Chapitre 8. Les Éduens face aux empereurs : images et représentations du pouvoir
p. 289-346
Texte intégral
1Les discours éduens forment un dossier documentaire de premier ordre pour comprendre les rapports entre cités et pouvoir impérial dans le cadre de cette forme si particulière de communication que fut la « diplomatie intérieure ». En plus des thèmes traités dans ce genre de discours, centrés principalement sur les préoccupations des habitants des cités, ces textes ne livrent que peu d’informations sur les opérations militaires contemporaines et ne mettent en scène qu’avec une extrême parcimonie l’empereur dans sa fonction de général combattant. En revanche, comme attendu, ils dessinent une image complète et détaillée du princeps ciuilis, du prince dans sa dimension de chef de gouvernement. En d’autres termes, ces discours sont particulièrement instructifs sur ce que pouvait constituer, aux yeux des provinciaux, le « métier d’empereur » à l’époque tétrarchique1. Le thème, observé à travers le prisme des rencontres entre la cité et le prince, va constituer le fil directeur du présent chapitre.
2Avant d’entrer dans le sujet, quelques précisions liminaires à valeur d’avertissement méthodologique s’imposent. D’abord, nous avons tenté, autant que faire se peut, d’éviter l’écueil habituel aux travaux consacrés à l’image des empereurs dans les Panégyriques latins, qui consiste à peindre une image intemporelle de l’empereur du ive siècle en juxtaposant les témoignages de panégyriques prononcés à des époques, dans des contextes et surtout dans des buts très variés2. En cela, la réflexion répond et se conforme aux vœux formulés par Guy Sabbah dans son important article consacré au corpus3.
3La représentation du pouvoir impérial telle qu’elle est élaborée dans ces discours se révèle d’abord à travers les mots employés pour le décrire et le qualifier (les épithètes ou les verbes d’action, par exemple). Elle se dessine ensuite à travers les gestes et rituels décrits par les orateurs éduens, mettant en scène des rencontres codifiées entre le prince et les habitants d’une cité.
4Au fil de l’analyse, il s’agira de vérifier si cette représentation de l’empereur, qui émane de notables provinciaux, reprend dans ses grands traits la doctrine officielle ou si, au contraire, elle s’en écarte. Autrement dit, l’image qui apparaît dans ces discours à « la communication ascendante » est-elle conçue comme un simple emprunt ou bien comme la réappropriation et la réinterprétation locale d’une doctrine élaborée dans l’entourage du prince ?
5Dernière précision : la méthode adoptée pour éclairer les différents passages, comparative, repose sur des rapprochements opérés avec le formulaire de documents officiels contemporains, rédigés par les autorités centrales et municipales, au premier rang desquels figurent les inscriptions, les textes juridiques, mais également, dans une moindre mesure, les images monétaires4. À diverses reprises, le contenu des discours des légats municipaux sera comparé à celui d’autres panégyriques, véritables discours d’apparat, afin de souligner des points communs ou des différences. L’entreprise est facilitée grâce à plusieurs travaux de référence, en particulier ceux de Roger Rees, de Marie-Claude L’Huilier, de Guy Sabbah ou de Sabine MacCormack, pour ne citer qu’eux5.
De l’image et du « métier d’empereur »
6Des discours se dégage une image originale de ce que représentait la fonction impériale aux yeux des notables d’une importante cité gallo-romaine, en un temps de rétablissement et de transformations profondes de l’Empire6.
L’empereur : restitutor orbis, restaurator urbis
La toute-puissance de l’empereur, restitutor orbis
7Le lecteur – et l’auditeur au moment où furent prononcés les discours – ne peut qu’être frappé par la prolifération des épithètes et adjectifs à caractère religieux associés à l’empereur et à tout ce qui le touche de près ou de loin, que ce soit sa propre personne, un membre de sa famille, son palais, ses représentants ou ses serviteurs7. L’omniprésence de cette catégorie d’épithètes caractérise aussi bien le discours d’Eumène, ancien magister memoriae, que celui de l’Anonyme de 311. Certes, ces termes relèvent de lieux communs du vocabulaire employé pour désigner le pouvoir dans l’Antiquité tardive8. À la même époque, Ménandre le Rhéteur rappelle que l’éloge du prince prononcé dans le cadre de cérémonies officielles s’apparente à un hymne en l’honneur d’un dieu9. Pour autant, il faut rappeler dans ces lignes que les orateurs trévires et éduens du corpus des Panegyrici Latini sont les premiers à livrer des témoignages précis, en latin, du nouveau style adopté dans les discours d’apparat ainsi que dans le langage de la chancellerie. Leurs discours constituent à bien des égards des textes fondateurs pour étudier ce vocabulaire, même si les adjectifs sacer ou diuus ont pu s’appliquer beaucoup plus tôt à tout ce qui entourait la fonction impériale, vraisemblablement sous Domitien et dans des sources diverses10. La seule différence notable entre les discours des orateurs éduens et le formulaire épigraphique antérieur demeure dans l’usage massif et systématique de cette terminologie. Autrement dit, les Panégyriques latins semblent inaugurer une ère marquée par un changement irréversible dans le vocabulaire politique. Celui-ci se fonde sur des modèles préexistants qui ne s’étaient pas diffusés ni imposés de manière aussi systématique11.
8La sacralité du prince se trouve renforcée par les comparaisons opérées entre le collège impérial et les divinités païennes, avec d’autant plus d’aisance que l’idéologie tétrarchique des Joviens et des Herculéens s’y prêtait tout particulièrement12. Dans les discours d’Eumène et des autres orateurs éduens13, Constance est souvent comparé à Hercule – Panégyrique latin v(9). Apollon, déjà présenté comme une divinité tutélaire de Constantin dans le Panégyrique latin vii(6), 21, 4 (Apollinem tuum comitante), est qualifié de compagnon et d’allié du prince dans le Panégyrique latin viii(5), 14, 4 (ille quasi maiestatis tuae comes et socius)14. Les panégyristes dépassent même la simple comparaison en suggérant que certains actes accomplis par les empereurs surpassent ceux des dieux, allant jusqu’à corriger les échecs de ces derniers. Ainsi, les Joviens et les Herculéens, par leur œuvre commune et leur concorde, surpassent Saturne lui-même en permettant un retour à l’âge d’or (Panégyrique latin v(9), 18, 5). Et ce que Jupiter et Terra (Mater) n’ont pas pu accorder aux Éduens accablés par le poids des impôts, l’empereur l’a concédé avec magnanimité (Panégyrique latin viii(5), 13, 6)15. Sans conteste, les empereurs sont les représentants sur terre des divinités célestes.
9À l’image des dieux, les empereurs sont maîtres des éléments. Leur toute-puissance s’affirme à travers leur maîtrise des éléments terrestres et célestes, du temps et de l’espace, ainsi qu’à travers leur aptitude à s’affranchir des pesanteurs des lois naturelles (Panégyrique latin viii(5), 10, 4). Autant d’images traditionnelles constitutives de l’empereur κοσμοκράτωρ16.
10Par ces qualités extraordinaires et d’essence divines les empereurs, qui ne sont pas soumis aux contraintes du temps, peuvent bloquer le processus de vieillissement du monde en le restaurant17. Ils peuvent aussi mettre en œuvre leurs actes sans délai grâce à leur celeritas, au moment même où ceux-ci sont énoncés18. Leurs décisions permettent non seulement de nommer un orateur à la tête des écoles, mais également de le créer (Panégyrique latin v(9), 15, 5), de même que leurs instructions officielles, comparables à la musique d’Amphion, possèdent le pouvoir de transporter les pierres servant à la reconstruction d’Augustodunum-Autun (Panégyrique latin v(9), 15, 5)19. Les princes domestiquent les forces de la nature avec d’autant plus de facilité que leur propre corps fonctionne comme un microcosme en prise directe avec le monde. Les larmes d’émotion versées par Constantin devant les habitants de la cité apparaissent comme la transposition fidèle des gouttes de pluie bienfaisantes qui arrosent les sols asséchés et rendent à la nature sa luxuriance20.
11Pour finir, Eumène souligne que l’étendue du pouvoir des Tétrarques est si vaste qu’elle les dispense d’en faire usage, leur autorité naturelle leur permettant de convaincre plutôt que d’ordonner ou contraindre (§ 15, 3)21. À l’image du maître des dieux Jupiter, un simple signe de leur part, une simple expression de leur visage permettent d’engager des entreprises titanesques22.
12Pour les orateurs éduens, ces qualités constituent la marque de l’élection des empereurs et le signe de la faveur divine dont ils bénéficient23. Sur ce point particulier, les discours éduens se font le relais de l’idéologie officielle impériale mise en place progressivement par Dioclétien, entre 285 et 293. Elle aboutit au principe tétrarchique de l’élection divine, selon lequel les empereurs héritaient de leur pouvoir non seulement en vertu de leurs compétences, mais surtout en raison de leur prédestination à représenter Jupiter et Hercule sur terre. Cette qualité de représentants des dieux leur assure la maîtrise des éléments, comme cela a été noté plus haut : elle offre la garantie d’un retour à un équilibre du monde rationnel et harmonieux, quasiment géométrique et arithmétique24, l’assurance d’un retour à un monde civilisé où la nature se trouve à nouveau maîtrisée par l’homme, après la sauvagerie et l’époque de ténèbres que fut la fin du iiie siècle25. Eumène brosse le tableau le plus abouti de ce rétablissement au paragraphe 18 de son discours, en évoquant successivement le monde écroulé qui se redresse dans la félicité du siècle (§ 18, 1), la résurrection des villes arrachées à l’état de nature après avoir été envahies par les forêts et les bêtes sauvages (§ 18, 1) ; par le biais d’une comparaison, il rapporte comment ces mêmes villes sont sorties des abîmes océaniques, comme Délos dans le mythe (§ 18, 2). Ces images interviennent au moment où il est question du retour de la Bretagne et de la Batavie dans le giron impérial, alors que ces régions avaient été englouties par les flots et submergées par les assauts des barbares francs (§ 18, 3). On notera ainsi le jeu d’oppositions entre la culture et la nature (les cités d’une part, et l’océan et les forêts d’autre part), entre la civilisation apportée par les empereurs de Rome (l’urbanitas) et la sauvagerie caractéristique des barbares (la feritas). Autant d’images présentes dans l’idéologie et dans l’iconographie officielle26.
13Un thème revient régulièrement, celui de la lumière bienfaitrice, métaphore destinée à exprimer ce retour à la civilisation (toujours au § 18, 3)27. À nouveau, Eumène ne fait qu’emprunter une image particulièrement mise en avant par Dioclétien dans le cadre de l’idéologie tétrarchique et formulée dans des termes proches dans des discours d’apparat contenus dans le recueil des Panégyriques latins, mais aussi dans la documentation épigraphique et numismatique, en particulier au revers du médaillon d’Arras à la légende redditor lvcis aeternae28. De la même façon, les scènes de soumission des barbares et de leur intégration à l’imperium présentes dans le discours d’Eumène préfigurent des thèmes idéologiques particulièrement exploités par le pouvoir impérial tout au long du ive siècle, sur les inscriptions et les revers monétaires29. La lumière de Rome, pour ces orateurs, permet à la végétation et à la civilisation de retrouver une nouvelle vigueur, assurant un retour à l’abondance et à la fécondité, ce que souligne l’emploi de termes comme resurgere (Panégyrique latin v(9), 18, 4) ou ubertas (Panégyrique latin viii(5), 13, 4)30.
14En somme, ces quasi-dieux que sont les empereurs permettent le renouvellement des temps, le retour à un nouveau cycle temporel favorable, le retour à l’âge d’or31. Les orateurs soulignent que ce saeculum nouum est le gage d’un futur heureux et sûr : la securitas est en effet mentionnée de manière implicite dans le Panégyrique latin v(9), 21, 1-3, et explicitement dans le Panégyrique latin viii(5), 12, 432. Dans tous les cas, il s’agit de thèmes idéologiques très exploités par le pouvoir tétrarchique lui-même pour rappeler et exalter son rôle dans la restauration du monde.
15Parfois même, des réminiscences augustéennes peuvent être relevées dans le discours d’Eumène, qui s’est certainement inspiré, en fin lettré qu’il était, des formules employées par Auguste pour exalter son œuvre de pacification du monde romain, l’expression Romana res plurimum terra et mari ualuit (§ 19, 4) paraphrasant en partie le début du troisième paragraphe des Res Gestae Diui Augusti33. En revanche, le caractère allusif de cette référence à Auguste qui n’est pas nommément désigné peut surprendre car, dans le cadre de la restauration d’Augustodunum, comparable à une nouvelle fondation, il aurait semblé judicieux d’opérer des rapprochements entre l’œuvre des Tétrarques et celle du prince qui avait donné son nom au caput ciuitatis. Or, il n’en est rien. À titre d’hypothèse, il faut supposer qu’Eumène était contraint de ne pas comparer directement le César Constance, alors principal responsable du rétablissement d’Autun, avec Auguste, puisque le régime instauré par Dioclétien était fondé sur un principe collégial et strictement hiérarchisé entre quatre empereurs, répartis en Augustes et Césars. La prudence étant de mise, un simple César ne pouvait être assimilé au fondateur du Principat, de quelque manière que ce fût. Ainsi, cette absence de référence à Auguste témoigne peut-être de la recherche d’une conformité avec l’idéologie dominante34.
16Le thème du retour à l’âge d’or trouve, à cette période et durant tout le ive siècle, une expression épigraphique récurrente et variée dans sa formulation. Par ailleurs, les auteurs des discours rattachent aux princes des titres largement employés dans les sources officielles contemporaines (monnaies, inscriptions, textes de lois), comme par exemple celui de restitutor orbis (présent dans le Panégyrique latin v(9), 17, 5) et ses dérivés (restituerepietatem dans le Panégyrique latin v(9), 20, 2 ; restitutor <ciuitatis Aeduorum> dans le Panégyrique latin viii(5), 1, 1 et 4, 3). Ces titres, apparus à partir de l’époque sévérienne, d’usage de plus en plus courant au fil du iiie siècle, prirent une place prépondérante à l’époque tardive dans la définition officielle du pouvoir impérial35.
17Pour conclure, les orateurs éduens dépeignent et déclinent sous ses différentes facettes le thème de l’empereur restitutor orbis, en reprenant avec fidélité les mots et les conceptions idéologiques du pouvoir en place. La seule différence avec les discours purement officiels (panégyriques prononcés dans le cadre de cérémonies officielles, inscriptions, textes de lois, etc.) réside dans la surreprésentation de certains thèmes, en particulier la sacralité et l’aspect monarchique du pouvoir, ainsi que dans l’absence d’autres plus attendus dans des discours officiels, comme le motif du prince victorieux terrassant les tyrans usurpateurs ou les ennemis barbares. Eumène et l’Anonyme de 311 usent parcimonieusement des exempla tirés de la république romaine, et ils ne mentionnent presque jamais les princes des siècles précédents36. De l’idéologie officielle, ils ne retiennent que les traits les plus affirmés du caractère monarchique du pouvoir impérial, alors que dans les discours prononcés dans le cadre du cérémonial aulique, auquel assistaient de nombreux membres de l’ordre sénatorial, le souvenir de la République et l’idéologie augustéenne demeuraient très présents37. Cet écart trouve son explication dans la nature même de la communication où s’insèrent ces discours mettant en rapport les notables d’une cité avec le pouvoir central. Dans ces conditions, les orateurs n’hésitent pas à présenter ce pouvoir supérieur sous ses traits les plus monarchiques, ce que des auteurs liés aux milieux sénatoriaux auraient répugné à faire, en raison des préjugés et des mentalités constitutives de l’identité de ce groupe38. De ce point de vue, le portrait du prince qui se dégage des discours éduens est proche de celui brossé par certains orateurs grecs de la Seconde sophistique, tel Aelius Aristide. Dans leurs discours en effet, ceux-ci n’hésitent pas à présenter l’empereur comme un monarque, un basileus, sans trop s’encombrer des traditions de l’idéologie républicaine et plus particulièrement du thème de l’empereur-magistrat39.
Un empereur tout-puissant et thaumaturge, restaurator urbium
18Dans leurs discours, les orateurs font la part belle aux images et aux analogies tirées de la nature et de la physionomie du corps humain.
19La cité d’abord, selon un procédé très fréquemment employé dans le cadre de la rhétorique épidictique, est comparée à une personne agissante, dotée d’un corps et d’une conscience40. Dans le discours d’Eumène, le rappel des événements de 270 permet de présenter la cité implorant l’empereur Claude II (§ 4, 1). L’image renvoie à un mode de représentation très courant dans l’Antiquité, consistant à incarner la cité sous la forme d’une allégorie féminine, d’une tyché disposant d’attributs propres dont le plus répandu était une couronne tourelée ou surmontée d’une représentation urbaine schématique composée des portes et de l’enceinte41. L’extrait littéraire n’est pas sans rappeler la représentation de Londres faisant appel à Constance sur un revers monétaire mis au jour à Beaurains42. Comme chaque être vivant, la cité possède des viscères, qui sont les canalisations courant dans son sous-sol (§ 4, 3) ; elle possède également un visage, sur lequel les écoles (§ 9, 2) sont placées entre ses yeux, c’est-à-dire entre le temple d’Apollon et le Capitole (§ 9, 3).
20Des images comparables sont employées par l’Anonyme de 311. La cité est présentée comme une personne agissante qui souhaiterait, si la chose était permise, sortir de ses fondations et se rendre à Trèves en personne afin de remercier l’empereur de ses bienfaits (§ 1, 1). Au moment de son aduentus, ne l’avait-elle pas déjà étreint après lui avoir tendu les bras ? Cette dernière image, loin d’être une simple fantaisie issue de l’imagination fertile de l’orateur, s’appuie en réalité sur la forme architecturale même des portes de la cité, flanquées de part et d’autre de tours saillantes de forme semi-circulaire (§ 7, 6). À la fin du discours, l’auteur précise que si l’empereur rend à nouveau visite à sa cité, cette dernière explosera de joie (§ 14, 4 : flagrabit tota ciuitas). Comme un être humain, la cité dispose de uires, de forces (au sens de capacités financières) qui lui permettent de faire face aux problèmes quotidiens (§ 5,4). S’il est avéré qu’une partie du territoire se trouve rongée par la gangrène, une amputation s’impose pour permettre au reste du corps de survivre : c’est ainsi qu’est présentée la remise d’impôts accordée par Constantin (§ 11, 5).
21Ce répertoire de motifs, qui comprend à la fois des éléments propres à la cité des Éduens et des éléments communs à toute communauté civique, permet aux orateurs de fournir à l’auditoire une vision concrète de leur patrie. Le procédé possède l’avantage de présenter la ciuitas, personne juridique, comme un être dialoguant avec l’empereur, lui-même à la fois homme et incarnation du pouvoir suprême. Par ce biais, le dialogue entre la cité et le pouvoir impérial, fondé sur des images familières et partagées, s’en trouve favorisé. Ces procédés ont également un effet sacralisant pour la cité elle-même.
22Comme il est souvent question, dans ces dossiers d’appel à l’aide, de reconstruction et de bienfaits impériaux, les orateurs insistent dans un premier temps sur les difficultés rencontrées par la cité, comparant son piteux état à une longue maladie. Ainsi, Eumène évoque les ruines honteuses des écoles (Panégyrique latin v(9), 9, 4) et décrit le délabrement de la cité tout entière (Panégyrique latin v(9), 4, 1). Ailleurs, il souligne implicitement l’état dégradé des monuments civiques lorsque, citant l’epistula sacra à l’origine de sa nomination, il rappelle que les travaux en cours vont leur rendre leur lustre originel (ad pristinam gloriam, § 14, 4)43. L’orateur de 311, de son côté, procède différemment : il prend le parti de décrire de façon « réaliste » le territoire rural dévasté au moyen d’une longue descriptio saisissante (ἔκφρασις), qui court sur l’ensemble des paragraphes 6 et 7.
23Dans tous les cas, l’image d’une communauté affaiblie et vieillie permet aux orateurs, dans un second temps, de souligner plus encore l’ampleur de l’action du prince, capable d’entendre l’appel à l’aide des Éduens et d’abolir immédiatement leurs malheurs. Le champ lexical de la médecine est particulièrement mis à profit par l’Anonyme de 311 pour décrire ces actions. L’empereur apparaît comme un guérisseur miraculeux qui panse les blessures et guérit la cité de l’état de torpeur et d’extrême affaiblissement dans lequel elle était tombée. L’orateur présente ainsi Constantin comme un prince thaumaturge, en pleine santé44, capable de diagnostiquer, de soigner et de guérir dans le même mouvement45. Une formule rend bien compte de ce rôle (§ 11, 5) :
O diuinam, imperator, tuam in sananda ciuitate medicinam!
24La métaphore médicale permet aussi, par ricochet, de montrer qu’en guérissant la cité, l’empereur rétablit le corps social et garantit sa remise en ordre. En insistant sur ce point, les orateurs mettent l’accent sur le rôle traditionnel de censeur qui faisait partie des attributions impériales depuis la fondation du Principat46. Dans le discours d’Eumène, cette réorganisation de la société apparaît explicitement dans les différentes mentions des groupes composant la ciuitas Aeduorum. Tous les acteurs essentiels à la vie municipale sont mentionnés et loués d’une certaine manière, par un jeu d’éloges emboîtés, en gigogne en quelque sorte : les empereurs, leur représentant, les soldats, les décurions (parmi eux Glaucus et Eumène), les jeunes gens de la cité (peut-être le collège des iuuenes ?), les dieux, les ancêtres, les ruraux méritants mais accablés par le fardeau fiscal, etc.47 L’empereur, en rendant sa place à chacun, garantit ainsi la cohésion et l’unité de la communauté. Les liens sociaux renoués grâce aux mesures énergiques des Tétrarques s’observent à plusieurs niveaux : entre les différents membres de la communauté civique, entre les Éduens et leur territoire, entre les Éduens et les dirigeants romains enfin. En procédant ainsi, Eumène souligne et exalte le retour à une normalisation de la vie civique dans sa patrie. Son discours apporte la preuve tangible d’un retour à du « lien social », pour emprunter une expression aux sociologues, après les perturbations et les grands désordres engendrés par les différentes crises subies par la cité au cours du dernier tiers du iiie siècle. Dans le passage, comme souvent dans ces discours, est mise à l’œuvre la fonction performative du langage : le laudateur présente au destinataire comme accompli et effectif tout ce qu’il énonce dans son discours.
25Dans le même ordre d’idées, l’Anonyme de 311 exalte le bienfait accordé par Constantin, qui a permis, selon lui, un retour instantané à l’ordre, remis en cause par le poids de la nouvelle tarification fiscale : une fois formulée la promesse d’effacer l’arriéré de l’impôt, les paysans retournent dans leurs champs, la concorde revient dans les familles, les dieux sont à nouveau honorés devant leurs temples48. L’ordre rétabli de la société est par ailleurs soigneusement mis en scène dans le cortège des habitants qui accueillirent l’empereur lors de l’aduentus de 310 (§ 8, 4). À l’origine de cette restauration se trouve la pietas publica, vertu auparavant négligée mais dont chacun doit faire preuve à son niveau49. Cette vertu correspond, nous y reviendrons plus loin, au dévouement de tout un chacun envers les dieux, sa patrie et ses concitoyens.
26La restauration de l’ordre social par les Tétrarques s’accompagne d’une restauration morale, thème récurrent dans les discours d’Eumène et de l’Anonyme de 310. Les Tétrarques ont nommé un bon directeur à la tête des écoles, afin d’éviter que les jeunes gens qui y étudient ne soient livrés à eux-mêmes (§ 5, 4). Eumène est installé dans cette fonction parce qu’il a su faire preuve d’une grande grauitas morum, que les empereurs ont pu vérifier alors qu’il les épaulait à la chancellerie (§ 14, 3). Il doit former « l’âme des adolescents à la recherche de la perfection morale » (ad uitae melioris studium adulescentium excolas mentes, § 14, 4). Quant à l’Anonyme de 311, il lie sans ambiguïté la remise en ordre de la société avec le retour à des pratiques et à des normes morales concernant l’amour de la famille ou les honneurs rendus aux divinités dans des temples restaurés (§ 12, 3 et 14, 3). En toile de fond, apparaît un thème essentiel de l’idéologie tétrarchique50, celui du retour à l’âge d’or fondé sur la pietas et garanti par un retour aux bonnes mœurs dont l’oubli, chez les générations précédentes, avait conduit à la « grande crise ». L’avertissement lancé par les dieux contre l’impiété de certains hommes a été entendu par Dioclétien et ses collègues, qui ont montré, par leur politique, la voie à suivre.
27Ainsi présenté, le rétablissement de la cité des Éduens offre l’exemple d’une entreprise particulièrement réussie, qui préfigure à l’échelon provincial la restauratio orbis engagée par les empereurs. Ce principe, omniprésent dans l’idéologie tétrarchique51, trouve son expression la plus aboutie dans le texte d’un rescrit adressé par l’Auguste Galère aux habitants d’Héraclée Sintica (daté entre le 10 décembre 307 et le 30 avril 308), visant à faire de cette bourgade thrace une cité de plein droit :
Nous apportons tout à fait volontiers force à vos requêtes, puisque c’est l’intérêt de l’État (rei publicae) lui-même que, les cités étant accrues par la faveur de notre action prévoyante et de notre bienveillance (prouisionis ac beniuolentiae [sic] nostrae fauore amplificatis ciuitatibus), devienne florissant l’intérêt de ce même État (eiusdem rei publicae florescat utilitas)52.
28Le thème, conçu comme une dialectique faisant du rétablissement des cités un préalable indispensable à la restauration de l’édifice impérial, apparaît également dans le passage où Eumène mentionne les cartes peintes sur le mur d’un portique situé au cœur d’Augustodunum (Panégyrique latin v(9), 20, 3 et 21, 1-3)53. Ces cartes, vraisemblablement restaurées en même temps que le centre monumental, avaient une fonction pédagogique pour les jeunes gens fréquentant les écoles, puisqu’elles permettaient de visualiser ce que l’esprit seul aurait eu des difficultés à appréhender dans sa totalité. En effet, elles offraient au regard de chacun l’étendue de l’Empire et donc l’étendue du monde. Elles permettaient de localiser les campagnes militaires en cours et les exploits accomplis par les Tétrarques aux quatre coins de l’imperium. Enfin et surtout, ces cartes constituaient un formidable éloge pictural de l’Empire restauré, trouvant ainsi de profondes résonances dans les louanges des empereurs formulées dans les panégyriques54. En les contemplant, Eumène ne cache pas sa satisfaction de voir dans les territoires représentés des terres désormais dominées par Rome, pacifiées et réunifiées grâce à la vaillance des Tétrarques (Panégyrique latin v(9), 21, 3). En cela, l’idée exprimée trouve un parallèle suggestif dans des dédicaces d’ouvrages militaires du Bas-Danube qui précisent : post debellatas hostium gentes, confirmata orbi suo tranquilitate55.
