La coopération européenne en temps de guerre : l’exemple du Bureau interallié de renseignements (septembre 1915)
p. 31-58
Texte intégral
1Le monde du renseignement est par définition un milieu fermé, culte du secret oblige. Il est donc assez peu fréquent de voir coopérer des services secrets appartenant à des pays différents, et il faut souvent qu’un événement majeur se produise pour arriver à ce résultat. Au début de la Première Guerre mondiale, seules les puissances centrales sont parvenues à s’entendre pour que l’Allemagne assure la direction en matière de renseignement et de contre-espionnage. Dès lors, la nécessité d’harmoniser les politiques de recherche du renseignement militaire se fait jour chez les Alliés ; pour être plus efficaces, ceux-ci vont devoir mettre en sourdine leurs appréhensions, apprendre à partager leurs informations, que ce soit sur le front ou même à l’arrière de celui-ci, c’est-à-dire dans le cadre de la lutte qu’ils mènent quotidiennement contre les espions stipendiés par l’adversaire. Il faudra toutefois attendre le mois de septembre 1915 pour parvenir à bâtir un organe de multinational, le Bureau interallié de renseignement.
Aux origines du Bureau interallié
2En 1911, le lieutenant-colonel Dupont, chef du Service de renseignement1, se rend à Folkestone où fonctionne un poste de télégraphie sans fil et contribue à l’élaboration d’un dictionnaire chiffré pour communiquer avec les Anglais2. Par ailleurs, dans le cadre des accords militaires franco-britanniques, des échanges de documents secrets s’effectuent dès cette époque entre le ministère de la Guerre français et son homologue britannique3. Dans le même temps, des négociations poussées ont lieu dans le domaine du renseignement, comme l’évoque brièvement Dupont dans ses souvenirs : « Au printemps 1913, […] j’allai en Angleterre pour traiter avec l’état-major anglais des rapports de nos services de renseignements4. » Il s’agissait très probablement, à cette époque, de croiser les actions d’investigation, pour être en mesure d’alerter le plus rapidement possible du viol de la neutralité belge par les forces allemandes s’il venait à se produire.
3Le fait qu’en 1913 Dupont connaisse la langue anglaise concourt très probablement à la réussite de cette coopération ; la chose est assez rare parmi les officiers français, même parmi ceux du 2e bureau. Avant 1914 en effet, seule la Serbie a compris l’avantage d’envoyer des officiers d’état-major en France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie pour y suivre des stages linguistiques de longue durée5. La gêne est aussi ressentie à l’état-major de l’Armée à l’égard d’autres langues étrangères, ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes :
Une des faiblesses du 2e bureau d’avant 1914, résultait de l’absence de renseignements sur les officiers susceptibles d’être utilisés à l’étranger et la rareté dans l’armée de terre des camarades connaissant une autre langue que l’allemand. Il n’y avait guère d’exception que pour le russe. Fort rare étaient [ceux] qui savaient l’anglais ; lorsque la guerre éclata entre la Russie et le Japon, il fut très difficile de trouver un homme idoine pour suivre les opérations du côté japonais, raconte un témoin6.
4Fin 1914, de nombreux officiers de renseignement ne possèdent toujours qu’une seule langue et parfois il s’agit de l’italien7 ou de l’espagnol, alors qu’ils doivent interroger des prisonniers germano-autrichiens ou traduire des documents saisis dans les tranchées de l’adversaire. Tout au long de la Grande Guerre, la barrière de la langue va demeurer une difficulté récurrente entre Alliés8 ; envieux tout autant qu’admiratif, le général Mordacq vante encore en 1918 les mérites d’un éminent linguiste britannique :
Le General Spears, officier de liaison entre le War Office et le ministère de la Guerre français, parlant admirablement le français, circulant constamment, d’abord entre les GQG français et anglais, puis entre les deux ministères de la Guerre des deux pays, a su très habilement fournir des deux côtés, dans les périodes délicates, des renseignements précieux. Pendant cette dernière année de guerre, il est venu maintes fois me voir et m’a toujours apporté, à tous points de vue, des avis précis et intéressants9.
5Mais malgré les difficultés pour se comprendre, il existe fort heureusement une volonté mutuelle de coopérer dès le début des opérations ; le colonel Huguet, attaché militaire français à Londres, est ainsi prévenu de la date – pourtant ultrasecrète – de traversée de la Manche par la British Expeditionary Force (7 août 1914).
6Dès son arrivée à l’EMA, début août 1914, le capitaine Ladoux, qui vient d’être nommé président de la Commission de contrôle télégraphique de Paris, ressent pourtant les limites de la coopération interalliée en matière de renseignement ; il avoue sincèrement ne pas connaître l’identité de son homologue d’outre-Manche10 ; le 11 août, alors qu’il veut prévenir directement le Foreign Office de l’expédition par une maison de commerce londonienne de télégrammes suspects à une de ses succursales en France, un colonel de l’état-major de Joffre le rappelle à l’ordre, en lui précisant que ce type de démarches n’est pas de son niveau, mais bien du ressort des Affaires étrangères11. Petit parmi les grands, Ladoux doit renoncer, mais le personnage a de l’ambition ; il propose en novembre à Millerand, ministre de la Guerre, de créer un organe de coordination entre les différents services de renseignement alliés.
7La nécessité de bâtir une politique cohérente en matière de renseignement, comme de coopérer activement sur le plan opérationnel entre Alliés12, n’échappe pas non plus au lieutenant-colonel Dupont, à présent chef du 2e bureau du grand quartier général (GQG) ; en effet, les premières opérations ont fait apparaître le manque de concertation et de coopération dans la recherche et le partage du renseignement13, ce qui a grandement nui à la manœuvre commune. Comme le relate un témoin :
Il était admis d’une façon si générale que le secret était le plus important de tous les facteurs, qu’on s’appliquait à le maintenir à l’encontre de toutes les règles du sens commun. Au-dessus de cette rencontre [une conférence d’état-major franco-britannique à la mi-août 1914], le voile du secret était si étroitement tendu qu’on empêchait les principaux acteurs d’y puiser plus qu’un aperçu, et encore déformé, de leurs intentions réciproques, de sorte que le plan d’opérations lui-même en demeurait brouillé et sans netteté pour ceux-là même qu’il intéressait le plus14.
8Mais les choses vont évoluer par la suite ; en effet, mois après mois, la question de l’acquisition et du partage du renseignement va s’imposer comme étant d’un intérêt majeur, notamment au cours des conférences et conseils de guerre entre Alliés.
9Dès octobre 1914, le poste SR de Folkestone – qui possède déjà une structure interalliée (France, Angleterre, Belgique) – fonctionne pour le plus grand profit du GQG français puisqu’il lui fournit des renseignements opérationnels de premier ordre. Le 22 novembre 1914 se tient une conférence interalliée à Furnes, avec pour objectif de créer un « Bureau commun de renseignement » pour l’échange de renseignements militaires entre les Français, les Belges et les Anglais ; mais très rapidement, le fonctionnement de cet organe se révèle anarchique et redondant, chaque nation créant et entretenant ses propres réseaux en Belgique et en France occupées15. Au sein du GQG, Dupont crée en décembre un poste interallié de renseignement franco-anglo-belge, poste qu’il anime de sa personnalité exceptionnelle16 ; cet organe se propose d’établir une collaboration dans le domaine de la recherche du renseignement dans la zone des fronts de l’Yser, de la Somme et de l’Artois en débordant aussi en Belgique, tandis que l’attaché militaire français à Londres assure la liaison entre le War Office et le GQG17. Soulignons néanmoins qu’il s’agit là d’une initiative individuelle française, encouragée par le généralissime Joffre18.
10Parallèlement à ces actions en faveur d’une recherche commune de renseignements opérationnels sur l’armée allemande, il existe une ceinture destinée à se défendre contre l’espionnage des empires centraux ; elle est constituée par les agents de Scotland Yard19 et du Criminal Investigation Department20, répartis dans les ports du Havre, de Boulogne et de Calais, et qui « collaborent avec leurs collègues français, sans empiéter sur leurs prérogatives21 ». La mise en place de cette première structure interalliée de lutte contre le SR ennemi a été décidée à l’issue d’une réunion anglo-franco-belge s’étant tenue le 4 janvier 1915 à Boulogne-sur-Mer et qui a été provoquée par l’état-major britannique22 ; les participants en étaient :
Pour la France : Richard, directeur de la Sûreté générale (SG) du ministère de l’Intérieur ; Hennion, ancien directeur de la SG et ancien préfet de police ; Sébille, conseiller technique de la police affecté au GQG ; le commandant Toutain de l’état-major général.
Pour l’Angleterre : le Lieutenant-General Sir C.F.N. Macready, K.C.B. Adjudant-General ; le Colonel J.J. Asser, commandant à Boulogne ; le Colonel B.E. Childs ; le Major W.M. St G. Kirke, du General Staff ; le Major J. Baird de la BEF ; le Colonel C.K. Cockerill du General-Staff du War Office ; M. Wellesley du Foreign Office ; M. Haldane Porter du Home Office ; M. Basil Thomson, Assistant Commissionner of Metropolitan Police ; et M.P. C. Sarrel, consul d’Angleterre à Dunkerque.
