Chapitre 6. Le Vir perfectissimus et l’affaire de la reconstruction des écoles
p. 219-250
Texte intégral
1Le Vir perfectissimus mentionné à plusieurs reprises dans le discours d’Eumène apparaît comme le second personnage clé de l’affaire de la reconstruction des écoles1. C’est à lui qu’Eumène s’adresse, c’est lui qu’il faut convaincre du bien-fondé de l’acte d’évergétisme, c’est lui, enfin, qui est chargé de transmettre aux empereurs le rapport autorisant ou non la mise en œuvre du projet. À la fois observateur, rapporteur et juge, il subit naturellement une forte pression de la part des habitants de la cité et de leurs représentants.
2La personnalité d’Eumène ajoute un inconfort supplémentaire à la position du personnage. En effet, même si l’orateur, dans cette situation, n’endosse que le statut de notable municipal, il demeure malgré tout un ancien membre de l’administration impériale qui a gravi les plus hauts échelons de la carrière équestre. Dans ces conditions, la position hiérarchique du Vir perfectissimus apparaît d’autant moins assurée que son interlocuteur principal est supérieur en dignité en raison de ses anciennes fonctions.
3En dépit du rôle crucial joué par ce personnage anonyme, une lecture attentive du discours souligne le paradoxe suivant : Eumène ne lui consacre aucun éloge consistant, élément attendu dans un discours adressé à un représentant en visite officielle2. Pour autant, malgré l’absence d’informations directes et détaillées, il est permis, en s’appuyant sur plusieurs indices relevés dans le texte et en opérant des rapprochements avec d’autres sources, d’éclairer avec précision le rôle tenu par ce Vir perfectissimus dans l’entreprise évergétique engagée par Eumène.
Le Vir perfectissimus dans le discours
Les occurrences de perfectissimus dans le discours
4Si aucun long développement n’est consacré au personnage, Eumène emploie cependant l’expression Vir perfectissimus à seize reprises, sous la forme d’adresses3. Vir perfectissime, au vocatif, apparaît ainsi dans la captatio beneuolentiae du discours, dès la première phrase, doublé du démonstratif te. Eumène s’adresse régulièrement au personnage à la deuxième personne du singulier (uigisti, habes...). L’absence de long éloge s’avère donc compensée par une scansion plus ou moins régulière du titre de Vir perfectissimus, doublée d’adresses, rendant ainsi le destinataire de la postulatio omniprésent au fil du discours.
5Dans le détail, la répartition de ces adresses n’est pas uniforme : Eumène en fait usage à cinq reprises entre les paragraphes 1 et 4, trois fois entre les paragraphes 9 et 10, trois fois encore entre les paragraphes 19 et 21. Cette concentration correspond à des moments clés du discours (introduction, transition entre les deux parties, conclusion). La réitération révèle ici une stratégie rhétorique visant à solliciter une attention soutenue ainsi qu’une meilleure implication du destinataire au moment où l’orateur pose les problèmes, rassemble l’argumentation ou résume sa pétition. Le fait que l’expression Vir perfectissimus apparaisse régulièrement en début de paragraphe confirme cette interprétation.
6Ces éléments établis, il ressort que l’absence de longs passages consacrés à l’éloge du Vir perfectissimus n’implique pas une négligence ou un oubli de son interlocuteur de la part d’Eumène. Ce dernier, fin orateur, a su rendre présent et impliquer le personnage, respecter les conventions sociales tout en restant concentré sur son propos. Le spécialiste de l’Antiquité aurait aimé connaître plus de détails sur le Vir perfectissimus, mais du point de vue d’Eumène, dans la situation d’énonciation du discours, il n’était pas utile de préciser les fonctions ni le nom du personnage puisque, par définition, ils étaient connus de l’assistance. S’adresser à lui par son rang suffisait.
7Si les informations directes font défaut, il est cependant possible de glaner çà et là des indices significatifs pour percer l’identité de ce Vir perfectissimus.
Rappels sur le titre de Vir perfectissimus
8Le titre même de Vir perfectissimus, étudié brièvement dans les pages consacrées à Eumène, appelle plusieurs remarques. Associé dans la seconde moitié du iie siècle (à partir du règne de Marc Aurèle ?) à certains postes élevés de l’administration impériale4, ce titre de dignité s’insérait entre celui d’egregius, et celui d’eminentissimus, réservé aux préfets du prétoire. Les premières occurrences épigraphiques du titre apparaissent sous les Sévères, époque à partir de laquelle son usage se systématise5. Au iiie siècle, la dignité est associée à des postes de l’administration palatiale à Rome, ainsi qu’au commandement des armées ou à la gestion des provinces6. Le titre implique que son détenteur recevait au minimum un salaire de 200 000 sesterces, d’où celui de ducenarius, répandu également au iiie siècle, qui peut se substituer à perfectissimus voire, dans des cas très rares, coexister avec lui. Les procurateurs des différents bureaux de la chancellerie le portèrent tous et Eumène, en tant que magister memoriae, ne dérogea pas à la règle7.
9Dans le dernier tiers du iiie siècle, à partir du règne de Gallien, le titre évolua sous l’effet des transformations de l’administration et de l’armée8. Les réformes administratives et militaires menées trois décennies plus tard par les Tétrarques sanctionnèrent définitivement ce « triomphe de l’ordre équestre », pour reprendre l’expression de Claude Lepelley. Les chevaliers détenaient alors la quasi-totalité des fonctions d’autorité dans l’Empire9. Cette évolution fit du rang de Vir perfectissimus l’un des plus prestigieux et des plus recherchés, même si sa diffusion trop importante contribua progressivement à en ternir le lustre. Dans l’administration provinciale de Dioclétien, le titre fut porté par certains vicaires des préfets du prétoire (uicarius ou agens uice praefectorum praetorio) à partir de 298, par les préfets d’Égypte et par de très nombreux gouverneurs (praesides) provinciaux10. Le Vir perfectissimus à qui s’adressa Eumène était logiquement le représentant officiel de l’État, membre de l’ordre équestre chargé d’administrer le ressort dont dépendait la ciuitas Aeduorum en 298. Or à cette date, l’identification de ce ressort n’est pas assurée. Avant d’aborder le problème, un moyen de mieux connaître et d’identifier le personnage consiste à examiner avec attention les actes qu’Eumène lui attribue dans cette affaire.
Le rôle du Vir perfectissimus à travers le discours d’Eumène
10Les fonctions du Vir perfectissimus sont précisées à deux reprises : dans la péroraison et dans la dernière phrase du discours.
Un gouverneur en tournée d’inspection
11Évoquant par une description vivante et détaillée les cartes peintes sur les murs des portiques d’Autun, Eumène prend à témoin le Vir perfectissimus sur leur rôle pédagogique en ajoutant : ut ipse uidisti (§ 20, 3). Le Vir perfectissimus, présent dans la ville, a pu admirer ces cartes. Le parfait employé pour uidere et d’autres détails du même ordre ont conduit Barbara Rodgers à penser que la visite eut lieu à une date antérieure au discours11. Selon elle, le discours aurait été prononcé par Eumène à Lyon, dans le lieu même où siégeait l’administration du Vir perfectissimus, quelle considère sans discussion comme le praeses de Lugdunensis Prima. L’auteur admet une seconde localisation, Trèves, dans l’hypothèse où le perfectissimus serait le uicarius du diocèse. Dans ces conditions, le discours émanerait d’un membre d’une légation de notables Éduens conduite par Eumène. Cette position, fondée sur des indices philologiques pour l’essentiel, demeure cependant trop coupée du contexte historique et, pour cette raison, n’emporte pas l’adhésion12. Le Vir perfectissimus se trouvait bien en tournée d’inspection à Autun entre la fin de l’hiver 297-298 et la fin du printemps 298, où il entendit le discours. Praeses ou uicarius (nous y reviendrons plus loin), il assumait une fonction d’inspection attribuée aux gouverneurs durant le Haut-Empire, bien attestée dans le dixième livre de la correspondance de Pline le Jeune13. Dans le cas du Vir perfectissimus mentionné par le Panégyrique latin v(9), si sa présence n’est pas justifiée de manière explicite, l’éclairage de textes juridiques conservés dans le Code Théodosien ou dans le Digeste permet de se faire une idée précise de sa mission.
12Un extrait du Digeste sert de point de départ à l’analyse (Dig., i, 16, 7, 1). Au début du iiie siècle, sous le règne de Caracalla, le juriste Ulpien a détaillé, dans le deuxième livre consacré aux devoirs du proconsul (De officio proconsulis), les principales tâches dévolues au gouverneur de province dans le cadre de ses rapports avec les cités. En voici le texte accompagné d’une traduction de Claude Lepelley légèrement amendée14 :
Aedes sacra et opera publica circumire inspiciendi gratia, an sarta tectaque sint uel an aliqua refectione indigeant, et si qua coepta sunt ut consummentur, prout uires eius rei publicae permittunt, curare debet : curatoresque operum diligentes solemniter praeponere, ministeria quoque militaria, si opus fuerit, ad curatores adiuuandos dare.
Il doit faire une tournée afin d’inspecter les édifices sacrés et les bâtiments publics, de veiller à ce que les édifices soient bien entretenus, ou de voir si les constructions anciennes ont besoin d’être restaurées ou si les édifices commencés doivent être achevés, dans la mesure où les ressources de cette commune le permettent ; il doit nommer chaque année des curateurs de travaux efficaces et désigner des soldats, s’il s’avère nécessaire d’apporter une aide aux curateurs. (Dig., i, 16, 7, 1 = Ulpien, Livre II sur le rôle du proconsul, éd. H. Hulot, J.-F. Berthelot et alii.)
13Plusieurs passages du discours décrivent des actions qui correspondent presque mot pour mot au rôle du gouverneur tel qu’il est esquissé ici, dans le cadre d’une tournée d’inspection (le mot employé est circumire).
14- « Il doit faire une tournée afin d’inspecter les édifices sacrés et les bâtiments publics » : Eumène précise en effet qu’au moment du discours, étaient rétablis ou en voie de rétablissement des temples, des bâtiments publics grâce à l’aide impériale15. La présence du gouverneur consistait à vérifier le bon déroulement des opérations et à en informer les empereurs.
15- Le gouverneur doit « veiller à ce que les édifices soient bien entretenus » ou voir si « les édifices commencés doivent être achevés » : le verbe employé (debet curare) est fort et son usage contraint le gouverneur à observer scrupuleusement ses devoirs dans le cadre d’une visite d’inspection. L’expression ut ipse uidisti laisse entendre que ce fut le cas du Vir perfectissimus présent à Augustodunum. Ce dernier ne s’est pas contenté d’inspecter le portique où se trouvaient les cartes peintes. Nombreux étaient, à cette date, les édifices en cours de réfection ou dont il fallait assurer l’entretien : thermes, temples, bâtiments publics sans autre précision. À Autun, en 298, cette obsession du pouvoir impérial de vérifier l’état des bâtiments civiques, d’effectuer des réparations ou d’achever ceux en cours de construction avant d’en entreprendre de nouveaux se vérifie de manière éclatante. Or, la situation n’est pas sans rappeller celle des cités de Bithynie au début du iie siècle16. Mais à Augustodunum les travaux furent accomplis à une époque de changements marqués par un contrôle plus scrupuleux encore des chantiers de construction civiques, comme l’a bien démontré Claude Lepelley à partir de la documentation africaine17. Cette préoccupation semblait justifiée puisqu’il s’agissait de prévenir la banqueroute de cités parfois engagées dans des programmes édilitaires prestigieux mais ruineux. Trajan ne disait-il pas déjà à Pline à ce sujet : Rationes autem in primis tibi rerum publicarum excutiendae sunt18 ? Rome souhaitait préserver les capacités fiscales des cités, sources principales du financement de l’ensemble de l’édifice impérial. Au moment de l’application de nouvelles réformes destinées à redresser une situation financière mise à mal durant le dernier tiers du iiie siècle, ces objectifs paraissaient d’autant plus nécessaires à respecter.
16- « Il doit nommer chaque année des curateurs de travaux efficaces et désigner des soldats, s’il s’avère nécessaire d’apporter une aide aux curateurs » : Eumène mentionne la présence à Autun de soldats dont la tâche principale était de restaurer les infrastructures liées aux usages de l’eau, nécessitant des compétences techniques : canalisations publiques, aqueducs, thermes. La présence, parmi les civils, de ces militaires affectés à des tâches édilitaires impliquait qu’ils fussent placés sous le contrôle d’un représentant de l’autorité impériale. L’inspection du Vir perfectissimus a pu être motivée, entre autres, par cet impératif. Si aucun curator operum n’est mentionné explicitement, on doit néanmoins envisager avec une grande probabilité leur existence dans ce contexte19. Dans ces conditions, le Vir perfectissimus était chargé de contrôler les opérations (financières et édilitaires) placées sous la responsabilité de ces curatores, afin de prévenir tout détournement ou abus financier.
17Le Vir perfectissimus présent à Autun a aussi dû tenir un rôle de contrôleur de gestion. Le texte d’Ulpien, s’il concerne au premier chef les travaux publics, vise avant tout à préserver les finances municipales et, en arrière-plan, celles de l’État. Tout était possible en matière de construction ou de restauration, à condition que les finances civiques le permettent, ce qu’exprime la phrase : prout uires eius reipublicae permittunt. Cependant, d’après le règlement cité plus haut et compte tenu de la fragilité financière de la ciuitas Aeduorum, il paraît fort probable que le Vir perfectissimus soit venu contrôler les comptes. Par ailleurs, si les dons d’argent des empereurs consistaient en des réattributions de l’impôt dû au fiscus impérial à l’échelon local (sens probable du verbe indulgere employé à plusieurs reprises), il revenait au gouverneur d’en vérifier le bon usage.
18- Le gouverneur doit « voir si les constructions anciennes ont besoin d’être restaurées (antiqua refectione indigeant) » : dans l’affaire des écoles, ce rôle correspond avec exactitude à celui du Vir perfectissimus, qui a pour mission d’évaluer, lors de sa visite, si la restauration du bâtiment demeure raisonnable financièrement, compte tenu des éléments présentés par Eumène et de la situation ponctuelle des finances locales.
19Les rapprochements suggérés entre la fonction du Vir perfectissimus du discours et celle du gouverneur dans le texte d’Ulpien justifient d’un point de vue juridique la procédure observée à Autun en 298. Les tâches que le perfectissime devait accomplir correspondaient bien à ce qui était attendu de la part d’un gouverneur dans cette situation20 : il avait reçu pour mission principale d’inspecter et de contrôler les travaux, les comptes et les actes des notables ; il devait veiller au bon déroulement du rétablissement général d’Autun ; en dernier recours, il lui revenait de décider des affectations budgétaires prioritaires. C’est la raison pour laquelle Eumène soigna son argumentation, pour convaincre son interlocuteur de la nécessité de s’engager dans un nouveau chantier, dans un contexte peu propice.
