Chapitre 9. Aedui fratres populi Romani
p. 347-377
Texte intégral
1Aucun des orateurs éduens, quelle que soit la nature de son discours (discours d’apparat ou d’ambassade), n’omet de signaler le titre de fratres populi Romani porté par les Aedui depuis des temps immémoriaux1. Même l’auteur anonyme des Laudes Domini, contemporain des panégyristes mais chrétien, y fait allusion d’une manière originale, en invoquant le souvenir de Rémus, frère du fondateur de Rome, Romulus2. Ce rappel systématique suffit à prouver que le titre de fratres demeurait encore, au début du ive siècle, un élément essentiel de l’identité des Éduens. Mais si le titre n’a pas échappé aux commentateurs, il a souvent été réduit à sa dimension pittoresque et anecdotique : les notables du ive siècle, en évoquant son souvenir, ne feraient que sombrer dans la nostalgie, exprimée de manière archaïsante, de la grandeur passée et révolue de leur cité3.
2Une approche superficielle du titre demeure néanmoins insatisfaisante. En particulier, elle occulte une série d’interrogations connexes que peut soulever son usage dans les discours d’Eumène et de l’Anonyme de 311. Certes, il s’agit d’un titre ancien qui, selon toute vraisemblance, n’avait plus de valeur institutionnelle au temps de la Tétrarchie ou de Constantin. Pour autant, peut-on en réduire la portée et l’interpréter comme l’une des facettes de ce que Tadeusz Kotula a qualifié de « snobisme municipal4 » ? Si tel est le cas, pourquoi l’orateur de 311 a-t-il jugé opportun de consacrer pas moins de trois paragraphes sur les quatorze que compte son discours à décrire avec précision les origines, l’histoire et les implications du titre dans le cadre des relations entre Éduens et Romains ?
3Seule une lecture très attentive des Panégyriques latins v(9) et viii(5) permet de résoudre ces interrogations. L’enquête va consister à confronter les sources des époques césarienne et julio-claudienne en particulier avec les passages détaillés que consacre l’Anonyme de 311 au titre (§ 2-4), afin d’en déterminer le contenu ainsi que les implications concrètes. Ce long détour par l’histoire éduenne des deux premiers siècles avant notre ère s’impose car, en retour, elle permet de mieux en apprécier la valeur réelle et symbolique dans le contexte tétrarchique.
Aux origines du titre de fratres populi Romani
Le contexte de l’alliance entre Romains et Éduens
4Les spécialistes du iie siècle avant notre ère ont bien mesuré l’importance que revêtait, pour les Romains, l’alliance passée avec les Éduens à un moment indéterminé situé autour des années 150-140 avant notre ère5. À cette date, la situation géopolitique en Italie et dans la partie occidentale du bassin Méditerranéen pouvait se résumer ainsi : les Romains étaient maîtres de l’Italie jusqu’à la plaine du Pô, et l’alliance contractée avec Massalia leur offrait un point d’appui indispensable pour surveiller les Celtes et commercer avec eux. Une partie de la péninsule Ibérique était devenue, au lendemain de la seconde guerre punique (197 avant notre ère), prouincia romaine. Carthage enfin, la rivale de toujours, avait été définitivement abattue en 146 avant notre ère. Rome contrôlait ainsi directement ou indirectement une très grande partie des côtes occidentales de la Méditerranée. Si la situation venait à l’aboutissement de guerres acharnées, les dirigeants romains ne négligèrent pas pour autant les tractations diplomatiques, très actives en ce milieu du iie siècle avant notre ère6.
5En Gaule, l’alliance ancienne passée avec Marseille, cité puissante et florissante, garantissait le contrôle de l’ensemble du commerce maritime de la région, en offrant une porte d’entrée vers le Midi et la Gallia comata, pour reprendre l’expression césarienne. Les dirigeants romains, désireux de pousser plus en avant la zone d’influence de Rome sans pour autant recourir aux armes, décidèrent de conclure un pacte avec l’un des peuples de la Gaule Celtique7.
6« Rome choisit les plus forts, les plus influents, rien de plus logique. » Cette phrase de Christian Peyre8 résume bien les intentions profondes des sénateurs dans l’affaire, intentions reprises par César un peu moins d’un siècle plus tard9. De même que la cité phocéenne, par sa situation géographique, constituait un allié militaire de poids ainsi qu’un partenaire commercial de choix, de même les Éduens, qui contrôlaient directement ou par le biais de peuples clients le confluent du Rhône et de la Saône, une large partie du cours supérieur de cette rivière, ainsi que celui de l’Yonne – et donc un accès à la Seine –, possédaient un territoire caractérisé par sa situation centrale et stratégique en Gaule intérieure. Pour ces raisons, les Éduens répondaient le mieux aux attentes et aux intérêts des Romains dans la région. Et c’est replacé dans ce contexte que doit être considéré le titre de fratres populi Romani.
Le fonctionnement de l’alliance et le titre de fratres dans les sources
Présentation des sources
7Excepté Apollodore, aucun des auteurs rapportant l’origine de l’alliance vers 150-140 avant notre ère n’est contemporain des faits. Pour autant, la fiabilité des témoignages ne doit pas à être a priori remise en cause.
8Pour décrire les liens unissant Romains et Éduens, les auteurs de langue grecque emploient des termes simples et précis, fidèles au vocabulaire et aux pratiques diplomatiques attestées par ailleurs10. Romains et Éduens sont des alliés (σύμμαχοι), ayant conclu un traité officiel (συμμαχία)11 qui justifie certains titres traduisant la proximité entre les deux peuples. Les Éduens sont des φίλοι Ῥωμαίων, des « amis des Romains12 ». Diodore de Sicile et Strabon emploient même le terme συγγένεια, qui exprime des liens de parentés fictifs13. Quant à Plutarque, il est le seul auteur à employer le terme de frères (ἀδελφοί)14. Ce vocabulaire grec de la diplomatie et de la kinship diplomacy retranscrit avec fidélité les termes latins en usage dans le langage de la diplomatie romaine et dont se font écho plusieurs sources. L’alliance ou societas (le terme n’est cependant jamais évoqué sous cette forme pour désigner le lien entre Éduens et Romains) a été conclue suite à un traité (foedus)15 qui fait des Éduens les alliés (socii) et même les amis (amici) des Romains16. Les deux peuples, parents (consanguinitas)17, demeurent des frères (fratres) l’un pour l’autre18, titre rare, prestigieux, et en conséquence accordé avec parcimonie par Rome. Plusieurs auteurs insistent sur l’ancienneté de l’alliance, qui est qualifiée de παλαία ou d’antiqua19. Dès le premier siècle avant notre ère, il était assuré que les Éduens avaient été les premiers (πρῶτοι ou primi)20 en Gaule intérieure à contracter une telle alliance. Tacite, enfin, précise que les Éduens demeuraient les seuls (soli) en Gaule à porter ce titre, originalité rappelée avec fierté, deux siècles plus tard, par l’auteur du Panégyrique latin viii(5)21.
Commentaire
9Le traité qui liait Éduens et Romains et qui justifiait l’octroi du titre de fratres est rapporté par les auteurs antiques de manière régulière depuis le milieu du iie siècle avant notre ère jusqu’à la seconde décennie du ive siècle, soit durant près de 450 ans.
10Si l’alliance, comme le suggère Apollodore, remonte incontestablement aux années 150-140 avant notre ère22, les premières attestations avérées du titre de fratres, de la consanguinitas ou de l’amicitia qui liaient Romains et Éduens n’apparaissent que dans la première moitié du ier siècle avant notre ère, sous les calames de Diodore de Sicile, Cicéron et César. Diodore de Sicile prétend que le titre, encore en vigueur de son temps, était ancien, propos confirmé par César lorsqu’il rappelle les reconfirmations successives par sénatus-consulte. Il faut donc admettre que le titre de fratres fut accordé au moment même où fut conclu le foedus qui liait Romains et Éduens. Sa rareté apporte un indice supplémentaire sur l’importance accordée à l’alliance par les dirigeants de Rome. Le vocabulaire employé par les auteurs antiques ne laisse planer aucun doute sur son caractère officiel et institutionnel.
11S’il paraît aisé de dater, avec une précision relative, le moment où le foedus fut contracté, s’il apparaît légitime de lier le titre de fratres avec sa conclusion, la nature exacte des liens qui unissaient les deux peuples et le fonctionnement concret de l’alliance sont plus difficiles à établir. Il est possible, comme l’a suggéré Christian Peyre, de recourir à des analogies et de s’appuyer sur les précisions apportées par César au détour d’une phrase23. L’alliance donnait lieu à des actes et à des rencontres, qui consistaient de part et d’autre en l’envoi d’ambassades propices à l’échange de cadeaux et d’informations, et qui visaient à renforcer les liens entre les deux peuples et à garantir leurs intérêts communs. Seul César indique brièvement, dans un passage isolé, que les Éduens et les Romains étaient liés par leur amicitia réciproque et soumis aux devoirs de l’hospitalité : populi Romani hospitio atque amicitia24. Il faut penser que le texte du foedus comprenait au premier chef des clauses militaires d’entraide réciproque dont le contenu reste à établir.
12Retenons donc que la contraction du foedus et l’attribution du titre de fratres impliquaient de la part des deux parties le maintien de relations régulières et suivies, le respect de l’application de devoirs réciproques, militaires au premier chef, mais propices aux relations commerciales par exemple. L’hospitalitas garantissait aux membres de chaque peuple de circuler en sécurité sur le territoire de leurs « frères ». Les garanties apportées par le traité se traduisirent assurément par la pénétration de produits (vin ; céramiques) et de modes culturelles romaines (architecture domestique ; architecture monumentale avec la fameuse « basilique25 » ; changement des modes alimentaires avec l’adoption de la friture à l’huile), mises en évidence par les campagnes archéologiques menées en particulier sur le site de Bibracte depuis trois décennies. Si les découvertes du Mont Beuvray permettent de retracer des évolutions communes à l’ensemble des peuples celtes du iie siècle avant notre ère, le site n’en demeure pas moins, comme l’a souligné récemment Olivier Buchsenschutz, « une tête de pont de l’influence romaine vers le nord de la Gaule26 ».
L’apport du Panégyrique latin viii(5) à la connaissance du titre de fratres
13De manière inattendue, une relecture attentive du Panégyrique latin viii(5) permet de combler certaines lacunes et d’éclairer la nature des clauses et le fonctionnement concret de cette alliance. L’Anonyme de 311 consacre en effet trois longs paragraphes de son discours à retracer l’histoire des relations entre son peuple et Rome. Cet orateur au style vif et précis remonte à l’époque de la conquête césarienne, durant laquelle les Éduens s’illustrèrent tout particulièrement, s’opposant aux adversaires de Rome puis, durant l’année 52 avant notre ère, aux Romains eux-mêmes.
14En brossant cette fresque historique « nationale », l’Anonyme de 311 a, semble-t-il, à la fois rappelé les principes fondamentaux régissant le foedus avant la conquête et ses clauses principales.
Justification et principes du foedus selon l’Anonyme de 311
15L’orateur défend l’idée suivante : les Éduens, alors que la Gaule était occupée par des peuplades barbares, ont été les premiers à chercher une alliance avec Rome et ont été les seuls à être qualifiés officiellement de fratres populi Romani27. Ce titre prestigieux, fondé sur des liens de sang, leur a été accordé parce qu’ils étaient les seuls Gaulois dignes de confiance et capables de garantir la paix, grâce à l’autorité exercée sur leurs voisins28. L’orateur précise que le traité, conclu en période de paix, était équitable, ce qui lui permet d’affirmer que ce ne sont ni la peur d’un ennemi commun ou d’un conflit ouvert entre les deux parties, ni la recherche pour les Éduens d’une forme de protection militaire, qui en ont motivé la signature. Le foedus a été passé non sous la pression des événements, mais sereinement, entre deux peuples traitant sur un même pied car égaux en dignité29. Chaque partie y trouvait son compte et sortait renforcée dans ses positions.
16L’orateur de 311 résume admirablement bien, plusieurs siècles après les faits, le contexte ainsi que les principes généraux qui régissaient 1e. foedus, traité bilatéral mettant en contact deux peuples dont le territoire n’était pas contigu. Le pacte conclu étant un foedus aequum établi sur une fides réciproque30, on comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi le qualificatif consanguineus est parfois employé, enrichi par celui de fratres. Le titre avait vocation a exprimer, dans le cadre des relations internationales, le rang privilégié tenu par les Éduens dans la formula sociorum31. Enfin, la date supposée du traité confirme que les Romains, au lendemain de leurs grandes victoires sur la Macédoine, Corinthe et Carthage, conduisirent une politique diplomatique active en passant de nouvelles alliances, dont la forme juridique privilégiée fut alors le foedus aequum32. Dans cette perspective, le traité passé avec les Éduens doit être considéré comme la pièce visible d’une politique diplomatique plus générale, menée à l’échelle de l’ensemble du bassin méditerranéen.