Pour la Belgique : le major Christophe de l’état-major et le commandant Mage, adjoint d’état-major.
11Notons d’ores et déjà que certains des participants à cette réunion vont se retrouver à Paris en septembre 1915, lors de la réunion fondatrice du Bureau interallié de renseignement.
12Devant ces initiatives, émanant qui du GQG français, qui de l’état-major britannique, Ladoux considère qu’il est primordial que l’EMA garde l’initiative de l’organisation d’une politique globale en matière de renseignement (espionnage et contre-espionnage). Cela est vrai par rapport au GQG, mais plus encore au niveau interallié. Ladoux s’attache donc à convaincre le ministre de la Guerre de cette nécessité et à défendre les projets qui lui tiennent personnellement à cœur. Fin août 1915, une conférence des délégués des états-majors alliés, présidée par le colonel Valantin, adjoint au chef d’état-major général (EMG), prend la décision de créer un « organe interallié de centralisation du renseignement », dans le cadre du contre-espionnage (CE) et de la lutte économique contre les Empires centraux. Cependant, le « Bureau interallié », encore appelé « Bureau central de renseignement », ne voit réellement le jour à Paris que les 10 et 11 septembre 191523 ; il est dès lors rattaché au 2e bureau de l’EMA, jusqu’à la création du 5e bureau en décembre 191524.
La création du Bureau interallié à Paris
13Le Bureau interallié (BI) est le fruit de la volonté des nations alliées d’« échanger entre elles tous leurs renseignements sur les méthodes et les procédés, sur les centres et le personnel de l’espionnage allemand sous toutes les formes qu’il revêt25 » ; Messimy qualifie d’ailleurs le BI de « service de contre-espionnage commun à tous les Alliés26 ». Afin de discuter des modalités de sa mise sur pied, une conférence s’est tenue le 10 septembre au ministère de la Guerre, toujours sous la présidence de Valantin. Les participants en sont « les délégués des Grands Quartiers Généraux alliés27 » et des personnalités françaises, à savoir :
Pour la France d’abord : le LCL Zopff représentant le SR du GQG, Gérald Nobel, attaché au cabinet de Millerand et représentant le ministre de la Guerre, Jean Tannery, chef de la Section de contrôle, Etlicher, délégué par la Direction de la sûreté générale, le lieutenant-colonel François, chef de la Mission militaire française (MMF) à Rome, le capitaine Ladoux28 et le commandant Langlois de la MMF en Russie.
Pour la Russie ensuite : le lieutenant-colonel Osnobichine, conseiller à l’ambassade de Russie et adjoint du colonel Comte Paul Ignatieff (attaché militaire de Russie en France)29 représente le GQG russe ; il est accompagné par le capitaine Patz-Pomarnatzki, détaché par le GQG russe au GQG français.
Pour l’Italie : deux officiers, le colonel Poggi, chef du bureau des renseignements au GQG italien et le lieutenant Pagliano, chargé de mission par le gouvernement italien30.
Pour la Belgique : deux officiers, le major Seligmann du GQG belge, et le commandant Mage, désormais chef du SR et du contre-espionnage.
Pour l’Angleterre enfin : le brigadier-general Cockerill31, accompagné du lieutenant-colonel Kirke membre du GQG de la BEF, des lieutenant-colonel Mac Ewen et Captain Mansfield Cuming de la BEF, du lieutenant-colonel French et du Major Drake, membre de l’état-major général du War Office32.
14À l’ouverture de la conférence, le colonel Valantin précise qu’il est du plus grand intérêt d’établir une liaison permanente entre les services de renseignements et de contre-espionnage des Alliés ; il fait ensuite le point sur l’état de la collaboration dans ces domaines : des échanges pour identifier les corps d’armées ennemis transportés ou engagés sur les différents fronts, des échanges de fiches de suspects entre les GQG sont fréquents, mais Valantin dit regretter que ceux-ci « ne constituent pas une liaison au sens militaire du mot, c’est-à-dire une coordination de tous les moyens d’action des puissances en vue d’un but commun à atteindre », ce qui ne facilite pas le travail en matière de guerre secrète. Il regrette par ailleurs que les Allemands aient centralisé entre leurs mains toutes les activités de renseignement et de contre-espionnage de l’Autriche-Hongrie et de la Turquie et qu’ils les aient organisées selon leurs méthodes. « Cette unité d’organisation constitue une réelle supériorité de la coalition austro-germano-turque. L’union est sans doute plus difficile à réaliser entre les puissances de l’Entente, chacune d’elles ayant tenu à conserver dans [la] lutte son individualité33. »
15Viennent ensuite les débats. « Toutes les questions y furent abordées […] avec une prudence réciproque qui ressemblait à de la méfiance […]. Toute la conférence s’écoula dans cette atmosphère assourdie, où les mots eux-mêmes semblaient étouffés, comme si chacun craignait que l’espionnage ennemi fût aux écoutes34 ! » L’ensemble des sujets touchant de près ou de loin l’espionnage et le contre-espionnage est en effet passé en revue : la contrebande de guerre35, le bureau de contrôle des passeports dans les pays alliés ou neutres36, l’office central de contrôle postal et télégraphique, l’office central de renseignement sur l’espionnage ennemi et sur son contre-espionnage, l’établissement d’un « registre des suspects » (fichier centralisant les noms et pseudonymes de tous les individus suspectés d’être des agents de l’Allemagne ou de ses alliées)37, l’échange des déserteurs et insoumis, la censure de la presse. Le chapitre portant sur ce dernier thème est adopté sans opposition : il est décidé qu’il faudra se renseigner sur l’opinion des Centraux, se garantir contre leurs tentatives à l’encontre de l’opinion publique alliée, échanger des renseignements sur la situation politique et morale ennemie, prendre des mesures contre les indiscrétions de la presse, contre la propagande adverse par fausses nouvelles et d’autres encore pour « contrebattre » la propagande ennemie chez les neutres.
16Au premier semestre 1915, le ministre de la Guerre français ayant plaidé au nom de son pays – et surtout du GQG38 – auprès des Britanniques « en vue de développer la coopération interalliée en matière de renseignement » (communication d’un répertoire des renseignements économiques39, information sur les méthodes des centres d’espionnage ennemis), il est décidé communément que le chef de la délégation française prenne la tête du Bureau interallié nouvellement constitué ; le commandant Hue, membre du 2e bureau de l’EMA, sera son premier chef. Selon l’expression de Gérald Nobel, le Bureau interallié doit constituer à l’avenir « une sorte de bourse de renseignement » où chaque nation, par l’intermédiaire de sa mission40, aidera à la constitution d’un bureau d’archives exploitables par tous41, lesquelles seront regroupées en un lieu unique42 : véritable « organe international où seront constituées sous forme de renseignements des archives communes qu’alimenteront et où pourront venir puiser tous les Alliés43 ». À cette date, la France possède 300000 fiches de suspects établies par la Sûreté générale et la SCR, ce qui représente un acquis certain. Le répertoire global des archives disponibles au BI après son installation est éloquent : il montre la richesse du fonds, tant par le nombre des éléments qu’il contient que par sa diversité : contre-espionnage, espionnage, renseignement économique, contrôle aux frontières, etc.44. Le classement thématique des renseignements est très fouillé, ce qui permet d’aller rapidement à l’objet recherché ; par ailleurs, au sein de chaque dossier thématique de ce répertoire, chaque renseignement est numéroté et synthétisé en une ligne ; la source n’y est pas systématiquement indiquée. La liste des suspects ne cesse de s’allonger au cours de la guerre, au point qu’un bordereau d’envoi, adressé par la SCR au préfet de Police le 6 août 1917, parle « des tomes 1 et 2 des listes de suspects interalliés [dont] l’envoi annule et remplace les 77 listes publiées à ce jour et qui devront être détruites45 ». Gageons qu’en 1918 il a existé 3, voire 4 tomes de ces listes. À partir de 1915, les Britanniques publient un gros recueil de toutes les informations militaires dont ils disposent sur les unités allemandes46 ; ce volume est aussi déposé au BI et corrigé périodiquement tout au long du conflit. Cette mine de renseignements « devint un modèle du genre, véritable livre de chevet [des personnels du 2e bureau français]47 ».
17Il semble donc que la collaboration interalliée en matière de CE ait largement porté ses fruits pendant la guerre ; c’est d’ailleurs ce que laisse entendre un agent dans ses mémoires, puisqu’il souligne « l’interpénétration […] parfaite dans les différents services secrets de l’Entente au niveau du CE [car] les services interalliés se transmettaient […] tous les renseignements, de façon à opposer un front commun aux agents secrets allemands48 ». Plusieurs affaires, dans le cadre desquelles les SR français et britanniques ont travaillé de concert, nous ont été révélées par les archives ou les souvenirs des protagonistes. Ainsi le cambriolage du consulat d’Autriche à Zurich, en bordure du grand duché de Bade, qui est commandité aux Anglais par les Français, ces derniers voulant s’approprier des listes d’agents49 ; celui du bureau central de Berne par l’Intelligence Service (IS) fournit en novembre 1916 aux Français le nom de l’espion d’origine argentine Dei Pasi qui renseignait le Nachrichtenbüro sur les mouvements de navires français quittant Toulon50.
