L’absence de formation au ban et arrière-ban en Auvergne au xvie siècle ?
p. 55-78
Texte intégral
1Dès la fin du xive siècle, dans Le songe du Vieil Pèlerin, Philippe de Mézières soulignait l’inefficacité du service militaire du ban et arrière-ban :
Par mon conseil, beau filz, tu useras peu du droit royal qui s’appelle l’arriere-ban, pour lequel plusieurs inconvenienz s’ensuivent. Il te doit souvenir, beau filz, que une bonne quantité de gens d’armes d’eslite avec ta vaillant et royalle magesté, te fera avoir plus grant victoire que telz subgiez amassez, les ungs voulentiers et les autres envis, par l’arriere-ban communaument, sans reigle, venans comme a une foire ne feroient1.
2Pourtant, à la fin du xviie siècle, Gilles-André de La Roque rappelait la réalité vivace de cette armée qui continuait de constituer une réserve, auxiliaire précieuse de la grande armée louis-quatorzienne. Il en proposait la définition suivante : « Le bannum et l’heribannum est une proclamation publique, faite à tous vassaux de se trouver au lieu d’assemblée qui leur est assigné par le Roy, pour servir dans l’armée, soit en personne, ou par des gens qui les représentent, à cheval ou à pied, à proportion de la valeur et de la qualité de leurs fiefs2. » Le ban et arrière-ban étaient une force militaire rapidement mobilisable. Ils permettaient au roi d’obtenir le concours de tous ceux ayant « puissance » de s’armer, possédant à la fois la capacité matérielle de s’équiper et celle de participer à la guerre. Une double sélection s’opérait au sein de la population, selon des critères de la fortune et selon l’aptitude à l’égard du métier des armes. Cette convocation était un héritage du droit féodal, selon lequel tout vassal et tout arrière-vassal devaient assister leur suzerain à la guerre. Il s’agissait d’un service gratuit, à condition qu’il n’excédât pas trois mois. Au-delà, il nécessitait le paiement d’une solde.
3De nombreux historiens, à la suite de Philippe Contamine, considèrent que l’âge d’or de l’institution se situe dans la première moitié du xive siècle3, période à laquelle aurait succédé une longue décadence jusqu’à sa disparition à l’heure de la Révolution française. L’historien pense que, à partir de la seconde moitié du xve siècle, le pouvoir royal a échoué à faire du ban une « force militaire solide ». Étaient mis en cause le prestige médiocre de l’institution, l’irrégularité du paiement de la solde et la forte proportion des défaillants. L’historiographie demeure rare sur le sujet4 et elle a tendance à confirmer l’idée que cette forme de recrutement militaire, appartenant à la réserve, n’a plus d’utilité à partir de la création des premières troupes professionnelles : les compagnies d’ordonnance en 1445. Or, le ban et arrière-ban continuent pourtant d’être régulièrement convoqués et ils sont employés par le pouvoir royal jusque dans les années 16905. Tout au long du xvie siècle, ils conservent même une véritable fonction militaire, à la faveur notamment des luttes contre les Habsbourg mais aussi pendant les guerres de Religion et la Ligue, quand les listes des seigneurs présents à la montre du ban peuvent servir à éclairer les prises de position des nobles en faveur du parti royal ou, en cas de défaillance, en faveur du parti ligueur.
4Il est cependant très difficile de saisir la réalité du ban et arrière-ban dans le royaume de France au cours de la première modernité. Les seuls documents dont nous disposions pour écrire l’histoire de cette institution en Auvergne et en Bourbonnais se résument aux quelques listes de convocation des feudataires qui nous sont parvenues, ainsi qu’à certaines ordonnances royales d’organisation et de réformation de l’armée de réserve. Mais aucun élément du corpus documentaire ne permet de cerner les attentes spécifiques du pouvoir royal quant à la formation physique et technique attendue du ban. Le monarque se contentait de formuler des obligations en matière d’équipement des seigneurs convoqués, mais il n’exprimait rien pour l’entraînement militaire requis. Lors de la participation à la montre du ban, les gentilshommes astreints se satisfaisaient de décliner la panoplie avec laquelle ils devaient servir : en homme d’armes, pour les plus riches, en archer et en brigandinier pour les plus modestes6. Mais ils ne faisaient normalement pas état de leurs capacités physiques à servir puisque les deux seules exemptions tolérées en ce domaine étaient la vieillesse et la maladie, qui rendaient concrètement compte de la caducité du feudataire. Les modalités de la participation au service militaire féodal reposaient sur la seule échelle des revenus féodaux et non pas sur une quelconque disposition physique. L’autorité suzeraine ne posait pas même la question de l’aptitude au combat, puisque le partage de la vertu était normalement le propre des feudataires. Cette qualité innée ne devait pas nécessiter une quelconque formation : seule la roture, dont le sang maculé ne pouvait véhiculer la vertu, devait être formée au métier des armes. Qu’en était-il alors pour les nombreux roturiers détenteurs de fiefs au début du xvie siècle ? Ils étaient traditionnellement exemptés du service contre le paiement d’une taxe de franc-fief. Ils ne cherchaient guère à contourner cette interdiction de servir, même en cas de tentative d’agrégation à la noblesse.
5Mais le problème de la formation ne doit pas éluder celui de l’entraînement. Face aux lacunes documentaires des papiers d’État, il est judicieux de se tourner vers des sources personnelles, émanant des nobles eux-mêmes. Les fonds familiaux, riches en Auvergne et en Bourbonnais7, regorgent d’inventaires après décès ou d’actes de donation, qui font état des pièces d’armes et des équipements militaires, nécessitant une maîtrise technique minimum, qui étaient détenus par le seigneur défunt ou par le donateur. Quelques quittances permettent également de suivre l’intense marchandage autour du cheval, objet de nombreuses tractations financières entre nobles. Si ce corpus documentaire peut aider l’historien à cerner les contours du patrimoine armurier possédé par un feudataire, il reste en revanche muet quant à la formation et au maniement effectif des armes. Interroger les écrits du for privé, comme les livres de raison, peut constituer une piste intéressante pour explorer les arcanes de l’apprentissage que recevaient les fieffés. Mais ils sont très rares en Auvergne et en Bourbonnais, et ils ne permettent pas de retracer le parcours d’apprentissage d’un jeune noble. Ils ne livrent aucun récit personnel sur l’expérience de la guerre et ils restent muets sur les mécanismes de transmission des savoirs et des savoirs-faire militaires au sein du lignage noble, contrairement aux mémoires de Fortin de La Hoguette8.
6Force est de constater qu’il est très difficile de mesurer le poids de la formation militaire au ban et arrière-ban d’Auvergne. Obstacle supplémentaire, les feudataires revendiquaient eux-mêmes une absence de formation comme motif de leur incapacité à servir. Existait-il alors une quelconque formation militaire au ban ? S’agissait-il d’un savoir-faire acquis spécifiquement dans ce cadre ou plutôt d’un capital multiforme constitué à partir des traditions familiales, de l’apprentissage institutionnel et des expériences personnelles de la guerre ?
7Devant ce manque de documentation patent sur la formation que recevaient les seigneurs pour participer au ban, il m’a semblé plus pertinent de poser la question, plus large, mais toujours à travers le filtre du ban et arrière-ban, de la formation globale que les gentilshommes auvergnats possédaient pour assurer leur spécificité sociale : le métier des armes.
8L’unanimité de la revendication d’une absence de formation militaire était avant tout un moyen efficace pour se faire exempter à bon compte du ban et arrière-ban, à un moment où s’équiper pour celui-ci grevait sérieusement les revenus nobles. Néanmoins, la réalité de ce phénomène pose problème car, en suivant un certain nombre d’itinéraires personnels, on doit faire face à un paradoxe : il n’est pas rare de retrouver les impétrants dans des compagnies d’ordonnance ou dans l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Si l’on ne peut pas remettre en cause l’existence d’un savoir-faire militaire, ne faut-il pas s’interroger finalement sur le cadre de son apprentissage et sur sa mise en œuvre ?