La nature du titre de fratres
17Nombreux sont les historiens qui estiment que le titre de fratres a été accordé aux Éduens en vertu d’une légende ou d’un mythe fondateur liant les Quirites à ce peuple celte33, à l’image du titre d’ἀδελϕοί donné aux habitants d’Ilion en souvenir d’une origine commune remontant à la chute de Troie34. Le raisonnement s’appuie sur un extrait de Timagène, auteur grec d’époque augustéenne dont les œuvres ont disparu mais dont un passage a été rapporté par Ammien Marcellin. Selon l’auteur, au lendemain de la destruction d’Ilion, des guerriers troyens, après un long périple, auraient échoué sur les côtes de Gaule celtique et s’y seraient implantés35. Le poète Lucain, dans la Pharsale, fait allusion au titre de fratres que prétendaient porter les Arvernes pour en dénoncer l’incongruité36.
18Cette interprétation demeure vraisemblable et a le mérite d’apporter une explication satisfaisante à l’attribution de ce titre prestigieux. Mais elle comporte des limites car elle ne tient pas assez compte de l’absence d’allusions à ces origines dans les principales sources. Tacite, qui ne manque jamais une occasion de dénoncer les usurpations de titres ou les généalogies fantaisistes, n’en glisse pas un mot37. On ne trouve rien en ce sens dans les fragments du discours de Claude rapportés par la Table de Lyon38. Mieux encore : l’Anonyme de 311 a rappelé avec fierté que, parmi les peuples alliés de Rome, seuls les Éduens avaient bénéficié du titre de fratres sans recours à l’invention d’une origo fabulosa, contrairement aux habitants d’Ilion39. Si l’interprétation traditionnelle se heurte à ces objections, comment comprendre alors l’attribution de ce titre ?
19Otto Hirschfeld, dans un article présenté à l’Académie de Berlin voici plus d’un siècle, avait proposé une solution originale, bien que difficile à admettre40. Plutôt que de voir ce titre comme une émanation du langage de la diplomatie romaine, pourquoi ne pas considérer qu’il a été emprunté au langage de la diplomatie celte, puis retransposé en latin dans le langage de la diplomatie romaine, d’autant que les Romains connaissaient bien ces qualifications en raison de leur existence dans le monde hellénistique ?
20Selon Hirschfeld, cité en français dans une traduction de sa communication par Joseph Déchelette :
Le titre de fratres et consanguinei, accordé aux Haeduens exclusivement n’est point une métaphore inspirée du souvenir d’une prétendue origine troyenne, commune, mais bien le terme désignant en latin cette coutume celtique de la « sanguifraternité ».
21La coutume consistait en un accord passé entre plusieurs personnes non étrangères et validé par deux actes rituels : l’échange de serments et le mélange du sang entre les membres des différentes parties. Ces rituels étaient caractéristiques des mœurs des Scythes, comme le rapportent Hérodote et, plus tard, Lucien de Samosate41. Ils sont attestés chez certains peuples du monde, comme semblent l’indiquer des écrits de voyageurs d’époque moderne ou d’ethnologues du xixe siècle42. Pour autant, aucune source antique n’offre un témoignage de telles pratiques chez les Celtes. Il est difficile, dans ces conditions, d’accorder du crédit à la proposition de Hirschfeld.
22Un passage de la Guerre des Gaules, en revanche, vient peut-être appuyer l’intuition de départ de Hirschfeld, selon lequel le titre latin de fratres pourrait renvoyer à des réalités du langage diplomatique en usage dans les pays celtes. César affirme en effet que les Ambares étaient un peuple lié aux Éduens car de même sang (consanguinei), les plaçant ainsi sur un plan d’égalité43. Deux voies d’interprétation s’ouvrent alors : ou bien les Ambares avaient des racines communes avec les Éduens, ou bien ce peuple avait conclu une alliance selon la coutume de la « sanguifraternité » – ce qui paraît peu vraisemblable. Dans l’extrait, César a recours à la terminologie latine pour retranscrire une réalité gauloise, comme il le fait à d’autres occasions pour décrire, par exemple, le système des alliances conclues par les Éduens ou par n’importe quel autre peuple de la région44.
23L’hypothèse permet à tout le moins d’éclairer l’extrait du Panégyrique latin viii(5) où il est question de l’amour commun et de l’égalité de dignité entre Éduens et Romains : l’auteur insiste sur la réciprocité (communitas amoris) qui lie les deux peuples en indiquant que Romains et Éduens étaient, au moment du traité, égaux du point de vue de la dignitas (dignitatis aequalitas)45. La remarque pourrait surprendre, quand on sait que cette notion polysémique, difficile à rendre en français, revêtait une grande importance aux yeux de Cicéron46 :
Dignitas est alicuius honesta et cultu et honore et uerecundia digna auctoritas.
La dignitas consiste en une influence honorable, qui mérite les hommages, les marques d’honneur et le respect.
24Si l’on suit l’Anonyme de 311, qui se réfère aux conditions dans lesquelles fut noué le traité, les deux peuples discutaient alors sur un pied d’égalité impliquant une déférence réciproque et des échanges d’hommages très concrets. L’emploi de l’expression renforce le caractère bilatéral de l’accord, lequel empêchait chaque partenaire d’imposer ses conditions à l’autre47. Autrement dit, l’accord a dû être conclu conformément aux règles du droit romain, par le biais d’un traité écrit, validé par sénatus-consulte puis conservé par affichage à Rome. Dans le contexte celte, les Romains ont pu adopter la terminologie fondée sur les liens de parenté, avec laquelle ils s’étaient familiarisés au contact des cités et royaumes hellénistiques.
25Si cette reconstruction, en partie hypothétique, est la bonne, le titre de « frères » a été dans un premier temps donné aux Romains par les Éduens, puis il a été reconnu par les Romains de manière officielle. Pour les Éduens, les Romains étaient un peuple frère – Brātīr48 –, et pour les Romains, les Éduens étaient des fratres. Il est inutile, dans ces conditions, d’introduire une hypothèse supplémentaire sur la prétendue origine troyenne des Éduens pour justifier la procédure. Ce sont les auteurs ultérieurs qui, pour des raisons variées (mécompréhension du titre, souci de polémiquer, raisonnement par analogie afin d’expliquer des réalités inconnues), ont cherché à greffer ces prétentions habituelles dans la kinship diplomacy du monde méditerranéen.
26Le renversement de perspective qui vient d’être opéré permet d’aborder autrement la politique diplomatique de Rome au milieu du iie siècle avant notre ère. À cette époque, même si la cité du Latium était devenue assurément la grande puissance de Méditerranée, les dirigeants Romains, absorbés par la gestion de l’expansion territoriale de leur cité, n’étaient pas en mesure de dicter unilatéralement et dans leurs propres termes la conduite que devaient adopter les plus puissants de leurs alliés. La situation concernait en particulier la Gaule chevelue, dont le territoire n’était pas en contact direct avec ceux contrôlés par Rome. L’alliance passée avec les Éduens offrait un commode point d’appui avancé en Gaule, sans impliquer d’intervention militaire. La politique avait néanmoins un prix, du moins dans un premier temps : il fallait traiter avec ménagement et égards ce précieux allié, quitte à lui accorder un titre exceptionnel et à accepter, au moment de la conclusion du traité, ses us et coutumes.
27Le rappel du titre, dans le cadre des relations entre les deux peuples durant le siècle où la Gaule demeura encore « libre », doit être considéré, comme l’a écrit Christian Peyre, comme « un acte solennel et non une sorte de banale politesse », un acte assorti de contraintes pour les deux partenaires. Cependant, selon le même auteur, ces obligations mutuelles nous échappent et il paraît impossible « d’en restituer la nature. Faute de témoignages précis, on ne peut recourir qu’à des analogies49 ». Pourtant, il existe bien un témoignage précis et inédit en un sens : il s’agit d’un extrait du Panégyrique latin viii(5).
Les clauses du traité
28En ayant recours à des parallèles bien attestés, C. Peyre envisageait que le foedus passé entre Romains et Éduens impliquait de la part des deux peuples, en plus d’une entraide militaire, l’envoi d’ambassades, l’échange de cadeaux et d’informations à caractère géopolitique50. Dans les faits, cette multiplication des contacts entre Romains et Éduens, à compter de la seconde moitié du iie siècle avant notre ère, se traduit par de nombreux vestiges archéologiques mis au jour lors des fouilles de Bibracte et sur différents sites du territoire éduen – amphores, céramiques, mais aussi restes architecturaux en dur conçus selon des techniques importées51. Ces échanges commerciaux découlent pour l’essentiel des liens particuliers noués entre Rome et le peuple éduen, régis par les clauses du foedus. Ces dernières sont rappelées, semble-t-il, par l’Anonyme de 311 (Panégyrique latin viii(5), 3, 3) :
sed enim Aedui totum istud quod Rheno, Oceano, Pyrenaeis montibus, Cottiis Alpibus continetur Romano imperio tradiderunt, hibernis hospitaliter praebitis, suppeditatis largiter commeatibus, armis fabricandis, pedestribus et equitum copiis auxiliantibus.
29Dans l’esprit de l’auteur du discours, les Éduens livrèrent aux autorités romaines les territoires correspondant au futur secteur des Tres Galliae, tout en leur apportant une aide active qui consistait à accorder l’hospitalité durant la trêve d’hiver, à fournir du ravitaillement, à livrer des armes et, enfin, à les appuyer militairement par l’envoi de fantassins et de cavaliers.
30Ce raisonnement peut laisser perplexe, dans la mesure où il se fonde sur une source tardive, souvent considérée comme peu fiable en raison de son caractère rhétorique. Pour lever cette objection légitime, il paraît nécessaire de confronter l’extrait avec les sources des iie-ier siècles avant notre ère qui rapportent les mêmes phénomènes.
Confrontation avec le témoignage de César
• Première « clause » : l’hospitium
31Le lien d’hospitium constitue un élément majeur des contacts officiels et des devoirs réciproques entre Éduens et Romains. César le mentionne explicitement, en le plaçant sur un plan d’égalité avec le lien d’amicitia52. L’hospitium, dans le cadre des relations entre Rome et ses alliés, consistait en une série de droits et de devoirs conclus à la suite d’un serment officiel qui permettait à chacun des deux contractants de bénéficier de protection, en particulier du droit d’être hébergé et protégé sur le territoire de l’hospes dans n’importe quelle condition53. La conclusion d’un serment assurant un lien d’hospitium semble avoir servi, durant la République, de « témoignage honorifique en contrepartie de services rendus54 ». Ce lien obligeait les partenaires à s’apporter aide et protection mutuelle, en vertu de l’accord passé lors de la conclusion du foedus officialisant leur fides réciproque55. Dans la Guerre des Gaules, César suggère à plusieurs reprises ce que la clause signifiait en pratique pour les Éduens.
32Elle était d’abord source de droits et d’avantages. Certains Éduens comptaient parmi les hospites de César et l’accompagnaient dans sa suite, ce qui leur permettait de soumettre à ce dernier des requêtes ou encore de l’éclairer dans ses prises de décisions’56. En retour, les règles de l’hospitium contraignaient César à adopter une attitude de déférence et de respect à leur égard, à l’origine, par exemple, de l’incroyable patience dont il fit preuve vis-à-vis de Dumnorix et, plus tard, de certains chefs éduens sur le point de le trahir à la bataille de Gergovie57.
33Le lien d’hospitium explique la grande confiance accordée par César au peuple éduen, chargé d’assurer la sécurité et la protection des citoyens et des armées de Rome dans tous les territoires placés sous son contrôle et celui de ses alliés et clients. La présence de marchands et de citoyens romains dans différentes places éduennes trouve certainement son origine dans ce lien d’hospitium, source de protection et de garantie pour eux58. Le lien d’hospitium entre Éduens et Romains justifie d’ailleurs le choix de César de confier à ses vieux alliés les otages livrés par les peuples vaincus ou hostiles59. Le fait également que le territoire éduen était devenu un espace protégé en raison de ces liens d’hospitium a été déterminant dans la volonté, décisive pour la suite du conflit, d’amasser l’essentiel du butin, des otages et de l’approvisionnement à Nouiodunum (Diou-sur-Loire ?), l’une des places éduennes les plus importantes, située sur la rive de la Loire, à un emplacement stratégique60.
