Les élites éduennes aux iiie-ive siècles : une continuité douloureuse
p. 461-468
Texte intégral
1Cette recension des notables et clercs appelle des commentaires approfondis. De prime abord, la grande unité du dossier documentaire, qui révèle un groupe social homogène – celui des décurions éduens – dans l’espace de deux générations situées entre les années 270 et 310, est frappante. Certes, les documents ne laissent qu’entrevoir une frange infime du groupe. Pour autant, à considérer le naufrage documentaire qui caractérise ce secteur des Trois Gaules au iiie siècle, la liste dressée, aussi imparfaite et incomplète soit-elle, n’en demeure pas moins unique et, à ce titre, inestimable. Elle revêt dès lors une portée plus large et peut servir de point d’ancrage à une étude des transformations de l’aristocratie municipale gallo-romaine entre le Haut et le Bas-Empire. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le dossier éduen n’a jamais tenu la place centrale qui lui revenait dans ce questionnement.
2La liste permet de dénombrer douze individus actifs dans la cité entre les années 270 et 310, sans compter le grand-père d’Eumène (mort vers 240) ni les ecclésiastiques attestés dans les années 300-320. En additionnant ces personnages avec ceux mentionnés par le panégyriste de 310, on parvient à dégager les contours d’un groupe composé d’une trentaine d’individus, échantillon fort honorable et qui, en conséquence, tient la comparaison avec les listes des notables africains dressées pour chaque cité par Claude Lepelley.
3L’apport de l’onomastique demeure limité et constitue l’un des points faibles de cette documentation littéraire, comparé à l’épigraphie. Trois cognomina d’origine grecque sont attestés (Eumène, Glaucus, Felomasius) mais il est difficile d’en tirer des informations d’ordre sociologique ou ethnique, en particulier pour les deux premiers. Néanmoins, ils prouvent la permanence, en pays éduen, de pratiques onomastiques originales remontant au Haut-Empire1. Quant au gentilice Argicius porté par les ancêtres d’Ausone, les commentateurs s’accordent sur sa rareté et sur son origine celtique2.
4Les indications sociologiques offertes par le dossier demeurent en revanche très précieuses. Au premier chef, plusieurs traits caractéristiques des notables éduens ressortent de manière saillante, autorisant à les qualifier d’« élites » : leur fortune foncière, leur aisance révélée par des actes d’évergétisme ou par la prise en charge de lourds munera, l’exercice de fonctions impériales, source de prestige et d’émoluments lucratifs3.
5Les Panégyriques latins révèlent plusieurs pratiques sociales et postures éthiques caractéristiques du milieu bien attestés par ailleurs, telles que la défense des intérêts familiaux et l’exaltation de la lignée, le patronage et la recommandation, l’effort constant pour tisser des liens et pour s’appuyer sur de puissants réseaux provinciaux, composés des familles tenant le haut du pavé4. À l’échelle de l’Empire, le service de l’État permettait de nouer des relations avec les notables issus de provinces lointaines et de s’agréger aux élites impériales via les fonctions de gouverneur, d’officier, de membre de la chancellerie. En retour, comme l’illustre le parcours d’Eumène, le service de l’État et le prestige qui lui était associé permettaient de renforcer localement son pouvoir. Plusieurs Éduens de la fin du iiie siècle sont ainsi membres de l’ordre équestre, engagés dans des carrières procuratoriennes : Eumène, chevalier tricénaire de rang perfectissime, ainsi que l’Anonyme 8, aduocatus fisci et par conséquent uir egregius de rang sexagénaire. Il en était de même pour les individus mentionnés collectivement (Anonymes 9 et 10), dont certains étaient gouverneurs perfectissimes. Un rang social équivalent est envisageable pour l’Anonyme 5, peut-être pour l’Anonyme 7, même si aucune preuve directe ne peut être fournie. Aucun des Éduens mentionnés n’était en revanche membre de l’ordre sénatorial : les orateurs n’en parlent jamais, ce qu’ils n’auraient pas manqué de faire dans le cadre de discours où l’autocélébration individuelle et collective passait par l’exaltation des membres les plus éminents de la collectivité.
