ont conservé « la jouissance de leurs coutumes religieuses, de leurs lois et de leur statut personnel », lesquels sont en contradiction avec le statut français, alors que la condition de Français présuppose l’égalité de tous devant la loi. La cour d’Alger, en audience solennelle le 24 février 1864, écarte cette argumentation et déclare « que tout en n’étant pas citoyen français, l’indigène musulman ou israélite est Français ». Cette affirmation sera confirmée par la Cour de cassation le 15 avril 1864. Sur l’ensemble de la question, voir L.-A. Barrière, Le statut personnel des musulmans d’Algérie de 1834 à 1962, Éditions universitaires de Dijon, 1993, p. 148. Les décisions sont citées dans E. Robe, Journal de la jurisprudence de la Cour impériale d’Alger, Alger, 1862, p. 86 et suiv. et C. Bontems, Manuel des institutions algériennes, Paris, 1976, p. 516.
82 Sénatus-consulte du 14 juillet 1865, art. 3 : « L’étranger qui justifie de trois années de résidence en Algérie, peut être admis à jouir de tous les droits de citoyen français ».
83 Un point n’était pas tranché, encore que sa solution fût implicite, qu’en était-il de la religion de l’Algérien promu à la citoyenneté française ? Dans l’inconscient français, à cette époque, et peut-être encore de nos jours, l’accès à la citoyenneté sous-entendait, dans le meilleur des cas, une forme de laïcisation du nouveau citoyen !
84 Loi du 4 février 1919, (R. Estoublon, A. Lefébure, Code de l’Algérie annoté, op. cit., supplément 1916-1920, p. 302 et suiv.)
85 Entre temps, le décret Crémieux du 24 octobre 1870 avait conféré la citoyenneté française à tous les indigènes israélites des départements de l’Algérie (R. Estoublon, A. Lefébure, Code de l’Algérie annoté, op. cit., t. 1, p. 373). En contrepartie, les israélites devenus citoyens français s’engageaient à adopter le statut civil français ; une étude rapide de la jurisprudence montre que cet engagement fut parfois de pure forme : voir C. Bontems, « Un mal social séculaire : la lettre de gueth ou les tribulations amoureuses du citoyen Pariente », dans Histoire du droit social, Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, PUF, 1989, p. 73.
86 Loi du 4 février 1919, titre ii : Statut juridique des indigènes musulmans qui ne sont pas des citoyens français, art. 12 et suiv. La périphrase utilisée (indigènes musulmans qui ne sont pas des citoyens français) est intéressante car elle traduit un certain désarroi de la part du législateur français. Cette formule sous-entend que les musulmans algériens qui ont accédé à la citoyenneté française demeurent des « indigènes musulmans » ; en conséquence, ils seraient différents du citoyen de métropole. Nous sommes en présence d’une acculturation (l’indigène musulman accédant à la citoyenneté acquiert le statut personnel français) qui laisse subsister des traces de l’état antérieur (le nouveau citoyen demeure un indigène musulman) ; l’acculturation possède, dans l’ordre colonial et peut être de façon générale dans tout l’ordre social, des limites infranchissables qui empêchent toute transformation totale. Ces limites puisent-elles leurs racines dans le phénomène religieux ? (voir supra).
87 Loi du 7 mai 1946, art. 2 : « Tous les ressortissants de nationalité française des départements d’Algérie jouissent sans distinction d’origine, de race, de langue ni de religion, des droits attachés à la qualité de citoyen français et sont soumis aux mêmes obligations. Art. 3 : « Les citoyens qui n’ont pas le statut civil français conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé » (voir J. Lambert, Manuel de législation algérienne, Alger, 1952, p. 233. Voir aussi, la thèse quelque peu confuse de H.-P. Pellegrin, Le statut de l’Algérie, Alger, 1948.)
88 Voir supra.
89 Voir H.-P. Pellegrin, Le statut de l’Algérie, op. cit., p. 72 et suiv.
90 Sur l’ensemble de la question, voir L.-A. Barrière, Le statut personnel des musulmans d’Algérie de 1834 à 1962, op. cit., p. 148 et suiv.
91 Cette question est magistralement traitée dans l’ouvrage de L.-A. Barrière, Le statut personnel des musulmans d’Algérie de 1834 à 1962, op. cit.