29Eumène assignait donc à ces cartes la double fonction de renforcer le sen timent de loyalisme à l’égard du pouvoir en place et de rappeler l’unité intangible de l’imperium Romanum. Leur présence, à l’abri de portiques monumentaux, imposait de manière à la fois concrète et symbolique la domination romaine. À l’inverse, les Éduens pouvaient interpréter leur présence comme un témoignage reconnaissant leur intégration dans l’Empire, voire peut-être une forme de préséance ou de prérogative particulière qui leur aurait été octroyée. La ciuitas Aeduorum, comme n’importe quelle autre cité, était certes conçue comme un microcosme de l’Empire ; mais ce même Empire, représenté sous forme de carte sur le mur d’une cité, devenait à son tour, par un effet de mise en abyme, un emblème de ce que représentait la communauté des Éduens aux yeux des autorités impériales. Cette cité, en raison de sa dignitas et de son auctoritas, était jugée digne de posséder, dans la panoplie de ses aménagements urbains, une carte du monde romain.
30Ces cartes ont fait l’objet de nombreux travaux, le livre de Claude Nicolet demeurant à ce jour le plus complet et le plus pertinent56. Elles ont toujours été interprétées du point de vue du pouvoir romain. Les commentateurs ont insisté sur le fait qu’elles constituaient un marquage symbolique et une imposition par Rome de son emprise sur les peuples de l’Empire, à l’image d’un monument triomphal en quelque sorte, déclinant la matrice des immenses cartes de la porticus Vipsania à Rome, élaborées sur ordre d’Agrippa57. Les choses, cependant, pouvaient être envisagées différemment par les Éduens. Par essence, chaque peuple, chaque communauté de l’Empire était ethnocentriste au sens où la participation à la civilisation romaine et à l’Empire était pensée d’un point de vue provincial et local, horizon parfois étriqué. Le peuple éduen, à la fin de l’âge du Fer, était l’un des peuples les plus puissants de la Gaule Celtique et il pouvait, en raison de ses richesses et de sa puissance, prétendre à une forme d’hégémonie sur ses voisins. Les soubassements et les justifications idéologiques de cette domination ont dû passer par la création de mythes, inconnus des historiens puisque la culture de ces peuples demeurait avant tout orale. Néanmoins, on peut s’en faire une idée grâce aux sources gréco-latines, par-delà le prisme quelles peuvent induire. Toujours est-il qu’au iie siècle avant notre ère l’ethnocentrisme éduen, plus que celui des autres peuples de Gaule intérieure, s’appuyait sur des arguments mythologiques et géopolitiques, avec d’autant plus de force qu’une alliance contractée avec les Romains, qualifiés de frères, venait renforcer leur pouvoir.
31La documentation archéologique mise au jour à Bibracte et à Autun confirme la prétention des Éduens à la prééminence, associée à une conscience aiguë d’être un peuple central des Gaules. La confirmation de cette attitude a été donnée par des fouilleurs espagnols sur le site de Bibracte. Ces derniers ont découvert un bassin construit avec soin en grand appareil, à une date incertaine (entre la fin du iie siècle et la première moitié du ier siècle avant notre ère), au moyen de techniques de construction que les spécialistes s’accordent à attribuer à des artisans originaires de régions méditerranéennes58. Il s’agit d’une construction unique, qui témoigne avec éclat de l’ouverture des Éduens sur des influences extérieures, dans le but d’asseoir leur prééminence grâce à une politique de prestige édilitaire. Selon les archéologues, le monument découvert à Bibracte semble avoir joué la fonction d’un omphalos, d’un centre du monde à caractère sacré, destiné à marquer physiquement le point de rattachement et d’équilibre à partir duquel s’organisait le territoire de ce peuple59.
32Avant de revenir aux cartes mentionnées par Eumène, un dernier détour par l’époque de la fondation d’Augustodunum s’impose. Dans le cadre de la réorganisation de la Gaule chevelue, Agrippa joua un rôle majeur en imposant aux peuples de ces régions le modèle romain de la ciuitas et en mettant en place un réseau viaire qui innerva depuis Lugdunum-Lyon l’ensemble des provinces de ce qui allait devenir les Trois Gaules vers 16-13 avant notre ère60. Deux bornes milliaires de marbre découvertes à Autun prouvent que les membres de la cité considéraient leur chef-lieu, Augustodunum, comme un lieu central et prééminent. La première, qui indique des distances depuis Autun vers les agglomérations voisines61, se conforme à la pratique régionale qui consistait à inscrire, sur les milliaires situés sur le territoire d’une cité, la distance de la borne au chef-lieu62. Un tel monument n’a donc rien d’exceptionnel dans ce secteur, et d’autres sont attestés ailleurs dans l’Empire, en Asie Mineure notamment63. La seconde apparaît bien plus originale64. Aujourd’hui disparue, sa description, au début du xviiie siècle, ne laisse aucun doute quant à sa lecture, même si de nombreux détails concernant ses caractéristiques formelles (taille, type de lettres, etc.) n’ont pas été consignés par l’inventeur. Contrairement à la précédente, avec laquelle elle est parfois confondue, cette borne constituait un monument sur lequel était gravée une sorte d’itinéraire mentionnant une liste de cités italiennes, énumérées dans l’ordre correspondant au trajet emprunté depuis Rome par la uia Aemilia en direction du nord65. Cette borne rattachait donc Autun à des cités d’Italie, à l’image du milliaire d’or de Rome66 dont elle a pu constituer une sorte de déclinaison locale. Ces documents gravés avec soin dans un marbre de qualité, caractérisés par une belle écriture, étaient destinés à pétrifier et à garder en mémoire des faits auxquels les Éduens, fratres populi Romani, semblaient particulièrement attachés. En d’autres termes, à travers ces petits monuments, les habitants de la cité souhaitaient perpétuer l’idée qu’Augustodunum, comme Bibracte avant elle, disposait d’un rôle prééminent et central en Gaule.
33Dans ces conditions, nous serions tenté de supposer que ces bornes remplaçaient, selon des normes civilisatrices romaines, dans le centre même du nouveau caput ciuitatis créé ex nihilo par Auguste, l’omphalos gaulois de Bibracte, l’ancien chef-lieu délaissé. D’autant plus que les fouilles de colonies latines italiennes fondées à l’époque républicaine ont permis de démontrer que la fondation coloniale s’accompagnait de rites dont l’un consistait précisément à définir un point central, un mundus ultérieurement monumentalisé, autour duquel l’espace colonial s’organisait67. Or, nous pensons que la ciuitas Aeduorum avait bénéficié tôt du droit latin et qu’Autun avait été dotée d’une enceinte monumentale par Auguste pour signifier son statut de colonie latine, acquis à l’occasion du transfert de chef-lieu68. Dans cette perspective, les bornes ont pu faire partie d’un secteur du centre monumental où était mise en valeur et exaltée l’idée d’une prééminence des Éduens sur les autres peuples des Trois Gaules. Ces bornes, si elles exaltaient ces valeurs, soulignaient également, par leur forme et leur conception, que cette reconnaissance était désormais le fait de Rome dans le cadre d’une domination exercée sans partage. De même, les cartes des portiques, encore visibles ou restaurées du temps d’Eumène, remontaient certainement à l’époque augustéenne, fondatrice à bien des égards pour la communauté civique. Au jeu des hypothèses, il y a fort à parier que ces cartes se trouvaient à proximité des emplacements dévolus à ces deux bornes-monuments, quelque part le long du decumanus débouchant sur la porte Saint-André ou bien dans ce même secteur, le long du cardo, non loin de l’emplacement supposé du forum69. D’un point de vue typologique, la carte autunoise, comme l’a remarqué Claude Nicolet, devait ressembler à celle gravée à Rome par Agrippa sur la porticus Vipsania70. En conséquence, elle devait en revêtir la même charge symbolique.
34Au terme de cette longue parenthèse et pour revenir à la question de l’image des empereurs dans les discours d’Eumène et de ses pairs, il est frappant de constater combien les Tétrarques, en leur qualité de restitutores orbis, ont confirmé des traits caractéristiques de l’identité éduenne, en s’inscrivant dans une tradition ancienne remontant à Auguste et même au-delà. Le soin apporté à la restauration des ornamenta ciuitatis a concerné également ces cartes peintes. Aussi, au regard de cette politique de grande ampleur, lorsque les panégyristes considèrent les empereurs comme les nouveaux fondateurs (conditores) de la cité (Panégyrique latin iv(8), 21,2 ; Panégyrique latin viii(5), 1, 1), comme les sauveurs et garants (conseruatores) de la communauté civique (Panégyrique latin viii(5), 14, 4), il ne faut pas réduire ces qualificatifs à de simples flatteries. Ces termes renvoient à des réalités institutionnelles, puisqu’ils sont employés dans des formulaires épigraphiques contemporains et dans des contextes similaires. Ils sont présents, par exemple, dans des inscriptions découvertes à Dougga (Afrique proconsulaire), communauté dont les institutions sont particulièrement bien documentées en raison de l’abondance des textes épigraphiques découverts in situ71. Le titre de conditores apparaît ainsi sur la dédicace d’un arc de triomphe pour qualifier Septime Sévère et les membres de sa famille, en raison d’un double honneur accordé à Dougga, élevée au rang de municipe72. Quant au terme conseruator, il apparaît sur plusieurs dédicaces honorifiques du iiie siècle, où les princes sont loués pour avoir défendu les intérêts et confirmé les privilèges de la cité73. À l’occasion, les décurions ont modifié la titulature officielle en votant un décret permettant d’y ajouter une nouvelle épithète fondée sur le nom du bienfaiteur impérial74. Le rapprochement avec la procédure décrite par l’Anonyme de 311 est parlant : Autun est devenue Flauia Aeduorum en l’honneur du prince, qualifié de conseruator, qui lui a accordé une indulgentia. Si la procédure institutionnelle semble s’inscrire dans la plus stricte tradition du Haut-Empire, le vocabulaire employé, en revanche, semble avoir subi d’importantes inflexions75.
35Eumène et l’Anonyme de 311 mettent donc en avant, chacun à leur manière, la métaphore de la maladie et du remède pour souligner le fait que l’empereur est à la fois le sauveur de la communauté civique et le restaurateur de l’ordre moral, social et politique, autrement dit le nouveau conditor, le restitutor et le conseruator ciuitatis. Les discours prononcés par des délégués éduens offrent ainsi une belle illustration du sentiment de renouveau ressenti dans les milieux des notables provinciaux à la fin des années 290, alors que l’œuvre militaire et civile des Tétrarques commençait à faire sentir ses effets bénéfiques.
L’empereur, modèle d’actions et de vertus
36A bien des égards, la politique de rétablissement de la ciuitas Aeduorum engagée par les Tétrarques est assimilée par les élites locales à un acte d’évergétisme de grande ampleur. Politique digne des plus grandes louanges, chacun, à son niveau, doit s’efforcer de l’imiter.
L’évergétisme impérial ou la perfection d’un modèle
37Le discours d’Eumène est une source de premier plan pour étudier l’idéologie de l’évergétisme tardif, aussi bien dans son contenu et ses procédures institutionnelles que dans sa dimension idéologique et rhétorique76.
38L’évergétisme77 constitue un phénomène essentiel à la vie des cités de l’Empire, placé au carrefour du politique, de l’économique, du social et du culturel. Ce néologisme qualifie l’attitude bienfaisante et munificente de l’élite des notables envers leur collectivité, notables qui réinvestissaient les surplus de la rente foncière dans des bien matériels ou immatériels destinés à leurs concitoyens. Cette attitude se distinguait des autres générosités (clientélisme, mécénat, charité) par sa dimension civique et par ses formes plurielles. De ce point de vue, l’évergétisme fut l’un des éléments majeurs du développement et de l’épanouissement du cadre urbain ainsi que du mode de vie à la romaine. Pour chaque communauté civique, cette pratique permettait d’accroître le prestige de la cité (sa dignitas) et d’assurer un mode de vie et un bien-être que les seules finances municipales n’auraient, dans bien des cas, pas pu assurer. Pour les évergètes, l’acte offrait l’occasion de manifester et d’asseoir sa propre supériorité sociale et, au-delà, celle de sa famille et de ses descendants, en léguant à la postérité un exemple à suivre doublé d’un capital de prestige. L’acte permettait ainsi d’obtenir la gloire civique (la ϕιλοτιμία des Grecs) et une renommée qui se voulait éternelle.
39Cette pratique, inconcevable en dehors du cadre de la culture gréco-romaine, s’est manifestée jusqu’à l’extrême fin de l’Antiquité dans les régions où le système municipal se maintenait. À l’époque impériale, dans ce cadre, l’empereur disposait d’une place à part en raison de sa position sociale, de sa richesse et de son pouvoir. Évergète suprême, son champ d’action s’étendait en premier lieu à sa cité, Rome, mais également à tout l’Empire. Jamais aucun dirigeant avant lui n’avait concentré autant de moyens pour accomplir de telles entreprises. Aussi, si les actes d’évergétisme impériaux furent souvent exceptionnels, toujours indépassés car indépassables, ils constituèrent des modèles déclinés par les évergètes dans les cités des provinces. Les empereurs inaugurèrent des modes et orientèrent les évergésies accomplies partout dans l’Empire vers certains domaines, en s’investissant personnellement dans les travaux ou en soutenant leur financement de diverses manières.
40Dans son discours, Eumène fait état de l’acte exceptionnel, hors normes, qui a conduit au rétablissement du caput ciuitatis Augustodunum (longs passages aux § 4 et 5). L’autre acte, plus modeste mais important par ses conséquences, est sa propre nomination à la tête des écoles (§ 14). Quant à l’Anonyme de 311, il révèle la nature du bienfait accordé par Constantin à la cité sous la forme d’une évergésie.
41Ces actes répondaient effectivement à des nécessités pressantes, la ville d’Autun ayant été partiellement ruinée et affaiblie par les diverses crises traversées durant le dernier tiers du iiie siècle78. Seules, les autorités municipales n’auraient pu faire face financièrement à ce relèvement, d’autant que les problèmes n’étaient pas seulement financiers mais également sociaux. La rapidité de la réaction impériale s’explique d’abord par la pietas des princes et leur aptitude à entendre les prières des habitants de l’Empire. Le thème du prince bienveillant, à l’écoute, est très présent, en effet, dans les discours, et il semble constituer, aux yeux des délégués éduens, l’une des vertus cardinales du bon empereur79. Ces derniers rappellent également que les Tétrarques n’ont pas seulement agi par devoir mais pour des motifs idéologiques. La description des actes d’évergétisme offre l’occasion de leur prêter de nombreuses qualités permettant de les élever au rang d’évergètes exceptionnels.
42C’est ainsi que l’aide impériale décrite dans le discours de 311 est présentée comme un don désintéressé, comme un bienfait (beneficium)80. Ensuite, les traits traditionnellement attribués à tout évergète apparaissent sans ambiguïté dans les vertus et les qualificatifs servant à désigner les « excellents princes81 ». Notons que ce vocabulaire peut être employé consciemment par les orateurs dans son sens premier et/ou dans sa connotation technique. En voici la liste :
- Panégyrique latin v(9)
43liberalitas (§ 3, 2) ; prouidentia et beneuolentia (§4, 1) ; sollicitudo, indulgentia (§ 6, 1) ; optimis et indulgentissimis (§ 5, 2) ; studium pour nommer Eumène (§ 6, 4) ; uirtus Herculis (§ 7, 3) ; prouidentia (§ 8, 1) ; intelligentia (§ 8, 2) ; domini optimi (§ 10, 1) ; princeps maximus (§ 10, 2) ; liberalissimus princeps (§ 11,2) ; auctoritas et potestas, tempérées par l’humanitas (§ 15, 3) ; benignitas (§ 15, 4) ; publica eorum in restituendo orbe pietas (§ 17, 5) ; uirtus, felicitas et liberalitas (§ 19, 1) ; cura belli munia et huiusmodipacis ornanda (§ 19, 2) ; uirtus, humanitas (§ 19, 4) ; scientia diuina (§ 21, 4).
- Panégyrique latin viii(5)
44L’empereur fait preuve non pas de fortuita felicitas, mais de iusta clementia (§ 2, 2) ; prouidentia (§ 2, 3) ; patientia (§ 5, 3) ; clementia, misericordia (§ 5, 3) ; clementia spontanée (sponte) (§ 5, 6) ; pietas (§ 7, 4) ; boni principis est... (§ 7, 5) ; prouidentia (§ 8, 5) ; bonitas (§ 9, 2) ; clementissimo affatu (§ 9, 4) ; larmes de pietas (§ 9, 6) ; prompta bonitas et pia mente (§ 10, 1) ; celeritas (§ 10, 3) ; celeritate indulgentiae (§ 10, 4) ; liberaliter (§ 10, 5) ; indulgentia (§ 11, 2 ; 12, 1 ; 12, 6 ; 13, 4).
45À cette liste des vertus et des qualificatifs rapportés aux empereurs, il est permis d’ajouter deux extraits des Panégyriques latins iv(8) et vii(6), consacrés précisément à la restauration d’Autun :
- Panégyrique latin iv(8)
46Aucune vertu particulière n’est mentionnée dans le dernier paragraphe. L’empereur est simplement considéré comme le nouveau fondateur, le conditor, de la cité (§ 21, 2).
- Panégyrique latin vii(6)
47Insistance de l’orateur sur la liberalitas et la pietas dont fait preuve Constantin à l’égard des Éduens (§ 22, 4).
48À de rares exceptions près, les vertus relevées dans les discours relèvent toutes du même domaine, à savoir celui du bon gouvernement et de la bonne politique civile impériale. L’empereur, dans le discours, se conforme au modèle élaboré par le fondateur du Principat et que ses successeurs ont enrichi en prenant néanmoins pour point d’ancrage les quatre vertus cardinales présentes sur le bouclier d’or. Dans ce cadre idéologique, le bon empereur se définit par son charisme incarné dans les différentes vertus dont il fait preuve et qui émanent de ses actions82. Dans les discours d’Eumène et de ses pairs, le prince est doté d’intelligentia (aptitude à comprendre, à analyser les situations), d’une scientia diuina (son savoir est incommensurable puisqu’il est d’essence divine) et de prouidentia (prévoyance, aptitude à anticiper, idées bien rendues en français par la notion de clairvoyance). Ses yeux voient ce que de simples yeux ne verraient pas, ce qui lui permet de pré-voir, d’anticiper les problèmes et d’agir en parfaite connaissance de cause83. Ces vertus appliquées au domaine des affaires civiles offrent la garantie que la politique menée sera intelligente et mesurée, prudente et rationnelle. La celeritas (rapidité, vivacité à réagir) dont il est doté lui permet en plus d’agir promptement et de s’affranchir des contraintes de l’espace, et même du temps, pour la mise en œuvre de toute décision officielle84.
49Au cœur de ce dispositif idéologique se trouve lapietas publica, qui exprime le sens du devoir et le respect dont tout homme libre – l’empereur au premier chef – doit faire preuve à l’égard des dieux, de la patrie et de ses concitoyens85.
50Enfin, l’empereur est guidé non seulement par sa raison ou par obligation morale, mais également en vertu de son humanitas (humanité, aptitude à incarner les vertus qui distinguent l’homme civilisé de celui qui ne l’est pas), laquelle tempère son jugement et adoucit ses décisions86. L’empereur fait ainsi preuve de misericordia (miséricorde, aptitude à faire preuve d’empathie), de bonitas (excellence morale, affabilité), de benignitas (obligeance, générosité), de clementia (clémence, douceur dans son mode de gouvernement)87. Il témoigne d’une grande beneuolentia (bienveillance, dévouement, bonnes intentions), de patientia (patience, aptitude à supporter les lourdeurs de sa charge et les sollicitations), de moderatio (tempérance, modération dans ses actes), d’indulgentia (indulgence) et de liberalitas (propension à accorder des bienfaits) dans les décisions qu’il prend88. Ainsi, par touches successives et par le biais d’une accumulation de qualités reconnues, les discours construisent l’image d’un prince parfait, pourvu de toutes les vertus, prédisposé à régner et à bien gouverner.
51Les traits caractéristiques de l’optimus princeps apparaissent également à travers les gestes et actions concrètes des princes. Sur ce point, les verbes employés par les orateurs sont particulièrement significatifs. Eumène et ses pairs insistent sur la force de conviction ainsi que sur le volontarisme qui anime les empereurs par des verbes exprimant la volonté, la décision ou l’ordre. Des verbes qui, il est intéressant de le noter, sont les mêmes que ceux employés dans le Code Théodosien pour exprimer la force des lois89. Eumène emploie également des métaphores militaires pour souligner le volontarisme et la rigueur d’application des décisions officielles dans le domaine civil90. Si le procédé est fréquent dans les textes tardifs, il a pu cependant être privilégié par Eumène en raison du contexte du discours et du rôle joué alors par les Tétrarques dans la pacification de l’Empire et des frontières. Utiliser cette analogie pour évoquer le relèvement des cités permettait ainsi de suggérer que l’entreprise ne pouvait que réussir, dans la mesure où les empereurs avaient déjà montré leurs compétences et leur réussite dans le domaine militaire.
52Dans un tout autre ordre d’idées, Eumène présente souvent dans son discours les empereurs comme des protecteurs des arts et des lettres. Assurément, il s’agit d’un lieu commun, chacun d’entre eux étant par essence un homme de culture91. Mais rarement un tel élément apparaît aussi détaillé dans des sources épidictiques, même si l’on sait par ailleurs qu’il était recommandé, dans le cadre d’un βασιλικòς λόγος, de consacrer quelques mots à cet aspect de la personnalité des princes, en tâchant d’adapter le propos à l’empereur du moment92. Ce luxe de détails s’explique, bien entendu, par le thème du discours, plaidoyer pour la restauration d’un bâtiment scolaire. Il s’explique aussi par l’adoption, de la part d’Eumène, d’une stratégie argumentative particulièrement astucieuse et habile, puisqu’en présentant les Tétrarques comme des empereurs lettrés, amis de l’éloquence, il les rangeait de fait parmi les plus fervents soutiens de son entreprise devant l’individu qui devait en vérifier la viabilité, à savoir le gouverneur perfectissime93.
53Dans les discours d’Eumène et de l’Anonyme de 311 se trouve un élément propre à toute entreprise évergétique, qui consiste, pour l’auteur de l’acte, à s’inscrire dans une tradition familiale et, dans le même temps, à dépasser ses aïeux par l’ampleur de sa générosité94. La volonté des Tétrarques de dépasser les princes du passé s’exprime à deux reprises chez Eumène (Panégyrique latin v(9), 5, 2 et 19, 1). Dans le Panégyrique latin viii(5), l’accent est plutôt mis sur la continuité familiale, sur la piété filiale ayant conduit Constantin à s’inscrire dans la politique menée par son père et son ancêtre, Claude II, l’un et l’autre particulièrement bienveillants à l’égard de la ciuitas Aeduorum95. À deux reprises, l’orateur rappelle que les actions de Constantin répondent à celles de son père Constance (dont certaines demeuraient cependant inachevées), ainsi qu’à l’aide qu’aurait apportée Claude II si son décès brutal ne l’en avait empêché (§ 2, 5 et 4, 3-4). Pour l’orateur, insister sur cette continuité familiale permettait d’exalter l’œuvre de Constantin, mais aussi de l’inscrire dans des perspectives dynastiques à un moment où ce prince était en quête de légitimité.
54Enfin, dans les discours apparaît un ressort caractéristique de toute entreprise évergétique, à savoir la recherche d’une grandeur éternelle. L’immortalité du restaurateur est exaltée et présentée comme une motivation de premier plan par Eumène, car elle permet à l’évergète de se conforter à ses propres idéaux (§ 6, 4 ; 7 et 8). De la même façon, dans le discours de 311, l’auteur anonyme insiste sur le fait que le souvenir du bénéfice impérial accordé par Constantin sera célébré pour toujours à travers le nom officiel de la cité. C’est le sens de la formule introductive : Si Flauia Aeduorum tandem aeterno nomine nuncupata, sacratissime imperator, commouere se funditus... (§ 1, 1). Même après sa mort, le glorieux nom du prince évergète se perpétuera dans celui de la cité dont il aura été le nouveau fondateur (conditor) et le sauveur (conseruator).
55Les orateurs éduens, en décrivant simplement les actes d’évergétisme accomplis en faveur de leur cité, brossent le portrait du prince idéal, présenté comme un évergète exceptionnel dont les vertus et les actes sont absolument conformes aux valeurs attendues. Autrement dit, dans ces pages, l’empereur semble avoir atteint la perfection d’un exemplum96.
L’évergétisme impérial, un modèle imité par Eumène
56Eumène ne cesse de proclamer que, dans le cadre de la restauration du monde entreprise par les Tétrarques, chacun semble avoir retrouvé la place qui lui revenait dans la société (Panégyrique latin v(9), 17, 5) :
Quod quidem ego meum erga honorem domus ac familiae meae studium non confiterer, uir perfectissime, nisi ipsis imperatoribus Caesaribusque nostris gratum esse confiderem ut publicam eorum in restituendo orbe pietatem pro suo quisque captu in renouandis suorum uestigiis aemuletur.
57Par la valeur d’exemplarité de leurs actions, les empereurs exhortent leurs contemporains à agir comme eux, notamment par l’accomplissement d’actes d’évergétisme (Panégyrique latin v(9), 15). Sur ce point, l’exemple d’Eumène paraît particulièrement significatif97. Pour décrire son entreprise, il emploie des mots précis, et il la justifie au moyen de quatre arguments98.
Premier argument : la reconstruction du bâtiment des écoles relève de l’intérêt général. C’est donc un devoir de le reconstruire, car les écoles abritent des activités utiles à la cité (ex usu et officio aux § 3, 4 et 10, 3 ; utilitas employé au § 19, 1). Utilité pour la cité, mais aussi utilité pour l’État, puisque les jeunes gens bénéficient dans le bâtiment d’une éducation libérale, qui fortifie le patriotisme à l’égard des empereurs et permet à ces derniers de disposer d’administrateurs compétents99.