18Les Anglais, qui récoltent de nombreux renseignements visant à contrer la guerre sous-marine à outrance menée par le Reich, préviennent aussi le lieutenant-colonel Goubet, chef du 5e bureau de l’EMA, que les mouvements des navires français sont transmis au poste du SR allemand à Barcelone au moyen de lettres et de télégrammes codés en partance de Toulon et Marseille ; celui-ci obtient en conséquent du ministre de la Guerre l’application d’un retard systématique d’une durée de quarante-huit heures pour déjouer ce stratagème des espions ennemis51.
19De son côté, Ladoux se montre particulièrement reconnaissant vis-à-vis des Anglais puisqu’il admet :
Quand [en 1915 le contrôle postal] fut organisé [en France], […] nous ignorions tout de la composition des encres sympathiques allemandes, et des moyens de les révéler, et si nos amis anglais ne nous avaient pas enseigné que la vapeur d’iode permettait d’en déceler quelques-unes, parmi les plus banales, nous en serions encore peut-être à regarder la feuille de papier à l’envers, pour tâcher d’y trouver des textes cachés entre les lignes52.
20Plusieurs agents ennemis sont par ailleurs capturés à la suite d’une coopération suivie entre sa SCR et Scotland Yard ou l’IS ; c’est le cas de Marthe Dubreuil, ex-styliste parisienne, reconvertie dans les croquis de pièces d’artillerie et de fortifications au profit des Allemands. Elle est dénoncée aux Français par le CE britannique : « Elle fut pistée et prise sur le fait au moment où elle remettait à un collaborateur de l’espionnage allemand des renseignements détaillés sur les positions que nous occupions devant la Fère-en-Tardenois53. » C’est aussi le cas du traître Jean-Alban Courrèjes, soldat au 10e régiment de hussards ; celui-ci est capturé en toute illégalité en territoire espagnol, trois kilomètres après avoir franchi la frontière française, par des inspecteurs de la Sûreté générale accompagnés d’un officier de l’IS, alors qu’il transporte des plans et documents susceptibles d’intéresser le SR allemand de Barcelone54. Ou encore celui de l’artiste grec Constantin Condoyannis, confondu par les Anglais et dénoncé avec un complice aux autorités françaises alors qu’ils transmettaient des renseignements sur les fortifications de la place de Dunkerque et des éléments sur les effectifs de l’armée d’Orient55. L’espionne allemande Gertrud Würtz est en revanche dénoncée aux Britanniques par l’agent français Joseph Crozier, avant même que celle-ci ne s’embarque en Hollande pour l’Angleterre ; « la réception qui lui fut ménagée devait nous éviter à jamais de la revoir », se souvient le contre-espion56.
21Il faut néanmoins souligner que cette coopération franco-britannique en matière de contre-espionnage n’est pas aussi idyllique qu’il y paraît. Certains exemples prouvent que chaque service secret défend son pré carré, « oubliant » de prévenir – sans doute pour éviter les fuites qui pourraient compromettre des arrestations – son homologue de l’autre côté de la Manche. Deux cas peuvent être cités pour illustrer ce propos. Le premier concerne l’arrestation de Mata Hari par les Anglais alors qu’elle se trouve à bord du paquebot Hollandia et qu’elle quitte la Hollande pour l’Espagne. Ladoux n’a pas averti les Britanniques qu’il fait mine d’employer l’espionne pour mieux la confondre ; or ces derniers l’ont arrêtée, la confondant au surplus avec une espionne allemande du nom de Clara Benedix. Interrogée, Mata Hari s’identifie puis déclare sans ambages à Basil Thomson qu’elle connaît Ladoux et qu’elle travaille pour le contre-espionnage français. La Special Branch de Scotland Yard – qui depuis 1915 suspecte fortement la danseuse d’être un agent ennemi – demande à Ladoux de confirmer les dires de l’artiste et de préciser s’il souhaite qu’elle soit reconduite au Havre. Le chef de la SCR nie tout en bloc et obtient des Britanniques qu’elle soit refoulée vers l’Espagne, où il sera à même de la faire surveiller étroitement57.
22Deuxième affaire, Ladoux ne prévient pas les Britanniques de la mission que son agent Marthe Richard effectue en Espagne, ce qui met finalement la jeune femme dans une situation inconfortable : « Les Anglais d’Espagne sont au courant de ma liaison avec von Krohn, [mais] ignorant ma situation véritable, [ils peuvent] se débarrasser de moi sans bruit, sur un ordre de l’IS58. » Pour pouvoir passer à Tanger, l’espionne doit transgresser les règles, c’est-à-dire avouer au consul britannique qui elle est véritablement, « bien qu’il soit formellement interdit aux agents français de se révéler auprès des représentants alliés59 ». Il faut également souligner que fin décembre 1916, les renseignements sur la guerre sous-marine, glanés par cet agent et transmis par Ladoux au SR du ministère français de la Marine au profit de l’Angleterre, sont négligés par leur destinataire final. « Jamais un SR ne croit aux renseignements que lui donne un autre service60 », regrette le chef de la SCR ; alors qu’il pensait détenir des éléments de première main, Ladoux est profondément déçu par l’attitude anglaise et déplore, malgré l’existence du BI, le manque de collaboration interalliée entre les services de renseignements61. Il écrit bien plus tard :
Il faut noter que, malgré les efforts de Tannery qui fut pendant la guerre le grand animateur de notre lutte contre la contrebande de guerre, nous n’avons jamais réussi à réaliser complètement l’unité de direction de la guerre secrète, malgré que les bases en aient été établies et certains détails convenablement réglés au cours des conférences interalliées des 10 et 11 septembre de l’année 1915. Chacune des nations de l’Entente ignorait donc complètement les agents et les moyens d’informations de ses alliés, et seuls certains renseignements, parce qu’ils avaient un caractère général ou qu’ils intéressaient plus spécialement l’un des belligérants, étaient centralisés au bureau interallié, créé à Paris à l’issue de ces conférences62.
La collaboration interalliée : une certaine désillusion se fait jour dès la création du Bureau interallié
23Ces incohérences, relevées après-guerre par Ladoux, étaient pourtant prévisibles dès le mois de septembre 1915. Lors de la réunion fondatrice du BI en effet, les Anglais, certains de leur avance en matière de renseignement, coopèrent du « bout des lèvres », même s’ils sont conscients de la nécessité de cette entreprise. Leur pragmatisme les pousse à vouloir pratiquer la politique du « donnant donnant », selon l’expression consacrée dans le milieu du renseignement ; ils redoutent en effet de devenir les principaux pourvoyeurs en renseignements63 de leurs alliés et notamment des Français64. Le colonel Kirke est très clair sur le sujet : « En principe, quoiqu’il soit possible et nécessaire que les services alliés de CE soient centralisés, il n’est pas possible d’agir de la même façon en ce qui concerne les SR65. » Ainsi, malgré une volonté affichée de coopération et d’harmonisation tous azimuts, chacun poursuit des buts qui lui sont particuliers, et si les résultats obtenus par la suite vont être réels, la portée va en demeurer décevante si l’on en croit Ladoux :
Le Bureau interallié devint en fait par la suite un excellent instrument de défensive, chaque nation conservant par ailleurs son indépendance et ses moyens d’action pour l’offensive. J’avais souhaité autre chose, mais le silence courtois des Anglais m’avait imposé une attitude analogue. L’unité de front n’aura jamais été réalisée66.
24On connaît la volonté centralisatrice du chef de la SCR67 qui transmet déjà aux Alliés tous les renseignements qu’il est parvenu à se procurer et qui les intéressent. Nul doute qu’il eût souhaité, par l’entremise de ce bureau, aboutir à la mise sur pied d’un organisme international du genre d’Interpol68, susceptible de traquer plus efficacement les espions d’un pays à un autre et, pourquoi pas, d’un continent à un autre ; c’est sans doute son plus grand rêve, puisqu’il confiera encore début 1933 au journaliste Paul Allard : « J’ai remis au gouvernement un projet qui tend à internationaliser l’espionnage69. » Mais en septembre 1915, dix ans seulement après l’Entente cordiale, ce projet est encore trop ambitieux et l’incompréhension, voire la suspicion, demeure entre Français et Anglais… Entre avril 1904 et août 1914, on se rappelle des interrogations françaises sur l’aide possible de l’Angleterre en cas de déclenchement d’une nouvelle guerre franco-allemande70. Un entretien entre sir William Robertson et le général Douglas Haig est assez représentatif de la mentalité générale outre-Manche :
[Joffre] n’est pas brillant, mais sûr et honnête. Dans l’ensemble, ces chefs et ces états-majors français constituent un lot très particulier. Souvent ils se montrent excellents, mais en certaines occasions très primitifs et inabordables. En traitant avec eux, il faut avant tout se rappeler que ce sont des Français, pas des Anglais, et qu’ils ne verront jamais les choses de la même façon que nous. Eux-mêmes nous trouvent bizarres, je présume. S’entendre et agir avec des Alliés n’est pas chose facile ; il faut exercer un contrôle permanent sur soi-même et manifester beaucoup de tolérance71.