Une absence de formation au ban et arrière-ban revendiquée par les feudataires auvergnats
Un moyen efficace de se faire exempter du service militaire : l’exemple des bans de Haute-Auvergne en 1503 et en 1533
9Il existait une véritable spécificité auvergnate en matière de ban et arrière-ban dans la mesure où les feudataires adoptèrent une attitude singulière de rejet ouvert de ce service. Si cette institution commençait à être largement méprisée par les nobles français de la première modernité, aucune autre province du royaume ne donna à voir le tableau d’un déni aussi franc. Ce constat est d’autant plus surprenant que la noblesse auvergnate, et plus particulièrement celle de Haute-Auvergne, était composée d’une écrasante majorité de nobles pauvres, voire très pauvres, qui déclaraient moins de dix livres tournois de rente noble. Ces gentilshommes ne jouissaient pas d’un statut social suffisant pour être recrutés comme hommes d’armes dans une compagnie d’ordonnance. Face à ce blocage social, les seigneurs les plus modestes ne pouvaient exercer leur altérité sociale, le métier des armes, que dans le corps de réserve du ban et arrière-ban. Si ce cas de figure d’une noblesse nécessiteuse est loin d’être exceptionnel au xvie siècle, le comportement des Auvergnats est, quant à lui, pour le moins inhabituel. Ainsi, à la même époque en Bretagne, alors que les haute et moyenne noblesses désertaient ostensiblement le ban, l’immense majorité des nobles miséreux répondaient fidèlement à son appel9. Il s’agissait bien souvent pour eux de l’unique moyen d’illustrer leur appartenance à une noblesse qui ne semblait pas évidente dans les actes de la vie quotidienne. Or, la comparaison des listes de ban du bailliage des Montagnes d’Auvergne, pour les convocations de 1503 et de 1533, révèle un panorama bien différent et elle montre que les Auvergnats, à chaque degré de la pyramide nobiliaire, rejetaient au contraire massivement le service du ban et arrière-ban.
10Deux cent quarante feudataires furent convoqués au ban de Haute-Auvergne de 1503, levé par la duchesse de Bourbon sur ordre du roi10. Si la plupart d’entre eux firent l’effort de se déplacer jusqu’au chef-lieu du bailliage des Montagnes d’Auvergne à Aurillac, cent onze affirmèrent ne plus être capables d’assurer ce service militaire à cause de leur grande pauvreté. Cet argument pouvait masquer une incapacité à servir en raison d’une absence de formation. Un seul gentilhomme, Pierre de La Roque, seigneur de Montal, proposa, sans renâcler, de servir « le roi selon la faculté de ses biens et de son pouvoir ». Les exemples d’incapacité à servir sont légion dans le registre de 150311. Ainsi, Antoine de La Vaissière, écuyer, seigneur de Thiézac, affirme que « ses ancêtres servaient d’un brigandinier mais avaient pour lors 50 l.t. de rente ». Avec un revenu de huit livres tournois et quatorze sous, il était désormais trop pauvre pour assumer ce service. Certains écuyers, appartenant à la noblesse médiane de Haute-Auvergne, doivent visiblement faire face à un appauvrissement généralisé. Même Guy d’Albars, l’un des chevaliers les plus fortunés du registre, qui disposait de près de deux cent cinquante livres tournois de rente, reconnaissait ne plus être capable de fournir un homme d’armes car, depuis la mort de son père, il avait dû vendre « 7 XX » livres de rente. Le cas extrême de l’écuyer Archambaud de Cornac est révélateur de la crise foncière qui affecte la noblesse du royaume depuis le dernier quart du xve siècle : il déclarait seize livres tournois de revenu. Il servait auparavant le roi comme brigandinier mais il avait dû engager toutes ses terres et il ne lui restait plus que le petit domaine de Cornac. On assiste à l’extinction d’un lignage noble féodal12, au propre comme au figuré, car après 1503 on n’en trouve plus trace. Si l’hypothèse d’une mort biologique de la famille ne peut être écartée, c’est bien celle d’une mort sociale provoquée par un retour dans l’anonymat de la roture qu’il faut privilégier. D’une manière générale, l’équipement confirme l’indéniable pauvreté d’une grande partie de la noblesse de Haute-Auvergne, car l’écrasante majorité des feudataires devaient fournir un brigandinier à cheval13.
11Portons-nous trente ans plus tard sur le même espace. Dans les montagnes d’Auvergne, deux cent onze feudataires, tous nobles cette fois-ci, furent convoqués par le bailli, Gabriel de Nozières-Mallemort, en 153314. L’indigence de la plèbe nobiliaire est sensiblement la même qu’en 1503 puisque cent soixante-neuf feudataires servirent comme brigandinier. On observe même une évolution supplémentaire dans la désaffection des Auvergnats pour le ban et arrière-ban car, sur les cent quarante-sept défaillants, quatre-vingt-trois seigneurs ne prirent pas la peine de se déplacer ni même d’envoyer un procureur, pratique pourtant courante qui leur aurait permis d’être classés parmi les absents excusés et donc d’échapper aux possibles poursuites de mise sous séquestre de leurs biens féodaux.
12Pour percer la réalité de l’appauvrissement de la noblesse, il faudrait analyser précisément les comptes seigneuriaux de nombreux fiefs. Il faut très certainement le relativiser, notamment en Haute-Auvergne, car les rentes seigneuriales y étaient largement dues en nature pendant une large partie du xvie siècle. Si cette politique foncière provoquait un manque de numéraire dans les finances nobles, elle avait l’immense avantage de permettre aux gentilshommes auvergnats de soustraire une bonne partie de leurs revenus à la dévaluation de la rente foncière dans la seconde moitié du xve siècle15. Par ailleurs, les déclarations de revenus données dans le cadre du ban étaient systématiquement dévaluées par les seigneurs. Si Michel Nassiet a pu évaluer le taux de fraude entre vingt et cinquante pour cent, il a aussi démontré que l’ordre de grandeur des rentes seigneuriales était tout de même largement respecté par les feudataires. Il y avait certainement une marge de manœuvre frauduleuse tolérée et négociée avec les agents locaux du pouvoir royal, que les nobles auvergnats connaissaient et qu’ils ne dépassaient pas sous peine de sanctions lourdes, pouvant aller jusqu’à la confiscation du fief litigieux. Si cette pauvreté était systématiquement accentuée dans les aveux et dénombrements de fiefs, celle-ci reflétait un mouvement général de crise des revenus seigneuriaux. Mais les seigneurs détenaient des sources de rémunération diversifiées, qui ne sauraient être réduites à la seule rente seigneuriale. Les offices royaux et ducaux, avec le concours des nombreux revenus des terres roturières qui n’étaient pas comptabilisés dans les rôles de ban, venaient arrondir le patrimoine des feudataires auvergnats. Sans vivre dans une opulence scandaleuse, ils n’étaient sans doute pas aussi miséreux qu’ils voulaient bien le dire. Mais les revenus moyens déclarés dans les aveux et dénombrements de fiefs étaient révélateurs d’un ordre de grandeur réel, et ils montrent bien le fossé qui séparait la masse de la très petite noblesse des maisons titrées de la province16. Les nobles les plus modestes n’avaient d’ailleurs aucun intérêt à apparaître par trop miséreux. En effet, c’était la question de leur survie au sein de la noblesse qui était ici posée : s’ils sous-évaluaient trop largement leurs revenus, l’autorité royale pouvait les soupçonner de ne plus être capables de soutenir un train de vie noble, même minimum. Il y avait négociation perpétuelle entre les représentants du pouvoir royal en Auvergne et les feudataires quant à la définition de la nécessité : les seigneurs se disaient suffisamment nécessiteux pour échapper au service militaire mais, en retour, les revenus qu’ils donnaient se situaient dans un ordre de grandeur voisin de leur revenu réel, ce qui leur permettait d’apporter une contribution financière au ban.
