Chapitre 5. Eumène et l’affaire de la reconstruction des écoles
p. 177-217
Texte intégral
1Eumène, en raison des multiples fonctions qu’il revêt, joue un rôle central dans l’affaire de reconstruction des écoles d’Autun1. Les historiens et les éditeurs du corpus des Panégyriques latins lui ont porté une attention particulière, car il est le seul orateur d’époque tétrarchique et constantinienne, excepté Nazarius, à sortir de l’anonymat2. Le présent chapitre propose d’aborder deux dossiers en particulier : d’une part, celui de la nomination officielle d’Eumène à la tête des écoles municipales, et, d’autre part, son statut d’évergète en 298.
La nomination d’Eumène à la tête des écoles
Portrait d’Eumène
2Une étude détaillée du Panégyrique latin v(9) ne peut faire l’économie d’une mise au point sur Eumène, même si elle peut sembler superflue compte tenu des nombreux articles et notices qui lui ont été consacrés. Les indications sur lesquelles se fonde sa biographie sont tirées du Panégyrique latin v(9) : elles demeurent extrêmement précieuses et il n’y a aucune de raison de mettre en cause leur véracité. En revanche, certaines imprécisions et les silences du texte obligent à proposer de nouvelles interprétations.
La famille d’Eumène
• Le grand-père d’Eumène3
3Au § 17, 3-4, Eumène fournit des indications de premier plan sur son origine familiale. En quelques mots, il relate la pérégrination de son grand-père, rhéteur de profession, né à Athènes. Pour des raisons inconnues, il s’établit à Rome où il enseigna avec succès. Puis, attiré par le prestige des écoles d’Autun, il s’installa dans cette ville et y acheva sa vie après avoir enseigné jusqu’à un âge très avancé, 80 ans précise Eumène.
4Bien qu’invérifiables, ces informations semblent fiables, d’autant qu’elles ont été prononcées en public. Certaines affirmations méritent néanmoins d’être nuancées, comme celle selon laquelle le grand-père, alors qu’il demeurait à Rome, aurait été attiré par le grand prestige des écoles d’une cité provinciale. Plus gênantes, en revanche, sont les informations passées sous silence : on aurait aimé savoir pourquoi cet aïeul avait choisi de s’établir à Autun après un passage à Rome, ou encore quels étaient le statut et le rôle précis de cet homme de lettres au sein des scholae. Une chose est sûre : Eumène, n’a pas connu cet illustre aïeul, décédé alors qu’il n’était qu’un enfant. Ses souvenirs reposent sur des témoignages indirects, comme le suggèrent les formules docuisse audio au § 17, 3 et ut referunt au § 17, 4.
5Plusieurs points méritent quelques approfondissements. Le premier concerne la « carrière » de ce grand-père rhéteur ainsi que sa pérégrination entre la pars Orientis et la pars Occidentis de l’Empire, comparables à bien des égards à celles d’orateurs de la Seconde sophistique, mieux attestées4. Les points communs sont nombreux en effet : origine grecque, carrière accomplie grâce aux compétences rhétoriques, attrait pour Rome où celles-ci étaient alors recherchées et valorisées dans l’administration impériale. Mais une différence majeure mérite d’être pointée : contrairement aux rhéteurs de la Seconde sophistique, cet anonyme, après avoir résidé un certain temps à Rome, n’est pas retourné dans sa patrie d’origine pour y devenir un notable local de premier plan, préférant terminer ses jours en Gaule. Cette ultime phase de la carrière laisse supposer que le personnage était un bon rhéteur ainsi qu’un professeur compétent, mais de second rang comparé à des figures comme Aelius Aristide5 ou d’autres, mentionnées par Philostrate6. Eumène a bien entendu éludé cet aspect des choses. Le moment supposé du déroulement de cette carrière, enfin, correspond à la fin du iie siècle et au premier tiers du iiie siècle, à savoir l’époque sévérienne au sens large. Le parcours du grand-père d’Eumène témoigne avec éclat de la continuité de la vie intellectuelle durant une période inscrite dans le prolongement de la pax antoniniana7. C’est d’ailleurs un contemporain de ce grand-père, Philostrate, qui inventa la célèbre formule « Seconde sophistique8 ». Le courant d’échanges ainsi créé, favorisé par la prospérité et la paix garanties par le régime du Principat, a favorisé la diffusion et le brassage d’idées entre les parties orientale et occidentale de l’Empire, à l’origine d’importants « transferts culturels9 ». Ces phénomènes, la rhétorique latine en a pleinement bénéficié à partir de la fin du iiie siècle dans le cadre d’une « Troisième sophistique », selon l’heureuse expression de Laurent Pernot10.
6Du point de vue de l’histoire de la ciuitas Aeduorum, de ses élites et de ses écoles, la carrière du personnage fournit des indications uniques, brisant ainsi le silence des sources du iie siècle sur l’histoire des écoles et de la cité. Tacite les avait certes évoquées à l’occasion du récit de la révolte de Iulius Sacrouir, indiquant quelles demeuraient en activité et jouissaient d’une grande renommée encore en son temps, c’est-à-dire au début du iie siècle11. La lacune documentaire couvre donc en réalité un siècle tout au plus. L’installation sous les Sévères de ce rhéteur grec n’est pas surprenante, ce que confirment les découvertes archéologiques. Car l’usage du grec, si rare dans l’épigraphie des Gaules et Germanies, excepté certaines régions particulières comme Marseille ou Lyon, apparaît fréquent en terre éduenne. À l’appui de cette affirmation, il est possible de citer au moins deux textes célèbres12 : l’inscription chrétienne en vers dite de Pektorios, unicum en Gaule, datée sans grande précision de la fin du iiie ou du ive siècle, qui révèle la présence d’une communauté hellénophone d’origine orientale (ou en rapport très étroit avec des Orientaux), chrétienne de surcroît13 ; et une inscription sur mosaïque, datée de la fin du iie et du début du iiie siècle, découverte dans les vestiges d’une riche domus avoisinant le centre monumental d’Autun. Sur le pavement d’une vaste pièce d’apparat dotée d’une abside, sont représentés plusieurs philosophes et poètes grecs antiques, accompagnés de cartouches reproduisant des extraits de leurs œuvres14. Ce document exceptionnel prouve qu’il existait dans la ville, autour de l’an 200, une communauté hellénophone et hellénophile formée d’une élite locale cultivée et versée dans la connaissance du grec, autrement dit des Éduens utraque lingua eruditi, pour emprunter une expression laudative courante dans le formulaire des inscriptions. Quand Eumène parle de l’amour qu’éprouvaient ses concitoyens à l’égard du savoir15 (amor doctrinae au § 17, 4), qui a tant pesé dans le choix de son grand-père de s’installer à Augustodunum, il s’agit peut-être – entre autres choses – de cet intérêt pour la langue d’Homère.
• Le père d’Eumène
7Le père d’Eumène fait figure de grand absent pour des raisons indéterminées. Aucune allusion ne filtre au long des 21 paragraphes du discours. Il faut supposer qu’il n’a pas été impliqué, de près ou de loin, dans l’enseignement des écoles municipales, car dans le cadre de son discours, Eumène n’aurait pas omis une telle information. Le personnage a néanmoins dû jouer un rôle important, assurant l’influence de sa famille et la bonne éducation du seul enfant qu’on lui connaisse, Eumène. Étant donné le parcours du fils et du grand-père, tous deux au service de la cité et/ou de l’État impérial, on peut émettre l’hypothèse qu’il fut au minimum un notable local de premier ordre.
8Les commentateurs le considèrent toujours comme le fils de l’anonyme venu d’Athènes. Or, une autre solution est envisageable, qui consisterait à voir en lui un notable local marié à la fille de ce rhéteur grec16. L’hypothèse permettrait de mieux comprendre le silence d’Eumène, qui n’a pas jugé utile, dans un discours centré sur les écoles et la culture, de mentionner ce père qui pouvait ne pas être investi dans ce genre d’activité. Il faut en tout cas écarter, faute de preuves, les hypothèses des commentateurs qui tentent de rapprocher le destin de ce père avec celui d’Argicius, l’ancêtre d’Ausone proscrit puis exilé lors des événements des années 269-270. Eumène, au moment de rappeler ces faits tragiques, n’aurait pas manqué de saisir l’occasion pour souligner la piété et la fidélité de sa propre famille à l’égard de l’empereur de Rome Claude II.
• Le fils d’Eumène
9Le dernier membre de la famille qu’évoque Eumène est son propre fils, au § 6,2. Dans cet extrait, il rappelle qu’il ne songeait plus, après avoir abandonné ses fonctions à la chancellerie impériale, qu’à préparer son fils ad pristina mea studia. Le terme studium est souvent interprété et traduit par « études », sous-entendu « études de rhétorique ». Si l’on suit cette voie, il faudrait comprendre que l’orateur préparait son rejeton à embrasser la carrière de professeur. Pourquoi pas, mais une solution sensiblement différente paraît envisageable. Le terme studium, employé au pluriel, peut signifier aussi, de manière plus large, « préoccupations, activités17 ». Peut-être Eumène préparait-il en réalité ce fils à suivre une carrière au service des empereurs ? Les deux interprétations ne s’excluent pas d’ailleurs, puisque l’une des étapes préalables pour accéder à de hauts postes administratifs consistait à effectuer des études de rhétorique ou de droit, et à enseigner ces disciplines : l’oncle d’Ausone, dont la carrière se déroule dans la première moitié du ive siècle, en offre un bel exemple18. Ce schéma d’interprétation correspondrait mieux aux préoccupations d’un personnage comme Eumène, haut dignitaire soucieux de maintenir l’influence de sa famille et de garantir à sa descendance, grâce aux appuis en haut lieu tissés durant son passage à la chancellerie, une carrière équivalente, voire supérieure. Le même souci apparaît chez un autre orateur éduen, l’auteur du Panégyrique latin vii(6), ou encore environ un demi-siècle plus tard, chez Ausone, pour qui l’éloquence conduisait aux plus hautes charges de l’État19.
L’origo d’Eumène
10Eumène tire son origo de la ciuitas Aeduorum. Si le terme n’est employé à aucun moment, il est précisé à trois reprises qu’Autun est sa patria (aux § 2, 1 ; 3, 4 et 16, 5), le possessif mea accolé à patria (aux § 2, 1 et 11, 3) dissipant les doutes à ce sujet. Barbara Rodgers, dans les travaux qu’elle a consacrés au personnage, a écrit qu’Augustodunum était la patrie d’Eumène « by ancestry or continuai habitation20 », point sur lequel nous la suivons volontiers. En revanche, il paraît difficile de faire de l’orateur un « nouveau Gaul21 » : Barbara Rodgers présuppose que le grand-père athénien est l’ascendant d’Eumène en ligne directe côté paternel, alors qu’il peut s’agir du rameau maternel, comme cela a été envisagé plus haut. Dans ce cas, si Eumène était le fils d’un notable local marié à la fille d’un « nouveau Gaul » venu d’Attique, il était assurément, du point de vue du droit romain, un ciuis Aeduus à part entière, tirant son origo de cette cité22.
11Un dernier élément témoigne de l’attachement profond d’Eumène à sa cité d’origine. Ce dernier ne cesse de placer sur le même plan l’amour qu’il porte à ses parents et celui qu’il éprouve pour sa ciuitas. À l’occasion, il emploie le vocabulaire caractéristique du formulaire épigraphique destiné à honorer les citoyens évergètes : l’amour, le zèle pour la patrie, etc. Ces éléments seront analysés en détail dans la troisième partie de l’ouvrage.
La carrière d’Eumène
12À partir des indications biographiques qu’il fournit, il est permis de reconstituer, en pointillés, le déroulement de la carrière d’Eumène, comparable aux carrières équestres attestées dans les inscriptions contemporaines.
Les étapes et les fonctions revêtues durant la carrière
• Les débuts de carrière
13Les premiers échelons demeurent obscurs et il est probable qu’elle débuta par un poste de rhéteur, dans une ville inconnue, différente d’Autun peut-être dans la mesure où Eumène ne livre aucune indication sur le sujet, à l’exception d’un passage au § 6, 2, qui ne fait que signaler des compétences rhétoriques sans les associer à une expérience passée.
14Au début du discours, Eumène s’excuse auprès de l’auditoire de n’être qu’un rhéteur de salon qui n’a jamais plaidé au forum (§ 2, 2-5). On peut s’interroger sur la réalité de la remarque, qui relève du lieu commun dans un discours d’éloge. En effet, il était de bon ton, pour l’orateur, de souligner son trouble et de feindre son incapacité face à la mission qui lui était confiée. Par-delà le topos, la mention de la corporation des avocats du forum (secta forensium patronorum) est intéressante : en précisant qu’il n’a pas l’intention, lors de ce discours adressé au gouverneur, de concurrencer ce corps de métier23, il révèle peut-être l’une de ses compétences, à savoir sa connaissance du droit. Cette compétence juridique se déduit par ailleurs de la dernière fonction officielle endossée par le personnage, celle de magister memoriae, qui impliquait de posséder de bonnes capacités oratoires et littéraires, ainsi qu’une connaissance approfondie des institutions et du droit.
15Le déroulement et la durée de sa carrière soulèvent des questions insolubles, en l’absence d’indices chronologiques fermes. Et le recours à des comparaisons est vain, puisqu’il n’existe aucune carrière contemporaine bien attestée, à une époque où la fonction de magister memoriae subit de nombreuses transformations24.
• Eumène, magister memoriae
16Eumène a exercé la fonction de magister memoriae à la chancellerie impériale de l’un des Tétrarques, poste qu’il a quitté au plus tard en 297, au moment de se retirer de la vie publique, avant son rappel à la direction des écoles d’Autun.
17Entre les iie et iiie siècles, la fonction de magister memoriae est devenue un poste de premier ordre à la chancellerie impériale. Le magister memoriae faisait office à la fois de secrétaire particulier de l’empereur et de directeur des bureaux palatins, responsable de l’archivage des documents officiels (correspondance, édits, etc.) et de la rédaction d’actes liés pour l’essentiel à l’administration des provinces25. Eumène, au titre de magister memoriae récemment retiré, recevait un salarium annuel de 300 000 sesterces, confirmation qu’à cette date encore, le poste demeurait l’un des plus élevés dans la carrière équestre.
18Par cette fonction, Eumène possédait le staut de chevalier (eques Romanus) chargé d’une fonction officielle associée à un salaire de 300 000 sesterces (tricenarius), laquelle l’autorisait à porter le titre de uir perfectissimus26.
19Selon toute vraisemblance, la carrière d’Eumène fut essentiellement civile, comparable par exemple à celle des juristes d’époque sévérienne27. Quant aux échelons intermédiaires, il semble difficile de les préciser, faute de sources. Assurément, ce sont ses compétences techniques, rhétoriques et juridiques qui ont permis à Eumène de passer du rang de décurion à celui de haut dignitaire au cœur de la grande crise du iiie siècle, à un moment situé entre les règnes de Gallien et Claude II ou Aurélien. Eumène a dû bénéficier de la protection d’un patron illustre, capable d’accélérer le déroulement de sa carrière procuratorienne contre certains usages administratifs, à l’image de Marcus Aurelius Hermogenes, chevalier romain originaire d’Ostie, brillant rhéteur et écrivain, a studiis de rang sexagénaire avant 260. Maintenu à ce poste – mais à un niveau centenaire – une fois Gallien seul au pouvoir (en 260), Aurelius Hermogenes fut finalement remercié en raison de son hyperspécialisation et remplacé par un chevalier à la carrière plus classique28. Dans cette perspective, la notion de « parvenu de la culture » s’appliquerait bien au personnage, ainsi qu’à Eumène29.
20Dans le détail, le déroulement de la carrière d’Eumène soulève deux questions. La première concerne la date d’entrée à cette lourde charge, la seconde son rattachement à la chancellerie impériale. Ce qui revient à s’interroger sur l’existence ou non d’une chancellerie autonome pour chaque tétrarque : dans la rédaction des actes officiels, les princes disposaient-ils de leur propre chancellerie ? Était-ce une prérogative des Augustes, voire de l’Auguste principal, Dioclétien ?