25De son côté, Poincaré reconnaît : « Les renseignements de l’Intelligence Service ne sont pas toujours infaillibles : il paraît accueillir souvent sans contrôle les suggestions d’agents ennemis72. » En septembre 1915, l’objectif de Ladoux est tout au moins de parvenir à bâtir « une carte militaire, économique, politique et sociale de nos adversaires, des régions envahies et des moyens d’action que nous [avions] à leur opposer [et] de constituer un trésor de guerre commun spécialement dédié à la guerre secrète73 ».
26Trop communiquer entre Alliés c’est, de toute façon, connaître les forces et les faiblesses de chacun par rapport aux autres, ce qui n’est pas toujours forcément souhaitable au sein d’une coalition74. Pendant la réunion, le lieutenant-colonel François rejoint d’ailleurs la position anglaise, plaidant pour que ce Bureau interallié, organe central, ne se substitue nullement aux services d’espionnage et de CE des différents membres75. Isolé, Ladoux doit donc remporter, sans même la divulguer, la production de son imagination débordante ; il devait plus tard regretter la tiédeur ambiante :
Toute une série d’autres mesures que j’avais détaillées dans l’avant-programme de la conférence et qu’on n’osa même pas envisager, [et qui] eussent rendu, si elles avaient été appliquées, d’énormes services à la Quadruple Entente76.
27Soulignons que les Anglais sont tout aussi méfiants à l’égard des Italiens. Le 8 mars 1916, le général Haig va jusqu’à écrire : « Les Italiens semblent un peuple dégénéré, sans valeur comme soldats, mais avide d’argent. Beaucoup servent également d’espions aux Allemands77 » ; même défiance de la part du général Wilson au début de 1917, lorsque dans l’attente d’une attaque allemande dans le Trentin, il déclare ne pas se faire d’illusion sur la valeur du soldat italien, « craignant le Boche, et redoutant les sympathies pro-allemandes des Romains78 ».
28Pour Ladoux, l’attitude britannique n’est pas la seule désillusion. L’adjoint au chef de la Mission russe participe évidemment à la conférence portant sur la création d’un Bureau interallié mais, de son côté, le colonel Ignatieff – alias « capitaine Istomine79 » et correspondant de l’Okhrana, la police secrète politique russe – espère jouer une partie qui lui est propre. Il a été envoyé en France pour y installer un SR, l’ambassadeur du tsar à Paris trouvant cette tâche avilissante, douteuse et d’une efficacité aléatoire80. Après avoir rencontré dès son arrivée à Paris le ministre de la Guerre, les officiers de son état-major et le chef du SR, Ignatieff a reçu toute l’aide du 2e bureau de l’EMA en vue de jeter les bases de son organisation en France :
Dans ces milieux très avertis, on s’ingénia de toutes les façons à m’être utile, à m’aider à organiser mon service, reconnaît-il. Les difficultés de tous ordres que j’aurais pu rencontrer furent aplanies avant même que j’en exprimasse le désir, notamment pour les dépêches, les passeports, la circulation de mes agents, les envois de fonds et les relations quotidiennes avec le 2e bureau du ministère de la Guerre81, chargé du contre-espionnage. Également, je fus mis en relation avec mes collègues des autres pays alliés. Comme adjoint français, le cabinet du ministre de la Guerre sut choisir Marcel B., officier mais ancien commissaire de police82, connu par conséquent à la Sûreté générale et à la préfecture de police. Il me fut d’une utilité considérable pour tous les renseignements dont je pouvais avoir besoin, soit sur un agent, soit sur un individu suspect. Son rôle ne se borna pas à cela. Pour faciliter ma tâche, il me fallait avoir certains relais, surtout à la frontière suisse, permettant à moi et à mes agents un passage rapide. À Divonne et à Annemasse, Marcel B. organisa des services complets qui travaillèrent de façon impeccable. Des autos étaient toujours prêtes à nous transporter où nous le désirions ; les en-cas étaient préparés à l’avance et, dans les chambres, tout était disposé pour un camouflage souvent nécessaire83.
29Le SR du 2e bureau français apporte donc une aide logistique à l’attaché militaire russe (véhicules, papiers, etc.), pendant que la Sûreté générale ferme les yeux sur les allers et venues incessants de ses agents.
30Et si, à partir de la mi-septembre 1915, la mission d’Ignatieff à Paris est bien de « renseigner le Bureau interallié sur la situation militaire générale en Russie », elle se double également de l’obligation de contrebalancer la propagande faite en France et en pays neutre par des groupuscules politiques (ou intellectuels) à tendance anarchiste et révolutionnaire, hostiles au tsarisme. Au même titre que la Suisse, Paris abrite en effet depuis 1905 de nombreux opposants politiques au tsarisme, quand il ne s’agit pas d’anarchistes révolutionnaires qui ont fui les persécutions de l’Okhrana. La mission d’Ignatieff consiste aussi à se documenter sur la situation militaire des Franco-Britanniques, à lever des agents en Hollande, en Suisse et en Espagne pour qu’ils pénètrent dans les empires centraux à partir des Pays neutres, ceci afin d’y dépister les agents ennemis ; les Russes introduisent leurs agents en Allemagne par la Hollande (grâce au colonel de Meier, attaché militaire russe, qui possède des connaissances dans le Reich), par la Suisse et par la Suède (jusqu’à l’expulsion de l’attaché militaire russe), enfin par le Danemark84. D’autre part, Ignatieff doit se renseigner sur les effectifs de l’armée allemande « et tout spécialement sur les mouvements qui ont trait aux opérations sur le front russe » à partir des informations rassemblées par le 2e bureau français85. Pourtant, il faut noter que les Russes n’ont qu’une confiance limitée dans l’efficacité des SR français ; le chef d’état-major du tsar, le général Klembowsky, déclare ainsi fin 1915 : « Les Français ne s’occupent pas assez de l’organisation de leurs services de renseignement. Aussi se trouvent-ils toujours dans l’ignorance complète des forces et des projets de leurs adversaires et ils accordent foi aux bruits les plus invraisemblables qui leur arrivent, de Dieu sait où86. » Avec la guerre, le souci de ménager l’allié providentiel qu’est Nicolas II préoccupe grandement la France. En octobre 1916, une rumeur court à Paris concernant la volonté russe de conclure une paix séparée avec l’Allemagne, émanant plus spécifiquement de la tsarine et du tsar :
J’en parlai avec le lieutenant-colonel Goubet qui, indigné, me promit d’intervenir auprès de la censure pour que fût interdite la reproduction d’articles de journaux étrangers parlant de cette question, raconte Ignatieff. Les renseignements recueillis auprès de la presse française me permirent d’avoir la certitude que ces bruits tendancieux provenaient de Hollande et surtout de Suisse87.
31Après la révolution bolchevique, ce dernier va rester à Paris et continuer sa mission en donnant au BI les renseignements rapportés par ses agents88.
Quel bilan dresser du fonctionnement du Bureau interallié ?
32Malgré les regrets exprimés par Ladoux dans ses mémoires, il ne faudrait pas penser, loin s’en faut, que bilan de l’action du BI ait été négatif. Pendant la guerre, il a fourni des renseignements précieux à la Section de contrôle « au point de vue du ravitaillement des pays ennemis89 » et sur le plan de la guerre économique en général90. En retour, la SCR a remis au BI tous les éléments qu’elle recueillait et intéressant nos Alliés pour qu’il les retransmette91. Le 20 octobre 1915, une séance réunissant tous les chefs de mission a permis d’harmoniser les sujets à caractère militaire à interdire dans la presse92. Le lieutenant-colonel Goubet, assistant aux conférences des chefs de mission étrangers comme délégué du chef d’EMG, participait ainsi au recueil et au partage de l’information. Après examen des procès-verbaux de ces conférences, il apparaît que leur but était de se renseigner sur la conduite adoptée par tous les Alliés dans le domaine de la guerre secrète, d’harmoniser les politiques (sur le modèle français, si possible) et de réfléchir en commun à des problèmes se posant à certains afin d’y apporter une solution93. Preuve de l’importance du BI, le Brigadier-General Cockerill écrit à Tannery le 20 mai 1918 :
Parmi les premières initiatives [de la coopération interalliée] fut la création du Bureau central interallié. Ce fut sans aucun doute la première organisation mise en place pour obtenir l’unité d’action parmi les Alliés et quoique l’idée en ait été longue à se répandre, tous les conseils interalliés qui ont été créés depuis y ont trouvé leur origine94.