13Le problème de la défaillance des Auvergnats au ban et arrière-ban n’est pas celui de la fidélité au roi. L’analyse du vocabulaire usité par les seigneurs est éloquente. Tous reconnaissent indéniablement la suprématie de l’autorité royale, et les généalogies familiales ainsi que différentes quittances viennent effectivement attester d’un service ancien sous le patronage royal. Mais, lorsque les gentilshommes l’évoquent, ils emploient un vocabulaire passéiste, comme si le service accompli par leurs ancêtres leur était désormais impossible à exercer17. Ils ont d’ailleurs parfaitement conservé la mémoire du service militaire car tous, y compris les nouveaux acheteurs de fiefs, connaissaient précisément la panoplie que chacun d’eux devait fournir pour chacune de leurs terres.
14La défaillance au ban révèle avant tout, plus qu’une absence de formation, une incapacité matérielle des nobles à se rendre équipés à la montre. En 1503, la bonne volonté de Sébastien de Lestang à servir le roi n’est pas remise en question. Il servait auparavant en brigandinier à cheval et il est toujours prêt à le faire. Mais il lui faut désormais l’aide de l’autorité souveraine car il a dû vendre tous ses chevaux. De fait, servir au ban coûte cher : en 1557, les coûts de l’équipement sont évalués par le roi à cent quinze livres tournois pour un arquebusier à cheval, trente-sept livres tournois pour un homme de pied, quarante-six livres tournois pour un arquebusier et soixante-neuf livres tournois pour un archer.
15Mais le manque de matériel ne signifie pas pour autant un manque de formation aux techniques militaires. Si l’absence de formation est évidente pour les femmes, les enfants et les vieillards, qu’en est-il pour les hommes en âge de combattre ? Il faut tout d’abord exclure ceux qui sont prétendus incapables d’être formés en raison d’une « débilité18 » physique ou mentale. Ainsi, Antoine et Pierre de Montsalvy, père et fils, sont tous deux exemptés pour débilité : Antoine est trop âgé pour servir, tandis que son fils, qui a l’âge requis, « est tout follet de sa personne ». L’argument de la folie est d’ailleurs un motif d’exemption assez courant. En dehors des disgrâces physiques et mentales, l’incapacité peut en fait se réduire à l’impossibilité matérielle de se rendre physiquement à la montre du ban. C’est la raison qu’invoque en 1554 le seigneur de Dienne qui ne peut se rendre à Aurillac car, « causant la montagne, il n’a pu passer ». Son excuse n’est toutefois pas reçue par les officiers du bailliage car il est noté parmi les défaillants19.
16Mais, même en tenant compte des feudataires possédant des biens dans différents bailliages et qui servaient ailleurs, force est de constater qu’en Auvergne le ban ne fut pas intégrateur. Il ne fut même pas utilisé comme révélateur d’une appartenance à une élite sociale puisque la plèbe nobiliaire, dont les membres devaient pourtant avoir bien du mal à maintenir leur existence au sein de la noblesse, le désertèrent. La question centrale qui se cache derrière ces défections massives est celle de la capacité de cette petite noblesse à rester dans un ordre dont elle rejeta une partie de la distinction, fondée sur l’exercice des armes, en ne se rendant pas au ban. Ce constat tend à démontrer que cette plèbe nobiliaire très hétéroclite, qui se fondait tant bien que mal dans l’univers de la petite gentilhommerie, se situait en fait aux marges sociales et culturelles de la noblesse. Elle ne partageait sans doute pas l’ensemble des valeurs chevaleresques et elle avait établi ses propres critères de distinction sociale, en partie différents de ceux du reste du second ordre car ces nobles miséreux ne trouvaient pas la justification de leur noblesse dans le maintien de leur activité militaire au ban et arrière-ban. Il permet aussi de relativiser le rôle du pouvoir royal dans la définition de la noblesse de la première modernité. Les mécanismes de reconnaissance sociale du pouvoir local avaient sans doute une part bien plus importante sur celle de l’autorité centrale. Peut-être faudrait-il tenter une comparaison avec la gentry britannique, en cours de formation dans cette même temporalité. La défaillance et l’absence de formation revendiquées des Auvergnats au ban et arrière-ban posent également la question de sa portée militaire réelle pendant la première modernité.
Le ban et arrière-ban au xvie siècle : une utilité militaire encore valable ?
17Le principe admis en matière d’équipement militaire était que chaque individu s’arme « selon son estat ». Il en découlait une grande disparité entre les combattants du ban. Pour la plupart des gentilshommes auvergnats, l’obligation de se procurer une panoplie, souvent mal définie, se soldait par des insuffisances ou même par une absence du strict nécessaire. Certains se présentaient au ban « tout nus » ou d’autres, qui devaient leur enrôlement à l’état d’urgence, avaient égaré ou bien revendu leurs armes. C’est le cas, en 1503, d’Amaury de Cayrac, du bailliage de Mauriac, qui affirme que son père fournissait un brigandinier mais que, depuis, la brigandine familiale a été vendue et qu’il n’est pas assez riche pour en acheter une nouvelle. La négation de la valeur militaire du ban et arrière-ban est le résultat d’une comparaison déséquilibrée avec l’armée royale régulière. La création des compagnies d’ordonnance, première forme d’une armée professionnelle, entraîna une redéfinition des missions du ban et arrière-ban, que la monarchie chercha à réorganiser dans la seconde moitié du xve siècle.
18Charles VII entreprit une vaste réforme afin de limiter les convocations à l’improviste et de permettre une meilleure formation et un meilleur armement. La mise en ordre du ban intervenait dans un contexte général de redéfinition de l’armée royale. La création des compagnies d’ordonnance du roi en 1445, suivie par celle des francs-archers en 1448, venait entériner l’instauration d’une armée régulière efficace. Le roi obligea tous les détenteurs de fief à se tenir prêts pour le service, ce qui supposait que ces derniers devaient s’occuper individuellement de leur entraînement militaire, sans intervention du pouvoir royal. Des commissaires nommés dans chaque bailliage et chaque sénéchaussée dressèrent la liste des nobles et des non-nobles tenant fief et arrière-fief du roi. Ils firent ensuite prêter serment aux astreints d’être prêts dans un délai de six mois et de s’équiper en fonction de leurs ressources, les noms des récalcitrants étant directement transmis au roi. La réforme de Charles VII visait ainsi à mettre sur pied un service militaire de réserve des nobles, disponible sur convocation royale.
19À partir de la Ligue du Bien Public, Louis XI utilisa régulièrement la force du ban. Pour la rendre plus efficace, il accentua le contrôle royal sur l’institution en nommant quatre capitaines, pour l’ensemble du royaume, qui avaient en permanence la charge des « lances et brigandiniers pour le ban et arriere ban ». En temps de paix, ces capitaines devaient surveiller l’équipement des astreints et, en temps de guerre, ils prenaient la tête du ban. Cependant, ils n’avaient aucun droit de regard sur la formation des feudataires en temps de paix. Malgré ses efforts, au tournant des années 1490, le seigneur auvergnat Robert de Balsac affirmait dans un traité sur la guerre qu’il n’était pas possible d’admettre qu’une province fournissant naguère quatre cents hommes d’armes au ban et arrière-ban n’en fournisse plus désormais qu’une centaine20. Il préconisait l’adoption d’une livrée spécifique au ban et il demandait l’application de la réforme de Louis XI. Le maréchal de Gié s’inspira des prescriptions du sénéchal d’Agenais pour mener la grande enquête de 1503 : à travers le royaume, des registres de fiefs et d’arrière-fiefs furent soigneusement établis, contenant le nom de leurs possesseurs et les services auxquels ils étaient tenus dans le cadre du ban. Un double de chacun de ces registres fut transmis au roi.