34Pour terminer, il semble que, de manière paradoxale, le lien extrêmement fort entre Romains et Éduens, garanti par la clause d’hospitium, ait épargné à ces derniers de subir la présence de légions en hiver, à l’exception de celui qui suivit le siège d’Alésia. Cette situation répond à la volonté des chefs romains de ménager ce puissant et indispensable allié, alors qu’au contraire César avait à dessein fait peser sur les peuples récemment pacifiés le poids de la présence des troupes61. Malgré la défection de l’année 52, César passa l’hiver avec une partie de ses hommes à Bibracte, peut-être avec les intentions contradictoires de souligner sa domination sur les Éduens, peuple prééminent parmi les Gaulois, de signifier sa clémence et d’apporter la promesse d’un retour à la situation ante quem62.
• Deuxième « clause » : la fourniture d’approvisionnement
35César rappelle à différentes reprises le rôle majeur joué par les Éduens, non seulement dans les opérations militaires à proprement parler, mais surtout dans l’organisation logistique de la campagne. Leur territoire fut employé comme base logistique, ainsi à Nouiodunum où étaient rassemblés argent, bagages incluant une partie du butin, et surtout chevaux frais et vivres en tout genre, en particulier du blé63. Durant la campagne, César sollicita à diverses reprises les Éduens pour qu’ils lui fournissent du blé pris sur leurs réserves64. Il confia à la cavalerie éduenne la surveillance des convois qui reliaient les bases arrières aux différents théâtres des opérations65. Le système fonctionna, semble-t-il, sans accroc jusqu’en 52. On mesure alors le dépit et le sentiment de trahison qui envahirent César lorsque les fratres Éduens firent défection et le privèrent d’une bonne partie de son intendance au moment où les insurgés mirent la main sur Nouiodunum66.
• Troisième « clause » : la livraison d’armes
36À aucun moment, César ne mentionne de livraisons d’armes à ses troupes par les Éduens. Une aide de cette nature demeure cependant tout à fait envisageable, car les compétences des artisans métallurgistes éduens, largement confirmées par les découvertes archéologiques récentes, l’autorisaient, aussi bien pour réparer ou forger des armes communes aux deux alliés – pointes de flèches ou armes de jet. L’opération était d’autant plus aisée que ces éléments de l’armement ne différaient pas fondamentalement dans chacun des camps à cette date67.
37Par ailleurs – mais ce n’est qu’une hypothèse –, nous serions tenté de considérer comme une survivance et un prolongement de cette clause l’existence continue, durant le Haut-Empire et l’Antiquité tardive, d’ateliers officiels d’armes en territoire éduen. Leur présence est attestée par une inscription datée traditionnellement de la fin du iie ou du iiie siècle68 et par la Notitia Dignitatum Occidentalis rédigée au début du ve siècle69. Le récit par Tacite de la révolte de Iulius Sacrouir, sous Tibère, montre la facilité avec laquelle les insurgés firent fabriquer des armes en secret, autre preuve des compétences des artisans éduens en ce domaine70.
38En admettant la validité de l’hypothèse ici défendue, cela signifierait que l’ancienne cité fédérée des Éduens jouissait de privilèges à l’époque impériale, liés pour certains d’entre eux aux clauses de l’antiquum foedus. Ces indices révéleraient ainsi un aspect négligé des privilèges des cités durant l’Empire, privilèges mal attestés ou réduits à leur seule dimension fiscale.
• Quatrième « clause » : l’aide militaire directe
39Cette clause est la plus attendue dans le cadre d’un foedus. Les Éduens devaient fournir des troupes (copiae) si les Romains le réclamaient (et inversement), troupes composées de fantassins et de cavaliers, sans autre précision. Peut-être le texte du traité était-il plus loquace sur ces questions, fixant par exemple le nombre de combattants. Il est possible – et plus probable aussi – que les clauses n’aient fourni qu’un cadre général, les détails étant ensuite réglés pragmatiquement, au gré des besoins et selon la nature des opérations. Dans la guerre des Gaules, le rôle de la cavalerie éduenne fut important, aussi bien comme auxiliaire intégrée au dispositif militaire romain que comme armée autonome alliée, par exemple au moment du siège de Gergovie71 ou lors de la campagne de diversion menée contre les Bellovaques72. Certains chefs éduens (les hospites de César déjà mentionnés), agissant en qualité de commandants de contingents de cavalerie, semblent avoir joué un rôle de conseillers militaires et d’interlocuteurs (et traducteurs) entre les Romains et leurs adversaires73. La cavalerie éduenne enfin, associée à des détachements de soldats romains, a souvent constitué l’essentiel des troupes chargées de la protection des convois de ravitaillement74.
40Une lecture croisée avec le témoignage de la Guerre des Gaules oblige ainsi à admettre que l’extrait du Panégyrique latin viii(5) contient, selon toute vraisemblance, des clauses du foedus passé entre Éduens et Romains, sinon des clauses explicitement écrites, du moins des éléments de leur traduction pratique dans un contexte de guerre. À défaut de pouvoir le démontrer de manière définitive, recourir à l’œuvre de César permet de vérifier la précision terminologique et la fiabilité du passage. Le notable anonyme du début du iv e siècle gardait vivant le souvenir de ces actes anciens et glorieux.
Confrontation avec les clauses des traités passés entre Rome et ses alliés au iie siècle avant notre ère
41Les traités diplomatiques romains du iie siècle avant notre ère sont attestés de manière épisodique, parfois en détail grâce aux sources littéraires et surtout aux documents épigraphiques75. Gravés sur le bronze ou sur la pierre, ces derniers, affichés dans des lieux centraux de la vie civique – sur le Capitole à Rome, près des temples des divinités poliades dans les cités alliées –, reproduisent l’intégralité du texte du traité. Il s’agit de textes normatifs, brefs et stéréotypés, qui précisent dans leurs grandes lignes les obligations et devoirs réciproques incombant aux deux partenaires. Confronter ces documents avec l’extrait du Panégyrique latin viii(5) revêt un grand intérêt, car c’est le second moyen de vérifier si les clauses mentionnées dans ces textes officiels correspondent à celles évoquées allusivement par l’Anonyme de 311.
42Le traité d’alliance entre Rome et la cité de Maronée, passé probablement dans la première moitié du iie siècle avant notre ère, peu après 167, contemporain, à quelques dizaines d’années près, de celui passé avec les Éduens, doit retenir notre attention76. Excepté les neuf premières lignes, très endommagées, l’inscription livre le texte intégral du foedus. Aux premières lignes (1. 1-12), sont consignés les noms des ambassadeurs de la cité envoyés à Rome pour y conclure le traité d’alliance (συμμαχία, 1. 10) qui devait sceller pour toujours (εἰς τòν ἅπαντα χρόνον, 1. 11) l’amitié (ϕιλία, 1. 10) entre les deux peuples, les obligeant ainsi à se porter secours mutuel sur terre et sur mer (καὶ κατὰ γῆν καὶ κατὰ θάλασσαν, 1. 11). Les lignes suivantes (1. 12-36) précisent, par une série de clauses, la nature de l’aide : était d’abord imposée aux deux partenaires l’interdiction d’aider leurs ennemis communs en leur accordant un droit de passage sur leur territoire en temps de guerre (διὰ τῆς ἰδίας χώρας, 1. 14), clause ensuite précisée par une série de préconisations obligeant les alliés à ne fournir ni blé, ni ravitaillement, ni armes, ni navires, ni argent à leurs adversaires (μήτε [...] σίτωι μήτε ὅπλοις μήτε ναυσὶν μήτε χρήμασιν, 1. 18-19). En cas d’attaque contre l’un des deux partenaires, l’autre était tenu de lui porter secours, à hauteur de ses capacités (1. 30-36). Le texte se conclut par des clauses de garantie et d’application (I. 36-42), selon lesquelles aucune modification ne pourra être apportée sans l’accord préalable des deux signataires (1. 36-41). Enfin, il est rappelé que le texte de l’alliance est destiné à être gravé sur des tables de bronze (ταύτην τὴν συμμαχίαν γραϕῆναι εἰς χἀλκωμα, 1. 41-42) affichées à Rome au Capitole, à Maronée sur un mur du temple de Dionysos.
43Les clauses apparaissent pour l’essentiel sous forme négative, précisant ce que chaque partenaire ne doit pas faire, excepté la clause d’appui en cas d’attaque, fort vague cependant et laissant pour cette raison une grande marge de manœuvre. Pour autant, ces clauses négatives révèlent en creux ce que chaque partenaire devait fournir. Pour simplifier, elles peuvent être classées en trois grandes catégories : la première est une clause territoriale obligeant les deux parties à interdire aux ennemis communs le passage sur les territoires contrôlés ; la seconde traite des fournitures matérielles à ne pas livrer à ces mêmes ennemis ; la dernière enfin, morale, exhorte les deux partenaires à s’épauler mutuellement en cas de conflit.
44Avant de revenir au discours de 311, il convient de rappeler que le texte de ce foedus ne constitue pas un document exceptionnel. À titre comparatif, on peut citer celui passé entre Rome et Cybira après 129 avant notre ère, ou ceux conclus avec Astypalaea Insula et Methymna autour de 105 avant notre ère. Ces trois foedera, plus ou moins bien conservés, reproduisent avec quelques variantes mineures la trame générale et le formulaire de celui de Maronée77. Notons simplement que, dans le cas d’Astypalaea Insula, le traité78 fut gravé à la suite d’un décret du Sénat romain traduit en grec79, qui mentionnait l’échange, à Rome, de présents d’hospitalité (ξενία, 1. 10) au moment de la réception des ambassadeurs devant le Sénat. Le texte précise que chaque partie, en cas de guerre, devait soutenir l’autre, conformément aux clauses et en vertu de serments passés (ἐκ τῶν συνθηκῶν καὶ ὁρκίων, 1. 16-17). La question de l’hospitalité et du lien de fides entre les deux peuples devait être abordée plus en détail dans des serments oraux dont rien n’a été conservé.
45En guise de bilan, on retiendra que les rapprochements opérés entre l’extrait du Panégyrique latin viii(5) et les clauses des traités du iie siècle avant notre ère renforcent la conviction que l’Anonyme de 311, en quelques lignes, a bien rappelé à l’auditoire sinon toutes, du moins l’essentiel des clauses reproduites dans le foedus passé entre Éduens et Romains au iie siècle avant notre ère. Les clauses et serments évoqués plus haut sont les échos directs des clauses mentionnées par l’Anonyme de 311 – hospitium, commeatus, livraison d’armes, troupes80.
Synthèse : nature, clauses et fonctionnement du foedus passé entre Éduens et Romains au iie siècle avant notre ère
46Ainsi, la lecture croisée du Panégyrique latin viii(5), 3, 3 et des sources républicaines semble conforter l’hypothèse selon laquelle l’orateur a rappelé à son auditoire, brièvement mais avec une grande exactitude, plusieurs clauses et implications concrètes rattachées à cet antique foedus.
47L’analyse des paragraphes 2, 3 et 4 du panégyrique aboutit aux conclusions suivantes :
Le foedus passé entre Éduens et Romains dans les années 150-140 avant notre ère était un foedus aequum. Du point de vue du droit romain, les Éduens étaient considérés comme des égaux et traitaient avec les Romains de manière bilatérale, continuant de jouir de leur pleine capacité pour traiter avec d’autres peuples, contrairement aux alliés de Rome qui Romanae dicionis sunt perdant leur autonomie en matière de diplomatie. Cette dernière situation caractérise par exemple le foedus conclu avec des cités siciliennes au iiie siècle avant notre ère, ou encore les traités hybrides du milieu du ier siècle avant notre ère qu’une clause de maiestas rendait de fait inégaux81. À la fin de la République, les Éduens se trouvaient donc inscrits en bonne place dans la formula sociorum, liste officielle des peuples alliés et amis de Rome. Le contexte historique qui est à l’origine du foedus aequum explique largement l’octroi du titre exceptionnel de fratres : les dirigeants romains devaient asseoir leur emprise sur les immenses territoires conquis durant les décennies précédentes, et le prix d’un engagement direct en Gaule demeurait alors trop élevé. Le traité fut un véritable foedus aequum dans la mesure où les Romains aussi bien que les Éduens éprouvaient la nécessité de consolider leurs intérêts propres. Dans ces conditions, comme nous l’avons envisagé en suivant une hypothèse formulée par Otto Hirschfeld, le prix à payer côté romain fut d’accorder officiellement un titre exceptionnel aux Éduens, celui de fratres, probable transcription latine d’un terme celte en usage dans le cadre des pratiques diplomatiques gauloises. Selon cette proposition, le titre de fratres doit être considéré comme officiel, mais sans rapport nécessaire avec une prétendue origine troyenne dont se seraient parés a posteriori les Éduens.