Deuxième argument, relevant d’un souci d’ordre esthétique : il faut rendre sa dignité (magnitudo au § 19, 1) au bâtiment placé au cœur de la cité et éviter que son aspect dégradé ne déshonore les temples qui l’entourent100. On touche ici un des leviers majeurs de l’argumentation employée par Eumène, qui ne cesse de comparer, d’assimiler voire de confondre le bâtiment des écoles avec un bâtiment cultuel. Cette volonté obstinée tient au fait que les bâtiments destinés spécifiquement à des activités intellectuelles et scolaires étaient relativement peu répandus dans le monde romain, voire très rares dans les provinces occidentales, à l’exception peut-être de l’Afrique ou de l’Italie, mieux documentées il est vrai. Par ailleurs, comme ces édifices ne faisaient pas partie de la panoplie urbaine type, ils n’étaient pas considérés par les gouvernants comme des ornamenta ciuitatis et, par conséquent, aucune priorité n’était donnée à leur reconstruction, laissée au compte des seuls évergètes locaux. En rattachant les écoles au monde des temples et à l’architecture religieuse, Eumène, fort habilement, souhaitait démontrer qu’en réalité, à Augustodunum, le bâtiment scolaire constituait bien un élément de la parure urbaine ; participant de l’identité civique, il méritait de faire partie des ornamenta ciuitatis. Autant de vérités à rappeler en présence du gouverneur chargé d’évaluer la faisabilité de l’entreprise101.
Troisième argument : l’acte d’évergétisme est motivé par le zèle (studium aux § 3, 4 ; 13, 2 et 17, 5) et l’amour d’Eumène envers sa patrie et envers les empereurs (amor au § 3, 4 ; amor ciuitatis ou reipublicae au § 16, 4-5). Cet amour se confond avec celui éprouvé pour son aïeul, ancien professeur dans les écoles102.
Quatrième argument, fondamental : l’acte est inspiré de l’exemple impérial. Ce que les princes réalisent à l’échelle du monde, Eumène l’accomplit à l’échelle de sa patrie, spontanément de surcroît103.
58En somme, le portrait de l’évergète idéal dressé par Eumène correspond exactement, dans sa formulation, aux mots relevés dans les textes épigraphiques contemporains, lesquels apparaissent bien plus concis en raison des contraintes imposées par le support. Eumène s’inscrit dans le droit fil de la tradition classique de l’idéal de l’évergétisme. Par ailleurs, comme sur les inscriptions, la description de l’entreprise se double d’un acte d’autocélébration. Pour résumer, Eumène, en proposant de reconstruire le bâtiment des écoles, offre à ses concitoyens un équipement utile et nécessaire ; surtout, en raison du rayonnement régional de ces écoles, le nouveau bâtiment restauré et richement orné a vocation à accroître la beauté et la dignitas de la cité. Eumène tire de ce geste de multiples bénéfices. Pour lui et sa lignée, il est source de gloire et de reconnaissance publique, puisqu’il montre qu’il est à la hauteur des générations passées : son nom est digne de passer à la postérité104. Cette affaire semble représentative de ce que Jean Andreau a qualifié d’« irrésistible célébration des élites municipales », une célébration fondée sur l’ostentation et sur une démarche consciente d’autocélébration de la part des franges supérieures de ce groupe105. Ainsi, l’acte permettait à Eumène d’affirmer sa prééminence au sein de sa cité et d’asseoir son pouvoir parmi les notables locaux, alors que dans le même temps, comme il le dit au détour d’une phrase, il cherchait à assurer l’avenir de son propre fils (§ 6, 2)106. Apparaissent ici étroitement mêlés enseignement officiel, amour de la culture et patriotisme municipal107. À un autre niveau, cet acte confortait les vues de l’État, puisqu’il répercutait à l’échelon local la politique en cours de rétablissement impérial. Devant un acte d’évergétisme si parfait, si bien préparé et justifié, que pouvait faire le gouverneur perfectissime sinon en approuver la mise en œuvre ?
59Si Eumène affirme s’inspirer du modèle traditionnel de l’évergétisme réactivé par les empereurs, l’ambiance qui transparaît dans son discours reflète bien certaines évolutions et spécificités propres à cette époque. Il semble en effet que ce modèle, fondé sur le volontariat et sur une très grande liberté de choix laissée aux évergètes, ait été soumis à une plus grande pression de la part des dirigeants de l’Empire, qui cherchaient, plus qu’auparavant peut-être, à canaliser les moyens des notables et à les orienter vers certains actes particuliers (restauration de murailles, de temples)108. Il ne s’agit, bien entendu, que d’une tendance difficile à généraliser. Pour autant, elle apparaît incontestable, à en juger par la plus grande fréquence, dans le formulaire des inscriptions tétrarchiques, des tournures exprimant un ordre venu d’en haut. Cette forme de dirigisme dans la politique à l’égard des affaires des cités apparaît également dans les textes juridiques109.
60C’est ainsi qu’Eumène, tout au long de sa postulatio, présente son projet comme un acte d’évergétisme non seulement placé sous la bienveillance des princes, mais également voulu par eux. Chemin faisant, si l’orateur s’inscrit dans la perfection d’un modèle supérieur, il décrit aussi son propre geste à ses concitoyens comme un exemple à suivre. En procédant ainsi, en montrant que cette entreprise n’est que la déclinaison locale d’un projet plus vaste de restauration du monde, Eumène accroît la pression exercée sur le gouverneur afin que ce dernier autorise et facilite son déroulement. Et plus encore, car en affichant ses intentions, en révélant ainsi son idéal, Eumène, qui savait que son discours serait conservé par écrit, donnait à voir à ses concitoyens et à ses descendants un modèle d’acte évergétique désintéressé. Par ce biais, au-delà des événements qui s’y rapportaient, le discours conservait la mémoire d’un beau geste et perpétuait une tradition en définissant, non à la manière d’un traité mais à travers la description d’un acte concret, ce qu’était un homme de bien dans son plus parfait achèvement.
61Eumène participait aussi à un acte d’évergétisme implicite, qui consistait à reconstruire le monde au moyen de son seul discours. L’ordre des mots qui régit son plaidoyer, la représentation du monde et de la société qui s’en dégage montrent et décrivent une réalité tangible tout en participant à sa création et à sa consolidation, de manière performative en quelque sorte. À mesure qu’il brosse son tableau du rétablissement d’Autun-Augustodunum, Eumène introduit de multiples remarques sur le sens de cette reconstruction, tendant ainsi à la légitimer et à la renforcer. Ce véritable traité de loyalisme à l’attention de la politique impériale joue un rôle majeur dans l’argumentation. L’orateur espère, par ce biais, attirer la bienveillance des empereurs sur son entreprise. Dans l’affaire, les termes du contrat sont très clairs : dans ce jeu de dons/contre-dons, Eumène réclame des beneficia en échange de son soutien au pouvoir et en vertu des merita dont a fait preuve sa patrie depuis la fin de la République110.
62À ce stade de l’analyse, il ressort que l’image des princes et la représentation de leur métier, tels que ces éléments apparaissent dans les discours d’Eumène et de ses pairs, n’offrent rien d’exceptionnel de prime abord. Ils sont conformes à l’image émanant du pouvoir lui-même dans les textes officiels, dans les inscriptions, sur les monnaies contemporaines.
63La principale originalité réside dans l’accent mis sur la dimension civile du rôle de l’empereur, présenté comme un restaurateur et un nouveau fondateur. L’empereur apparaît plus comme un « bon roi » que comme un princeps ciuilis, un magistrat équitable dans la tradition républicaine. Des discours émane l’idée que le prince, par son image et par ses actions, correspond à un idéal alors atteint : celui d’un monarque tout-puissant, modèle pour ses sujets, doté de toutes les vertus, capable d’une absolue maîtrise de la nature. Cette perfection et cette cohérence retrouvées du modèle impérial, après la « grande crise du iiie siècle », témoignent d’un retour à l’unité impériale et de l’avènement d’un nouvel âge d’or. En somme, ces discours offrent un témoignage précieux et particulièrement riche du combat idéologique engagé par le pouvoir pour lutter contre le sentiment de crise éprouvé par les provinciaux depuis le milieu du iiie siècle111.
Les rencontres entre la cité et les empereurs : mises en scène et enjeux
64Les rencontres entre la communauté civique et l’empereur mettent en scène et en jeu une confrontation entre deux entités abstraites, la ciuitas Aeduorum et le pouvoir central étatique, à travers un dialogue établi entre les délégués municipaux et l’empereur. Si les orateurs éduens rapportent des événements réels, leurs récits ne relèvent pas pour autant de la simple description. Car à travers cette orchestration rituelle soignée, les orateurs révèlent indirectement leur conception du rôle du pouvoir ainsi que leurs prétentions à jouer un rôle dans la politique impériale.
L’empereur et la cité : deux individus
65Si la communauté civique est représentée physiquement par des légats élus, elle peut être également personnifiée et représentée sous la forme d’une allégorie ou τύχη, conformément aux normes des représentations antiques. Par ce procédé, un jeu de correspondances peut être établi entre cette personnification et les éléments matériels de la cité, dans le sens où le caput ciuitatis, les monuments, le territoire peuvent chacun jouer le rôle d’un organe.
66Le problème se pose autrement pour l’empereur. S’il est un être mortel, comme dans les monarchies médiévales, sa nature apparaît double, puisqu’il est un homme et l’incarnation de l’État, entité abstraite. Son corps constitue à la fois un microcosme du monde et de la structure étatique, et nombreux sont les extraits des discours insistant sur cette double caractéristique. C’est ainsi que ses gestes, ses sens incarnent et constituent, de manière symbolique, autant d’actes de gouvernement ou d’actes administratifs qui témoignent de son aptitude à bien gouverner. Au lieu de décrire ces processus dans leur dimension technique, les orateurs privilégient les présentations allégoriques, empruntant ainsi des procédés au pouvoir lui-même, qui présentait souvent ses actions politiques sur ce registre symbolique et allégorique, comme en témoignent les images et les légendes des revers monétaires.
67Plusieurs exemples concrets permettent d’illustrer et de prolonger les réflexions. Les yeux du prince, d’abord, ne sont pas de simples yeux qui voient ; ils lui permettent de deviner ce qui demeure caché, de percevoir et d’anticiper les problèmes futurs. Autrement dit, les yeux du prince sont dotés des pouvoirs associés à la vertu de prouidentia112. De la même façon, ses larmes ne sont pas que de simples larmes d’affection ; lorsque Constantin pleure sur le sort des Éduens accablés par le fardeau fiscal et la ruine des campagnes, ses larmes possèdent les mêmes effets que la pluie bénéfique sur les terres desséchées : elles donnent vigueur aux végétaux et permettent un retour immédiat à l’abondance.
68Dans le même ordre d’idées, si les oreilles princières sont sacrées, c’est parce qu’elles sont attentives aux plaintes formulées par les provinciaux, en raison de la bienveillance du gouvernant. Ce caractère sacré oblige les pétitionnaires à les ménager tout particulièrement (Panégyrique latin viii(5), 5, 2)113.
69La main du prince, quant à elle, relève les décurions prostrés, selon le rituel de la proskynèse114. Le relèvement des premiers de la cité préfigure son relèvement général. Or, ce geste rituel renvoie à une image profondément ancrée dans l’idéologie impériale, apparue au iie siècle sur les revers monétaires115. Les Tétrarques eux-mêmes ont fait frapper des monnaies de ce type, accompagnées de la légende pietas avgg(ustorum)116, dans des émissions visant à exalter l’œuvre de restauration impériale à l’origine du relèvement des provinces. L’image, d’interprétation simple, pouvait donc s’appliquer à des politiques conduites à différentes échelles (cités, provinces, Empire même). Toujours dans le Panégyrique latin viii(5), la main du prince est présentée comme une main dispensatrice de bienfaits et de présents (§ 14, 2), simple image puisque le bienfait en question n’était pas matériel. À la rigueur, il pouvait s’agir du document officiel, de l’indulgentia annonçant l’application imminente d’une mesure. Pour terminer, cette même main droite pouvait être qualifiée, ailleurs dans le discours d’Eumène, d’invincible – au sens de « poigne » –, puisqu’elle avait servi à vaincre les barbares germains aux frontières avant de garantir le relèvement de la Batavie et de la Bretagne (§ 21, 2). En définitive, à travers le rôle que prêtent les orateurs éduens aux gestes de la main du prince, se dessinent trois fonctions, trois devoirs essentiels du « métier d’empereur » : défendre l’Empire, dispenser des bienfaits, relever les cités affligées.
70Il est remarquable qu’à travers cette série d’images concrètes, les orateurs fassent état de différents actes de gouvernement civils en usant de métonymies, afin de les rendre plus simples et immédiatement intelligibles auprès de l’auditoire, afin d’éviter, cela n’est pas négligeable, d’entrer dans la technicité, parfois complexe, des procédures engagées, afin de gommer, peut-être aussi, l’aspect technique considéré avec mépris par les Anciens et qui, pour des questions de registre de langue, n’avait pas sa place dans un discours épidictique. D’une manière plus générale, l’emploi systématique de tels procédés avait vocation à faciliter la communication entre les administrés et les gouvernants.
Les modalités de la rencontre : aduentus et audientia
71La communication passait également par des rencontres directes, ou indirectes dans le cas où les habitants de la cité s’adressaient à un représentant du prince qui transmettait leur requête en haut lieu, comme dans le discours d’Eumène. Celles-ci pouvaient avoir lieu dans la cité même, lors de la venue (aduentus) du prince117, ou encore au palais impérial dans le cadre d’une audience. Dans les deux situations, la communication établie demeurait très codifiée.
72Dans les Panégyriques latins en général, et dans ceux des orateurs éduens en particulier, l’aduentus apparaît comme l’un des moments clé de la rencontre entre les habitants d’une cité et un empereur. La cérémonie constitue en effet un événement majeur pour les habitants d’une communauté puisque, durant le temps de la visite, leur cité devient, en raison de la praesentia du prince, un lieu central, une sorte de capitale provisoire, en vertu du principe formulé par Hérodien que Rome se trouve là où est l’empereur118. Par ailleurs, comme dans tout système politique d’essence monarchique, la présence du prince est considérée comme bénéfique, puisque l’empereur, accessible, se trouve dans de bonnes dispositions pour accéder aux demandes et aux requêtes des habitants dans leur propre cité, d’autant plus que l’accueil s’accompagne de cérémonies festives destinées à réaffirmer avec éclat la loyauté et l’allégeance au pouvoir. Cet attachement des orateurs éduens à la présence de l’empereur sur le territoire de leur cité justifie l’appel formulé par l’Anonyme de 310 et éclaire les remarques envieuses formulées dans les Panégyriques latins vii(6) et viii(5) à propos de Trèves, qui bénéficie, en sa qualité de résidence officielle, de la présence continue du prince et de ses bienfaits119. L’Anonyme de 310 résume bien ces différentes conceptions, lorsqu’il dit à Constantin (§ 22, 6) :
les régions en effet que ta divinité visite voient partout se multiplier la population, les villes, les faveurs. La terre n’a pas sous la couche de Jupiter et de Junon fait naître plus de fleurs nouvelles que tu ne fais, Constantin, surgir sur tes pas de villes et de temples.
Les aduentus impériaux à Autun
• Un aduentus de Constance dans les Trois Gaules (entre 293 et 298)
73Eumène, citant sa la lettre de nomination au poste de directeur des écoles, fait brièvement allusion à un aduentus de Constance, qui le conduisit, peut-être par Autun120, dans des villes de Gaule à l’occasion d’un retour d’Italie difficile à dater. Durant cette visite officielle, des jeunes gens, élèves dans les écoles méniennes, vinrent accueillir le prince aux limites provinciales (vraisemblablement celles de la Lyonnaise ?), dans le but de se joindre à son cortège et de lui tenir compagnie (§ 14, 1). Cet accueil plein d’enthousiasme mais soigneusement préparé a assurément plu à l’Herculéen. Dans cette affaire, les jeunes gens ont attiré le regard du prince sur eux, tout en témoignant chaleureusement de leur loyalisme à son égard. Ce qui a pu être utile lorsqu’il s’est agi, quelques mois plus tard, de nommer à la tête des écoles un nouveau directeur dans le cadre de la politique de rétablissement du chef-lieu de la cité.
• L’aduentus-pélerinage imaginaire de 310
74Il s’agit d’un aduentus imaginaire, au sens où cette description ne contient qu’un événement souhaité mais décrit en détail comme pour en favoriser la réalisation (à la manière d’une fiction performative121). Cette narration fait suite à la description d’une visite bien réelle, accomplie dans un célèbre temple gaulois dédié à Apollon que les spécialistes ont tenté depuis plus d’un siècle de situer, bien que le texte ne fournisse aucun indice précis sur la question.
75L’Anonyme de 310 invite Constantin à rendre visite au temple d’Apollon situé sur le territoire de sa cité, afin d’honorer la divinité protectrice impériale du moment et de rendre hommage à un dieu local. Cet appel n’est pas dénué d’arrière-pensées, l’orateur suggérant que la visite pourra offrir à l’empereur l’occasion d’accorder des bienfaits et d’établir des privilèges en faveur des Éduens (§ 22, 3). L’auteur, qui ne fait allusion à aucun des problèmes financiers auxquels la cité était alors confrontée, indique seulement que cette visite permettra à la ciuitas Aednorum de bénéficier d’une aide impériale directe pour réparer certains monuments et lui donner un lustre égal à celui de Trèves.
76On ne peut qu’être frappé par le contraste saisissant entre les raisons apparentes de l’appel lancé par l’Anonyme de 310 et les causes réelles révélées par l’auteur du Panégyrique latin viii(5). La remarque vaut pour l’écart séparant la description de cette visite imaginaire du déroulement de la visite effective, qui intervint quelques mois plus tard. Il s’explique certainement par le contexte du discours. En effet, les cérémonies festives associées aux quinquennalia du prince se prêtaient mal à un appel dont le contenu aurait été centré sur la ruine d’une communauté civique et sur les méfaits engendrés par l’application des réformes fiscales. Ce n’était ni le lieu ni le moment propice pour mettre en cause le gouvernement du prince et son administration. L’Anonyme de 310, prenant prétexte de la visite de Constantin à un temple d’Apollon, a ainsi formulé un appel à l’aide à mots couverts, sans aborder de front les problèmes, en invitant l’empereur à honorer le temple situé en territoire éduen. Ceci révèle au passage l’habileté de l’orateur qui, bien informé des nouvelles orientations religieuses du prince, cherchait à attirer sa bienveillance en évoquant précisément son nouveau comes.
• L’aduentus de 310 à Autun
77Cet aduentus, réponse à l’appel de l’orateur de 310, décrit par l’Anonyme de 311, eut lieu à l’automne-hiver 310-311. L’auteur fournit probablement l’une des plus belles descriptions littéraires d’un aduentus impérial dans une cité de l’Occident romain (Panégyrique latin viii(5), 1, 3 ; 7, 5-6 ; 8 ; 9, 1-4). Il décrit les étapes de cette visite pourtant fort brève (uno die, § 1, 5) :
le parcours à travers le territoire de la cité (§7, 1-2 ; 7, 4 et 8, 1) ;
l’arrivée devant les portes de la ville (§ 7, 6) ;
le cheminement intra-urbain, marqué par des festivités, jusqu’au cœur politique de la cité (§ 8, 3-4) ;
la rencontre entre le prince et les notables, sous la forme d’une audience dans le vestibule d’un palatium (§ 1, 3-5 ; 9, 1 et 4).
78À chaque étape, l’empereur rencontre les différents groupes sociaux composant la communauté civique : les habitants des campagnes, qui viennent le saluer le long de la route qui mène au caput ciuitatis ; les habitants de la ville, présentés selon un ordre établi, formant le cortège qui accueille Constantin et l’accompagne dans sa traversée de la ville ; les dieux personnellement présents, venus le saluer à travers leurs effigies présentées dans le cortège. Enfin, par une forme de gradation correspondant à la hiérarchie sociale, l’empereur se trouve placé au terme de ce cheminement, face aux seuls décurions dans le cadre de l’audience aupalatium. Lors de l’aduentus, le cadre urbain est lui-même magnifié au moyen de guirlandes ornant les rues et d’instruments accompagnant par leur musique la liesse populaire.
79La solennité de cette rencontre avec un être exceptionnel s’accompagne par ailleurs de différents rituels : accueil au seuil de la ville, devant les portes ; présentation ordonnée des différents groupes de la cité ; audience avec les décurions, qui pratiquent le rituel de l’adoratio en effectuant une proskynèse devant Constantin qui les relève de sa main droite. Si cette mise en scène de la rencontre entre l’empereur et les Éduens semble avoir été particulièrement soignée, elle ne comporte en soi aucun élément absolument original, puisqu’elle décrit une cérémonie commune à toute collectivité recevant un empereur en ses murs. Or, sur le sujet, la documentation ne manque pas dans la partie hellénophone de l’Empire122.
80Dans sa description, l’Anonyme de 311 a conçu l’aduentus impérial comme une véritable épiphanie, comme une apparition miraculeuse, ce que renforce le motif du retour à la lumière développé à l’occasion. Le miracle réside, aux yeux de l’auteur, dans l’immédiateté du rétablissement réalisé au moment même où l’empereur apparaît. L’idée renvoie à nouveau à la mystique de la praesentia impériale.
• L’aduentus à venir
81L’Anonyme de 311, au moment de clore son discours, a recours, comme l’Anonyme de 310, à la description d’un aduentus imaginaire (§ 14,4), mais dans une perspective radicalement différente. L’orateur dépeint la réaction éventuelle de la cité si Constantin, son sauveur, venait lui rendre visite à nouveau. Il insiste alors sur l’enthousiasme et la joie extrême dont la cité ferait preuve, et sur le fait qu’elle chercherait, au moment du départ rituel de l’empereur (profectio), aveuglée par son amour (amor), à le retenir de toutes ses forces.
82Au fond, dans ce passage, l’Anonyme de 311 tente de montrer que la visite de 310, suivie de la concession de deux grands bienfaits, ne clôt pas le cycle des relations directes entre l’empereur et la cité, mais qu’au contraire elle les renforce en appelant d’autres visites. En cela, la démarche n’est pas sans rappeler des affaires reposant sur le même ressort, comme le dossier d’Orcistos dans les années 320, par exemple. La première visite et le premier échange entre Constantin et les Éduens permettent d’entrer dans un système de communication fait d’échanges circulaires et permanents, débouchant sur des dons et contredons de nature variée, plus ou moins différés selon la stratégie de chacun des acteurs123. Le lien organique noué entre le prince et la cité est devenu irréversible et conduit à une sorte de dépassement dans les témoignages et bienfaits offerts de part et d’autre, à ce qu’il convient d’appeler une surenchère agonistique.
Les audiences accordées aux Éduens
• L’audience du gouverneur au printemps 298
83L’audience offre aux provinciaux une autre occasion d’approcher le pouvoir, et parfois elle constitue elle-même l’une des étapes de l’aduentus, la plus importante probablement. En un sens, le discours d’Eumène, à considérer son cadre d’énonciation – une sedes iustitiae (§ 1, 2), très certainement une basilique située sur le forum d’Autun (in foro, § 1, 1) –, apparaît comme une audience accordée par le gouverneur lors de sa visite d’inspection, laquelle correspondait, dans son déroulement, à un décalque des cérémonies mises en œuvre lors de la venue de l’empereur, avec quelques variantes en raison du rang inférieur du gouverneur. La cité se trouve alors au contact d’un représentant du pouvoir qui endosse le triple rôle de juge, d’inspecteur et de rapporteur. Dans le cadre d’une telle rencontre, le face-à-face avec le gouverneur comportait certaines spécificités qui le différenciaient d’une confrontation avec le prince, obligeant l’orateur à adopter une attitude et une stratégie différentes. En effet, sa qualité d’intermédiaire du pouvoir empêchait le gouverneur de prendre lui-même certaines décisions. Par ailleurs, la position inconfortable du représentant l’obligeait, dans le cas d’une requête, à suivre plus scrupuleusement les règlements, à être plus pointilleux à l’égard des procédures, ce dont l’empereur pouvait se passer en raison de l’auctoritas qui était la sienne. Cette situation particulière, où la présence impériale se faisait sentir sans que le prince fût présent physiquement, justifie la stratégie adoptée par Eumène.
84Par-delà ces questions, on mesure combien une rencontre directe avec l’empereur permettait d’obtenir des bienfaits immédiats, alors que la procédure semblait plus complexe dans le cadre de pratiques administratives engagées par les représentants du pouvoir, lesquels devaient en principe se conformer strictement aux normes juridiques et en référer à leurs supérieurs avant d’agir, ce qu’illustre avec précision le dernier livre de la correspondance de Pline le Jeune. Une idée, formulée explicitement dans le Panégyrique latin viii(5), doit retenir ici l’attention : selon l’Anonyme de 310, l’empereur pouvait, en sa qualité de juge suprême, tempérer la dureté des lois par son sens de la justice et du juste, soumettant ainsi la loi aux principes moraux. La formule non iure sed iuste (§ 5, 5-6), appliquée aux libéralités de Constantin envers la cité en 310-311, rend bien compte d’un principe auquel ce prince demeura longtemps très attaché, puisqu’il apparaît, à travers une formulation proche, dans une loi du Code Théodosien124. Bien qu’elle ait fait couler beaucoup d’encre, il n’est pas utile de revenir ici sur le sens de cette formule ni sur ses implications institutionnelles125.
• L’audience au palais de Trèves en juillet 311
85Sous le Principat, le principal moyen d’accès à l’empereur consistait, pour les provinciaux, à envoyer en audience un ou des délégués officiels à la cour. L’Anonyme de 311, nommé à cette fonction, se rendit à Trèves et y prononça son discours de remerciement, dans le cadre d’une réception au palais où étaient présents des particuliers et des délégués des cités d’Occident126.
86L’orateur, décrivant le faste et l’atmosphère impressionnante associés à l’audience, rappelle les difficultés qu’il a dû surmonter à cette occasion (Panégyrique latin viii(5), 9, 3-4) :
3. Neque enim parui negotii est imperatorem totius orbis pro se peculiariter rogare, sub tantae maiestatis adspectu perfricare frontem, uultum componere, confirmare animum, uerba concipere, intrepidanter dicere, apte desinere, exspectare responsum. 4. Has omnes difficultates imperator, uerecundiae nostrae remisisti, non solum ultro percontando quid remedii posceremus, sed etiam tibi ipsi suggerendo quae nos tacebamus, dum nos iacentes ad pedes tuos clementissimo attollis affatu.
87Il décrit ainsi toutes les étapes et exigences auxquelles était soumis un pétitionnaire reçu par le prince : introduction devant la personne impériale ; proskynèse et adoratio ; discours dans une attitude appropriée, sous les yeux de la majesté impériale ; congé suivi de l’attente d’une éventuelle réponse. Ce passage du discours de 311 ainsi que l’extrait du § 1,4 constituent des sources de premier plan sur le déroulement de cet acte de gouvernement fondamental127.