20Afin de permettre à la plèbe nobiliaire provinciale, qui n’en avait pas les moyens, de servir, François Ier engagea une réforme importante en 154121. Dorénavant, le ban serait convoqué chaque année. L’ordonnance introduisit plusieurs innovations, comme la création d’un barème qui définissait des classes de revenu et qui assignait un type de service à chacune. La seconde innovation fut le service en homme de pied pour les nobles disposant d’une rente de deux cents à trois cents livres tournois. Cet équipement était certes moins onéreux mais il était préjudiciable pour la dignité nobiliaire. Cette mesure, qui rencontra une opposition ferme des gentilshommes, fut supprimée dès 1548. Le roi tint compte de la grande difficulté pour ces petits nobles à s’équiper et à faire face aux frais de service. Il leur donna la possibilité de réunir leurs revenus pour fournir l’équipement d’un combattant. En 1554, la liste des seigneurs convoqués dans le bailliage des Montagnes d’Auvergne fait apparaître des regroupements de feudataires dont le total des revenus atteignait le seuil fixé par le roi. Cent quatre-vingt-quatre feudataires furent convoqués à Aurillac au mois de mars22. Ils devaient fournir en tout cinquante chevau-légers. Les feudataires les plus pauvres se rassemblèrent pour former quatorze regroupements équivalant à trente-six chevau-légers. Ainsi, onze seigneurs, tous voisins des paroisses de Thiézac et de Saint-Alyre, s’unirent pour fournir un cheval-léger : le seigneur de Barriac, le plus riche du groupe, fournit un quart de l’équipement, tout comme le seigneur de Bar. Les frères de Pratlat et le seigneur de Perlé se mirent d’accord pour fournir ensemble un autre quart, tout comme les seigneurs de Berbezou, de Body d’Aron et de Couffour. Les deux feudataires les plus pauvres, les seigneurs de Montailly et de La Roquevieille, donnèrent chacun cent sous. Ils désignèrent l’un d’eux, Antoine de Pratlat, pour servir en leur nom comme chevau-léger. Cette formule souple avait pour but de susciter, au sein de petits groupes de voisins qui se connaissaient bien, une responsabilité collective et de pallier les défaillances trop grandes dans ce milieu social. Elle permettait également de désigner comme feudataire combattant, non pas le plus riche du regroupement, qui pouvait être vieux ou inapte, mais le plus apte à combattre, le mieux armé mais aussi le mieux formé. Cette réforme montre que le pouvoir royal souhaitait mettre en place un corps ayant une capacité militaire réelle, avec des individus aptes au combat, plutôt qu’un effectif élevé. Mais cette organisation en groupe de feudataires était sans doute trop compliquée à instaurer et elle fut supprimée dès l’année suivante.
21Dès lors, l’organisation du ban et arrière-ban ne fut plus modifiée au xvie siècle et il fallut attendre la dernière grande réforme de 1635.
22L’absence de formation au ban était inhérente au problème d’organisation et de constitution d’une force armée reposant sur la mobilisation d’un groupe social, même si la vocation de ce dernier était l’exercice des armes. L’obstacle principal était l’immense difficulté pour les nobles les plus pauvres à faire face aux coûts de l’équipement et des déplacements. Les propriétaires de très petits fiefs, si répandus en Haute-Auvergne, où les minuscules coseigneuries régnaient en maîtres, devaient donc choisir entre faire défaut ou, étant mal équipés, se rendre au ban où ils encombraient les rangs plus qu’ils n’apportaient une force efficace.
23Les Auvergnats rechignèrent à servir au ban et arrière-ban pendant tout le xvie siècle. Leur pauvreté présumée leur permettait de jouer sur un défaut d’armement. Elle devait avoir pour conséquence la justification de leur défaillance au ban. Mais être pauvre ne signifiait pas ne pas être formé.
Le paradoxe des gentilshommes auvergnats : le métier des armes en dehors du cadre du ban et arrière-ban
Un armement moderne
24Si l’on regarde les inventaires de châteaux, on se rend compte que non seulement les gentilshommes auvergnats possédaient un arsenal important, mais que celui-ci était souvent à la pointe de la technologie militaire. Or la possession de ce type d’armes nécessitait une formation pour les utiliser. La diffusion des armes à feu fut lente mais indéniable : dans le bailliage de Saint-flour en 1503, il y eut seulement trois brigandiniers armés d’une couleuvrine à main, mais, lors du ban de Haute-Auvergne de 1554, il fut demandé que tous les hommes de pied soient armés d’une arquebuse.
25Les inventaires après décès montrent que l’armement était un élément considérable des biens meubles des châteaux. Cette spécificité militaire était même reconnue dans la coutume d’Auvergne qui classait l’artillerie des châteaux dans les biens immeubles dépendant des murs du château, au même titre que les éléments architecturaux. Elle était destinée à l’aîné qui en héritait en même temps que de la demeure seigneuriale. La suprématie nobiliaire du chef de la maison noble devait être assurée par la dévolution de l’« artillerie » familiale ; elle était partie prenante de l’héritage de l’aîné, faisant ainsi de lui le chef militaire légitime de son lignage, tenu de défendre sa maison, comprise à la fois comme édifice physique accueillant les membres du lignage et comme construction immatérielle du pouvoir lignager. Désormais seul propriétaire du patrimoine armurier de sa famille, le fils aîné en devenait d’office le patron car il était le seul à détenir d’emblée les capacités matérielles pour assurer ce rôle23.
26L’arsenal du château faisait l’objet d’un minutieux inventaire à chaque ouverture de succession. L’inventaire des meubles du château de Dienne en 1580, après la mort du baron Jean lors du siège de Mur-de-Barrès, répertorie scrupuleusement les pièces d’armement, même dérisoires, conservées dans chaque pièce24. Dans la chambre de Monsieur, on trouve à côté du lit « dix arquebuses grandes ou petites, desquelles en y a six a rouet et quatre a mesche » et « une pistolle marquettée de chesne de menuiserie ». Dans le cabinet de Madame, au beau milieu des robes et des fourrures de la dame de Dienne, sont entreposées les tenues militaires et les armes blanches. Si ces équipements, comme les armes d’hast, les dagues et les arbalètes, étaient utilisés par Jean de Dienne comme lieutenant de la compagnie d’ordonnance du marquis de Canillac, l’armement propre du château de Dienne était quant à lui conservé, assez logiquement d’ailleurs, dans le cabinet des armes. Ce cabinet servait d’entrepôt à poudre et il permettait de mettre en place une défense, certes modeste mais pas dénuée d’efficacité, du château25. L’inventaire du château de Madic en 1562, demeure principale de François de Chabannes, marquis de Curton, révèle que celui-ci abritait un véritable arsenal de guerre, comprenant seize pièces d’artillerie et plus de trois cents hommes. Madic était ainsi l’une des principales forteresses de Haute-Auvergne, faisant de son propriétaire un chef militaire stratégique, dont la fidélité était grandement recherchée par le pouvoir royal26. Le château permettait à son propriétaire de maintenir une capacité de résistance et de manifester, par la même occasion, une certaine potentialité de pression politique, dont le prestige rejaillissait sur lui.
27Les Auvergnats disposaient donc d’un matériel militaire moderne, conforme aux évolutions des armes au début de la révolution militaire. Fort de ce constat, ne peut-on pas se demander si les gentilshommes auvergnats exerçaient en masse le métier des armes ? Dans quel cadre l’exerçaient-ils ?