Le foedus aequum comportait une série de clauses précises destinées à régler les rapports entre les deux alliés, dans le cas où l’un d’entre eux serait engagé dans un conflit et ferait appel à son partenaire. Ces clauses prévoyaient d’accorder à l’armée alliée l’hospitium durant la campagne et la trêve d’hiver, la fourniture de ravitaillement et d’armes au moment des opérations, ainsi qu’un appui actif par l’envoi de fantassins et de cavaliers. Les clauses traitaient au premier chef de questions militaires, mais elles eurent des conséquences importantes sur les rapports noués en temps de paix. Le lien créé par le foedus s’accompagnait de contacts réguliers, à travers l’envoi de délégations officielles reçues avec les plus grands égards82, comme l’illustre la visite à Rome de Diviciac, accueilli par le Sénat puis par Cicéron. La protection mutuelle attachée à cette fraternitas diplomatique a débouché sur le renforcement et l’accroissement de liens commerciaux privilégiés, et sur l’adoption de nouvelles pratiques culturelles côté éduen : les découvertes archéologiques récentes attestent l’influence romaine, à la fois commerciale et culturelle, dès le milieu du iie siècle avant notre ère, sur des sites comme Bibracte83.
Enfin, les témoignages de l’auteur du Panégyrique latin viii(5) et de César offrent une image cohérente et convergente du fonctionnement de l’alliance militaire au moment de la Guerre des Gaules. Le texte de César montre bien, en situation, le comportement des Éduens à l’égard des clauses du traité qui les liaient aux Romains.
48Un dernier point concerne la manière dont l’Anonyme de 311 a pu avoir accès à ces informations : par quel moyen le texte avait-il traversé les siècles ? Et surtout, pour quelles raisons avait-il été conservé et son souvenir ravivé à une époque où les historiens s’accordent à penser que le foedus n’avait plus aucune implication institutionnelle ? Les résurgences d’un lointain passé ne constituent pas un élément isolé dans le discours. En effet, à une autre occasion, l’orateur rappelle l’épisode de l’appel à l’aide formulé au Sénat de Rome par Diviciac. Or, il est le seul auteur antique à préciser que le chef éduen prononça ce discours scuto innixus, « appuyé sur son bouclier ».
Le bouclier de Diviciac, ou les « lieux de mémoire84 » du peuple éduen au début du ive siècle
49Le rappel de l’épisode de Diviciac au Sénat, autant que le souvenir du titre de fratres chez les panégyristes éduens, semble révélateur du rapport entretenu par les notables de la fin du iiie siècle avec le passé lointain et révolu de leur histoire, avec le temps glorieux de l’« Empire éduen85 ».
De la République à Constantin : les canaux de transmission de la mémoire locale
Le souvenir du foedus
50L’évocation des clauses du foedus dans un discours prononcé en 311 apporte la preuve qu’à cette date le texte du traité demeurait encore consultable. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
le texte du foedus (ou une copie) se trouvait conservé à Autun même, dans des archives ou sous la forme d’une inscription sur bronze ou sur pierre, affichée dans un espace public86 ;
le texte originel était conservé à Rome, dans les archives ou sous la forme d’une inscription87 ;
il existait une chronique, une histoire locale transmise oralement ou couchée par écrit, comparable aux très nombreux recueils de patria bien attestés dans les cités orientales, tout particulièrement durant l’Antiquité tardive, et dans lesquels étaient consignés les événements fondateurs et la geste des célébrités locales88.
51Plusieurs indices suggèrent que l’orateur de 311 avait connaissance du texte original du foedus. Même à une date aussi avancée, on peut conjecturer que la version affichée du foedus demeurait en place et bien en vue dans un espace public de la cité. En dépit des événements du dernier tiers du iiie siècle, les archives avaient pu être conservées, au moins les plus importantes, ou reproduites à partir des copies gardées dans les archives centrales une fois les événements apaisés. La documentation africaine (inscriptions, sources littéraires, actes de martyrs) rappelle avec force cette omniprésence des archives dans la vie quotidienne, parfois dans des bourgades obscures89. Par rapprochement, il faut admettre qu’à Augustodunum, cité prestigieuse célébrée pour la qualité de ses écoles de rhétorique et ayant livré des témoignages uniques sur la pratique du grec, l’archivage des documents officiels par les autorités municipales était courant.
52Une inscription mise au jour dans la cité ombrienne de Camerinum, commentée par Paul Veyne, fournit un parallèle instructif, susceptible d’étayer l’hypothèse de la conservation in situ du foedus90. Selon le document, daté de la 18e puissance tribunicienne de Septime Sévère et de son titre de Britannicus Maximus (210 de notre ère), les notables du municipe italien auraient envoyé une coûteuse ambassade auprès de l’empereur, alors en campagne en Bretagne, pour qu’il confirme l’antique traité passé avec Rome durant la République91. Le document témoigne de l’issue heureuse de l’affaire. Paul Veyne rappelle qu’aux iie-iiie siècles de notre ère, de tels rappels, certes peu courants, n’étaient pas si rares, comme l’attestent plusieurs titulatures municipales et coloniales reproduites sur des inscriptions92. L’apparition en Afrique, dans des titulatures étoffées, de l’épithète Mariana destinée à revendiquer et rappeler le nom de Marius à l’origine de l’installation des premiers colons, relève du même phénomène93.
53Ces deux exemples – on aurait pu en ajouter d’autres puisés dans la vie civique de l’Orient romain – confortent l’idée que les textes des foedera d’époque républicaine ont pu être conservés dans leur intégralité durant tout le Haut-Empire par les cités concernées. Les autorités locales les faisaient confirmer pour des raisons variées. Ces procédures lourdes prouvent qu’au foedus antiquum demeuraient attachés des privilèges pas seulement symboliques (mais leur nature nous échappe), encore en vigueur sous les Sévères94. Rappelons enfin que le grand-père d’Eumène, né vers 160-170, était contemporain des ambassadeurs de Camerinum.
54L’Anonyme de 311 et ses collègues disposaient donc très certainement du texte du foedus dans son intégralité, que les générations précédentes avaient pieusement conservé et transmis à leurs héritiers, non par esprit d’antiquaires mais bien parce que ce foedus antiquum s’accompagnait de privilèges et d’honneurs utiles à faire valoir dans le dialogue avec les empereurs95.
Le souvenir de Diviciac au Sénat
55L’épisode de Diviciac au Sénat mérite d’être étudié selon la même démarche. Il est rapporté en ces termes (Panégyrique latin viii(5), 3, 2) :
princeps Aeduus ad senatum uenit, rem docuit, cumque idem oblato consessu minus sibi uindicasset quam dabatur, scuto innixus perorauit.
56De façon inattendue, l’orateur ne dévoile pas le nom de ce princeps Aeduus. La simple évocation de ce fameux épisode devant un auditoire informé était peut-être suffisante. L’identité du personnage se laisse deviner, Cicéron ayant relaté l’épisode de sa visite à Rome96. Au lendemain de la grande bataille d’Admagetobrige, qui marqua la victoire des Séquanes et de leur puissant allié Arioviste sur les Éduens, ces derniers furent durement traités et seul un des membres les plus éminents de l’aristocratie parvint à s’enfuir, évitant ainsi de livrer ses enfants comme otages aux vainqueurs97 : le princeps et druide Diviciac (nom parfois retranscrit sous les formes Divitiacus ou Divitiac). Ecarté de toute fonction officielle, il se rendit dans l’Vrbs pour plaider la cause de son peuple et solliciter l’aide des Romains, en vertu du foedus les liant. Diviciac fut reçu de manière officielle et avec les plus grands égards. Au Sénat d’abord, où il prononça un discours dont le contenu a peut-être été rapporté dans ses grandes lignes, bien qu’arrangé, par César (BG, ι, 31)98. Diviciac fut aussi l’hôte de dignitaires romains de premier plan, au rang desquels figurait Cicéron. Contrairement à ce qu’affirme l’Anonyme de 311, aucune suite ne fut donnée à cet appel, les dirigeants romains ayant choisi d’éviter, sur le moment, d’intervenir dans les affaires de la Gaule intérieure.
57L’attitude prêtée à Diviciac au moment de son audience devant le Sénat peut étonner. Il apparaît dans une attitude très volontaire, puisqu’il décline l’invitation qui lui est faite de s’asseoir parmi les Patres. Plus surprenant encore, il aurait prononcé son discours appuyé sur son bouclier (scuto innixus). La mention de cette arme défensive dans l’enceinte du Sénat, peut-être même dans les limites sacrées du pomerium, portée de surcroît par un Gaulois, paraît douteuse. Mais si l’on donne foi à ce témoignage, quelle signification profonde attribuer au geste de Diviciac ? D’une manière générale, les commentateurs le prennent pour argent comptant, en se contentant de rapporter une anecdote savoureuse qui entretient les préjugés sur les Gaulois99.
58Avant d’entreprendre le décryptage de ce geste, il importe de s’interroger sur la source de témoignage. À la différence du rappel des clauses du foedus, cette anecdote, en raison de son caractère narratif, n’a de toute évidence pas été transmise par le biais d’archives officielles ni par les sources littéraires écrites à Rome. Stéphane Verger a suggéré que l’épisode a pu être transmis par l’historien d’origine grecque Timagène, otage à Rome dans la seconde moitié du ier siècle avant notre ère, auteur d’une œuvre perdue mais dont un large extrait a été rapporté par Ammien Marcellin100. Rien, a priori, ne s’oppose à cette hypothèse, d’autant qu’Augustodunum était en Gaule un centre réputé de diffusion de la culture gréco-romaine, dont le rayonnement supposait l’existence, sur place, de bibliothèques. Par ailleurs, une transmission par le biais d’auteurs grecs demeure vraisemblable en raison de la bonne connaissance de cette langue par les élites éduennes.
59Une seconde hypothèse est envisageable. Il est toujours tentant, lorsqu’une indication originale se trouve consignée dans un texte rhétorique, d’en chercher l’origine dans des sources littéraires officielles ; c’est oublier l’ancrage profond de ces pseudo-panégyriques dans les réalités provinciales et dans des traditions orales ou écrites à diffusion locale101. Il est inutile, dans ce contexte, de chercher des traces dans les sources officielles rédigées à Rome. Le maintien de l’usage du gaulois a pu également jouer un rôle dans cette transmission. À Autun, si l’épigraphie a fourni de nombreux textes en latin et même en grec – dans une proportion moindre mais non négligeable –, les inscriptions gravées sur des fusaïoles prouvent que la langue gauloise était encore comprise et employée aux iie et iiie siècles de notre ère102. À ces témoignages s’ajoutent ceux d’auteurs tardoantiques, qui confirment la pratique de la langue dans toutes les couches sociales103.
60L’étude citée plus haut de Stéphane Verger apporte cependant des éclairages inédits sur le geste de Diviciac au Sénat. Selon lui, la « description détaillée du comportement de Diviciac au Sénat n’a guère de sens si on la considère comme un ajout tardif par le rhéteur de 311. En revanche, elle s’explique parfaitement si l’on considère qu’elle transmet une réalité du ier siècle avant notre ère. La position du guerrier appuyé sur son bouclier est bien attestée dans la plastique du Midi de la Gaule aux iie et ier siècles avant notre ère104 ». On pourrait ajouter que si le Panégyrique latin viii(5) transmet une réalité du ier siècle avant notre ère, son auteur, s’adressant à Constantin, en mesure parfaitement la portée.
61La comparaison du geste avec celui du personnage sculpté de Mondragon ou avec des représentations des revers de monnaies gauloises d’argent à la légende Viipotal est suggestive (fig. 2). Traditionnellement, les images de ces revers sont interprétées comme des représentations de guerriers, en raison de la présence d’armes offensives et défensives, mais aussi d’éléments considérés comme des enseignes militaires. L’analyse paraît cependant trop réductrice, dans la mesure où elle confine l’image représentée au seul domaine de la guerre. Or, comme l’a suggéré Christian Peyre à propos de monnaies représentant Dumnorix105 :
Nous ne saurions dire si, sur cette monnaie, Dumnorix porte des vêtements civils ou militaires. La présence de l’épée n’est évidemment pas décisive : à toutes les époques elle a accompagné des tenues d’apparat, et elle continue de le faire [...] chaque objet peut revêtir une signification double. Le sanglier-enseigne et la trompette démontée désignent-ils le magistrat qui conduit le peuple et convoque les assemblées ? Ont-ils un caractère emblématique106 ?