88D’un point de vue idéologique, il ressort du passage une impression ambiguë : d’un côté, l’existence de ce genre d’audience prouve que l’empereur demeurait accessible aux demandes de ses sujets, puisqu’il acceptait de les recevoir personnellement ; de l’autre, le déroulement du rituel témoigne d’un phénomène de distanciation accrue entre le requérant et le prince128.
• Les audiences « impromptues »
89Les auteurs des Panégyriques latins iv(8) et vii(6), à la différence d’Eumène et de l’Anonyme de 311, sont de véritables orateurs de cour ayant composé des pièces d’apparat. L’originalité de leurs discours réside dans le fait qu’ils ont introduit dans leur péroraison des requêtes et des pétitions, en faveur de leur cité ou de leurs intérêts propres. En somme, durant ce court instant, ils ont rompu avec la situation d’énonciation à laquelle ils étaient tenus et ont transformé une cérémonie officielle en l’honneur des princes en une audience impromptue. De tels écarts n’ont rien de surprenant : ils étaient monnaie courante dans ce genre de situation et absolument admis par le pouvoir impérial129. Ces pratiques témoignent de la puissance des élites éduennes ainsi que de leur influence à la cour impériale de Trèves à cette époque. La proximité avec le prince a été mise à profit dans le cadre d’un véritable « lobbying » – pour emprunter un terme au vocabulaire politique contemporain – s’exerçant dans le but d’approcher le prince en des occasions solennelles. Cette procédure informelle visait à maintenir et à accroître la dignitas de la cité et les intérêts de l’orateur.
90À ce stade de la réflexion, il convient de retenir que ces rencontres, telles quelles sont décrites, constituent autant une description objective qu’une reconstruction littéraire et idéologique d’événements bien réels. La description permet aux orateurs d’insister sur un trait de la politique du prince, sur un souhait formulé par les habitants de la cité, etc. Ainsi, la description des différents corps sociaux présents lors de la rencontre permet à la fois de montrer l’ordre social et de participer, par les mots, à sa cohésion, de magnifier ces groupes, de louer le prince à l’origine du rétablissement, de souligner que le rituel accompli est conforme au protocole attendu et qu’il atteste l’adhésion et l’intégration des Éduens à l’Empire. Pour les orateurs, ces rituels sont l’occasion de réaffirmer loyalisme et fidélité au pouvoir, car le simple fait d’accueillir de manière festive le prince constitue en soi un acte de reconnaissance et d’allégeance, et peut-être même plus, un acte de légitimation. En ce sens, l’Anonyme de 311 montre comment, à travers la mention des portes, les Éduens distinguent un empereur légitime d’un usurpateur. Si les portes de la cité se sont ouvertes à Constantin (Panégyrique latin viii(5), 7, 6), elles furent fermées à Victorin qui avait envoyé ses troupes assiéger la cité. Ce n’est qu’au terme d’un blocus de près de sept mois que les soldats bataves aux ordres de l’usurpateur firent irruption en forçant les portes (Panégyrique latin viii(5), 4, 2 : tum demum inrumpendas rebellibus Gallicanis portas reliquerunt). On perçoit, à travers ces deux passages, comment la simple mention du franchissement des portes constitue un critère de légitimation ou non d’un prince aux yeux des habitants d’une cité130, et, d’une manière générale, comment ces descriptions anodines revêtent une véritable dimension politique, loin de la simple anecdote où elles se trouvent habituellement cantonnées. Les rencontres entre la cité et le prince mettent en scène la cohésion, le consentement, le consensus, l’adhésion des Éduens à Rome. En retour, ces rencontres permettent au prince de mettre à l’épreuve et de renouveler sa légitimité auprès des provinciaux131.
91La visite du prince faisait donc partie de ces rituels majeurs de vérification et de régénération du loyalisme des provinciaux, et elle constituait pour les hôtes un moment exceptionnel d’approche du représentant suprême du pouvoir, une occasion rare où l’on pouvait requérir des bienfaits et obtenir des avantages substantiels. Aussi faut-il considérer, avec Egon Flaig, ce genre de rencontre comme un konsensritual132. Enfin, le contact établi permettait d’entretenir des liens privilégiés avec la domus Augusta et le prince durant toute la durée de son règne et même au-delà, à travers ses héritiers.
Sentiments et politique : l’amour, les larmes, la joie
92Le thème des rencontres entre la cité et le pouvoir trouve des prolongements intéressants dans l’analyse des sentiments exprimés à cette occasion par les différents protagonistes. En effet, les sentiments que sont l’amour, la tristesse, la joie, éprouvés par les Éduens et les empereurs, apparaissent particulièrement détaillés par les orateurs. En raison de leur contenu politique, ils semblent révélateurs de la conception des provinciaux du rôle joué par l’empereur133.
Amor principis et Romani nominis
93L’amor patriae, qui motive Eumène pour reconstruire les écoles de sa cité, constituait un ressort majeur de l’évergétisme dans l’Antiquité. À aucun moment, cependant, Eumène ne fait allusion à l’amour de la cité pour les empereurs, préférant employer un vocabulaire plus convenu, centré sur le thème de la pietas.
94L’Anonyme de 311, pour sa part, évoque à plusieurs reprises l’amour que les Éduens éprouvent pour Constantin, à travers des expressions qui ne sont pas sans rappeler l’amour éprouvé par les sujets pour le bon roi médiéval. Le champ lexical des relations amoureuses est présent aux moments clés du discours. La phrase où apparaît explicitement la notion d’amour du prince se situe dans la péroraison du discours, immédiatement après la description de l’aduentus imaginaire au cours duquel la cité est censée exploser de joie (flagrabit) en cas de nouvelle visite de l’empereur. Déjà, au début de son discours, l’anonyme avait évoqué l’amor Romani nominis des Éduens (§ 2, 4) et la communitas amoris qui liait ce peuple aux Romains (§ 3, 1). À l’occasion de l’arrivée de Constantin aux portes de la ville, l’orateur a volontairement décrit la rencontre entre le prince et la cité en utilisant un vocabulaire puisé dans celui des relations amoureuses (§ 7, 6) : il compare les portes, flanquées de deux tours semi-circulaires proéminentes, avec les bras de la cité, qui permettent d’étreindre l’empereur, comme pour une rencontre entre deux amants.
95Nous avons proposé une interprétation de l’usage d’un tel vocabulaire134, attendu dans ce genre de situation. Il renvoie au champ lexical des sentiments d’affection et d’amour, autrement dit aux ἐρωτιχὰ πάθη, pour reprendre la terminologie en usage chez les théoriciens grecs de la rhétorique antique135. Par conséquent, les termes d’amplexus (étreinte) et de sinus (sein, poitrine) rattachent le passage cité à la tradition de la poésie élégiaque latine d’Ovide, de Properce et de Tibulle, par exemple136. Le procédé littéraire s’inscrit dans un topique associé aux scènes de rencontres officielles entre un individu de haut rang et une communauté civique. Lors de l’arrivée (aduentus) ou du départ (profectio) de l’empereur ou du gouverneur, la cité (du genre féminin) et lui (du genre masculin) sont assimilés à deux amants éprouvant de l’amour et du désir l’un pour l’autre. Le jeu de séduction qui s’installe entre eux se construit autour de visites plus ou moins régulières mais attendues. À l’occasion, la cité cherche à retenir le plus possible son amant lorsque celui-ci doit partir. La fin du Panégyrique latin viii(5) illustre bien la scène du départ rituel (profectio). Le verbe retenir (retinere), employé par le rhéteur pour décrire l’action des habitants d’Autun au moment du départ de Constantin, renvoie à nouveau à la poésie élégiaque et rappelle l’attitude des amants au moment de la séparation137.
96À titre de comparaison, il est possible de relever des occurrences du champ lexical des ἐρωτιχὰ πάθη dans plusieurs sources des iie-ive siècles. Ménandre le Rhéteur, à la fin du iiie siècle, préconise l’emploi de ces images dans la partie de son œuvre consacrée au discours d’invitation d’un gouverneur (κλητικòς λόγος), où l’on retrouve les thèmes du désir, de l’attente, des rencontres, en somme tous les éléments du jeu amoureux138. L’image est déjà présente un siècle plus tôt chez Apulée, dans un discours des Florides adressé au proconsul, à Carthage139. La Vie des Sophistes de Philostrate, écrite au iiie siècle, offre un bel exemple d’utilisation de ce vocabulaire140. Dans sa correspondance, Libanios emploie des mots proches pour évoquer la relation d’un bon gouverneur avec une cité turbulente mais rendue docile après sa visite d’inspection141. Enfin, le terme d’amplexus s’emploie dans le même sens et dans un contexte analogue ailleurs dans les Panégyriques latins, pour évoquer l’attachement des empereurs à Rome et souligner le lien intime entre le prince et l’Vrbs, lieu essentiel d’acquisition de la légitimité impériale, encore à cette époque142.
97Chez l’Anonyme de 311, l’emploi d’un vocabulaire amoureux ne relève pas d’un ornement anecdotique ni d’une figure de style audacieuse destinée à étaler des qualités littéraires. En réalité, il a vocation à faciliter la communication avec le pouvoir en montrant une image adoucie et idéalisée de relations dans le cadre desquelles la cité tient un rôle actif. Par cette mise en scène singulière, la relation entre l’empereur et la cité apparaît moins asymétrique et hiérarchisée, plus égalitaire en somme. L’image répond à une revendication d’égalité présente sous d’autres formes ailleurs dans le discours. Dans ce passage précis cependant, la domination romaine est présentée comme un choix délibéré – ce qui la légitime – en inversant le point de vue, puisque c’est le sujet qui justifie et accepte sa situation. Mais en creux, l’orateur sous-entend que ce consentement libre peut être rejeté à n’importe quel moment, en théorie du moins.
98En définitive, il faut retenir que l’amor, dans ce contexte, sert à adoucir les relations entre le pouvoir impérial et les cités. La notion se substitue à celle de fides et marque un attachement privilégié avec le prince régnant.
Lacrimae principis
99À plusieurs reprises dans le discours de 311, l’orateur insiste sur le fait que Constantin a versé des larmes devant le spectacle de la déchéance des Éduens. Par-delà l’aspect purement anecdotique et banal de la situation, les larmes de Constantin s’inscrivent dans une chaîne de modèles de comportement qui remonte à la plus haute Antiquité.
100L’idée qui prévaut dans ce paragraphe se fonde sur le constat que les pleurs en public ne constituent pas un acte anodin143. Si la tristesse et les larmes qui l’accompagnent existent à toutes les époques et dans toutes les sociétés, ces pleurs ne constituent pas pour autant la retranscription émotionnelle immédiate de sentiments humains intemporels. Pleurer est un acte social et culturel : on ne pleure pas n’importe où, devant n’importe qui, n’importe quand144.
101Dans le Panégyrique latin viii (5), l’orateur décrit les larmes de l’empereur aux § 7, 1 et 9, 6. Or, ces extraits ne sont pas isolés et peuvent être rapprochés de situations analogues rapportées par des sources du Haut-Empire et du ive siècle145. Celles-ci font écho aux descriptions remontant aux textes fondateurs de la culture gréco-latine, mettant en scène un chef en larmes devant un adversaire vaincu ou une cité détruite, ou encore les larmes de grands personnages de la cité dans le cadre de procès publics146.
102Ainsi, les larmes échangées en 310 lors de l’aduentus de Constantin ne relèvent pas d’une expérience unique et isolée. Elles s’insèrent dans une série de gestes intégrés à de véritables rituels politiques, dans la mesure où la situation était codifiée et réitérée dans le cadre d’une mise en scène et d’actions précises connues et partagées par chacun des acteurs147. Le schéma qui se dégage de la lecture des sources peut se résumer ainsi : une cité en crise mais florissante avant la catastrophe qui la secoue reçoit peu après la visite du prince. La vision de la cité ravagée et des habitants démunis qui le supplient en pleurant conduit l’empereur à verser à son tour des larmes148. Ces larmes signalent l’imminence du renversement de situation : la cité est aussitôt rétablie grâce aux largesses accordées.
103En posant plusieurs regards successifs sur ce passage et en tenant compte de ce qui a été dit précédemment, il est permis de décrypter le sens profond du rituel des larmes princières. Le premier point à éclaircir concerne son origine. D’après les sources, le phénomène est apparu et s’est développé à la fin du ier siècle ou au début du iie siècle de notre ère, à un moment où le régime impérial dévoilait plus qu’auparavant son essence monarchique149. D’où une certaine ambiguïté de l’interprétation à lui donner : les larmes peuvent être comprises comme la manifestation de la volonté du prince d’abolir l’éloignement et la distance vis-à-vis de ses sujets, une volonté de montrer son accessibilité et son humanité en quelque sorte. Mais a contrario, en dépit des efforts déployés pour se montrer accessible, l’empereur prouve qu’il doit inventer de nouveaux codes d’expression pour affirmer une proximité qui doit être (le bon empereur est physiquement accessible à ses sujets) mais qui n’est pas effective. La sacralisation de la personne impériale et des rituels qui l’entourent l’éloigne du modèle du magistrat républicain facilement accessible pour le simple citoyen, contraignant le princeps à entretenir des relations avec ses sujets fondées sur un mode paternaliste teinté d’affectif, caractéristique des régimes monarchiques150. Or, le principat augustéen en comportait des éléments notoires, au premier rang desquels figure le titre de pater patriae reçu en l’an 2 avant notre ère151.
104Il est possible d’envisager la question du rituel des larmes à la fois comme une pratique réelle et comme un topos littéraire fusionnant deux motifs plus anciens : celui de l’imperator pleurant devant une cité sur le point de disparaître, toujours accompagné d’une méditation sur le destin des cités, et celui des larmes échangées au sein des tribunaux entre les plaidants et les juges. Le nouveau motif ainsi créé met l’accent sur les devoirs du bon prince à l’égard des habitants des cités (considérés à la fois comme ses concitoyens mais aussi, dans une certaine mesure, comme des clients voire des sujets). En arrière-plan apparaît la nécessité impérieuse pour le pouvoir de maintenir l’existence des cités de l’Empire, la destruction d’une d’entre elles mettant en péril l’ensemble de l’édifice impérial et préfigurant la fin d’une Rome qui se veut éternelle.
105Les larmes constituent par ailleurs, aux yeux des sujets, une preuve physique et concrète des vertus du prince, de sa pietas en particulier, mais aussi de sa misericordia et de sa bonitas témoignant de son aptitude à souffrir du sort des hommes, à prendre en charge les malheurs du monde et à les abolir152. L’empereur est ébranlé (permotus), terme fréquemment employé dans ce genre de situation d’appel au secours153. Il pleure, prouvant ainsi qu’il a su garder son empathie, sa capacité à s’émouvoir et à se mettre à la place de ses sujets malgré l’étendue de ses pouvoirs. En ce sens, il adopte une attitude qui le démarque du tyran cruel, du princeps clausus.
106La lecture des sources laisse entrevoir une échelle de valeurs fondée sur l’opposition entre les larmes des habitants des cités en crise d’une part, et celles des empereurs d’autre part. Les larmes des habitants des cités sont des larmes humaines de supplication et de désespoir associées à une situation de déchéance, qui renvoient à une condition inférieure vis-à-vis de l’intercesseur auquel ils font appel. Les larmes de l’empereur, silencieuses (tacitae) et glorieuses (gloriosae), sont chargées de valeurs positives, comme celles des héros homériques154. Autre différence de nature : si les larmes du profane ne servent qu’à émouvoir et ne s’élèvent pas du sol sur lequel elles tombent, celles de l’empereur, en revanche, sont comparées, par un jeu de métaphores filées, à la pluie arrosant les terres desséchées par le soleil, à des sources abondantes, etc.155 Ce jeu d’analogies induit le lecteur à assimiler le prince à un intercesseur égal des dieux, capable de réparer les iniquités de la nature156. L’empereur apparaît à l’occasion comme la clé de voûte du cosmos dont il assure l’harmonie, à l’image de Jupiter : il supporte les malheurs du monde, il est le solacium mundi, pour reprendre l’expression de Sénèque157. Ses larmes sont par conséquent d’essence quasi divine.
107Enfin, du point de vue des habitants des cités concernées, les larmes du prince répondent aux leurs, comme cela a déjà été précisé. Mais les larmes des sujets participent aussi à une stratégie qui vise à émouvoir et à convaincre, au même titre que les mots prononcés par l’ambassadeur de la cité. La situation d’Autun trouve un écho intéressant dans un passage de Ménandre le Rhéteur consacré au πρεσβευτικòς λόγος158 :
Après un tel appel à la pitié (διὰ ταῦτα ίκετεύομεν), tu ajouteras : « C’est pourquoi nous te supplions, nous faisons appel à toi, nous tombons à tes genoux, nous brandissons les rameaux des suppliants. Considère que la voix de l’ambassadeur est celle de la cité tout entière, par laquelle enfants, femmes, hommes adultes et vieillards versent des larmes (πίπτομεν) et en appellent à ta pitié (τὰς ίκετηρίας προτείνομεν) » (trad. Jean-Luc Fournet).
108Ménandre ne présente ici que l’attitude des habitants de la cité et passe sous silence la réaction attendue de l’empereur face à cette mise en scène soigneusement orchestrée. Néanmoins, il est entendu, dès le début du texte, que cette stratégie est bonne parce que l’empereur « est miséricordieux et prend pitié de ceux qui font appel à lui » : il est accessible et susceptible d’être ému par la détresse de ses sujets.
109Ce jeu d’échange de larmes, qui correspond à ce que les anthropologues appellent une « gestualité d’incorporation159 », offre l’occasion aux membres de la cité en crise de rappeler leur attachement au prince intercesseur. Solliciter le prince revient ainsi à reconnaître sa légitimité. En retour, pour la cité, les larmes peuvent apparaître comme un premier privilège accordé, suivi de bienfaits concrets (des honneurs selon Libanios, qui emploie le verbe τιμῶ), l’ensemble devant être interprété comme une re-fondation de la cité associée à une réintégration pleine et entière à l’Empire. Les larmes du prince se chargent alors des vertus purificatoires d’un acte religieux doublé d’un acte fondateur. Précisément, la ciuitas Aeduorum a changé de nom et, partant, modifié son identité en devenant Flauia Aeduorum. Remarquons cependant que, dans tous les cas cités, Nicomédie, Autun ou Smyrne, l’empereur verse des larmes sur la mauvaise fortune de cités de premier rang (dignitas), comme si ce rang était une condition préalable pour bénéficier d’un tel privilège : Nicomédie est assimilée par Ammien Marcellin à la quinzième région de Rome ; Autun est la cité mère des Gaules fondée par Auguste160 ; Smyrne compte parmi les cités d’Asie Mineure les plus titrées et les plus considérées dans la seconde moitié du iie siècle, même si son rang seul ne justifie pas l’intervention impériale à la suite du tremblement de terre161. L’empereur pleure sur le sort de ces cités en particulier parce qu’il leur est personnellement attaché, par des liens de patronage par exemple162.
Laetitia publica
110La joie publique constitue un thème commun aux discours d’Eumène et de l’Anonyme de 311163. Il s’agit d’un sentiment qui revêt, dans la bouche de ces orateurs, une dimension politique qui dépasse largement son sens premier. La laetitia publica, le gaudium des habitants de l’Empire ne consistent pas en une simple forme de contentement béat. Ces sentiments expriment la joie populaire d’assister à un retour de l’âge d’or (aureum saeculum) et de la félicité des temps (felicitas temporum) grâce à l’action énergique des princes. Par ailleurs, ces thèmes trouvent une place privilégiée dans le cadre de célébrations marquant les anniversaires de règne ou les victoires des princes164. La felicitas et le gaudium apparaissent comme des notions particulièrement connotées idéologiquement, exploitées par les Tétrarques au moment des decennalia des Césars de 302 ou des uicennalia des Augustes de 304, année précédant l’abdication de Dioclétien et Maximien165. Ces slogans partout proclamés avaient vocation à retranscrire l’intensité et le paroxysme des festivités qui eurent alors lieu dans les résidences impériales et à Rome.
111Une réappropriation de ces thèmes est opérée par les notables éduens. La laetitia publica, le gaudium mentionnés dans les Panégyriques latins ne sont pas ceux exprimés par l’ensemble du monde romain, mais ceux des habitants de la cité dans le cadre de festivités locales témoignant du lien unique et privilégié, car personnel, rattachant la communauté au prince régnant. Cette spécificité revendiquée traverse l’ensemble des discours et ce lien d’intimité est exploité jusqu’à ses limites extrêmes : la fusion entre la cité et le prince s’exprime dans la nouvelle titulature (qui comporte le nom de la gens Flauia) ainsi que dans la confusion entretenue à dessein entre le temps civique et celui du règne du prince. Sur ce dernier point, si toutes les cités célèbrent les quinquennalia du prince à la date habituelle, les Éduens, pour leur part, ont le privilège de célébrer leur fête en l’honneur du prince. Celle-ci correspond à la date anniversaire du dies imperii suivant celle des cérémonies officielles et est présentée comme un redoublement de ces dernières166.
112L’usage fréquent des émotions et des sentiments dans la communication politique se prête à diverses interprétations. Il peut être considéré comme un refus conscient d’employer un vocabulaire technique jugé méprisant ou envisagé comme un moyen de rendre plus concrètes des procédures administratives complexes dans le cadre d’un discours cérémoniel. Enfin, il peut s’interpréter comme un moyen astucieux d’adoucir la réalité des rapports entre l’empereur et une cité, en les présentant sous un jour plus favorable pour cette dernière. Le recours aux sentiments constituait en effet un procédé efficace pour briser la distanciation entraînée par la sacralisation de plus en plus affirmée de la personne impériale. Par ailleurs, dans le cadre de rapports unilatéraux placés sous le signe de la domination, l’usage des sentiments offrait une solution commode pour présenter la situation comme étant désirée et consentie, et non pas contrainte et résignée. C’est ainsi qu’en insérant dans leurs discours des émotions et des sentiments banals en apparence, les orateurs éduens réaffirment, à un moment où les cités de l’Empire voient leurs privilèges séculaires disparaître dans la politique impériale d’homogénéisation des statuts municipaux, les prétentions de leur communauté à traiter sur un pied d’égalité avec l’empereur de Rome, conformément à la tradition et aux pratiques héritées d’Auguste et de ses successeurs du Haut-Empire.
113Au fond, l’analyse approfondie des rituels de rencontre et des sentiments exprimés à ces occasions rappelle le degré d’élaboration et de complexité de la communication entre gouvernants et gouvernés. Les différents rituels imposaient une norme de conduite à chacun des acteurs, définissant leurs rôles respectifs et renforçant au passage la connivence instaurée entre eux. Si l’accueil du prince ou l’envoi d’ambassades s’accompagnaient de paroles et de rituels d’hommages, signes patents d’une marque de sujétion, ce contact, source d’honneur pour la cité, obligeait le prince à être bienveillant à son égard en raison des marques d’allégeance et de soutien qui lui étaient adressées. En somme, ces rituels et ce recours au vocabulaire des sentiments, loin de n’être que des signes de flagornerie ou des topoi vides de sens, constituaient le dénominateur commun autorisant le dialogue entre gouvernés et gouvernants. Et comme tout dialogue, il se composait de marques de respect, de revendications, parfois de critiques.
114Au moment de jeter un regard d’ensemble sur ce qui vient d’être exposé, il semble difficile de proposer une synthèse, tant les thèmes idéologiques abordés par les orateurs éduens sont nombreux et riches. De la même manière, il convient de renoncer à toute approche systématique tant les motifs idéologiques identifiés semblent liés au contexte précis de chaque discours.
115À travers l’image du prince et du métier d’empereur, les orateurs éduens décrivent par touches successives un portrait du prince idéal, conçu comme un monarque tout-puissant d’essence divine, capable de restaurer le monde et de relever les cités en s’affranchissant des contraintes du temps et de l’espace. En clair, ils dépeignent l’image d’un modèle de gouvernement envisagé comme un idéal incarné, qui aurait vocation à servir de modèle de comportement aux contemporains et aux générations futures.
116L’étude des rituels attachés aux rencontres entre le prince et la cité a permis d’établir la dimension éminemment politique de cérémonies qui pourraient paraître de prime abord comme de simples actes de routine ou de simples descriptions transparentes dans des textes littéraires. On touche ici à un élément fondamental du contenu et du message profond de ces discours imprégnés de rhétorique épidictique. Car sans nier la part de flatterie inhérente à tout discours d’éloge, il faut admettre, dans le cadre de cette rhétorique de la « diplomatie interne », que l’éloge ne se réduit pas à cette seule dimension. Il serait vain, dans les discours de ces délégués municipaux, de trouver un éloge du prince en bonne et due forme, un βασιλικòς λόγος qui suivrait, rubrique après rubrique, les préceptes énoncés par des théoriciens comme Ménandre. En réalité, comme l’a démontré Laurent Pernot pour d’autres sources, les différents éléments de l’éloge du prince disséminés dans les discours fonctionnent comme un arsenal de preuves placées au service d’une démonstration visant à convaincre le laudandus. Dans le cas d’Eumène, il s’agit de faire aboutir favorablement une pétition visant à persuader du bien-fondé de son entreprise de reconstruction du bâtiment des écoles de la cité. Dans celui de l’Anonyme de 311, il s’agit de remercier le prince de l’octroi de privilèges fiscaux de premier ordre, mais aussi et surtout de les justifier devant les délégués des autres cités d’Occident alors présents dans l’auditoire. Autrement dit, dans les deux situations, l’éloge sert à appuyer une requête.
117Résumons donc : l’image élogieuse du prince et de sa politique que renvoient les orateurs éduens aux Tétrarques, à Constance et à Constantin vise autant à les flatter, à les placer dans de bonnes dispositions à l’égard de leur communauté qu’à les convaincre d’accroître et de défendre plus encore ces intérêts mêmes. Mais il semble permis de pousser l’analyse plus loin encore. En effet, l’éloge du prince et de sa politique, dans ces deux discours, entre dans une logique comparable à celle rencontrée dans les « miroirs au prince » médiévaux : l’éloge, en présentant le pouvoir dans sa perfection incarnée, flatte et amadoue le destinataire, laissant ainsi le champ libre aux sous-entendus, aux suggestions, aux conseils et, pourquoi pas, aux critiques voilées. Cette manière de procéder s’avérait la mieux adaptée à un système politique non démocratique – ce qu’était la monarchie impériale, fondée sur le principe de la transcendance du pouvoir –, qui n’autorisait de fait ni la critique franche ni l’énonciation directe de l’attitude à adopter. Il faut donc admettre que, dans ces discours, l’éloge revêt une valeur exhortative au point de devenir lui-même conseil, ce que Laurent Pernot a appelé la valeur parénétique de l’éloge.