Un expert chargé de transmettre un dossier en haut lieu
20Dans la péroraison (§ 21, 4), Eumène résume en quelques formules ce que devait faire le Vir perfectissimus pour voir la requête aboutir. Le vocabulaire employé, anodin et fleuri en apparence, se révèle en réalité d’une grande précision :
Habes, Vir perfectissime, studii ac uoti mei professionem. Abs te peto ut eam litteris tuis apud sacras aures prosequi non graueris, siquidem maximus ac paene solus fructus est recta cupientium ut uoluntas eorum ad diuinam tantorum principum scientiam perferatur.
4. Tu m’as entendu, Éminent gouverneur, exprimer l’ardeur de mes sentiments et mes vœux. À toi, je fais la requête de bien vouloir les transmettre de bon cœur jusqu’aux oreilles sacrées [des souverains], La plus grande et, pour ainsi dire, la seule récompense de ceux qui font des souhaits raisonnables c’est de voir porter leurs désirs à la connaissance divine de si grands princes.
21Les formules abs te peto ut, litteris tuis, apud sacras aures prosequi et uoluntas [...] ad diuinam [...] scientiam perferatur décrivent en réalité les démarches administratives engagées par le Vir perfectissimus au lendemain du discours. Une lecture attentive permet de reconstituer dans ses grandes lignes le travail des bureaux du gouverneur pour ce genre d’affaire.
22Le gouverneur a entendu le discours et a reçu la requête, avant de la faire parvenir à la chancellerie impériale accompagnée des autres epistulae de sa correspondance officielle. Dans l’affaire des écoles, il est permis d’envisager l’existence d’un dossier, composé d’abord de la pétition – à laquelle était parfois joint le discours recopié – puis du rapport d’inspection. Le vocabulaire employé par Eumène n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de Pline le Jeune deux siècles plus tôt21. Le gouverneur a servi d’intermédiaire entre l’échelon local et l’échelon central, sans revêtir un rôle neutre ou passif pour autant, puisqu’Eumène attendait de lui qu’il appuie sa requête d’un avis favorable, d’un suffragium. La notion de suffragium, si elle n’est pas employée ici, apparaît dans l’œuvre de Pline et dans la table de Banasa dans des conditions analogues22. Pour autant, la formule non graueris, tout droit tirée de l’œuvre de Cicéron (De or., i, 164 : rogo, ut non graueris), est proche : elle appuie la demande malgré sa formulation très elliptique.
23Bien qu’Eumène, dans sa péroraison, emploie des expressions précises et concises, certaines formulations se démarquent, en raison de leur dimension métonymique et hyperbolique, de celles utilisées par Pline. Là où un légat municipal ou un gouverneur du IIe siècle aurait plutôt employé l’expression ad imperatorem prosequi ou perferatur, Eumène préfère la formule particulièrement fleurie et sophistiquée : apud sacras aures prosequi et uoluntas [...] ad diuinam [...] scientiam perferatur. Si rapporter l’adjectif diuinus à la personne de l’empereur n’est pas une nouveauté sous Dioclétien23, ces tournures chargées de fleurs de rhétorique eurent tendance à proliférer en cette fin de iiie siècle dans les textes normatifs et honorifiques, alors qu’elles demeuraient plus rares auparavant.
24L’expression apud sacras aures, par exemple, n’apparaît qu’à deux occasions sur des inscriptions africaines, dans des contextes similaires24. Dans les deux cas, l’affaire traitée met en scène un légat ayant obtenu un privilège pour sa cité ou sa province après avoir plaidé sa cause lors d’une audience officielle devant l’empereur. L’expression apparaît de manière plus fréquente, en revanche, dans les sources littéraires et juridiques25. Employée durant une période comprise entre les règnes de Probus et de Justin, elle est passée dans l’usage de la chancellerie de l’Empire d’Orient, comme l’attestent les actes conciliaires26. Le sens de cette expression métonymique est double, à la fois symbolique et concret : il rappelle la disponibilité d’écoute de l’empereur, qui sait entendre les requêtes de ses sujets d’une oreille bienveillante dans le cadre de son consilium ou de son consistoire. Dans le même temps, elle affirme la sacralité de cette oreille. L’expression résume à elle seule le rapport ambigu entretenu alors par le prince avec ses sujets, sous le signe contradictoire d’une relation de proximité (l’empereur est le premier magistrat de l’État, il est un juge que l’on doit pouvoir facilement interpeller) et d’une distanciation nécessaire (l’empereur est un monarque tout-puissant et tout ce qui se rapporte à sa personne est sacré). Au ive siècle enfin, l’audience impériale apparaît de plus en plus ritualisée et marquée par des cérémonies sacralisantes27. En un sens, le langage employé par Eumène, ancien responsable de la chancellerie, reflète et accompagne cette évolution du rituel de cour, lui-même révélateur des transformations des pratiques et de l’idéologie du pouvoir28.
25Ainsi, les actes de ce Vir perfectissimus correspondent avec fidélité aux prérogatives des gouverneurs provinciaux définies par les textes juridiques des iie-iiie siècles. Il était présent à Autun pour diverses raisons : inspecter les chantiers, contrôler les comptes de la cité, surveiller les responsables des opérations. Enfin, il lui revenait de transmettre un rapport détaillé de sa visite au pouvoir central.
Le Vir perfectissimus : praeses Lugdunensis, praeses Lugdunensis primae ou uicarius dioecesis Galliarum ?
26Le discours d’Eumène a probablement été prononcé entre le printemps et le mois d’août 298. Or, à cette date, il semble difficile d’avoir une vision claire des réformes du découpage administratif provincial. Seule la Liste de Vérone (Laterculus Veronensis) offre une image globale du nouveau maillage dessiné par Dioclétien et ses collègues, mais la rédaction du document, relativement tardive, est fixée à la fin de l’année 314 par les travaux les plus récents29. Par ailleurs, selon William Seston, la réforme fondatrice, à savoir la création des diocèses, aurait pris effet en 29730 pour être suivie – et non précédée31 – d’un redécoupage et d’un morcellement des provinces préexistantes, certaines ayant peut-être été redécoupées de manière pragmatique avant cette date, dès le milieu du iiie siècle. Entre 297 et 314, les remaniements semblent avoir été opérés progressivement et non simultanément entre la fin de la première et les premières années de la seconde Tétrarchie, à l’image de la situation de l’Afrique et de la Numidie, dont les frontières furent redéfinies en 30332.
27Pour la Gaule, la documentation demeure très lacunaire. Avant la Liste de Vérone, il apparaît impossible de retracer précisément les modalités et la chronologie de la division provinciale au sein de la dioecesis Galliarum, circonscription regroupant les provinces situées au nord de la Gaule, avec Trèves pour capitale. Au sud de ce diocèse délimité par la Loire et le Rhône, se trouvait la dioecesis Viennensis, dont Vienne était la métropole au début du ive siècle. À cette date, la ciuitas Aeduorum dépendait assurément de la dioecesis Galliarum.
28À l’échelon provincial, la question se complique : en 298, le Vir perfectissimus en tournée à Autun pouvait être soit le uicarius du diocèse, soit le praeses de la Lyonnaise nouvellement divisée (la Lugdunensis Prima), soit encore le praeses de la province dans ses limites du Haut-Empire, avant son fractionnement. L’absence de sources précises sur la géographie administrative et la pauvreté des fastes des gouverneurs de Lyonnaise ne permettent pas de résoudre définitivement la question, même s’il est possible de suggérer des solutions vraisemblables ou hypothétiques en comparant la situation des Éduens avec celle d’autres cités mieux documentées.
Un uicarius dioecesis Galliarum ?
29Une première question se pose : Eumène s’est-il adressé au uicarius ou bien à l’agens uice praefectorum praetorio de la province, comme l’envisagent Charles Nixon et Barbara Rodgers33 ? Dans cette hypothèse, le Panégyrique latin v(9) fournirait la preuve de l’existence d’un vicaire34 en poste l’année de la mise en place supposée de la réforme provinciale35. Cet anonyme figurerait aux côtés des deux agentes uice praefectorum praetorio attestés en 298, Aurelius Agricolanus, vicaire du diocèse des Espagnes connu par la Passio Marcelli36, et Aemilius Rusticianus, vicaire du diocèse d’Orient connu par un papyrus égyptien37. La mise en place simultanée de vicaires dans la pars Occidentis et dans des domaines du ressort de Constance et de Maximien impliquerait une action concertée ou, à défaut, imposée par l’Auguste senior en vue d’installer ces nouveaux responsables dans chacun des diocèses créés. Mais le raisonnement demeure incertain, d’autant que l’existence même d’un uicarius du dioecesis Galliarum à cette date et durant le ive siècle n’est pas assurée.
30Plusieurs faisceaux d’indices incitent à la prudence, et l’on suivra les conclusions des analyses d’André Chastagnol pour la période qui couvre les années 330-41038.
Premier indice : aucun vicaire du diocèse des Gaules n’est attesté pour l’ensemble du ive siècle, alors que sont connus les noms de plusieurs gouverneurs de provinces et de préfets du prétoire après 336, année du parachèvement de la régionalisation de la fonction39. L’argument n’est pas décisif au regard des lacunes des fastes du ive siècle, en Gaule en particulier, où les inscriptions font défaut. Seul est attesté dans une inscription de Rome un certain Flauius Sallustius, uicarius des Quinque prouinciae en 35540, c’est-à-dire vicaire du diocèse situé au sud de la Gaule, ainsi rebaptisé à la suite du transfert de la capitale de Vienne à Bordeaux41. Son diocèse dépendait de l’autorité du préfet du prétoire dont les bureaux se trouvaient à Trèves.
Deuxième indice : Ammien Marcellin laisse entendre (xvii, 3, 6) que du temps où Julien était César, il n’existait pas de vicaire du diocèse des Gaules. Dans cet extrait où l’historien rappelle son admiration pour Julien, il est question de la répartition fiscale entre les cités par le préfet du prétoire Florentius, un proche de Constance II. La levée trop brutale des impôts, à un moment où les Gaulois étaient déjà fortement soumis à contribution, fut à l’origine d’une situation de révolte larvée. Julien s’opposa à Florentius, intervenant en faveur des provinciaux et allant même jusqu’à réclamer le gouvernement de la Belgique Seconde pour apaiser les tensions. Dans ce passage, Ammien Marcellin dresse la liste des agents de l’État (apparitores) à qui Julien interdit d’exercer toute pression pour la levée les impôts : sont mentionnés les agents du préfet (praefectiani) et ceux des gouverneurs (praesidales). L’échelon intermédiaire, celui des vicaires, est absent, alors qu’au ive siècle leur tâche principale consistait précisément à vérifier la répartition équitable et la levée de l’impôt. Le silence est ici éloquent42 : ces agents ne sont pas évoqués parce qu’ils n’existaient probablement pas.
Troisième indice : un demi-siècle plus tard, la Notitia Dignitatum, rédigée certainement en 401, ne distingue pas le diocèse septentrional du diocèse méridional de la Gaule43. Dans cette liste administrative des provinces, la Gaule est divisée en 17 provinces réunies dans la dioecesis Septem Prouinciae. Si l’on suit André Chastagnol, « cette appellation signifie, en fait, que seule la circonscription méridionale, qui groupe réellement sept provinces, est dotée d’un vicaire, comme c’était le cas auparavant depuis Constantin ». Les provinces de la dioecesis Galliarum dépendent « directement du préfet du prétoire régional, quelle que soit d’ailleurs la résidence de ce dernier44 ». L’absence de vicaire dans le diocèse où se trouvait le siège du préfet du prétoire régional est confirmée par la même source pour d’autres diocèses45. Ces faits établis, André Chastagnol fait coïncider la disparition du vicariat avec la mise en place de la préfecture régionale des Gaules, Espagne et Bretagne46. Selon ce savant, le nouveau préfet, installé à Trèves, aurait administré directement le diocèse septentrional, tandis que le vicariat se serait maintenu ailleurs, dans les diocèses périphériques d’Espagne et de Bretagne. L’absence de vicaire du diocèse des Gaules se justifierait donc du fait que Trèves abritait déjà des bureaux civils et militaires étoffés, que les autorités n’ont pas jugé utile de dédoubler.
31Ainsi, si aucune preuve directe de la présence d’un vicaire dans le diocèse des Gaules ne peut être apportée, le silence des sources à chaque moment où la fonction aurait dû être mentionnée est surprenant. De ce point de vue, la démonstration d’André Chastagnol apparaît très convaincante, et nous la suivons. Il est presque assuré qu’entre la fin du règne de Constantin, moment où la préfecture régionale fut mise en place, et le début du ive siècle, date de la Notitia Dignitatum, le poste de uicarius dioecesis Galliarum n’a jamais été pourvu. Il était inutile car doublon d’une fonction déjà existante. La seule réserve à émettre concerne la datation de la disparition du vicariat. La question mériterait d’être abordée sous un autre angle, en se demandant au préalable si le vicariat existait auparavant, comme semble l’envisager A. Chastagnol47.
32Cependant, la mise en place systématique du vicariat partout dans l’Empire, au moment de la création des diocèses, n’est absolument pas assurée. Pour mémoire, le poste de uicarius a été créé pour représenter le préfet du prétoire en son absence, dans des provinces périphériques et éloignées de son lieu de résidence48. Or, au début du ive siècle, la cour impériale a rarement été absente de Trèves, capitale du diocèse des Gaules et de la pars Occidentis de l’Empire (au moins de la Bretagne, des Gaules au sens large et des Espagnes)49 :
entre les années 297-298, date présumée de création des diocèses, et 316, Trèves demeure la résidence principale de Constance puis de Constantin ;
Crispus s’y fixe de 318 à 323, peut-être même jusqu’en 326 ;
Constantin II s’installe dans la ville de 328 jusqu’à sa mort, en 340.
33En creux, on ne relève l’absence d’un membre de la famille impériale qu’entre 316 et 318, 323-326 et en 328. Certes, on ne sait presque rien des mouvements ni de la présence des préfets du prétoire, dont le nombre demeurait limité à deux pour l’ensemble de l’Empire, jusqu’à la fin des années 32050.