21Il est difficile d’établir la date d’entrée d’Eumène au poste de magister memoriae, car les hypothèses s’appuyant sur des extraits du discours laissent une grande marge d’interprétation. Le premier point de repère repose sur l’âge supposé d’Eumène au moment du discours, car des fonctions officielles comme celle de magister memoriae faisaient appel à une grande expérience, condition remplie par un candidat d’âge mûr voire avancé. Contrairement à ce qu’affirment certains commentateurs, pour déterminer l’âge d’Eumène en 298, il n’est pas permis d’associer son enfance et la destruction du bâtiment des écoles aux événements de 269-27030. Rien ne l’indique dans le texte. Eumène signale seulement à l’auditoire que les écoles étaient encore en fonction, dans le bâtiment prévu à cet effet, à la fin de la vie de son grand-père, âgé de plus de 80 ans. Eumène n’a pas connu son aïeul parce qu’il n’était pas né ou en bas âge au moment de sa mort. Plus loin dans le discours, il rappelle que le bâtiment des écoles fut abandonné peu avant son entrée dans l’enfance (pueritia au § 17,3). Enfin, le fils d’Eumène était suffisamment âgé en 298 pour s’engager dans les pristina studia de son père. Le jeune homme devait donc être âgé d’une vingtaine d’années environ en 298, ce qui oblige à placer sa naissance dans le courant des années 270, vers 280 au plus tard. Dans ces conditions, si l’on admet un écart intergénérationnel d’une trentaine d’années, la date de naissance d’Eumène peut être fixée au plus tard vers 250.
22Une date antérieure doit être envisagée si l’on tient compte du fait qu’Eumène était, en 298, un magister memoriae retiré depuis peu. Au iiie siècle et dans la première moitié du ive siècle, le poste figurait, dans le déroulement de la carrière équestre, juste avant la préfecture du prétoire, sommet de la hiérarchie équestre. La fonction de magister memoriae apparaissait alors comme une fonction de fin de carrière, suivie dans les meilleurs cas d’une adlection dans l’ordre sénatorial. Au début du iiie siècle, l’accès à la préfecture du prétoire demeurait possible, même pour un chevalier ayant accompli une carrière purement civile, car elle se déroulait à Rome et la collégialité autorisait qu’un des préfets ne possédât pas nécessairement des compétences militaires31. Durant la grande crise des années 250 et à l’époque tétrarchique, ce profil de carrière se raréfia sans disparaître pour autant. Le préfet du prétoire était surtout chargé, dans le contexte d’invasions et d’usurpations aux frontières, de seconder les empereurs dans la direction des opérations militaires, à l’image d’Asclepiodotus, préfet rattaché à l’Auguste Maximien, qui joua ce rôle en Occident en secondant le César Constance Ier dans sa campagne victorieuse de 296 contre l’usurpateur breton Allectus32. Au même moment, le juriste Hermogenianus accédait à la fonction dans un contexte différent, puisqu’il fut nommé en 296, année à partir de laquelle les victoires militaires permirent aux princes d’engager de profondes réformes, une fois rétablies les provinces de l’Empire. Par ailleurs, comme l’a justement fait remarquer André Chastagnol, les exemples de préfets du prétoire désignés parmi les fonctionnaires équestres ayant accompli des carrières purement civiles n’étaient pas si rares, dans la mesure où les compétences rattachées à la fonction s’étaient progressivement élargies, à partir des Antonins, aux domaines judiciaires et administratifs33.
23Passons maintenant au second problème : chaque prince disposait-il d’une administration palatine complète, ou était-ce une prérogative des deux Augustes, voire de l’Auguste principal, les Césars devant se contenter de services réduits pour régler les affaires courantes et correspondre avec les autres corégents34 ?
24Si l’on considère qu’Eumène était le magister memoriae de Constance, sur la foi du témoignage de la lettre de nomination, on peut supposer qu’il entra en fonction en 293 lors de l’élévation de Constance au Césarat35. À l’occasion, il a pu être transféré de la chancellerie de Maximien ou d’un autre poste occupé avant cette date. L’hypothèse implique que Constance disposait d’une chancellerie importante et étoffée, lui permettant d’émettre des actes normatifs au nom de l’ensemble du collège impérial. Ce point paraît peu probable en raison des problèmes juridiques et administratifs inextricables qu’il soulève. Il faut envisager la question sous un autre angle, en rappelant au préalable la prééminence absolue, à la fois symbolique et institutionnelle, de Dioclétien sur ses collègues dans le cadre de la Tétrarchie. La division de l’Empire en quatre domaines d’action n’impliquait pas une juridiction propre à chacun au sein des quatre territoires ainsi dessinés : elle visait en priorité à assurer une défense efficace des frontières et à prévenir les usurpations. Dioclétien a toujours évité de multiplier les postes de très haut rang, privilégiant les créations nouvelles à l’échelon provincial. Aussi, au cœur du pouvoir, les choses ne bougèrent guère : les quatre empereurs continuèrent de disposer du même nombre de préfets du prétoire, et il n’y a aucune raison de penser qu’il en fut autrement pour l’ensemble des services centraux de l’État. Cependant, il est possible que Dioclétien, guidé par un souci de bonne administration, ait décidé de dédoubler certains postes palatins, comme celui de magister memoriae, et de maintenir une seconde chancellerie en Occident, à Milan, résidence principale de l’Auguste Maximien, tandis que les archives continuaient d’être conservées à Rome, dans les bâtiments prévus à cet effet sur le Palatin36. Eumène fut donc, selon toute vraisemblance, un membre de la chancellerie de Maximien Hercule, et il a pu servir, à divers titres, le César Constance, lui-même membre du comitatus impérial avant son élévation à la pourpre en 29337.
25Dans le contexte des années 280 et du début des années 290, l’accès au poste de magister memoriae ne pouvait être qu’un aboutissement de carrière pour Eumène, si la perspective d’un accès à l’ordre sénatorial ne s’offrait pas à lui. Dans ces conditions, nous proposons de fixer le moment où il fut magister memoriae entre, au plus tôt l’année 286 – au cours de laquelle Maximien fut élevé à l’Augustat et doté d’une administration étoffée –, et au plus tard le milieu des années 290. Par capillarité, Eumène étant âgé d’une cinquantaine d’années au minimum lors de sa retraite, sa date de naissance peut être remontée au début des années 240. Cette solution proposée à titre d’hypothèse a des répercussions sur les dates probables de naissance du grand-père et du fils : le premier dut naître dans les années 160 (et mourir octogénaire dans les années 240), le second dans les années 270.
Proposition de reconstitution et interprétation
26Ces éléments réunis, voici le schéma de la carrière d’Eumène qu’il est possible de reconstituer :
naissance vers 240 ;
études de rhétorique (et droit ?) vers 255-265 ;
engagement dans la carrière équestre entre 265-270 et 28638. Eumène gravit différents échelons, passe par des fonctions difficiles à établir (avocat du fisc ? procuratèle a rationibus ?) avant d’atteindre un poste de rang ducénaire autour de 285, dans l’administration provinciale ou palatiale ( ?) ;
magister memoriae pendant une dizaine d’années, entre 286 et 295-296 ;
retiré de la vie publique, il est nommé par les empereurs à la tête des écoles de la cité vers 297 ;
discours devant le gouverneur à Augustodunum au printemps 298.
27Le profil de carrière d’Eumène, en dépit de nombreuses lacunes et incertitudes, est intéressant à plusieurs titres. Grâce aux indications directes et aux déductions qu’il est possible d’en tirer, on dispose d’éléments uniques et originaux pour comprendre le déroulement d’une carrière équestre en pleine « crise du iiie siècle », à une époque caractérisée par la quasi-absence de sources épigraphiques ou papyrologiques sur le sujet. Si les propositions avancées s’avèrent justes, le schéma de carrière suivi par Eumène demeure inscrit dans la continuité des évolutions amorcées depuis les Antonins39. Si la carrière stricto sensu – les postes intermédiaires en particulier – demeure mal connue, le discours permet de saisir cependant l’arrière-plan familial et sociologique de ce magister memoriae : un milieu de notables aisés et cultivés, bien implantés dans leur cité d’origine, insérés dans de puissants réseaux provinciaux40. Ce qui fit cependant la différence pour Eumène, ce furent ses compétences administratives fondées sur des aptitudes intellectuelles. Son profil correspond à celui des uiri litterati, dont l’ascension en Gaule est bien attestée au ive siècle41. À ce titre, Eumène fut l’un des administrateurs impériaux les plus importants de son temps. Les empereurs ne s’y sont pas trompés en le sortant de sa retraite pour le charger d’une ultime mission : devenir directeur et enseignant des écoles municipales.
La lettre de nomination d’Eumène à la tête des écoles
28La procédure de nomination est connue grâce à un document lu par Eumène durant son discours (§ 14). Il s’agit d’une lettre officielle (epistula sacra), rédigée au nom du collège impérial et du César Constance, lui ordonnant de s’installer dans ses nouvelles fonctions de directeur. Cette epistula, présentée à l’auditoire, visait à appuyer la requête auprès du gouverneur. La voici reproduite in extenso·.
Exemplvm sacrae epistvlae
1. Merentur et Galli nostri ut eorum liberis, quorum uita in Augustedunensium oppido ingenuis artibus eruditur, et ipsi adulescentes qui hilaro consensu meum Constantii Caesaris ex Italia reuertentis suscepere comitatum, ut eorum indoli consulere cupiamus. 2. Proinde quod aliud praemium his quam illud conferre debemus quod nec dare potest nec eripere Fortuna ? 3. Vnde auditorio huic, quod uidetur interitu praeceptoris orbatum, te potissimum praeficere debuimus, cuius eloquentiam et grauitatem morum ex actus nostri habemus administratione compertam. 4. Saluo igitur priuilegio dignitatis tuae hortamur ut professionem oratoriam repetas atque in supra dicta ciuitate, quam non ignoras nos ad pristinam gloriam reformare, ad uitae melioris studium adulescentium excolas mentes nec putes hoc munere ante partis aliquid tuis honoribus derogari, cum honesta professio ornet potius omnem quam destruat dignitatem. 5. Denique etiam salarium te in sescenis milibus nummum ex rei publicae uiribus consequi uolumus, ut intellegas meritis tuis etiam nostram consuluisse (consulere selon Lassandro) clementiam. Vale, Eumeni carissime nobis.
29Il serait injuste de la considérer a priori comme un faux ou comme un document entièrement réélaboré42. Au Bas-Empire, le genre épistolaire semble s’être codifié et développé parallèlement à l’étoffement des bureaux de l’administration impériale43. Les livres vi et vii des Variae de Cassiodore offrent le témoignage le plus complet de cette littérature « administrative » antique, à son point d’aboutissement44. Bien que longtemps négligé et méprisé des historiens, le genre mériterait une étude approfondie45.
30La lettre de nomination d’Eumène est ainsi structurée :
31§ 1-2 : préambule, justification (seule manque la titulature impériale, non reproduite dans le développement complet car inutile dans le contexte du discours) ;
32§ 3 : décision de nommer Eumène à la tête des écoles ;
33§ 4 : 1re clause : les empereurs sont soucieux de préserver la dignitas et les privilèges liés à la fonction de magister memoriae dont Eumène fut revêtu avant d’être nommé à la tête des écoles ;
34§ 4 : 2e clause : le traitement est doublé. Eumène garde son salarium de 300 000 sesterces reçu au titre de magister memoriae, d’eques Romanus de rang tricénaire, mais reçoit en prime 300 000 sesterces pour sa fonction de directeur des écoles ;
35§ 5 : formule de valédiction : Vale, Eumeni carissime nobis.
36L’étude minutieuse de la structure de cette epistula, de sa diplomatique en somme, conforte son authenticité46. Le titre d’abord, reproduit dans certains manuscrits, correspond à une réalité bien attestée47 : en effet, sur les inscriptions officielles contemporaines, il était fréquent de rappeler la nature du document reproduit. C’est la raison pour laquelle figure l’expression Exemplum Sacrae Epistulae. Dans le document d’origine, cette formule devait être abrégée avant d’être restituée au singulier par un copiste, bien que le pluriel Exemplum Sacrarum Epistularum ou Litterarum soit plus fréquent. Le titre rappelait au lecteur le caractère normatif du document émis par le sacratissimus Imperator48, et qui assimilait toute atteinte à sa personne ou à ce qui se rapportait à lui de crime de lèse-majesté. Aussi, en procédant à la lecture du document, Eumène, de manière ingénieuse, obligeait son assistance à faire preuve d’un silence respectueux à l’écoute de cette parole sacrée, lue en un instant solennel49.
37Dans l’intitulé (intitulatio) d’origine – manquant – devaient figurer les noms et la titulature des quatre empereurs en fonction, à une date située entre 295 et 297 au plus tard50. L’autorité émettrice comprend l’ensemble du collège impérial, comme l’indique au paragraphe 14 la formule : hoc tantorum principum exhortatione51. Constance a nommé Eumène à ce poste, avec l’autorisation de « son » Auguste Maximien, au nom de l’ensemble du collège impérial. D’où le va-et-vient permanent entre le pronom personnel « je » et le « nous » collectif de majesté.
38Les fonctions du rédacteur de l’epistula restent à déterminer. Si l’on en juge par le ton personnel de la lettre, Constance avait peut-être laissé des instructions. Ce rédacteur était vraisemblablement un lettré de son entourage, de son bureau personnel de Trèves par exemple, qui aurait envoyé la lettre à la chancellerie de Maximien pour lui soumettre son avis. Des tractations entre les bureaux réduits de Constance à Trèves et ceux de Maximien à Milan ne sont pas à exclure52. Les cas de figures sont si nombreux qu’il paraît difficile de trancher sans verser dans la conjecture. On pencherait plutôt, compte tenu de l’affaire, pour une certaine autonomie laissée à Constance (sous la tutelle de l’Auguste), afin d’éviter d’engorger la chancellerie de Maximien qui devait traiter de problèmes plus importants. Par ailleurs, ce genre d’epistula adressée à un particulier demeurait un acte de chancellerie mineur comparé à un édit de portée générale.
39Dans le corps de la lettre, les décisions et les clauses sont structurées et exposées de manière rigoureuse. Le vocabulaire employé est fleuri, emphatique et marqué par le genre épidictique. En cela, le style du document correspond bien à celui de la chancellerie impériale tardoantique53. Mais par-delà cette forme considérée souvent – à tort – comme vague et obscure, dans le détail, les termes employés dans l’epistula demeurent d’une grande précision juridique : ainsi les verbes et formules d’injonction ou d’exhortation si fréquents dans les codes juridiques (cupiamus consulere, debemus conferre ou proficere, uolemus consequi), certaines tournures techniques comme supra dicta ciuitate, caractéristique du formulaire des actes, ou le vocabulaire désignant les privilèges et les fonctions d’Eumène (priuilegium, munus, honos, dignitas, merita)54. Quant à la formule de valédiction, elle correspond aux usages protocolaires en vigueur à l’époque, l’empereur concluant les missives adressées à ses représentants par Vale, carissime suivi du nom du personnage (Trajan salue ainsi Pline : Vale Secunde carissime)55. À l’époque tétrarchique et constantinienne, l’expression est fréquente, comme l’a montré Simon Corcoran56.
40Enfin, plusieurs éléments concernant la nomination d’Eumène ont pu surprendre des spécialistes des institutions du Haut-Empire, au point de considérer la procédure comme une mise à l’écart pour les raisons suivantes57 :
Eumène a été nommé sur décision impériale à la tête d’écoles municipales ;
à l’occasion, son salaire a été doublé et celui reçu en qualité de professeur de rhétorique a été indexé sur la grille des émoluments des procurateurs équestres, à un échelon élevé ;
Eumène ne cesse dans son discours de se justifier auprès de ses concitoyens, comme s’il souhaitait masquer certaines réalités.
41Ces anomalies apparentes ont parfois été invoquées pour remettre en cause l’authenticité de la lettre. En réalité, sur ce point précis, il est nécessaire de s’affranchir des conceptions parfois schématiques des spécialistes, qui considèrent qu’une carrière doit nécessairement être ascendante et linéaire. D’abord, la nomination d’Eumène correspond à un acte exceptionnel, lié à une situation jugée préoccupante par le pouvoir impérial. Le poste de directeur des écoles d’Augustodunum n’était pas une fonction équestre officielle et ne correspondait pas à un poste tricénaire. Eumène reçut 300 000 sesterces en plus car ce montant était le seul moyen trouvé par les empereurs pour l’assurer que sa mission demeurait au moins aussi importante financièrement et valorisante socialement que celle d’un magister memoriae. Dans ces circonstances, la fonction associée à un salarium élevé était envisagée comme l’ultime récompense d’un service rendu à l’État et à une communauté civique, avant une retraite méritée. La mission demeurait exceptionnelle et échappait au déroulement de carrière stricto sensu.