118Appliquées à ces discours, ces observations signifient que le message adressé au pouvoir n’était pas apolitique, même s’il passait par des voies détournées. Car l’éloge, à travers la description de l’idéal énoncé, dessinait les contours d’un programme politique « à mi-chemin entre la supplique et le cahier des charges167 », suggérant ainsi à l’empereur une norme de comportement à laquelle il était contraint de se conformer s’il souhaitait correspondre à cet idéal. En définitive, Eumène et ses pairs, avec beaucoup d’élégance et de subtilité, ont su adresser au pouvoir impérial un message au contenu éminemment politique.
Notes de bas de page
1 Christol, « Le mener d’empereur », p. 355-368. Le métier d’empereur, dans les discours des panégyristes des années 290-300, consiste principalement à défendre les frontières et à faire la guerre. Ces éléments, sans être absents dans des discours des orateurs éduens, sont relégués au second plan, dans une moindre mesure il est vrai, chez Eumène, qui consacre à ce thème plusieurs passages (§18, 3-4 et 21, 1-3) et fait des mentions éparses aux guerres et à la figure de l’empereur combattant (§ 4, 3 ; 5, 4 ; 8, 2 ; 10, 2 ; 19, 2 et 20, 2). Pour une première approche de ces thèmes : Mause, Die Darstellung des Kaisers, a étudié dans les Panégyriques latins l’image de l’empereur en temps de guerre (p. 183-204) et en temps de paix (p. 163-182, en particulier les passages consacrés à la restauration d’Autun, p. 165-170).
2 Il s’agit d’un reproche que l’on peut adresser, dans une certaine mesure, à L’Huiller, L’Empire des mots. L’auteur, dont l’analyse privilégie une approche sérielle et linguistique des textes, n’a pas toujours contextualisé le contenu même des discours, tendant à placer sur le même plan une vertu impériale attribuée à un empereur du iiie siècle ou à un prince du ive siècle. La nature des discours (discours d’apparat ou discours d’ambassadeur de cité) n’est pas suffisamment prise en compte non plus.
3 Sabbah, « De la rhétorique à la communication politique », p. 363-388.
4 Sur les correspondances entre les thèmes idéologiques apparaissant dans les textes officiels et ceux présents sur les revers monétaires : M. Christol, « Panégyrique et revers monétaire : l’empereur, Rome et les provinciaux à la fin du iiie siècle », DHA, 2 (1976), p. 421-434, 442-442-443 ; id., « Littérature et numismatique : l’avènement de Dioclétien et la théologie du pouvoir impérial dans les dernières décennies du iiie siècle », dans Mélanges de numismatique, d’archéologie et d’histoire offerts à Jean Lafaurie, Bastien P., Dumas F., Huvelin H., Morisson C. éd., Paris, 1980, p. 83-91 ; id., « La piété », p. 219-231. Voir aussi C. Perassi, « ideologia e prassi imperiali : Panegyrici Latini, monete e medaglioni », dans xii. Internationaler Numismatischer Kongress, Berlin 1997. Akten-Proceeding, ii, Kluge B., Weisser B. éd., Berlin, 2000, p. 830-839 ; A. Hostein, « Panégyrique et revers monétaire. L’amplexus entre la cité et l’empereur », Hypothèses 2002. Travaux de l’École doctorale d’Histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne (2003), p. 249-260 ; W. Weiser, « Die Tetrarchie – ein neues Regierungssystem und seine mediale Präsentation auf Münzen und Médaillons », dans Die Tetrarchie, p. 205-227.
5 Rees, Layers of Loyalty ; L’Huiller, op. cit. ; Sabbah, art. cit., p. 363-388 ; MacCormack, « Latin Prose Panegyrics », p. 143-205.
6 Pour une analyse détaillée de ce rétablissement, voir supra, chapitre 4.
7 Les termes soulignant la sacralité de la fonction impériale sont les suivants : dans le Panégyrique latin v(8) : cognitionum sacrarum (§ 5, 4) ; ab arcanis sacrorum penetralium (§ 6, 2) ; cum laude sacrae largitiones (§ 11, 1) ; sacrae memoriae magister (§ 11, 2) ; epistula sacra (§ 13, 1) ; sacrae litterae (§ 16, 4) ; sacras aures (§ 21, 4). Dans le même discours, les références à la notion de diuinitas : diuina mens Caesaris (§ 6, 4) ; diuina intellegentia mentis aeternae (§ 8, 2) ; diuina principum liberalitas (§ 3, 2) ; diuinae imperatorum caesarumque nostrorum prouidentiae (§ 4, 1) ; caelestia tamen uerba et diuina sensaprincipumprolocutam (§ 6, 3) ; mens diuina sapientiam (§ 10, 1) ; uerba illa diuina caelestesque litteras (§ 13, 1) ; diuinae benignitatis inlecebris (§ 15, 5) ; diuina haec testimonia (§ 16, 1) ; ut uoluntas eorum ad diuinam tantorum principum scientiam perferatur (§ 21, 4). Dans le Panégyrique latin viii(5) : sacratissime imperator (§ 1, 1 ; 1, 3 et 2, 2) ; diuina mens (§ 10, 2) ; O diuinam, imperator, tuam in sananda ciuitate medicinam (§ 11, 5) ; uoce diuina porrectaque hac inuicta dextera subleuasti (§ 1, 3). Claude II et Constance Ier sont par ailleurs qualifiés, comme attendu, de diui par l’Anonyme de 311 aux § 2, 5 et 4, 2 (Claude II), et 4, 4 (Constance Ier). Sur ces épithètes : J. Béranger, « L’expression de la divinité dans les Panégyriques Latins », MH, 27 (1970) [Festschrift für Harald Fuchs], p. 242-254 (repris dans Principatus. Études de notions et d’histoire politiques dans l’Antiquité gréco-romaine, Genève, 1973, p. 429-444).
8 Voir à ce sujet les réflexions de Drew Bear, Eck, Herrmann, « Sacrae Litterae », p. 355-383, et de Chastagnol, « Le formulaire », p. 15-65.
9 M.-H. Quet, « Conseils de Ménandre le Rhéteur pour l’élaboration d’un ‘discours du prince’, à la fin du iiie siècle », dans L’éloge du prince, p. 81-89, en particulier p. 81-82.
10 La documentation du Haut-Empire est traitée par Drew Bear, Eck, Herrmann, art. cit., p. 355-383. Voir aussi l’analyse de Pflaum, Carrières, 2, p. 490-492, sur les origines et les évolutions du titre de sacratissimus imperator entre le règne de Domitien et le ive siècle.
11 Voir Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 145-160 et 676 ; Chastagnol, art. cit., p. 11-12 et 64.
12 Dans l’idéologie de la Tétrarchie, Dioclétien avait mis en avant des conceptions collégiales de gouvernement, garanties par un collège de princes joviens et herculéens, membres de la même domus diuina et dont la mission était de garantir l’intégrité de l’Empire. Sur ces faits bien connus, voir Seston, Dioclétien et la tétrarchie, p. 211-257 ; id., « Jouius et Herculius ou “l’épiphanie” des Tétrarques », Historia, 1 (1950), p. 257-266 ; Kolb, Diocletian und die Erste Tetrarchie, p. 22-67 et 88-114 en particulier ; Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 192-195 ; Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 145-160 ; Kolb, Herrscherideologie, p. 35-37 et 161-171 (Joviens et Herculéens), p. 54-58 (synthèse sur l’idéologie tétrarchique) ; P. Brosch, « Zur Präsentation der Tetrarchie in den Panegyrici Latini », dans Die Tetrarchie, p. 83-102. La meilleure étude à ce jour de l’idéologie tétrarchique telle qu’elle apparaît dans les Panégyriques latins ii(10), iii(l 1), iv(8) et v(9), d’époque dyarchique et de la première Tétrarchie, est celle de Rees, op. cit. (compte rendu détaillé dans Hostein, « Le corpus des Panegyrici Latini », p. 378-383).
13 En Orient, dans les sources rhétoriques de langue grecque, l’empereur Dioclétien est comparé à Zeus : par exemple chez Mén. Rh., Traité ii, 370, 12-28 et 422, 20-24 ; dans le discours conservé dans le P. Oxy. 4352, parfois attribué à Soterichos (PLRE, i, Soterichos 1, p. 850), rhéteur familier de Dioclétien (Corcoran, The Empire of the Tetrarchs, p. 93). Ce papyrus a été récemment analysé par D. Gigli Piccardi, « Antinoo, Antinoupolis e Diocleziano (P. Oxy. 4352 fr. 5 ii) », ZPE, 139 (2002), p. 55-60, et par Agosti, « P. Oxy. 4352, fr. 5. ii. 18-39 (Encomio a Diocleziano) », p. 51-58. Dioclétien est également assimilé à Zeus dans un extrait du Corpus Hermeticum (Traité xviii dans l’éd./trad. A. J. Festigière, CUF, t. 2, p. 243-255) analysé par L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, 1, p. 77, 104 ; 2, p. 470, 752 et 756. Sur les empereurs Dioclétien et Maximien considérés comme des diis geniti et deorum creatores : U. Huttner, « Der Kaiser als Garant sakraler Kontinuitat. Überlegungen zu CIL iii 709 », ZPE, 146 (2004), p. 193-201.
14 Sur les dieux qualifiés de comes des empereurs à partir de Commode : Fishwick, The Imperial Cult in the Latin West, 2-1, p. 455-474, en particulier p. 469 (« Augustan Blessing and Virtues »). Sur Apollon-Sol, comes de Constantin, et sur l’importance de ce changement de divinité tutélaire dans la politique de Constantin : J. Straub, Vom Herrscherideal in der Spätantike, Stuttgart, 1939, p. 129-134 ; R. Turcan, « Images solaires dans le Panégyrique vi », dans Hommages à Jean Bayet, Renart M., Schilling R. éd., Bruxelles, 1964 (coll. Latomus, 70), p. 697-706 ; C. Castello, « Il pensiero politico-religioso di Costantino alla luce dei panegirici », AARC, i (1975), p. 49-117 ; B. S. Rodgers, « Constantine’s Pagan Vision », Byzantion, 50 (1980), p. 259-278 (l’auteur défend l’idée que le choix d’Apollon comme comes n’était pas anodin mais motivé par l’idée d’une imitatio Augusti, dont Apollon avait été le dieu protecteur et l’allié indispensable au moment de la bataille décisive d’Actium) ; ead. « Divine Insinuation in the Panegyrici Latini », Historia, 35-1 (1986), p. 69-104 ; ead., « The Metamorphosis of Constantine », CQ, 39 (1989), p. 233-246 ; S. Berrens, Sonnenkult und Kaisertum von den Severern bis zu Constantin I. (193-337 n. Chr.), Stuttgart, 2004 (Historia Einzelschriften, 185) ; I. Tantillo, « L’impero della luce ; riflessioni su Costantino e il Sole », MÉFRA 115-2 (2003), p. 985-1048 ; M. Bergmann, « Konstantin und der Sonnengott. Die Aussagen der Bildzeugnisse », dans Konstantin der Grosse. Geschichte, Archäologie, Rezeption, Demandt A., Engermann J. éd., Trêves, 2006, p. 143-161.
15 Les empereurs, dans le discours d’Eumène en particulier, sont souvent comparés à des dieux : Eumène évoque les Joviens et les Herculéens qui permettent, comme Saturne, un retour à l’âge d’or (§ 18, 5) ; l’empereur, assimilé à Jupiter (§ 15, 3), est capable par son autorité de réconcilier les divinités de la paix et de la guerre (§ 19, 3-4). Dans le discours de 311 (Panégyrique latin viii(5), 14, 4), Constantin est accompagné du dieu Apollon, son protecteur et allié (comes).
16 Sur l’empereur κοσμοχράτωρ, Kolb, op. cit., p. 158-162, observations fondées sur l’analyse de la scène de restitutio figurant sur l’arc de Galère de Thessalonique. Sur cet arc triomphal, H. P. Laubscher, Der Reliefichmuck des Galeriusbogens in Thessaloniki, Berlin, 1975. La scène de restitutio se trouve sur la pile B, côté nord-est (frise B, ii, 21 ; pl. 58-60).
17 L’idée que les empereurs interrompent le vieillissement et le déclin du monde demeure omniprésente dans le discours d’Eumène ainsi que sur les inscriptions relatives aux constructions publiques, dès les époques flavienne et surtout antonine. À l’époque tardive, le thème devient plus présent et sa formulation épigraphique se charge de fleurs de rhétorique. Sur la uetustas dans les inscriptions : Hamdoune, « La uetustas », p. 251-279, à compléter avec E. Thomas, C. Witschel, « Claim and Reality of Roman Rebuilding Inscriptions from the Latin West », PBSR, 60 (1992), p. 135-177, et les discussions suscitées par cet article dans G. C. Fagan, « The Reliability of Roman Rebuilding Inscriptions », PBSR, 64 (1996), p. 81-93. Parallèles intéressants de formules épigraphiques déplorant les injures du temps dans Chastagnol, art. cit., p. 58-60.
18 Sur la celeritas du prince : M. Lolli, « La celeritasprincipis fra tattica militare e necessità politica nei Panegyrici Latini », Latomus, 58-3 (1999), p. 620-625.
19 Le mythe d’Amphion est évoqué dans le texte d’une épigramme du milieu du iiie siècle commémorant la reconstruction de la muraille d’Athènes (IG, ii-iii [ed. min.] 3.1 n° 5199) : Ἀμφίων μούσαις κιθάρης ἔστης ἐπὶ Θήβης / τείχεα. Νῦν ἐπ’ ἐμᾶς πατρίδος Ἰλλυριός / ἁδύλογον μοῦσαν μεθέπων. τῷ καὶ δοκέουσι / ἂκμητες ῤἐζειν πείρατα πάντα τέχνας. « Tu as, Amphion, par le chant de ta cithare, établi les murs de Thèbes. Mais aujourd’hui, pour ma patrie, c’est Illyrios qui courtise la muse aux douces paroles. C’est pourquoi à ceux qui ont atteint le faîte de leur art aucune limite ne semble imposée » (trad. X. Loriot, D. Nony, La crise de l’Empire romain (235-285), Paris, 1997, p. 150). Les deux témoignages, proches dans le temps, attestent de l’existence d’une koiné culturelle qui permettait aux élites d’Autun et d’Athènes d’avoir recours à une même image pour évoquer la reconstruction d’un monument civique. Le mythe d’Amphion est employé dans un contexte similaire par Aelius Aristide dans son Panégyrique de Cyzique (Or. xxvii, 31) et par Men. Rh., ii, 392, 19-21 ; 443, 6-8 et 445, 7-8. Sur le thème de la politique comme musique, très exploité par les rhéteurs de la Seconde sophistique : M.-H. Quet, « Éloge par Aelius Aristide des co-empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus, à l’issue de la guerre contre les Parthes », JS (janvierjuin 2002), n. 92-96, p. 95.
20 Par exemple, dans le Panégyrique latin v(9), Eumène précise qu’une simple parole du prince suffit à faire surgir la cité de ses ruines (§ 15, 1), à l’image de ce que fit Amphion à Thèbes (§ 15, 2) ou des décisions du roi des dieux, Jupiter (§ 15, 3), dont un simple geste ébranle le monde. Dans le Panégyrique latin vm(5), § 10, les larmes du prince sont comparées à des sources abondantes et bienfaisantes afin de souligner que son corps fonctionne en symbiose avec le κόσμος : A. Hostein, « Lacrimaeprincipis », p. 211-234.
21 Cette conception reflète un élément traditionnel de l’idéologie officielle, élément repris par les auteurs chrétiens. Voir F. Monfrin, « Contraindre et convaincre ; le rôle du prince selon Constantin et Eusèbe de Césarée », dans Images et représentations du pouvoir, p. 81-90.
22 Sur l’idée selon laquelle l’empereur tient sur terre la place de Jupiter dans les deux, M.-H. Quet, « À l’imitation de Zeus, Antonin le Pieux, garant de l’ordre mondial et de la concorde sociale, d’après le témoignage d’Aelius Aristide », dans Images et représentations du pouvoir, p. 199-209 ; E Kolb, « Praesens Deus : Kaiser und Gott unter der Tetrarchie », dans Diokletian unddie Tetrarchie, p. 27-37.
23 J. R. Fears, Princeps a diis electus. The Divine Election of the Emperor as a Political Concept at Rome, Rome, 1977 (Papers and Monographs of the American Academy in Rome, 26).
24 Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 153-154 ; G. Dareggi, « Manifestazioni ideologiche e formali del centralismo in età tetrarchica », AARC, xiii (2001), p. 45-62 (en particulier p. 58 et suiv.) ; Rees, op. cit., p. 113. Assurément, Dioclétien a tenté d’élaborer un système politique fondé sur une forme de légitimation arithmétique du pouvoir, en mettant les nombres au service de la destinée impériale, pour paraphraser une formule de Jean-Michel Carrié. Derrière ces principes arithmétiques apparaît l’idée que les empereurs garantissent l’équilibre cosmique par leur concordia et leur similitudo : Kolb, Herrscherideologie, p. 32-34 et 149.
25 Eumène consacre de longs développements (§ 18 et 21) à l’idée d’un retour à la civilisation après des années de ténèbres. Sur le ton de l’épopée, l’orateur fait du prince un héros vainqueur des barbares et les sortant de leur état de sauvagerie (§ 21). Rien de cela ne figure dans le discours de 311. Si elle n’est pas décrite comme telle, l’idée demeure cependant présente à travers la structure du discours (voir supra, chapitre 2), fondé sur le contraste entre le passé – caractérisé par la ruine du territoire rural retourné à l’état monstrueux de nature – et le rétablissement immédiat qui s’opère au moment de la venue du prince. Ces conceptions sont particulièrement révélatrices d’une idée structurante de l’idéologie des habitants des cités : P. Gros, « La ville comme symbole. Le modèle central et ses limites », dans Histoire de la civilisation romaine, Inglebert H. éd., Paris, 2005 (coll. Nouvelle Clio), p. 155-232 (en particulier p. 157).
26 Les métaphores liées au thème de la navigation et/ou de l’océan sont fréquemment employées dans l’idéologie tétrarchique, comme le souligne Rees, op. cit., p. 115-117, dans son analyse du Panégyrique latin iv(8). Le préambule de l’Édit sur les Prix de 301 en offre un bon exemple : Fortunam rei publicae nostrae [...] gratulari licet tranquillo orbis statu et in gremio altissimae quietis locato, etiam pacis bonis, propter quam sudore largo laboratum est, disponi fideliter adque ornari decenter honestum publicum et Romana dignitas maiestasque desiderant [...] ut nos [...] in aeternum fundatam quietem debitis iustitiae munimentis saepiamus (éd. M. Giacchero, p. 134-137). Les rédacteurs ont repris des thèmes traditionnels de l’idéologie impériale afin de souligner que la quies dans laquelle se trouvait l’Empire au moment de la rédaction de l’édit était directement liée à l’action politique menée par les princes, capables de conduire partout le navire de l’État. Commentaire de ce célèbre morceau d’éloquence officielle dans Corcoran, op. cit., p. 207-213 ; Christol, « La piété », p. 231 ; id., L’Empire romain du iiie siècle, p. 209-210. L’idée remonte à Tibère, prince qui avait fait apparaître sur des revers monétaires un gouvernail associé au globe, symbole de l’orbis (par exemple RIC, i2, 58). La même image du navire dans la tempête apparaît dans le βασιλικòς λόγος longtemps attribué à Aelius Aristide, mais qui s’avère être une œuvre anonyme du iiie siècle adressée certainement à Philippe l’Arabe (244-249) : Pernot, Éloges grecs de Rome, p. 146-147.
27 Le thème de la lumière apparaît dans le Panégyrique latin v(8), 18, 3 (la lumière de Rome réapparaît en Bretagne), ainsi que dans le Panégyrique latin viii(5), 7, 6 (la venue de l’empereur apporte une lumière bienfaisante) et 14, 3, dans un sens différent (retour des provinciaux affligés par le poids des impôts à la lumière après le bienfait impérial). Sur cette image particulièrement exploitée par les Tétrarques, voir Rees, op. cit., p. 81-83, 107, 115-117 ; Kolb, op. cit., p. 41. Le thème apparaît également dans un éloge adressé à Dioclétien et certainement contemporain, conservé sur un papyrus découvert en Égypte (P. Oxy. 4352), commenté par G. Agosti, art. cit., p. 55-56, et sur une inscription crétoise contemporaine, mise au jour à Gortyne : Orbis sui / claris luminibus / Diocletiano et / Maximiano / Inuictis Augustis / Aglaus / proconsule (AE, 1933, 101 = 1934, 259 ; I. Cret., iv, 281).
28 Le thème de la lumière est indissociable de la victoire de Constance sur les usurpateurs bretons. L’auteur du Panégyrique latin iv(8) y fait référence deux fois, § 10, 1 et 19, 2, et l’image trouve une illustration éclatante sur le revers d’un multiple d’aureus du trésor de Beaurains dit d’Arras : RIC, 34 (Trèves) ; Bastien, Metzger, Le trésor de Beaurains, n° 218. L’essentiel de la bibliographie est donné par Christol, art. cit., p. 223, qui livre à la même occasion un commentaire original du message délivré par cette image, proposant de dater l’émission de l’année des decennalia des Césars (302). Le thème fut repris et exploité à peine deux décennies plus tard par Constantin dans un contexte analogue, comme l’attestent des inscriptions découvertes à Cirta (Constantine), ville rétablie par ses soins après un grave moment de crise (révolte de Domitius Alexander, puis reprise en main vigoureuse par Maxence). L’inscription est dédiée à Constantin (CIL, viii, 7006 = ILS, 688 ; ILAlg, ii-1, 582, et CIL, viii, 7007 = ILAlg, ii-1, 583) : Triumphatori omnium gentium ac domitori uniuersarum factionum [---] libertatem tenebris seruitutis oppressam sua felici uictoria noua luce inluminauit, Domino Nostro Flauio Valerio Constantino...
29 La domestication des barbares est devenue un thème clé de l’idéologie impériale, particulièrement après la crise du iiie siècle. Propagée par les Tétrarques, elle fut reprise par les fils de Constantin. Elle apparaît particulièrement détaillée dans les Panégyriques latins (en particulier dans le Panégyrique latin iv(8), 9, 1-3 et 21, 1-2), ou encore sur le médaillon de plomb, épreuve d’un multiple d’aureus, découvert à Lyon : P. Bastien, « Le médaillon de plomb de Lyon », dans Numismatique romaine. Essais, recherches et documents, 18, Wetteren, 1989, p. 3-45, analysé récemment par Christol, op. cit., p. 194. Elle trouve son expression iconographique la plus aboutie sur les revers de bronzes émis en abondance dans l’ensemble des ateliers impériaux par les fils de Constantin, en 348-350. S’y trouve représenté un barbare extrait d’une hutte par le prince en armes, métaphore signifiant l’arrachement à l’état de barbarie et l’accès à la civilisation. Cette image s’accompagne de la légende Fel(icium) Temp(orum) Reparat(io) : RIC, 220-225 (Trèves) ; 84-89 (Lyon) ; 104-108 (Arles) ; 137-140 (Rome) ; 100-106 (Aquilée) ; 212-222 (Siscia) ; 117-121 (Thessalonique) ; 64 ; 70-71 ; 73-74 ; 76-78 (Héraclée) ; 85-86 ; 88 ; 91-92 (Constantinople) ; 69-70 ; 72 (Nicomédie) ; 72 ; 77-78 ; 81 ; 85 (Cyzique) ; 126 et 128 (Antioche) ; 58-68 (Alexandrie).
30 Sur le thème du retour à la fécondité, propagé par les empereurs de la Tétrarchie afin de signifier le sentiment d’un renouveau, voir Kolb, Diocletian und die Erste Tetrarchie, p. 80, 84-85, 113-113-114 ; Christol, op. cit., p. 208-210. L’empereur Julien est présenté dans le texte d’une inscription comme un prince dont le règne apporte l’ubertas (AE, 1916, 11). La notion est étudiée en détail par A. Arnaldi, « Il motivo dell uberitas (ubertas) Augusti nella monetazione tardo-imperiale », RIN, 81 (1979), p. 115-126.
31 Le retour à l’âge d’or constitue un thème idéologique obsessionnel pour les empereurs de l’Antiquité tardive. Eumène s’étend longuement dessus dans le paragraphe 18 de son discours. Si l’expression aurea saecula n’apparaît pas dans le Panégyrique latin viii(5), le thème demeure présent de manière indirecte aux paragraphes 10 et 13. Les expressions employées par les orateurs trouvent de très nombreux parallèles directs dans le formulaire des inscriptions contemporaines, de la fin du iiie siècle et du ive siècle. Sur ce thème, lié à celui de la fécondité et de l’abondance, voir les références citées supra, en particulier Christol, op. cit., p. 208-210. Lire également O. Nicholson, « The Wild Man of theTetrarchy : a Divine Companion for the Emperor Galerius », Byzantion, 54 (1984), p. 253-275, en particulier p. 266, sur l’usage qui est fait de ce thème par les Tétrarques ; M. Mause, « Salve nove saeculi spes sperata. Der Topos des aureum saeculum in der lateinischen Panegyrik am Beispiel der Lobrede des Claudius Mamertinus auf Julian », Der Altsprachliche Unterricht. Latein, Griechisch, 43 (2000), p. 48-50. D. Gigli Piccardi, art. cit., p. 60, et Agosti, art. cit., p. 52, n. 8, étudient le thème du retour à l’âge d’or dans un éloge de Dioclétien conservé dans P. Oxy. 4352 et daté probablement de l’année 298 (ibid., p. 56-58).
32 La securitas est une notion particulièrement exploitée par les deux premiers Flaviens, Vespasien puis Titus, associée à l’empereur ou au peuple romain (securitas Augusti ou populi Romani).Voir RIC, 22a ; 412 ; 479 ; 500 ; 744 ; 782 (Vespasien) ; 82 ; 117-119 ; 172 (Titus). La notion réapparaît ensuite sur le monnayage d’Antonin le Pieux (RIC, 641 ; 671 ; 690 ; 786 ; 828), de Marc Aurèle (RIC, 1083-1088) et de Commode (RIC, 23-24 et 38). Voir à ce propos W. C. Philips, « Numismatic Typology of Antoninus Pius », SAN, 1 (1969-1970), p. 18-19. Elle est courante dans le formulaire des inscriptions tardives : Chastagnol, art. cit., p. 21-23.