92 À titre d’exemple nous renvoyons à cette décision rendue par la Cour d’appel d’Alger, 28 octobre 1878 [Bulletin judiciaire de l’Algérie (BJA), 1878, p. 24 et suiv.] : « Que le mariage français, unique et indissoluble est le fondement même de la famille ; – Que soumis à la répudiation arbitraire et à la polygamie, le mariage musulman ne saurait avoir la même importance sociale… » Cette opposition entre mariage occidental et mariage musulman est renforcée par l’affirmation selon laquelle le mariage musulman est assimilable à une vente : « les principes généraux du contrat de vente sont applicables au contrat de mariage (musulman) » [Ibid., p. 29 et suiv.] ; « la femme achetée sans consentement personnel de sa part » [Tribunal correctionnel d’Orléansville, 9 août 1894, Rev. algérienne, tunisienne et marocaine de droit et de jurisprudence (R.A.), t. 9, 1895, p. 23]. Certaines juridictions iront plus loin encore, en affirmant que non seulement le mariage est une vente, mais que c’est la femme qui se vend elle-même, ou qui vend son corps [Justice de paix d’Akbou, 18 novembre 1901, R.A., t. 18, 1902, p. 160] ; la frontière entre le mariage musulman et la prostitution, n’existe pratiquement plus. Voir C. Bontems, « Sexualité islamique et jurisprudence coloniale en Algérie au xixe et au xxe siècles », dans J. Poumarède, J.-P. Royer (dir.), Droit, Histoire et Sexualité, Lille, 1987, p. 389 et suiv.
93 William Shaler a été consul général des États-Unis à Alger de 1815 à 1825. C’est, des auteurs étrangers nous ayant laissé une narration sur cette ville, l’un de ceux qui a séjourné le plus longuement en Algérie.
94 W. Shalers, Sketches of Algiers, political, historical, and civil containing and account of the geography, population, government, revenues, commerce, agriculture, arts, civil institutions, tribus, manners, languages and recent political history of that country, Boston, Cumming Hilliard, 1826.
95 W. Shaler, Esquisse de l’État d’Alger, traduit de l’anglais par M. X. Bianchi, Paris, Ladvocat, 1830. L’ouvrage a été réédité aux Éditions Bouchène, Saint-Denis, 2001.
96 W. Shalers, Sketches of Algiers, op. cit., p. 23.
97 Th. Shaw, Voyages de Monsieur Shaw, M.D. dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant ; contenant des observations géographiques, physiques, philologiques et mêlées sur les royaumes d’Alger et de Tunis, sur la Syrie, l’Égypte et l’Arabie Pétrée, avec des cartes et des figures, traduit de l’Anglois, 2 volumes, La Haye, Jean Neaulme, 1743, t. 1, p. 407.
98 P. Genty de Bussy, De l’établissement des Français dans la Régence d’Alger, op. cit., t. 1, p. 224-231 et t. 2, p. 306-345.
99 Ibid., t. 1, p. 224.
100 Ibid., t. 1, p. 224 : « Chez les musulmans, politique, finances, administration, principes de conduite, prières, tout est dans le Koran ; et il semble que dans cette œuvre, qui dure depuis tant de siècles, qui régit tant de contrées, œuvre plus prodigieuse encore par le temps où elle a été conçue que par sa valeur intrinsèque, l’homme de génie qui l’a créée se soit attaché à tout régler et à tout prévoir ». Peut-être Genty de Bussy a-t-il emprunté pour partie sa perspective élogieuse à A. H. Anquetil Duperron, Législation orientale, Amsterdam, 1778, p. 65 et suiv. et p. 109 et suiv.
101 P. Genty DE Bussy, De l’établissement des Français dans la Régence d’Alger, op. cit., t. 1, p. 224-225 : « Résumé de toutes les doctrines de l’Orient, adapté dès son origine aux climats, aux mœurs, aux besoins des peuples auxquels il était destiné, si le Koran était demeuré debout tout entier, la législation musulmane, dégagée de cette procédure qui rend l’étude de nos lois si décourageante, serait encore ce qu’on l’a vue à sa naissance, c’est-à-dire, admirable de clarté et de simplicité ».
102 Ibid., t. 1, p. 225.
103 Ibid., t. 1, p. 226. « Séduit par l’exemple de plusieurs de nos mémorables expéditions, où, pour nous parer de toutes les gloires à la fois, les rangs avaient été ouverts aux gens de lettres comme aux artistes, nous avons voulu, sous le double rapport de l’utilité et de la science, recueillir de précieux documents, et nous avions, à cet effet, désigné, pendant que nous remplissions nos fonctions, une commission spéciale tant pour faire des recherches sur la législation musulmane, que pour poser au Midjelès une série de questions. Elle avait pour instruction de suivre le code civil et de commencer par les questions d’état. Elle avait obtenu quelques réponses ; mais bientôt, rebutée par les interminables lenteurs du moufti, du kadi et des oulémas, elle s’est vue forcée de renoncer à l’accomplissement d’une tâche qui eût pu singulièrement faciliter nos relations futures. Un jour, il faut l’espérer, on pourra la reprendre, si les autorités musulmanes, ou moins susceptibles, ou mieux disposées, en donnent les moyens. On trouvera rejetées à la fin de cet ouvrage toutes les questions qui ont été discutées et répondues : ce ne sont que les premières pierres d’un édifice qui s’achèvera plus tard ».