Un service classique dans les compagnies d’ordonnance
28À partir des listes de ban, il est possible de connaître précisément le nombre de gentilshommes servant dans l’armée royale, car l’emploi dans l’armée régulière était un motif d’exemption au ban. La liste de prestations du serment de fidélité que François Ier réclama à l’ensemble des feudataires auvergnats et bourbonnais en 1523, après la trahison du connétable de Bourbon, permet de quantifier précisément le nombre de gentilshommes auvergnats qui étaient alors en service dans l’armée royale27. Seuls 6,5 % d’entre eux furent excusés pour service dans les compagnies d’ordonnance. Ce pourcentage classe les anciennes possessions des Bourbon, comme la Normandie28, dans les provinces sans intérêt géostratégique majeur pour le pouvoir royal, où le service militaire royal ne permettait pas à la masse nobiliaire d’être employée pour « tenir le terrain ». L’emploi dans l’armée restait aux mains d’une élite nobiliaire restreinte, et le contexte local ne donna pas l’occasion de créer une noblesse seconde. En revanche, en Bourgogne et en Champagne, provinces frontières stratégiques à l’heure de l’affrontement contre les Habsbourg, la formation de ce groupe social et politique dépendant directement du roi révèle à quel point l’identité de la noblesse seconde était intrinsèquement liée au service dans l’armée royale. Laurent Bourquin a ainsi démontré qu’au moins 30 % des nobles champenois étaient employés dans les compagnies d’ordonnance29. Le faible pourcentage des Auvergnats dans l’armée royale reste stable tout au long du xvie siècle et il est similaire à celui du ban de 1554 dans le bailliage d’Aurillac. Parmi les cent quatre-vingt-deux feudataires convoqués, seuls douze d’entre eux obtinrent une exemption car ils étaient employés régulièrement au service du roi. Quatre étaient gentilshommes de la maison du roi, un seul était capitaine d’une compagnie d’ordonnance, cinq autres servaient comme hommes d’armes dans les ordonnances, tandis que deux feudataires étaient capitaines châtelains de forteresses royales en Auvergne.
29Les Auvergnats étaient donc peu nombreux à servir dans les compagnies régulières. Ce constat est somme toute logique car il s’agissait d’une noblesse pauvre, sans grand éclat et dont le rayonnement social ne s’étendait guère au-delà des frontières de sa vallée. Or, les ordonnances royales tendirent à devenir de plus en plus sélectives au cours du xvie siècle, au point de restreindre le recrutement des hommes d’armes aux seuls garçons issus de la noblesse moyenne et de la noblesse seconde. La question de la formation militaire ne se posait pas pour ces derniers car, après leur entrée dans la compagnie, les soldats de l’armée royale recevaient un apprentissage exigeant ainsi qu’une sensibilisation à l’honneur chevaleresque. Mais ils ne pouvaient faire bénéficier le corps du ban de leurs connaissances et de leur maîtrise car ils étaient exemptés du service pendant tout le temps de leur présence dans l’armée.
30C’est en cela que réside tout le paradoxe du ban et arrière-ban en Auvergne et en Bourbonnais : les nobles dont on est sûr qu’ils aient été formés, ne furent pas en mesure de faire bénéficier l’armée de réserve de leur expérience au combat ni de leur technique dans la manipulation des armes.
31Existait-il des feudataires qui devaient être présents pour le service du ban et dont il est avéré qu’ils servaient ailleurs comme soldats ou officiers ?
L’Auvergne du xvie siècle, un espace marqué par l’importance des ordres militaires et par les guerres privées
32Plus que le service militaire au sein des compagnies d’ordonnance, les nobles auvergnats se distinguaient des autres noblesses provinciales par une tradition ancienne de service dans les ordres religieux militaires. L’ordre de Saint-Jean de Jérusalem conservait un poids particulièrement puissant en Auvergne et c’était en son sein que les Auvergnats plaçaient leurs cadets, bien plus que dans l’armée royale. La langue d’Auvergne demeurait d’ailleurs l’une des plus importantes de l’ordre au xvie siècle. Sa suprématie était sanctionnée par le fait que le bailli d’Auvergne commandait l’ensemble de l’armée de l’ordre. Un vaste espace central, comprenant le Limousin, l’Auvergne et le Bourbonnais, restait le bassin traditionnel de recrutement des grands maîtres de Saint-Jean. À l’échelle strictement locale, le chapitre noble Saint-Julien de Brioude assurait la formation militaire de bon nombre de cadets issus de la noblesse féodale auvergnate. Les chanoines-comtes étaient les héritiers de la milice chargée de défendre le corps de Saint-Julien depuis le ixe siècle30.
33L’ancien domaine des ducs de Bourbon était fortement imprégné de l’idéal chevaleresque porté par les ordres religieux militaires. Or ceux-ci dispensaient une formation militaire pointue dont pouvaient bénéficier les cadets de famille ancienne. S’il fallait être capable de démontrer, par preuves écrites et par témoignages oraux31, la possession de seize quartiers de noblesse, aucune exigence n’était évoquée en termes de capital lignager foncier et financier. L’ordre de Saint-Jean de Jérusalem et le chapitre Saint-Julien menaient une logique de recrutement différente de celle à l’œuvre dans les compagnies d’ordonnance et, même s’ils pouvaient parfois s’entrecouper, leurs bassins de conscription étaient distincts. Ils offraient une possibilité de carrière à des cadets issus d’une noblesse ancienne mais qui, pas forcément assez riches, n’avaient pas pu intégrer l’armée royale. L’appartenance à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem ne constituait pas un motif d’exemption au ban et arrière-ban, et de nombreux chevaliers y servaient, comme le firent en 1503 Jacques de Chauvigny32, ou Claude du Chéry lors du ban de Basse-Auvergne en 1543. Les jeunes aspirants entraient dans l’ordre à seize ans révolus et ils partaient alors pour trois ans à Malte et à Rhodes. Au terme d’une intense préparation militaire, qui les rendait capables de mener le combat sur terre et sur mer, ils rentraient en France pour servir l’ordre dans leur langue33. Les membres des ordres militaires constituaient peut-être de précieux auxiliaires pour le service du ban.
34L’ensemble de l’Auvergne reste par ailleurs sillonnée, jusqu’aux Grands Jours d’Auvergne de 1664, par de nombreuses guerres privées, preuve d’une vitalité certaine du fait militaire au sein de la noblesse locale. Ainsi, au tournant des xve et xvie siècles, les familles d’Anjony et de Tournemire se livrèrent une guerre sans merci. Les Tournemire furent condamnés par le Parlement au bannissement perpétuel, et tous leurs biens devaient être saisis par le roi. Le bailli d’Auvergne, Jean de Dorat, nomma, pour accomplir cette tâche, deux hommes de guerre respectés de Haute-Auvergne, Jean de Cayrac et Jean de Nozières. Mais les troupes du bailli ne parvinrent jamais à prendre la place forte de Tournemire, constamment défendue par la puissante armée privée de Rigaud de Tournemire. L’autorité royale fut contrainte d’abandonner les poursuites, et la guerre entre les Anjony et les Tournemire reprit de plus belle34.
35En 1569, pour venger l’assassinat de son fils Guillaume d’Apchon par le vicomte d’Aubeterre, Marguerite d’Albon monta une expédition punitive pour châtier ses assassins, alors même que le Parlement venait de les condamner à mort. Mais une simple décision de justice ne pouvait éteindre à elle seule la faide familiale. Elle fut menée par le frère aîné de la victime, Antoine d’Apchon, chef de la maison. Il constitua une véritable armée privée, formée d’amis et de vassaux, mais aussi, chose plus étonnante, d’hommes d’armes de l’armée royale35. Antoine d’Apchon fit appel à l’un de ses amis, le seigneur d’Aumont, lieutenant de la compagnie du comte de Montpensier, et au comte de Montpensier lui-même36, pour qu’ils envoyassent des soldats pour former une bande. Cette requête fut largement satisfaite car le comte, profitant de la dissolution momentanée de sa compagnie après la bataille de Jarnac, donna plusieurs hommes d’armes ainsi que des chevaux et des laquais. S’il est intéressant de voir la manière dont les compagnies d’ordonnance pouvaient être utilisées dans le cadre privé des blessures de l’honneur lignager, il faut surtout souligner l’aptitude des Auvergnats à mettre sur pied de véritables troupes, en dehors de tout contrôle royal, capables de tenir des sièges et de mener des raids.