42De ce point de vue, la procédure de nomination d’Eumène à la tête des écoles peut être éclairée par analogie avec des carrières mentionnées dans des inscriptions et des textes littéraires des iie-ive siècles.
Sous Hadrien, une inscription mentionnant un célèbre juriste, Saluius Iulianus, fait connaître le salarium que ce dernier reçut au titre de questeur58, doublé (duplicauit) par décision personnelle de l’empereur en raison de la science remarquable de Iulianus (propter insignem doctrinam). Le doublement de salaire dont bénéficie Eumène a donc des précédents59. Il est nommé à la tête des écoles par un acte impérial, et l’acte d’évergétisme impérial s’adresse en premier lieu à la cité qui reçoit un maître compétent. En contrepartie, Eumène, que les empereurs ont apprécié dans l’exercice de ses fonctions à la chancellerie et qu’ils ont jugé compétent et de bonnes mœurs, bénéficie d’un doublement de salaire.
Au début du iiie siècle, Nepotianus, un notable de Sicca Veneria, devint professeur des écoles de sa cité après avoir rempli un poste sexagénaire60. À l’occasion, sa nouvelle fonction semble avoir été assimilée à celle d’un procurateur centenaire (centenarius). Cette procédure permettait au titulaire de la fonction, de retour dans sa cité, de considérer la charge locale comme un prolongement de carrière associé à un avancement et à des honneurs supplémentaires, sans pour autant que le poste ne devînt un poste procuratorien officiel et pérenne. Africain, le personnage bénéficia peut-être de la faveur des Sévères dans une ville marquée par le goût de ses notables pour la culture. À Autun et Sicca Veneria, les empereurs semblent avoir pris le parti de rattacher un poste de maître d’école à la grille des fonctions et des honneurs équestres à des fins hiérarchiques, pour ménager leurs titulaires, et par commodité. La fonction de directeur des écoles d’Autun ne correspondait officiellement à aucun poste particulier de la carrière équestre, et assurément pas à un poste de rang tricénaire : c’était avant tout un poste de circonstances.
En matière d’enseignement, les interventions impériales dans les cités visaient à prévenir les abus de toute sorte, en particulier à protéger les maîtres et les étudiants. Pragmatiques, ces interventions ne furent jamais systématisées. Seul l’empereur Julien promulgua une loi afin d’intervenir plus encore dans ce domaine, prétendant même nommer les maîtres, ce qui choqua ses contemporains. Selon cette loi, il lui revenait en dernier recours de vérifier les aptitudes des candidats examinés et choisis par les autorités municipales. Ce n’est qu’une fois son approbation obtenue que les candidats entraient en fonction. L’empereur, pour justifier son intrusion dans des affaires relevant en temps normal des autorités civiques, invoquait l’argument que les maîtres ainsi nommés par suffrage impérial bénéficiaient, pour eux et pour leur fonction, du lustre de ce prestigieux patronage. La même préoccupation a pu présider au choix des Tétrarques dans l’affaire des écoles d’Autun61.
43Ainsi, la nomination d’Eumène correspondait bien dans ses grandes lignes à la tradition de la politique impériale à l’égard des cités en matière d’éducation depuis le Haut-Empire : une politique caractérisée par des interventions minimales, très ponctuelles, par des évergésies ad personam en faveur de cités ou d’individus et dans des contextes précis.
44Il était normal, à cette époque, qu’un salaire accordé en qualité de maître d’école fût donné et indexé par l’État impérial sur le salarium rattaché aux fonctions qui s’en rapprochaient le plus, c’est-à-dire les postes de procurateurs équestres, dont le rang était exprimé selon la somme reçue en sesterces, même à basse époque62. L’interventionnisme qui transparaît dans la nomination d’Eumène offre une preuve supplémentaire du grand intérêt des Tétrarques et de leurs successeurs pour l’enseignement, sans parler nécessairement d’écoles d’État dans la mesure où n’existaient ni programmes officiels ni institutions calquées sur le même modèle dans l’ensemble de l’Empire63. Si, en la matière, les autorités locales bénéficièrent d’une grande marge de liberté, les intrusions du pouvoir central devinrent plus systématiques à partir de la fin du iiie siècle. Car du bon fonctionnement des écoles dépendait le recrutement de fonctionnaires lettrés et compétents, à un moment crucial de développement des officia et d’étoffement de la bureaucratie64. C’est la « raison d’État » (ratio reipublicae) qui poussa les empereurs à intervenir plus en ce domaine. Dans ce contexte, le soutien apporté par Constance à la restauration des écoles d’Autun, grand centre intellectuel de l’Occident romain, apparaît d’autant plus légitime. Ces éléments éclairent également l’abondance relative des lois sur l’enseignement à partir du début du ive siècle. Sur le sujet, le discours d’Eumène apporte un témoignage précurseur.
45Un dernier point mérite d’être évoqué. Dans cette requête, Eumène a su avec ingéniosité s’appuyer sur les mots employés par les empereurs pour justifier sa nomination. Dans sa stratégie argumentaire, la lettre constitue en quelque sorte le point focal du discours, même si elle n’est citée qu’aux deux tiers du texte65. Eumène la détourne de sa signification initiale, l’employant comme un argument d’autorité destiné à servir son projet de rétablissement des écoles. Si elle est d’abord lue pour impressionner l’auditoire, elle sert avant tout à exercer une pression amicale sur le gouverneur, présent sur place, qui devait donner son avis dans l’affaire. Autrement dit, dans son plaidoyer, la lettre sert de pièce à conviction présentée par l’avocat de la défense, rappelant à l’auditoire que les empereurs sont favorables à toute action destinée à améliorer le fonctionnement des écoles. La pression exercée sur le perfectissime est d’autant plus forte que le document est une epistula sacra. Eumène ne se prive pas de le rappeler (§ 3, 2 et 4, 1). Qui en effet aurait pu, dans de telles conditions, s’opposer aux décisions et aux volontés des empereurs ?
Les fonctions d’Eumène au sein des écoles
46Si le discours d’Eumène demeure un plaidoyer pour la reconstruction d’un édifice dans le cadre d’un acte d’évergétisme, il apporte incidemment des informations précieuses sur le bâtiment, le personnel enseignant, les enseignements dispensés, ainsi que sur les débouchés qui s’offraient aux étudiants. Ces renseignements sont complétés par les indications indirectes que fournissent d’autres panégyristes, dont certains ont été d’anciens élèves et peut-être même d’anciens professeurs : leurs discours, à bien des égards, sont les pièces les plus abouties du savoir dispensé dans les Méniennes66.
Eumène, praeceptor et moderator
47Eumène désigne sa fonction au sein des écoles de plusieurs manières : il se dit praeceptor (§ 5, 3 ; 6, 4 et 8, 3) et moderator (§5, 3). Les deux termes, outre ceux de magister (§ 11, 2) et de summus doctor (§ 5, 3), sont les plus précis et les plus officiels. Ailleurs, Eumène emploie des périphrases ou des termes plus vagues quand il parle de sa professio (§ 14, 4 ; 15, 4 et 16, 6) qu’il juge honesta (§ 14, 4). Il emploie enfin l’expression praemia docendi (§ 17, 1) pour évoquer son salaire de professeur.
48Sa fonction dans les écoles était donc double. Il était enseignant, le premier compte tenu de ses qualités. C’est le sens du mot praeceptor, équivalent de rhetor latinus ou d’orator, c’est-à-dire enseignant de rhétorique67. Par ailleurs, il était responsable ou directeur des écoles, nommé par les empereurs en raison de ses compétences administratives, vérifiées lors de son passage à la chancellerie. Si l’emploi du terme moderator demeure rare dans cette situation, son sens de « directeur » ou de « responsable » apparaît sans ambiguïté dans d’autres contextes68.
49Eumène a été nommé à la tête des écoles car, en plus de disposer de compétences intellectuelles et administratives, il faisait preuve de bonne moralité (§ 14, 3-4). Ce dernier critère relève plus de l’idéologie que de motivations institutionnelles. Il mérite néanmoins d’être rappelé, car le lien entre éducation et bonnes mœurs était indissociable de l’idéal de la παιδεία. Pour bien enseigner, il fallait être soi-même un exemple pour les jeunes gens. Faire partie de la catégorie des uiri litterati offrait a priori un gage de bonne moralité69.
L’enseignement au sein des écoles d’Autun
50Ce qu’Eumène rapporte de l’enseignement au sein des écoles d’Augustodunum (disciplines, méthodes, finalités) est très convenu car subordonné au thème principal de son discours.
• Contenu de l’enseignement
51Assurément, les disciplines dispensées dans les écoles d’Autun répondaient à un enseignement de haut niveau, équivalent à celui de l’enseignement supérieur. Dans le système éducatif romain, il s’agissait du dernier degré, le troisième après celui de la classe du primus magister ou magister ludi (de 7 à 12 ans) et du grammaticus (de 11-12 ans à 15 ans passés)70.
52Comme l’a noté Henri-Irénée Marrou pour l’époque impériale, « les études supérieures se résument pratiquement à la rhétorique, au sens le plus formel du mot71 ». C’est en effet le constat qui ressort du discours d’Eumène : l’enseignement dispensé dans les écoles éduennes avait pour vocation principale la maîtrise de l’art oratoire, de l’éloquence, latine en particulier mais également grecque, comme l’atteste l’installation du grand-père d’Eumène dans la cité72. Les écoles autunoises étaient des écoles de bon, voire d’excellent niveau, pourvues d’enseignants compétents. Leur réputation semble s’être maintenue de façon continue de l’époque d’Auguste jusqu’à l’Anonyme de 311, en dépit d’une lacune documentaire correspondant au siècle des Antonins. Ce fut précisément pour maintenir leur rayonnement que les empereurs intervinrent pour nommer Eumène.
53Il faut cependant prendre garde au piège tendu par les auteurs antiques issus de l’aristocratie sénatoriale ou de l’ordre équestre73 et qui étaient tenus, pour des raisons éthiques, de passer sous silence toute compétence technique de leur part74. Si la majorité des panégyristes éduens firent carrière dans la haute administration impériale, ils furent nommés à ces hauts postes certes en raison de leur maîtrise de l’ars bene dicendi, mais aussi parce qu’ils étaient de bons connaisseurs du droit et des finances. Si cette dernière compétence technique pouvait être acquise de manière pragmatique, la première était enseignée dans le cadre d’écoles comparables à celles d’Autun : l’auteur anonyme du Panégyrique latin iv(8), ancien membre de la chancellerie, était originaire d’Autun, comme Eumène qui avait atteint la fonction de magister memoriae, celui du Panégyrique latin vi(7) possédait des éléments de culture juridique, comme l’auteur du Panégyrique latin vii(6) dont l’un des fils, peut-être formé dans les Méniennes, était aduocatus fisci en 31075. À ces indices d’une pratique ponctuelle ou assidue du droit de la part des élites éduennes doivent être ajoutées la mention d’une « corporation » d’avocats du forum à Autun (§ 2, 2) ainsi que l’existence d’un palimpseste du ive siècle, conservé à Autun selon toute vraisemblance depuis le haut Moyen Age et sur lequel figurent des extraits du manuel de Gaius76. En se fondant sur ce faisceau d’indices, il semble envisageable que les écoles d’Autun dispensaient une formation juridique, peut-être excellente et comparable à celle de grands centres de l’Empire (Beyrouth, Carthage), si l’on en juge par les brillantes carrières des jeunes gens passés dans leurs murs.
• Méthodes d’enseignement
54Eumène livre peu d’informations sur les règles et procédés mis en œuvre dans le cadre de cet enseignement. Il oppose dans un premier temps les exercices littéraires menés dans la confidence des murs des écoles aux discours prononcés en public par les avocats du forum (§ 1, 3 : studiorum exercitia). Ce passage est intéressant car il souligne bien le labeur, le caractère répétitif des exercices préliminaires pour la composition des discours. Eumène évoque aussi l’utilisation de cartes dans le cadre de cours d’« instruction civique ». En effet, ces représentations cartographiques peintes sur les murs d’un portique permettaient d’embrasser d’un seul regard les régions de l’Empire reconquises grâce aux glorieuses campagnes des Tétrarques (§ 21, 1-3). Ailleurs dans le discours, il est question d’un exercice qui consistait à composer un éloge des empereurs et à le réciter à voix haute devant les professeurs et les autres élèves (§ 10, 2)77.
• Finalités de l’enseignement
55Il est permis, d’après le témoignage du Panégyrique latin v(9), de distinguer trois finalités de cet enseignement. La première était morale : il s’agissait de former des hommes vertueux. La deuxième politique et idéologique : il s’agissait de transformer les provinciaux en bons Romains, un thème qui affleure tout au long du discours sans être formulé de manière explicite78. La dernière pratique : elle visait à former de bons dirigeants, capables d’administrer l’État et les cités (§ 5, 4). Rien de très original, donc, puisqu’à cette époque comme aux premiers temps du Principat, les écoles supérieures étaient destinées avant tout à éduquer les enfants des grandes familles gallo-romaines, qu’ils fussent notables de cités, membres de l’ordre équestre ou clarissimes79. Les écoles d’Autun furent pour l’État romain une pépinière de cadres administratifs, à un moment où les besoins en personnel s’accroissaient en raison de la mise en place des réformes tétrarchiques et de la présence d’une capitale impériale à proximité – Trèves – occupée de manière régulière par les empereurs.
56Du temps d’Eumène, cette conception utilitaire des écoles semble avoir particulièrement prévalu, justifiant à elle seule l’intervention impériale dans une affaire qui aurait dû relever de la cité et d’elle seule. À l’origine pourtant, ces écoles furent probablement conçues par Auguste comme un instrument de romanisation, et le choix de les implanter à Autun ne fut pas anodin. Il permettait en effet de récompenser la fidélité des fratres populi Romani et de mieux surveiller, sur le territoire d’un allié ancien et précocement romanisé, les enfants de la noblesse gauloise dont certains membres n’étaient alors pas acquis à la cause romaine. La politique d’Auguste à Autun s’éclaire au regard de l’expérience engagée par Sertorius en Espagne un demi-siècle auparavant80. Ce dernier, qui gouvernait la péninsule Ibérique à l’époque où Sylla détenait le pouvoir à Rome, avait fait rassembler des jeunes gens, au premier plan les fils des chefs issus des plus nobles familles, à Osca (actuelle Huesca), avec pour projet d’instruire ces otages en latin et en grec afin, selon Plutarque, de « les faire participer, quand ils seraient devenus des hommes, à l’administration et au gouvernement81 ». C’est avec le même objectif à l’esprit qu’Auguste semble avoir créé les écoles d’Autun. Mais paradoxalement, la présence de l’élite de la jeunesse gauloise en un même lieu se retourna contre Rome au moment où Iulius Sacrouir la prit en otage afin de rallier les parents à sa cause. Les enjeux politiques que pouvaient cristalliser ces lieux d’enseignement étaient donc réels, tout comme le rôle assigné par les dirigeants romains à l’humanitas conçue comme un puissant outil d’acculturation.
57En définitive, le discours d’Eumène offre une source de premier plan sur le fonctionnement des écoles d’une ville importante comme Autun. Les écoles, à l’image de l’urbanisme dont elles constituaient l’un des éléments, participaient à l’image d’Augustodunum conçue comme une vitrine de la romanisation. Mais le propos d’Eumène n’était pas de décrire le système éducatif romain de son temps, sujet à peine effleuré. Il désirait avant tout faire aboutir sa requête visant à convaincre le pouvoir impérial de reconstruire le bâtiment des écoles dans le cadre d’un acte d’évergétisme.
Le rôle d’Eumène dans la reconstruction des écoles de sa patrie
58Chacun des Tétrarques a été attentif au sort des communautés civiques qui relevaient de son domaine. En Gaule, le César Constance se consacra à leur relèvement une fois la Bretagne réintégrée dans l’Empire. La politique de reconstruction engagée semblait d’autant plus nécessaire que les cités de l’Occident, à partir des années 250, avaient particulièrement été touchées, de manière directe ou indirecte, par les invasions, l’insécurité (épisode des bagaudes) et les malheurs de la guerre. Les détails de ce relèvement nous échapperaient en l’absence du témoignage des Panégyriques latins.
59Augustodunum figure en bonne place parmi les communautés qui bénéficièrent des faveurs impériales, bien qu’il ne faille pas se méprendre sur le témoignage des panégyristes, dont le propos demeure centré sur leur patrie. Malgré ce biais documentaire évident, la ciuitas Aeduorum a vraisemblablement bénéficié plus que d’autres des largesses impériales pour des raisons diverses, d’ordre idéologique, analysées en détail dans la troisième partie.