34Cette longue analyse renforce l’hypothèse de départ sans toutefois apporter d’argument décisif, à savoir qu’il n’y a probablement jamais eu de création d’un poste de vicaire pour le diocèse des Gaules, car le siège du vicariat aurait été dans l’ombre des bureaux de la chancellerie impériale. Les arguments invoqués par André Chastagnol pour justifier l’absence de vicaire au début du ive siècle peuvent s’appliquer rétroactivement à la situation des années 297-330. En soi cette absence n’a rien de surprenant si l’on garde en mémoire que les réformes des découpages administratifs de Dioclétien et de Constantin ne furent jamais guidées par une volonté centralisatrice, au sens moderne du terme : elles furent progressives et pragmatiques dans leur mise en œuvre, même si, par ailleurs, les objectifs avaient été clairement établis au départ. Il n’y eut pas de transformations systématiques en matière de réforme des provinces : des recompositions étaient possibles (redécoupages, changement de capitales provinciales, etc.) et des solutions provisoires pouvaient être envisagées. Dans cette perspective, il n’y a probablement jamais eu de poste officiel et durable de vicaire du diocèse des Gaules. En revanche, la nomination provisoire d’un représentant des préfets pour assurer une présence officielle a pu être un recours dans des moments de troubles ou d’absence du pouvoir dans cette partie de l’Empire.
35Pour revenir au discours d’Eumène, l’hypothèse de Charles Nixon et de Barbara Rodgers, qui envisageaient de faire du Vir perfectissimus un vicaire, doit donc être exclue. Par ailleurs, les actions du Vir perfectissimus décrites dans le cadre de sa tournée d’inspection s’accordent mieux avec celles d’un gouverneur.
Praeses Lugdunensis ou praeses Lugdunensis primae ?
36La fonction précise du Vir perfectissimus n’est pas pour autant éclairée. Le personnage était certainement un gouverneur (praeses), mais de quelle province ? De Lyonnaise, comme le pensent à juste titre les commentateurs du texte. Mais n’est-ce pas aller trop loin que d’affirmer qu’il s’agissait de la Lyonnaise Première (Lugdunensis Prima), en sous-entendant ainsi qu’en 298 le redécoupage des provinces du diocèse des Gaules était achevé51 ?
37La vaste province de Lyonnaise a pu être démantelée à cette date, peut-être même avant la Tétrarchie, puisque de telles divisions administratives sont attestées au iiie siècle52. Rien n’est certain sur ce point, sinon que le découpage était accompli en 313, date d’une loi adressée au praeses de Lyonnaise Première53, la Liste de Vérone ne faisant que confirmer ce témoignage en 31454.
38Si l’on considère que la Lyonnaise fut divisée selon la séquence habituellement admise pour les réformes tétrarchiques, une datation haute, en 298 par exemple, paraît peu probable. Quand la documentation permet de préciser la chronologie, les découpages se situent en général dans la première décennie du ive siècle, en particulier au cours des dernières années de règne de Dioclétien et des premières de ses successeurs immédiats : ainsi les frontières de la Thébaïde furent remaniées entre 298 et 300, celles de l’Afrique et de la Numidie en 303, celles de la Pisidie vers 309-31055. Concernant la Gaule et les Germanies, l’inscription mentionnant un certain Aurelius Proculus, en 294 (ILS, 640), n’apporte aucune information suffisante. Timothy Barnes, en le désignant comme le premier praeses Sequaniae attesté, commet une imprudence car la pierre est lacunaire à cet endroit précis. De surcroît, la datation proposée paraît trop précoce pour les provinces rhénanes56.
39Sur ces questions, Barbara Rodgers, en reprenant l’analyse d’un extrait du discours d’Eumène (§ 18, 3 : aut haec ipsa quae modo desinit esse barbaria, non...), a soulevé un problème important57. Édouard Galletier l’avait traduit ainsi : « Et cette autre région qui vient d’être arrachée à la barbarie... », pensant qu’il était question des régions de l’Escaut et de la Batavie58, alors que les commentateurs précédents avaient compris qu’il s’agissait de la Gaule.
40À la lecture du texte, le mot auquel il est fait allusion est le singulier d’un terme administratif ou géographique du genre féminin. Barbara Rodgers a dressé la liste des mots susceptibles de convenir : urbs, ciuitas, prouincia, res publica, dioecesis, regio. Dans le contexte précis du passage, haec ipsa répond, par un balancement, à Britannia évoquée plus haut : dans ces conditions, ne faut-il pas envisager que ce haec ipsa correspond à une prouincia, sans plus de précisions ? D’après Eumène, cette prouincia, délimitée par des fleuves et un océan, avait subi les assauts des Francs. Ipsa ne peut se traduire par alia, comme le relève Barbara Rodgers, et la traduction de Galletier ne convient pas. L’emploi d’ipsa indique par ailleurs que la province en question était celle où le Panégyrique latin v(9) avait été prononcé. Ceci dit, la Lyonnaise dans ses limites du Haut-Empire conviendrait, si l’on considère que la côte à laquelle il est fait allusion est située près de l’embouchure de la Seine, régulièrement attaquée par des pirates Saxons et Francs, et si l’on identifie les deux fleuves mentionnés comme étant la Loire et la Seine. L’hypothèse est acceptable59, bien qu’il soit permis de transposer le raisonnement à la Belgique et, dans une moindre mesure, à la Germanie inférieure60. Mais dans tous les cas de figure, la Lyonnaise ne s’envisagerait ici que dans ses limites du Haut-Empire.
41Des remarques qui précèdent, il ressort que le Vir perfectissimus qui écouta Eumène prononcer son discours était vraisemblablement le praeses Lugdunensis, le gouverneur de la province de Lyonnaise dans ses limites du Haut-Empire. Ce personnage anonyme fut certainement l’un des derniers gouverneurs de cette vaste province, fractionnée au cours de la décennie suivante, à une date que l’on placerait volontiers, d’après les situations mieux connues des autres provinces occidentales et orientales, dans les années 300-30561. Les arguments demeurent fragiles, certes, mais le schéma proposé demeure le seul qui tienne compte de l’ensemble de la documentation à disposition.
Les qualités attribuées au gouverneur
Compétences oratoires, humanitas et uenia
42Il n’y a pas lieu de s’étendre ici sur les qualités attribuées au Vir perfectissimus dans le discours ; elles seront développées en détail dans la troisième partie du livre, consacrée à l’idéologie civique. Néanmoins, un rapide commentaire de ces qualités mérite d’être dès à présent conduit, dans la mesure où il conforte les démonstrations précédentes et éclaire l’absence d’éloge en bonne et due forme du Vir perfectissimus.
43Eumène ne consacre aucun développement long à l’éloge du gouverneur. Si les qualités qu’il lui attribue sont facilement identifiables, elles se trouvent disséminées dans l’ensemble du discours. Eumène reconnaît d’abord les compétences oratoires et l’humanitas de son interlocuteur. Puis, à plusieurs reprises, il demande à ce dernier de faire preuve de bienveillance (uenia) à son égard.
44Dans le cadre du discours, sa qualité la plus importante est incontestablement la capacité oratoire : te qui semper in omni genere dicendi maxima facultate uigisti (§ 1, 1). Ce n’est pas un hasard si Eumène inaugure son propos par cette vertu : comment un gouverneur si talentueux et versé dans l’ars bene dicendi pourrait-il demeurer insensible à une demande visant à rétablir des écoles ? La captatio beneuolentiae a vocation à impliquer d’emblée le destinataire du discours et à le ranger au côté des défenseurs de l’entreprise.
45Dans l’exorde, si Eumène déploie cette stratégie rhétorique, la qualité qu’il attribue au Vir perfectissimus n’a pour autant aucune raison d’être remise en cause. Les gouverneurs de provinces étaient par nécessité des administrateurs et, en conséquence, des lettrés plus ou moins brillants, quelle que fut leur origine sociale ou la spécialisation de leur carrière. Les administrés attendaient d’eux qu’ils soient de bons connaisseurs du droit, raison pour laquelle, dans les codes juridiques, iudex est devenu synonyme de praeses62. L’éloge de l’éloquence apparaît aussi comme un lieu commun, comme une qualité attendue des gouverneurs, en particulier au ive siècle, comme l’attestent les sources épigraphiques et littéraires63. Le formulaire des hommages publics précise, par le biais d’expressions plus ou moins recherchées, que le gouverneur est un uir disertissimus, un uir eloquentissimus64. Ainsi, la maison située en Achaïe de l’un des gouverneurs les plus célèbres de Constance II, Lucius Ampelius, s’appelait la « maison des Muses65 ». Une étude de l’identité des administrateurs romains loués pour leur éloquence montre qu’il ne s’agissait pas d’un simple lieu commun décroché des réalités66. Quand Jérôme, homme de culture et fin lettré, précise dans sa chronique au style laconique que Tiberianus, premier préfet du prétoire des Gaules attesté en 336, était un uir disertissimus, il n’y a aucune raison d’en douter, d’autant qu’il écrit un demi-siècle après les faits67. À l’inverse, certains auteurs n’hésitent pas à fustiger l’inculture des gouverneurs de leur temps68. En conséquence, par-delà le topos rhétorique bien adapté au contenu général du Panégyrique latin v(9), le Vir perfectissimus présent à Autun devait être reconnu comme un uir disertissimus ou litteratus.
46La deuxième vertu qui lui est attribuée est l’humanitas. Sous la République, selon Joseph Hellegouarc’h qui en propose une définition large, elle désigne le sentiment qui conduit à envisager ses semblables comme des hommes qu’une communauté de destin oblige à considérer avec déférence69. À l’origine des règles de politesse et de tenue, l’humanitas apparaît comme une notion à caractère social, englobant aussi bien la continentia que la modestia, la iustitia que la clementia. Dans le cadre des rapports entre gouvernants et gouvernés, le mot est synonyme de clementia, au sens d’indulgence dans l’exercice de la justice. Pour Cicéron, l’humanitas consiste aussi à remplir les devoirs de l’officium70. Appliquée au gouverneur, représentant du prince, elle fait écho à la clementia principis, principe qui autorisait l’empereur à assouplir l’application des lois dans les tribunaux71. En dernier lieu, elle est la qualité de l’homme poli par la culture et l’étude. Ces définitions, valables pour l’époque républicaine, s’appliquent bien aux qualités dont le Vir perfectissimus présent à Autun dut faire preuve lors de sa visite. Elles contribuent aussi à brosser un portrait idéal du bon administrateur, dont il constituerait l’incarnation. Si la notion d’humanitas figure rarement dans les hommages honorifiques du ive siècle, la vertu apparaît en filigrane, recoupant d’autres vertus bien attestées par ailleurs comme la iustitia, la moderatio, l’integritas, l’aequitas72. Elle s’accorde bien au thème principal du discours, centré sur la rhétorique et la culture que les écoles, une fois reconstruites, ont pour mission de diffuser. Cette notion isolée, qui s’apparente à un fragment d’éloge, participe de l’élaboration du portrait idéal, mais aussi réel, du Vir perfectissimus. En somme, sa culture et son humanitas font de lui un représentant compétent du pouvoir, apte à entendre les requêtes des provinciaux et à prononcer des jugements équitables dans les affaires qui lui sont soumises.
47La dernière qualité, la uenia, entre également dans cet idéal, même si elle n’est pas présentée comme une attribution exclusive du gouverneur. Faire preuve de bona uenia à l’époque républicaine, c’est faire preuve d’indulgence pour le dieu dans le cadre d’une prière, pour le juge ou le supérieur social dans le cadre d’une requête ou d’un jugement73. En cas d’offense, la uenia justifie le pardon. Le terme revêt aussi un sens juridique : il signifie alors « rémission », « excuse », « indulgence ». Si le mot n’apparaît pas dans les hommages épigraphiques érigés en l’honneur de gouverneurs, des notions proches qualifient parfois le représentant de l’empereur, comme la patientia ou la mansuetudo, aptitudes à écouter les demandes de bonne grâce74. Cette qualité implique ainsi, de la part du gouvernant, une douceur et une accessibilité, sans abolir pour autant la position sociale supérieure de l’interlocuteur. Elle caractérise l’affabilité de l’honnête homme et du bon chef. Là encore, le Vir perfectissimus est affublé des qualités habituelles associées aux gouverneurs dans les hommages publics des cités d’époque tardive75.
Les raisons de l’absence d’un éloge en bonne et due forme du Vir perfectissimus
48Un dernier éclaircissement peut être apporté pour comprendre les raisons ayant conduit Eumène à ne pas détailler toutes les qualités attribuées au Vir perfectissimus.
49La seule solution envisageable est de considérer le discours d’Eumène comme l’une des séquences – la seule qui nous soit parvenue – de la visite à Augustodunum de cet officiel, un jour indéterminé entre la fin de l’hiver et le printemps 298. S’il n’existe aucun témoignage détaillé de la visite d’un gouverneur dans une cité aux iiie-ive siècles, il est possible de reconstituer une visite type à travers différents passages relevés dans plusieurs sources, et tout particulièrement dans le traité de Ménandre le Rhéteur. La visite d’un gouverneur se calquait en grande partie sur le cérémonial de l’aduentus impérial, paradoxalement mieux attesté alors que l’événement était plus rare et exceptionnel que la visite d’un gouverneur. Roland Delmaire, à partir des realia relevés dans les sources patristiques orientales des ive et ve siècles, a établi les principales caractéristiques du cérémonial de l’entrée des gouverneurs, vicaires ou préfets du prétoire dans une cité76. Ces différents témoignages permettent de reconstituer une cérémonie type.
Dans le cadre de l’aduentus, les habitants se portaient à la rencontre du dignitaire, hors les murs, en ordres constitués, les magistrats et les curiales placés au premier rang77.
La cérémonie se poursuivait intra muros. Les hommages officiels se mêlaient aux considérations plus pratiques, liées à la mission assignée au gouverneur : inspection, pourparlers avec les notables, tournée judiciaire. Ces différents temps forts de la visite se tenaient dans les principaux bâtiments publics : lieux de spectacle, forum, basilique, curie78.
Afin d’honorer le visiteur, un certain faste était déployé par les autorités municipales. Les citadins portaient des vêtements soignés, les rues de la ville étaient nettoyées, parfois même rénovées, les artères principales et les portes décorées de guirlandes, de torches, de bannières, de tentures, de couronnes et de lampes allumées. Des musiciens et des danseurs accompagnaient le visiteur dans son parcours79.