« Un de nos sincères regrets, nous le répétons, a été d’abandonner cette série de questions que nous avions préparées sur la législation indigène. Les solutions eussent pu jeter un grand jour sur ces différences de mœurs d’un non moins grave intérêt pour le passé que pour nos relations, pour le passé que pour l’avenir. N’eussions-nous fait sortir de leur chaos que quelques-uns de ces grands principes qu’on trouve presque chez tous les peuples ; n’eussions-nous marqué que le point de départ des Français et des Maures, et les deux lignes parallèles qu’ils ont suivies depuis, que le résultat nous eût amplement dédommagés de nos peines. Mais il a fallu y renoncer. On ne fait pas parler les gens de force, et ce n’a été que par accident que nous avons pu arracher quelques éclaircissements. Nous n’avions point pourtant abdiqué tout espoir, et revînt l’occasion, on ne la laisserait point échapper » (Ibid., p. 230-231).
104 Voir F. Pouillon, Dictionnaire des orientalistes de langue française, op. cit.
105 P. Genty de Bussy, De l’établissement des Français dans la Régence d’Alger, op. cit., t. 1, p. 229-230 : « Mais de quelles modifications ne serait pas susceptible aujourd’hui cette législation musulmane, d’abord si précise, plus tard si confuse et si embrouillée ! Une fois sa pureté primitive altérée, elle est devenue en quelque sorte un arsenal neutre où chacun puise des armes à sa convenance, et elle laisse une telle latitude aux juges, qu’on peut hardiment affirmer qu’elle n’obéit plus qu’à leurs caprices.
« Il y aurait là pour un réformateur un vaste champ à explorer. Mais quand la religion et la loi s’entrelacent par des liens si intimes qu’on ne peut toucher à l’une sans ébranler l’autre, ce n’est qu’avec la plus extrême réserve qu’on doit essayer des réformes que le temps et un consentement mutuel, d’ailleurs, pourraient seuls légitimer ».
106 I. Mouradgead’Ohsson, Tableau général de l’Empire Ottoman, 4 volumes, Paris, 1788 et la seconde édition en 5 volumes, complétée par le fils, Paris, Firmin Didot, 1824.
107 J. Pharaon, T. Dulau, Études sur les législations anciennes et modernes. Droit musulman, Paris, 1839.
108 Nous faisons allusion à la célèbre traduction de Sidi Khalil par le Dr. Perron : Khalil ibn ISH’AK’, Précis de jurisprudence musulmane ou Principes de législation musulmane civile et religieuse selon le rite màlékite, traduit de l’arabe par M. Perron, Paris, 1848-1854, 7 volumes. Sur cet auteur, voir F. Pouillon, Dictionnaire des orientalistes de langue française, Paris, 2008, p. 750.
109 Tribunal Supérieur d’Alger, 20 juin 1836, J. A., 1836, p. 15 et suiv. En 1834, Sidi Hamdan, Algérien musulman, épouse devant l’officier d’état civil du xie arrondissement de Paris, la dame Zabel née en France et chrétienne. Le premier juge avait estimé que, l’épouse suivant la condition de son mari, la dame Zabel était devenue « indigène du territoire d’Alger ». Pour sa part, le Tribunal Supérieur, tout en rejetant cette affirmation, déclare qu’en se mariant devant l’officier d’état civil puis en revenant s’établir en Algérie, Sidi Hamdan n’a pas entendu renoncer à son statut musulman. En conséquence, la femme suivant la condition de son mari et les enfants nés d’une union légitime suivant la condition de leur père, la tutelle des enfants sera organisée conformément au droit musulman. Cette décision a le mérite de faire une application stricte des règles du droit international privé de l’époque.
110 Revue Africaine. Recueil consacré aux intérêts matériels et moraux des possessions françaises en Afrique, et au succès de la colonisation d’Alger, op. cit., no 3, avril 1837, p. 1 et suiv.
111 Mérilhou perd son mandat de député en 1834 et n’accédera à la pairie qu’en octobre 1837. Il communique son texte à Franque avant le mois d’août 1836, vraisemblablement entre janvier et juin 1836, à une époque où il n’est que conseiller à la cour de cassation.
Auteur
Professeur émérite de l’Université Paris-Sud XI
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