62Ces réflexions relatives à l’attitude de Diviciac et à celle des personnages représentés sur les monnaies et la statue de Mondragon, ont le mérite d’enrichir la portée du geste. Bien que l’image renvoie au monde des guerriers, ces derniers sont aussi et surtout présentés comme des hauts dignitaires ; les armes représentées sont à la fois des armes fonctionnelles ou d’apparat – peu importe ici – et des regalia symboles de pouvoir107.
63Présenté sous cet angle, le geste de Diviciac appuyé sur son bouclier au Sénat prend une nouvelle signification. L’autorisation qui lui avait été accordée de se présenter devant les sénateurs paré des attributs de son pouvoir montre que les dirigeants romains reconnaissaient en sa personne un interlocuteur autorisé, alors que nous savons qu’après son exil, il ne faisait plus partie des dirigeants officiels108. En agissant de la sorte, les Romains ont rappelé leur appui aux Éduens demeurés hostiles aux Séquanes et aux Germains d’Arioviste. Si l’appel n’a pas entraîné l’envoi de légions, les sénateurs ont mené là une habile opération diplomatique, en évitant de rompre les liens entre les deux peuples. Enfin, si Diviciac fut autorisé à se présenter avec une arme, cette tolérance peut s’expliquer par le fait qu’il s’agissait d’une arme défensive. Mais peut-être était-ce aussi une marque d’honneur exceptionnelle, tolérée uniquement car l’arme était portée par le représentant de Gaulois qualifiés de fratres109.
64Cette évocation fugace de l’épisode de Diviciac au Sénat doit être considérée comme une faille où l’historien voit affleurer des cultures et des savoirs arasés. L’épisode constitue l’un des tableaux de la longue galerie des personnages et hauts faits locaux, qui constituaient le ferment majeur de l’identité civique, autrement dit les « lieux de la mémoire éduenne ». L’interprétation de Stéphane Verger renforce l’hypothèse d’une transmission locale de l’épisode dans le cadre d’une histoire « nationale » et non pas romaine au sens d’histoire conçue à Rome par des membres de l’élite impériale.
Pourquoi ce recours insistant au passé lointain ?
65Les orateurs éduens, l’Anonyme de 311 au premier chef, ont offert à leurs contemporains l’image d’une histoire locale recomposée et lissée de toutes ses aspérités110. Ce passé « national » est conçu vis-à-vis des Romains, sans être pour autant subordonné à la grande Histoire. Les Éduens ont conscience d’avoir participé activement et contribué à la victoire de Rome en Gaule, à l’origine d’une nouvelle civilisation bienfaitrice apportée par le vainqueur. De ce point de vue, le succès de Rome rejaillit sur eux plus que sur aucun autre peuple. Inutile alors de s’étonner de l’absence des épisodes tragiques comme la révolte de Iulius Sacrouir ou celle des années 68-69, qui jetteraient une ombre sur ce tableau idéalisé.
66Pour autant, cette recomposition du passé doublée d’omissions conscientes ne doit pas conduire à jeter un discrédit absolu sur les faits rapportés. L’orateur de 311 les a certes arrangés, compte tenu des contraintes imposées par les codes rhétoriques ; mais il n’a pas tout inventé. Il s’est appuyé sur des documents originaux et fiables, conservés dans la mémoire collective et dans des archives, qu’il a su ensuite rapporter avec fidélité, dans un style à la fois alerte et imagé.
67Il reste, pour terminer, à déterminer ce qui a poussé les orateurs éduens à recourir à ces procédés. Deux raisons peuvent être invoquées, explicitées par l’Anonyme de 311.
Première raison : uetera ista sunt
68L’orateur justifie ces rappels en invoquant des raisons originales, qui ne sauraient cependant entièrement satisfaire à notre questionnement (§ 4, 1) :
Dicet aliquis: «uetera ista sunt!» Et quidem hoc sanctiora quod uetera!
On me dira : « c’est de l’histoire ancienne ! » Mais justement, elle est d’autant plus vénérable qu’elle est ancienne !
69Le personnage dévoile un trait bien connu des mentalités des écrivains antiques, qui consistait à survaloriser les faits du passé et l’héritage des Anciens, simplement parce que ces traditions vénérables garantissaient l’ordre social et la continuité historique de la communauté civique. De là, il convenait de dénigrer tout ce qui semblait nouveau (les res nouae), facteur de trouble et de rejet de la tradition111. Rapporté au Panégyrique latin viii(5), le raisonnement signifiait que les Éduens d’époque constantinienne devaient se conduire comme leurs ancêtres d’avant la conquête, cette fidélité au passé constituant un élément clé du patriotisme et de l’identité locale.
Seconde raison : le rappel de faits historiques considérés comme des exempla
70Les hommes et les événements du passé, comme attendu dans une source marquée du sceau de la rhétorique, ont été invoqués par l’orateur pour appuyer son argumentation, en les mobilisant sous la forme d’exempla. Le recours à l’exemplum dans un discours antique ne correspond pas à ce que nous entendons par « exemple », ce terme définissant une simple illustration destinée à agrémenter un propos sans en infléchir profondément le contenu.
71Les réflexions de Jacques Berlioz et de Jean-Michel David dans l’introduction du colloque de Rome de 1979 ont montré la pertinence d’une approche complexe du recours à l’exemplum dans les sources antiques et médiévales. Ainsi, l’application du concept de roots paradigm, issu de l’anthropologie, offre une grille de relecture de l’exemplum compris comme « la matrice qui permet par analogie avec un modèle et une figure partagée par une communauté de sortir d’une situation de crise112 ». Cette définition correspond exactement à l’usage que font les panégyristes du passé investi de nombreuses valeurs. L’Anonyme de 311, en puisant des exempla dans une histoire reconstruite, cherche à mettre en perspective les actes des générations passées réinvestis d’une signification et d’une portée nouvelles, afin d’établir des modèles d’action et de comportement pour le présent et l’avenir. C’est dire si ces rappels trouvent de profondes résonances dans les événements contemporains.
72Il n’est pas inutile de rappeler que le Panégyrique latin viii(5) a été prononcé devant Constantin entouré de sa cour et des délégués des autres cités d’Occident, lors du dies imperii du prince. Ce moment se situe un an après les festivités des quinquennalia et l’élimination de Maximien au premier semestre 310, un an avant la campagne de 312 contre Maxence, alors que les réformes provinciales et fiscales entreprises par Dioclétien commençaient à faire sentir leurs effets. Du point de vue des Éduens, dans cette période de transformations douloureuses pour leur cité, le recours à l’histoire permettait de justifier les privilèges récemment acquis. Demeurés fidèles à Rome depuis la conclusion de l’antiquum foedus, en dépit des malheurs que cette fides avait attirés sur eux en 269-270, les Éduens, plus que toute autre ciuitas, méritaient ces privilèges fiscaux accordés non iure sed iuste113. L’affaire de 311 s’inscrivait ainsi, selon l’orateur, dans des rapports comparables à ceux engagés durant la guerre des Gaules. Comme en 59-58 avant notre ère, les Éduens du début du ive siècle ont fait appel à Rome, en faisant valoir leur fides et leurs merita, afin d’obtenir en retour des beneficia114.
73En énonçant ces exempla, l’orateur jetait ainsi des ponts entre le présent et le passé. Rappeler l’épisode de Diviciac revenait à suggérer à l’auditoire que Constantin était l’héritier des Patres de la République et l’orateur la réincarnation de Diviciac115, comme si l’histoire des relations entre Éduens et Romains, inaugurée avec le foedus du iie siècle avant notre ère, n’était qu’une succession ininterrompue d’échanges réciproques de beneficia et de merita. Dès lors, à travers ce jeu de correspondances, nous comprenons mieux le poids de ces actions passées dans les relations avec Constantin. D’un point de vue moral et en vertu de la pietas dont chaque individu libre devait faire preuve dans ces circonstances, les notables et l’empereur avaient pour obligation d’agir en conformité avec les actes de leurs prédécesseurs116. L’affaire posait en effet à chacun des acteurs la question de sa légitimité : à travers son geste, Constantin réaffirmait la dignitas de la cité des Éduens, lesquels en retour reconnaissaient l’empereur usurpateur comme le seul légitime. De telles proclamations de fides comptaient, car dans le contexte de l’été 311, face aux trois redoutables rivaux qu’étaient Maxence, Licinius et Maximin Daïa, la position de Constantin demeurait inconfortable.
74Les événements historiques mentionnés dans le Panégyrique latin viii(5) ne peuvent en aucune manière être réduits à la simple nostalgie d’un passé révolu, source de réminiscences archaïsantes. L’Anonyme de 311 rappelle avec précision les clauses et principes régissant le foedus contracté entre les Éduens et les Romains au milieu du iie siècle avant notre ère. Il offre un témoignage unique pour la Gaule du rapport qu’entretenaient les notables municipaux avec leur passé. Le discours dévoile comment les notables concevaient leur identité, fondée en partie sur des « lieux de mémoire » partagés par l’ensemble de la communauté civique. Contrairement à ce qu’a écrit Greg Woolf117, les traditions préromaines n’étaient pas tombées dans l’oubli au seuil du Bas-Empire. Car si les Panégyriques latins constituent des monuments de l’art oratoire tardoantique, ils n’en demeurent pas moins ancrés dans des réalités provinciales et locales parfois très anciennes.
75De toute évidence, ces souvenirs revêtaient, aux yeux de l’orateur, une importance cruciale pour le destin de sa ciuitas. Leur rappel n’avait de sens qu’à condition d’être porteur de valeurs utiles aux contemporains et reconnues par les autorités romaines du moment.
Notes de bas de page
1 Le titre de fratres apparaît ainsi dans Panégyriques latins iv(8), 21, 2 ; v(9), 4, 1 ; vii(6), 22, 4 ; viii(5), 2, 4 ; 3, 1 et 2 ; 4, 1 et 3. Sur le titre de fratres, en dehors des remarques ponctuelles relevées dans la bibliographie, voir l’étude rapide de D. Lassandro, « Aedui, fratres populi Romani (in margine ai Panegirici gallici) », dans Autocoscienza e rappresentazione dei popoli nell’antichità, Sordi M. éd., Milan, 1992, p. 261-266. Remarques originales dans Landriot, Rochet, Discours d’Eumène, p. 10-14 ; Hirschfeld, Les Haeduens et les Arvernes, p. 9-13 ; Jullian, Histoire de la Gaule, 3, p. 28 ; Braund, « The Aedui, Troy and the Apocolocyntosis », p. 420-425 ; Goudineau, dans Goudineau, Peyre, Bibracte et les Éduens, p. 171-177.
2 Laudes Domini (éd./trad. A. Salzano), v. 7-10 : Nam qua stagnanti praelabitur agmine ripas / tardus Arar, pigrumque diu uix explicat amnem, / qua fraterna Remo progignitur Aedua pubes, / coniugium memini summa pietate fideque. Sur l’auteur de ce poème, voir la fiche qui lui est consacrée dans l’annexe.
3 Hirschfeld, op. cit., p. 9-10, écrivait ainsi : « Au temps de la plus funeste décadence des Haeduens, le uetus Romanae fraternitatis nomen est encore employé à plusieurs reprises par Eumène et les autres panégyristes comme un titre glorieux donnant droit à la protection impériale. » Et d’ajouter plus loin (p. 20) : « Les Haeduens sont-ils demeurés en possession du foedus jusqu’aux derniers temps de l’Empire ? Cela est douteux. »
4 T. Kotula, « Snobisme municipal ou prospérité relative ? Recherches sur les statuts des villes nord-africaines sous le Bas-Empire romain », AntAfr, 8 (1974), p. 111-132.
5 Pour un rapide survol des événements internationaux du iie siècle avant notre ère : Histoire romaine, 1. Des origines à Auguste, Hinard F. dir., Paris, 2000, p. 443-501, 554-557, 573-592 et 595-600. La documentation littéraire et épigraphique sur les ambassades de cités grecques envoyées à Rome a été rassemblée par Canali de Rossi, Le ambascerie.
6 La diplomatie romaine fut très active durant cette période, parallèlement aux interventions militaires engagées partout en Méditerranée. Le milieu du iie siècle avant notre ère se caractérise par la conclusion de traités de type foedus aequum, après une époque où des traités particuliers et inégaux furent conclus entre Rome et les cités grecques de Sicile et d’Illyrie : J.-L. Ferrary, Philhellénisme et impérialisme. Aspects idéologiques de la conquête du monde hellénistique, de la seconde guerre de Macédoine à la guerre contre Mithridate, Rome, 1988 (BÉFAR, 271), p. 40-43. Un siècle plus tard, si les traités passés à l’époque césarienne correspondaient, d’un point de vue formel, à ce genre de traités, ils étaient en fait inégaux en raison de l’introduction d’une clause de maiestas. Sur les différents traités conclus à cette époque, connus grâce à la documentation hellénophone et orientale, voir Ferrary, « Traités et domination romaine », p. 217-235.