6Les modes de vie et la culture de ces individus constituent autant de marqueurs d’appartenance aux élites les plus en vue. L’éthique qui transparaît dans les textes renvoie au vieil idéal romain de l’otium. L’Anonyme 5, Eumène et l’auteur anonyme des Laudes Domini ne cessent de proclamer leur attachement à ces valeurs. Quant à la culture de ces notables rompus à l’ars bene dicendi, elle renvoie sans ambiguïté à celle de l’honnête homme fondée sur la παιδεία, cette éducation élitiste assurant un rôle essentiel pour la définition, l’identité et la fermeture du groupe. Leur maîtrise du latin, parfois du droit, plus rarement du grec, montre que le niveau culturel des notables éduens n’était en rien inférieur à celui des membres des vieilles et prestigieuses familles sénatoriales. Notons au passage que l’idéal de la παιδεία concerne aussi bien les panégyristes païens que les membres de l’église locale, tels Réticius, l’auteur des Laudes Domini, voire Felomasius dont le nom, « Celui qui aime le savoir », renvoie à l’intérêt de ses géniteurs pour les choses de l’esprit.
7La liste ainsi constituée dévoile donc l’identité non pas de simples décurions éduens mais des premiers d’entre eux, des principales et des primores ciuitatis, c’est-à-dire de la frange supérieure de la société éduenne5.
8À l’échelle de l’Empire, comment situer ces notables éduens par rapport à ceux des plus prestigieuses cités ? Aucun témoignage significatif n’étant disponible pour la Gaule, la comparaison peut être établie avec les notables recensés par Claude Lepelley à partir du dépouillement méthodique de l’abondante documentation épigraphique africaine. Ces rapprochements, effectués à titre indicatif, ne doivent pas occulter les spécificités de la vie municipale de chacune de ces régions de l’Occident romain : il faut compter en particulier avec les différences dans le réseau des cités (très dense en Afrique proconsulaire, très lâche en Gaule), avec les différentes modalités d’intégration dans l’Empire (intégration précoce et très volontariste de la Gaule, entre Auguste et les Julio-Claudiens ; plus tardive et progressive en Afrique, entre les Flaviens et les Antonins, malgré une provincialisation antérieure), avec les conséquences variables et contrastées de la crise du iiie siècle (l’Afrique fut relativement épargnée par rapport aux régions septentrionales de la Gaule). Un dernier élément a joué un rôle déterminant dans l’évolution des élites municipales : la proximité ou non de la cour impériale.
9Cette mise en regard aboutit aux résultats suivants : le rang et l’influence sociale des notables éduens recensés apparaissent inférieurs à ceux des curiales carthaginois ou lepcitains, dont sont issues de prestigieuses familles sénatoriales. Les notables éduens tiennent en revanche la comparaison avec les décurions qui peuplaient les rangs inférieurs des deux cités6, tout en se situant à un niveau supérieur de celui des notables d’Abthugni, dont l’un des duumuiri, à l’époque tétrarchique, n’était qu’un petit entrepreneur7. À l’échelle de l’Occident romain, les Éduens trouvent ainsi leur place à un niveau intermédiaire mais élevé, équivalent de celui des élites de vieilles cités comme Zama Regia qui comptait, vers 320, de nombreux chevaliers parmi les premiers citoyens (primores) de la cité8. Mais à la différence de cette dernière, la ciuitas Aeduorum, malgré les crises traversées, demeurait prestigieuse et influente en raison de l’implication des élites locales dans la gestion des affaires de l’Empire, favorisée par la présence de la cour impériale à Trèves. Par ailleurs, toutes proportions gardées, les Eduens souffraient moins que les notables de Zama Regia de la concurrence des élites d’une grande métropole comme Carthage, qui captaient à leurs profits les avantages tirés de leur position d’interlocuteurs privilégiés du pouvoir impérial.
10Ainsi, à l’échelle de l’Occident romain, si aucune grande famille sénatoriale ne semble avoir tiré son origine de la ciuitas Aeduorum (aucune n’est attestée du moins), le groupe des notables de la cité prenait place dans la frange supérieure des élites municipales de l’Empire. Cette intégration s’accompagnait d’une adhésion au modèle romain et d’un attachement profond à l’horizon provincial des Trois Gaules, ce qui explique peut-être pourquoi aucun de ces notables, en dépit de réelles prédispositions, n’intégra le Sénat.