33Même si à l’époque le chef de la SCR est déçu que cet organe ne soit pas plus offensif en matière d’espionnage et de contre-espionnage, il tire quand même abondamment profit de la coopération interalliée en matière de renseignement, puisqu’il est en contact direct avec l’Intelligence Service par le biais de sa section, implantée au sein du Bureau interallié (3 officiers)95 et de son antenne à Paris au 27, place du marché Saint-Honoré96. Dans ses souvenirs, Ladoux reconnaît avoir reçu l’aide de l’IS pour la mise en place des services d’espionnage et de contre-espionnage français97, mais la manière précise dont les Anglais l’ont aidé reste obscure ; néanmoins, lorsqu’il se déplace à Hendaye, il rencontre l’officier de renseignement britannique en poste à la frontière espagnole pour échanger des informations98. Le bureau de contrôle interallié vérifie l’identité et les activités des personnes suspectes désirant obtenir un visa99 tandis que, dans chaque port français, un représentant de l’IS se tient désormais aux côtés des douaniers par extension du système de contrôle instauré en décembre 1914 dans les ports de la Manche et mentionné précédemment100.
34Ladoux s’entend parfois aussi avec Ignatieff pour régler le détail de certaines des missions de la SCR en Espagne par l’intermédiaire de Jean Violan101, un de ses agents de nationalité russe qui sait, mieux que quiconque, trouver les accents qui chantent à cette autre âme slave102. Sans nouvelle de Ladoux, Violan n’hésite pas à recourir à Ignatieff pour se faire expédier quelques subsides en Espagne où il a été dépêché en mission103. De la même façon, certaines enquêtes liées au contre-espionnage sont menées concurremment ; Ignatieff raconte l’une d’elle dans ses souvenirs :
Une jeune femme devenait dangereuse pour nous et je me demandais comment je pourrais contrecarrer son jeu, lorsqu’elle m’écrivit pour m’annoncer son arrivée à Paris. J’avisais le 2e bureau de Paris, et, d’accord avec lui, on donna des ordres pour la laisser rentrer en France, tout en ne la quittant pas de vue. Le taxi s’arrêta quai des Orfèvres ; conduite devant le commissaire spécial, elle fut interrogée très soigneusement104.
35De son côté, Ladoux prévient Ignatieff que Mata Hari fréquente un officier russe, le capitaine Vadim Masloff, et qu’il convient – pour éviter des ennuis à ce dernier – de le prévenir qu’elle est « une femme à la solde des Allemands ».
36Mais la collaboration interalliée embrasse aussi d’autres activités de guerre secrète. Fin 1915, on a créé au ministère des Affaires étrangères un service de propagande105 ; c’est le capitaine Millet qui assure la liaison entre cet organe et le Bureau interallié : Ladoux en profite donc, dans la définition de ses missions de propagande, aérienne ou non, pour ne pas faire double emploi avec l’effort produit par les Britanniques dans ce domaine. Dans celui spécifique du CE, l’échange de renseignements106 puis, à partir de 1916, celui des fichiers de suspects entre Alliés107 permettent de croiser les enquêtes et de trouver de nouveaux indices108 ; les affirmations de Mata Hari à propos de son amant, le capitaine russe Masloff qui combat en France, sont par exemple vérifiées par le colonel Ignatieff pour le compte du capitaine Bouchardon, rapporteur près le 3e conseil de guerre de Paris109.
37Le monde du renseignement s’adapte aussi aux évolutions politiques. Le 10 octobre 1917, Anglais et Français conviennent que Lloyd George, lord Milner et un technicien viendront tous les quinze jours au Comité de guerre français et que, réciproquement, les ministres français Painlevé, Franklin-Bouillon, Loucheur iront au War Cabinet. Le principe d’un « Bureau permanent allié », destiné à centraliser à Paris tous les renseignements utiles pour le front franco-britannique est retenu110. Enfin, le 25 décembre 1917 est créé au sein du BI un « Bureau de renseignement franco-américain » qui permet d’étendre la coopération en matière de
38guerre secrète avec nos nouveaux Alliés111, dont la Sûreté aux armées (Police Intelligence112) est basée à Brest et à Saint-Nazaire.
En guise de conclusion…
39Même si le BI n’a pas été doté de toutes les prérogatives qu’on aurait été en droit d’attendre pour un organe multinational de cette importance, l’idée du développement d’une collaboration interalliée en matière de renseignement a fait son chemin au cours de la guerre, au point qu’en 1918, il est question de créer une officine similaire en Hollande, subordonnée au Bureau central de Paris. Cette initiative ne semble pas venir de l’EMA, mais plutôt d’une proposition des attachés militaires des pays alliés, relayée et appuyée par leurs GQG respectifs. Le 31 août 1918, se tient en effet à Londres une réunion des attachés militaires et des délégués des GQG ou ministères de la Guerre, à laquelle participent le général Boucabeille (attaché militaire français à La Haye), le lieutenant-colonel Wallner (du 2e bureau de l’EMA) et le commandant Béliard (du SR de Folkestone)113. Sous réserve d’un accord des dirigeants politiques des pays concernés, le fruit de cette réunion est la décision de créer un « Comité interallié en Hollande, en vue de coordonner et d’unifier l’action des divers services fonctionnant aux Pays-Bas sans toutefois s’immiscer en quoi que ce soit dans le fonctionnement de chacun d’eux ; son action s’étend aussi bien aux services de renseignements qu’aux services de contre-espionnage ». Ce comité, formé des attachés militaires en poste à La Haye114, aura en effet comme tâche d’intervenir dans toutes les missions relatives à la recherche du renseignement ou du contre-espionnage afin d’empêcher que « l’action simultanée de services divers gêne, sinon empêche l’obtention des résultats nécessaires, et permettra à chacun d’opérer des recoupements utiles pour vérifier ou compléter les indications obtenues [individuellement]115 ».
40Par ailleurs, il est stipulé que ce comité devra fonctionner éclaté, en « véritables sous-comités, se réunissant périodiquement116 pour traiter, l’un des questions de renseignement, l’autre des questions relatives au contre-espionnage et que le secret nécessaire au fonctionnement des services sera toujours assuré du fait qu’en aucune circonstance ni le nom des agents, ni l’emplacement des postes, ni les modes de transmission ne seront communiqués ». Le 9 octobre 1918 une seconde entrevue a lieu dans le local du BI de contre-espionnage – situé au 52, Juliana-van-Stolberglaan à La Haye – afin de compléter la réflexion sur une action conjointe, et d’où il ressort que
des questions ont été traitées, également importantes au point de vue de l’unification des services : la première est celle de l’établissement d’une liste unique de suspects, dressée avec tous les éléments recueillis par les divers services de Hollande ; la seconde question, dont la solution proposée est soumise à tous les gouvernements intéressés, a trait à l’organisation du service de passeports, entre la Hollande et la Belgique, dès qu’une partie de la frontière commune entre ces deux pays aura été libérée de l’occupation allemande117.
41Les participants de cette réunion du Bureau interallié de CE sont, pour la France, le général Boucabeille et le commandant Gaffajoli (chef du service des passeports) ; pour la Belgique, Moors (délégué de la Sûreté militaire belge), pour l’Amérique le Captain Goelet et le lieutenant Waldo, pour l’Angleterre le Captain Wygors, pour l’Italie le vice-consul Galli. Au terme de cette réunion, il a été décidé (sous réserve d’acceptation par les autorités politiques respectives) :
que les renseignements présentant un intérêt général seraient immédiatement transmis au BI ;
que chaque délégué des pays participants aurait accès aux archives communes ;
que les services alliés, sans délégué permanent au BI, pourraient avoir accès sur leur demande aux archives ;
que les noms des suspects seraient communiqués pour publication dans le bulletin du bureau central interallié de Paris ;
que le leadership pour le suivi d’une affaire importante serait décidé en réunion du comité (les autres services adressant dès lors tous les renseignements la concernant au service désigné pour l’aider dans sa tâche) ;
et que, si nécessaire, les personnels des autres services seraient susceptibles de renforcer un service en charge d’une mission prioritaire.
42Ainsi, il apparaît qu’en septembre-octobre 1918, on soit enfin plus à même de travailler en commun au sein des services de guerre secrète qu’en 1915. Cela n’est pas surprenant puisque, entre-temps, Foch est devenu généralissime des armées alliées ; les mentalités ont donc forcément évolué. Nous ne pensons pourtant pas que ce comité ait eu le temps de fonctionner avant la fin du conflit, du moins dans la forme retenue et selon les missions fixées. Mais l’exploitation de différents procès-verbaux amène une réflexion d’un autre ordre. Même si le capitaine Lacaze écrit dans ses mémoires :
J’ai lu et entendu dire que, vers la fin de la guerre, le SR avait failli à sa tâche et qu’il ignorait à quel point l’Allemagne était démoralisée. Ce n’est pas vrai ; nous étions au contraire parfaitement renseignés. J’étais quant à moi convaincu que l’empire [allemand] s’effondrerait sans crier gare. Tout le monde [en France] se figurait que l’Allemagne se battrait pour l’honneur comme les Français en 1871. Elle s’en garda bien118.
43À la lecture du procès-verbal de cette réunion fondatrice, il paraît important de souligner qu’à un mois seulement de l’armistice, l’ensemble des SR alliés se prépare à une guerre qui peut encore durer (au minimum) un an. Ainsi, et même si l’on s’attendait à un recul du front allemand notamment en Belgique119, l’effondrement militaire du Reich semble avoir surpris même ceux qui se prétendaient les mieux informés !