À cette occasion, la prise de parole était très codifiée et hiérarchisée : des acclamations accompagnaient l’hôte de marque tout au long de sa visite, en particulier devant les portes et dans les hauts lieux de la vie publique80. Ménandre le Rhéteur et le Pseudo-Denys définissent dans leurs traités les deux types de discours alors prononcés. Le premier, prononcé devant les portes, concernait la personne même du visiteur, alors que le second, prononcé intra muros, voyait son contenu varier selon les raisons de la visite. Souvent, il s’accompagnait d’une pétition destinée à défendre ou accroître les privilèges civiques81. Cette dernière précision est importante. En effet, la distinction opérée par Ménandre entre discours prononcé devant les portes et à l’intérieur de la cité permet de formuler la proposition suivante : si le Vir perfectissimus ne reçut aucun éloge en bonne et due forme dans le discours d’Eumène, c’est parce que l’éloge était intervenu à un autre moment de la visite. Il a pu consister en un discours traditionnel prononcé par un notable versé dans l’art rhétorique, peut-être devant les portes de la ville, et il a pu être accompagné d’acclamations populaires, non mentionnées mais bien attestées ailleurs.
50Cette hypothèse, en dépit de sa grande part d’incertitude, offre une solution commode à notre questionnement de départ. Elle apporte aussi un témoignage unique sur l’aduentus des gouverneurs dans les cités de la pars Occidentis de l’Empire.
51En définitive, l’ensemble des qualités attribuées au Vir perfectissimus dans le discours ainsi que l’absence d’éloge complet confirment et complètent bien le profil du personnage. Ces qualités permettent de préciser le rôle et les actions de cet officiel présent à Autun pour une visite d’inspection. Le discours d’Eumène met en scène les relations complexes entretenues par un gouverneur provincial d’époque tétrarchique avec les habitants d’une communauté civique en pleine recomposition. Enfin, aux côtés de l’orateur et du gouverneur se signale un dernier acteur, qui semble jouer un rôle clé dans l’entreprise de restauration des écoles.
Le « mystérieux Glaucus »
52La mention du nom de Glaucus par Eumène ne relève pas du hasard, dans un passage qui intervient dans le dernier quart du discours (§ 17, 4) :
4. Cuius ego locum, in quo, ut referunt, maior octogenario docuit, si ab isto uenerabili sene (te, Glauce, appelo, praesentem quem uidemus, non ciuitate Atticum, sed eloquio) recoli ornarique perfecero, ipsum mihi uidebor ad uitam tali professionis suae successione reuocasse.
4. Pour ma part, si je réussis à faire restaurer et embellir ce lieu par ce vénérable ancien – c’est à toi Glaucus que je m’adresse, toi qui es présent et que nous voyons, toi qui es Athénien non par la cité mais par l’éloquence – si je réussis à faire restaurer et embellir ce lieu donc, dans lequel, comme on le raconte, il [le grand-père d’Eumène] enseigna âgé de plus de 80 ans, et bien il me semblera l’avoir rappelé à la vie après lui avoir succédé à une telle profession.
53L’extrait est court mais riche en informations82. De prime abord, Glaucus était un personnage âgé en 298, né à l’époque sévérienne, puisqu’il est qualifié de senex par Eumène dont la naissance remonte aux années 240. Le « mystérieux Glaucus », pour reprendre l’expression d’Édouard Galletier83, seul individu nommément désigné, était présent en bonne place dans l’assistance84. Mais pourquoi Eumène a-t-il souhaité le mettre autant en avant ?
54Sur la base de cet extrait, Glaucus a été considéré de différentes manières par les commentateurs : certains lui ont attribué une origine orientale et ont déduit de son nom qu’il était hellénophone ; d’autres l’ont considéré comme un enseignant, collègue du grand-père d’Eumène, en s’appuyant sur le rappel de ses compétences oratoires et de son grand âge ; d’autres enfin ont vu en lui un architecte impliqué dans la reconstruction des écoles, qu’il devait recolere et ornare85. Aucune de ces solutions n’est cependant satisfaisante et, en définitive, l’extrait ne peut être compris que par un rapprochement avec le formulaire de textes épigraphiques des iiie et ive siècles.
55Le cognomen Glaucus est l’adaptation latine du nom grec Γλαῦκος. Il n’est pas rare dans le monde latin. À cette date tardive, il ne marque pas une ascendance servile ni une origine orientale86 : ces hypothèses doivent être écartées car elles ne tiennent pas compte des particularismes de l’onomastique en pays éduen, marquée par l’abondance des cognomina tirés de noms grecs87.
56« Athénien non par la cité mais par l’éloquence » : la formule indique sans ambiguïté que Glaucus excellait dans la langue d’Homère sans être un citoyen d’Athènes par l’origo88. Membre de l’élite gallo-romaine cultivée, il maîtrisait les deux langues littéraires de son temps, le latin et le grec : il était utraque lingua eruditus, pour reprendre l’expression épigraphique89. Eumène, fin lettré, a préféré à l’emploi de cette formule brève l’usage d’une périphrase plus fleurie, à l’image de celle reproduite sur le texte d’une inscription de Timgad du début du iiie siècle. Le texte reproduit l’hommage chaleureux de l’ordo de la cité à son patron du moment, le sénateur Publius Flauius Pudens Pomponianus signo Vocontius90. Honnête homme accompli, il faisait preuve de compétences dans les exercices militaires et maîtrisait une érudition littéraire unissant la faconde attique (Atticam faciundiam) à l’éclat romain (aequanti Romano). Les habitants de Timgad, comme Eumène un siècle plus tard, ont préféré une formule recherchée et individualisée à une expression stéréotypée, démarche conditionnée par les qualités du destinataire, en mesure d’apprécier la haute tenue des hommages qui lui étaient adressés. Par ailleurs, l’usage d’un style élevé pouvait constituer un marqueur supplémentaire de la haute dignité sociale du laudandus et de l’estime que lui portaient ses contemporains.
57Glaucus n’était pas simplement un « vénérable vieillard », comme le laisserait penser une traduction littérale de l’expression uenerabilis senex. Qualifier un individu de uenerabilis revenait à lui accorder une marque de déférence extrêmement poussée. Dans l’épigraphie, l’épithète se diffuse principalement au ive siècle et apparaît dans des éloges adressés à des membres de la famille de Constantin (l’empereur, certains de ses proches comme sa mère, sa sœur, ses fils) ou à de hauts dignitaires ecclésiastiques91. Le charisme et l’autorité morale demeurant deux fondements essentiels de la uenerabilitas, le grand âge de Glaucus renforçait sa position et son statut de notable ayant traversé les malheurs du siècle.
58Si Glaucus semble avoir été un uir litteratus versé dans les deux langues, rien n’indique qu’il fut maître de rhétorique dans les écoles, la culture littéraire n’étant pas le privilège de cette seule profession. Notable respectable, ayant accompli tous les honneurs et gravi tous les échelons de la carrière municipale (omnibus honoribus apud suos, disent les inscriptions), il devait faire partie des primores ciuitatis. À cette date, la place de Glaucus était d’autant plus exceptionnelle que les rangs des décurions se trouvaient clairsemés, malgré les transferts ordonnés par les empereurs pour les repeupler92.
59Mais si Glaucus était un notable de premier plan, pourquoi l’avoir impliqué dans cette entreprise évergétique ? Selon les mots d’Eumène (§ 6, 4 et 17, 4), il revenait à Glaucus – comme l’indique la préposition ab – d’accomplir deux tâches précises, à savoir reconstruire le bâtiment (recolere et instaurare), pour ensuite en assurer les finitions et l’ornementation (ornare et exornare). Les expressions associant deux verbes d’action sont courantes dans les formulaires épigraphiques tardoantiques relatifs à des constructions publiques93 : recolere apparaît plus rarement qu’instaurare, mais il est attesté94 ; quant aux verbes ornare et exornare, ils sont l’un et l’autre fréquemment utilisés95.
60Un dernier détour par l’épigraphie permet de lever définitivement le doute sur le rôle joué par Glaucus. Dans les inscriptions mentionnant des travaux, l’évergète précise, par l’emploi de perficere, qu’il les finance jusqu’à leur achèvement complet96. Or, c’est précisément le verbe qu’emploie Eumène l’évergète pour définir son rôle dans l’affaire. Dans un second temps, la somme affectée aux travaux était confiée aux responsables municipaux, à qui il revenait de nommer l’un des leurs pour surveiller les opérations. Cette mission officielle, délicate et lourde de responsabilités (achat des matériaux, affectation et gestion des sommes prévues), était une charge (cura) qu’un notable digne de son rang devait accomplir97. Dans les textes épigraphiques, elle est désignée par l’ablatif absolu curante suivi des titres et du nom du responsable98. Dans cette entreprise, Glaucus a été prédésigné par les décurions éduens pour assurer la curatelle des travaux, en attendant un accord définitif en haut lieu. Il était donc, pour emprunter le terme institutionnel latin adéquat, curator operum, et certainement pas architecte99.
61Se pose en dernier lieu la question du choix du personnage : pourquoi l’avoir désigné lui et pas un autre ? Dans le contexte du discours, Eumène a désigné Glaucus dans l’auditoire avec l’intention de le présenter au Vir perfectissimus, à qui il revenait, en sa qualité de gouverneur, de transmettre le dossier aux empereurs. Deux textes du Code Théodosien précisent que, dans ce genre d’affaire, il était du ressort du praeses de nommer des curatores operurn, à plus forte raison quand les chantiers engagés étaient nombreux et risquaient d’entraîner la ruine de la cité et de ses dirigeants, garants sur leurs biens propres des opérations100. Or, la situation décrite par les règlements juridiques correspond exactement à celle de la ciuitas Aeduorum en 298 :
Curatores operum cum redemptoribus negotium habent, res publica autem cum his, quos efficiendo operi praestituit, quatenus ergo et quis et cui obstrictus est, aestimatio praesidis prouinciae est.
Les curateurs de travaux ont affaire aux entrepreneurs, tandis que les pouvoirs publics ont affaire aux curateurs qu’ils ont commis à l’exécution d’un ouvrage ; donc, c’est au gouverneur de la province d’apprécier pour combien de temps, de qui et à quoi il y a engagement (Digeste, l, 10, 2 = Ulpien, Opinions, iii, trad. Janvier, La législation, p. 85-87).
Aedes sacra et opera publica circumire inspiciendi gratia, an sarta tectaque sint uel an aliqua refectione indigeant, et si qua coepta sunt ut consummentur, prout uires eius rei publicae permittunt, curare debet: curatoresque operum diligentes solemniter praeponere, ministeria quoque militaria, si opus fuerit, ad curatores adiuuandos dare.
Il doit effectuer une tournée afin d’inspecter les édifices sacrés et les bâtiments publics, afin de veiller à ce que les édifices soient bien entretenus, afin de voir si les constructions anciennes ont besoin d’être restaurées, ou si les édifices commencés doivent être achevés, dans la mesure où les ressources de ladite communauté le permettent ; il doit nommer chaque année des curateurs de travaux efficaces et, si nécessaire, envoyer des soldats pour aider les curateurs (Digeste, i, 16, 7, 1 = Ulpien, Livre ii sur le rôle du proconsul, trad. d’après Lepelley, « Vers la fin de l’autonomie municipale », p. 458).
62Ces deux textes fixent clairement les cadres d’intervention du curator operum ainsi que sa procédure de nomination. Sur ce dernier point, ils paraissent contradictoires : le premier précise qu’il revient à la cité (res publica) de commettre à l’avance (praestituere) un curator, alors que le second attribue ce rôle au gouverneur, chargé de nommer (praeponere, au sens de « mettre en place, installer dans sa fonction ») des curatores operum. Le texte préciserait même, selon Claude Lepelley, la durée de la charge : un an (sollemniter). Mais la traduction du terme doit être revue, solemniter devant être compris au sens juridique et traduit par « selon la formalité et l’usage », « selon la procédure en usage101 ». La contradiction entre ces deux textes n’est qu’apparente et conciliable en réalité, car la décision des curiales de nommer un curator operum devait être soumise à l’approbation du gouverneur. En cas de réponse positive, la durée de la mission ainsi que les conditions de l’engagement personnel du curateur dans l’affaire étaient établies.
63Comme l’a démontré François Jacques, la procédure n’est pas nouvelle102. Dès le ier siècle, les autorités impériales se sont impliquées dans la nomination de curatores operum dans le but de contrôler les programmes édilitaires, souvent ruineux, mis en œuvre par les communautés civiques. À compter du iie siècle, le rôle est progressivement échu aux curatores ciuitatis, aux attributions plus larges et plus durables. En Italie, la nomination des curatores operum était du ressort direct de l’empereur et, dans les provinces, de celui des gouverneurs.
64Le premier texte est éclairant pour comprendre le témoignage du Panégyrique latin v(9) où il est précisé qui s’engage, pourquoi et pour combien de temps. Eumène s’engage personnellement à verser une somme pour reconstruire les écoles, aussi longtemps que nécessaire (ad restitutionem huius operis, quoad usus poposcerit, destinare, § 11, 3). Le montant, important, correspondait à l’ensemble du salarium d’Eumène, soit 600 000 sesterces ou nummi. Dans ce dispositif, Glaucus fut nommé curateur parce qu’il était l’un des seuls à pouvoir supporter sur ses biens propres les risques d’une telle entreprise, parce qu’il apparaissait comme l’un des rares notables éduens à disposer des compétences requises (curator diligens, comme le précise Dig., i, 16, 7, 1). Rien d’anormal ne transparaît dans cette affaire, puisque la charge de curateur des travaux était confiée en priorité aux notables les plus riches et les plus expérimentés103. Pour Eumène, la prédésignation de Glaucus constituait un gage de la fiabilité de l’entreprise, planifiée jusque dans ses moindres détails. Par ailleurs, la personnalité irréprochable de Glaucus offrait une garantie supplémentaire, laissant présager un déroulement sans heurt des travaux.
65Le portrait de Glaucus déjà esquissé se trouve ainsi conforté : en plus d’être un homme de grande culture et un décurion de premier plan, il était un riche notable et un bon administrateur, peut-être même – ce n’est qu’une hypothèse vraisemblable – le curator rei publicae de la cité en 298. Car à cette date, en Afrique, la charge de curateur des travaux avait été absorbée par celle de curator reipublicae, qui constituait désormais le couronnement de la carrière municipale104.