36Au temps de la Renaissance, le compagnonnage militaire et la formation au combat demeuraient encore largement une affaire privée sur laquelle l’autorité monarchique n’avait que peu de prise.
L’apprentissage du métier des armes
L’entourage familial, le cadre traditionnel de l’instruction militaire
37Les gentilshommes auvergnats et bourbonnais qui participaient au ban et arrière-ban étaient donc loin d’être inaptes. S’il est très difficile de retracer leur cursus honorum, surtout quand il s’agit de petits seigneurs, on peut émettre l’hypothèse d’une première formation militaire, reçue pendant la prime enfance dans le cadre de la demeure familiale, sous l’autorité des aînés de la maison noble. En dépit d’un manque patent de sources, on peut supposer que l’oralité jouait un rôle central dans cette formation familiale et que la transmission des savoir-faire militaires reposait sur la mémoire des modèles d’honneur familiaux. Les nombreuses galeries d’ancêtres présentes dans les demeures seigneuriales auvergnates témoignent des vertus pédagogiques et mémorielles des portraits d’aïeux illustres. Même si aucun document écrit ni aucun livre de raison ne viennent étayer les modalités d’utilisation de ces galeries, on peut réfléchir au poids de l’oralité apportée en complément d’information à la simple représentation picturale. Peut-être n’est-il pas déplacé de s’imaginer que chaque enfant de la maison recevait un apprentissage lui permettant de reconnaître les ancêtres portraiturés et de connaître leurs hauts faits afin de prendre modèle sur eux. On peut également supposer que les jeunes garçons étaient familiarisés avec différentes sortes d’armes conservées dans le logis seigneurial.
38L’expérience des armes sur le terrain se déroulait toujours dans le cadre domestique mais à l’extérieur du château. Les oncles étaient les maîtres d’armes traditionnels de leurs neveux sur le terrain. Ce constat est encore plus vrai quand l’un des oncles était capitaine de compagnie d’ordonnance. Dans le cadre de cette parenté immédiate, l’oncle accordait à ses neveux un apprentissage d’égal à égal, destiné à former un nouveau soi-même : un futur officier ou un futur capitaine. Dans le cas de la petite noblesse et des lignées cadettes, il y avait mobilisation d’une parenté plus éloignée car il s’agissait de faire appel à un parent puissant. Il ne s’agissait plus, pour le parent capitaine, de former un pair mais d’avoir un futur compagnon fidèle à son capitaine. Les relations de formation étaient alors empreintes d’allégeance et de clientélisme.
39Ainsi, les hommes de la maison de Chabannes, en Bourbonnais, utilisèrent le cadre de leur compagnie d’ordonnance pour former l’ensemble des jeunes hommes de la maison, tout autant issus du patrilignage que de la parenté cognatique37. Dans la première moitié du xvie siècle, trois Chabannes furent capitaines d’une compagnie d’ordonnance du roi. Le capital de la puissante maison de Chabannes était constitué des compagnies de La Palice, de Vandenesse et de Curton. Les deux premières se trouvaient dans les mains de deux frères : Jacques II de Chabannes-La Palice, maréchal de France, et Jean, son cadet, seigneur de Vendenesse. La compagnie de Curton appartenait quant à elle à leur cousin issu de germain : Joachim de Chabannes, seigneur de Curton. Ces compagnies servirent de cadre à la formation de tous les garçons de la parentèle qui devinrent hommes d’armes puis officiers.
40Christophe d’Alègre, fils cadet d’Yves II, mort à Ravenne en 1512, et de Jeanne de Chabannes, devint homme d’armes de la compagnie d’ordonnance de son oncle maternel, le maréchal de La Palice. Mais le propre fils du maréchal, Geoffroy, n’intégra pas la compagnie de son père mais celle de son oncle, le seigneur de Vendenesse, comme si l’apprentissage de la guerre était la chasse gardée de l’oncle. La compagnie de Curton fut le véritable lieu de la transmission des savoir-faire militaires de la maison, car Joachim recruta Jean de Hautefort, son beau-frère38, homme d’armes en 1522 et puis guidon de la compagnie en 1543. Puis son fils, Gilbert de Hautefort, servit également comme lieutenant de la compagnie de son oncle Curton en 1545. Joachim de Chabannes assura lui-même la formation militaire de ses deux fils : Jean, l’aîné, fut homme d’armes en 1543 puis guidon en 1548, tandis que le cadet, François, fut enseigne de la compagnie de son père en 1553. Derrière ce cas classique, Joachim rompait en fait avec les traditions de formation et de transmission des savoirs aux plus jeunes qui avaient cours dans la noblesse de la première modernité, puisque c’était traditionnellement un oncle, avec une préférence marquée pour l’oncle maternel39, qui formait les garçons de la maison noble. Pourquoi, dans ce contexte, la compagnie de Curton fut-elle un véritable creuset de formation ? Il semble que ce phénomène soit lié aux aléas biologiques qui frappèrent les Chabannes : après les morts prématurées du maréchal de La Palice à Pavie et de son frère, le seigneur de Vendenesse, en 1524, la maison ne posséda plus que la seule compagnie de Curton. Ainsi, dans la première moitié du xvie siècle, sept jeunes hommes, tous parents, commencèrent la carrière des armes dans les compagnies d’ordonnance familiales.
41La parenté était largement sollicitée dans l’activité noble de la guerre. À la suite de Michel Nassiet, on ne peut que remarquer que, en un temps où il restait à inventer une véritable discipline militaire, le recoupage et la multiplication incessante des relations de parenté favorisaient la cohésion au sein de la troupe et palliaient le manque de formation institutionnalisée par le pouvoir politique. L’autorité du capitaine était en fait celle d’un pater familias auquel neveux et cadets devaient le respect et l’obéissance.
42Mais cette remarque ne vaut que pour la frange supérieure de la noblesse qui se distinguait du reste du second ordre par la possession de compagnies d’ordonnance. Mais qu’en était-il de la formation du reste de la gentilhommerie, alors même que seule une petite minorité de gentilshommes intègraient les ordonnances ?
La formation au ban était-elle nulle ?
43Le problème de la formation au ban est en fait celui qui affecte les corps de réservistes : le ban correspondait à un état d’urgence imprévisible et il était impossible pour le roi d’institutionnaliser une instruction régulière.
44La négation de la valeur militaire du ban est le résultat de la comparaison avec les compagnies d’ordonnance composées de soldats professionnels. Les nobles qui ne furent pas employés dans l’armée régulière n’avaient que peu d’occasions de s’entraîner à des manœuvres collectives. La chasse, vécue comme un substitut temporel de la guerre, ne pouvait constituer un réel exercice militaire. Mais la valeur militaire du ban était loin d’être nulle au xvie siècle. Il était même très utile pour assurer une défense locale, pour la garnison des forteresses et la surveillance des points stratégiques, car il s’agissait de la seule force territoriale convoquée dans le cadre des bailliages et sénéchaussées. Les duchés de Bourbonnais et d’Auvergne étaient quadrillés par un système de places fortes tenues par des capitaines-châtelains royaux. Le contexte géostratégique de ces provinces délaissées ne nécessitait pas le recours à une garnison châtelaine permanente. Le roi utilisa régulièrement le ban et arrière-ban pour fournir, en temps de crise locale, des troupes immédiatement mobilisables pour la défense de ces forteresses. Dans le duché de Bretagne, Michel Nassiet a également démontré que le ban et arrière-ban breton fut convoqué pour faire face aux menaces anglaises de 1513 et 1523. Tout au long du xvie siècle, il assura la défense des côtes bretonnes40. Le ban était une force utilisée par le roi pour tenir localement le terrain.