11À la fin du iiie siècle, plusieurs des caractéristiques sociologiques et culturelles relevées plus haut ne constituent pas, à proprement parler, des nouveautés : elles s’inscrivent dans des pratiques et une éthique remontant au Haut-Empire. Leur énumération permet d’en prendre la mesure :
- continuité dans certains particularismes de l’onomastique en pays éduen9 ;
- stratégies d’alliances adoptées par plusieurs grandes familles de notables pour se lier avec des pairs originaires de cités voisines10, phénomène confirmé par l’épigraphie du Haut-Empire11 et hérité peut-être d’une tradition remontant à l’époque préromaine ;
- permanence du prestige exercé par le peuple éduen – et donc de ses élites dirigeantes – à l’échelle des provinces des Gaules et Germanies, pour des raisons qui tiennent autant aux réalités politiques qu’à l’idéologie (les Éduens sont les seuls à porter le titre de fratres populi Romani associé, dès les origines, à des privilèges exceptionnels confirmés de César jusqu’à Claude12, en passant par Auguste13).
12Avant tout, ressort la continuité des élites elles-mêmes, dans la mesure où elles semblent avoir traversé la crise sans trop d’encombres, si l’on se fie à une lecture rapide des sources. Mais la thèse continuiste supporte-t-elle un examen plus approfondi du dossier ?
13La continuité des groupes familiaux est indéniable. Eumène en apporte la preuve éclatante à travers le destin de sa propre famille, qui s’étend sur quatre générations réparties sur un long iiie siècle, de Commode à Dioclétien. La continuité prévaut également, non sans heurts, dans le destin de la gens Ausonia, de même qu’elle caractérise la position du senex uenerabilis Glaucus au sein de la cité. Elle se devine aussi dans l’assise des orateurs anonymes, puissants notables municipaux placés au cœur de réseaux relationnels particulièrement ramifiés et dont certains étaient assurés de pérenniser leur emprise sociale grâce à leur descendance, comme l’Anonyme 7.
14Considéré sous cet angle, le dossier éduen permet de jeter un pont entre les élites du Haut et du Bas-Empire, Eumène et les siens formant en quelque sorte le chaînon manquant entre Titus Sennius Solemnis, le fameux sacerdos provincial du marbre de Thorigny, et le non moins célèbre Ausone. Dans cette perspective, contrairement aux schémas admis depuis longtemps14, la « crise du iiie siècle » n’aurait pas bouleversé les élites municipales gallo-romaines, capables de se maintenir et de traverser la tempête sans embûches. Cependant, les détails de l’histoire nous échappent pour une large part en raison de l’abandon des pratiques épigraphiques, les inscriptions constituant la principale source d’information sur ces questions durant le Haut-Empire15.
15Une lecture attentive des discours éduens oblige toutefois à nuancer l’impression de continuité paisible qui se dégage de prime abord. Car si la liste des notables éduens peut être considérée comme un chaînon manquant placé à la charnière de deux époques, elle témoigne aussi de grands bouleversements. En effet, si l’ensemble du spectre social de l’ordo decurionum des cités gallo-romaines du Haut-Empire est bien connu, pour la période du iiie et du début du ive siècle les sources laissent seulement filtrer des informations sur la frange supérieure de ce même ordo. En cela, elles semblent révélatrices des changements brutaux opérés au iiie siècle et du coût social de la crise sur les dirigeants des cités. Pour schématiser, à un gouvernement collégial et oligarchique comprenant l’ensemble du groupe des décurions semble s’être substituée une direction ultra-oligarchique accaparée par le petit nombre de ceux qui, suffisamment puissants pour affronter les malheurs des temps, ont su profiter de la situation pour accroître leur position dominante. En d’autres termes, les Panégyriques latins dévoilent la dure réalité sociale qui caractérise la Gaule à la fin du iiie siècle.
16Aussi, au jeu qui consisterait à déterminer les gagnants et les perdants, figureraient dans la première catégorie les seules élites supérieures de l’ordo decurionum, ceux que les textes antiques désignent comme les decemprimi ou les primores ciuitatis. Interlocuteurs privilégiés de l’État impérial, enrichis, ayant accaparé le pouvoir au détriment d’un groupe élargi, exerçant une emprise sociale étendue, ce sont ces « premiers » de la cité qui, à l’image d’Eumène et de ses pairs, ont tiré bénéfice de la situation rétablie par le pouvoir impérial à la fin du iiie siècle.
