Aspects idéologiques
p. 285-288
Texte intégral
Quaenam igitur gens toto orbe terrarum in amore Romani nominis Aeduis se postulet anteponi ?
Panégyrique latin viii(5), 2, 4.
1Comme annoncé dans l’introduction générale, par souci d’équilibre dans l’économie générale de l’ouvrage, le parti a été pris d’aborder successivement dans cette étude les aspects rhétoriques, institutionnels, puis idéologiques des Panégyriques latins v(9) et viii(5). Ce découpage, artificiel en apparence, n’en demeure pas moins nécessaire, car il répond à un impératif méthodologique visant à mettre en valeur des passages clés des discours contenant des informations institutionnelles ou idéologiques formant un écheveau complexe, difficile à démêler. Si l’analyse des aspects idéologiques figure en troisième et dernière position, ce rang ne reflète en aucune manière un ordre décroissant d'importance.
2L’emploi du concept « idéologie », parfois rejeté par les chercheurs pour des raisons multiples, n’en demeure pas moins pertinent et opératoire pour étudier une société ancienne, à condition de bien s’accorder sur sa définition. Dans les pages qui suivent, il ne sera pas employé au sens restreint de « doctrine politique » (comme quand on parle de l’idéologie communiste, nazie, néolibérale, etc.), son sens commun actuel. Il sera entendu dans son acception la plus neutre et la plus dépouillée de préjugés, celle que lui donnent les sociologues pour qui l’idéologie désigne tout ensemble structuré de représentations au sein d’une communauté donnée. Dans le cas d’étude analysé, il sera également question d’idéologie politique au sens d’idéologie du politique. Ainsi entendu, le concept apparaît comme un outil de recherche intéressant pour s’interroger sur la production d’idées dominantes et de systèmes de représentation dans une société donnée, pour comprendre leur degré d’influence dans les actes et les comportements des différents acteurs. Dans la perspective tracée, l’étude de l’idéologie vise à déterminer les fondements et les implications pratiques des systèmes de représentation des habitants d’une cité gallo-romaine, à un moment de transition et de transformation de l’Empire romain (la fin du iiie et le début du ive siècle). Les discours éduens, en raison de la richesse de leur contenu, font en effet entrer de plain-pied le lecteur dans ce que Claude Lepelley a appelé la « civilisation municipale1 ».
3Au préalable, il paraît nécessaire d’évacuer la notion de propagande, souvent utilisée pour caractériser la communication contenue dans les Panégyriques latins. Même appliqué à de purs discours d’apparat, le concept apparaît anachronique, inapproprié et trompeur2. Quant au message des Panégyriques latins v(9) et viii(5), il relève, pour reprendre une classification élaborée par Guy Sabbah, de la catégorie des discours à la communication « ascendante3 », car émanant d’un groupe de notables provinciaux et adressés au pouvoir central dans le cadre de relations politico-administratives. Il n’a donc rien à voir avec de la « propagande ».
4Dans cette partie, la « civilisation municipale », saisie à travers le regard de notables éduens, va être abordée sous trois angles différents. Sans prétendre à l’exhaustivité, l’analyse va conduire dans un premier temps à examiner en détail l’image du prince, la représentation du pouvoir et de l’Empire tels qu’ils apparaissent dans les mots des légats éduens. Le deuxième volet va préciser la nature du titre de fratres populi Romani ainsi que sa place dans le dialogue séculaire noué entre la ciuitas Aeduorum et les empereurs. Le titre, en effet, rappelé de manière systématique par les orateurs, a servi d’argument central pour faire valoir droits et privilèges. Enfin, dans le prolongement de ces réflexions, l’étude s’achèvera sur l’élément qui, plus que tout autre dans ce dialogue, incarnait l’identité civique aux yeux des Éduens : le nom et la titulature officielle de la cité.
Notes de bas de page
1 L’expression « civilisation municipale » est empruntée à Lepelley, Les cités, 1, p. 413-414 – conclusion de sa thèse. La notion d’« idéologie civique » est définie par Hervé Inglebert dans son introduction à l’Hommage à Claude Lepelley, p. 20-23, ainsi que dans un chapitre de son Histoire de la civilisation romaine, Paris, 2005, p. 63-75. Sur le concept, lire les remarques de P. Le Roux, « Conclusions. Penser la cité ou la cité ‘revisitée’ », dans Hommage à Claude Lepelley, p. 287-294, en particulier p. 288.
2 Hostein, « Le corpus des Panegyrici Latini », p. 381-382.
3 Sabbah, « De la rhétorique à la communication politique », p. 378.
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