66L’affaire de la reconstruction des Méniennes se trouve ainsi clarifiée et l’on discerne mieux les raisons ayant conduit Eumène à s’engager dans une lourde procédure administrative – depuis la postulatio jusqu’à l’autorisation impériale, en passant par l’intervention du gouverneur –, alors qu’il s’agissait au départ d’un acte d’évergétisme privé. On comprend mieux aussi le rôle joué par Glaucus dans une affaire dont le problème essentiel demeurait financier. L’équilibre était délicat entre, d’une part, la préservation des finances municipales particulièrement sollicitées par les reconstructions en cours et, d’autre part, la protection du groupe des décurions alors en pleine recomposition. La situation dont fait état Eumène s’inscrit sans conteste dans une tradition d’intervention du pouvoir impérial dans la vie des cités. Outre les motivations mentionnées à l’instant, le pouvoir en tirait un grand intérêt, puisque ses propres capacités financières dépendaient du versement régulier de l’impôt à l’administration du fiscus par ces mêmes cités.
67Aux côtés d’Eumène, le Vir perfectissimus apparaît comme le second personnage clé de cette affaire de restauration des écoles. La « stratégie discursive » déployée par l’orateur se concentre sur ce personnage clé, duquel dépend l’aboutissement de l’entreprise.
68Comme l’indique son titre de Vir perfectissimus, cet interlocuteur était un représentant officiel de l’État, membre de l’ordre équestre. Une analyse précise de son rôle montre qu’il accomplissait une visite d’inspection destinée à vérifier l’état des finances civiques ainsi que le bon déroulement des travaux de reconstruction d’Autun. Le Vir perfectissimus se trouvait bien à Autun au début de l’année 298, lorsqu’Eumène prononça son discours.
69Il était investi d’une seconde fonction, qui consistait à instruire un dossier afin de le transmettre, avec son avis, aux autorités impériales pour obtenir leur accord. Eumène, en offrant une somme importante à ses concitoyens, les obligeait à respecter une procédure juridique entamée par la prédésignation d’un curateur des travaux, appelé Glaucus. Ce dernier était chargé de veiller à la gestion de la somme ainsi qu’au bon déroulement des travaux, à charge au gouverneur de valider la nomination de ce curateur.
70Sans pouvoir l’affirmer assurément, il semble que le Vir perfectissimus, à la date du discours et compte tenu de l’état actuel de nos connaissances sur les réformes tétrarchiques, n’était ni le vicaire du diocèse des Gaules ni le praeses Lugdunensis primae, mais bien le praeses prouinciae Lugdunensis, peut-être l’un des derniers gouverneurs de la province de Lyonnaise dans ses limites du Haut-Empire.
71L’analyse du rôle joué par le gouverneur perfectissime permet de clarifier, en la justifiant, la procédure engagée par Eumène. L’étude apporte un éclairage nouveau sur les raisons ayant conduit à l’intervention d’un représentant de l’État dans un acte d’évergétisme privé, concernant qui plus est un bâtiment exclu de la liste des ornamenta ciuitatis. L’explication se trouve dans la situation des finances municipales d’une part, dans celle de ses élites dirigeantes d’autre part. En précisant les détails du financement et en nommant explicitement le maître d’ouvrage, Eumène cherchait à tout prix à prouver la viabilité de l’entreprise, réalisable sans répercussions négatives sur les finances municipales. Le discours prouve l’extrême prudence et la grande habileté d’Eumène pour mener à bien cette affaire dans un contexte très incertain.
Notes de bas de page
1 Voir Galletier, 1, p. 109, n. 4, sur le rôle joué par le personnage dans l’affaire : « Le chapitre 4 est très instructif à cet égard. L’orateur y parle de subventions si considérables [...] qu’un contrôle de l’État paraît tout naturel. Dans les installations de colons, d’ouvriers, des légions même dont il est question, le préfet de Lyonnaise n’avait-il pas son mot à dire ? » Cette hypothèse rapidement formulée par Galletier, jamais explorée par les commentateurs ultérieurs, va être étayée et précisée tout au long du présent chapitre.
2 Plusieurs fragments des Florides d’Apulée donnent en effet une idée précise de ces pièces oratoires prononcées en latin en l’honneur des gouverneurs (en l’occurrence, du proconsul d’Afrique) à la fin du iie siècle : Apul., Flor., 8, 9, 16, 17, commenté en dernier lieu par V. Hunink, Apuleius of Madauros. Florida, Amsterdam, 2001 ; La Rocca, Il filosofo e la città, p. 13-77, en particulier p. 64-77, chapitre « Il filosofo e il potere ». Dans le domaine hellénophone, les discours d’Aelius Aristide en offrent également une excellente illustration : Arstd., Or. xvii et xxi. Informations importantes dans le Traité ii de Ménandre le Rhéteur, qui précise la composition de plusieurs discours types prononcés à l’occasion de la visite d’un représentant de l’État (gouverneur, empereur). Il opère une distinction entre discours d’arrivée (ἐπιβατήριος λόγος en 377, 31-388, 15), d’adresse (προσφωνητικός en 414, 31-418, 4), de départ (προπεμπτικὴ λαλιά en 430, 9-434, 9, également appelé par le Pseudo-Denys προσφωνηματικός : Ps.-Denys, 272-277), d’invitation (κλητικòς λόγος en 424, 3-430, 8) et d’ambassade (πρεσβευτικòς λόγος en 423, 6-424, 1 ; sur le genre, voir les remarques formulées supra dans le chapitre 3). Sur ces discours prononcés en l’honneur des gouverneurs : Pernot, La rhétorique de l’éloge, 1, p. 95-98 ; Ponce, « Menandro rétor y la figura del gobernador », p. 353-364 ; dans une moindre mesure, Bérenger-Badel, « Le voyage des gouverneurs à l’époque impériale », p. 73-86. Informations intéressantes sur le sujet dans Panciera, « Le virtù del governatore provinciale nelle iscrizioni latine », p. 457-484.
3 L’expression Vir perfectissimus apparaît aux § 1, 1 ; 3, 1-2, 4 ; 4, 1 ; 6, 1 ; 9, 1 et 3 ; 10, 3 ; 13, 2 ; 15, 1 ; 16, 3 ; 17, 5 ; 19, 1 ; 20, 1 et 21, 4.
4 Sur le titre de Vir perfectissimus, voir la synthèse ancienne mais commode de Ensslin, « Perfectissimus », col. 664-683, à compléter pour mise à jour avec Lepelley, « Du triomphe à la disparition : le destin de l’ordre équestre », p. 629-646, qui reprend dans ses grandes lignes « Fine dell’ordine equestre », p. 227-244. Sur les titres portés par les élites dirigeantes à l’époque impériale : Pflaum, « Titulature et rang social sous le Haut-Empire », p. 177-179 ; id., Carrières, 2, 1962, p. 624, n. 10 (listes des Viri perfectissimi du iiie siècle). Christol, « M. Simplicinius Genialis », p. 231-241, offre une mise au point synthétique sur les évolutions du titre et le profil sociologique de ses détenteurs au milieu du iiie siècle, quelques années avant la réforme de Gallien. Donné au début du iiie siècle aux seuls préfets des vigiles, de l’annone et à certains dirigeants de la chancellerie, il fut étendu progressivement aux préfets des flottes (sous Gordien iii), à certains gouverneurs de provinces dotées de légions (Maurétanie tingitane, Égypte, Mésopotamie). À la fin du règne de Gallien, il est accordé à la majorité des praesides provinciaux. À partir de la fin du iie siècle, apparaissent des titres fondés sur une distinction pécuniaire, par exemple ducenarii pour des uiri egregii·. sur la question, lire les réflexions de Pflaum, Carrières, 2, 1960, p. 948-952, no 37, mises à jour dans id., « Titulature et rang social sous le Haut-Empire », p. 178-179.
5 Première occurrence épigraphique, selon Ensslin, art. cit., col. 665, dans une inscription de l’année 201 du préfet de l’annone Claudius Iulianus (CIL, vi, 1603 = ILS, 1346) : H. Pavis d’Escurac, La préfecture de l’annone, service administratif impérial d’Auguste à Constantin, Rome, Paris, 1976 (BÉFAR, 226), p. 354. Pflaum, « Titulature et rang social sous le Haut-Empire », p. 177, fait remonter le titre au même personnage.
6 Liste synthétique des fonctions revêtues par des chevaliers perfectissimes au cours des années 200-250 environ par Ensslin, art. cit., col. 665-668 ; Christol, art. cit., p. 231-233.
7 Voir Pflaum, Essai, p. 275-294.
8 Sur les transformations des élites dirigeantes à la fin du iiie et au début du ive siècle, Chastagnol, L’évolution politique, sociale et économique, p. 71-73. Sur les mutations de l’ordre équestre, Lepelley, « Du triomphe à la disparition », p. 629-646 ; id., « Fine dell’ordine equestre », p. 227-244.
9 M. Christol, « Les classes dirigeantes et le pouvoir dans l’État, de Septime Sévère à Constantin », Pallas hors série (1997) [L’Empire romain de 193 à 325], p. 57-77 ; id., « L’ascension de l’ordre équestre. Un thème historiographique et sa réalité », dans L’ordre équestre : histoire d’une aristocratie, p. 613-628, propose une analyse nuancée du prétendu accaparement des rouages de l’État par les chevaliers au iiie siècle, thèse ancienne défendue par C. W. Keyes, The Rise of the Equites in the Third Century of the Roman Empire, Princeton, 1915, et devenue la vulgate. En réalité, seul un groupe restreint issu du prétoire mit la main tardivement (après 250) sur certaines structures essentielles du fonctionnement de l’État, comme les commandements militaires et le gouvernement des provinces sénatoriales, avant de prendre le pouvoir impérial lui-même.
10 Liste sommaire des dignitaires impériaux d’époque tétrarchique portant le titre de perfectissime dans Ensslin, art. cit., col. 668-672, à compléter avec celle d’A. Chastagnol, « La fin de l’ordre équestre : réflexions sur la prosopographie des derniers chevaliers romains », MÉFRM, 100-1, (1988), p. 199-206, où l’auteur résume le contenu du mémoire de maîtrise inédit d’Anne Daguet, Les chevaliers romains de 284 à 326, université Paris iv-Sorbonne, 1985, qui constitue une prosopographie commentée des 408 chevaliers attestés entre 284 et 326, à la date de soutenance.
11 B. Rodgers a consacré un appendice détaillé à la question du lieu où fut prononcé le discours d’Eumène : Rodgers, « Eumenius », p. 262-266. Si certaines remarques demeurent pertinentes, les conclusions d’ensemble, en revanche, doivent être révisées. Selon cette savante, le discours aurait été prononcé à Lyon ou Trèves, résidences du gouverneur de Lyonnaise et du vicaire du diocèse des Gaules.
12 Les objections à opposer à cette hypothèse sont nombreuses : les empereurs ont toujours eu le souci de limiter les légations, surtout de la part de cités en difficulté, en raison du coût élevé de telles ambassades. Ensuite, il est curieux que, dans ce discours, on ne rencontre pas d’éloge du gouverneur en bonne et due forme, ce qui aurait dû être le cas dans un discours d’ambassade. Enfin, il est impossible de relever la moindre évocation du lieu alors qu’il s’agissait d’un topos incontournable dans ce genre de discours (par exemple, dans le Panégyrique latin viii(5), l’auteur aborde brièvement le sujet dès la péroraison, en louant Trèves).
13 Sur les fonctions des gouverneurs durant leurs tournées au Haut-Empire : C. Lepelley, « Les sièges des conventus judiciaires de l’Afrique proconsulaire », BACTHS, Afrique du Nord, 23 (1990-1992), p. 145-147 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 55-68, avec un appendice inédit consacré au calendrier et à l’itinéraire de la tournée du proconsul, p. 68) ; Bérenger-Badel, « Formation et compétences des gouverneurs de province dans l’Empire romain », p. 35-56 ; ead., « Le voyage des gouverneurs à l’époque impériale », p. 73-86 ; ead., « Le contrôle des gouverneurs de province sous le Haut-Empire », dans Contrôler les agents du pouvoir, Feller L. éd., Limoges, 2004, p. 127-146 ; G. P. Burton, « The Roman imperial State, provincial governors and the public financies of provincial cities, 27 b.c.-a.d. 235 », Historia, 53 (2004), p. 311-342.
14 Lepelley, « Vers la fin de l’autonomie municipale », p. 458. Le texte est commenté supra, chapitre 4, p. 165.
15 Les différents volets de cette politique de rétablissement ont fait l’objet des analyses du chapitre 4.
16 Sur le sujet : Plin., Ep., x, 17a, 18, 23-24, 37-40, 47-48, etc. Dans ces lettres, il est toujours question de trouver le meilleur équilibre financier dans des affaires de travaux publics menés dans des cités. Pour le Bas-Empire, la thèse de Janvier, La législation, permet de repérer les lois qui obligent à affecter des sommes d’argent en priorité à des reconstructions ou des restaurations (citées p. 97, 155, 161, 165, 181, 215, 217, 221, 223, 227, 269 et 289). Voir aussi les nombreuses remarques de Lepelley, Les cités, 1, p. 62-67, sur la primauté accordée par les empereurs du Bas-Empire aux travaux de restauration sur les autres opérations édilitaires.
17 Selon Claude Lepelley, le pouvoir devint plus attentif à ces problèmes (« Vers la fin du “privilège de liberté” : l’amoindrissement de l’autonomie des cités à l’aube du Bas-Empire », dans Splendidissima Ciuitas, p. 207-220). Ce savant date la réforme qui aboutit à un contrôle accru du pouvoir impérial sur les cités au tout début du règne de Dioclétien (p. 219). Datation nuancée dans une contribution récente, « Vers la fin de l’autonomie municipale », p. 455-472, l’attribution d’une telle réforme pouvant revenir à l’un des prédécesseurs de Dioclétien, entre Gallien et Carus (p. 470-471, n. 43 en particulier). La fourchette proposée paraît trop large cependant, et l’on aurait plutôt envie de rapporter cette réforme aux empereurs de la fin des années 270 et du début des années 280 : Tacite, Probus ou Carus (associé à ses fils). Tacite ayant accordé des privilèges à Pergè, dernière cité à frapper du monnayage provincial de bronze, Probus ayant confirmé la libertas de Dougga à un moment indéterminé de son règne, la fenêtre se réduit entre la fin du règne de Probus et celui de Carus. En ce sens, Probus conviendrait bien, d’autant plus que c’est progressivement à partir de 286 que les compétences du curator rei publicae furent étendues, comme en témoignent les inscriptions africaines (p. 470-471). Or, il s’agit d’un élément nouveau et important de l’intrusion de l’État dans les affaires des cités.