17A contrario, nombreux sont les habitants à avoir pâti de cette redistribution des hiérarchies sociales. Les décurions « pauvres » d’abord, dont il est question en creux dans l’une des décisions mises en œuvre par les Tétrarques pour rétablir la cité des Éduens. En toute logique, la mesure destinée à repeupler l’ordo decurionum impliquait au préalable la disparition d’une partie de ses membres. Et puisque les plus riches et les plus puissants semblent s’être maintenus au sommet du pouvoir, il apparaît que les victimes du déclassement social de la crise des années 250-270 étaient les décurions dont le cens dépassait à peine le seuil requis pour intégrer le groupe. Quand bien même la politique de repeuplement de l’ordo éduen aurait abouti – ce qu’il faut envisager, bien que rien ne le confirme dans les sources-, les nouveaux membres transférés depuis des cités voisines auraient pesé peu de poids face au prestige et à l’autorité des vieilles familles éduennes. À la base de la pyramide sociale figurent les autres perdants, petits paysans pauvres et/ou sans terres. Le sentiment qui domine à leur sujet, une fois décodés les témoignages des panégyristes et en particulier celui du Panégyrique latin viii(5), est celui d’une détérioration de leurs conditions de vie, liée à un durcissement des rapports sociaux. De ce point de vue, la réforme fiscale, le cens et les prélèvements accrus eurent l’effet d’un révélateur.
18Dans un autre ordre d’idées, les listes croisées des notables et des clercs éduens soulignent combien les points communs sont nombreux entre ces deux groupes qui, d’un point de vue social et éthique, n’en forment en réalité qu’un seul. Autrement dit, les premiers clercs attestés de manière exceptionnelle à une date aussi précoce émanent des élites municipales16. La composition sociologique du groupe des ecclésiastiques explique qu’à cette époque, en Gaule ou en Afrique, la cohabitation entre païens et chrétiens demeure, sinon pacifique, du moins cordiale. Car par-delà l’appartenance religieuse, dans l’esprit de ces élites primait l’idée que l’horizon de la ciuitas demeurait indépassable17 et que la cité devait rester « le lieu des valeurs communes », pour reprendre la belle expression de Claude Lepelley18.
19En définitive, s’il faut admettre une continuité entre les élites gallo-romaines du Haut et du Bas-Empire, celle-ci ne concerne que la frange supérieure du groupe. Compte tenu des remarques qui précèdent, il faut reconnaître que cette continuité, en révélant de manière différée les transformations profondes subies par les sociétés provinciales durant la « crise du iiie siècle », fut particulièrement douloureuse par son coût social.
Notes de bas de page
1 Voir Dondin-Payre, « L’onomastique », p. 193-341.
2 Le gentilice Argicius est unique. Il n’est recensé ni par H. Solin, O. Salomies, Repertorium nominum gentilium et cognominum latinorum, Hildesheim, Zurich, New York, 1988, ni par Lörincz, Onomasticon, 1. Il est issu du fonds onomastique celtique selon A. Holder, Alt-celtischer Sprachschatz, 1. a-h , Leipzig, 1896, col. 213. On connaît en revanche des cognomina formés sur la même racine : Argilicus en péninsule Ibérique (CIL, ii, 5615), Argutio (CIL, iii, 10687 et CIL, v, 6226), recensés par Kajanto, The Latin Cognomina, p. 122 et 249. Le sens originel du cognomen Argutio renvoie à des qualités mentales et intellectuelles. Voir également Coskun, op. cit., p. 113, n. 3-5.
3 L’emploi d’un concept comme celui d’« élite », fort commode, est régulièrement dénoncé. Pourtant, un usage parcimonieux et rigoureux du terme reste pertinent pour évoquer certaines catégories de la société romaine. Sur la définition de ce terme aux contours mouvants mais plus opératoire qu’une notion comme celle de « notable », J.-L. Ferrary, « Conclusions et bilans », dans Les élites et leurs facettes, p. 733-740. Nous l’emploierons uniquement à propos des décurions les plus importants d’Autun (par leur influence politique, leur richesse économique, leur supériorité culturelle), et pour les membres des ordres supérieurs de la société romaine, chevaliers et sénateurs.