60Le César Constance s’est engagé dans la reconstruction de monuments et d’infrastructures indispensables à la vie civique, allant jusqu’à nommer un nouveau directeur des écoles en remplacement du précédent titulaire, décédé. Mais rien n’a été prévu pour le bâtiment des écoles, appelé Méniennes. Eumène, dans cette affaire, joue un rôle central : de sa propre initiative et sur ses deniers, il promet de financer la reconstruction de l’édifice. Un tel acte d’évergétisme, assorti d’une promesse (pollicitatio) jugée importante par les autorités, nécessitait un accord en haut lieu82.
Les arguments invoqués
61Les arguments invoqués par Eumène pour justifier son acte d’évergétisme – et convaincre par la même occasion le gouverneur – apparaissent tout au long du discours. Bien qu’ils relèvent du domaine de l’idéologie civique, il paraît néanmoins utile de les rappeler ici et de les commenter brièvement, afin de mieux rendre compte des détails techniques et des mécanismes institutionnels mis en œuvre.
62Les principaux arguments figurent logiquement dans la première moitié du discours, consacrée à la justification de l’entreprise. Elle précède un second point au contenu plus technique, qui fixe les modalités concrètes de l’opération. Eumène, par les mots qu’il emploie, s’avère habile pour manipuler son auditoire et infléchir la réalité dans le sens qu’il souhaite, sans jamais perdre en vue son objectif principal. Dans les circonstances du discours, Eumène endosse le rôle original d’un avocat plaidant sa propre cause.
63Plusieurs thèmes clés structurent l’argumentation. D’abord, l’orateur recourt de manière systématique aux arguments d’autorité, comme cela a pu être vérifié à l’occasion de l’analyse de la lettre de nomination. La reconstruction des écoles qu’il entreprend seconde les vues des empereurs qui, grâce à leur prouidentia, savent d’avance ce qui est bon pour l’Empire et les cités. L’intérêt qu’ils portent aux Éduens les conduit à fournir une aide directe, comparable à un acte d’évergétisme. Leur affection pour les jeunes gens des écoles, associée à leur statut de princes lettrés, constitue autant de preuves invoquées par Eumène, même si, stricto sensu, ces questions n’ont qu’un rapport indirect avec le bâtiment des écoles. Deuxième argument : la reconstruction des écoles relève d’un acte de pietas qui reproduit, à l’échelle de la cité, ce que les empereurs mettent en œuvre à l’échelle de l’Empire tout entier. En ce sens, l’acte d’Eumène est stimulé par l’imitatio principum83. Troisième argument : les écoles forment des jeunes gens destinés à devenir des cadres de l’État impérial. Leur bonne formation est indispensable, d’autant que les enseignements dispensés leur apprennent aussi à devenir de fidèles sujets de l’Empire. Les discours d’éloge qu’ils composent et récitent en l’honneur des empereurs dans le bâtiment, une fois celui-ci reconstruit, seront comparés aux prières du culte impérial prononcées dans l’enceinte du capitole voisin84. Un ultime argument enfin, plus trivial mais lié à l’édifice des écoles, est invoqué : sa reconstruction est utile et nécessaire, à la fois d’un point de vue pratique et urbanistique85. Il faut abriter les écoles dans un bâtiment digne de l’enseignement dispensé86, d’autant que leurs ruines font outrage aux bâtiments publics attenants, reconstruits depuis peu87. Or, ces derniers font partie des ornamenta de la cité, c’est-à-dire des constructions incarnant l’identité de la communauté.
64À en juger par ce déploiement d’arguments plus ou moins convaincants, la reconstruction des écoles ne se justifiait pas de manière évidente. Pourtant, l’ancien magister memoriae était l’un des personnages les mieux disposés et habilités à la justifier, dans la mesure où il s’adressait au représentant d’une administration dont il avait été lui-même, peu de temps auparavant, l’un des principaux responsables.
Le salaire d’Eumène, source de financement de l’acte d’évergétisme
Les termes qui désignent le salaire
65Le premier sujet à aborder concerne le salaire d’Eumène, évoqué plus haut et qui se trouve mentionné à plusieurs reprises dans le discours, directement aux § 11, 2 ; 14, 5 et 16, 3, ou bien indirectement aux § 3, 4 ; 11, 3 ; 16, 6 et 20, 1. Ce que les modernes traduisent par « salaire » s’exprime de différentes manières en latin : Eumène parle de son salarium (§ 11, 2 ; 11, 3 et 14, 5), emploie une périphrase : hoc quod tributum est (§ 16, 6), ou utilise des termes plus vagues comme priuilegium (§ 15, 4 et 16, 4) ou praemium (§ 12, 1-2 ; 16, 1 et 17, 1).
66Le terme le plus approprié du point de vue institutionnel est celui de salarium88. La périphrase est également précise, puisqu’elle rappelle le cheminement de l’argent depuis les caisses de l’État jusque dans les comptes de l’évergète89. Priuilegium fait moins référence à l’idée de traitement perçu qu’à l’honneur qui lui est attaché et qui rejaillit sur son détenteur. Le mot renvoie par ailleurs à la part du salaire ajoutée par les empereurs au traitement auparavant perçu en qualité de magister memoriae. Le terme praemium, enfin, employé dans ce contexte, est tiré de la poésie90.
67L’argent reçu par Eumène demeure bel et bien un salarium, un salaire de l’État, autrement dit un émolument officiel puisqu’il s’agit du terme technique employé dans l’epistula sacra par des rédacteurs avertis, membres de l’administration impériale. Ce salarium était une somme fixe affectée par l’État à des personnes chargées d’une fonction de « service public91 ».
Le montant du salaire
68Le montant du traitement reçu par Eumène après sa nomination s’élevait à 600 000 nummi ou sesterces92. À cette date, dans un contexte d’inflation galopante, il paraît difficile d’établir ce qu’il représentait. Par ailleurs, on peut se demander si cette grille d’avancement, fondée à l’origine sur une somme en monnaie de bronze, était encore viable ou décrochée des réalités économiques93. Avec Santo Mazzarino et André Chastagnol, il faut admettre que cette somme était importante et non négligeable94 : pourquoi Eumène se serait-il investi dans une lourde procédure si son acte d’évergétisme n’avait engagé qu’un montant mineur ? En décidant d’offrir l’ensemble de son salaire aussi longtemps que nécessaire, il envisageait que la reconstruction du bâtiment des écoles exigerait des financements importants, inscrits dans la durée.
69Le salaire en question s’élevait au départ à 300 000 nummi et correspondait bien à la grille des honneurs et des dignités d’un membre de l’ordre équestre devenu magister memoriae. À cela s’ajoutèrent 300 000 nummi au titre de directeur des écoles. Les attestations de salaires contemporains sont trop rares pour permettre d’évaluer avec exactitude la portée de l’acte. Les 300 000 nummi apparaissaient comme un priuilegium impérial, accordé à Eumène pour ses services passés et à venir, même si le montant n’avait aucune incidence sur la source même du versement de la somme. Autrement dit, ce privilège était décidé par les empereurs, relevait de leur bon plaisir et était financé au moyen d’un prélèvement dans les caisses du fiscus impérial. Le priuilegium accordé à Eumène à titre personnel ne remettait donc pas en cause sa carrière équestre, la charge de directeur des écoles étant étrangère à ce cadre institutionnel95.
70Il faut noter les précautions oratoires prises par les rédacteurs de la lettre pour ménager Eumène et montrer à tous que cette attribution était méritée, que la fonction qui s’y trouvait attachée gardait son lustre. Les empereurs se sont sentis obligés d’agir ainsi afin que la nomination d’un ancien magister memoriae ne soit pas considérée comme un limogeage ni comme une mesure de déclassement social. Pour autant, ce déploiement de précautions ne put contenter Eumène, gêné au point de ne cesser, tout au long de son discours, de justifier ce double salaire auprès de son auditoire.
71Il faut, pour comprendre cette attitude, se placer du point de vue de l’intéressé lui-même, contraint, dans un discours portant sur le financement d’un chantier de reconstruction, de parler sans cesse d’argent – et avec précision de surcroît – dans une société dont le code éthique des élites préconisait de ne point évoquer ces questions, centrales au demeurant dans les préoccupations et les tâches quotidiennes des décurions96. Par ailleurs, Eumène se trouvait contraint de détailler certains mécanismes comptables et, chemin faisant, d’étaler ses connaissances en la matière, alors que ce genre de compétences, apanage des manieurs d’argents, était peu valorisé et moralement condamné. Il se sortit d’affaire en évoquant ces points avec laconisme et en les noyant dans de longs développements moralisateurs sur la valeur de l’argent et le mépris dont il faut faire preuve à son égard97.
Les mécanismes comptables et juridiques de l’acte d’évergétisme
Les contradictions apparentes du discours
72Plusieurs passages du discours montrent la gêne d’Eumène face aux questions financières et comptables. Il se trouve cependant contraint de les évoquer de manière détaillée devant son interlocuteur, le gouverneur, dans la mesure où la réussite de l’entreprise dépend non seulement de sa force de conviction, liée à sa maîtrise de l’ars rhetorica, mais aussi et surtout des éléments concrets relatifs au dossier du financement des travaux. De ce point de vue, ce discours d’éloge doit être considéré comme une source de premier ordre – bien que négligée – sur la question des finances municipales. Une lecture attentive permet de relever plusieurs termes techniques qui aident à reconstituer les différentes opérations financières et comptables mises en œuvre dans cette affaire.
73Deux détails particuliers de l’entreprise méritent d’être éclairés : le premier concerne la source de financement du salarium d’Eumène, le second le cheminement de la somme jusqu’à son affectation finale.
74Le discours offre une réponse claire à ces questions épineuses au premier abord. Les incertitudes relevées par les commentateurs passés peuvent être dissipées, à condition de rapprocher le dossier de procédures institutionnelles comparables attestées dans les sources juridiques et épigraphiques. Les spécialistes ont été gênés par une contradiction apparente pointée dans deux phrases clés du discours. Au paragraphe 11, Eumène précise que son salaire, désormais doublé, va lui être affecté sine sumptu publico et cum laude sacrae largitionis (§ 11, 1). Puis il ajoute que ce même salarium est prélevé, sur ordre des empereurs, ex huius reipublicae uiribus (§ 11, 2) pour ensuite être versé in accepti ratione (§ 11, 3), c’est-à-dire en recettes dans son livre de comptes (ou de raison, pour emprunter un terme utilisé au Moyen Âge). Le texte de l’epistula, dont l’authenticité est avérée, précise que le salarium doublé d’Eumène devait être prélevé ex reipublicae uiribus (§ 14, 5). Au début du discours enfin, l’orateur rapporte que l’entreprise peut être conduite sine sumptu publico, grâce aux largesses des empereurs (ex largitione § 3, 4). Ces incohérences portent donc sur le sens de respublica, sur la présence ou non d’un démonstratif (ex reipublicae ou ex huius reipublicae), sur l’idée que l’entreprise pouvait être menée à son terme sine sumptu publico, mais ex largitione des empereurs et cum laude sacrae largitionis.
Explications
75Le problème est résolu une fois admis que, dans l’affaire, l’équilibre des finances municipales constituait l’enjeu majeur. Or, l’un des moyens les plus communément employés par le pouvoir impérial pour accorder des largesses consistait en une réattribution directe, à l’échelon local, c’est-à-dire dans les caisses municipales, de sommes versées en temps normal au fiscus98.
76Au paragraphe 11, 1, le balancement sine sumptu publico/ cum laude sacrae largitionis indique que l’acte d’évergétisme offrait le double avantage de ne pas engager de nouvelles dépenses des autorités municipales, sans pour autant gêner l’administration fiscale puisque le salarium d’Eumène ne pouvait être payé que par les services fiscaux centraux, ces versements étant l’une de leurs attributions. Eumène, une fois installé à Autun, ne reçut pas une somme d’argent prélevée dans les caisses centrales à Milan, Trèves ou Lyon, par exemple : celle-ci lui fut attribuée sur place après avoir été prélevée sur la partie des impôts que la cité devait au fiscus. Du point de vue comptable, il s’agissait d’une opération blanche fort commode, qui pouvait de surcroît être présentée par le pouvoir comme une largesse directe de sa part.
77L’explication proposée lève ainsi bien des problèmes d’interprétation et permet de cerner le sens du démοnstratif huius dans ex huius reipublicae (§11, 2). L’argent venait bel et bien des caisses de la cité où vivait Eumène. Mais avant d’être versé dans les comptes de ce dernier, il avait changé de nature et, durant un laps de temps très bref, il était devenu argent impérial, argent de l’État, de la respublica99. Il faut en conséquence accepter la polysémie du terme respublica, compris au sens d’État impérial au § 15, 4 et de « petite république » (c’est-à-dire de cité) au § 11, 2, et ne pas rechercher une rigueur d’usage qui n’avait pas cours à l’époque100. Dans le même ordre d’idées, l’expression sine sumptu publico, souvent comprise dans le sens de « sans dépense de l’État », doit plutôt être traduite par « sans dépense de la cité », en se fondant sur un rapprochement avec des inscriptions africaines des iiie et ive siècles. Dans une affaire relative à la reconstruction des écoles, est suggérée l’idée que l’acte d’évergétisme ne devait pas engendrer de dépenses supplémentaires pour la cité, en raison des nombreux chantiers engagés par ailleurs, dont certains impliquaient des efforts financiers importants et sur le long terme – restauration des aqueducs, des thermes, des temples, des bâtiments civiques.
78Ces réajustements opérés permettent de saisir le détail des mécanismes financiers et comptables à l’œuvre. La largitio des empereurs (§3,4) correspond à leur implication dans la nomination d’un nouveau directeur des écoles compétent. Elle correspond à une largitio impériale exceptionnelle car, en temps normal, la procédure de nomination relevait d’une décision de l’ordo decurionum, le salaire du maître étant pris dans les caisses de la municipalité. Le terme largitio est approprié puisque les empereurs ont non seulement recruté un maître compétent, mais encore attribué un salaire à ce dernier sur l’argent versé au fiscus. Cette nomination se justifiait dans la mesure où elle soulageait les finances de la cité alors investies dans un vaste programme de reconstruction.
79Le salarium, source du futur acte d’évergétisme, fut bien prélevé sur les caisses de l’État (ex uiribus reipublicae). Mais, dans la mesure où Eumène se trouvait à Autun, la solution adoptée, la plus simple, consista à verser directement dans ses propres comptes une part de la contribution générale que la cité reversait en temps normal aux Largesses sacrées et qui demeurait en attente dans la caisse municipale. Concrètement, l’argent est passé des caisses de la cité aux comptes d’Eumène. L’opération était commode et économique. L’argent ainsi versé, en théorie du moins, passa pourtant par trois états différents : de municipal il devint impérial, et d’impérial privé.
80Eumène aurait pu se satisfaire de ce double salaire, en jouir pour lui-même et ses proches. Mais il se sentit redevable à l’égard de sa cité pour plusieurs raisons – on soupçonne ici une forte pression idéologique et morale, mais aussi concrète, exercée par ses concitoyens présents dans l’auditoire. Aussi jugea-t-il préférable de la réinvestir dans la reconstruction des écoles dont il était à la fois directeur et maître.
81L’acte d’évergétisme d’Eumène revenait donc à offrir l’ensemble du salarium (600 000 nummi) à la cité pour une période indéterminée, tributaire de la durée des travaux (quoad usus poposcerit au § 11, 3). Le poids financier de l’entreprise reposait ainsi en intégralité sur les épaules de l’évergète. Les mécanismes de l’acte d’évergétisme relevèrent également de la procédure comptable, même si les traducteurs du texte ne le font pas assez ressortir. Au paragraphe 11, 3, le vocabulaire employé par Eumène est pourtant sans ambiguïté, rappelant celui des banquiers et des manieurs d’argent étudiés par Jean Andreau. Eumène accepte son salarium car il lui fait honneur. Il l’inscrit en recettes dans son livre de comptes (in accepti ratione perscribo)101. Mais immédiatement, désireux de l’affecter à la reconstruction des écoles (ad restitutionem huius operis), il décide de l’inscrire en dépense pour le verser en recette dans le livre des comptes de la cité (sed expensum referre patriae meae)102. L’acte d’évergétisme consiste à placer sous la responsabilité du conseil de la cité une somme d’argent affectée à une tâche précise. Les rôles se distribuent de la manière suivante : l’évergète Eumène finance et oriente l’affectation de la somme offerte, tandis que les décurions doivent veiller à son bon usage ainsi qu’au bon déroulement des travaux.