7 Nous reprenons ici les analyses de Christian Peyre dans Goudineau, Peyre, op. cit., p. 171-174.
8 Ibid., p. 173.
9 Caes., BG, vi, 12, 2.
10 Sur ce vocabulaire : K.-H. Ziegler, « Völkerrecht der römischen Republik », dans ANRW, i, 2 (1974), p. 87-90 (amicitia) et p. 90-93 (foedus) ; E. Lévy, « Le vocabulaire de l’alliance chez Polybe », dans Les relations internationales, p. 385-452 (sur la φιλία et la συμμαχία) ; Curty, Συγγένεια.
11 Termes employés par Apollodore d’Athènes : Apoll. d’Athènes, Chronique en vers, iv, d’après Étienne de Byzance, Stephani Byzantii Ethnicorum quae supersunt ex recensione Augusti Meinekii, Berlin, 1849 (rééd. Graz, 1958), p. 46, 1. 1-2 ; Strab., iv, 3, 2.
12 Termes relevés chez Diod. de Sicile, v, 25, 1 ; Strab., iv, 3, 2 ; App., Celt., frag. xvi et xxi.
13 Termes utilisés par Diodore de Sicile et Strabon. Sur le concept de συγγἐνεια : Curty, op. cit. ; Jones, Kinship Diplomacy, p. 9-10 (définition) et 94-105, pour des exemples d’utilisation de ce lien dans les rapports entre Ilion, Aphrodisias et Rome à la fin de la République et dans les premiers temps de l’Empire.
14 Plut., Caes., xxvi, 5.
15 Foedus ou l’un de ses dérivés est employé par Pline l’Ancien (NH, iv, 18, 107) et Tacite (An., xi, 25, 1).
16 Les Éduens sont qualifiés de socii par Tite-Live (Per., lxi, 3), d’amici par César (BG, i, 43, 6).
17 Consanguineus est employé par César, BG, i, 33, 2.
18 Fratres apparaît chez César (BG, i, 33, 2 ; i, 36, 5 et i, 44, 9), Cicéron (Att., i, 19, 2 ; Ad Fam., vii, 10, 4), Tacite (An., xi, 25, 1) et dans les Panégyriques latins (Panégyriques latins iv(8), 21, 2 ; v(9), 4, 1 ; vii(6), 22, 4 ; viii(5), 2, 4 ; 3, 1 et 2 ; 4, 1 et 3).
19 L’ancienneté de l’alliance est soulignée par Diodore de Sicile, César et Tacite (références citées supra).
20 Les Éduens furent les premiers parmi les peuples de Gallia comata à conclure une alliance avec Rome selon Strabon et l’auteur du Panégyrique latin viii(5), 2, 4.
21 Tac., An., xi, 25, 1 ; Anonyme de 311, § 2, 4. Lucain (Luc., i, v. 427-428) et Sidoine Apollinaire (Carm., vii, v. 135 ; Ep., vii, 2) attribuent ce titre aux Arvernes, par erreur pour le premier, par patriotisme pour le second.
22 Un passage de Tite-Live renvoie peut-être aux alliances passées à cette époque avec les peuples de Gaule centrale, les Éduens ou les Arvernes au premier chef, même si, traditionnellement, les commentateurs lient les événements rapportés avec des Celtes de l’Illyricum. En voici le contenu (Tite-Live, xliv, 14 ; éd./trad. P. Jal, CUF) : « Pendant que la guerre se déroulait en Macédoine, des envoyés d’un prince gaulois transalpin (la tradition lui donne le nom de Balanos ; celui du peuple auquel il appartenait, elle ne le donne pas) vinrent à Rome promettre du secours pour la guerre de Macédoine. Le Sénat les remercia et leur fit remettre des cadeaux : un collier d’or de deux livres, des patères d’or de quatre livres, un cheval orné de phalères et des armes de cavalerie » (legati Transalpini ab regulo Galliorum [...] pollicentes [...] auxilia. Gratiae ab senatu actae muneraque missa, torques aureo duo pondo [...] armaque equestria). Le nom du chef Balanos (Belenos), peut éventuellement livrer un indice pour identifier ce peuple. Ce nom apparaît en effet un siècle plus tard sur des deniers gaulois que les spécialistes attribuent à un peuple de Gaule centrale (Aulerques, Arvernes, Carnutes ?). Lire à ce sujet J.-B. Colbert de Beaulieu, B. Fischer, Recueil des inscriptions gauloises (RIG), 4. Les légendes monétaires, Paris, 1998 (Suppl. Gallia, 45), p. 132-135, monnaies no 67 (denier d’argent, belenos, dont le droit imite un denier romain de C. Piso L. f. Frugi) et no 68 (denier d’argent, belenos).
23 Peyre, dans Goudineau, Peyre, op. cit., p. 173.
24 Caes., BG, i, 31, 7.
25 Szabo, « La basilique de Bibracte », p. 389-408.
26 Pour une présentation claire et synthétique des transformations de la société éduenne aux iie- ier siècles avant notre ère : O. Buchsenschutz, « Les Celtes et la formation de l’Empire romain », Annales. HSS, 59-2 (mars-avril 2004), p. 352-354 (p. 352 pour la citation) ; Celtes et Gaulois. L’archéologie face à l’histoire. Les mutations de la fin de l’âge du Fer, Haselgrove C. dir., Glux-en-Glenne, 2006 (série Bibracte, 12-4) ; Celtes et Gaulois. L’archéologie face à l’histoire. La romanisation et la question de l’héritage celtique, Paunier D. dir., Glux-en-Glenne, 2006 (série Bibracte, 12-5). À cette époque déjà, les liens économiques noués par les Éduens avec les Romains étaient particulièrement étroits.
27 Panégyrique latin viii(5), 2, 4 : Quaenam igitur gens toto orbe terrarum in amore Romani nominis Aeduis se postulet anteponi ? Qui primi omnium inter illas immanes et barbaras Galliae gentes plurimis senatusconsultis fratres populi Romani appellati sunt.
28 Panégyrique latin viii(5), 2, 4 : et, cum a ceteris a Rhodano ad Rhenum usque populis ne pax quidem posset nisi suspecta sperari, soli etiam consanguinitatis nomine gloriati sunt.
29 Panégyrique latin viii(5), 3, 1 : soli Aedui non metu territi, non adulatione compulsi sed ingenua et simplici caritate fratres populi Romani crediti sunt appellarique meruerunt. Quo nomine praeter cetera necessitudinum uocabula et communitas amoris apparet et dignitatis aequalitas.
30 Sur la définition du foedus aequum et du foedus iniquum, présentation ancienne mais commode d’E. Badian, Foreign Clientelae (264-70 B.C.), Oxford, 1958, p. 25-28, à compléter avec K.-H. Ziegler, art. cit., p. 92-93. Sur la fides dans les rapports entre les peuples : D. Nörr, Die fides im römischen Völkerrecht, Heidelberg, 1991.
31 La formula sociorum était le registre officiel dans lequel était consignée, à Rome, la liste des peuples alliés. Sur ce document, voir les remarques de K.-H. Ziegler, art. cit., p. 89.
32 En plus des témoignages littéraires, de nombreux exemplaires de traités sont parvenus jusqu’à nous sous la forme de textes épigraphiques : Ferrary, op. cit., p. 225. Le texte complet de chacun de ces traités est donné par Canali de Rossi, Le ambascerie.
33 Affirmations relevées chez Jullian, op. cit., 3, p. 28, n. 2 ; C. Goudineau, « La notion de patrie gauloise durant le Haut-Empire », dans La patrie gauloise d’Agrippa, p. 156, n. 2 ; Braund, art. cit., p. 420-425.
34 Les Troyens sont présentés comme les frères des Romains dans Suet., Claud., 25, et Dig., xxvii, i, 17, 1. Sur le sujet, lire A. Erskine, Troy between Greece and Rome : Local tradition and Imperial Power, Oxford, 2001 ; A. Giardina, « Le origine troiane dall’impero alla nazione », dans Morfologie sociali e culturali in Europa fra tarda antichità e alto Medioevo, Spolète, 1998, p. 177-209 (Settimane di studio del Centra italiano di studi sull’Alto Medioevo, xlv) ; id., « Aux sources de l’identité romaine », dans Rome et les barbares, p. 58-62.
35 Les exégètes s’accordent à dire qu’Ammien Marcellin (Amm., xv, 9, 5) emprunte à Timagène un récit fabuleux selon lequel certains peuples gaulois descendraient de Troyens venus s’échouer sur les côtes de l’actuelle Provence. C’est en opérant un rapprochement avec ce passage que certains ont suggéré que le titre de fratres porté par les Éduens pouvait renvoyer à de telles prétentions généalogiques. Sur Timagène : M. Sordi, « Timagene di Alessandria : uno storico ellenocentrico e filobarbaro », dans ANRW, ii, 30, 1 (1982), p. 775-795 ; B. Luiselli, « Il mito delle origine troiana dei Galli », Aegyptus, 59 (1979), p. 89-121.
36 Luc., i, v. 427-428.
37 Tacite ironise sur les fausses origines ainsi que sur les privilèges accordés sur ce seul critère : An., iii, 60, 2 (éd./trad. P. Wuilleumier, CUF), au sujet des ambassadeurs accordant une foi aveugle envers de vieilles superstitions (uetustas superstitiones) ; iii, 63, 2, envers des traditions obscures (ceteros obscuris ob uetustatem initiis niti). Même critique en iv, 43, 4, à propos de Ségeste qui insiste trop lourdement sur le lien avec Vénus ; xii, 61, 2, à propos de la complaisance (facilitate solita) de Claude envers son médecin Stertinius Xenopho, qui prétendait descendre d’Asklépios.
38 Texte intégral de l’inscription accompagné d’une traduction par P. Fabia, La table claudienne de Lyon, Lyon, 1929, p. 62-65.
39 L’origo fabulosa que se sont forgée certains peuples est dénoncée vigoureusement par l’Anonyme de 311, Panégyrique latin viii(5), 3, 1 : Fuit olim Saguntos foederata, sed cum iam taedio Punici belli nouare imperium omnis cuperet Hispania ; fuit amica Massilia ; protegi se maiestate Romana [ou Romani nominis selon D. Lassandro] gratulabatur ; imputauere se origine fabulosa in Sicilia Mamertini, in Asia Ilienses : soli Aedui non metu territi, non adulatione compulsi sed ingenua et simplici caritate fratres populi Romani crediti sunt appellarique meruerunt. Sur le sujet, lire les remarques de Jones, op. cit., p. 124-125.
40 Hirschfeld, op. cit., p. 17, η. 1.
41 Hdt., iv, 70 (description fort détaillée) ; Lucien, Tox., 37.
42 Hirschfeld, op. cit., p. 17, n. 1.
43 Caes., BG, i, 11, 4 : Eodem temporeAmbarri, necessarii et consanguinei Haeduorum.
44 Voir S. Fichtl, Les peuples gaulois : iiie-ier s. av. J.-C., Paris, 2004, p. 125-128.
45 Panégyrique latin viii(5), 3, 1.
46 Cic., Inv., ii, 166.
47 Sur la notion de dignitas à l’époque républicaine, Hellegouarc’h, Le vocabulaire, p. 388-415.
48 Terme gaulois relevé dans X. Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise : une approche linguistique du vieux-celtique continental, Paris, 2003, p. 426. Brātīr signifie « frère ».
49 Peyre, dans Goudineau, Peyre, op. cit., p. 173.
50 Ibid, p. 173-177.
51 Bilans récents de la recherche sur le site de l’antique Bibracte : C. Gruel, D. Vitali et alii, « L’oppidum de Bibracte. Un bilan de onze années de recherches (1984-1996) », Gallia, 55 (1998), p. 1-140 ; V. Guichard, « Un aperçu des acquis récents des recherches sur l’oppidum de Bibracte (1997-2002) », RAE, 52 (2003), p. 45-90 ; id., « Chronique des recherches sur le Mont Beuvray, 2003-2005 », RAE, 56 (2007), p. 127-152 ; série Bibracte–Centre archéologique européen. Rapport d’activité, Glux-en-Glenne, parution annuelle depuis 2000 ; Szabo, art. cit., p. 389-408.
52 Caes., BG, i, 31, 7.
53 Définition d’hospitium dans OLD, p. 807 ; J.-B. Hofmann, « Hospitium », dans ThLL, vi (1912-1926), col. 3037-3043. La notion a par ailleurs fait l’objet de très nombreux articles et études. Synthèse dans K.-H. Ziegler, art. cit., p. 85-87.