45Mais il était aussi parfois convoqué pour des missions offensives, comme force d’appoint, dans le cadre notamment de la guerre contre les Habsbourg. Ainsi, en 1543, François Ier envoya les feudataires d’Auvergne et de Bourbonnais en Champagne, au moment de l’invasion des troupes de l’empereur. Le ban servit alors comme arrière-garde.
46Le ban fut une dernière fois convoqué au moment de la Ligue en 1587, en Auvergne et en Bourbonnais41. Mais la défaillance fut écrasante car trois cent quarante-six feudataires sur cinq cent douze firent défaut. Il y avait bien incapacité du pouvoir royal à réunir sous sa bannière les gentilshommes des deux partis opposés lors des guerres civiles. C’est pourquoi, jusqu’au retour à la pacification et même jusqu’à la réactualisation du ban en 1635 par Richelieu, le pouvoir royal ne parvint pas à revivifier cette institution.
47S’il faut indéniablement réévaluer la valeur militaire du ban, il faut bien admettre que l’on ne sait rien de la formation que les nobles auvergnats recevaient dans son cadre. Il n’existait sans doute tout simplement pas d’instruction institutionnalisée par l’autorité royale. Mais les feudataires n’étaient pas pour autant inaptes au service puisqu’une bonne partie d’entre eux jouissaient d’une formation antérieure réalisée dans l’entourage familial. L’absence de formation au ban était logique puisqu’il s’agissait d’une force de réserve censée regrouper tous ceux dont la vocation sociale était justement le métier des armes. Convoqués quand l’urgence le nécessitait, il n’était pas possible d’astreindre les combattants du ban à un entraînement régulier.
48Il faut néanmoins reconnaître que le comportement des Auvergnats vis-à-vis de l’institution fut paradoxal : ils la rejetèrent massivement en raison de leur pauvreté et d’une prétendue incurie mais, dans le même temps, ils furent nombreux à prendre les armes au cours de leur vie. Bien formés à la guerre et d’une fidélité infaillible à leur monarque, les Auvergnats ne choisirent pourtant pas d’exercer leur talent dans l’armée royale, préférant pérenniser une tradition ancienne de défense de la chrétienté, au sein de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem et dans le chapitre Saint-Julien de Brioude. Par ailleurs, hors de ces cadres institutionnels, l’Auvergne, plus que tout autre espace du royaume, demeura traversée par de nombreuses vendettas nobles qui marquèrent le paysage et les mentalités collectives. Elles viennent ici rappeler que, pendant la première modernité, l’exercice des armes n’était pas encore le monopole de la puissance souveraine mais que, par une pratique inter pares, il constituait toujours un moyen efficace d’identification à la noblesse comme groupe social. Si le service dans l’armée royale restait rare, les faits de guerre étaient monnaie courante en Auvergne. Les inventaires après décès confirment que les Auvergnats possédaient de nombreuses pièces d’armes.
49La question de la formation militaire des Auvergnats au ban et arrière-ban est celle, centrale, de l’importance stratégique de l’Auvergne au xvie siècle. À cause de son éloignement des sites stratégiques et d’une apparente indifférence aux principaux enjeux politiques et religieux du moment, la dernière grande principauté autonome du royaume de France présente un profil largement différent de celui des provinces dont les noblesses ont déjà été étudiées. Les anciennes possessions des Bourbon se caractérisent par une importance stratégique sans cesse déclinante. Enjeu géopolitique vital pour la royauté pendant la dernière phase de la guerre de Cent Ans, l’Auvergne et le Bourbonnais devinrent au cours du xvie siècle un univers de relégation en marge du royaume. Or l’intérêt du monarque pour la noblesse locale était largement tributaire de l’importance stratégique du territoire. Comprendre le rapport houleux entre les feudataires et le ban, c’est éclaircir les liens entre le pouvoir central et une noblesse régionale de plus en plus méprisée, dans un espace de moins en moins stratégique dans la géographie politique du royaume, après la trahison du connétable de Bourbon en 1523.
50finalement, c’est la question du devenir et de la fonction d’une noblesse locale qu’il faut poser, à mesure que l’Auvergne cessait d’être un enjeu majeur pour le pouvoir. Ne pouvant plus être employés à des fins militaires puisque « tenir » le terrain n’était plus un impératif pour le roi, les nobles auvergnats et bourbonnais furent-ils contraints d’aller faire valoir leur vaillance ailleurs ?
Notes de bas de page
1 BnF, ms. fr. 22542, fol. 315. Repris par P. Contamine dans Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France (1337-1494), Paris, 2003, p. 37.
2 G.-A. de La Roque, Traité du ban et de l’arrière-ban. De son origine et de ses convocations, Paris, 1676, p. 2.
3 Philippe Contamine pense que Philippe le Bel a pu, en 1304, lors de la convocation de l’arrière-ban général, réunir une armée de trente à quarante mille hommes contre les flamands. P. Contamine, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge…, op. cit.
4 La meilleure synthèse actuelle sur la question du ban et arrière-ban au cours de la première modernité est, sans conteste, l’article de M. Nassiet, « La noblesse de France au xvie siècle d’après l’arrière-ban », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 46/1, janvier-mars 1999, p. 86-117.
5 La dernière convocation des gentilshommes de la sénéchaussée d’Auvergne se déroula en 1693. Voir J.-F. de Sartiges d’Angles, Notice historique sur les bans et arrière-bans d’Auvergne, Clermont-Ferrand, 1864, p. 150, « Rôle des gentilshommes de la sénéchaussée d’Auvergne convoqués pour le ban (1693) ».
6 Cette norme est repérable dans l’ensemble des bans provinciaux consultés.
7 Les archives de l’Allier conservent notamment l’important fonds de Chabannes, tandis que, aux archives du Puy-de-Dôme, le fonds Montboissier-Beaufort-Canillac est particulièrement riche pour la première modernité.
8 P. Fortin de La Hoguette, Testament, ou Conseils fidèles d’un bon père à ses enfans…, 8e éd., Paris, 1656.
9 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté : la petite noblesse en Bretagne. xve-xviiie siècle, Rennes, 1993.
10 Le ban de 1503 a été levé dans l’ensemble du royaume sur demande de Louis XII par le maréchal de Gié. Il n’avait pas été utilisé depuis quinze ans. À cette occasion, Gié se rendit compte que les listes précédentes n’étaient plus valables et qu’il fallait les mettre à jour.
11 J.-B. Champeval, Le rôle du ban et arrière-ban du Haute-Auvergne, en 1503, Riom, 1911.
12 Guillaume de Cornac était déjà seigneur de Cornac et de Montlauzy en 1316. J.-B. Bouillet, Nobiliaire d’Auvergne, Clermont-Ferrand, 1847, t. II, p. 274.
13 Sur deux cent quarante feudataires astreints au service, cent quatre-vingt-dix-huit d’entre eux devaient servir en brigandinier.
14 J.-F. de Sartiges d’Angles, Notice historique sur les bans et arrière-bans d’Auvergne, op. cit., p. 49, « Rôle des gentilshommes convoqués au ban et arrière-ban du haut pays d’Auvergne (1533) ».
15 G. Bois, Crise du féodalisme. Économie rurale et démographie en Normandie orientale, du début du xive siècle au milieu du xvie siècle, Paris, 1976.