18 Trajan à Pline : « Les finances des communes doivent être ta première préoccupation » (Ep., x, 18, 1).
19 Sur la fonction de curator operum : voir infra, n. 99.
20 Sur les gouverneurs de province à l’époque tardive, la bibliographie est abondante mais très dispersée : Jones, LRE, 1, p. 374 ; Barnes, NE, à compléter avec « Emperors, Panegyrics, Prefects », p. 532-552 ; J.-M. Carrié, « Le gouverneur romain à l’époque tardive : les directions possibles de l’enquête », Ant Tard, 6 (1998), p. 17-30 ; Chastagnol, L’évolution politique, sociale et économique du monde romain, p. 237-245 ; G. A. Cecconi, « I governatori delle province italiane », AntTard, 6 (1998), p. 149-179 ; Corcoran, The Empire of the Tetrarchs, chapitre 9 (p. 234-253) ; E. Garrido Gonzalez, Los gobernadores provinciales en el Occidente bajo-imperial, Madrid, 1987 ; Horster, « Ehrungen spätantiker Statthalter », p. 37-59. Sur les évolutions sensibles observées à cette époque dans le formulaire des inscriptions honorifiques adressées aux gouverneurs : Panciera, art. cit, p. 457-484, en particulier p. 461, n. 14.
21 Les dossiers envoyés par le gouverneur à la chancellerie impériale sont mentionnés explicitement dans le dixième livre de la correspondance de Pline. Les formules peto ut ainsi que des verbes comme prosequor et perferre, extrêmement fréquents, font partie du vocabulaire de la pétition et décrivent les actions engagées par le gouverneur en vue de transmettre un dossier en haut lieu. Les dossiers étaient composés de plusieurs documents, des lettres qui faisaient la navette entre les bureaux du gouverneur et ceux de la chancellerie centrale. Pline parle à leur sujet de Libellus... quem epistulae tuae iunxeras (Ep., x, 48) ; Decretum Calui et edictum, item decretum Bassi his litteris subieci (Ep., x, 56) ; Ea quae sunt utrimque recitata bis litteris subieci (Ep., x, 58, fondamentale pour notre propos puisqu’on y trouve joints et reproduits in extenso, en plus de la lettre de Pline, deux lettres de Domitien, un édit et une lettre de Nerva) ; voir aussi Ep., x, 59 dans son intégralité. L’expression epistulae tuae iunxeras (Ep., x, 60) apparaît dans les lettres 79, 83, 92-93, 114. En clair, Pline pouvait ajouter à sa lettre des documents à l’appui, lettres ou chapitres de lois destinés à éclairer l’affaire, ou des missives dans lesquelles il exprimait un avis personnel.
22 Sur la table de Banasa·. Seston, Euzennat, « La Tabula Banasitana », p. 468-490 (repris dans Scripta Varia, p. 85-107). Pour mémoire, il s’agit d’une inscription reproduisant le texte de deux lettres impériales, la première de 161-168, la seconde de 177. Le dossier concerne une demande de citoyenneté romaine formulée par un chef maure de la tribu des Zegrenses fidèle à Rome, pour lui et ses proches. Ce personnage s’appuie sur le gouverneur qu’il connaissait et dont il était vraisemblablement le client. Le suffragium du gouverneur sollicité par les requérants a été étudié par Christol, « Une correspondance impériale : testimonium et suffragatio dans la Table de Banasa », p. 31-42.
23 Sur l’emploi des épithètes diuus ou sucer pour caractériser tout ce qui touche à l’empereur, voir Drew Bear, Eck, Herrmann, « Sacrae Litterae », p. 355-383 ; L. Robert, « Inscription d’Athènes », RÉA, 62 (1960), p. 316-324 (repris dans Opera Minora Selecta. Épigraphie et antiquité grecques, 2, Amsterdam, 1969, p. 832-840) pour leurs équivalents grecs θεῖος et ἰερός.
24 L’expression a été brièvement commentée par X. Dupuis, « À propos d’une inscription de Thugga : un témoignage sur la vitalité des cités africaines pendant la crise du iiie siècle », MÉFRA, 105-1 (1993), p. 63-73. Elle apparaît dans CIL, viii, 26601 (Dougga, no 78 ; Dougga, deuxième tiers du iiie siècle) et dans IRT, 111 (Sabratha, fin du ive siècle). En dernier lieu : Hostein, « Les oreilles sacrées de l’empereur ».
25 L’expression figure dans une seule source du Haut-Empire : Mart., vii, 99, 4. Entre les iiie et vie siècles, elle est mentionnée dans les sources suivantes : Panégyrique latin v(9), 21, 4 ; Passio Marcelli, B, 2, 2 (dans l’édition de G. Lanata, « Gli atti del processo contro il centurione Marcello », Byzantion, 42 (1972), p. 509-522) ; Firm., Err., 25, 1 ; Amm., xxviii, 6, 29 ; CTh., xii, 12, 9, 1 (de 382) ; Symm., Ep., iv, 54, 2 ; Symm., Rel., 21, 7 et 25, 4 ; Corip., Just., 1, v. 154 ; Vigile (pape), Lettre ii à Saint Jean Chrysostome ; Dorothée de Salonique, Lettre au Pape Hormisdas. Dans les Codes, il est souvent question d’oreilles au sens d’écoute bienveillante dans le cadre de procédures d’appel en droit ou de pétitions administratives : les expressions employées sont alors auribus intimare ou referre. Pour autant, ces oreilles ne sont pas qualifiées de sacrées. D’autres passages des Panégyriques latins témoignent d’un tel usage métonymique : Panégyrique vii(6), 23, 1 et Panégyrique viii(5), 5, 2. Cette notion d’oreilles du roi apparaît dans la correspondance qu’entretenaient les satrapes et les gouverneurs perses de Bactriane au ive siècle avant notre ère, pour désigner les agents rapportant les informations au souverain : S. Shaked, Le satrape de Bactriane et son gouverneur. Documents araméens du ive siècle avant notre ère, Paris, 2004, p. 35-36.
26 Usage de cette expression dans la version grecque du concile d’Éphèse (431) : ταῖς εύσεβέσι καὶ φιλοχρίστοις ἀκοαῖς τῶν θεοφιλεστάτων βασιλέων, « aux pieuses oreilles amies du Christ des très chers à Dieu empereurs », ou encore : τὰς θείας ἀκοάς, « les divines oreilles » (ACO, i, 1-3, p. 25, 1. 36-37). Expressions proches dans ACO, i, 1-3, p. 51, 1. 31-p. 52, 1. 1 ; p. 52, 1. 23-24 et p. 66,1. 8-9.
27 Sur l’audience et les rituels du pouvoir, lire MacCokmack, Art and Ceremony, et, plus récemment, L’audience, rituels et pratiques dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge, Caillet J.-P., Sot M. dir., Paris, 2007. Sur le langage de la chancellerie et ses évolutions : J.-P. Callu, « Code Théodosien : nuances et retouches proposées à la traduction de Jean Rougé », CCG, 17 (2006), p. 291-303, en particulier les remarques conclusives, p. 301-303. Sur ces questions, se reporter aux analyses du chapitre 8.
28 Sur la question : Carrié, « La munificence du prince », p. 428-429.
29 Sur la Liste de Vérone·. Barnes, op. cit., p. 201-208 ; id. « Emperors, Panegyrics, Prefects », p. 548-550 ; Christol, Drew-Bear, « Antioche de Pisidie », p. 40, n. 9 ; Zuckerman, « La liste de Vérone », p. 622-623 (qui résume l’essentiel des discussions concernant le document depuis les travaux de Mommsen). Timothy Barnes et Constantin Zuckerman démontrent de façon convaincante que cette liste dresse un état des provinces de l’Empire au milieu de l’année 314. La datation proposée par Chastagnol, L’évolution politique, sociale et économique du monde romain, p. 240 et 246, « vers 312 » ou « aux environs de 313 », est trop haute.
30 Seston, Dioclétien et la tétrarchie, p. 334-337 a proposé la date de 297 pour la mise en place des diocèses. Il est suivi par A. Chastagnol, La préfecture urbaine à Rome sous le Bas-Empire, Paris, 1960, p. 26-27, et L’évolution politique, sociale et économique du monde romain, p. 240. La date a été remise en cause par Jones, LRE, 1, p. 47, qui sous-entend que le vicariat existait en Italie en 293-296, et surtout par Barnes, op. cit., p. 224-225, qui la place, sans emporter l’adhésion, dès 293 (date sur laquelle il n’est pas revenu dans son article publié dans JRA, 9 (1996) cité plus haut). Cette thèse a été appuyée par M. Hendy, « Mint and Fiscal Administration under Diocletian, his Colleagues and his Successors, A.D. 306-324 », JRS, 62 (1972), p. 75-82, lequel opérait un lien discutable entre la mise en place des diocèses et la nouvelle implantation des ateliers monétaires, comme l’a souligné M. Christol, « Effort de guerre et ateliers monétaires de la périphérie au iiie s. ap. J.-C. L’atelier de Cologne sous Valérien et Gallien », dans Armées et fiscalité dans le monde antique, Paris, 1977, p. 235-277, en particulier p. 246-250. Ces grandes réformes sont présentées de manière synthétique et nuancée par Jean-Michel Carrié, qui insiste sur leur mise en place progressive et non simultanée : Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 181-205. Dans le schéma qu’il expose, il fixe à l’année 297 la création des diocèses (p. 186), à 287 les premières décisions concernant l’application de la réforme de la fiscalité (p. 192). Voir également Kuhoff, Diokletian und die Epoche der Tetrarchie, p. 329-370 (réforme des provinces), 371-381 (diocèses) et, pour les évolutions des circonscriptions d’Italie, P. Porena, « Sulla genesi degli spazi amministrativi dell’Italia antica », dans Tradizione romanistica e costituzione, Labruna L. éd., Naples, 2006, p. 1316-1376. En dernier lieu, Constantin Zuckerman propose de placer la création des diocèses au cours de l’année 314 : Zuckerman, art. cit., p. 617-637. Si l’auteur a souligné avec raison l’importance des années 313-314 dans l’application ou l’approfondissement de réformes, rien n’indique en revanche que ces évolutions n’aient pas été préparées au cours des décennies antérieures, entre les règnes de Probus et de Dioclétien.
31 Point de vue défendu par Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 211 et suiv. Voir également Christol, Drew-Bear, art. cit., p. 39-41, sur les découpages en Anatolie.
32 Cette division est datée avec précision de l’année 303, avant le 20 novembre (jour des Vicennalia de Dioclétien et de Maximien, où le découpage était bien effectif). Voir l’analyse de Barnes, op. cit., p. 222 (avec mention des sources et de la bibliographie) et, en dernier lieu, la démonstration de G. Di Vita-Évrard, « L. Volusius Bassus Cerealis, légat du proconsul d’Afrique T. Claudius Aurelius Aristobulus, et la création de la province de Tripolitaine », dans l’Africa Romand, 2 (1985), p. 149-177 (en particulier la conclusion, p. 174-175).
33 Nixon, Rodgers, In Praise of Emperors, p. 146-147 et 151, idée reprise par la suite, notamment par Woolf, Becoming Roman, p. 1. Sur la fonction de vicaire (uicarius), on lira en priorité les travaux de K.-L. Nöthlichs, « Zur Entstehung der Diözesen als Mittelinstanz des spätromischen Verwaltung », Historia, 31 (1982), p. 70-81, et de Migl, Die Ordnung der Ämter, à compléter avec Zuckerman, art. cit., p. 622, et les chapitres consacrés à la question dans la thèse de Porena, op. cit.
34 Sur les vicaires et leurs fonctions : Jones, LRE, 1, p. 374 (et les notes correspondantes dans le vol. 3, p. 79-80, dans lesquelles l’auteur insiste sur le fait que there was in reality no rigid chain of command entre le vicaire d’une part, et le préfet du prétoire ou les gouverneurs d’autre part) ; Migl, op. cit., p. 54-69 (p. 55-58 en particulier, sur les fonctions des vicaires). L’auteur discute les thèses de Μ. T. W. Arnheim, « Vicars in the Later Roman Empire », Historia 19 (1970), p. 593-606, en particulier p. 593-603, et de K. L. Nöthlichs, « Zur Entstehung der Diözesen als Mittelinstanz des spätrömischen Verwaltungssytems », Historia 31 (1982), p. 70-81 (création des diocèses sous Constantin). En dernier lieu : Porena, op. cit., p. 163-186 ; A. Gutsfeld, « Vicarius », dans Neue Pauly, xii-2 (2002), p. 181-182. En français, l’exposé le plus commode sur le rôle des vicaires se trouve dans Chastagnol, L’évolution politique, sociale et économique du monde romain de Dioclétien à Julien, p. 248-249. Le vicaire joua un rôle de juridiction d’appel jusqu’à Constantin (après 326, ce rôle tomba en déclin au profit du préfet du prétoire, une fois la préfecture régionalisée). Les vicaires devinrent des juges de première instance pour certaines affaires et exercèrent un contrôle administratif sur les gouverneurs. Avec Constantin, leur tâche principale fut de réunir et de transmettre les produits de l’impôt. Le vicaire disposait d’un bureau organisé comme celui des gouverneurs.
35 Constantin Zuckerman soutient l’idée que les vicaires de cette époque, appelés en réalité agentes uice praefectorum praetorio, n’avaient pas, en réalité, d’attribution régionale. ILS étaient dotés de l’autorité des préfets auxquels ils s’étaient substitués à un niveau égal, puis furent affectés à une mission précise (Zuckerman, art. cit., p. 622). Selon ce savant, la réforme a eu lieu après un inventaire dont fait état la Liste de Vérone (314) et avant la première mention d’un vicaire doté d’une attribution régionale, en l’occurrence Locrius Verinus (PLRE, i, Verinus 2, p. 951-952), désigné comme uicarius Africae dans une loi datée du 1er août 315 (CTh, ix, 15, 1). On suivra C. Zuckerman dans l’idée que la multiplication des vicaires et la systématisation de leurs attributions régionales furent plus poussées à partir de 314 (p. 636). En revanche, faut-il chercher à tout prix le moment précis où le système administratif provincial du Bas-Empire fut mis en place ? L’année 297 a pu constituer une première étape avant l’application généralisée du système des diocèses en 314, avant la mise en place des préfectures régionales dans les années 330. Le principal défaut du schéma élaboré par C. Zuckerman est de ne pas suffisamment tenir compte des compétences fiscales du vicaire, alors que ces attributions, avec celles de l’exercice de la justice, demeuraient essentielles. Ce n’est donc pas un hasard si les agentes uice praefectorum praetorio apparaissent en 298, au lendemain de l’application plus scrupuleuse de la nouvelle fiscalité tétrarchique, moment qui coïncide avec le début du mouvement de redécoupage et de morcellement des frontières provinciales, réformes qui ne firent sentir leurs effets que dans les années 305-310.