54 L. Harmand, Le patronat sur les collectivités publiques des origines au Bas-Empire, Paris, 1957, p. 51.
55 Sur la fides dans ce contexte, D. Nörr, op. cit.
56 Caes., BG, v, 6, 2.
57 Les passages où César exprime sa déférence à l’égard des Éduens sont nombreux dans la Guerre des Gaules : BG, v, 6, 2 ; v, 7, 1 et 3 ; v, 54, 4 (honore, habere) ; vi, 12, 2 ; vii, 33, 1 ; etc.
58 Il est fait mention de citoyens romains ou de marchands présents sur le territoire éduen en BG, vii, 38, 9 ; vii, 42, 1, 5 et 6 ; vii, 55, 5.
59 Les otages (obsides) des peuples vaincus ou peu sûrs furent rassemblés à Nouiodunum (Diou-sur-Loire ?) : BG, vii, 55, 1. Sur l’identification du site : Goudineau, César et la Gaule, p. 215.
60 Sur le rôle joué par Nouiodunum : BG, vii, 55, 1-2 : Nouiodunum erat oppidum Haeduorum ad ripas Ligeris oportuno loco positum. Huc Caesar omnes obsides Galliae, frumentum, pecuniam publicam, suorum atque exercitus inpedimentorum magnam partem contulerat.
61 Nombreuses sont les indications fournies par César sur les lieux d’hivernage et la répartition des légions à ce moment : par exemple BG, i, 54, 2 ; vi, 44, 3 ; vii, 9, 4 ; etc. Après 52, quatre légions commandées par C. Fabius (BG, viii, 54, 4) furent installées chez les Éduens, afin de contrôler ce peuple dont l’autorité (auctoritas) sur ses voisins était grande. Cette présence militaire se trouve confirmée par l’étude des monnaies découvertes sur le site de Bibracte : K. Gruel, L. Popovitch, Les monnaies gauloises et romaines de l’oppidum de Bibracte, Glux-en-Glenne, 2007 (coll. Bibracte, 13), p. 100-101 en particulier.
62 BG, vii, 90, 1 et 7 : His rebus confectis in Haeduos proficiscitur ; ciuitatem recipit. [...] Q. Tullium Ciceronem et P. Sulpicium Cauilloni et Matiscone in Haeduis ad Ararim rei frumentariae causa conlocat. Ipse Bibracte hiemare constituit.
63 Voir supra, n. 60.
64 Par exemple, César réclame du blé aux Éduens (BG, i, 16, 1), va à Bibracte s’approvisionner (BG, i, 23, 1), évoque des fournitures offertes par les Éduens (BG, i, 48, 2), leur réclame à nouveau des vivres (BG, vii, 10, 3 et vii, 17, 2-3).
65 Description des convois de blé placés sous la protection de la cavalerie éduenne : BG, vii, 38, 9.
66 Pour de nouvelles interprétations sur les motivations ayant conduit certains Éduens à rompre l’alliance avec les Romains : B. Rossignol, R. Durost, « Mourir à Cenabum pendant la Guerre des Gaules : Fufius Cita », dans Occidents romains, p. 35-45.
67 Sur la question de la spécificité de l’armement romain par rapport à l’armement gaulois et inversement, voir les remarques formulées par Goudineau, op. cit., p. 259-274 ; M. Reddé, Alésia. L’archéologie face à l’imaginaire, Paris, 2003, p. 194-199. Ce dernier rappelle les différences entre l’armement gaulois et romain tout en soulignant certains éléments communs, en s’appuyant sur les conclusions de S. Sievers, « Les armes d’Alésia », dans Alésia. Fouilles et recherches franco-allemandes autour du Mont-Auxois, 2, Reddé M., von Schnurbein S. dir., Paris, 2001 (Mém. de l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, 21), p. 175-179.
68 CIL, xiii, 2828 (Monceaux-le-Comte) mentionne, à la fin du iie ou au début du iiie siècle, des fabricants de cuirasses (opifices loricarii) ayant érigé une dédicace en l’honneur du responsable de l’armurerie, M. Vlpius Auitus, centurion de la légion iii Augusta et de la iv Flauia.
69 Not. Dign. Occ., ix, 33 : Augustodunensis loricaria, balistaria et clibanaria ; ix, 34 : Augustodunensis scutaria.
70 Tac., Ann., iii, 43, mentionne des arma occulte fabricata sur ordre de Sacrouir.
71 Le rôle joué par la cavalerie éduenne lors du siège de Gergovie apparaît dans BG, vii, 45, 10 et vii, 50, 1 et 2.
72 César associe ainsi Diviciac à sa campagne, l’ordonnant d’aller combattre les Bellovaques et de dévaster leur territoire, afin d’éviter que les peuples rebelles ne fassent jonction et n’encerclent les troupes romaines : BG, ii, 5, 2-3 et 14, 1.
73 L’exemple le plus fameux d’un chef éduen gravitant dans l’entourage de César est celui de Diviciac, mentionné par Cicéron (Diu., i, 41, 90) et César (BG, i, 20, 1-4 ; i, 31,3-16 ; i, 32,3-5). Son frère et rival, Dumnorix, pourtant peu favorable aux Romains, a également côtoyé à plusieurs moments César en qualité de chef de cavalerie, notamment avant l’incursion bretonne de l’année 54 avant notre ère : BG, i, 18, 10. La proximité des élites éduennes avec César ressort d’un passage relatif à deux partis opposés ayant recours à lui pour trancher un conflit qui risquait de dégénérer en guerre civile (BG, vii, 32, à propos de l’élection et de l’affrontement entre Convictolitavis et Cotos). Dès le début de la campagne, les chefs principes) éduens étaient nombreux dans le camp de César (BG, i, 16, 5).
74 La cavalerie éduenne est chargée de protéger des convois : BG, vii, 38, 9.
75 Ces différentes sources sont rassemblées et présentées dans Canali de Rossi, op. cit. Voir aussi Ferrary, op. cit., p. 217-235, pour une étude minutieuse et synthétique de ces documents.
76 SEG, xxxv, 823 (Canali de Rossi, op. cit., p. 116-119, no 159, avec bibliographie, p. 117). Voir aussi Ferrary, art. cit., p. 224 (en particulier la n. 18 qui fait le point sur la datation) ; en dernier lieu, K. Clinton, « Maroneia and Rome : Two Decrees of Maroneia from Samothrace », Chiron, 33 (2003), p. 379-417. L’auteur consacre un appendice à ce traité, p. 408-410.
77 Présentation des textes épigraphiques de cette catégorie de traités par Ferrary, art. cit., p. 225.
78 IG, xii, 3, 173b (IGR, iv, 1028b ; Canali de Rossi, op. cit., p. 274-276, no 320b).
79 IG, xii, 3, 173a (IGR, iv, 1028a ; Canali de Rossi, op. cit., p. 273-274, no 320a).
80 Selon le texte du traité, l’allié doit soutenir son partenaire selon ses propres ressources et « si les circonstances le permettent » (κατὰ τὸ εὔκαιρον βοηθείτω). Cette clause offre à chaque partenaire une marge d’appréciation et de manœuvre importante. Aucune clause explicite, en revanche, ne précise la nature de l’aide à apporter.
81 Une mise au point importante sur les différents types de traités passés par Rome avec ses alliés entre le iie siècle et les années 40 avant notre ère se trouve dans Ferrary, art. cit., p. 217-235.
82 Sous le Haut-Empire, un accueil privilégié était réservé aux ambassadeurs des cités libres, respectant une certaine hiérarchie et un protocole qui dépendaient du statut de la cité : Souris, Studies in provincial Diplomacy, p. 163-171, en particulier p. 167, où l’auteur insiste sur le fait que l’accueil par l’empereur d’une ambassade était le privilège des cités et des concilia de premier plan. Il s’agissait d’une tradition ancienne, remontant à la République : J. Linderski, « Ambassadors go to Rome », dans Les relations internationales, p. 453-478. L’ambassadeur, selon la situation où se trouvait sa cité vis-à-vis de Rome (alliée, neutre, en guerre etc.), pouvait être reçu extra ou intra pomerium : Bonnefond-Coudry, Le Sénat de la République romaine, p. 139-143.
83 Sur l’influence romaine exercée sur les Éduens dès le iie siècle avant notre ère, en particulier dans le domaine des échanges économiques et culturels : F. Olmer, Le commerce du vin chez les Éduens d’après les timbres d’amphores. Catalogues : les timbres de Bibracte, 1984-1998, les timbres de Bourgogne, Glux-en-Glenne, 2003 (coll. Bibracte, 7) ; O. Buchsenschutz, art. cit., p. 337-362.
84 L’expression « lieu de mémoire » s’entend ici dans la définition formulée par son inventeur, Pierre Nora : pour résumer à grands traits, un objet, un acte ou une idée porteur de sens par la volonté des hommes ou le travail du temps, devenu ainsi un élément constitutif de l’identité d’une communauté : P. Nora, « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des Lieux », dans Les lieux de mémoire, 1. La République, Nora P. éd., Paris, 1984, p. xvii-xlii.
85 Jullian, op. cit., 2, p. 540. L’expression permet à Camille Jullian de comparer l’Empire éduen avec les États bourguignons de la fin du Moyen Âge. Elle précède aussi la présentation de l’autre grande puissance gauloise, l’« Empire arverne ».
86 C’est dans les lieux publics et centraux des cités (agora, sanctuaires, etc.) qu’ont été découverts les textes des foedera mentionnés et étudiés plus haut. Par ailleurs, au moment des événements des années 68-69, Tacite rappelle que le Lingon Iulius Sabinus signifia sa révolte contre Rome en renversant les monuments commémoratifs du traité d’alliance (proiectis foederis Romani monumentis) qui se trouvaient au cœur de la cité (Tac., H., iv, 67, 1 ; éd./trad. H. Le Bonniec, J. Hellegouarch’, CUF). Les éditeurs interprètent ces monuments comme des « tables de bronze ou colonnes portant des textes qui réglaient les rapports avec Rome des Lingons dont Sabinus était le chef ». Nous les suivons volontiers dans cette voie. À la même époque, devaient exister dans le centre d’Augustodunum de tels monuments, qui ont très bien pu être entretenus jusqu’au iiie siècle.
87 Comme le spécifiait le texte des traités (ainsi celui de Maronée étudié supra), chaque partenaire devait faire graver et afficher le texte sur une table de bronze, dans un lieu public à la fois bien en vue et placé sous la protection des divinités poliades.
88 Sur les patria de Constantinople, textes tardifs mais héritiers d’une longue tradition remontant parfois au Bas-Empire : G. Dagron, Constantinople imaginaire. Études sur le recueil des Patria, Paris, 1984, en particulier p. 9-19 (qui couvrent brièvement la période du Principat). Maurice Sartre a montré que de tels recueils existaient dans les principales cités d’Orient aux ive-vie siècles : M. Sartre, « La construction de l’identité des villes de la Syrie hellénistique et impériale », dans Hommage à Claude Lepelley, p. 93-105, en particulier p. 94-96, sur l’identité des villes de Damas, Gaza et Bostra chez Malalas, le chroniqueur de l’Antiquité tardive.
89 Sur les acta publica et les archives dans les cités africaines, Lepelley, Les cités, 1, p. 223-228. Même d’obscures bourgades étaient dotées d’une administration composée d’esclaves publics, d’hommes libres et de décurions attachés à des fonctions particulières (rédaction, conservation des actes, etc.). Pour l’Italie, on peut renvoyer à titre d’exemple à l’inscription AE, 1996,475, découverte à Bojano (Bouianum), dans le Samnium, et datée des années 352-357. Il s’agit de la dédicace d’un secretarium par le gouverneur clarissime Fabius Maximus (PLRE, i, Fabius 35, p. 587), patron de la cité. Le même personnage en a fait ériger un autre à Iuuanum (CIL, ix, 2448). Pour la Gaule, nous disposons d’informations plus tardives tirées de recueils juridiques de formulae, lesquels prouvent le maintien, tant dans un cadre privé que municipal, de ces mêmes pratiques : P. Riche, Éducation et culture dans l’Occident barbare, Paris, 1962, p. 61-62, 101-102, 220-222 et 259-262.
90 Il s’agit de CIL, xi, 5631 (ILS, 432), commentée dans Veyne, « Foederati », p. 429-436.
91 CIL, xi, 5631 (ILS, 432) : Imp(eratori) Caesari / L(ucio) Septimio Severo / Pio Pertinaci Aug(usto) Arabic(o) Adiab(enico) Parthic(o) / max(imo) Britt(anico) max(imo), tr(ibunitia) pot(estate) / xviii, imp(eratore) xii, co(n)s(ule) iii, p(atre) p(atria) / caelesti eius indul/gentia in aeternam / securitatem adque / gloriam iure aelquo foederis sibi / confirmato / Camertes / p(ecunia) p(ublica).