33 RGDA, 3 (éd./trad. J. Scheid, CUF) : Bella terra et mari ciuilia externaque tot in orbe terrarum saepe gessi uictorque omnibus ueniam petentibus ciuibus peperci. La formule est condensée dans le texte de l’inscription monumentale découverte à Nicopolis, ville fondée par Auguste pour commémorer la victoire d’Actium (AE, 1928, 15 = 1937, 114 ; 1977, 778 ; 1992, 1534 ; 1999, 1448) : pace parta terra [manque]. L’inscription appartenait à ce qu’il est convenu désormais d’appeler le monument commémoratif de la bataille d’Actium, étudié en détail par W. M. Murray, P. Petsas, Octavian’s Campsite Memorialfor the Action War, Philadelphie, 1989, essai qu’il faut mettre à jour avec l’article de K. Zachos, « The tropaeum of Augustus at Nikopolis », JRA, 16 (2003), p. 64-92, ainsi qu’avec les commentaires de John Scheid disséminés dans l’édition de la CUF mentionnée supra.
34 L’interprétation ici proposée se trouve confortée par les analyses de Rees, op. cit., qui a bien mis en évidence les procédés rhétoriques et idéologiques ainsi que la grande habileté déployée par les panégyristes pour justifier la collégialité tétrarchique, tout en mettant l’accent sur l’œuvre du prince chargé d’administrer les provinces auxquelles les orateurs étaient rattachés par leurs origines. Voir aussi nos remarques dans Hostein, « Le corpus des Panegyrici Latini », p. 380-381. Dans les années qui virent l’éclatement du système tétrarchique (entre 306 et 312), les héritiers de Dioclétien n’hésitèrent plus, en revanche, à se comparer à de grands personnages mythologiques ou historiques, afin de se distinguer des autres prétendants et d’affirmer ainsi leur personnalité et leur politique. On trouvera une analyse de plusieurs de ces thèmes dans S. Dusanić, « Imitator Alexandri and redditor libertatis. Two Controversial Themes of Galerius Political Propaganda », dans The Age of the Tetrarchs, p. 76-97. Notons aussi, pour finir, que ce souci et cette obligation de conformité avec l’idéologie de Dioclétien expliqueraient l’absence de références aux liens familiaux entre Constance et son arrière-grand-oncle, Claude II, désormais établis par F. Chausson, « La généalogie du prince dans la pratique de l’éloge impérial aux iiie-vie siècles », dans L’éloge du prince, p. 105-123 (repris et détaillé dans id., Stemmata aurea. Revendications généalogiques et idéologie impériale au ive siècle, Paris, 2007, p. 93-95).
35 Le titre de restitutor orbis apparaît à de nombreuses reprises durant le iiie siècle sur des revers monétaires ou sur les inscriptions. Il peut être décliné selon diverses manières : conditor orbis, restaurator orbis, etc. Le thème a été particulièrement exploité par Aurélien et ses successeurs, notamment par Probus, dont on connaît l’influence sur Dioclétien, ancien membre de son étatmajor. Pour les Tétrarques, Chastagnol, art. cit., p. 19-23, en particulier p. 21-22, a relevé de nombreuses occurrences épigraphiques du motif, commentées en détail par N. Baglivi, « Da Diocleziano a Costantino : un punto di riferimento ‘storiografico’ in alcune interpretazioni tardoantiche », Orpheus, 12 (1991), p. 429-491 (en particulier p. 431 et suiv.).
36 Si les orateurs éduens s’inspirent largement, d’un point de vue formel, des œuvre de Cicéron ou d’autres auteurs de la République, rares sont les exempla qui renvoient explicitement à cette époque. Chez Eumène, seule l’œuvre de Fuluius Nobilior est rappelée au § 7, 3 (commentaire dans Hostein, « Un exemplum historique dans le discours d’Eumène », p. 201-210) ; dans le discours de 311, une seule et unique mention à Caton (§ 13, 3). Quant au fondateur du Principat, il apparaît comme le grand absent, ce qui peut surprendre dans des discours émanant d’une cité qu’il avait fondée ex nihilo et dont le nom, Augustodunum, conservait le souvenir. Cette absence doit être mise sur le compte de l’idéologie tétrarchique, qui privilégiait la dimension collégiale et hiérarchique entre les quatre empereurs au pouvoir. Trop insister sur la figure d’Auguste, princeps absolu ayant éliminé tous ses collègues triumvirs, aurait peut-être été perçu comme une apologie du pouvoir d’un seul dans un contexte peu favorable.
37 Réflexions essentielles sur la fonction de l’exemplum dans l’Antiquité et sur son intérêt pour les historiens dans MÉFRM, 92-1 (1980), p. 7-179 [Rhétorique et histoire : l’exemplum et le modèle de comportement dans le discours antique et médiéval », Berlioz J., David J.-M. éd.], en particulier J.-M. David, « Présentation », p. 9-14 ; J. Berlioz, J.-M. David, « Introduction bibliographique », p. 15-23. Sur les exempla dans les sources tardives : A. Felmy, Die Römische Republik im Geschichtsbild der Spätantike. Zum Umgang Lateinischer Autoren des 4. und 5. Jahrhunderts n. chr. mit den exempla maiorum, Fribourg-en-Brisgau, 2001 ; C. E. V. Nixon, « The Use of the Past by the Gallic Panegirists », dans Reading the Past in Late Antiquity, Clarke G. éd., Canberra, 1991, p. 1-36. Sur les références historiques que l’on peut relever dans les Panégyriques latins : W. Portmann, Geschichte in der spätantiken Panegyrik, Francfort-sur-le-Main, 1988 (p. 28-30 sur le discours d’Eumène, p. 34-36 sur celui de 311 et p. 205-212 pour la conclusion). La rareté des exempla relatifs à l’époque républicaine s’explique par le fait que les orateurs éduens, issus des milieux provinciaux, y étaient moins attachés que ne l’auraient été des sénateurs à Rome. Par ailleurs, la décentralisation du pouvoir impérial, désormais établi aux frontières, et son éloignement de l’Vrbs ont pu favoriser la création d’une culture rhétorique propre aux élites provinciales, moins traditionalistes que les milieux sénatoriaux de Rome. Sur ce point, E. Mayer, Rom ist dort, wo der Kaiser ist. Untersuchungen zu den Staatsdenkmälern des dezentralisierten Reiches von Diocletian bis zu Theodosius II, Mayence, 2002, p. 4-27, dans la partie consacrée à la Genese eines neuen panegyrischen Milieus, en particulier p. 22. Voir en dernier lieu Hostein, « Un exemplum historique dans le discours d’Eumène », p. 201-210.
38 Les milieux sénatoriaux de Rome demeuraient très traditionalistes et attachés au système du Principat, fondé sur le compromis augustéen et le maintien de règles institutionnelles directement héritées de la République. Par ailleurs, dans le cadre d’une étude sur l’image du prince, il faut bien tenir compte du type de source et du contexte documentaire. Le genre historique, héritier de la République et marqué par les œuvre de grandes autorités littéraires comme Tacite ou Suétone, induisait de facto, même chez les continuateurs tardifs ou les abréviateurs, des topiques et des passages obligés montrant combien l’attitude des empereurs contemporains s’inscrivait dans la geste et la tradition des princes du Haut-Empire.
39 On retiendra, parmi les travaux consacrés aux éloges du prince par des auteurs de la Seconde sophistique, Pernot, Éloges grecs de Rome, p. 29-56, 123-138 ; M.-H. Quet, « Éloge par Aelius Aristide des co-empereurs Marc Aurèle et Lucius Vérus, à l’issue de la guerre contre les Parthes », JS, (janvier-juin 2002), p. 86-101. Les Traités i et ii de Ménandre témoignent de cette évolution et consacrent définitivement l’image d’un empereur-roi, ancrée profondément dans les mentalités des hommes des cités hellénophones à la fin du iiie siècle, mais aussi chez les notables latinophones, comme on peut le mesurer à la lecture des discours d’Eumène et de ses pairs. De ce point de vue, il faut reconnaître l’importance des transferts culturels et admettre que les modèles rhétoriques et idéologiques grecs ont exercé une forte influence sur les élites municipales cultivées d’Occident aux iie et iiie siècles.
40 Point souligné par Pernot, La rhétorique de l’éloge, 1, p. 191-202.
41 Il n’existe pas d’ouvrage de synthèse sur les tyché, sur les représentations de cité. On doit se reporter aux études de cas, notamment les études des tychés présentes au revers de monnaies frappées par la cité ou encore les statues connues par différentes sources. B. Cabouret, « Pouvoir municipal, pouvoir impérial à Antioche au ive siècle », dans Antioche de Syrie. Histoire, images et traces de la ville, Cabouret B., Gatier P.-L., Saliou C. éd., Lyon, 2004 (suppl. Topoi, 5), p. 138-139, offre une analyse détaillée de la statue de la tyché d’Antioche érigée au cœur de la ville qu’elle incarnait. Sur cette iconographie, il faut se reporter également à la bibliographie consacrée aux représentations de provinces relevant des mêmes principes : J. A. Ostrowski, Les personnifications de provinces dans l’art romain, Varsovie, 1990 ; nombreux articles du Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae (abrégé LIMC). Notons pour terminer que la personnalité de chaque cité s’incarnait dans son génie, représenté sous les traits d’un personnage masculin et auquel un culte poliade était consacré : C. Lepelley, « Une forme religieuse du patriotisme local : le culte du génie de la cité dans l’Afrique romaine », dans Spectacles, vie portuaire et religions dans l’Afrique du Nord antique et médiévale, Paris, 1992, p. 125-137 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 39-53, suivi d’un addendum sur la statue du génie de Carthage mise au jour peu après la parution de l’article).
42 Sur ce multiple d’or exceptionnel, voir les références bibliographiques données supra, n. 28.
43 Dans le discours d’Eumène, la ruine des écoles est ainsi décrite : quondam pulcherrimo opere (§ 3, 2) ; ne fana longe omnium in hac urbe pulcherrima labes media deformet (à propos des écoles qui jouxtent les temples et le Capitole, § 9, 4) ; ad pristinam magnificentiam (reformare) (§ 3, 4). Les ruines de la cité sont évoquées aux § 4, 1 : grauissima clade perculsam ; § 4, 2 : ruinarum eius magnitudinem ; § 14, 4 : ad pristinam gloriam (reformare) et plus loin, où elles sont suggérées.
44 Sur le sujet : P. Gaillard-Seux, « La santé du prince : une illustration des vertus impériales », dans Images et représentations du pouvoir, p. 27-35.
45 Dans le Panégyrique latin viii(5), apparaissent les termes medicus (§ 5, 3 et 11, 5) ; sanare (§ 5, 3 et 11, 5) et remedium (§ 5, 6 ; 7, 6 ; 9, 4 et 10, 1). Sur l’image de l’empereur médecin, guérisseur des maux touchant ses sujets, très employée par la chancellerie romaine et les auteurs tardifs, voir M.-H. Quet, « Rhétorique, culture et politique. Le fonctionnement du discours idéologique chez Dion de Pruse et dans les Moralia de Plutarque », DHA, 4 (1978), p. 51-118, 62-63 ; G. Lanata, Legislazione e natura nelle novelle giustiniane, Naples, 1984, p. 177-178, n. 32.
46 Sur ce thème : F. J. Lomas, « La percepción del orden en el siglo iv. Los panegiristas latinos », dans De Constantino a Carlomagno. Dissidentes, Heterodoxos, Marginados, Lomas F. J., Devis F. éd., Cadix, 1992, p. 76-106.
47 Dans le tableau qu’il brosse de la recomposition des différents groupes sociaux de sa communauté civique, Eumène fait référence aux avocats du forum (§ 2, 2), aux artisans et soldats venus aider au relèvement de la cité (§ 4, 3), aux nouveaux décurions (§ 4, 3), aux jeunes gens qui étudient dans les écoles (§ 5, 3), à l’ancien directeur décédé (§ 5, 3 et 14, 3, dans l’epistula sacra qu’il lit intégralement), à son propre fils (§ 6, 2), aux divinités poliades, Apollon (§ 9, 3 et 9, 4) et celles du capitole, Junon, Minerve et Jupiter (§ 9, 4 et 10, 2), à son aïeul (§ 17, 3), à l’ensemble des habitants d’Autun (§ 17, 3), à Glaucus, décurion de premier plan (§ 17, 4).
48 Panégyrique latin viii(5), 11 ; 12 ; 14.
49 La pietas est mentionnée dans le discours d’Eumène (§ 17, 5) et dans celui de l’Anonyme de 311 (§ 9, 6 et 10, 1, pia mens des empereurs).
50 Sur le thème du retour aux bonnes moeurs voulu par les Tétrarques, dont Auguste avait su faire habilement usage en son temps, voir Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 152. L’auteur cite l’édit condamnant certaines pratiques jugées incestueuses promulgué par Dioclétien et ses collègues en 295. Conservé à l’origine dans le Code Grégorien, il a été transmis abrégé par le CJ, 5, 4, 17, mais développé dans la Collatio Legum Mosaïcarum et Romanorum (Coll., vi, 4 ; éd. P. Krüger). Le texte, après les formules introductives traditionnelles, s’ouvre sur un long préambule chargé de considérations morales ; « Parce qu’à nos pieux et religieux esprits (piis religiosisque mentibus nostris) les chastes et saintes (casta sanctaque) dispositions des lois romaines paraissent hautement vénérables (uenerabilia) et dignes d’une éternelle et scrupuleuse observance (aeterna religione seruanda), nous ne croyons pas convenable de dissimuler les abominations et les incestes commis par certains dans le passé ; lorsqu’ils demandent à être empêchés ou même châtiés, la ligne de conduite de notre règne engage à passer à l’offensive (insurgere nos disciplina nostrorum temporum cohortatur). Il n’est pas douteux que les dieux immortels eux-mêmes seront, comme ils l’ont toujours été dans le passé (ut semper fuerunt), favorables et bienveillants à l’égard du nom romain (Romano nomini... fauentes atque placatos futuros esse) une fois que nous nous serons assurés que tous ceux qui vivent sous notre pouvoir (sub imperio nostro) mènent à tous égards une vie pieuse, attentive à la religion, paisible et chaste (piam religiosamque et quietam et castam... uitam). » Commentaire détaillé de l’édit dans Corcoran, The Empire of the Tetrarchs, p. 173-174 (édit n° 3 de la liste dressée par ce savant).
51 Sur le thème de la restauratio ciuitatum : M. J. Rodríguez-Gervás, « La propaganda de la restauratio civitatum en los panegíricos latinos tardoimperiales », dans Il Congresso peninsular de história antiga, Coimbra, 18 a 20 de outubro de 1990 : actas, Coimbra, 1993, p. 165-175.
52 Sur ce dossier épigraphique majeur, récemment découvert, voir Lepelley, « Une inscription d’Heraclea », p. 221-231, avec le texte et la traduction française de l’inscription, p. 221-222.
53 Et non pas sur les murs des écoles, comme l’affirment de nombreux commentateurs du texte dont Galletier, 1, p. 114 et n. 1-2, p. 137, pour ne citer que lui. Nicolet, L’inventaire du Monde, p. 127, n. 47, renvoie à W. Kubitschek, « Karten », dans RE, x (1919), col. 2122, qui rangeait cette carte dans la catégorie des cartes scolaires. Même opinion erronée dans Autun-Augustodunum, p. 307.
54 Plusieurs savants ont avancé, à titre d’hypothèse, que les cartes étaient accompagnées de vignettes ou de sculptures représentant les exploits des Tétrarques aux quatre coins de l’Empire : J. Schwartz, L. Domitius Domitianus, Bruxelles, 1975, p. 96, n. 1 ; F. Kolb, « Zur chronologischen Problemen der Ersten Tetrarchie », Eos, 76 (1988), p. 109-112. L’hypothèse impliquerait que les cartes aient été restaurées (ou leur cadre monumental modifié) au moment de la restauration de la ville d’Autun, à la fin du iiie siècle.
55 Ces inscriptions découvertes à Transmarisca (CIL, iii, 6151), Sexaginta Prisca (AE, 1965, 357) et Durostorum (AE, 1936, 10), dont le formulaire est strictement identique, sont commentées en détail par J. Kolendo, « Une inscription inconnue de Sexaginta Prista et la fortification du BasDanube sous la Tetrarchie », Eirenè, 5 (1966), p. 139-154. L’auteur les compare avec des inscriptions égyptiennes d’inspiration similaire (p. 146-147). Ces formules, comme le suggère Christol, « La piété », p. 231, doivent être rapprochées du préambule de l’Édit sur les Prix de 301 (supra n. 26). Sur la notion de tranquilitas dans l’idéologie et la communication officielle impériales, D. Nony, « De la tranquilitas de Philippe l’Arabe à l’hippopotame d’Otacilia », CCG, 10 (1999), p. 261-267.
56 Nicolet, op. cit., p. 127-131.
57 Cette carte de l’oikoumène décrite par Pline l’Ancien (Plin., NH, iii, 17) est commentée par Nicolet, ibid., p. 108 et suiv. ; en dernier lieu, P. Arnaud, « Texte et carte d’Agrippa : historiographie et données textuelles », Geographia Antiqua, 16-17 (2007-2008), p. 45-97.
58 Le bassin monumental de Bibracte, de forme ovale, mesure 10,48 m x 3,65 m dans ses dimensions internes. Il est construit avec soin, en un bel appareil de granit rose provenant de carrières dont les points d’extraction sont plus éloignés que ceux du granit gris habituellement employé à Bibracte. L’utilisation du triangle de Pythagore dans la réalisation de son plan, les techniques de taille employées (qui montrent que les artisans ont eu recours à des procédés mal adaptés pour du granit mais communs pour du calcaire), l’orientation de l’axe transversal du bassin (qui correspond au point de levée du soleil aux solstices d’hiver et d’été), tout concourt à souligner l’extrême soin donné à la monumentalisation de cette structure élaborée par une équipe d’artisans d’origine méditerranéenne. Voir à son sujet M. Almagro-Gorbea, J. Gran-Aymerich, « Le bassin monumental du Mont-Beuvray (Bibracte) », MMAI, 71 (1990), p. 21-41 ; Goudineau, dans Peyre, Goudineau, Bibracte et les Éduens, p. 40-45.
59 Goudineau, dans Peyre, Goudineau, Bibracte et les Éduens, p. 44-45, rappelle les hypothèses interprétatives concernant la fonction de ce bassin. Il s’agirait d’un omphalos, d’un mundus, conçu comme un point sacré associé au rituel de fondation de la ville et à partir duquel l’espace aurait été organisé.
60 Sur le rôle d’Agrippa dans la réorganisation des Gaules, voir J.-M. Roddaz, Marcus Agrippa, Rome, Paris, 1984 (BÉFAR, 253), p. 383-418. Sur les commentarii à caractère géographiques dont il fut l’auteur : ibid., p. 572-591. On consultera aussi les commodes synthèses de Raepsaet-Charlier, « Les Gaules et les Germanies », p. 152-155, et de C. Delaplace, J. France, Histoire des Gaules (vie s. av. J.-C.-vie s. apr. J.-C.), Paris, 1997, p. 57 et suiv. Sur l’œuvre géographique d’Agrippa, exaltée à Rome sur certains monuments, en particulier le portique Vipsania : Nicolet, op. cit., p. 103-131.
61 CIL, xiii, 2681 b et c (xvii-2, 490 b et c). La borne milliaire fait partie des inscriptions les plus importantes conservées au musée Rolin d’Autun. Une bibliographie détaillée sur ce document est fournie dans CIL, xvii-2, 490, p. 178. Parmi la masse de commentaires, il faut retenir en priorité ceux d’É. Desjardins, Géographie Historique de la Gaule, 4, Paris, 1893, p. 21-25, et d’É. Thévenot, Les voies romaines de la cité des Éduens, Bruxelles, 1969 (coll. Latomus, 98), p. 59-66.
62 Deux pseudo-milliaires de ce genre, bornes centrales placées au coeur de la cité, ont été découverts : le premier à Tongres (CIL, xiii, 9158 = xvii-2, 675, avec bibliographie détaillée p. 259-260), que la gravure des lettres permet de dater, avec toutes les précautions d’usage, des ier-iie siècles de notre ère ; l’autre chez les Trévires, sur le territoire actuel du Luxembourg (CIL, xiii, 4085 = xvii-2, 676).
63 À Patara, en Lycie, le monument d’époque claudienne découvert récemment et appelé stadiasmos offre un parallèle tout à fait original : SEG, 44, 1205 ; C. P. Jones, « The Claudian Monument at Patara », ZPE, 137 (2001), p. 161-168 ; S. Şahin, M. Adak, Stadiasmus Patarensis : itinera Romana provinciae Lyciae, Istanbul, 2007. Les découvreurs considèrent ce monument, trouvé en remploi dans la muraille tardive, comme un monumental pillar (1,6 m x 2,35 m x 5,50 m), constitué de 53 blocs inscrits sur trois faces. Le sommet, décoré d’architraves, devait être surmonté d’une statue du prince. Sur un côté se trouvait la dédicace à Claude. Sur le côté opposé, le texte de l’ordre impérial transmis au gouverneur, Quintus Veranius, d’établir le tracé des voies publiques de la nouvelle province de Lycie. Le texte de la face principale correspond à un « itinéraire » : sont précisées toutes les distances depuis Patara vers les autres agglomérations de la province, et entre des villes de Lycie. Le monument semble commémorer et sanctionner la prise de possession de ce territoire par Rome et sa provincialisation, à travers la mise en place de voies devenues propriété publique. Il permet de garder le souvenir de la procédure dans la cité de Patara, alors devenue la nouvelle capitale provinciale. On trouve un autre exemple de procédure de délimitation du territoire d’une cité à partir de ses voies à Lepcis Magna, sous Tibère (IRT, 930), par le calcul d’une distance depuis un point central situé dans l’enceinte urbaine du caput ciuitatis jusqu’à une borne-frontière. L’opération fut ordonnée de manière officielle (iussu) par le prince au proconsul d’Afrique. Je remercie Solange Biaggi d’avoir attiré mon attention sur ces deux inscriptions, qui permettent de reconsidérer le monument d’Autun.
64 CIL, xiii, 2681 a (xvii-2, 490 a). Voir la bibliographie concernant cette inscription, rattachée à tort au milliaire mentionné précédemment, dans CIL, xvii-2, 490, p. 178. Certains commentateurs ont même cru voir dans ce fragment les restes de la carte mentionnée par Eumène.
65 Le texte de l’inscription, tel qu il est rapporte par son inventeur, le pere Lempereur, au début du xviiie siècle, mentionnait dans cet ordre les villes italiennes suivantes : Bononia, Forum Gallorum, Mutina, Forum Lepidi, Parma, Fines Gallorum. É. Thévenot, op. cit., p. 60, relève un archaïsme dans la manière de désigner la cité de Forum Lepidi. Ce nom, donné par le pacificateur des Ligures et le constructeur de la voie émilienne, Marcus Aemilius Lepidus, disparut de manière progressive probablement au ier siècle avant notre ère, au profit du nom Regium. Cicéron, dans une lettre à Brutus, appelle la cité Regium Lepidum (Cic., Ep., dcccxlvi, 2 = Ad familiares, xii, 5, d’après l’éd./trad. J. Beaujeu, CUF). Cet archaïsme pourrait indiquer que la borne centrale où figurait le texte avait été érigée à cette époque, c’est-à-dire au moment même de la fondation d’Augustodunum, dans les deux dernières décennies du ier siècle avant notre ère.
66 Le milliaire d’or de Rome est mentionné par D.C., liv, 8, et Plin., NH, iii, 66. Voir l’analyse de Nicolet, op. cit., p. 115.
67 Sous la République, la fondation des colonies latines suivait plusieurs étapes : désignation des triumuiri, division de l’espace agraire et urbain, puis ritus auguralis destiné à faire du nouveau territoire un espace inauguré, grâce à la prise d’auspices, au tracé solennel du sulcus primigenius associé au rite du mundus. Il existait deux sortes de mundi : d’une part le mundus lié au dépôt de fondation (composé de plantes), enseveli de manière définitive, d’autre part le mundus Cereris, monumentalisé et prévu pour être ouvert à divers moments de l’année, afin d’accomplir des rites et des opérations divinatoires destinés à s’assurer de bonnes récoltes. C’est cette dernière catégorie de mundus qui a pu être étudiée en détail grâce aux explorations archéologiques menées à Cosa, Norba et Fregellae. Sur ces questions, voir en dernier lieu la synthèse de D. Kremer, lus Latinum. Le concept de droit latin sous la République et l’Empire, Paris, 2006, p. 45-57. Sur la notion de mundus : A. Madgdelain, « Le pomerium archaïque et le mundus », RÉL, 54 (1976-1977), p. 71-109 (celui de Rome) ; F. Coarelli, Il Foro romano, 1. Periodo arcaico, Rome, 1983, p. 199-226 (celui de Rome) ; Cosa ii. The Temples of the Arx, Brown F. E., RIChardson E. H., Richardson L. éd., Rome, 1960 (Memoirs of the American Academy in Rome, 26), p. 9-19 ; Cosa : The Making of a Roman Town, Ann Arbor, 1980, p. 16-17 ; F. Coarelli, Lazio, Rome, 1982, p. 268 (mundus de Norba). À Cosa, André Magdelain a relevé que dans la topographie urbaine, on retrouvait la dualité de l’ imperium des magistrats des colonies latines, avec l’opposition entre la citadelle (arx) et la ville (A. Magdelain, « L’Auguraculum de l’arx à Rome et dans d’autres villes », RÉL, 47 (1969), p. 253-269, en particulier les analyses des p. 268-269). La remarque vaut pour Norba (F. Coarelli, op. cit., 1982, p. 268). Dans la mesure où la topographie d’Autun respecte cette dualité (voir fig. 1, supra p. 144), puisqu’il existe une sorte d’arx au sud-est de la ville, séparée du reste de l’agglomération qu’elle domine, on peut émettre l’hypothèse (développée au chapitre 10), que la fondation d’Augustodunum, colonie latine, fut entreprise selon les rites d’époque républicaine pratiqués pour les colonies de cette catégorie. Rien ne vient cependant confirmer, pour le moment, cette hypothèse sur le terrain.
68 Ce point de vue est exposé et défendu au chapitre 10.
69 Concernant l’emplacement supposé du forum, nous suivons la proposition de Kasprzyk, Les cités des Éduens et de Châlon, 1-a, p. 89-91.
70 Une reconstitution, associée à une réflexion sur la fonction de cette fameuse carte, est proposée par Nicolet, op. cit., p. 108-131. Voir aussi A. Grilli, « La Geografia di Agrippa », dans Il bimillenario di Agrippa, Gênes, 1990, p. 127-146, dont les conclusions amendent celles de Claude Nicolet sur des points de détail (sur la taille probable des cartes du portique, par exemple).