Que représentaient ces 600 000 sesterces en 298 ?
82Eumène s’engagea donc à verser l’ensemble de son salarium, 600 000 sesterces ou nummi, une somme estimée suffisamment importante pour impliquer l’intervention du gouverneur et des autorités centrales. Dans le contexte d’inflation galopante qui caractérise la fin du iiie siècle, on peut objecter qu’il ne s’agit là, en réalité, que d’une somme minime, comme le font remarquer certains spécialistes103. Un recours à la documentation épigraphique africaine permet, par rapprochement, de trancher cette question.
83Les montants attestés dans trois inscriptions (voir tableau) n’offrent que des ordres de grandeurs suggestifs, dans la mesure où la situation de l’économie africaine dans les années 290 était différente de celle de la Gaule, par exemple du point de vue du coût de la vie ou des prix des matières premières.
84La somme engagée pour la construction du temple d’Apollon de Calama se place en tête des prix des constructions financées par un particulier (aqueducs exceptés) dans la liste établie par Richard Duncan-Jones, qui recense l’ensemble des inscriptions des trois premiers siècles de notre ère104. Ce montant important serait à mettre au compte de l’inflation galopante signalée précédemment, qui affecta l’ensemble de l’économie méditerranéenne dans le dernier tiers du iiie siècle. Tout en admettant ce raisonnement répandu et juste dans ses grandes lignes, on objectera cependant que la somme offerte par Eumène demeurait exceptionnelle, comparée par exemple aux 61000 sesterces engagés à Dougga pour des travaux de réfection souvent onéreux. Elle représentait presque le double de celle engagée à Calama pour la construction ( ?) d’un temple. Sur la foi de ces témoignages et en prenant toutes les précautions de rigueur, il faut admettre que la somme engagée par Eumène était de premier ordre105.
Lieu et date | Type d’opération | Coût | Référence(s) |
Membressa | Érection d’une statue de la Victoria Augusta | 16000 hs | CIL, viii, 25 836 (ILS, 8926) |
Calama | Construction (?) d’un temple dédié à Apollon | 350000 hs | CIL, viii, 5333 (17487 ; IlAlg, i, 250) |
Dougga | Réfection du temple du Genius Patriae | 60000 hs (?) | CIL, VIII, 26472 (Dougga, no 139) |
85Pour finir, il reste à s’interroger sur les raisons qui ont poussé Eumène a engager cet acte d’évergétisme. En sa qualité d’ancien magister memoriae et de maître des écoles municipales, il devait être exempté de munera, conformément aux lois en vigueur. Or, il se donne beaucoup de peine en offrant 600 000 sesterces et en s’engageant dans une reconstruction, certes pour des motifs idéologiques (imitation des princes évergètes, idéologie forte de l’évergétisme à cette époque), mais aussi pour des raisons liées à sa famille, à sa piété envers ses ancêtres et ses concitoyens. Peut-être aussi par culpabilité et sous la pression de ces derniers, puisque cet argument plus trivial a dû peser lourd dans son choix, Eumène étant obligé de participer à son niveau à la reconstruction de la cité. En offrant son salaire, il faisait preuve de bonne volonté et de bonne foi, passant même pour un évergète exceptionnel. Dans l’opération, il préservait l’intégralité de ses privilèges, en particulier son exemption de munera associée à son statut d’enseignant officiel de la cité, à une époque où l’effort pour la reconstruction d’Augustodunum pesait lourd sur les revenus et les fortunes des Éduens. Par ce biais, Eumène se conformait aux idéaux et aux attentes de ses compatriotes sans que l’entreprise ne lui fût trop coûteuse107.
86Eumène apparaît comme le notable gallo-romain du iiie siècle dont la biographie et la carrière demeurent les mieux connues des historiens, aux côtés de Titus Sennius Solemnis, le sacerdos honoré dans l’inscription dite de Thorigny, érigée à Vieux en décembre 238. Si ce dernier achevait sa vie au seuil de la « grande crise », Eumène, était un homme de ce siècle, témoin des événements tragiques de 251 et des années 260-270. Son discours fourmille de renseignements sur son milieu familial et social, ainsi que sur sa carrière.
87Dans le Panégyrique latin v(9) apparaissent plus ou moins explicitement des indications uniques sur sa carrière et sur la fonction du magister memoriae, à une époque marquée par de profondes transformations sur lesquelles la documentation demeure lacunaire. À bien des titres, ce discours constitue une source unique sur la chancellerie impériale à l’époque tétrarchique.
88Dans les institutions municipales, Eumène assuma plusieurs fonctions de premier plan bien attestées dans son discours. Il fut élu délégué (legatus), dans le cadre d’une affaire d’évergétisme dont il plaida en personne la cause et dont il fut le principal protagoniste en sa qualité d’évergète. Sur ces questions, le discours livre une foule d’informations originales et détaillées. En décrivant avec précision les rôles successifs qu’il joua, Eumène éclaire de manière significative plusieurs aspects techniques du fonctionnement des institutions locales, en particulier les mécanismes financiers et juridiques qui régissaient des affaires de construction et dont les détails échappent souvent à l’historien. Sur ces questions, il laisse entrevoir les marges d’intervention laissées aux décurions pour éviter toute mauvaise gestion et se prémunir d’une banqueroute généralisée.
89Enfin, le Panégyrique latin v(9) jette une lumière originale sur le rôle endossé par un directeur des écoles municipales. Si les informations sur l’enseignement et l’organisation des écoles souffrent d’imprécision, le témoignage rappelle les enjeux des interventions du pouvoir impérial dans ce domaine. L’intrusion de l’État dans des affaires relevant normalement des autorités civiques atteste le souci des Tétrarques d’assurer une bonne formation intellectuelle et morale aux futurs cadres d’une administration alors bouleversée par des réformes de grande ampleur. Le discours d’Eumène offre un témoignage précoce du souci, à la fois sincère et intéressé, des empereurs du Bas-Empire à l’égard de l’éducation. Pour autant, il serait fallacieux de l’invoquer comme une preuve de l’intrusion généralisée de l’État dans les affaires des cités. La situation observée à Autun s’explique et se justifie avant tout par une situation localisée de crise. Elle ne relevait pas d’un programme planifié et étendu à l’ensemble de l’Empire108.
Notes de bas de page
1 La présentation de Galletier, 1, p. 103-121, demeure encore la meilleure introduction au personnage. On retiendra, dans la masse des études consacrées à Eumène ou qui évoquent le personnage, en plus des éditions ou traductions commentées (des Baehrens père et fils, de Charles Nixon et Barbara Rodgers, de Domenico Lassandro), les références suivantes : B.-J. Rochet, Traduction des discours d’Eumène, Autun, 1854, p. 5-88 ; Jullian, Histoire de la Gaule (nombreuses pages, en particulier vol. 7 et 8) ; B. Killian, Der panegyrist Eumenius, Münnerstadt, 1869 ; S. Brandt, Eumenius von Augustodunum und die ihm zugeschriebene Reden, Fribourg, Tübingen, 1872 ; R. Götze, Quaestiones Eumenianae, Halle, 1892 ; O. Seeck, « Studien zur Geschichte Diocletians und Constantins, 1. Die Reden des Eumenius », Neue Jahrbücher für Philologie und Paedagogik, 137 (1888), p. 713-726 (repris pour une large part dans l’article « Eumenius », dans RE, vi [1909], col. 1105-1114) ; A. Klotz, « Studien zu den Panegyrici Latini », RhM (1911), p. 513-572 ; A. Stadler, Die Autoren der anonymen gallischen Panegyrici, Munich, 1912 ; L. C. Purser, « Notes on the Panegyrici Latini », Hermathena, 46 (1931), p. 16-30 (sur le salaire d’Eumène) ; C. E. Van Sickle, « Eumenius and the schools of Autun », AJPh, 55 (1934), p. 236-236-243 ; W. H. Alexander, « The Professoriate in imperial Gaul », TRSC, sér. 3, sect. 2, 38 (1944), p. 37-57 ; W. S. Maguiness, « Eumenius of Autun », G&R, vol. 21, no 63 (1952), p. 97-103 ; Millar, ERW, p. 98-99, 335, 503-504 ; Rodgers, « Eumenius », p. 249-266 ; Lana, « Il panegirico di Eumenio », p. 73-94 ; Rees, Layers of Loyalty, p. 130-152. Informations intéressantes à retenir sur le personnage et le discours dans : PLRE, 1, Eumenius 1, p. 294-295 ; Nellen, Viri litterati, p. 19-20 ; Peachin, « The Office of the Memory », p. 176 ; P. L. Schmidt, « Les Panégyriques », dans NHLL, 5, p. 191-193 ; Corcoran, The Empire of the Tetrarchs, p. 91, 93, 132-133, 203, 268-269, 271 ; J.-L. Desnier, La légitimité du prince, iiie-xiie siècles. La justice du fleuve, Paris, 1997, p. 61-85 (des remarques intéressantes dans une démonstration d’ensemble très discutable qui comporte de graves erreurs) ; Messina, « Una singolare rinuncia », p. 173-190.
2 Le nom Mamertin attribué à l’auteur des discours prononcés en l’honneur de Maximien Hercule – Panégyriques latins ii(10) et iii(11) – est une reconstruction à partir d’un titre corrompu et à laquelle il faut renoncer. Voir l’analyse scrupuleuse qu’en donne Rees, op. cit., dans l’annexe qu’il consacre à la question, p. 193-204, et le commentaire qui en a été donné dans Hostein, « Le corpus des Panegyrici Latini », p. 382. Déjà P. L. Schmidt dans NHLL, 5, p. 190, refusait d’appeler par ce nom l’auteur de ces discours, pour les mêmes raisons.
3 Pour plus de détails, je renvoie à la consultation de la fiche qui lui est consacrée infra, dans l’annexe consacrée aux notables éduens (Anonyme 1).
4 La bibliographie sur la Seconde sophistique est vaste : je renvoie à la lecture des synthèses citées par Pernot, La rhétorique de l’éloge, 1, p. 55, n. 2. On retiendra en particulier : G. Anderson, The Second Sophistic. A Cultural Phenomenon in the Roman Empire, Londres, New York, 1993 ; G. W. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969 ; E. Bowie, « The Importance of Sophists », YClS, 17 (1982), p. 29-59 ; T. Schmitz, Bildung und Macht. Zur socialen und politischen Funktion der zweiten Sophistik in der griechischen Welt der Kaiserzeit, Munich, 1997 ; Heller, Les bêtises des Grecs. Déjà au ier siècle de notre ère, les habitants de Marseille (cité d’origine grecque, certes) cherchaient à attirer les brillants orateurs qu’ILS appréciaient tout particulièrement : Str., iv, 1, 5 et iv, 4, 2. Marseille a pu aussi jouer un rôle moteur dans l’adaptation puis la diffusion, en latin et vers les provinces gauloises en particulier, des modèles grecs de la rhétorique.
5 Sur la carrière d’Aelius Aristide : Éloges grecs de Rome, traduits et commentés par Laurent Pernot, Paris, 1997, p. 16-22.
6 Le profil et la carrière du grand-père d’Eumène sont à rapprocher de ceux de plusieurs personnages, des sophistes et des lettrés de bon niveau connus pour leur brillante carrière administrative et/ou scolaire, sans qu’ILS soient devenus pour autant d’éminentes autorités littéraires. Voir à ce sujet G. Bowersock, op. cit., p. 43-58, qui dresse la liste des sophistes qui servirent l’État romain à divers titres (ab epistulis, aduocatus fisci par exemple).
7 Il n’y a pas eu de crise dans le domaine de la culture au iiie siècle, tant dans le domaine de la rhétorique, de la philosophie que dans celui des arts figurés. À ce sujet : Pernot, op. cit., 1, p. 102-105, et les remarques formulées supra, chapitre 1, n. 95.
8 Le concept a été forgé par Philostrate lui-même au début du premier livre de sa Vie des Sophistes.
9 La notion de « transferts culturels » a été définie dans ses grandes lignes par B. Joyeux, « Les transferts culturels. Un discours de la méthode », dans Hypothèses 2002. Travaux de l’École doctorale d’Histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne (2003), p. 151-161, et la conclusion de la même table ronde par François Villeneuve souligne la pertinence d’appliquer un tel concept à l’Antiquité : F. Villeneuve, « Frontières et transferts culturels. Quelques notes d’un antiquisant », ibid., p. 213-218. Voir en dernier lieu sur ce concept appliqué à l’histoire de l’Antiquité : Transferts culturels et politique dans le monde hellénistique. Actes de la table ronde sur les identités collectives, Sorbonne, 7 février 2004, Legras B., Couvenhes J.-C. éd., Paris, 2006.
10 Sur les origines et la diffusion récente de l’expression « Troisième sophistique », dont la paternité revient à Laurent Pernot, voir les réflexions conduites supra, p. 134, en conclusion de la première partie.
11 Tac., An., iii, 40-46.
12 En dernier lieu, on consultera l’ouvrage de J.-C. Decourt, Inscriptions grecques de la France (IGF), Lyon, 2004, p. 233-247, où sont recensées et éditées les inscriptions grecques d’Autun et de Saône-et-Loire (no 154-160). Les inscriptions en grec découvertes sur place ont été répertoriées dans Autun-Augustodunum : no 367, étui pendentif en or avec formule ΕΥΦΟΡΙ ; no 545 (IGF, 159), tablette d’exécration ; no 600 (IGF, 154), dédicace à Apollon et Artémis ; no 643 (IGF, 156-158), mosaïque des poètes ; no 717 (IGF, 155), épitaphe de Pektorios ; inscription perdue de l’aerarium, du trésor public (ΓΑΖΟΦϒΛΑΚΙΟΝ), mentionnée p. 307. S’ajoutent à cette liste les inscriptions découvertes à Bibracte, en langue gauloise mais retranscrites en caractères grecs : Goudineau, Peyre, Bibracte et les Éduens, p. 12 et 82-83, en donnent un bref aperçu. Sur ces inscriptions gallo-grecques, la bibliographie – fort mince au demeurant – est rassemblée dans le Guide de l’épigraphiste. Bibliographie choisie des épigraphies antiques et médiévales, Bérard F., Feissel D., Petitmengin P., Rousset D., Sève M. éd., Paris, 2000 (3e éd. refondue), p. 348-349.
13 Édition-traduction accompagnée d’une photographie et d’un long commentaire dans IGF, no 155. Sur la présence de communautés chrétiennes d’origine orientale en Gaule dès les Antonins : Les martyrs de Lyon (177). Lyon, 20-23 septembre 1977, Paris, 1978, en particulier les contributions de C. Piétri, « Les origines de la mission lyonnaise ; remarques critiques », p. 211-231, et de G. Bowersock, « Les Églises de Lyon et de Vienne : relations avec l’Asie », p. 249-256.
14 On serait tenté de voir dans les propriétaires successifs de cette demeure des notables cultivés, peut-être professeurs, collègues de ce grand-père, mais pas nécessairement. Il pouvait s’agir de la maison du grand-père en personne ou de celle de Glaucus (sur ces personnages, voir la liste de notables en annexe). Ces hypothèses vraisemblables mais impossibles à prouver en l’état de la documentation n’en demeurent pas moins suggestives par les perspectives quelles ouvrent : voir en ce sens les conclusions formulées par Blanchard, « École et loisir à Autun : la mosaïque des auteurs grecs », p. 224-225.
15 Doctrina signifie ici « enseignement », « instruction », « formation rhétorique » : Gaffiot, p. 552 ; OLD, p. 568 ; V. Bulhart, « doctrina », ThLL, v-2 (1909-1934), col. 1784-1803.
16 La vision patrilinéaire envisagée par la plupart des savants n’était pas nécessairement la norme à cette époque. À titre comparatif Ausone, dans ses Parentalia, livre peu d’informations sur la famille de son père, simplement parce qu’elle était plus obscure que celle de sa mère, née dans une ancienne famille de riches et puissants notables de Vienne et d’Autun, certes déchus. Dans son œuvre, même s’il commence par rendre hommage à son père, on ne sait rien des parents de ce dernier, alors qu’il est possible de remonter à trois générations (ou quatre selon certains) du côté maternel. Voir en dernier lieu Sivan, Ausonius, p. 49-73 ; Ausonius, Parentalia. Introduzione, teste, traduzione e commento a cura di Massimo Lolli, Bruxelles, 1997 (coll. Latomus, 232), p. 86 et suiv. ; Coşkun, Die gens Ausonia, p. 112 et suiv.