4 Les réseaux et la grande influence de certains personnages de la liste se laissent deviner : Argicius et son fils, liés aux Allobroges ; l’Anonyme 5 et Eumène, qui, par leur position à la cour, devaient être influents à l’échelon provincial ; l’Anonyme 7, orateur et maître de rhétorique, dont les enfants et plusieurs élèves intégrèrent l’administration impériale.
5 Notre conclusion confirme le fait, déjà signalé par André Chastagnol, que les prosopographies du Bas-Empire dressées par les spécialistes ne permettent d’atteindre bien souvent que la frange supérieure de la société municipale ou impériale : A. Chastagnol, « La prosopographie, méthode de recherche sur l’histoire du Bas-Empire », Annales ESC, 25-5 (sept.-oct. 1970) p. 1234-1235. Les termes latins pour désigner la partie des curiales les plus riches et les plus puissants dans leur cité à la fin de l’Antiquité sont nombreux : principales, decemprimi, primores ciuitatis. Voir Lepelley, Les cités, 1, p. 201-205 ; id., « La carrière municipale d’après l’album de Timgad », Ktèma, 6 (1981), p. 333-347 ; H.-J. Horskotte, « Die principales des spätromischen Dekurionenrates », ZPE, 130 (2000), p. 272-278. La présente analyse revient à étudier ceux qui devaient figurer dans la partie supérieure de l’album decurionum. Celui-ci n’a malheureusement pas connu un destin comparable à ceux de Canusium ou de Timgad, tous deux parvenus jusqu’à nous. Sur l’album de Canusium (CIL, ix, 338 = ILS, 6121) gravé en 223, Jacques, Le privilège de liberté, p. 456-495 ; sur celui de Timgad (CIL, viii, 2403 = 17903) daté du règne de Julien, A. Chastagnol, L’album municipal de Timgad, Bonn, 1978.
6 Se reporter aux listes des notables de Carthage du Bas-Empire de Lepelley, Les cités, 2, p. 49-50 ; pour Lepcis, ibid., 2, p. 364-366. Les notables d’Autun n’avaient pas le même lustre que ceux de ces deux cités majeures d’Afrique car, comme le souligne Claude Lepelley, ibid., 2, p. 48 : « Les membres du sénat de Carthage frayaient avec les clarissimes et manifestaient, le cas échéant, une solidarité efficace avec ces derniers... Il n’y avait, assurément, aucune commune mesure entre ces brillantes réalités et l’horizon étroit, les ressources limitées, qui caractérisaient inévitablement la vie municipale dans les nombreuses petites cités de l’intérieur. » Cependant, parler d’« horizon étroit » pour qualifier le milieu des notables éduens présents dans la liste prosopographique serait inapproprié.
7 L’édile et duumuir de 303 du petit municipe d’Abthugni en Byzacène, Alfius Caecilianus, était un petit entrepreneur prospère engagé dans des activités de production textile : voir Lepelley, Les cités, 2, p. 276-277 (prosopographie des notables d’Abthugni dans les années 300-310), et 272 (activités d’Alfius Caecilianus). L’exemple illustre bien l’« horizon étroit » évoqué à la note précédente.
8 On comparera les notables d’Autun mentionnés dans les Panégyriques latins et dans les Parentalia d’Ausone avec ceux de Zama Regia, par exemple (Lepelley, Les cités, 2, p. 328-329) : liste des decemprimi de l’année 322, tous chevaliers egregii. Ceux d’autres cités comme Timgad ou Lambèse peuvent convenir également. On signalera simplement que la présence de notables membres de l’ordre équestre à la fin du iiie siècle était chose commune en Afrique, même dans des cités obscures et médiocres : Chusira (ibid., 2, p. 286, personnage no 2 de la prosopographie), Thala (ibid., 2, p. 317, personnage no 1 de la prosopographie), en Byzacène ; Cedia (ibid., 2, p. 401) ; Ad Maiores (ibid., 2, p. 431 personnage no 1 de la prosopographie), en Numidie ; Satafis (ibid., 2, p. 510, personnage no 7 de la prosopographie), en Maurétanie sitifienne, etc. Ces derniers faisaient partie du groupe des « premiers » de leur cité (primores ciuitatis), fréquemment investis de la curatelle de la cité. Comme l’indiquent les inscriptions, ils ne s’engageaient que rarement, voire jamais, dans une carrière équestre conduisant à de hauts postes procuratoriens. Il devait en être ainsi dans bon nombre des cités des Trois Gaules, mais la documentation épigraphique (si abondante en Afrique et faisant connaître des personnages obscurs) fait défaut dans ces provinces. Après tout, nous ne savons presque rien des notables de Césarée (Cherchell) parce que le site a été occupé de façon continue au cours des siècles, à l’image de la situation rencontrée dans la grande majorité des villes gallo-romaines. Faudrait-il en déduire que les élites de Césarée étaient médiocres ou peu brillantes, peu investies dans l’administration impériale, comme on ose l’envisager pour les notables gallo-romains ? Assurément non.