92 La mention du foedus dans la titulature officielle n’est pas fréquente au Haut-Empire. Elle apparaît bien attestée pour Avenches (titulature complète et bibliographie données infra, p. 388, n. 26), Capène, Tarquinies. Voir Veyne, art. cit. ; S. Panciera : « Ficolenses Foederati », Rivista di Storia dell’Antichità, 6-7 (1976-1977), p. 195-213. Une inscription des ier-iie siècles découverte à Pouzzoles (CIL, x, 1601) présente la titulature portée par Tyr, en latin puis en grec : Tyros M[etropolis] / Foederata / ΤϒΡΟΣ ΙΕΡΑ ΚΑΙ ΑΣϒΛΟΣ K[AI ΑϒΤΟΝΟΜΟΣ ΜΗΤΡΟΠΟΛ1Σ ΚΑΙ ΑΛΛΩΝ] / ΠΟΛΕΩΝ. On notera ici la différence dans la manière de présenter la titulature selon la langue employée : synthétique et juridique en latin ; détaillée, fleurie, de type agonistique en grec.
93 Sur les titulatures de cités africaines à la fin de l’Antiquité, Lepelley, Les cités, 1, p. 128-132 ; A. Beschaouch, « Colonia Mariana Augusta Alexandriana Uchitanorum Maiorum. Trois siècles et demi d’histoire en abrégé », dans Uchi Maius, 1, Khanoussi M., Mastino A. éd., Sassari, 1997, p. 97-103. Sur les cités africaines qui affichent dans leur titulature une épithète fondée sur le nom de Marius, P. Quoniam, « À propos d’une inscription de Thuburnica (Tunisie), Marius et la romanisation de l’Afrique », CRAI (1950), p. 332-336. Sur les titulatures civiques sous le Haut-Empire, B. Galsterer-Kröll,« Untersuchungen zu den Beinamen der Städte des Imperium Romanum », Epigraphische Studien, 9, 1972, p. 44-145.
94 En Orient, les privilèges des cités libres (d’Aphrodisias du moins) semblent s’être maintenus jusqu’au règne de Gallien. Voir Reynolds, Aphrodisias and Rome, p. 140-143, no 25 (lettre de Trajan Dèce) ; Rouéché, Aphrodisiais in Late Antiquity, p. 4-8, no 1 (lettres de Valérien et de Gallien).
95 Sur le lien entre foedus, alliance passée avec Rome, et les statuts des cités au moment de la provincialisation, G. Achard, « Anciennes alliances militaires et assimilation des Gaulois au début de l’Empire », dans La patrie gauloise d’Agrippa, p. 99-110.
96 Les principaux auteurs antiques mentionnant Diviciac sont cités supra, n. 73.
97 La chronologie des événements en Gaule à la fin des années 60 avant notre ère demeure confuse. Sur la date de la bataille d’Admagetobrige, M. Rambaud, « Diviciacos chez Cicéron et la date d’Admagétobrige », dans Aiôn. Le temps chez les Romains, Chevallier R. éd., Paris, 1976 (Caesarodunum, 10 bis), p. 83-92, qui la fixe au mois de septembre 62 et situe la visite de Diviciac au Sénat au mois d’octobre de la même année (p. 91).
98 Le passage est analysé par Goudineau, op. cit., p. 133.
99 Camille Jullian, par exemple, prend à la lettre cet extrait du Panégyrique latin viii(5) lorsqu’il affirme que « ce fut un curieux spectacle de voir pérorer le chef gaulois, appuyé sur son long bouclier » (Jullian, op. cit., 3, p. 163). On trouvera une représentation pittoresque de cette scène, née de l’imagination d’un graveur du xixe siècle, dans Goudineau, op. cit., p. 134.
100 Verger, « Le bouclier de Diviciac », p. 347. Sur la légende rapportée par Timagène, voir supra, n. 35.
101 Les représentations figurées de scènes rappelant le passé mythique ou historique sont bien attestées dans les cités de 1 Orient romain, tant dans la statuaire que sur les revers des monnayages locaux. Le monnayage provincial constitue de ce point de vue un vecteur important de l’identité et de l’histoire des cités. Sur cette documentation : K. Harl, Civic Coins and Civic Politics in the Roman East A.D. 180-275, Berkeley, Los Angeles, Londres, 1987, p. 21-37 en particulier, et pl. 7-9 (liste de monnaies qui témoignent de la civic pride et de l’importance accordée à l’identité de chaque communauté). Lire également les contributions rassemblées dans Coinage and Identity in the Roman Provinces, Howgego C., Heuchert V., Burnett A. éd., Oxford, 2005.
102 Sur les fusaïoles bilingues gallo-latines découvertes à Autun, M. Dondin-Payre, « Les pesons de fuseau inscrits en Gaule romaine », BSAF (2000), p. 198-205 ; ead., « Épigraphie et acculturation : l’apport des fusaïoles inscrites », dans Le monde romain à travers l’épigraphie. Méthodes et pratiques, Desmulliez J., Hoët-van Cauwenberghe C. dir., Lille, 2005, p. 133-146. Le sol de la ville a livré 12 fusaïoles inscrites de ce type sur les 22 recensées par les auteurs dans les réserves de différents musées. La fourchette de datation proposée par Monique Dondin-Payre (iie siècle, éventuellement iiie siècle) paraît convaincante, tout comme ses conclusions d’ensemble : « C’est la fusion de deux civilisations qui est prouvée : la civilisation romaine n’a pas effacé la celte. Elles se sont imbriquées : c’est la raison de la réussite de la romanisation. »
103 Brèves mentions de l’usage du gaulois à des époques tardives chez Grég.-Tur., Hist Franc., i, 32 ; Glor. Conf., lxxii, et chez Sidon., Ep., iii, 3, 2. Voir P.-E Fournier, « La persistance du gaulois au vie siècle d’après Grégoire de Tours », dans Recueil de travaux offerts à M. Clovis Brunel, 1, Paris, 1955, p. 448-453 ; R. MacMullen, « Provincial Languages in the Roman Empire », AJPh, 87 (1966), p. 1-17 ; K. H. Schmidt, « Gallien und Britannien », BJ., 40 (1980) [Neumann G., Untermann J. éd., Die Sprachen im romischen Reich der Kaiserzeit], p. 19-44 ; id., « Keltischlateinische Sprachkontakte im romischen Gallien der Kaiserzeit », dans ANRW, ii, 29-2 (1983), p. 988-1018 (liste des sources mentionnant la persistance du latin jusqu’à l’époque tardive, p. 1009-1009-1011) ; Van Dam, Leadership and Community, p. 15. Jullian, op. cit., 6, p. 110-115 ; 8, p. 267, avait déjà abordé la question avec finesse, en comparant cet usage tardif du gaulois à celui des patois locaux parlés à côté du français jusqu’à la fin du xixe siècle, et même au-delà dans certaines régions.
104 Verger, art. cit., p. 349-350.
105 Dumnorix est l’acteur principal de plusieurs épisodes de la guerre des Gaules, comme le rapporte César (BG, i, 3, 5 ; i, 1,9, 2-3 ; i, 18, 1, 3 et 10 ; i, 19, 4 ; i, 20, 6 ; v, 6, 1-2 ; v, 7, 1, 3 et 5). Les monnaies frappées en son nom sont analysées par Goudineau, dans Goudineau, Peyre, op. cit., p. 51-54.
106 Ibid., p. 54.
107 Sur les boucliers d’apparat celtes, Verger, art. cit., p. 352-356.
108 Diviciac fut en effet contraint à un exil forcé, comme semble l’indiquer Caes., BG, I, 31, 9 (éd./trad. L.-A. Constans, CUF) : Ob eam rem [Diviciac a refusé de se plier aux conditions imposées par les Séquanes après la défaite d’Admagetobrige] se ex ciuitate profugisse et Romam ad senatum uenisse auxilium postulatum, quod solus neque iure iurando neque obsidibus teneretur.
109 Verger, art. cit., p. 350-351. Il faut voir dans la présence du bouclier (d’apparat ?) de Diviciac au Sénat une marque de haute estime accordée par les autorités romaines à l’ambassadeur d’un « peuple frère ». Sur l’accueil des ambassades à Rome durant la République et sur le protocole alors en vigueur, J. Linderski, art. cit., p. 477-478 ; Bonnefond-Coudry, op. cit., p. 138-143 et 294-320.
110 Sur le rapport qu’entretenaient les auteurs des Panégyriques latins avec leur passé et avec l’histoire de Rome, C. E. V. Nixon, « The Use of the Past by the Gallic Panegrists », dans Reading the Past in Late Antiquity, Clarke G. éd., Canberra, 1991, p. 1-36 ; Hostein, « Un exemplum historique dans le discours d’Eumène », p. 201-210 ; Costruzione e uso del passato storico nella cultura antica, Desideri P., Roda S., Biraschi A. M. éd., Alexandrie, 2007. Au sujet des exempla puisés dans l’histoire de la République romaine par les auteurs tardifs, A. Felmy, Die Römische Republik im Geschichtsbild der Spätantike. Zum Umgang Lateinischer Autoren des 4. und 5. Jahrhunderts n. chr. mit den exempla maiorum, Fribourg-en-Brisgau, 2001.
111 Sur l’ancienneté comme valeur éthique dans les sociétés de l’Antiquité, voir L’ancienneté chez les Anciens.
112 J.-M. David, « Présentation », MÉFRM, 92-1 (1980) [Rhétorique et histoire : l’exemplum et le modèle de comportement dans le discours antique et médiéval, Berlioz J., David J.-M. éd.], p. 9-14 (p. 10 pour la citation).
113 Panégyrique latin viii(5), 5, 6 : Quo magis, imperator, clementiae tuae gratias agimus, qui remediis sponte concessis fecisti ut quod non poteramus iure petere, iuste obtinuisse uideamur. Ce passage est commenté de manière détaillée supra, chapitre 8, n. 124-125.
114 Dans le Panégyrique latin viii(5), le mot merita apparaît ainsi à neuf reprises (§ 1, 5 ; 2, 2 ; 4, 1 ; 4, 4 ; 5, 1 [2 fois] ; 6, 2 ; 10, 4 et 13, 1), comme beneficia (§ 1, 1 ; 1, 4 ; 2, 3 ; 2, 5 ; 9, 2 ; 10, 3 ; 11, 1 ; 11, 3 et 13, 6). Dans les discours d’ambassadeurs d’époque républicaine, les délégués insistent sur les merita de leur cité (consistant en un soutien militaire ou financier) et sur la fides dont elle a su faire preuve à l’égard de Rome, en échange de beneficia. Ce vocabulaire et ce schéma de pensée sont omniprésents dans les relations entre Rome et ses alliés, comme 1 attestent les sources littéraires, par exemple Salluste (Sall., J., 14) dans le discours qu’il prête à Adherbal. Ce dernier ne cesse d’invoquer l’amicitia qui le lie personnellement à Rome (14, 1 et suiv.) et souligne les mérités (sans prononcer le mot) qui devraient entraîner selon lui l’octroi de beneficia de la part du Sénat. Dans cette affaire, Adherbal attendait une aide militaire directe afin de chasser l’« usurpateur » Jugurtha. Cette rhétorique demeurait un élément central de la diplomatie provinciale sous le Haut-Empire. Sur ces questions, voir supra la conclusion du chapitre 3.
115 Pour l’Anonyme de 311, l’histoire de la cité des Éduens se confond avec celle de ses grandes figures historiques, idée particulièrement ancrée dans les comportements des élites municipales. Elle se trouve formulée, par exemple, dans une inscription de Canusium (CIL, ix, 339 = ILS, 5500 ; ERC, 38) étudiée par M. Christol, A. Magioncalda, « Continuités dans la vie municipale à l’époque tardive d’après l’épigraphie de Canusium (Canosa, Italie) », dans La fin de la cité antique, p. 41-42.
116 Sur la notion de pietas, Christol, « La piété », p. 219-231.
117 À propos des passages du Panégyrique latin viii(5) étudiés dans ce chapitre, G. Woolf, « The Roman Cultural Révolution in Gaul », dans Italy and the West : Comparative Issues in Romanization, Keay S., Terrenato N. éd., Oxford, 2000, p. 179, affirmait sans nuance : « Indeed, pre-Roman traditions seem to have been forgotten as deliberately in the early Roman West as they were remembered in the Roman East. »
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