36 Aurelius Agricolanus (PLRE, i, Agricolanus 2, p. 31 ; Barnes, op. cit., p. 145 ; Zuckerman, art. cit., p. 626-627) est attesté en Hispania, le 30 octobre 298 par la Passio Marcelli, 3 : ipse sane transmitteris ad auditorium domini met Aurelii Agricolani agentis uices praefecti praetorio, prosequente Cecilio armatus officiale consularitatis (éd. G. Lanata, « Gli atti del processo contro il centurione Marcello », Byzantion, 42 (1972), p. 513-522, p. 514 pour l’extrait cité). Lire également la notice consacrée à cette source dans NHLL, 5, p. 579-580.
37 P. Oxy. 1469 : pétition d’un groupe composé de villageois datée de 298 : Αἰμιλίῳ Ῥουστκιανῷ τῷ διασημ(ότατῳ) διαδεχο(μένῳ) τὰ μέρη τῶν ἐξοχωτάτων ἐπάρχων παρὰ τῶν ἀπò κώμης. Sur le personnage : PLRE, i, Rusticianus 1, p. 787 ; Barnes, op. cit., p. 141 ; Zuckerman, art. cit., p. 624 ; Porena, op. cit., p. 165 et suiv.
38 Chastagnol, « Le diocèse civil d’Aquitaine au Bas-Empire », p. 272-292 ; id., « Introduction », dans Transformations et conflits au ive siècle ap. J.-C., p. 4-13.
39 Entre Dioclétien et Constantin, aucun vicaire n’est attesté dans le diocèse des Gaules, alors qu’on en connaît quatre en Espagne entre 298 et 332 : Barnes, op. cit., p. 143-144. En Gaule, dans les limites du diocèse, trois gouverneurs de province sont attestés entre 294 et 313, et seulement un en Viennoise entre 312 et 324 : ibid., p. 161.
40 CIL, vi, 1729 (ILS, 1254). Sur Flauius Sallustius (PLRE, i, Sallustius 5, p. 797-798) ; Chastagnol, « Le diocèse civil d’Aquitaine au Bas-Empire », p. 276-277.
41 Démontré par Chastagnol, ibid., p. 287-290.
42 Ce passage d’Ammien Marcellin avait attiré l’attention de Jones, LRE, 3, p. 79, n. 18.
43 André Chastagnol, art. cit., p. 279, n. 2, plaçait la date de rédaction de ce document autour de 407 en la justifiant. C. Zuckerman, « Comtes et ducs en Égypte autour de l’an 400 et la date de la Notitia Dignitatum Orientis », AntTard, 6 (1998), p. 137-147, propose de dater la Notitia Dignitatum Orientis de l’année 401, tout en suggérant que cette datation pourrait être étendue à la description concernant la pars Occidentis (p. 147-148).
44 Citations relevées dans Chastagnol, op. cit., p. 279.
45 Jones, LRE, 1, p. 373 : It was apparently usual (except in the prefecture of East) for the praetorian prefect to administer directly the diocese in which he resided. Par conséquent, il n’existait pas de vicaire de Dacie ni de Pannonie au temps de la rédaction de la Notitia Dignitatum (Jones, LRE, 3, p. 79, n. 18, avec références au texte). Par ailleurs, aucun vicaire n’est attesté en Pannonie, ni du temps de Dioclétien ni de celui de Constantin (Barnes, op. cit., p. 143), ce qui conforte l’hypothèse défendue ici.
46 A. Chastagnol, « Introduction », dans Transformations et conflits au ive siècle ap. J.-C., p. 8.
47 Par exemple ibid., p. 5, A. Chastagnol mentionne le « diocèse des Gaules du Nord, avec son vicaire installé à Trèves ». Lire aussi id., « Le diocèse civil d’Aquitaine au Bas-Empire », p. 272-274.
48 L’installation de vicaires en Égypte ou en Espagne dès 298 ne relevait pas du hasard : il s’agissait de contrôler des régions périphériques où, certes, les empereurs avaient pu séjourner lors de campagnes militaires (Maximien en Afrique ; Dioclétien et Galère en Égypte), mais qui se trouvaient éloignées des centres du pouvoir, c’est-à-dire des nouvelles capitales et résidences des Augustes et des Césars : Trèves, Milan, Aquilée en Occident, Nicomédie, Antioche, Thessalonique et Serdica en Orient. Sur le sujet : Barnes, op. cit., p. 47-87 ; id., « art. cit. », p. 551-552.
49 Chronologie établie d’après Barnes, op. cit., p. 47-87 ; Kienast, Römische Kaisertabelle, p. 264-311 ; Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 191 et suiv.
50 Sur les fonctions et le nombre des préfets du prétoire à cette époque, les positions d’André Chastagnol sont exposées de manière synthétique dans L’évolution politique, sociale et économique du monde romain, p. 249-255. Timothy Barnes s’y était opposé (Barnes, op. cit., p. 123-139) jusqu’à sa récente retractatio (art. cit., p. 546-548), rendue nécessaire par la découverte de nouvelles inscriptions : Chastagnol, « Un nouveau préfet du prétoire de Dioclétien », p. 165-168 (repris dans Aspects de l’Antiquité tardive, p. 171-176). Sur la préfecture du prétoire dans ses aspects les plus divers, voir en dernier lieu le schéma proposé par Porena, op. cit., p. 563-575 (synthèse conclusive).
51 C’est la position de Barnes, op. cit., p. 161, qui précise qu’il s’agit presumably du praeses of Lugdunensis Primae.
52 Les divisions de provinces avant la réforme demeurent relativement rares. Le processus le mieux documenté concerne la Carie-Phrygie, fruit du démantèlement de la province d’Asie au temps de Philippe l’Arabe ou de Trajan Dèce, autour des années 249-250, qui permit à Aphrodisias d’accéder au rang de capitale provinciale. Sur ce point, Rouéché, Aphrodisias in Late Antiquity, p. 1-2 ; ead., « A new governor of Caria-Phrygia : P. Aelius Septimius Mannus », dans Splendidissima Ciuitas, p. 231-239, en particulier p. 236-239, où sont présentés les fastes de la province ainsi qu’une bibliographie mise à jour (n. 17-20). En dernier lieu, voir les commentaires de Christol, Drew-Bear, art. cit., p. 40-41.
53 CTh, xi, 3, 1, de juillet 313, loi adressée à Antonius Marcellinus, praeses Lugdunensis primae.
54 Sur la Liste de Vérone, voir supra n. 29.
55 La datation pour la Thébaïde (dès 295) est tirée de Barnes, op. cit., p. 147. Le second personnage cité, Iulius Athenodorus (PLRE, i, Athenodorus 1, p. 122), est connu par P. Beatty Panopolis 1 et 2 datés de septembre 298 et janvier 300. Il semble bien avoir été le premier gouverneur de la province. Pour la Numidie en 303, voir Barnes, ibid., p. 171, et Christol, art. cit., p. 210-211, qui apporte des nuances aux propositions de Barnes. Sur la Pisidie, lire Christol, Drew-Bear, art. cit., p. 39-71.
56 CIL, xiii, 5249 (ILS, 640), découverte à Vitudurum (actuelle Winterthur), mentionne en 294 un certain Aurelius Proculus, u(ir) p(erfectissimus) pr[...] (PLRE, i, Proculus 1, p. 747). Certains le considèrent comme pr[aeses Sequaniae], alors qu’il était fait mention de sa fonction de pr[aeses prouinciae], sans autre précision. Barnes, op. cit., p. 161, en particulier, en fait un praeses Sequaniae afin d’appuyer sa thèse, peu convaincante, d’une mise en place des réformes de Dioclétien dès 293 (date qu’il tente de justifier p. 225).
57 Rodgers, « Eumenius », p. 265-266.
58 Galletier, 1, p. 136, n. 2.
59 Nous ne suivons pas Barbara Rodgers (art. cit., p. 266) quand elle affirme que le discours fut prononcé à Trèves ou Lyon.
60 L’analyse pourrait convenir dans une certaine mesure aux provinces de Belgique ou de Germanie inférieure, tant les expressions employées par Eumène sont allusives et imprécises. Ces deux provinces possèdent en effet un débouché littoral, peuvent être considérées comme encadrées de fleuves et ont pour point commun d’avoir été touchées par des incursions franques à la fin du iiie siècle.
61 En ce sens et afin d’appuyer cette hypothèse, il faut rappeler que le discours de 311 fut certainement prononcé à la veille de l’achèvement d’un cycle indictionnel fiscal de durée quinquennale. Cela signifie qu’il débuta en 306 et que, par conséquent, à cette date l’application de la nouvelle tarification était rendue possible par l’achèvement du recensement des hommes et l’arpentage des terres en Lyonnaise. Or, ces opérations de recensement étaient longues à mettre en œuvre : en Syrie, elles s’étalent entre 293 et 303 ; en Égypte, si elles commencent entre 298 et 303, elles ne semblent pas achevées en 310 : Christol, art. cit., p. 210-211. Par analogie, pour les territoires correspondant aux Tres Galliae, on peut supposer que ces opérations commencèrent autour de 296, quand la pacification de l’Occident était bien avancée, et quelles se prolongèrent jusqu’en 305-306. Les réformes fiscales purent s’appliquer à partir de 306, laissant apparaître les premiers problèmes en 310-311 quand, la fin du cycle approchant, se posèrent les questions relatives au règlement des arriérés. Sur ces questions, se reporter aux analyses du chapitre 7.
62 Sur les tâches des gouverneurs à cette époque, références bibliographiques supra, n. 13, et infra, p. 248-250. Sur le terme iudex synonyme de praeses, voir les réflexions de Corcoran, op. cit., p. 234-235, accompagnées d’un appendice commode (appendice G, p. 337-339, sur les occurrences du terme iudex dans les rescrits privés).
63 Sur l’éloge des gouverneurs et le vocabulaire qui l’accompagne à l’époque tardive : Christol, « Hommages publics à Lepcis Magna à l’époque de Dioclétien », p. 331-343 ; Corcoran, op. cit., p. 36-240, 324-334 (appendice F) ; Horster, art. cit., p. 37-59, en particulier p. 40, n. 11-14. On se reportera également à V. Neri, « L’elogio della cultura e l’elogio delle virtù politiche nell’epigrafia latina del 4 secolo », Epigraphica, 43 (1981), p. 175-201 ; Ponce, art. cit., p. 353-364 ; Bérenger-Badel, « Formation et compétences des gouverneurs de province dans l’Empire romain », p. 35-56 (en particulier p. 51-53 sur le bilinguisme et les compétences oratoires ou juridiques des gouverneurs) ; Panciera, art. cit., p. 457-484. On mentionnera un passage intéressant de l’éloge d’un proconsul d’Afrique inconnu dans Apul., Flor., 8 (éd./trad. P. Valette, CUF) : ex consularibus pauci boni et adhuc ex bonis pauci eruditi, pour illustrer l’importance que les élites locales attachaient au niveau culturel des gouverneurs en poste dans leurs provinces. Commentaire dans La Rocca, op. cit., p. 171-174 (p. 90-91 pour le texte latin et la traduction du passage).
64 Sur le formulaire épigraphique : Christol, art. cit., p. 331-343 ; Horster, art. cit., p. 37-59 ; Panciera, art. cit., p. 457-484.
65 L. Robert, « Épigramme d’Egine », dans Hellenica. Recueil d’épigraphie, de numismatique et d’antiquités grecques, iv, Épigrammes du Bas-Empire, Paris, 1948, p. 5-34, fut le premier à interpréter convenablement cette épigramme.
66 Sur ces questions : Nellen, Viri Litterati ; Horster, art. cit., p. 37-59.
67 Hier., Chron., a. 336 (éd. R. Helm, p. 233 ; trad. B. Jeanjean, B. Lançon, p. 80-81).
68 Voir le fameux discours de Lib., Contre Tisamène (Or., xxx, éd. R. Foerster), analysé par J.-M. Carrié, « Le gouverneur romain à l’époque tardive. Les directions possibles de l’enquête », AntTard, 6 (1998), p. 17-30, ici p. 25-27. Ammien Marcellin (Amm., xiv, 6,1 ;éd./trad.J. Fontaine, E. Galletier, CUF) critique Orfitus, préfet de la Ville (PLRE, i, Orfitus 3, p. 651-653), homme intelligent et avisé dans les affaires du barreau (uir prudens et forensium negotiorum oppido gnarus) mais dépourvu de ce poli que donne la culture littéraire et qui fait la noblesse de l’honnête homme (splendore liberalium doctrinarum minus quam nobilem decuerat institutus).
69 Sur l’humanitas : Hellegouarc’h, Le vocabulaire, p. 267-271, et les réflexions ponctuelles de Panciera, art. cit., p. 457-484. Se reporter également à N. De Pascali, « Ratione humanitatis. Significati e implicazioni di un concetto nella legislazione di Marco Aurelio », Ostraka, 17 (2008), p. 35-68.
70 Hellegouarc’h, op. cit., p. 269, recense les passages de l’œuvre de Cicéron où le terme apparaît avec cette signification.
71 Voir en ce sens les remarques de Coriat, Le prince législateur, p. 511-513.
72 Christol, art. cit., p. 334-337, principalement ; Horster, art. cit., p. 40.
73 Venia signifie « faveur », « autorisation », surtout dans un contexte religieux (OLD, p. 2028-2029). L’expression stéréotypée bona uenia veut dire « avec indulgence », « avec respect » ou « avec pardon ». Voir l’analyse de R. Schilling, La religion romaine de Vénus depuis les origines jusqu’au temps d’Auguste, Paris, 1982, p. 39-42. Le terme a pris, par glissement, le sens profane de « pardon » sans perdre son sens originel, « grâce divine », au moins durant la République.
74 À Mileu, le consulaire de Numidie Ceionius Italicus (PLRE, i, Italicus 3, p. 466-467), en poste en 343, est loué pour son aequitas associée à sa patientia et à son integritas. Voir CIL, viii, 7013 (ILS, 1236), cité par Christol, art. cit., p. 335, n. 8 et 27. Sur la patientia, voir Hellegouarc’h, op. cit., p. 247, 274 et 284 ; Panciera, art. cit., p. 470.
75 À nouveau, il est nécessaire de comparer ce vocabulaire avec celui employé par Apulée sous les Antonins. Il s’agit des discours viii, ix, xvi, xvii des Florides analysés en dernier lieu par La Rocca, op. cit., respectivement p. 171-174, 174-199, 220-249 et 249-263.