17 D’après l’OLD, p. 1830-1831, le terme studium peut signifier une activité à laquelle une personne consacre une large part de son temps, avant de signifier « études », « activités intellectuelles et littéraires ».
18 Sur la carrière de l’oncle maternel d’Ausone, postérieure : PLRE, i, Aemilius Magnus Arborius 4, p. 98-99 ; Nellen, Viri litterati, p. 27-29. Lire aussi l’étude de Lepelley, « Quelques parvenus de la culture », p. 583-594 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 149-160), sur ce type d’ascension sociale exceptionnelle rendu possible grâce aux compétences rhétoriques.
19 Les carrières des enfants et des élèves de l’auteur du Panégyrique latin vii(6), révélées incidemment par quelques indices, sont détaillées dans l’annexe prosopographique (Anonymes 8, 9 et 10). Lepelley, art. cit., p. 583 et 586 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 150 et 152) compare ce personnage fier des carrières accomplies par ses proches et élèves avec Libanios ou Ausone dans les années 370. Sur Libanios : P. Petit, Les élèves de Libanius, un professeur de faculté et ses élèves au Bas-Empire, Paris, 1957. Sur Ausone : Étienne, Ausone, p. 37-43 (rapide évocation des universités et liste des proches et élèves d’Ausone), 45-52 (carrière politique des proches d’Ausone au temps de Gratien) ; Sivan, op. cit., p. 131-141 (chapitre au titre suggestif : Gens Ausonia in Power). Consulter aussi Coşkun, op. cit., p. 112 et suiv.
20 Remarque de Nixon, Rodgers, op. cit., p. 146.
21 Formulation relevée dans Rodgers, art. cit., p. 250.
22 Sur la citoyenneté locale, on lira les pages de François Jacques dans Jacques, Scheid, Rome et l’intégration de l’Empire, 1, p. 209-212. Sur l’origo, voir Jacques, Les cités, p. 82-85 ; en dernier lieu la thèse de Thomas, ‘Origine’ et ‘commune patrie’, p. 25-82 (deux chapitres consacrés au domicile et au droit d’origine). Eumène pouvait fort bien tirer son origo de la cité des Éduens sans y être né ni même y avoir longtemps résidé.
23 Sur les avocats des cités, voir l’ouvrage ancien de M. Travers, Les corporations d’avocats sous l’Empire romain, Paris, 1894. Informations utiles dans J. A. Crook, Legal Advocacy in the Roman World, Londres, 1995, consacré pour l’essentiel au Haut-Empire, même si ses remarques (p. 119-197) demeurent valables pour la période étudiée ici, en particulier l’étude terminologique, p. 122-123 (terme patronus). Voir aussi J. Harries, Law and Empire in Late Antiquity, Cambridge, 1999, p. 107-108 (sur le rôle des avocats à la cour) et 188-190 ; A. Chastagnol, « L’empereur Julien et les avocats de Numidie », AntAfr, 14 (1979), p. 119-122 (repris dans Aspects de l’Antiquité tardive, p. 61-80). Ces avocats du forum étaient des professionnels spécialisés dans les droits locaux. La prestigieuse cité d’Autun servait donc non seulement de lieu d’administration de la justice courante mais peut-être aussi de lieu où l’on traitait la justice d’appel, dans le cadre des tournées judiciaires du gouverneur. Le discours d’Eumène a pu être lui-même prononcé dans ce contexte, ce qui ferait de la ville d’Autun une candidate sérieuse au statut de conuentus judiciaire. Sur le statut de conuentus, on notera deux contributions récentes : F. Amarelli, « Il conventus come forma di partecipazione alle attività giudiziare nelle città del mondo provinciale romano », dans Politica e partecipazione nelle città dell’impero, p. 1-12 ; P. Le Roux, « La question des conventus dans la péninsule Ibérique d’époque romaine », dans Au jardin des Hespérides. Histoire, société et épigraphie des mondes anciens. Mélanges offerts à Alain Tranoy, Rennes, 2004, p. 337-356.
24 Sur l’a memoria durant le Haut-Empire, Hirschfeld, KVW2, p. 334-339 ; M. Fluss, « A memoria », dans RE, 15-1, Stuttgart, 1931, col. 655-657 ; Pflaum, Carrières, 3, p. 1024 en particulier ; H. Chantraine, Freigelassene und Sklaven im Dienst der römischen Kaiser, Wiesbaden, 1967 ; G. Boulvert, Esclaves et affranchis impériaux sous le Haut-Empire romain. Rôle politique et administratif Naples, 1970 ; Millar, op. cit., p. 82, 98-99, 107 et 265-266 ; Peachin, « The Office of the Memory », p. 168-208 ; J.-L. Mourgues, « Forme diplomatique et pratique institutionnelle des commentarii augustorum », dans La Mémoire perdue. Recherches sur l’administration romaine (CÉFR, 243), Rome, 1998, p. 123-197. Sur le terme magister et les évolutions de la fonction après le iiie siècle, Millar, op. cit., p. 107 ; M. Clauss, Der magister officiorum in der Spätantike (4.-6. Jahrhundert). Das Amt und sein Einfluss auf die kaiserliche Politik (Vestigia, 32), Munich, 1980, n. 20-23, p. 9-10 ; Peachin, op. cit., p. 184-185. Le terme est utilisé au sein de l’administration dès la fin du iiie siècle. Il apparaît un peu plus tard sur des inscriptions en l’honneur de Q. Axilius Vrbicus (PLRE, 1, Vrbicus 3, p. 984), magister cognitionum (CIL, v, 8972 = ILS, 1459 ; voir aussi Pflaum, Carrières, no 340) et de C. Caelius Saturninus signo Dogmatius (PLRE, 1, Saturninus, 9, p. 806), magister libellorum, studiorum et censuum (CIL, vi, 1704 = ILS, 1214, et CIL, vi, 1705 = ILS, 1215) sous Constantin. Michael Peachin (op. cit., n. 55, p. 185) attribue la paternité des transformations des officia palatini à Dioclétien, qui aurait ainsi modifié les noms des postes des principaux secrétaires impériaux devenus magistri memoriae, cognitionum, etc. Nous le suivons volontiers dans cette hypothèse, même s’il n’est pas exclu que ces transformations définitives n’intervinrent que quelques années plus tard, sous Constantin. Voir à ce propos les remarques de G. A. Cecconi, « I grandi magisteria tardoantichi. Ruolo istituzionale, attività e rapporti con le strutture amministrative territoriali (Italia, iv-vi secolo) », dans Magister. Aspetti culturali e istituzionali. Atti del Convegno, Chieti, 13-14 novembre 1997, Firpo G., Zecchini G. éd., Alessandria, 1999, p. 73-113 (en particulier p. 73-75). La documentation soulève néanmoins d’importants problèmes méthodologiques : en l’absence de carrière attestée pour les années 280-300, il est difficile de s’appuyer sur les carrières antérieures et postérieures connues. Cependant, il paraît plus justifié de comparer celle d’Eumène avec les précédentes car, sur ces questions, la fin du iiie siècle s’inscrit dans le prolongement du Haut-Empire : il est un eques Romanus, son salaire s’exprime en sesterces, sa carrière débute dans les années 250 selon un schéma hérité de l’époque antonine et sévérienne. Autant d’éléments étrangers aux carrières et au fonctionnement de l’administration du milieu du ive siècle.
25 On rencontre ici le même problème que celui relevé à la note précédente : si les fonctions et les tâches du magister memoriae sont bien connues pour la fin du ive siècle, grâce à Not. Dign. Occ., xvii, 11-13 et Or., xix, 6-14, grâce aussi à une prosopographie fournie de magistri, elles le sont moins pour le Haut-Empire et pour la période intermédiaire que fut le iiie siècle, caractérisée par de fortes mutations dont les rythmes et la nature nous échappent en détail.
26 Sur les chevaliers détenteurs du titre de uir perfectissimus, voir Ensslin, « Perfectissimus », col. 664-683 ; Lepelley, « Du triomphe à la disparition : le destin de l’ordre équestre », p. 629-646 (qui reprend « Fine dell’ordine equestre : le tappe dell’unificazione della classe dirigente romana nel iv secolo », dans Società romana e impero tardoantico. i. Istituzioni, ceti, economie, Giardina A. éd., Rome, Bari, 1986, p. 227-244). Sur les titres : Pflaum, « Titulature et rang social sous le Haut-Empire », p. 177-179 ; Christol, « M. Simplicinius Genialis », p. 231-241. Plus de détails sur le sujet infra, chapitre 6, p. 221, n. 4.
27 Pour le iiie siècle, les carrières équestres des rhéteurs et juristes membres de la chancellerie sont connues grâce à l’ouvrage de T. Honoré, Emperors and Lawyers, Londres, 1982. L’auteur a dressé les fastes des a libellis accompagnés d’une mise à jour bibliographique (p. 144-145) où figurent les carrières de Papinien, d’Ulpien, de Modestin et d’Hermogène. On ajoutera pour Ulpien l’article récent de Christol, « Entre la cité et l’empereur », p. 163-188. Sur les juristes d’époque tétrarchique tels Hermogène, Grégorien ou Arcadius Charisius, voir Corcoran, op. cit., p. 85-91.
28 Le personnage est connu par CIL, xiv, 5340 et sa carrière commentée dans Christol, « Observations complémentaires sur les carrières de Marcus Aurelius Hermogenes et de Pontius Eglectus Iulianus », p. 67-74. L’auteur présente d’autres exemples de déroulement de carrières procuratoriennes dérogeant aux règles traditionnelles. Déjà dans sa thèse, Hans-Georg Pflaum avait relevé qu’à partir du milieu du iiie siècle, les entorses aux règles régissant le déroulement des carrières procuratoriennes se multipliaient, pour diverses raisons liées au contexte de crise et à la nécessité, pour les autorités, de parer au plus urgent et de faire preuve d’efficacité dans le gouvernement des provinces ainsi que dans le commandement de l’armée : Pflaum, Essai, p. 317-321.
29 L’expression est de Lepelley, « Quelques parvenus de la culture », p. 583-594 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 149-160).
30 Opinion fort ancienne, très répandue, relevée entre autres chez B.-J. Rochet, Traduction des discours d’Eumène, Autun, 1854, p. 33 ; S. Brandt, Eumenius von Augustodunum und die ihm zugeschriebene Reden, Fribourg, Tübingen, 1872, p. 47 ; Jullian, op. cit., 4, p. 589 et 8, p. 259-260, n. 8 ; A. Stadler, Die Autoren der anonymen gallischen Panegyrici, Munich, 1912, p. 9 ; C. E. Van Sickle, « Eumenius and the schools of Autun », AJPh, 55 (1934), p. 236 ; W. S. Maguiness, « Eumenius of Autun », G&R, vol. 21, no 63 (1952), p. 99 ; Galletier, 1, p. 103 et 114 ; König, Die gallischen Usurpatoren, p. 150-151 ; Rodgers, art. cit., p. 251. La seule critique véritable de cette communis opinio apparaît chez Messina, art. cit., p. 179, et Nixon-Rodgers, op. cit., p. 146, n. 3-5 et p. 158, n. 25, qui réhabilitent certaines conclusions de A. Klotz, « Studien zu den Panegyrici Latini », RhM (1911), p. 519. Ce dernier proposait de placer la naissance d’Eumène dans les années 240 et même avant : Dann ergibt sich, dass Eumenius im Jahre 240 oder einige Jahre früher geboren ist.
31 Sur la préfecture du prétoire à la fin du m’siècle et au début du ive siècle, voir les études de J.-R. Palanque, Essai sur la préfecture du prétoire du Bas-Empire, Paris, 1933 ; L. L. Howes, The Pretorian Prefect from Commodus to Diocletian, Chicago, 1942 ; Chastagnol, « Un nouveau préfet du prétoire de Dioclétien », p. 165-168 (repris dans Aspects de l’Antiquité tardive, p. 171-176 ; l’auteur renvoie dans ses notes aux nombreuses études qu’il avait déjà consacrées au sujet) ; Barnes, NE, p. 123-139, et sa retractatio « Emperors, Panegyrics, Prefects », p. 546-548. En dernier lieu, la thèse de Porena, Le origini della prefettura del pretorio. Les Cahiers du Centre Gustave Glotz, 18 (2007), contiennent un dossier consacré aux préfets du prétoire du iiie siècle (p. 115-262).
32 Sur Asclepiodotus : PLRE, i, Iulius Asclepiodotus 3, p. 115-116 ; Barnes, op. cit., p. 126 et 137 en particulier, distingue l’Asclepiodotus consul de 292 et le préfet du prétoire de la reconquête de Bretagne. À tort, comme l’ont démontré A. Chastagnol, art. cit., p. 165, n. 2-3, et Porena, op. cit., p. 107-112 et 130-133.
33 Sur Hermogenianus, PLRE, i, Hermogenianus 2, p. 425-426 ; A. Chastagnol, art. cit., p. 165-165-168 ; Barnes, op. cit., p. 136-137 ; Porena, op. cit., p. 138 et 148 au premier chef, sur le débat concernant l’identification du juriste avec le préfet du prétoire du même nom. Le point de vue des juristes sur le personnage est exprimé par T. Honoré, Emperors and Lawyers, Londres, 1982, p. 119-132 ; D. Liebs, Die Jurisprudenz im spätantiken Italien (260-640 n. Chr.), Berlin, 1987, p. 36-39 ; Corcoran, op. cit., p. 87-90.
34 La question soulève le problème des prérogatives et des pouvoirs législatifs des Césars. Tous les princes disposaient assurément d’un conseil rapproché, dont la composition nous échappe en partie faute de sources, malgré certaines inscriptions d’époque tétrarchique et constantinienne évoquant des a consiliis du prince : CIL, v, 8972 (ILS, 1459) : Q. Axilius Vrbicus (PLRE, 1, Vrbicus 3, p. 984), chevalier perfectissime, magister sacrarum cognitionum, a studiis et a consiliis Augg(ustorum), patron d’Aquilée ; CIL, vi, 1704 (ILS, 1214) : inscription de C. Caelius Saturninus (PLRE, 1, Saturninus 9, p. 806), membre de l’ordre équestre devenu sénateur, qui fit une belle carrière au début du ive siècle. Il a revêtu les fonctions, entre autres, de sexagenarius a consiliis sacris, de ducenarius a consiliis, de uicarius a consiliis sacris. Selon William Seston (op. cit., p. 242), il n’y avait que deux préfets du prétoire, qui n’étaient pas rattachés à un prince en particulier. Tous deux étaient par ailleurs les chefs de la chancellerie. Seuls les Augustes pouvaient prendre des décisions en matière de législation et d’administration, et eux seuls, en conséquence, disposaient d’une chancellerie complète. Dans ces pages, W. Seston s’opposait aux hypothèses d’Édouard Cuq. Ce dernier pensait que les Césars disposaient de pouvoirs administratifs et judiciaires égaux à ceux des Augustes, sans disposer toutefois de leurs pouvoirs législatifs (É. Cuq, « Le conseil des empereurs d’Auguste à Dioclétien », Mémoires présentés par divers savants à l’Académie des inscriptions, Paris, 1884, p. 463-466, en particulier les pages consacrées à un état des lieux de la recherche allemande sur la question, p. 464, n. 3). G. Cicogna, Consilium principis. Consistorium. Ricerche di diritto romano pubblico e di diritto privato, Rome, 1971, p. 185-192, a réfuté les positions de Cuq et défendu l’idée d’une supériorité complète du point de vue juridique et législatif de l’Auguste senior sur ses collègues. Selon ce savant, les Césars n’avaient aucune prérogative pour promulguer des actes législatifs et ne disposaient donc pas d’une chancellerie. Quant à Peachin, art. cit., p. 184, n. 54, il refuse de considérer qu’Eumène était le magister memoriae de Constance Ier et soutient que seuls les deux Augustes disposaient chacun d’une chancellerie complète, laissant entendre en conséquence que les Césars pouvaient posséder des bureaux réduits, du moins d’un « partial comitatus ». En dernier lieu, il faut se reporter aux travaux de Corcoran, op. cit., p. 266-292, chapitre 11 intitulé : The Powers of the Lesser Tetrarchs et appendice H, p. 340-341, où l’auteur a dressé la liste exhaustive des textes juridiques attribués aux Césars. Cette étude prouve, sans remettre en cause l’idée d’une prééminence de Dioclétien ou de Maximien en matière de législation, que les Césars disposaient au moins du droit de promulguer des lettres (p. 271), peut-être même des édits (p. 270). En revanche, ils ne disposaient probablement pas du ius respondendi leur permettant de promulguer des rescrits privés (p. 274). Nous suivons ici Simon Corcoran dans ses conclusions mesurées et bien étayées. Signalons pour terminer que ces approches juridiques de la question peuvent être nuancées et enrichies par les inscriptions qui attestent que, dès l’époque antonine, les Augustes junior ou les Césars disposaient d’un embryon de chancellerie : voir à ce propos l’étude de Christol, « Observations complémentaires sur les carrières de Marcus Aurelius Hermogenes et de Pontius Eglectus Iulianus », p. 67-74. Dans cette perspective, la présence d’une chancellerie étoffée auprès des Césars Constance Ier et Galère n’aurait rien d’étonnant et ne constituerait pas une solution originale.