Notes de bas de page
1 Le Service de renseignement (SR) est un organe de recherche du renseignement « fermé », c’est-à-dire non communicable, essentiellement par voie d’espionnage. Il est rattaché au 2e bureau (renseignement) de l’état-major de l’Armée (EMA), organe d’analyse des renseignements recueillis.
2 Interview du général Cartier par Paul Allard dans Id., Les énigmes de la guerre, Paris, éditions des Portiques, 1934, p. 29-30. Pendant la guerre, ce poste va être en liaison directe avec un second, établi au GQG anglais à Montreuil-sur-Mer, servant d’une part à intercepter les messages radio entre l’ambassade allemande de La Haye et Berlin et d’autre part les conversations de la flotte de haute mer allemande.
3 Un courrier de l’attaché militaire français à Londres, le lieutenant-colonel de La Panouse, adressé au lieutenant-colonel Dupont le 13 juin 1912 et traitant de documents allemands communiqués à l’état-major anglais, ne laisse pas de doute à ce sujet. Voir Service historique de la défense, Département de l’armée de terre (ci-après SHD-DAT) 7 N 1326.
4 SHD-DAT 1 KT 526 : « Mémoires du général Dupont ».
5 Général Pichot-Duclos, Réflexions sur ma vie militaire au GQG de Joffre, Paris, Arthaud, 1948, p. 316.
6 Général Pichot-Duclos, Réflexions…, op. cit., p. 316.
7 Notamment dans les divisions de réserve, anciennement stationnées sur le front des Alpes, ibid., p. 225.
8 On lira pour s’en persuader le récit tragi-comique de l’entrevue du 15 août 1914 entre les généraux Lanrezac et French au QG de la 5e armée. Maréchal sir Henry Wilson, Journal du maréchal Wilson, Paris, Payot, 1929, p. 25, note 1.
9 Général Henri Mordacq, Le ministère Clemenceau, journal d’un témoin, Paris, Plon, 1930, t. 2, p. 221.
10 Commandant Georges Ladoux, Marcel Berger, Mes souvenirs ; contre-espionnage, Paris, Les éditions de France, 1937, p. 9.
11 Ibid., p. 8.
12 Le besoin se fait sentir d’abord sur le front occidental, les armées alliées étant au coude à coude.
13 Le manque de coordination entre les SR franco-britanniques est tout aussi problématique ; le 23 octobre 1914, le commandant Lambling du SR français écrit au colonel de la Panouse pour que celui-ci prévienne les services de renseignements anglais qu’un agent français du nom d’Ernest Lhonoré doit se rendre de Londres à Rotterdam, « afin d’éviter son arrestation, comme cela s’est produit récemment à Douvres avec un autre agent » (SHD-DAT 7 N 1326).
14 Général Edward L. Spears, En liaison 1914, Paris, Presses de la Cité, 1967, p. 98.
15 Voir Laurence van Ypersele, De la guerre de l’ombre aux ombres de la guerre, Belgique, Éditions Labor, 2004, p. 23 et suiv.
16 SHD-DAT 1 KT 526 : « Mémoires du général Dupont ». À cette époque, les officiers de liaison alliés au GQG sont néanmoins sous la coupe du 3e bureau (Opérations). Commandant Laure, Au 3e bureau du troisième GQG, Paris, Plon, 1921, p. 112.
17 SHD-DAT 7 N 332 : « Besoins en renseignements du War Office », télégramme au 2e bureau émanant de l’attaché militaire en poste à Londres, 12 août 1916.
18 « Sur le front, la camaraderie de combat était parfaite entre Anglais et Français. Les méthodes d’instruction très analogues rendaient les relations faciles ; des cours connexes rapprochaient les officiers, et les troupes fraternisaient cordialement », général Charles Mangin, Comment finit la guerre, Paris, Plon-Nourrit, 1920, p. 281.
19 Special Branch (contre-espionnage).
20 Service de recherches judiciaires anglais.
21 Le « Rôle du service britannique de renseignements sur les lignes de communication » (janvier 1915) est rappelé dans une note figurant au SHD-DAT dans le carton 17 N 269.
22 C’est ce que nous apprend le procès-verbal de cette réunion (SHD-DAT 7 N 1326).
23 SHD-DAT 5 N 554 : « Compte rendu sur la conférence des Alliés en vue de la création d’un Bureau interallié de renseignement », émanant du Bureau des informations militaires, non signé, octobre 1915.
24 Sur la création du 5e bureau de l’EMA, voir chef d’escadron Olivier Lahaie, Renseignements et services de renseignements en France pendant la guerre de 1914-1918 (2e et 5e bureaux de l’EMA ; 2e bureau du GQG – Section de renseignements/Section de centralisation du renseignement). Évolutions et adaptations, thèse de doctorat sous la dir. du Pr. Georges-Henri Soutou, université Paris 4 Paris-Sorbonne, 2006, p. 848 et suiv.
25 Texte de la lettre de Millerand à Malvy du 10 septembre 1915. C’est un besoin apparu en même temps chez les belligérants, et non une initiative française. SHD-DAT 5 N 554 : « Compte rendu sur la conférence des Alliés en vue de la création d’un Bureau interallié de renseignement », émanant du Bureau des informations militaires, non signé, octobre 1915. Le Quai d’Orsay et le Foreign Office collaborent déjà dans la lutte contre la propagande allemande chez les neutres.
26 Général Alexandre Messimy, Mes souvenirs, Paris, Plon, 1937, p. 343, n. 1.
27 SHD-DAT 7 N 887 : « Note pour le ministre visant à choisir un local servant à abriter à Paris le Bureau interallié », 15 septembre 1915.
28 Il a été placé à la tête de la Section de centralisation des renseignements (SCR), créée par Millerand le 28 mai 1915. À ce sujet, voir O. Lahaie, Renseignements et services de renseignements en France…, op. cit., p. 959 et suiv.
29 Ignatieff est aussi responsable du SR russe en France ; à partir de décembre 1915, il dirige la section russe près le BI, puis devient chef de la mission militaire russe en janvier 1917. Archives de la préfecture de Police, série BA, dossier no 2009 : « Dossier IGNATIEFF Paul, Comte » ; rapport des Renseignements généraux, juillet 1925.
30 Comme le déclare le colonel Poggi pendant les débats, l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de l’Entente est trop récente pour qu’il puisse s’engager fermement sur aucun sujet ; il n’a d’ailleurs reçu aucune consigne de son gouvernement avant la conférence.
31 Directeur du service spécial de l’Intelligence Service au War Office.
32 SHD-DAT 5 N 554 : « Compte rendu sur la conférence des Alliés en vue de la création d’un Bureau interallié de renseignement », émanant du Bureau des informations militaires, non signé, octobre 1915.
33 Ibid.
34 Commandant Georges Ladoux, Les chasseurs d’espions. Comment j’ai fait arrêter Mata Hari, Paris, Éditions du Masque, 1932, p. 203.
35 Il est décidé que « le BI centralisera tous les renseignements relatifs au commerce d’importation et d’exportation des pays ennemis et à l’approvisionnement des pays alliés dans les pays neutres, soit qu’il s’agisse du ravitaillement des populations civiles, soit qu’il s’agisse de la constitution des stocks de matières premières ou de matériel de guerre ». SHD-DAT 5 N 554 : « Compte rendu sur la conférence des Alliés… », doc. cité.
36 C’est le chef de bataillon Simon Gaffajoli qui en a la charge en Hollande. Envoyé en mission le 25 août 1916 à La Haye auprès du général Boucabeille (attaché militaire français sur place), Gaffajoli devient son adjoint le 1er novembre 1916 tout en s’occupant de ce service délicat. SHD-DAT 6 Ye 42 778, dossier personnel de l’intéressé.
37 C’est le commandant Mage qui propose « que ce Bureau interallié soit un bureau d’archives communes ». SHD-DAT5N554 : « CompterendusurlaconférencedesAlliés… », doc. cité.
38 GQG que le lieutenant-colonel Zopff affirme être le principal et unique pourvoyeur en renseignements de l’EMA, affirmation qui, même si elle n’est pas sans fondement à cette époque de la guerre, ne doit certainement pas plaire à Ladoux.
39 Au sein du BI, le rôle des missions alliées sur le plan économique est rappelé le 1er septembre 1916 dans une « Note pour l’inspecteur des Finances (M. Petit) » (voir SHD-DAT 7 N 890).
40 SHD-DAT 7 N 893 : « Liste d’individus se livrant à la contrebande au profit des Allemands en Belgique et en Hollande ; source belge », EM/5e bureau, Bureau interallié, 30 septembre 1916.
41 « Il est entendu que les renseignements actuellement connus et déjà échangés entre Anglais, Belges et Français seront aussi communiqués aux Italiens et aux Russes, et que chacune des nations bénéficiera des recherches des autres ». SHD-DAT 5 N 554 : « Compte rendu sur la conférence des Alliés… », doc. cité.