76 Sur la question : Delmaire, « Quelques aspects de la vie municipale », p. 39-48. Sur l’aduentus, voir MacCormack, Art and Ceremony, p. 17-89 ; Lehnen, Aduentus principis, p. 318-341 et 357-360, consacrées à l’aduentus des gouverneurs ; Dufraigne, Aduentus Augusti, Aduentus Christi, p. 151-180 et 183-187.
77 Sur la rencontre hors les murs entre les habitants et le gouverneur : Delmaire, art. cit., p. 42 ; Pernot, op. cit., 1, p. 95-96 (n. 208 en particulier), qui fait état de la cérémonie, appelée ἀπάνθησις en Orient (littéralement, « chute des fleurs »), terme rappelant que l’accueil consistait à honorer le visiteur en lui lançant des pétales ; A.-V. Pont, « Rituels civiques (apantèsis et acclamations) et gouverneurs en Asie Mineure à l’époque romaine », dans Rituals, Dynamics and Religious Change in the Roman Empire, Hekster O., Schmidt-Hofner S., Witschel C. éd., Leiden, Boston, 2009 (Impact of Empire, 9), p. 185-211.
78 Le parcours dans la cité est décrit par Delmaire, art. cit., p. 42-45.
79 Sur les attributs de fête dont s’orne la cité un jour d’aduentus, ibid., p. 42-44.
80 Sur la pratique des acclamations, pour l’Orient : C. Rouéché, « Enter your city ! A New Acclamation from Ephesos », dans Steine und Wege. Festschriften für Dieter Knibbe zum 65. Geburtstag, Sherrer P., Taeuberh., Thür H. éd., Vienne, 1999, p. 131-136 (bibliographie détaillée sur le sujet n. 1). Pour l’Occident : C. Hugoniot, « Les acclamations dans la vie municipale tardive et la critique augustinienne des violences lors des spectacles africains », dans Hommage à Claude Lepelley, p. 179-187 (bibliographie n. 1 et 2), qui souligne que dans les cités d’Occident les acclamations étaient courantes lors des cérémonies officielles, même si elles n’ont laissé aucune trace dans le paysage urbain, contrairement à celles gravées sur les portes ou les colonnes des portiques d’Aphrodisias et d’Éphèse, par exemple.
81 Pernot, op. cit., 1, p. 96. Le discours d’arrivée est appelé προσφωνηματικός par le Pseudo-Denys (Ps.-Denys, 272-277, éd. H. Usener, L. Rademacher ; trad. D. A. Russell, N. G. Wilson, p. 371-373) ; ἐπιβατήριος λόγος par Ménandre le Rhéteur (Mén. Rh., ii, 377, 31-388, 15 ; éd./trad. D. A. Russell, N. G. Wilson, p. 94-115), qui emploie aussi προπφωνητικός (Mén. Rh., ii, 414, 31-418, 3 ; éd./trad. D. A. Russell, N. G. Wilson, p. 164-171) pour évoquer l’éloge du gouverneur, parfois prononcé lors de son arrivée dans la cité. Le terme προπφωνητικός semble le plus usité. Toujours d’après Pernot, op. cit., 1, p. 96, n. 214, certains théoriciens distinguent le discours prononcé hors les murs de celui prononcé dans la cité : l’ἐπιβατήριος λόγος de Ménandre relève de la première catégorie, comme l’indique à cette occasion l’emploi de προαπαντῶ (« aller le premier à la rencontre d’une personne »), alors que le προσφωνηματικός du Pseudo-Denys était prononcé une fois les portes franchies. Sur les discours prononcés à l’occasion d’un aduentus, voir MacCormack, op. cit., p. 17, 20-21 et 62. L’auteur nie l’existence d’un tel dédoublement des discours prononcés à l’occasion de cérémonies d’aduentus en Occident (p. 21 et 28), en s’appuyant sur le témoignage du Panégyrique latin viii(5) de 311 qui décrit l’arrivée de Constantin à Autun en 310.
82 Remarques déjà formulées dans leurs grandes lignes par Hostein, « Panégyrique et épigraphie », à paraître.
83 Galletier, 1, p. 115.
84 Le détail est important : Eumène présente Glaucus à l’auditoire, allant même, selon toute vraisemblance, jusqu’à le pointer du doigt (sens du démonstratif iste) avant de l’interpeller : te, Glauce.
85 Concernant Glaucus, Galletier, 1, p. 113, n. 3 et p. 135, n. 4, avait noté, à la suite d’historiens du xixe siècle, l’implication du personnage dans la reconstruction des écoles : « On a suggéré (Rochet, p. 48) qu’il était peut-être architecte, supposition vivement combattue par Fontenay, Autun, p. 163-164. Il était sûrement l’un des plus anciens professeurs, chargé sans doute de l’enseignement du grec. Il n’est pas impossible qu’il possédait quelques notions d’architecture et qu’il ait été chargé de surveiller les travaux de restauration et de restituer au bâtiment sa disposition et sa physionomie premières. » Même si, dans le détail, l’hypothèse de Galletier s’avère fausse, elle a du moins le mérite de proposer un schéma d’interprétation qui prend en compte le rôle joué par Glaucus dans le déroulement même des travaux de reconstruction des écoles. La remarque vaut aussi pour les auteurs qu’il cite, l’abbé Rochet et Harold de Fontenay. Pour Nixon, Rodgers, op. cit., p. 168, n. 67, Glaucus est un inconnu qui est peut-être l’auteur du panégyrique de Constance – Panégyrique latin iv(6) –, pure conjecture reprenant une remarque sans fondement de Camille Jullian. Quant à Lana, « Il panegiricio di Eumenio », p. 79, il reprend l’hypothèse d’un Glaucus architecte, citant à l’appui de sa démonstration une inscription grecque fort intéressante, mentionnant un Glaukos (la similitude onomastique ne repose cependant que sur une coïncidence). Enfin, pour Lassandro (Lassandro, Micunco, Panegirici Latini, p. 182, n. 31), Glaucus est un personnage inconnu, au nom grec, qui a peut-être suivi le même parcours que le grand-père d’Eumène en devenant rhéteur à Autun (« il nome greco fa pensare che possa essere venuto da Atene come il nonno di Eumene, che sia stato maestro di retorica »). L’argumentation est sommaire et très hypothétique. Sur le personnage, on ne peut rien retenir de satisfaisant de l’ouvrage de J.-L. Desnier, La légitimité du prince, iiie-xiie siècles. La justice du fleuve, Paris, 1997, p. 74-76.
86 Kajanto, The Latin Cognomina, considère que le cognomen Glaucus est proprement grec et l’exclut donc de ses listes. Ce cognomen, très fréquent dans le monde grec, n’est cependant pas rare dans l’onomastique du domaine latin : à titre d’exemple, on relève dans Lörincz, Onomasticon, 2, p. 167, treize personnages, hommes et femmes, qui le portent. Au Haut-Empire, et seulement à cette époque, le nom est plutôt porté par des affranchis.
87 Dondin-Payre, « L’onomastique », p. 327, a bien démontré la fréquence des surnoms grecs dans le centre de la Gaule, portés par des individus issus de toutes les couches de la société. Sur l’immense territoire de la ciuitas Aeduorum, on en recense 9 sur les 26 attestes en Gaule centrale (tableau 14, p. 256-257).
88 Sur la notion d’origo, se reporter au livre de Thomas, ‘Origine’ et ‘commune patrie’.
89 Sur cette notion : T. Kotula, « Vtraque lingua eruditi. Une page relative à l’histoire de l’éducation dans l’Afrique romaine », dans Hommages à Marcel Renard, Bibauw J. éd., 2, Bruxelles, 1969 (coll. Latomus, 101), p. 386-392 ; M. Dubuisson, « Vtraque lingua », AC, 50 (1981), p. 274-286. Sur le phénomène en Gaule : J.-C. Decourt, « Le bilinguisme des inscriptions de la Gaule », dans Bilinguisme gréco-romain et épigraphie, Biville F., Decourt J.-C., Rougemont G. ed., Lyon, 2008, p. 305-319.
90 Inscription découverte à Timgad en Numidie et datée de la première moitié du iiie siècle (CIL, viii, 2391 = 17910 ; ILS, 2937) : Vocontio P(ublio) Fl(auio) Pudenti Pomponiano c(larissimo) u(iro) erga ciueis (sic) | patriamque prolixe cultori exercitiis militaribus effecto multifariam loquentes | litteras amplianti Atticam faciundam adaequanti Romano nitori [dont l’érudition littéraire ne se borne pas à une seule langue ; qui unit la faconde Attique à l’éclat romain] ordo | patrono oris uberis et fluentis nostro altero fontis. Sur le personnage et son milieu familial, A. Laronde, « De Cyrène à Timgad. P. Flauius Pudens Pomponianus et sa famille », AFLM, 18 (1985), p. 47-69.
91 Cette épithète n’a fait l’objet, à notre connaissance, d’aucune étude précise. Venerabilis qualifie Constantin (CIL, vi, 1151 = 31248 ; ILS, 707), sa mère Hélène (CIL, vi, 1136 = 31244), son père Constance Ier (CIL, vi, 1140 = ILS, 692), sa fille Constantina (AE, 1989, 76), sa sœur Constantia (CIL, vi, 1153 = 40777 ; ILS, 711), son neveu Julien (AE, 1992, 1510), ainsi que d’autres empereurs romains d’époque tardive comme Théodose et Arcadius (CIL, iii, 19 = 6587 ; ILS, 1273). Sur ce titre accordé par la suite aux ecclésiastiques : E. Jerg, Vir uenerabilis. Untersuchungen zur Titulatur der Bischöfe in den ausserkirchlichen Texten den Spätantike als Beitrag zur Deutung ihrer öffentlichen Stellung, Vienne, 1970 ; en dernier lieu, R. Lizzi Testa, « The Bishop, uir venerabilis : Fiscal Privileges and Status Definition in Late Antiquity », dans Studia Patristica xxxiv. Papers presented at the xiiith International Conference on Patristic Studies held in Oxford, 1999. Historia, Biblica, Theologia et Philosophia, Miles M. F., Yarnold E. J., Parvis P. M. éd., Oxford, 2001, p. 125-144 (avec références aux travaux antérieurs, p. 144).
92 C’est l’interprétation qu’il faut donner à l’expression au § 4, 3 : ex amplissimis ordinibus prouinciarum incolas nouos [...] requirunt [sujet : les empereurs].
93 Exemples de formules proches relevées sur des inscriptions de la fin du iiie et du ive siècle : restituit [...] perfecit, excoluit, dedicauit à Bisica Lucana, en Proconsulaire (CIL, viii, 12285) ; perfecit, excoluit, dedicauit à Thuburbo Maius (IlAfr, 273 A et B) ; instituit, perfecit ac dedicauit, addit(is) columnis et statuis exornauit à Thubursicu Numidarum (IlAlg, i, 1276).
94 À Concordia Sagittarial Iulia Concordia (AE, 1995, 586), le verbe qui rappelle le chantier de construction est employé au parfait (recoluit). À Casula (CIL, viii, 24104), mention uestigia recolens par un flamine perpétuel de la cité. Le verbe excolere, fondé sur la même racine, est plus souvent utilisé, comme à Bisica Lucana (CIL, viii, 12285), dans la formule perfecit, excoluit, dedicauit, à Thuburbo Maius (ILAfr, 273 A-B ; 275), avec la même formule ou une formule proche, ou à Dougga, sous la forme inchoauit, perfecit, excoluit (CIL, viii, 26568 = Dougga, no 43). Il semble revêtir un sens plus fort, presque religieux, chez Tacite par exemple (Tac., H., i, 77 et iii, 7, éd./trad. H. Le Bonniec, CUF), pour qui recolere signifie à la fois « rendre », « restituer », mais aussi « honorer » (des sacerdoces, des images).
95 Dans les inscriptions tardives, exornare apparaît à Cuicul (AE, 1946, 107), Lambèse (AE, 1917-1918, 58), Timgad (CIL, viii, 2388 = ILS, 5554). Ornare à Sicca Veneria (CIL, viii, 15862), Lambèse (CIL, viii, 2656). Adornare à Dougga (CIL, viii, 26472 = Dougga, no 139). Dans ces affaires de travaux publics, le bâtiment, neuf ou restauré, fait toujours partie de la panoplie des ornamenta ciuitatis.
96 Le verbe perficere apparaît dans le formulaire d’inscriptions citées supra, n. 93 et 94.
97 Définition simple de la notion de cura dans Jacques, Scheid, Rome et l’intégration de l’Empire, 1, p. 255 et suiv.
98 Bel exemple contemporain de formulaire mentionnant un notable éminent de Cuicul chargé d’une curatelle de travaux dans AE, 1920, 15 : curante opus omne M(arco) Rutilio Felice Fel[--]no / e(quite) r(omano), pontifice, curatore reip(ublicae).
99 Il n’existe aucune synthèse récente sur la curatelle des travaux. On lira en priorité les pages consacrées au sujet dans Liebenam, Städtverwaltung, p. 384-386 ; Lepelley, Les cités, 1, p. 164-165, 158-159, 199, 207, 210-211 et 2, p. 278 ; Jacques, Le privilège de liberté, p. 313, 347, 503, 540, 666, 670-672.
100 Sur la question de l’engagement personnel et financier des curiales dans des affaires qui les obligeaient à disposer de sufficientes facultates : J. Dubouloz, « Le patrimoine foncier dans l’Occident romain : une garantie pour la gestion des charges publiques (iie-ive siècle) », Histoire et Sociétés Rurales, 19-1 (2003), p. 15-35.
101 Selon l’OLD, p. 1784, sollemniter signifie « solennellement », au sens de « fait selon les rites, conforme au cérémonial », ou bien « accompli selon l’usage, selon les formalités appropriées ».
102 Jacques, op. cit., p. 347.
103 Ibid., p. 502-503, 536. À partir des années 290, les curatores operum étaient choisis presque exclusivement parmi les curatores ciuitatis.
104 Lepelley, « Vers la fin de l’autonomie municipale », p. 470-471. L’auteur montre, en s’appuyant sur sa thèse parue en 1979 (Lepelley, Les cités, 1, p. 170-171), que les curateurs de cité intervinrent de plus en plus dans des affaires de travaux publics entre 286 et 294. Autre hypothèse, plausible mais invérifiable : Glaucus aurait pu être le propriétaire de la maison où fut découverte la mosaïque dite « des poètes ». En ce sens, les remarques de Blanchard, « École et loisir à Autun : la mosaïque des auteurs grecs », p. 224-225.
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