35 Idée répandue et relevée dans des manuels destinés aux étudiants, ainsi celui de M. Clavel-Lévêque, Villes et structures urbaines dans l’Occident romain, Paris, 1971, p. 99. L’auteur reprend ici une affirmation admise sans discussion, par exemple dans Jones, LRE, 1, p. 51, reprise dans la notice de la PLRE consacrée à Eumène (voir supra, n. 1). Elle se trouve formulée dans les travaux antérieurs, par exemple chez C. E. Van Sickle, « Eumenius and the schools of Autun », AJPh, 55 (1934), p. 236 (« Constantius appointed Eumenius, his magister memoriae ») ; W. S. Maguiness, « Eumenius of Autun », G&R, 21, no 63 (1952), p. 99 (« When Constantius became Caesar of the West in A. D. 293, he appointed Eumenius as his private secretary ») ; Demougeot, « Autun et les invasions », p. 113 (« Eumène venant de quitter la haute fonction de magister memoriae au palais de Trèves parce que Constance, qui l’appréciait beaucoup, l’avait nommé professeur »).
36 Une loi de Constantin, CTh, vi, 35, 1, adressée depuis Trèves le 29 octobre 314 aux palatinis bene meritis suis, c’est-à-dire aux employés et fonctionnaires de la chancellerie palatine, semble indiquer qu’à cette date l’empereur disposait d’une chancellerie étoffée ainsi que d’une administration autour de sa personne, à la cour de Trèves. Mais des services demeuraient encore en place à Rome, palatinus témoignant encore du rôle important de lieu d’archivage tenu par la colline romaine. Il s’agissait des services liés à l’archivage. On voit mal, en effet, comment ces empereurs itinérants auraient fait suivre dans leurs déplacements des centaines de milliers d’archives officielles. Le Palatin a fait l’objet de nombreuses recherches récentes qui ont renouvelé l’interprétation de sa topographie. Les lieux d’archivage pouvaient y être nombreux. L’un d’entre eux, en particulier, indique une continuité d’occupation : il s’agit du secteur Nord, situé entre S. Maria Antiqua et l’arc de Titus, où fut installée par la suite la Turris Chartularia. C’est dans ce secteur que les papes du haut Moyen Âge conservaient leurs propres archives. Sur le sujet, lire M. Royo, « De la Domus Augusti au Palatium Caesarum·. nouvelles approches et bilan des 20 dernières années de recherches sur le Palatin impérial », Pallas, 51 (2001) [La ville de Rome sous le Haut-Empire. Nouvelles connaissances, nouvelles réflexions. Colloque organisé par l’EFR et la SOPHAU (Rome 5-8 mai 2001)], p. 53-88, en particulier p. 62.
37 Il ressort des discussions qui précèdent que les Césars devaient disposer de bureaux étoffés afin d’administrer leur ressort et d’y rendre la justice. Par ailleurs, ces mêmes bureaux devaient au moins permettre d’assurer une communication épistolaire et administrative avec les chancelleries de Maximien et de Dioclétien. On formulera donc l’hypothèse, qui reste à étayer, que les bureaux des Césars dans le cadre de la Tétrarchie ont pu être un lieu d’expérimentation préfigurant les bureaux des vicaires et ceux des préfets du prétoire, installés dans les années 310 et 330.
38 Un des problèmes, impossible à résoudre, concerne le déroulement de la carrière d’Eumène, en particulier durant la période de la révolte de 270. Avait-il déjà quitté la cité ? Fut-il proscrit puis exilé comme l’aïeul d’Ausone ? Faisait-il alors carrière au service des « empereurs gaulois » ou de ceux Rome ? Les mêmes questions se posent à propos du moment précis d’entrée dans l’ordre équestre. En l’état de la documentation, il est difficile voire impossible de trancher.
39 Le rôle du magister memoriae, tel qu’il transparaît dans le discours, apparaît plus proche de celui des a memoria membres de l’ordre équestre des siècles antérieurs que de celui des magistri connus au milieu du ive siècle.
40 Pour replacer Eumène dans le milieu des curiales et des élites provinciales de son époque, se reporter à l’annexe consacrée aux notables éduens des années 250-320, en fin de volume. L’expérience de l’Empire gaulois apparaît fondatrice, de même que celle des années 250 durant lesquelles des membres de la famille impériale (les fils de Gallien) résidèrent à Cologne ou aux frontières de manière permanente. En multipliant les lieux de pouvoir, en les rapprochant des provinciaux, de nouvelles perspectives de carrière s’ouvrirent aux élites locales.
41 Sur ces élites provinciales ayant eu accès aux plus hautes charges de l’État grâce à des compétences oratoires : Nellen, Viri litterati, en particulier la prosopographie p. 19-97, ainsi que la rapide analyse des carrières des spécialistes de rhétorique et de droit, p. 117-136. Voir également Lepelley, « Quelques parvenus de la culture », p. 583-594 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 149-160).
42 Voir infra, n. 56, la rapide analyse d’une inscription de Bulla Regia qui reproduit une lettre de nomination émanant de la chancellerie de Marc Aurèle. Millar, op. cit., p. 503-504, juge la lettre de nomination d’Eumène authentique.
43 Il n’existe aucune étude consacrée au genre particulier qu’était la lettre de nomination, entre document administratif et texte littéraire. On consultera au premier chef l’article fondateur d’O. Seeck, « Codicilli », dans RE, iv-1 (1900), col. 174-183, ainsi que A. J. Fridh, Terminologie et formules dans les Variae de Cassiodore. Études sur le développement du style administratif aux derniers siècles de l’Antiquité, Stockholm, 1956, en particulier l’introduction, p. 2-29, où se trouvent brièvement présentées les origines du genre de l’antliche Briefe ou lettre officielle (concept forgé par H. Peter, Der Brief in der römischen Litteratur, Leipzig, 1901, cité par Fridh, p. 4). À l’exception de la lettre de nomination de Constance mentionnée ici mais ignorée par A. J. Fridh, ce dernier cite des passages du Panégyrique de Gratien d’Ausone (p. 28) ainsi qu’une inscription célèbre, CIL, vi, 1783 (p. 29), qui ne constitue pas une lettre de nomination mais plutôt une lettre de réhabilitation de mémoire. Envoyée en 431 par les empereurs Théodose II et Valentinien III au Sénat de Rome, elle proclamait la réhabilitation de Nicomaque Flavien Senior. Sur le Haut-Empire, on consultera les études de Jean-Louis Mourgues sur les codicilles, documents apparentés à la lettre de nomination : J.-L. Mourgues, Imperial Correspondance preserved in inscriptions and papyri, 2 vol., Oxford (PhD inédit), 1990 et « Forme diplomatique et pratique institutionnelle des commentarii Augustorum », dans La Mémoire perdue. Recherches sur l’administration romaine, Rome, 1998 (CÉFR, 243), p. 123-197. Sur les codicilles : S. Panciera, « Le virtù del governatore provinciale », p. 457-484, en particulier p. 458, n. 2.
44 Cassiod., Var., vi-vii. Ces livres contiennent une série de lettres type, de formulae écrites par Cassiodore dans le cadre de la chancellerie du roi ostrogoth. Destinées à servir de manuel et de recueil d’exemples à ses contemporains, il s’agit pour l’essentiel de lettres de nomination à des fonctions administratives ou honorifiques. On peut considérer cet ouvrage comme le point d’aboutissement de ce genre de littérature de chancellerie de l’Antiquité tardive. Mais il peut être aussi envisagé comme un point de départ, puisque l’ouvrage de Cassiodore connut une grande fortune dans les chancelleries médiévales.
45 Remarque très critique de A. J. Fridh, op. cit., p. 29, qui vaut la peine d’être citée : « On peut conclure avec certitude complète de ces brèves citations que l’éloquence exubérante qui fleurit dans les actes de nomination de Cassiodore a eu ses modèles immédiats dans les lettres émises par la chancellerie impériale du siècle précédent. Il n’est guère possible de regretter le fait qu’aucun produit de ce genre littéraire cultivé avec tant de zèle et tellement admiré par les contemporains ne reste plus à côté des Variae de Cassiodore et les petits fragments cités par Ausone. Sans doute l’intérêt historique que pourraient offrir ces écrits ne serait pas trop grand, et il serait difficile de trouver de nos jours un lecteur d’un goût assez affecté pour les apprécier pour leurs mérites stylistiques. » Fridh, plus haut dans son étude, précisait que le style de Cassiodore fusionnait deux éléments : l’un artificiel, emprunté à la rhétorique ; l’autre exact et précis, dérivé de la langue de la jurisprudence (p. 11). On mesure ici les préjugés positivistes de Fridh et de ses contemporains sur la littérature tardive et leur conception particulière du bon document en histoire.
46 L’apport principal de la thèse de J.-L. Mourgues, op. cit., est de souligner l’intérêt d’une analyse des documents produits par la chancellerie impériale au moyen des outils mis en œuvre depuis fort longtemps par les chartistes et autres spécialistes de diplomatique médiévale. De fait, dans la lettre de Constance, il est permis d’identifier les éléments (ou de les deviner lorsqu’ILS ont disparu) d’une intitulatio (formule initiale), d’une inscriptio et d’une salutatio, d’une praefatio, d’une narratio et de dispositiones, enfin d’une formula de ualedictio suivie d’une subscriptio.
47 Exemplum sacre epistule apparaît en marge du manuscrit H (Harleianus, 2480, conservé à la British Library), comme l’indique xii Panegyrici Latini, recognouit Dominicus Lassandro, Turin, 1992, p. 30. Il s’agit d’une copie sur papier du manuscrit de Mayence (M), celui consulté par Aurispa et disparu. H est actuellement le manuscrit le plus fiable. Sur la description de ce manuscrit, ibid., p. viii. Sur sa valeur, ibid., p. xvii : Ex maguntino autem recta via codex unus Harleianus (...) indubitanter pendet, quippe qui genuinas lectiones seruet, cum ceteri alii contra saepe erroribus scateant. Il figure aussi dans le stemma p. lii. Voir aussi Lassandro, Micunco, Panegirici Latini, p. 59-65. Livineius, qui disposait du texte du manuscrit de Saint-Omer, n’a pas fait figurer cette expression dans son édition érudite (dans l’adresse au lecteur, le manuscrit est appelé « B apographi Bertiniensis, Francisci Modii fide », p. 6), soit qu’il ait négligé cette formule (peu probable), soit qu’elle n’apparaissait pas dans le manuscrit de Saint-Omer. Voir J. Livineius, xii Panegyrici Veteres, Anvers, 1599, p. 118 (aucune indication non plus dans les notes, p. 326).
48 Drew-Bear, Eck, Herrmann, « Sacrae Litterae », p. 358, dressent la liste des lois et des inscriptions d’époque tétrarchico-constantinienne où l’expression apparaît sous la forme Exemplum Sacrarum Litterarum, Exemplum Sacri Rescripti ou abrégée en ESR. La formule ESL apparaît dans deux documents récemment mis au jour : Fezzi L., « Una nuova tabula dei privilegi per i soldati e i veterani », ZPE, 163 (2007), p. 269-275 ; S. Corcoran, « The Heading of Diocletian’s Prices Edict at Stratonicea », ZPE, 166 (2008), p. 295-302.
49 Sur cette solennité, voir Kolb, Herrscherideologie, p. 41, et surtout Delmaire, « Quelques aspects de la vie municipale », p. 46-47, qui démontre, en s’appuyant sur la documentation patristique, que l’image ou la parole impériale, même en l’absence du prince, disposaient en permanence d’une auctoritas qui imposait une certaine révérence. Était passible de mort, pour crime de lèse-majesté, toute atteinte à un texte impérial sous quelque forme que ce soit : destruction du texte, simple modification, absence de silence à sa lecture. Sur ce dernier point, Roland Delmaire a relevé des passages intéressants dans l’œuvre de Jean Chrysostome (art. cit., p. 47, n. 42-43) : Chrys., In Genesim, 44, 1 ; In Matth., 1, 8 et 19, 9 ; In Ep. ii ad. Thess., 3, 4.
50 La date de rédaction de la lettre peut être envisagée aux environs des années 295-297 car Eumène s’était retiré depuis peu de la vie publique, comme cela se déduit du discours (§ 6, 2). Le rédacteur de la lettre hésite entre le « nous » de majesté, qui désigne les quatre Tétrarques, et l’empereur impliqué en personne dans l’affaire, le César Constance. Le protocole est donc respecté. L’epistula relevait de la catégorie de documents « qui expriment l’acte de pouvoir lui-même ». L’intitulé a disparu, mais c’est ici certainement que « l’autorité impériale se définissait en se dénommant », pour emprunter l’expression à M. Christol, « L’épigraphie impériale des Sévères au début du ive siècle ap. J.-C. », dans xi Congresso internazionale di epigrafia greca e latina. Roma, 18-24 settembre 1997. Atti, Rome, 1999, p. 333-335 (p. 335 pour la citation). La titulature exhaustive des empereurs émanant de la chancellerie, canonique car définie par le pouvoir lui-même, est attestée dans certains intitulés de lois connues par les inscriptions : Édit du Maximum (D. Feissel, « Les constitutions des Tétrarques connues par l’épigraphie : inventaire et notes critiques », Ant Tard, 3 (1995), p. 35-36 et 43-45 avec bibliographie mise à jour) ; inscription d’Héraclée (Lepelley, « Une inscription d’Heraclea », p. 221, 224-226) ; diplômes militaires (Μ. M. Roxan, Roman Military Diplomas 1954-1977, Londres, 1978, p. 100-101, n° 78 pour un diplôme de 306, le plus tardif qui soit attesté) ; édits reproduits in extenso par Eusèbe dans ses écrits (cités par Lepelley, « Une inscription d’Heraclea », p. 225-226). Sur les textes législatifs, lire E. Volterra, « Remarques sur les inscriptiones de quelques constitutions de Dioclétien », dans Mélanges d’histoire ancienne offerts à William Seston, Paris, 1974, p. 489-508. Sur l’alternance du pluriel collégial de majesté et du singulier individualisant, voir les remarques de Corcoran, op. cit., p. 318-323, à propos des textes de loi ; Rees, op. cit., à propos des hommages et discours officiels. Les implications de l’existence d’un collège tétrarchique sur le fonctionnement de la chancellerie sont analysées supra, n. 34.
51 Les premiers commentateurs relevaient une contradiction entre cette mention des quatre empereurs et le style personnel pris par Constance dans cette lettre : Galletier, 1, p. 132, n. 2.
52 Le cheminement envisagé repose en réalité sur les hypothèses formulées précédemment. Mais un tel schéma de fonctionnement, entre une chancellerie réduite d’un César et celle complète d’un Auguste, préfigurerait bien le système et le fonctionnement des bureaux de la préfecture du prétoire du ive siècle : des bureaux denses et étoffés, une certaine autonomie dans la gestion quotidienne, des fonctions administratives et judiciaires déléguées afin d’alléger la chancellerie centrale, etc.
53 Le style de la chancellerie tardive n’a fait l’objet d’aucune synthèse. Sur le sujet, on lira les études de A. J. Fridh, op. cit. ; Chastagnol, « Le formulaire », p. 15-65 ; J. Gascou, « Le rescrit d’Hispellum », ÉFR. Mélanges d’Archéologie et d’Histoire, 69-2 (1967), p. 609-659 ; Christol, « L’épigraphie impériale des Sévères au début du ive siècle ap. J.-C. », p. 357 ; Carrié, « La munificence du prince », p. 428-429 ; Hostein, « Panégyrique et épigraphie », à paraître. Certains passages correspondent presque mot pour mot aux termes employés dans la lettre de recommandation gravée sur le marbre de Thorigny (la bibliographie sur cette inscription est donnée supra dans l’avant-propos, n. 10).