9 Dondin-Payre, « L’onomastique », p. 327, et tableau 14, p. 256-257.
10 Voir supra, chapitre 4.
11 Dondin-Payre, « Magistratures », p. 178-179 (tableau), p. 174 et 179-180 (remarques).
12 Sur le discours de Claude, voir supra, p. 143-144 et n. 15.
13 Caius Iulius Vercondaridubnus, un Éduen, fut le premier grand-prêtre provincial des Trois Gaules. Il est mentionné par Liv., Per. cxxxix, 2. Sur l’histoire des élites éduennes entre la fin de la République et les premiers Julio-Claudiens, Hostein, « D’Eporedirix à Iulius Calenus », p. 66 (remarques sur Vercondaridubnus).
14 Camille Jullian fut à l’origine de la thèse d’une rupture complète entre élites du Haut-Empire et d’époque tardive en Gaule : Jullian, Histoire de la Gaule, 7, p. 32 ; 8, p. 128. J.-J. Hatt, Histoire de la gaule romaine (120 avant J.-C.-451 après J.-C.). Colonisation ou colonialisme ?, Paris, 1959, p. 379, avait adopté des positions proches et contribué ainsi à répandre cette vision noire : « L’aristocratie gauloise avait été persécutée et appauvrie par les tyrannies militaires du iiie siècle. Elle fut décriée et en partie ruinée par les invasions. » L’auteur insistait sur la brutalité de la rupture engendrée par la crise ainsi que sur l’opposition entre civils et soldats, dans le prolongement des travaux et des théories de Mikhail Rostovtseff.
15 Malgré ces lacunes, certains historiens ont tenté d’établir une histoire des élites en Gaule entre les iiie et ive siècles : Drinkwater, Roman Gaul, p. 173 et 202 ; id., The Gallic Empire, p. 239-256 ; id., « Gallic Attitudes to the roman Empire », p. 136-153 ; J. Matthews, Western Aristocraties and Imperial Court (A.D. 364-425), Oxford, 1975, p. 80 et 350. Ces analyses ont fait l’objet d’un compte rendu et de réflexions originales par Jean-Pierre Callu dans JRA, 2, (1989), p. 362-373. Voir également M. Christol, « Réflexions sur le provincialisme gallo-romain », dans Centralismo y descentralizacion. Modelos y procesos históricos en Francia y en España. Coloquio franco-español (Madrid, 10-14 Octubre 1984), Madrid, 1985, p. 79-99, à compléter avec son compte rendu de l’ouvrage de John Drinkwater dans RN, 32 (1990), p. 308-313.
16 Même milieu, même culture ? Jacques Fontaine a bien souligné ce trait caractéristique des membres du clergé de l’époque dans Naissance de la poésie dans l’Occident chrétien. Esquisse d’une histoire de la poésie latine chrétienne du iiie au vie siècle (CÉAug. Série Antiquité, 85), Paris, 1981, p. 101-102.
17 Un exemple significatif : l’auteur anonyme des Laudes Domini est le dernier écrivain antique à mentionner le titre de fratres populi Romani porté avec fierté par les Éduens tout au long de l’histoire impériale. L’un des plus vieux poèmes de la littérature chrétienne composé dans ces provinces contient ainsi un ultime témoignage du patriotisme éduen remontant à la période antérieure à la conquête. Sur le titre de fratres populi Romani porté par les Éduens, voir supra, chapitre 9.
18 C. Lepelley, « Le lieu des valeurs communes. La cité terrain neutre entre païens et chrétiens dans l’Afrique romaine tardive », dans Hommage à Claude Lepelley, p. 271-285.
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