16 En 1488, le comte d’Alais déclarait quatre mille livres tournois de revenu pour le seul comté d’Alais. Voir M. Teilhard de Chardin, « Aveux et dénombrements des nobles et roturiers tenant fiefs aux baillages de Saint-Pierre-le-Moûtier, de Montferrand et des Montagnes et dans les ressorts, exemptions et enclaves desdits baillages », Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, 9, 1889, p. 100-124, ici p. 122.
17 Ainsi, Jean de Bardet, seigneur de Burc dans la prévôté de Mauriac, dit qu’il « servait » dans le passé en brigandinier. Voir J.-B. Champeval, Le rôle du ban et arrière-ban du Haute-Auvergne…, op. cit.
18 La débilité était utilisée à la fois pour la vieillesse et pour les infirmités. J. Nicot, Thresor de la langue françoyse, Paris, 1606.
19 A. Bruel, « Rôle des nobles sujets au ban et arrière-ban du bailliage et haut pays des Montagnes d’Auvergne (31 mars 1554) », Revue de la Haute-Auvergne, 1, 1899.
20 P. Contamine, « The War Literature of the Middle Ages : The Treatises of Robert de Balsac and Béraud Stuart, Lord of Aubigny », dans C. T. Allmand (dir.), War Literature and Politics in the Late Middle Ages, Liverpool, 1976, p. 102-121.
21 Catalogue des actes de François Ier, Paris, 1890, t. 4, p. 191, ordonnance royale donnée à Blois, le 19 mars 1541.
22 AN, R2 14, no 62. Édité par A. Bruel dans « Rôle des nobles sujets… », art. cité.
23 Pendant la Ligue, Jean de Vernyes réduit souvent l’identité des nobles auvergnats à leur seule aptitude à mobiliser de l’artillerie et un nombre précis de canons. Il fait aussi le distinguo entre les chefs de maison et les cadets, reconnaissant aux premiers une puissance de feu beaucoup plus importante et la possession de forteresses plus stratégiques pour la maîtrise du terrain local. J. de Vernyes, Mémoires. 1589-1593, Genève, 1976.
24 AD Cantal, E 749 (4).
25 De nombreuses pièces d’armement y étaient gardées, dont seize arbalètes, quatorze arquebuses, plusieurs haches et lances, six épées et plusieurs pièces d’armurerie. AD Cantal, E 749.
26 La forteresse avait été reconstruite entre 1469 et 1480. Les armes du château étaient conservées dans la galerie basse, et l’inventaire recensait une cinquantaine de piques, plus de soixante-dix épées, quarante-huit arquebuses, trente-huit hallebardes et soixante-dix arbalètes. Si on ajoute la liste, non détaillée, des différents pistolets, fourches de fer, haches, pertuisanes et corselets, on se rend compte que le marquis de Curton détenait une puissance de feu impressionnante dans son fief de Madic, en faisant ainsi un pion central dans la domination de la Haute-Auvergne. ADAllier, 22 J 952, fonds de Chabannes, inventaire des meubles et tapisseries du château de Madic (1562).
27 AN, J 832 9 : rôle des nobles du duché d’Auvergne et du duché de Bourbonnais qui ont fait serment de fidélité au roi et de ceux qui ne l’ont pas fait (1523).
28 Si l’élection de Bayeux offre le tableau de la noblesse la moins présente à la cour avec seulement 5 % de nobles au service du roi au xvie siècle, Jean-Marie Constant considère que la moyenne nationale tournait autour de 15 %. Sur la noblesse de l’élection de Bayeux, voir J. Wood, The Nobility of the Election of Bayeux, 1463-1666, Princeton, 1980 ; et J.-M. Constant, « Noblesse et élite au xvie siècle : les problèmes de l’identité noble », réédité dans id., La noblesse en liberté. xvie-xviie siècles, Rennes, 2004, p. 67-80.
29 L. Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne aux xvie et xviie siècles, Paris, 1994.
30 Sur le chapitre Saint-Julien de Brioude, voir P. Cubizolles, Le noble chapitre Saint-Julien de Brioude, Brioude, 1980.
31 Le candidat se présentait en personne à l’assemblée provinciale du Grand Prieuré, dans l’étendue duquel il était né. Il portait sur lui son acte de baptême et ses preuves de noblesse. Le chapitre adressait ensuite le dossier à Malte et il était examiné par l’assemblée de la langue de l’aspirant. Il fallait également seize quartiers de noblesse pour devenir chanoine-comte de Brioude. AD Cantal, 11 G, fonds du chapitre Saint-Julien de Brioude, et AD Haute-Loire, G 654-655 ; G 1072-1077 et G 1175-1177, diocèse de Saint-flour, collège Saint-Julien de Brioude.
32 AN, P 1127, aveu et dénombrement des fiefs et arrière-fiefs du duché de Bourbonnais (1503).
33 AD Haute-Loire, 14 H 1-8, 96 H 1, ordre de Malte, commanderie de Devesset, et 54 H 1, commanderie de Montchamp. Les archives de la langue d’Auvergne sont conservées aux AD du Rhône, 48 H, fonds de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, commanderie de la langue d’Auvergne.
34 AD Cantal, E 1042, famille de Tournemire.
35 AD Allier, E 265 (5), compte rendu par Antoine d’Apchon, seigneur de Chanteloube, à Marguerite d’Albon, sa mère, des « despences par luy faictes tant pour la poursuitte du meurtre et assassinat advenu à la personne de deffunct noble Guillaume d’Apchon, son frere ».
36 Louis III de Bourbon-Vendôme, neveu du connétable de Bourbon. Les Apchon étaient des serviteurs traditionnels des comtes de Montpensier depuis le xiiie siècle.
37 Cet exemple est emprunté à M. Nassiet, Parenté, noblesse et États dynastiques, xve-xvie siècle, Paris, 2000, p. 100-101.
38 Il était époux de Catherine de Chabannes-Curton.
39 La solidarité de l’oncle maternel était décisive dans la carrière d’un jeune noble. Bayart, âgé de treize ans, fut présenté par son oncle maternel, évêque de Grenoble, au duc de Savoie. Le rôle de l’oncle maternel était lié à l’hypogamie des femmes dans la noblesse du xvie siècle. Comme elles se mariaient légèrement en dessous du statut de leur père et de leur frère, celui-ci était souvent mieux positionné que l’époux. Il était le plus à même de prendre en charge la destinée de ses neveux car la carrière militaire était souvent lointaine et coûteuse.
40 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté en Bretagne, op. cit.
41 BnF, ms. fr. 24032, liste des défaillants au ban et arrière-ban d’Auvergne (1587).
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Agrégée et docteur en histoire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Anne-Valérie Solignat est maître de conférences en histoire moderne à l’université de Strasbourg. Ses recherches portent sur l’histoire sociale et politique des élites dans l’Europe de la Renaissance. Elle est l’auteur d’une thèse intitulée : Les noblesses auvergnate et bourbonnaise. Pouvoir local, stratégies familiales et administration royale (vers 1450-vers 1650), et d’articles, dont :
• « Funérailles nobiliaires et pouvoir seigneurial à la Renaissance », Revue historique, 661/1, 2012, p. 101-130.
• « L’exil auvergnat de Marguerite de Valois », Hypothèses, 1, 2008, p. 39-49.
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2015
Les lumières de la guerre, Volume 1
Mémoires militaires du XVIIIe siècle conservés au service historique de la Défense (Sous-série 1 - Mémoires techniques)
Arnaud Guinier et Hervé Drévillon (dir.)
2015
La construction du militaire, Volume 1
Savoirs et savoir-faire militaires à l’époque moderne
Benjamin Deruelle et Bernard Gainot (dir.)
2013
L’historien-citoyen
Révolution, guerre, empires. Mélanges en l’honneur de Bernard Gainot
Benjamin Deruelle, Émilie Dosquet et Paul Vo-Ha (dir.)
2022