42 Situé au 282, boulevard Saint-Germain à Paris au moment de sa création (dans les locaux abritant déjà la SCR et la Section de contrôle), puis au numéro 38 de l’avenue Marceau bien que, selon les vœux de Valantin, chaque mission alliée dispose d’un bureau séparé.
43 SHD-DAT 5 N 554 : « Compte rendu sur la conférence des Alliés… », doc. cité.
44 Disponible dans le carton SHD-DAT 7 N 1017. Il n’y a malheureusement que le « répertoire des renseignements parvenus au Bureau interallié », et l’on peut regretter l’absence de l’intégralité de ces archives à Vincennes : elles auraient véritablement constitué la mémoire interalliée de la guerre secrète pendant le conflit.
45 Archives de la préfecture de police, série BA 1, carton no 1745.
46 The German Forces in the Field. Cité dans SHD-DAT 1 K 173 : « Papiers Andlauer. Le Bureau d’études », s. d., p. 8.
47 Capitaine Louis Lacaze, Aventures d’un agent secret français, Paris, Payot, 1934, p. 61.
48 Charles Lucieto, Mémoires d’un agent secret de l’Entente ; la guerre des cerveaux, Paris, Berger-Levrault, 1930, p. 210, 323.
49 Robert Boucard, Les femmes et l’espionnage. Les dessous de l’expédition de Russie, Paris, Éditions de France, 1929, p. 16-25.
50 Robert Boucard, Les dessous de l’espionnage anglais, Paris, Éditions de France, 1931, p. 66. Arrêté le 20 décembre 1916, l’espion est fusillé à Vincennes le 22 février 1917.
51 SHD-DAT 5 N 277 : « Rapport du LCL Goubet au ministre de la Guerre », EMA/5e bureau, 7 décembre 1915.
52 Commandant G. Ladoux, Marthe Richard, espionne au service de la France, Paris, Éditions du Masque, 1932, p. 37. Il y a ici une exagération certaine du Ladoux « écrivain » des années trente ; pendant la guerre, le laboratoire du Dr Bayle est en effet passé maître dans la détection des encres sympathiques distribuées par le SR allemand à ses agents.
53 Commandant Gusthal, Héros sans gloire du 2e bureau. Histoires vécues, Paris, Éditions Baudinière, 1932, p. 112. L’espionne en question a été fusillée en 1915.
54 R. Boucard, Les dessous de l’espionnage anglais, op. cit., p. 69-71. Courrèjes est condamné à mort et fusillé par le conseil de guerre de la 18e région militaire.
55 Ibid., p. 75. Condoyanis est fusillé au Polygone de Vincennes le 27 août 1916.
56 Lieutenant Desgranges [pseudonyme de Joseph Crozier] et Lieutenant de Bellevel, En mission chez l’ennemi, Paris, Alexis Rédier, 1930, p. 194.
57 SHD-DAT : « Dossier Mata Hari, dossier secret du conseil de guerre ; déposition du CNE Ladoux ».
58 Elle a reçu l’ordre de séduire Krohn, l’attaché naval allemand sur place, pour lui soutirer des informations sur l’oreiller. Marthe Richard, Mon destin de femme, Paris, Robert Laffont, 1974, p. 177.
59 Ibid. p. 178.
60 Commandant G. Ladoux, Marthe Richard…, op. cit., p. 158.
61 Id., Les chasseurs d’espions…, op. cit., p. 207.
62 Commandant G. Ladoux, Marthe Richard…, op. cit., p. 182-183.
63 Comme le précise déjà le lieutenant James Violle en 1903, « en matière de renseignement, il faut recevoir et ne pas donner », L’espionnage militaire en temps de guerre, Paris, Éditions Larose, 1903, p. 116.
64 Le colonel Leroy-Lewis, attaché militaire britannique à l’ambassade d’Angleterre à Paris, adresse déjà régulièrement des renseignements militaires au chef du cabinet du ministre de la Guerre. Celui du 24 juin 1916 concernant le front d’Orient (SHD-DAT 7 N 868) est éloquent. En revanche, les renseignements expédiés par le SR de l’EMA au Chief of Imperial Generalstaff/War Office à Londres sont d’une affligeante concision, comme en témoigne un télégramme du 13 février 1915 figurant au SHD-DAT dans le carton 7 N 978.
65 SHD-DAT 5 N 554 : « Compte rendu sur la conférence des Alliés… », doc. cité.
66 Commandant G. Ladoux, Les chasseurs d’espions…, op. cit., p. 205. Le BI doit commencer à fonctionner à la date du 20 septembre 1915. SHD-DAT 5 N 554 : « Compte rendu sur la conférence des Alliés… », doc. cité.
67 Voir Capitaine O. Lahaie, Renseignements et services de renseignements en France…, op. cit., p. 959 et suiv.
68 Notons que cette organisation policière internationale, créée en 1923 pour faciliter la coopération transfrontalière entre les services de police criminelle, ne traque pas les espions.
69 Cité dans Paul Allard, Les espions de la paix, Paris, Éditions Baudinière (La guerre secrète), 1935, p. 213.
70 Sur le sujet, voir Capitaine O. Lahaie, « Les dividendes de l’Entente cordiale ; les accords militaires franco-britanniques, 1904-1914 », Revue historique des Armées, 3, 2004, et aussi John F. V. Keiger, « Perfidious Albion ? French Perceptions of Britain as an Ally after the First World War », Intelligence and National Security, 13, printemps 1998, Knowing Your Friends, p. 38.
71 Maréchal Douglas Haig, Carnets secrets, Paris, Presses de la Cité, 1964, p. 158.
72 R. Poincaré, Au service de la France…, t. VII, Guerre de siège, 1915, Paris, Plon, 1931, p. 335.
73 Commandant G. Ladoux, Les chasseurs d’espions…, op. cit., p. 206.
74 « Il est de tradition dans notre corps de ne jamais parler de notre travail ». Admiral Reginald Hall, chef d’O.B. 40, cité dans R. Boucard, Les dessous des archives secrètes, Paris, Éditions de France, 1931, p. ix.
75 SHD-DAT 5 N 554 : « Compte rendu sur la conférence des Alliés… », doc. cité. Le Field Marshall French déclare dans ce sens le 18 septembre 1915 : « Il est plus facile d’obtenir des renseignements sur l’effectif et la composition des forces ennemies que sur celles des Français » ; cité dans maréchal D. Haig, Carnets secrets, op. cit., p. 131. Pourtant, cette attitude n’est pas une spécificité française ; devant les difficultés à cerner les effectifs des armées alliées, le général Mordacq avoue de son côté en juin 1918 : « Pour l’armée française, on y arrivait à peu près, mais, pour les armées étrangères, les chiffres fournis par les missions militaires, les GQG et l’EMA au ministère, différaient sensiblement » ; Général Henri Mordacq, Le ministère Clemenceau…, op. cit., t. 2, p. 86. À l’usage, les Anglais sont toujours très hésitants à révéler chiffres ou informations de toute nature au général Laguiche, chef de la MMF près leur GQG. « Les Anglais ont toujours mis une certaine coquetterie à ne pas faire connaître de suite leurs échecs (9 avril 1918, bataille de la Lys) » ; ibid., p. 288. Pétain arrive à Doullens le 26 mars 1918, « continuant comme la veille à se plaindre des Anglais qui ne le renseignaient pas […]. Les Anglais, comme toujours, apportaient une extrême lenteur à envoyer des renseignements, surtout lorsqu’ils ne leur étaient pas très favorables (Flandres, 10 avril 1918) » ; Général H. Mordacq, La vérité sur le commandement unique : récit d’un témoin, Paris, Éditions Albert, 1926, p. 82, 132. Notons d’autre part que, pour éviter tout risque de fuite, ils ne préviennent pas avant juin 1916 leurs alliés français qu’ils développent un char d’assaut.
76 Commandant G. Ladoux, Les chasseurs d’espions…, op. cit., p. 206. Curieusement, le procès-verbal de la conférence montre que Ladoux n’a pas ouvert la bouche pour tenter de défendre son point de vue. Mais peut-être n’a-t-il pas tout saisi des débats, une bonne partie de la réunion ayant dû s’effectuer en anglais ?
77 Maréchal D. Haig, Carnets secrets, op. cit., p. 176.
78 Maréchal sir H. Wilson, Journal du maréchal Wilson, op. cit., p. 197.
79 Il s’agit du nom de son amante. Ignatieff a été agent secret en Allemagne entre 1913 et 1915 où il a déjà utilisé ce pseudonyme, ainsi que celui de Boris Stomm. Archives de la préfecture de police, série BA, dossier no 2009 : « Dossier Ignatieff Paul, Comte » ; rapport des RG, 4 novembre 1920.
80 Colonel Comte Paul Ignatieff, Ma mission en France, Paris, Éditions des Champs-Élysées, s. d., p. 91.
81 Au BI, le colonel Ignatieff se lie particulièrement avec le capitaine Fricker du 2e bureau et le soldat Chopin, un linguiste parlant allemand et russe qu’il parvient à y faire affecter. Payé 400 francs d’appointements fixes par mois, Chopin effectue en décembre 1917 une mission à Genève, via Annemasse, pour le compte d’Ignatieff. Archives de la préfecture de police, série BA, carton no 2009 : « Dossier Ignatieff Paul, Comte » ; rapports des RG, 10 janvier 1918 et 4 novembre 1920.