71 L’histoire municipale de Dougga a été remise en perspective ces dernières années, grâce à deux ouvrages collectifs : Dougga (Thugga). Études épigraphiques, Khanoussi M., Maurin L. dir., Paris, 1997 (Ausonius. Études, 1), et Dougga, fragments d’histoire. Choix d’inscriptions latines éditées, traduites et commentées (ier-ive siècle), Khanoussi M., Maurin L. dir., Bordeaux, Tunis, 2000 (Ausonius. Mémoires, 3). L’analyse repose ici pour une large part sur les études de J. Gascou, « Conseruatorpagi (d’après l’inscription de Thugga, CIL, Viii, 27374), dans Dougga (Thugga), p. 97-104 ; C. Lepelley, « Thugga au iiie siècle : la défense de la liberté », ibid., p. 105-114 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 69-81). Sur le sens et le contenu juridique de la libertas, M. Christol, « De la liberté recouvrée d’Uchi Maius à la liberté de Dougga », RPh, 78 (2004), p. 13-42.
72 En 205, lorsque Dougga reçoit le titre honoraire de municipium Septimium Aurelium Liberum Thugga (CIL, viii, 26639, et ILAfr, 525 = Dougga, no 10), un arc de triomphe est érigé en l’honneur de la famille impériale régnante, à l’origine du bienfait accordé à la cité. Dans le texte de la dédicace, Septime Sévère, Caracalla et Julia Domna sont qualifiés de conditores municipii.
73 Le premier texte est une dédicace à Sévère Alexandre, « sauveur de la liberté » de Dougga (CIL, viii, 1484 = 26552 ; ILTun, 1415 ; Dougga, no 57) : Imp(eratori) Caes(ari) diui Antonini Magni Pii [[fil(io)]], diui Septim(i) Seueri Pi[i nep(oti)] / [[M(arco) Aurelio Seuero Alexando Pio Felici Aug(usto), patri pat[ri]ae]] / [[pontifici maximo, tribunicia potestate xi, consuli iii]], / et castrorum et senatus et patriae, municipium Septimium Aurellium liberum Thugga [c]onseruatori libertati[s], d(ecreto) d(ecurionum), p(ecunia) p(ublica). Le second est une dédicace à Probus (CIL, viii, 26561 = Dougga, no 63) : [--- conseruat]ori digni/[tatis et libe]rtatis / [Imp(eratori)) Caes(ari) M(arco) Au]relio Probo / [Pio Felici Inuicto] Aug(usto), pontifici / [maxim]o, t[ribunitia p]ot(estate) [---]. C. Lepelley, art. cit., p. 108 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 73), souligne à juste titre que le terme a un sens plus fort que le mot français « conservateur » qui en découle. Il est préférable de le traduire par « sauveur », même si ce terme ne rend pas complètement compte des nuances et des subtilités de son équivalent latin. En réalité, l’empereur est à l’égard de la cité comme un conservateur de musée à l’égard des collections dont il a la responsabilité. Son rôle ne se limite pas à simplement conserver ce qui lui a été transmis ; il doit aussi maintenir en état, restaurer et sauvegarder cet héritage. Le conseruator est aussi un restitutor. Le premier terme est plus fort car il inscrit l’acte dans une tradition, dans les valeurs du passé si chères aux élites de cette époque (rappelons-nous à ce propos la formule hoc sanctiora quod uetera énoncée par l’Anonyme de 311, au § 4, 1).
74 Le souvenir des bienfaits accordés par Septime Sévère (octroi du statut de municipe), Sévère Alexandre (défense de la libertas) et Gallien (octroi du statut de colonie honoraire) se lit dans la titulature de la cité qui apparaît dans une inscription gravée sur deux bases jumelles de statues érigées en l’honneur de Gallien et de son épouse Salonine : respublica colonia Licinia Septimia Aurelia Alexandriana Thugga (CIL, viii, 1487 = ILS, 541 ; Dougga, no 16, et AE, 1914, 182 = ILAfr, 566 ; Dougga, no 17).
75 Les Éduens auraient pu louer Constantin dans les mêmes termes que ceux employés par les décurions d’Utique, en présentant ce prince comme « celui qui rehausse par la générosité de sa clémence l’état et la parure des diverses cités » (ciuitatum statum adque / ornatum liberalitate / clementiae suae augenti : CIL, viii, 1179).
76 Sur la question, Hostein, « Panégyrique et épigraphie », à paraître.
77 Définition simple de la pratique évergétique et des idéaux qui lui sont associés dans Jacques, Scheid, Rome et l’intégration de l’Empire, 1, p. 324-329 ; H. Inglebert, op. cit., Paris, 2005 (coll. Nouvelle Clio), p. 64-66. Ces synthèses s’appuient principalement sur les travaux de P. Veyne, Le pain et le cirque. Sociologie d’un pluralisme politique, Paris, 1976, et de Jacques, Le privilège de liberté, p. 687-786.
78 Ces questions sont traitées en détail supra, au chapitre 4.
79 Le thème de l’écoute apparaît, dans un premier temps, par l’emploi de métaphores relatives aux oreilles des empereurs, présentées comme des oreilles sacrées qui entendent tout et qui sont bienveillantes (Panégyrique latin v(9), 21, 4 : apud sacras aures). Dans le Panégyrique latin viii(5), Constantin, optimus princeps soucieux du sort de ses administrés, ne cesse d’aller au-devant de leurs requêtes en les interrogeant avec insistance (le terme interrogare apparaît à diverses reprises aux § 9, 1 et 10, 5). Ce thème apparaît tout particulièrement dans le discours de Nazarius prononcé en mars 321 (Panégyrique latin x(4), 34, 4) : Quid ? Facile aditus, quid ? Aures patientissimas, quid ? Benigna responsa ?
80 Pour ne s’en tenir qu’au témoignage du Panégyrique latin viii(5), le plus loquace sur ce thème, le verbe dare apparaît sous différentes formes aux §8, 3 ; 10, 4 ; 11, 3 (3fois) et 12, 2. L’empereur subvient aux besoins des Éduens (sens de subuenire aux § 2, 2 ; 4, 3 et 5, 1) et leur concède (concedere au § 5, 6) un immense beneficium (le terme est employé à neuf reprises : § 1, 1 ; 1, 4 ; 2, 3 ; 2, 5 ; 9, 2 ; 10,3 ; 11, 1 ; 11, 3 et 13, 6).
81 Les vertus des empereurs telles qu’elles apparaissent dans les Panégyriques latins ont été étudiées par L. K. Born, « The Perfect Prince According to the Latin Panegyrists », AJPhil, 55 (1934), p. 20-35 ; F. Burdeau, « L’empereur d’après les Panégyriques latins », dans Aspects de l’Empire romain, Paris, 1964, p. 1-60 ; R. H. Storch, « The xii Panegyrici latini and the Perfect Prince », AClass, 15 (1972), p. 71-76 ; MacCormack, « Latin Prose Panegyrics », p. 143-205 ; R. Seager, « Some Imperial Virtues in the Latin Prose Panegyrics. The Demands of Propaganda and the Dynamics of Literary Composition », Papers of the Liverpool Latin Seminar, 4 (1983), p. 129-165 (relevé systématique, qui verse souvent dans la paraphrase, des vertus princières chez Eumène p. 139-142, et chez l’Anonyme de 311, p. 147-149) ; M.-C. L’Huiller, « La figure de l’empereur et les vertus impériales. Crise et modèle d’identité dans les Panégyriques Latins », dans Les grandes figures religieuses. Fonctionnement pratique et symbolique dans l’Antiquité, Paris, 1986, p. 529-582 ; ead., L’Empire des mots ; M. J. Rodríguez Gervás, Propaganda política y opinión pública en los Panegíricos Latinos del Bajo Imperio, Salamanque, 1991, p. 77-101 (p. 81-88, vertus mises en avant par Dioclétien et Maximien durant la Dyarchie ; p. 89-92, vertus exaltées sous la Tétrarchie et attribuées à Constance ; p. 92-101, vertus attribuées à Constantin). Ne sont cités que les travaux les plus substantiels. Sur les vertus des empereurs, la bibliographe est abondante. Dans la masse des travaux et articles consacrés à une vertu en particulier, on retiendra surtout, depuis l’article pionnier de Μ. P Charlesworth, « Virtues of the Roman Emperors. Propaganda and the Creation of Belief », PBA, 23 (1937), p. 105-133 : J. Béranger, Recherches sur l’aspect idéologique du Principat, Bâle, 1953 ; H. Kloft, Liberalitas Principis, Cologne, 1970 ; J. R. Fears, « The Cuit of Virtues and Roman Impérial Ideology », dans ANRW, ii, 17-2 (1981), p. 827-948 ; Wallace-Hadrill, « The Emperor and his Virtues », p. 298-323 ; id., « Princeps Civilis », p. 32-48 ; L. De Blois, « Traditional Virtues and New Spiritual Qualifies in Third Century Views of Empire, Emperorship and Practical Politics », Mnemosyne, 47 (1994), p. 166-176 (analyse des vertus des souverains dans les sources hellénophones du iiie siècle).
82 Bonne mise au point sur ces questions (modèle augustéen, vertus inscrites sur le bouclier d’or, etc.) dans Wallace-Hadrill, « The Emperor and his Virtues », p. 298-311.
83 L’intelligentia du prince n’a fait l’objet d’aucune étude à notre connaissance. Sur la prouidentia, J.-P. Martin, Prouidentia Deorum. Aspects religieux du pouvoir romain, Rome, 1982 (CÉFR, 61), en particulier la conclusion p. 421-426 ; M.-H. Quet, « Conseils de Ménandre le Rhéteur pour l’élaboration d’un “discours du prince” à la fin du iiie siècle », dans L’éloge du prince, p. 85-86.
84 Sur la celeritas, voir l’article de Massimo Lolli cité supra, n. 18.
85 La pietas, vertu évoquée à maintes reprises, est définie dans sa complexité par Christol, « La piété », p. 228. En plus d’être une vertu liée au respect des dieux, « cette piété est donc la vertu la plus caractéristique du bon empereur, celle qui se manifeste lorsqu’il s’intéresse au sort matériel de ses sujets, celle qui le pousse à accomplir à leur égard tous ses devoirs, en particulier lorsqu’il prend en compte leur détresse matérielle pour alléger leur charge fiscale ».
86 L’humanitas comme équivalent de παιδεία (et non pas simplement de ϕιλαντρωπία) est étudiée brièvement par H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris, 1958 (4e éd.), p. 552-554. Sur le concept, voir Wallace-Hadrill, « Ciuilis Princeps », p. 42. Il s’agit d’une vertu cardinale du prince dans l’éloge adressé par un anonyme à Philippe l’Arabe (Pernot, Éloges grecs de Rome, p. 151). Sur l’emploi de cette vertu dans le formulaire des lois d’époque tétrarchique : Corcoran, op. cit., p. 184, n. 59 en particulier, et 209. Lire aussi M. Vicenzi, « Sul significato di virtus nei Panegirici del iv secolo », QILL, 1 (1979), p. 171-181, en particulier p. 171 sur l’usage qui est fait de cette notion par les panégyristes.
87 La misericordia est étudiée par V. Loi, « La giustizia sociale nell’etica lattanziana », Augustinianum, 17 (1977), p. 153-160 ; J. Fourcade, « Un aspect particulier de la misericordia dans l’Énéide », Pallas, 31 (1984), p. 29-39 ; E. Aubrion, « Tacite et la misericordia », Latomus, 48 (1989), p. 383-391. Bonitas, dans les sources d’époque républicaine, peut être synonyme de liberalitas, au sens d’aptitude à conférer des beneficia. Cicéron l’emploie parfois avec ce sens : voir Hellegouarc’h, Le vocabulaire, p. 219, n. 6. Sur la benignitas, notion très proche de la bonitas, voir E. Forbis, Municipal Virtues in the Roman Empire. The Evidence of Italian Honorary Inscriptions, Stuttgart, Leipzig, 1996, p. 42-43. Nazarius, dans le Panégyrique latin x(4), 34, 4 de 321, qualifie les réponses rapides et bienveillantes du prince de benignae : Quid ? Facile aditus, quid ? Aures patientissimas, quid ? Benigna responsa ? Sur la clementia, l’une des quatre vertus inscrites sur le bouclier d’or offert à Auguste dont sont souvent affublés Dioclétien et Maximien sur des inscriptions (Chastagnol, art. cit., p. 26), voir Wallace-Hadrill, « The Emperor and his Virtues », p. 302 et suiv. ; Coriat, Le prince législateur, p. 511-513 (dans le domaine de la justice).
88 Sur la beneuolentia, voir E. Forbis, op. cit., p. 50-52, à compléter avec T. D’Enrico, « Benevolentia nelle testimoniane epigrafiche dell’Italia romana », dans Epigrafia e territorio, politica e società : temi di antichità romane, 4, Pani M. éd., Bari, 1996, p. 51-73. La patientia et la moderatio constituent des vertus attendues de la part des habitants d’une cité à l’égard d’un représentant de l’État ou du prince lui-même, en leur qualité d’instances supérieures et de juges suprêmes. Voir à ce sujet Wallace-Hadrill, « Ciuilis Princeps », p. 41 ; Christol, « Hommages publics à Lepcis Magna à l’époque de Dioclétien », p. 331-343, et les remarques formulées au chapitre 6, à propos des qualités attribuées au Vir perfectissimus par Eumène. Sur l’indulgentia, voir supra, chapitre 4, n. 56. Sur la liberalitas comme vertu contraignant les empereurs à mener une politique active d’aide aux provinciaux : Waldherr, Kaiserliche Baupolitik, p. 29-36. Cette notion est très présente dans les discours des panégyristes : Mause, op. cit., p. 164 et suiv.
89 Dans le discours d’Eumène, nombreux sont les verbes d’action qui expriment la conviction et le volontarisme des princes dans leur politique de restauration de l’Empire et des cités : uelle (§ 4, 1 et 5, 1) ; indulgere (§ 4, 2) ; statuere (§ 5, 1) ; tribuere (§ 5, 3) ; iubere (§ 6, 2 et § 11, 2). Même silencieux, leurs ordres s’imposent par un simple hochement de tête (idée exprimée aux § 15, 3 et 16, 2). Les mêmes qualités transparaissent chez l’Anonyme de 311, à travers l’emploi de uelle (§ 4, 4) pour rappeler l’action de Constance Ier. L’auteur rappelle avec insistance que Constantin a agi spontanément dans sa politique d’octroi de bienfaits aux Éduens (sponte facere aux § 5, 6 ou 9, 1). Le volontarisme de Constantin ressort de l’expression : quidquid cogitauit facit (§ 10, 2) et du fait que le prince souhaite accorder aux Éduens plus que ce qu’ils désirent (plus adhuc praestare cupiebas au § 11, 2).
90 Eumène compare le recrutement de professeurs avec celui de soldats d’élite (§ 5, 3-4). Il défend ensuite l’idée que les vertus associées à la pratique de l’éloquence complètent celles acquises dans la rigueur des camps (§ 8, 2). Enfin, il rappelle que l’éloquence et la guerre constituent les deux piliers de la grandeur de Rome (§ 19, 4). Les Tétrarques sont ainsi présentés comme des empereurs parfaits, qui ne négligent ni les devoirs de la guerre ni les ornements de la paix (belli munia et paci ornamenta au § 19, 2).
91 Ce thème apparaît dans le Panégyrique latin v(9), tout particulièrement aux § 1, 1 ; 5 et 6 (longs passages) ; 7, 3 (Constance est qualifié d’Hercule Musagète) ; 6, 3-4 ; 8. Pour le Haut-Empire, la question de la liberalitas impériale à l’origine de l’intérêt du prince pour les choses de l’esprit est abordée par Marrou, Histoire de l’éducation, p. 110-115 ; Millar, ERW, p. 83-101 (sur les lettrés au service du prince dans ses bureaux) et p. 491-506 (sur les avantages et la protection accordés aux gens de lettres par les empereurs). Sur les Tétrarques protecteurs des arts et des lettres, voir les précieuses remarques de Corcoran, op. cit., p. 92-94. On trouvera, pour la période tardive, des réflexions détaillées dans S. Ratti, « La culture du prince entre historiographie et idéologie », dans Que reste-t-il de l’éducation classique ?, p. 297-306, qui souligne combien une interprétation poussée du thème du prince lettré et protecteur de l’éducation constitue un enjeu idéologique différent selon les auteurs. Ce n’est pas un hasard si le très chrétien Lactance fait du persécuteur Galère un ennemi fanatique des choses de l’esprit (Lact., Mort., xxii, 4). Licinius se trouve accablé des mêmes défauts dans deux sources ouvertement favorables à Constantin et à sa famille (Aur.-Vict., Caes., xli, 5 ; Epit. de Caes., xli, 8, en particulier le commentaire du passage n. 15, p. 189 de l’éd./trad. M. Festy, CUF), alors qu’il n’était certainement pas aussi hostile à la culture. Pour preuve, l’anonyme post Dionem lui fait citer des vers de l’Iliade (Anon. post Dionem, Frag. 14, 2, d’après l’éd. FHG, iv, p. 199). Sur la question du prince protecteur de l’éducation, voir K. Vössing, « L’État et l’école dans l’Antiquité tardive », dans Que reste-t-il de l’éducation classique ?, p. 283, n. 13.
92 Mén. Rh., Traité ii, 371, 23-372, 2 : éloge de la παιδεία.
93 Eumène formule explicitement cette idée aux § 3, 2 ; 4, 1 ; 5, 1 ; 6, 4 et 8, 3. Elle se trouve particulièrement bien exprimée en 6, 4 : Cui igitur est dubium quin diuina illa mens Caesaris, quae tanto studio praeceptorem huic conuentui iuuentutis elegit, etiam locum exercitiis illius dedicatum instaurari atque exornari uelit, cum omnes omnium rerum sectatores atque fautores parum se satisfacere uoto et conscientiae suae credant, si non ipsarum quas appetunt gloriarum templa constituant ?La même stratégie avait été employée quelques décennies plus tôt par Lollianus, un grammaticus public d’Oxyrrhynchos, dans la pétition écrite (libellas ou άξίοσις) transmise à Valérien et Gallien, qui visait à défendre ses immunités (P. Oxy. 3366). On trouvera une édition et une traduction du texte dans P. J. Parsons, « Petitions and a letter : the gramraarian’s complaint », dans Collectanea Papyrologica. Texts Published in Honour of H. C. Youtie, 2, Hanson A. E. éd., Bonn, 1976, p. 409-445. Ce document est traduit et brièvement commenté par X. Loriot, D. Nony, La crise de l’Empire romain, 235-285, Paris, 1997, p. 265-267. Voir également les remarques de Millar, ERW, p. 492.
94 Ce thème idéologique, particulièrement exploité par Caracalla, a été remis au goût du jour par les Tétrarques : Chastagnol, art. cit., p. 27-28.
95 Sur l’ascendance claudienne de Constantin, revendiquée à partir de l’élimination de Maximien, lire la mise au point de N. Baglivi, art. cit., p. 436. Cette filiation, présentée depuis le xixe siècle par les savants comme fictive, était semble-t-il bien réelle, comme l’a démontré F. Chausson, op. cit., p. 93-95.
96 Par des voies différentes, Mause, op. cit., p. 230-233, démontre également que les auteurs des panégyriques dressent l’image d’un optimus princeps conçu comme un exemplum.
97 Seule exception : l’orateur de 311 précise qu’il s’est chargé spontanément (sponte, en 1,2) d’être envoyé comme ambassadeur auprès de Constantin. Il s’agissait d’une lourde charge personnelle (munus) pour les décurions (définition du terme par exemple dans Lepelley, Les cités, 1, p. 206-213). Or, en précisant que cette charge a été spontanément revêtue, l’orateur souligne son grand dévouement à sa communauté. Son volontariat s’apparente ainsi à un acte d’évergétisme, qui pouvait consister par exemple en une prise en charge par l’ambassadeur des frais de voyage (legatiuum ou uiaticum) normalement fournis par la cité. L’orateur de 311 ne donne cependant aucune indication sur ce point. L’ambassade était alors volontaire et gratuite (legatio gratuita), ce que les inscriptions relatives à des ambassadeurs n’omettent pas de signaler. Voir à ce propos Souris, op. cit., p. 16-57, où l’auteur traite de la nomination des ambassadeurs (p. 16-23), de la charge et des bénéfices qu’il était permis d’en tirer (p. 24-44), des légations payées par l’évergète ou prises en charge par la cité (p. 45-57). Voir également T. Kotula, « Legatio suscepta gratuita », Meander, 20 (1965), p. 226-237 ; Jacques, op. cit., p. 322-324.
98 Voir en dernier lieu A. Hostein, « Un acte d’évergétisme à Augustodunum-Autun (Lyonnaise), à la fin du iiie siècle », dans La praxis municipale dans l’Occident romain, C. Berrendonner, M. Cébeillac-Gervasoni, L. Lamoine éd., Clermont-Ferrand, 2010, p. 341-355.
99 L’utilitas du bâtiment est souvent invoquée en des termes proches dans les inscriptions, par exemple a Bénévent (CIL, ix, 1588 = ILS, 5480) : usui adque splendori thermarum, ou à Lambèse (CIL, viii, 18328 = ILS, 5520) : ad usum utilitatemque (à propos d’un aqueduc).
100 Sur le motif des injures du temps et de l’incurie des hommes à l’origine de la ruine des bâtiments civiques, voir supra n. 17.
101 La pulchritudo se trouve souvent associée à l’utilitas dans le formulaire des inscriptions relatives à la construction de bâtiments publics. Sur la signification de ces notions dans le cadre d’inscriptions édilitaires, Cecconi, op. cit., p. 128 ; S. Mitchell, « Imperial Building in the Eastern Roman Provinces », HSPh, 91 (1987), p. 352.
102 L’amour de la patrie est mentionné de différentes façons : un évergète agit ob amorem patriae, à Casula, au début du ve siècle, à l’occasion de la restauration de statues offertes par ses aïeux à la cité (CIL, viii, 24104). Amator patriae est employé à Timgad (ILAlg, ii-2, 4729). On peut également mentionner l’inscription métrique d’un rhéteur de Madaure, dont le rédacteur a souligné, comme pour Eumène, le lien étroit entre son enseignement, son amour de la tradition littéraire, d’une part, et son amour de la patrie et de ses concitoyens, d’autre part : olim patriae, uirtutis amator... patriae dilectus amore (ILAlg, i, 2209). Sur le thème de l’amor ciuitatis, voir en dernier lieu la synthèse de P. Le Roux, « L’amor patriae dans les cités sous l’Empire romain », dans Hommage à Claude Lepelley, p. 143-162 ; A. Giardina, « Amor civicus. Formule e immagini dell’evergetismo romano nella tradizione epigrafica », dans La terza età dell’epigrafia, p. 67-85. Si l’amour constituait un ressort de l’évergétisme à l’échelon local, il était aussi le ferment de la compétition à laquelle se livraient les notables de cités voisines afin de doter leur communauté d’une parure monumentale toujours plus imposante et plus riche : lire à ce sujet C. Goudineau, « La notion de patrie gauloise durant le Haut-Empire », dans La patrie gauloise d’Agrippa, p. 149-160, en particulier la conclusion, p. 158.
103 Le thème de l’exemple impérial qui stimule les évergètes dans les cités apparaît à travers différentes formules au ive siècle : à Thuburbo Maius (IlAfr, 276) sous la forme hortante felicitate temporum ; à Timgad (CIL, viii, 2388 = ILS, 5554) : pro magnificentia saeculi. Pour des exemples italiens, voir Cecconi, op. cit., p. 122, n. 19.
104 Le motif mêlant intérêts publics et familiaux apparaît sur certaines inscriptions : Hamdoune, art. cit., p. 260, en donne quelques exemples puisés dans la documentation africaine du HautEmpire. Il apparaît très explicitement dans une inscription de Canusium célébrant un notable local, Lucius Annius Rufus, contemporain des panégyristes éduens (CIL, ix, 339 = ILS, 5500 ; ERC, 38) : M. Christol, A. Magioncalda, « Continuités dans la vie municipale à l’époque tardive d’après l’épigraphie de Canusium (Canosa, Italie) », dans La fin de la cité antique, p. 25-42. Dans l’inscription qu’il a fait graver, le personnage souhaitait indiquer avec insistance l’idée que l’histoire de sa cité était indissociable de celle de sa famille, implantée depuis plusieurs générations.
105 J. Andreau, « L’irrésistible célébration des élites locales », dans Autocélébration des élites locales dans le monde romain, p. 528-534.
106 Eumène offre un bel exemple d’évergète dont la puissance est enracinée dans les traditions familiales et collectives locales, au point que le destin de la cité se confond, de son point de vue, avec celui de sa famille. À la même époque à Canusium (Italie), le formulaire de l’inscription de L. Annius Rufus fait état de préoccupations identiques : M. Christol, A. Magioncalda, art. cit., p. 41.
107 Un siècle plus tard, à Madaure, en Proconsulaire, se trouvent formulés des sentiments identiques dans l’inscription funéraire métrique érigée en l’honneur d’un professeur de rhétorique nommé Marius par sa fille (ILAlg, i, 2209). Le texte exalte l’enseignement qu’il a dispensé aux habitants (docens expleuit ciuibus annos), son patriotisme prononcé (olim patriae uirtutis amator), son amour de ses concitoyens (patriae dilectus amore) et son sens du devoir, puisqu’il géra, malgré les dispenses dont il bénéficiait en qualité de rhéteur municipal, des magistratures (produxit fascibus anno). Commentaire détaillé dans Lepelley, Les cités, 2, p. 135.
108 Sur ces questions, voir la mise au point de C. Lepelley, « Témoignages épigraphiques sur le contrôle des finances municipales par les gouverneurs à partir du règne de Dioclétien », dans Il capitolo delle entrate, p. 241-244. On trouvera dans ces pages quelques exemples d’interventions autoritaires du pouvoir tétrarchique, à travers les gouverneurs, dans le cadre du financement de constructions publiques notamment. Par exemple une inscription de Madaure, en Afrique proconsulaire (IlAlg, i, 2048), mentionne un temple d’Hercule reconstruit sur ordre du proconsul : iubente T(ito) Cl(audio) Aurelio Aristobulo proco(n)s(ule).
109 Sur la primauté accordée à la restauration de monuments, très fréquemment rappelée par les textes de lois du ive siècle, voir Lepelley, Les cités, 1, p. 62-66 en particulier.