82 Il s’agit du sous-lieutenant Bittard-Monin du SR d’Annemasse. Un rapport des RG du 10 janvier 1918 précise que l’intéressé n’est pas « commissaire de Police » avant la guerre, mais « sous-chef de la police officieuse russe à Paris », ce qui est sensiblement différent… Très lié à Ignatieff, il se portera garant pour lui lors de la demande que son ancien chef fera après la révolution russe, pour obtenir une carte d’identité française. Archives de la préfecture de police, série BA, carton no 2009 : « Dossier Ignatieff Paul, Comte ».
83 Colonel Comte Paul Ignatieff, Ma mission en France, op. cit., p. 92.
84 Ibid. p. 80-81, et Jean-Pierre Alem, L’espionnage à travers les âges, Paris, Stock, 1977, p. 372.
85 Colonel Comte Paul Ignatieff, Ma mission en France, op. cit., p. 96.
86 Cité dans Robert Boucard, Les dessous de l’espionnage français, Paris, Les éditions documentaires, 1934, p. 210.
87 Colonel Comte Paul Ignatieff, Ma mission en France, op. cit., p. 170-171.
88 SHD-DAT 16 N 1144 : « Renseignements militaires », signés colonel Comte Ignatieff, « chef de la mission russe ; Section interalliée », 16 janvier 1918.
89 SHD-DAT 7 N 884 : « Note pour le chef d’État-major général », Section de contrôle, 29 mars 1916.
90 SHD-DAT 7 N 868 : « Index géographique et hebdomadaire des individus et établissements, suspects d’entretenir des relations commerciales avec les pays ennemis et sur lesquels le Bureau interallié possède des documents », 60 pages, classement par pays, no 36 du 18 avril 1916.
91 SHD-DAT 6 N 53 : « Rapport du major général Alby concernant certains faits en rapport avec l’affaire Bolo ; transmission de la fiche CE no 6432 au sujet du député italien Bonanno au BI », 30 décembre 1917.
92 SHD-DAT 5 N 332 : « Note pour l’EMA, 2e bureau/BI-Archives communes » émanant de la Section Presse, 27 novembre 1915.
93 SHD-DAT 5 N 339 : « Procès-verbaux des conférences des chefs de mission étrangers au Bureau interallié ».
94 Fonds privé Tannery, lettre citée dans lieutenant Michael Bourlet, « Jean Tannery, à l’origine de la guerre économique », Guerres mondiales et conflits contemporains, 214, avril 2004, Blocus et guerre économique, p. 90.
95 Colonel Comte Paul Ignatieff, Ma mission en France, op. cit., p. 50. Les Anglais font parvenir une précieuse documentation au BI, tel ce fascicule de 40 pages intitulé « Memorandum on the German System of Press Control and Propaganda » édité par le M.I. 7 en septembre 1916 (SHD-DAT 5 N 339).
96 SHD-DAT 7 N2 3183, dossier 51, pièce 1184 : « Lettre du chef de la SCR au LCL Brett, Intelligence anglaise », 20 avril 1918, signée « Juster ».
97 Commandant G. Ladoux, Les chasseurs d’espions…, op. cit., p. 50. Il voue un sentiment d’envie, teinté de jalousie, envers l’organisation d’outre-Manche « qu’il convient de méditer, et s’il se peut, d’imiter ». Commandant G. Ladoux, L’espionne de l’empereur. Mémoires de guerre secrète, Paris, Éditions du Masque, 1933, p. 14.
98 Commandant G. Ladoux, M. Berger, Mes souvenirs…, op. cit., p. 28.
99 C’est ce bureau qui refoule Mata Hari au début de 1916 alors qu’elle souhaitait se rendre d’Espagne en France, parce qu’il est inscrit « personne indésirable » sur une fiche émanant de Scotland Yard. Par ailleurs, quand Ladoux rencontre l’artiste à Paris pour la première fois, il a déjà été prévenu par les Britanniques de la suspicion dont elle fait l’objet.
100 R. Boucard, Les dessous de l’espionnage anglais, op. cit., p. 74.
101 Ladoux n’a qu’une confiance limitée en Ignatieff ; lorsqu’il persuade Violan (de son vrai nom Joseph Davrichewy, réfugié politique en France) de s’infiltrer au sein du bureau de renseignement russe de Paris, Ladoux lui déclare : « Leur attaché militaire, le Comte Ignatieff, tripote un peu trop dans les commandes, et puis…, je ne suis pas très tranquille sur certaines choses », cité dans Jean Violan, Dans l’air et dans la boue, Paris, Éditions des Champs-Élysées, 1933, p. 241. Ignatieff raconte que ses activités de guerre secrète lui ont valu d’être retenu au quai des Orfèvres par un commissaire de police, non prévenu de ses agissements de « chef de l’espionnage russe en France ». Il n’est parvenu à se faire libérer qu’après avoir prouvé sa qualité d’attaché militaire. Colonel Comte Paul Ignatieff, Ma mission en France, op. cit., p. 119-121.
102 Commandant G. Ladoux, Marthe Richard…, op. cit., p. 253-254.
103 Ibid., p. 233.
104 Colonel Comte Paul Ignatieff, Ma mission en France, op. cit., p. 115-117.
105 Situé rue François-Ier, « où ont été juxtaposés, sinon fusionnés, les services des Affaires étrangères et ceux de la Guerre (Bureau des informations à la presse, Bureau de la presse étrangère) ». SHD-DAT 5 N 339 : « P. V. de la conférence des chefs de mission étrangers du 13 janvier 1916 », no XIX.
106 SHD-DAT 17 N 269 : « Listes de suspects avec signalements, information sur des passeports volés et renseignements divers sur la façon de procéder des agents allemands, communiqués par le GQG britannique au 2e bureau », 28-30 juin 1915.
107 SHD-DAT 7 N 1082 : « Liste des agents de l’espionnage turc en Suisse par cantons avec adresses », document de source italienne, transmis à la Section interalliée le 10 mai 1918.
108 Lorsque Scotland Yard interroge Mata Hari après l’avoir intercepté à bord du Hollandia, ses dires sont vérifiés auprès du capitaine Ladoux par télégramme.
109 109SHD-DAT : « Dossier Mata Hari, dossier secret du conseil de guerre ».
110 R. Poincaré, Au service de la France…, op. cit., t. IX, L’année trouble, 1917, p. 316.
111 Dans le même temps, les SR français tentent d’évaluer le nombre exact de combattants américains sur le sol français, en comparant leurs estimations avec celles de l’attaché militaire français en Amérique et celles de la Mission militaire près l’armée américaine (SHD-DAT 17 N 47 et Guy Pédroncini, Pétain, Paris, Perrin, 1989, p. 166). Ils analysent par ailleurs l’état d’esprit des troupes américaines en France (J. D. Keene, « Uneasy alliances : French Military Intelligence and the American Army during the First World War », dans Knowing your Friends. Intelligence Assessment during the Two World Wars, New Jersey, Princeton University Press, 1984, p. 18-36). En général, les Sammies admirent « le Poilu » mais sont déçus par l’indifférence de la population à leur égard et trouvent les prix trop chers pour leurs maigres soldes (SHD-DAT 17 N 47 : « Les Américains et l’opinion française d’après le contrôle de la correspondance du 15 août au 15 septembre 1918 »). Des rapports du contrôle postal français, il ressort qu’il ne faut pas discuter de la guerre avec eux, « pour éviter les malentendus », cité dans Pierre Miquel, Les hommes de la Grande Guerre, Paris, Fayard, 1987, p. 356.
112 Créée en mai 1917. Rémi Kauffer, Roger Faligot, Histoire mondiale du renseignement, t. 1, 1870-1939, Paris, Robert Laffont, 1993, p. 138.
113 SHD-DAT 7 N 1180 : « Note du général Boucabeille adressée le 12 octobre 1918 au ministre de la Guerre, 2e bureau, à propos de la création d’un “Comité interallié en Hollande” ». Une copie de cette note a été envoyée au cabinet du ministre, à la SR, à la SCR et au colonel Gourguen (chef du 2e bureau) à titre de compte rendu.
114 « Le plus ancien dans le grade le plus élevé en ayant la présidence » (ibid.). Il lui revient aussi la lourde tâche de départager les services en cas de litige pouvant survenir lors du suivi en commun d’une affaire.
115 Ibid.
116 Trois fois par semaine, chez l’attaché américain.
117 SHD-DAT 7 N 1180 : « Note du général Boucabeille… », doc. cité.
118 Capitaine L. Lacaze, Aventures d’un agent secret français, op. cit., p. 277-278.
119 Boucabeille écrit à ce propos : « L’évacuation partielle de la Belgique pouvant se produire à bref délai, il serait nécessaire de provoquer d’urgence la décision des gouvernements alliés intéressés à la création de ce service », SHD-DAT 7 N 1180 : « Note du général Boucabeille… », doc. cité.
Auteur
Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan
Chef du Département « Histoire » aux écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.
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