110 Les notions de don et de contre-don, empruntées à l’anthropologie et à l’œuvre de Marcel Mauss en particulier, paraissent ici opératoires pour analyser les relations entre Constantin et la cité d’Autun. Sur les précautions dont l’historien doit faire preuve dans l’utilisation de ce paradigme : J. Mayade-Claustre, « Le don. Que faire de l’anthropologie ? », Hypothèses 2001. Travaux de l’École doctorale d’Histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne (2002), p. 231-237. Sur la notion antique de beneficium : Hellegouarch’, op. cit., p. 163-169. Sur l’idéologie du beneficium : F. Millar, « Empire and City, Augustus to Julian : obligations, excuses and status », JRS, 73 (1983), p. 76-96 ; G. A. Cecconi, « Conscience de la crise, groupements de pression, idéologie du beneficium : l’État impérial tardif pouvait-il se réformer ? », AnTard, 13 (2005), p. 281-304.
111 Le rétablissement relevait aussi de mécanismes psychologiques, d’un retour de la confiance au sein des populations, en particulier envers l’État et la politique impériale. Par leurs discours, les notables éduens ont contribué à faire accepter les réformes engagées, en décrivant ce retour à la normale. L’expression « idéologie contre la crise » est empruntée à S. Giorcelli Bersani, « L’ideologia contro la crisi : due città della Liguria interna tardoantica. Aquae, Statiellae o il coraggio del cambiamento », AARC, xiii (2001), p. 505-522, ainsi qu’à S. Roda, « L’ideologia contro la crisi : due città della Liguria interna tardoantica. Forum Iulii, Iriensium o la fiducia in un modello antico », ibid., p. 523-536. On prendra garde cependant à ne pas réduire la restauration engagée par les Tétrarques à un simple effet d’annonce, à une simple opération de « propagande ».
112 Sur la notion de prouidentia, qui exprime, en matière de bon gouvernement, l’extrême clairvoyance du prince dans la politique qu’il mène, voir les remarques formulées supra, p. 315-316.
113 Dans le même ordre d’idées, l’auteur du discours de 310 rappelle avoir consacré sa voix aux oreilles du prince (Panégyrique latin vii(6), 23, 1), de même que Nazarius, dans son discours prononcé en mars 321, exalte Constantin, empereur facile d’accès, aux oreilles patientes, prompt à donner des réponses bienveillantes (Panégyrique latin x(4), 34, 4 : Quid ? Facile aditus, quid ? Aures patientissimas, quid ? Benigna responsa ?).
114 La proskynèse et l’adoratio purpurae constituent des rituels apparus probablement dès Domitien à la cour, mais dans un contexte particulier où ils demeuraient confinés. Leur systématisation dans la communication officielle sous Dioclétien témoigne d’un raidissement du rituel de cour, qu’il faut interpréter comme le signe de transformations profondes des conceptions des empereurs, de leur fonction et de leur pouvoir. Voir à ce sujet W. T. Avery, « The adoratio purpurae and the importance of the imperial purple in the fourth century of the Christian era », MAAR, 17 (1940), p. 66-80 ; H. Stern, « Remarks on the adoratio under Diocletian », JWI, 17 (1954), p. 184-189 ; A. Alföldi, Die Monarchische Repräsentation im römischen Kaiserreiche, Darmstadt, 1970, p. 45, 58, 63, 76 et suiv. ; G. Bravo, « El ritual de la proskynesi y su significado politico y religioso en la Roma imperial (con especial referencia a la Tetrarquia), Gerión, 15 (1997), p. 177-191 ; Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 151-152 ; Kolb, Herrscherideologie, p. 38-46.
115 Christol, « La piété », p. 226, rappelle que l’image s’est généralisée sous Hadrien, qui fit frapper d’abondantes émissions monétaires au type de la prouincia restituta (n. 33). Sur le thème de la main secourable, ibid., p. 227-228.
116 Le thème de la pietas apparaît sur des monnaies d’or frappées au nom des quatre Tétrarques à Trèves ; RIC, 70-74 (Trèves). En l’état de la documentation, Constance semble le seul prince à avoir bénéficié de cette légende, gravée au revers de deux multiples, RIC, 32-33 (Trèves), mis au jour dans le trésor de Beaurains dit d’Arras : Bastien, Metzger, Le trésor de Beaurains, no 219 (Dioclétien) ; nos 220-221 (Constance) ; no 222 (Galère). Commentaire dans Christol, art. cit., p. 225, n. 29.
117 Sur l’aduentus du prince dans les cités, Delmaire, « Quelques aspects de la vie municipale », p. 39-48 ; MacCormack, op. cit., p. 17-89 ; Lehnen, Aduentus principis, p. 318-341, consacrées à l’aduentus des gouverneurs, et p. 357-360 (annexe qui recense l’ensemble des aduentus de gouverneurs connus par les sources d’époque impériale,) ; P. Dufraigne, Aduentus Augusti, Aduentus Christi. Recherche sur l’exploitation idéologique et littéraire d’un cérémonial dans l’antiquité tardive, Paris, 1994 (CÉAug. Série Antiquité, 141), en particulier p. 151-180 et 183-187.
118 À ce sujet, voir S.-A. Fusco, « ‘... Là dov’è l’imperatore...’ ovvero : il decentramento della centralità », AARC, xiii (2001), p. 65-81.
119 Au § 22, 5 : « Ce sont là sans doute toutes faveurs dues à ta présence (Quae certe omnia sunt praesentiae tuae munera) ». Sur la mystique de la présence impériale, F. J. Lomas, « Ausencias y presencias imperiales. Apuntes para una historia conflictiva en las Galias (siglos iii y iv d.C.) », dans Ritual y conciencia cívica en el Mundo Antiguo. Homenaje a F. Gascó, Alvar J., Blanquez C., Wagner C. éd., Madrid, 1995, p. 283-300 ; Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 156-157 ; Rees, op. cit., p. 14, où le thème de la présence du prince ou de son absence constitue l’un des axes majeurs de l’analyse (Hostein, art. cit., p. 380, n. 36).
120 Eumène précise que le bâtiment des écoles se trouve sur le passage emprunté par les empereurs lors de leurs visites dans la cité (Panégyrique latin v(9), 9, 2). Faut-il y voir l’indice d’une visite antérieure ou une simple généralité placée là pour signifier combien il serait honteux pour la cité que les empereurs, lors d’une visite, voient l’état lamentable des ruines des écoles qui jouxtaient les temples et les monuments civiques ?
121 Concept forgé par Rees, op. cit., p. 143-144.
122 La bibliographie sur l’aduentus de l’empereur ou du gouverneur dans les cités est donnée supra, chapitre 6, p. 241, n. 77.
123 L’orateur de 311 reproche à Constantin de prodiguer ses bienfaits avec trop de rapidité (celeritas, § 10, 3-4). Ce reproche pourrait de prime abord paraître incongru. En réalité, l’Anonyme de 311 considère que, dans ce jeu de dons et contre-dons fondé sur un cycle de réciprocité continu, Constantin a rompu trop vite le laps de temps durant lequel il était lui-même redevable envers les Éduens. Or, en accordant trop vite le bienfait, il les replaçait dans une position d’obligés et les contraignait à répondre rapidement par un acte sinon supérieur, du moins à la hauteur des bienfaits concédés. Pour les Éduens, la seule solution honorable a consisté à rebaptiser leur cité du nom de leur bienfaiteur et sauveur. Par ailleurs, la rapidité dans l’octroi du bienfait pouvait paraître, pour certains, comme un acte insuffisamment mesuré ou réfléchi, comme un bienfait usurpé et arbitraire, affranchi des règles du droit et des pratiques administratives coutumières. L’auteur se défend d’ailleurs que le bienfait ait été accordé non fortuitae felicitatis sed iustae clementiae (§ 2, 2). C’est probablement pour anticiper et contrecarrer de telles critiques venant de la part des autres légats municipaux présents à Trèves lors du discours que l’Anonyme de 311 a glissé cette remarque. On mesure dans ce cas d’étude la pertinence des travaux de Pierre Bourdieu sur l’échange comme producteur de stratégies et instrument de pouvoir : P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, 1980, p. 179-182. On retiendra la citation qu’il donne d’une maxime de La Rochefoucauld, adaptée à l’analyse : « Le trop grand empressement que l’on a de s’acquitter d’une obligation est une espèce d’ingratitude. » La maxime reflète une communauté de pensée propre aux élites des sociétés de l’époque pré-industrielle.
124 CTh., i, 2, 3, loi du 3 décembre 317 adressée à Septimius Bassus (PLRE, i, Bassus 19, p. 157), alors préfet de la Ville. Le texte précise : maxime cum inter aequitatem iusque interpositam interpretationem, nobis solis et oporteat et liceat inspicere (« Nous sommes seul juge entre le droit et l’équité »).
125 Sur la figure du prince qui tempère la rigueur du droit, voir Mause, op. cit., p. 176 et suiv. ; Rönning, Herrscherpanegyrik unter Trajan und Konstantin, p. 282-286. Sur le sens de la formule, Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 668-670 et 676-677. L’auteur démontre à raison que l’empereur de l’époque tardive n’avait rien d’un despote mais se comportait plutôt en monarque éclairé, arbitre suprême des rapports sociaux. Rien ne permet d’affirmer en tout cas qu’il se situait au-dessus des lois. De ce point de vue, Constantin s’inscrit dans des pratiques en cours sous les Sévères. En ce sens, Coriat, op. cit., p. 537-551, analyse en détail le rôle du prince dans la recherche d’une solution juste pour interpréter des lois. Sur ces questions, lire également Messina, « Alcuni aspetti fiscali della Gallia », p. 45-47, qui met en rapport cette formule avec l’exercice par le prince de sa clementia·, Baglivi, « Nota a Paneg. viii(5), 13, 4 », p. 139-141 ; en dernier lieu, fine analyse de F. M. De Robertis, « Aequitas contra ius ? Il fermo richiamo di Costantino al rigor iuris contro le facili aperture nelle età precedenti alla ratio aequitatis », AARC, xiii (2001), p. 359-364.
126 Sur le contexte de ce discours, voir l’analyse détaillée donnée supra, chapitre 2.
127 L’audience impériale a fait l’objet d’un nombre limité de travaux, les recherches d’Aloys Winterling, spécialiste de la question, portant plutôt sur le Haut-Empire. En dernier lieu, L’audience : rituels et cadres spatiaux dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge, Caillet J.-P., Sot M. éd., Paris, 2007. Sur la réception des ambassadeurs à cette époque, voir Souris, op. cit., p. 114-171 ; Ziethen, Gesandte vor Kaiser und Senat, p. 148-177. On trouvera pour l’Antiquité tardive des informations précieuses dans Comitatus : Beiträge zur Erforschung des spätantiken Kaiserhofes, Winterling A. éd., Berlin, 1998, en particulier dans l’introduction, p. 7-11, et dans les articles suivants : K. L. Noethlichs, « Strukturen und Funktionen des spätantiken Kaiserhofes », p. 13-49 ; D. Schlinkert, « Den Kaiser folgen : Kaiser, Senatsadel und höfische Funktionstelite (comites consistoriani) von den Tetrarchie Dlokletians bis zum Ende der konstantinischen Dynastie », p. 133-159. Dans ce même ouvrage, une bibliographie exhaustive sur la question a été rassemblée par les soins de T. Schmitt (p. 161-173). Voir aussi E. Herrmann-Otto : « Der Kaiser und die Gesellschaft des spätrömischen Reiches im Spiegel des Zeremoniells », dans Imperium Romanum. Studien zu Geschichte und Rezeption. Festschrift für Karl Christ zum 75 Geburtstag, Kneissel P., Losemann V. éd., Stuttgart, 1998, p. 346-369 ; ead., « Promotionszeremoniell und Personalpolitik an kaiserlichen Residenzen », AARC, xiii (2001), p. 83-105, en particulier p. 84, n. 3.
128 Sur ce phénomène de distanciation, Rönning, op. cit., p. 266-273.
129 En ce sens, voir les observations formulées supra, p. 76, n. 1.
130 W. Seston, « Les murs, les portes et les tours des enceintes urbaines et le problème des res sanctae en droit romain », dans Mélanges d’archéologie et d’histoire offerts à André Piganiol, 3, Chevallier R. éd., Paris, 1966, p. 1489-1498.
131 Sur la question : MacCormack, art. cit., p. 154-159 ; ead., op. cit., p. 272-275 ; Lehnen, op. cit., p. 280-283.
132 E. Flaig, « Den Kaiser herausfordern », HZ, 253 (1991), p. 371-384, dont les cadres d’analyse sont repris par Lehnen, op. cit., p. 280-283. Sur la notion de concordia et de consensus uniuersorum : F. Hurlet, « Le consensus et la concordia en Occident(ier-iiie siècles apr. J.-C.). Réflexions sur la diffusion de l’idéologie impériale », dans Hommage à Claude Lepelley, p. 163-178, en particulier p. 170-178.
133 M. Bouyssy, « L’émotion en politique, une historiographie entre ostracisme et renouveau », Hypothèses 2001. Travaux de l’École doctorale d’Histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne (2002), p. 301-303 ; A. Corbin, « Conclusions », ibid., p. 361-365.
134 A. Hostein, « Panégyrique et revers monétaire. L’amplexus entre la cité et l’empereur », Hypothèses 2002. Travaux de l’École doctorale d’Histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne (2003), p. 249-260.
135 Sur ces ἐρωτιχὰ πάθη : Pernot, La rhétorique de l’éloge, 1, p. 286-87. Voir aussi les analyses proches de Rees, op. cit., p. 77-80 concernant l’amour entre les Tétrarques tel qu’il apparaît dans le Panégyrique latin iii(11).
136 Amplexus est employé par exemple chez Properce, i, 12, 5 ; ii, 15, 9 ; 18, 2 ; 26, 49 ; iv, 5, 33, ou encore chez Tibule, i, 8, 32, 3 ; 9, 74, 3.
137 Panégyrique latin viii(5), 14,4 : « quand toi, notre sauveur à tous (omnium nostrorum conseruator), tu feras ton entrée (adueneris) [...], la cité tout entière flambera d’enthousiasme (flagrabit), elle retentira des cris de joie (gaudiis) et, lorsque tu voudras partir, peut-être te retiendra-t-elle (retinebit) ? Tu nous pardonneras, tu toléreras cette insolence inspirée par notre amour (amoris nostri). »
138 Mén. Rh., Traité ii, 428, 12-15 et 19-26 (éd./trad. D. A. Russell, N. G. Wilson, p. 190-191) : « Tu as vu la beauté (τὸ κἀλλος) et la position (τὴν θἐσιν) de la cité, et si ton désir ὁ πόθος) pour elle a augmenté, allez, reviens une seconde fois et souvent. Les amants (oἱ ἐρασταὶ) se rassasient souvent eux-mêmes avec l’aimé et retombent amoureux quand ils sont séparés. [...] tu as conquis notre cité par le désir (ᾔρηκας τὴν πόλιν τὴν ὴμετέραν τῷ πόθῳ), ô meilleur de tous les gouverneurs, et c’est le témoignage que tu as de son amour, qu’elle t’a montré à nouveau pour t’attirer, incapable de tenir un jour de plus ; comme ceux qui sont touchés par les flèches d’un amour insensé et qui ne peuvent supporter de ne pas voir l’aimé, la cité presque tout entière a bien l’air de se réjouir et de s’élancer vers toi. »
139 Apul., Flor., ix, 40 (éd./trad. P. Ablette, CUF) : « et notre amour (amor noster) le possède aujourd’hui, nos espérances nous le promettent pour demain ; et Carthage se console dans la seule pensée que, suivant ton exemple, le légat qui nous quitte nous reviendra bientôt proconsul (ad nos cito reuersurus est). » Commentaire récent par La Rocca, op. cit., p. 174-199.
140 Philstr., V. Soph., i, 2. Le passage est commenté par A. Hostein, « Lacrimae principis. Les larmes du prince devant la cité affligée », p. 219 et suiv.
141 Lib., Ep., 1392 (d’après la numérotation de l’éd. R. Foerster, Teubner, t. 10).
142 Le terme amplexus est employé également dans les Panégyriques latins ii(10), 14, 4 et ix(12), 14, 2.
143 Voir A. Hostein, art. cit., p. 211-234.
144 E. Patlagean, « Pleurer à Byzance », dans La souffrance au Moyen Âge (France xiie-xve s.). Les Cahiers de Varsovie, Varsovie, 1988, p. 251-261.
145 Par exemple Plin., Pan., 2, 8 ; 73, 4-6 et 86, 4 ; Arstd., Or. xix ; Philstr., V. Soph., ii, 9 ; Amm., xxii, 9, 3-5 ; Lib., Ep., xxxv ; HA. Anton., 10, 5. Pour une analyse détaillée de ces passages : A. Hostein, art. cit. Compléter la liste avec un passage important du Digeste (Dig., i, 18, 19) consacré à l’interdiction faite au gouverneur, lorsqu’on lui présente des preces, de pleurer (neque in lacrimari opportet), car cette attitude serait contraire à la dignitas auctoritatis.
146 Les plus célèbres sont les larmes versées par Priam pour apitoyer et convaincre Achille de rendre la dépouille d’Hector (Hom., Il., xxiv, v. 507 et suiv.). On mentionnera aussi les larmes de Scipion devant Carthage (Pol., xxxviii, 22, 1-3 = App., Pun., 132), celles de Marcellus devant Syracuse (Liv., xxv, 24, 11-14 et Plut., Marc., 19, 1-8). Sur les larmes versées à Rome dans le cadre de procès : J.-M. David, Le patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992 (BÉFAR, 277), p. 624-632 et 640-641.
147 Les termes « rite » ou « rituel » doivent être maniés avec prudence : N. Offenstadt, « Le rite et l’histoire. Remarques introductives », dans Hypothèses 1996. Travaux de l’École doctorale d’Histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne (1997), p. 9-14 (en particulier p. 13). Voir aussi, pour une approche synthétique de l’analyse des liturgies politiques, C. Rivière, Anthropologie politique, Paris, 2000, p. 158-176. Sur les dangers d’un usage systématique du terme « rituel » : P. Buc, Dangereux rituels. De l’histoire médiévale aux sciences sociales, Paris, 2003 [trad. de The Dangers of Ritual. Between Early Medieval Texts and Social Scientific Theory, Princeton, Oxford, 2001], en particulier p. 1-16 et 303-322.
148 Les larmes peuvent être aussi déclenchées par la puissance de l’éloquence de l’orateur chargé de prononcer un discours d’ambassade. Faire pleurer participe alors d’une stratégie visant à émouvoir et à convaincre l’empereur ou n’importe quel autre interlocuteur par les sentiments. Mén. Rh., Traité ii, 423, 25-424, 1, conseille d’adopter ce genre d’attitude.
149 Un exemple ancien de situation de ce genre, décrivant un empereur agissant à l’égard de provinciaux affligés sous l’effet de ses sentiments, se trouve chez Suet., Tit., 8 : l’empereur aide, en 79 de notre ère, les victimes de l’éruption du Vésuve, consolando per edicta. Le vocabulaire employé est double et se confond : l’empereur fait preuve des sentiments d’un père de famille (sollicitude, etc.), et réagit en même temps comme l’aurait fait n’importe quel magistrat traditionnel, en promulguant un édit. Sur cette expression : J. W. Léopold, « Consolando per edicta : Cassiodorus, Variae, 4, 50 and Imperial Consolations for Natural Catastrophes », Latomus, 45 (1986), p. 816-836.
150 Sur la dimension paternaliste du système monarchique et du système impérial romain en particulier : P. Veyne, « L’empereur, ses concitoyens et ses sujets », dans Hommage à Claude Lepelley, p. 70-71, n. 144-145 ; id., Annuaire du collège de France. Résumé des cours et travaux, Paris, 1993-1994, p. 801-802 ; thème repris et développé dans id., L’Empire gréco-romain, Paris, 2005, p. 15-78. L’amour du roi et l’importance, du point de vue politique, des sentiments à son égard ont bénéficié des travaux des anthropologues : P. Ansart, La gestion des passions politiques, Lausanne, 1983, p. 29-47 (chapitre 3, « Aimer son roi »).
151 Sur ce titre porté par Auguste et par la plupart de ses successeurs, à l’exception de Tibère, des empereurs des années 68-69 et des Flaviens, voir Jacques, Scheid, op. cit., 1, p. 20 et 42.
152 Sur ces notions, voir supra, n. 85.
153 Le terme figure dans le texte de la Table de Banasa et sert à justifier le bienfait exceptionnel accordé à un notable africain et à sa famille (la citoyenneté romaine). Voir l’édition de Seston, Euzennat, « La Tabula Banasitana », p. 468-490, p. 470 et 472 pour le texte latin. Quant à J. W. Léopold, art. cit., p. 819, il opère des rapprochements avec des textes épigraphiques grecs d époque impériale. Sur l’inscription de Banasa, voir en dernier lieu R. Rebuffat, « Le discours oral du prince », MÉFRA, 114-2 (2002), p. 1011-1024 (commentaire littéraire accompagné d’une nouvelle traduction).
154 Sur la valeur positive accordée aux larmes des héros homériques : H. Monsacré, Les larmes d’Achille. Le héros, la femme et la souffrance dans la poésie d’Homère, Paris, 1984.
155 Ces images et métaphores filées se trouvent principalement développées aux § 9 et 10, immédiatement après le passage évoquant les larmes de Constantin. Le plus bel exemple se trouve en 9, 6 : Nam sicut agros diuturno ardore sitientes expetitus uotis imber ubertat, ita lacrimae tuae pectora nostra gaudiis irrigabant...
156 Mén. Rh., Traité ii, 377, 19-30, formulait ainsi l’idée : « Quelles prières faut-il, entre toutes, que les cités adressent à la puissance divine, sinon toujours des prières pour l’empereur ? [...] Car, si nous viennent heureusement, en temps opportun, les pluies fécondantes, les richesses produites par la mer et les abondantes récoltes de fruits, c’est grâce à la justice du souverain. Et nous, en retour, cités, peuples, races, tribus, pour répondre à ces bienfaits, nous le célébrons dans nos hymnes » (traduction et commentaire par M.-H. Quet, art. cit., p. 88).
157 L’expression se trouve dans Sen., Polyb., 12, 4, et 14, 1 : Hic itaque princeps, qui publicum omnium solacium est. Marc Aurèle a également contribué à restaurer Smyrne, aux yeux d’Aristide, en consolant les habitants par des mots bienveillants (Arstd., Or. xx, 8).
158 Voir Mén. Rh., Traité ii, 423, 6-424, 2. Aelius Aristide avait utilisé le même registre pour lancer son appel à l’aide à Marc Aurèle (Arstd., Or. xix, 3).
159 Concept défini par P. Ansart, op. cit., p. 32-33.
160 L’auteur du Panégyrique latin viii(5) emploie au § 4, 4 les formules suivantes : Vt esset illa ciuitas prouinciarum uelut una mater, quae reliquas urbes quodammodo Romanas prima fecisset. Il suggère ainsi qu’Autun est comme une mère pour les autres cités gallo-romaines, car d’une part elle a été repeuplée par des habitants originaires de la province tout entière, d’autre part elle offre depuis Auguste un modèle d’organisation civique et urbanistique pour la Gaule intérieure.
161 Sur la titulature de Smyrne à la fin du iie siècle et sur les rapports qu’entretint la cité avec les empereurs Marc Aurèle et Lucius Vérus, D. Klose, Die Münzprägung von Smyrna in der römischen Kaiserzeit, Berlin, 1987, en particulier p. 4-5 et 40-43 ; Le martyre de Pionios, prêtre de Smyrne. Édition, traduction et commentaire de Louis Robert, Washington, 1994, p. 56-57. En dernier lieu, lire Heller, Les bêtises des Grecs, p. 241-282. Les liens entre les Smyrniotes et Hadrien au temps du sophiste Polémon sont analysés par M.-H. Quet, « Le sophiste M. Antonius Polémon de Laodicée », dans Les élites et leurs facettes, p. 401-443, en particulier p. 414-423.
162 Voir, au sujet d’un éventuel patronage impérial sur la ciuitas Aeduorum, les remarques de F. Chausson, « Les patronats familiaux en Afrique et en Italie aux ive-ve siècles : un dossier épigraphique », Atti della Accademia Nazionale dei Lincei. Rendiconti, s. 9, vol. 15, fasc. 1 (2004), p. 84-85, n. 45.
163 Panégyrique latin v(9) : § 3, 2 (gaudium) ; 14, 1 (hilaro consensu) ; 15, 2 (animorum impetus) ; 19, 1 (felicitas principum). Panégyrique latin viii(5) : § 2, 5 (laetantur) ; 9, 3 (gaudium et laetitia) ; 9, 2 (uoluptas) ; 9, 6 (pleurer de joie) ; 13 et 14 (nombreux éléments : felicitas, gaudium, flagrare, etc.).
164 L’une des descriptions les plus fameuses de laetitia publica et des rituels qui l’accompagnaient se trouve chez Hérodien, dans les passages relatant les réactions des habitants de Rome et des cités italiennes (ceux d’Aquilée en particulier) à l’annonce de l’élimination de Maximin le Thrace à la mi-avril 238 : Herod., viii, 6-7.
165 Le motif idéologique de la joie, souvent associé aux victoires et aux fêtes impériales, apparaît pour la première fois dans une émission de demi-aurei frappés à Aquilée en 303-305 au nom des seuls Augustes, Dioclétien et Maximien : RIC, 14 (Aquilée), avec la légende, conçue comme une injonction, Gavdete Romani, associée à deux victoires portant des panneaux inscrits : Sic xx Sic xxx. Constantin fit un usage modeste mais plus important que ses prédécesseurs de ce thème. La légende Gavdivm Reipvblicae apparaît à Trèves (RIC, 811) et à Rome (RIC, addenda p. 88). La légende est associée à des représentations de captifs ou de trophées. L’émission de Rome fut frappée immédiatement après la victoire sur Maxence, entre octobre 312 et mai 313, alors que celle de Trèves le fut probablement en 309. On trouve, toujours à Trèves, des légendes associant explicitement ce motif à des victoires sur les Alamans et sur les Francs : Gavdivm Romanorvm Alammania ou Francia, dans RIC, 823-824 (Trèves). Le thème fleurit ensuite dans les légendes monétaires du ive siècle. L’idée prédominante est celle d’un empereur qui dispense par ses victoires bonheur et félicité à ses sujets, dans la perspective d’un nouvel âge d’or qui se confond avec des moments importants de son règne (victoires, célébration du dies imperii). Pour une approche numismatique de la question, A. Alföldi, op. cit., p. 219, n. 2 ; R. H. Storch, « The Coinage from Commodus to Constantine. Some types that miror the transition from principate to absolute monarchy », GNS, 23 (1973), p. 95-103.
166 Sur ces questions, voir supra, chapitre 2, n. 21.
167 Pernot, op. cit., 2, p. 716.
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