54 Inutile ici de renvoyer à des lois particulières pour suggérer des rapprochements terminologiques, tant ces expressions apparaissent de manière massive et récurrente dans les codes tardifs (Code Théodosien, Code Justinien). Certains termes techniques comme munus font l’objet d’analyses détaillées ailleurs dans la présente étude, en particulier au chapitre 7, consacré aux questions fiscales.
55 Dans de nombreuses lettres, Trajan s’adresse à Pline en employant la formule (mi) Secunde carissime : Plin., Ep., x, 16 ; 18 ; 20 ; 36 ; 44 et 50.
56 Voir Corcoran, op. cit., p. 335-336, qui dresse la liste des lettres officielles émises par la chancellerie impériale où le terme carissime est employé (Appendice F, C). Certaines formules employées dans la lettre d’Eumène rappellent le texte d’une inscription de Bulla Regia datée du règne de Marc Aurèle (AE, 1960, 167 = 1962, 183a ; 1971, 491 ; 1972, 687). Il s’agit d’une inscription posthume, érigée par le frère du défunt, qui reproduit la lettre de nomination, le codicille rédigé par la chancellerie impériale. L’empereur nommait Marsianus à un haut poste équestre. On retrouve donc, plus d’un siècle avant la rédaction de la lettre d’Eumène, la même procédure associée à la même fierté, affichée dans sa cité, d’un notable local d’avoir été nommé à une fonction officielle par les empereurs. Nombreuses sont les formulations communes : Exemplum codicillorum en tête du document ; adresse du type Caesar Antoninus Aug(ustus) Domitio Marsiano suo salut(em)..., manquante chez Eumène mais qu’on peut restituer ainsi ; surtout, la formule de valédiction : Vale mi Marsiane karissime mihi. Commentaire rapide et bibliographie sur le personnage dans Pflaum, Suppl. aux carrières, p. 120 ; Millar, op. cit., p. 288, en donne un bref mais clair commentaire ; plus récemment B. Rossignol, « Cens, mines et patrimoine, intégrité, zèle et expérience : Domitius Marsianus et ses missions administratives en Gaule durant le règne de Marc Aurèle », dans Occidents romains, p. 277-300.
57 C’est l’avis de Faure, « Étude de la capitation de Dioclétien », p. 18, et de Millar, op. cit., p. 503. Nixon, Rodgers, op. cit., p. 159, n. 27, avaient signalé les positions de Faure et de Millar.
58 CIL, viii 24094 (ILS, 8973 ; ILTun, 797 ; Z. B. Ben Abdallah, Catalogue des inscriptions latines païennes du musée du Bardo, Rome, 1986 (CÉFR, 92), no 417), découverte à Pupput en Proconsulaire. Iulianus a reçu cet insigne honneur pour avoir rédigé l’Édit perpétuel (edictum perpetuum). Voir à son sujet : Pflaum, Carrières, 2, p. 488.
59 À cet exemple s’ajoutent ceux de M. Valerius Maximinianus d’après AE, 1956, 124, et de M. Aurelius Mindius Matidianus Pollio d’après AE, 1928, 97 (SEG, iv, 520), qui bénéficièrent l’un et l’autre, à titre exceptionnel, d’un doublement de leurs émoluments (auctum salarium pour reprendre l’expression employée dans AE, 1956, 124), ordonné par Marc Aurèle pour le premier, par Commode pour le second. Si la procédure existait, elle n’en demeurait pas moins exceptionnelle et révélatrice de la très grande proximité entretenue par les individus honorés avec les princes en personne. Sur ces deux personnages, on trouvera l’essentiel de la bibliographie et un bon commentaire dans Pflaum, Carrières, 2, p. 488 et 528.
60 CIL, viii, 27573 (AE, 1906, 23 ; ILS, 9020) découverte à Sicca Veneria. Il s’agit d’un poste de maître dans l’une des écoles de Rome selon Pflaum, Procurateurs, ii, p. 651-652, no 243, d’un poste au sein d’écoles municipales selon Mazzarino, dans la mesure où le mot cathedra désignait aussi à cette époque le siège d’un évêque : S. Mazzarino, « Prima cathedra : docenza universitaria e ‘ trono’episcopale nel ii/iii secolo », dans Mélanges d’archéologie et d’Histoire offerts à André Piganiol, t. 3, Paris, 1966, p. 1653-1665 (repris dans Antico, tardoantico ed era costantiniana, Rome, 1974, p. 151-170, avec ajout d’un cinquième paragraphe, p. 160).
61 La loi de Julien figure dans CTh, xiii, 3, 5 et dans CJ, x, 53, 7 (sans la clause sur l’approbation impériale qui nous retient ici). La loi du Code Théodosien est traduite par J. Bidez dans les éditions des œuvres de Julien (éd./trad. CUF, t. 1-2, p. 72). La procédure de nomination est la suivante : toute personne désirant devenir maître de rhétorique dans une cité doit d’abord recevoir l’approbation des meilleurs (c’est-à-dire des décurions). Puis, l’empereur examine le décret des curiales et donne ensuite son agrément, afin que son « suffrage accroisse le prestige des élus qui entreront dans les écoles des cités ». Même à cette époque, cette intrusion si forte du pouvoir impérial dans un domaine relevant en temps normal et de manière exclusive des affaires des cités fut mal perçue et jugée tyrannique.
62 La mention du salaire en sesterces reflétait moins, alors, ce qui était reçu que le niveau dans la hiérarchie équestre : voir la remarque formulée infra, n. 105. Lire également les analyses de Pflaum, « Titulature et rang social sous le Haut-Empire », p. 178-179, à propos de l’évolution du titre de ducenarius au iiie siècle.
63 Remarque formulée par Marrou, Histoire de l’éducation, 2, p. 107 et 110. L’auteur consacre un chapitre entier de son ouvrage à l’attitude adoptée par les dirigeants de l’État romain à l’égard de l’éducation (p. 107-126). Voir à ce sujet la présentation très claire de N. Tlili, « La place de l’Afrique romaine dans la législation impériale en matière d’éducation et de culture », dans L’Africa Romana, 13-2 (2000), p. 1165-1168, et Vössing, Schule und Bildung im Nordafrika, p. 617, n. 2084.
64 Il s’agit de dates très discutées. Nous suivons la chronologie établie par Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 192, qui place les débuts de la réforme fiscale dès 287, celle de la monnaie en 296 et fixe la mise en place de circonscriptions préfigurant le découpage diocésain en 297.
65 Seuls Demougeot, « Autun et les invasions », p. 114-115 ; Messina, « Una singolare rinuncia », p. 182 ; plus récemment, Rees, op. cit., p. 139, 151-152, ont souligné l’importance de la lecture de cette epistula sacra et de son contenu dans l’argumentation et la stratégie d’Eumène pour convaincre les autorités d’autoriser la reconstruction des écoles.
66 Sur les écoles et l’éducation dans l’Antiquité, on consultera les ouvrages suivants, sur lesquels s’appuie notre réflexion. Parmi les ouvrages anciens, aux conclusions discutables mais qui restent commodes et encore pertinents sur certains aspects : Jullian, op. cit., 8, p. 242-292, chapitre 5 consacré à la vie intellectuelle ; C. Bargaballo, Lo stato e l’istruzione pubblica nell’Impero romano, Catane, 1911 ; T. Haarhoff, Schools of Gaul, Oxford, 1920. L’ouvrage de Marrou, op. cit., 2, demeure encore la référence fondamentale pour aborder le sujet. On s’appuiera enfin sur les travaux de N. Tlili, Recherches sur l’éducation et la culture en Afrique romaine, 2 vol., thèse inédite, université Paris x, Nanterre, 2000, et « La place de l’Afrique romaine dans la législation impériale en matière d’éducation et de culture », dans L’Africa Romana, 13-2, 2000, p. 1165-1185, où l’auteur résume certaines des conclusions de sa thèse. Dans ces deux études, on trouvera une bibliographie complète sur l’histoire de l’éducation à l’époque romaine en Afrique ainsi que dans l’Empire tout entier. La consultation des articles contenus dans Que reste-t-il de l’éducation classique ? demeure indispensable, en particulier J.-M. Pailler, « Une éducation gallo-romaine ? », p. 143-153 ; K. Vössing, « L’État et l’école dans l’Antiquité tardive », p. 281-295 ; S. Ratti, « La culture du prince entre historiographie et idéologie », p. 297-306.
67 Sur ce vocabulaire (praeceptor, rhetor, orator) : Marrou, op. cit., 2, p. 87-88.
68 Galletier, 1, p. 105-106, considérait cette fonction de moderator comme un poste de doyen, d’enseignant et d’administrateur nommé à la tête des écoles pour les rétablir et leur rendre du lustre. Voir aussi Jullian, op. cit., 8, p. 249, n. 5-6. À l’époque tardive, le terme permettait aussi de désigner le gouverneur de province, le praeses, que sa fonction judiciaire obligeait à être pondéré et modéré. Le terme est employé par exemple dans CJ, v, 17, 3 (texte daté de 290 et adressé par Dioclétien et Maximien à un gouverneur).
69 Derrière ces préoccupations visant à garantir la bonne moralité des enseignants se cache un souci permanent des dirigeants de l’Empire et des cités, qui souhaitaient éviter que les écoles, lieu de rassemblement et de concentration de jeunes gens, ne constituent le terreau de séditions ou de troubles à l’ordre public. Voir les remarques de Nixon, Rodgers, op. cit., p. 157, qui rapprochent certains extraits du discours d’Eumène avec des passages d’Ausone. Ces deux auteurs s’accordent à dire qu’il faut contrôler le recrutement des maîtres afin d’éviter qu’au milieu des vagues de l’adolescence (in mediis adulescentiae fluctibus), les jeunes gens ne prennent pour guides des modèles douteux d’éloquence (incerta dicendi signa sequerentur) (Panégyrique latin v(9), 5, 4). Le même lieu commun apparaît dans la lettre de recommandation de Titus Solemnis, l’un des textes reproduits sur le marbre de Thorigny. Sur cette inscription, voir supra, n. 53.
70 Ne sont décrites ici que des grandes tendances qui ne correspondent en réalité à aucun parcours universitaire rigide et obligatoire, comme c’est le cas pour les cursus des élèves et étudiants actuels. Voir à ce sujet Marrou, op. cit., 2, p. 63-73 pour les écoles primaires, p. 75-86 pour l’école du grammaticus, p. 87-96 pour ce qu’il qualifiait « d’enseignement supérieur » et qui correspond bien à la situation des écoles d’Autun.
71 Ibid., 2, p. 89.
72 L’enseignement du grec dans le nord de la Gaule est un phénomène rare, à l’exception du territoire éduen. Pour l’époque tardive, la pratique de cette langue n’est plus attestée qu’à Trèves – phénomène qui s’explique par la présence régulière de la cour – et à Bordeaux grâce aux témoignages du Code Théodosien et d’Ausone. Voir sur le sujet les remarques encore pertinentes de Jullian, op. cit., 8, p. 255-259, qui cite l’exemple du rhéteur grec Proaheresios, appelé en Gaule auprès de Constant, comme le rapporte Eun., V. soph. : Jullian, op. cit., 7, p. 151, n. 7. Voir aussi, pour l’extrême fin de l’Antiquité en Gaule, la thèse de P. Courcelle, Les lettres grecques en Occident. De Macrobe à Cassiodore (BÉFAR, 159), Paris, 1943 ; 1948 (éd. rev. et augm.), p. 210-253, chapitre « La culture grecque en Gaule ». Une grande mobilité des étudiants existait également, phénomène non négligeable : G. A. Cecconi, « Mobilità studentesca nella tarda Antichità. Controllo administrativo e controllo sociale », MÉFRM, 119-1 (2007) [La mobilité intellectuelle en Méditerranée, de l’Antiquité à l’époque moderne], p. 137-164.
73 Marrou avait bien mesuré l’importance de l’enseignement du droit au niveau des études supérieures : Marrou, op. cit., 2, p. 93-96.
74 L’enseignement du droit souffrait alors d’une image négative. Comme Jullian, op. cit.., 7, p. 250, n. 3, l’avait remarqué en son temps, Ausone ne fait pas une seule référence dans ses œuvres à ce type d’enseignement, alors qu’il est certain que lui-même possédait des compétences étendues en la matière et qu’il s’agissait d’une discipline enseignée à Bordeaux aux futurs administrateurs et avocats. Ce double langage transparaît dans la gêne exprimée par Eumène lorsqu’il parle d’argent.
75 Sur ces personnages, voir l’annexe consacrée aux notables (Anonymes 8, 9 et 10).
76 Sur ce palimpseste : NHLL, 5, p. 80. Il s’agit de plusieurs feuillets d’un manuscrit conservé à la bibliothèque municipale d’Autun (manuscrit no 24, fos 97-110, inclus 98 bis) depuis le Moyen Âge, semble-t-il. Le manuscrit contient le De institutis coenobiorum de Cassien. Selon des critères paléographiques, le texte remonte au ive siècle. Il s’agirait de notes prises dans le cadre d’un cours de droit dispensé par un juriste qui transmettait des connaissances pratiques fondées sur des exercices simples à des étudiants peu confirmés. Ces pages ne sont pas extraites d’un livre, mais apparaissent plutôt comme des notes destinées à circuler dans un cercle d’étudiants ou de praticiens du droit.
77 Sur les méthodes d’enseignement de la rhétorique, voir Jullian, op. cit., 8, p. 250-254 ; Marrou, op. cit., 2, p. 88-91 ; Nixon-Rodgers, op. cit., p. 152, n. 6 ; Pernot, op. cit., 1, p. 56-66.
78 Dans le discours, les écoles sont destinées à faire des jeunes gens de bons Romains, fidèles au prince et à l’Empire, destinés à prononcer des éloges des princes dans le cadre d’une instruction civique, éloges semblables aux formules en usage dans le cadre du culte impérial (§ 10, 2 et 20, 1-3). Eumène souligne par ailleurs que l’éducation dispensée permet d’acquérir de bonnes mœurs (§5,4 et 14, 4) et de cultiver les vertus romaines (8, 3).
79 Sur Iulius Sacrouir : Tac., An., iii, 40-46. Sur les finalités et les débouchés ouverts aux étudiants des écoles : Nixon, Rodgers, op. cit., p. 157, n. 24 ; Jones, LRE, 1, p. 512-513, 527 ; 2, p. 990 ; Millar, op. cit., p. 98-101 ; Matthews, Western Aristocraties, p. 84-86.
80 Plut., Sert., 14. Sertorius fit exécuter certains de ces jeunes gens et vendit les autres en esclavage à la suite de troubles (Sert., 25, 6). Sur l’expérience de Sertorius comme modèle imité ensuite par le pouvoir romain afin d’intégrer les élites des peuples conquis depuis peu : Vössing, Schule und Bildung im Nordafrika, p. 617, n. 2084.
81 Plut., Sert., 14 (éd./trad. R. Flacelière, CUF) : Τοὺς γὰρ εὐγενεστάτους ἀπò τῶν ἐθνῶν συναγαγὼν εἰς Ὄσκαν, πόλιν μεγάλην, διδασκάλους ἐπιστήσας Ἑλληνικῶν τε καὶ Ῥωμαικῶν μαθημάτων, ἔργῳ μὲν ἐξωμηρεύσατο, λόγῳ δ’ ἐπαίδευεν, ώς ἀνδράσι γενομένοις πολιτείας τε μεταδώσων καὶ ἀρχῆς.
82 Il faut rappeler ici l’importance de ce témoignage pour notre connaissance de l’évergétisme en Gaule à cette époque charnière mal documentée : voir A. Hostein, « Un acte d’évergétisme à Augustodunum-Autun (Lyonnaise), à la fin du iiie siècle », dans La praxis municipale dans l’Occident romain, C. Berrendonner, M. Cébeillac-Gervasoni, L. Lamoine éd., Clermont-Ferrand, 2010, p. 347-361. Sur l’évergétisme, lire en priorité P. Veyne, Le Pain et le cirque, sociologie d’un pluralisme politique, Paris, 1976 ; Jacques, op. cit., p. 687-786, ouvrages à compléter par des études de cas relevées dans les Actes du Xe Congrès international d’épigraphie grecque et latine, Nîmes, 4-9 octobre 1992, Christol M., Masson O. éd., Paris, 1997, consacré à la question. Sur l’évergétisme tardif et la place essentielle tenue par les sources littéraires pour la connaissance du phénomène, voir supra, chapitre 4, n. 55.
83 Idée formulée aux § 6, 1 ; 6, 4 ; 8, 3 et 17, 5, ainsi que dans le § 18 dans son intégralité.
84 Passage relevé au § 10, 2.
85 Eumène emploie les termes et expressions suivants : ex usu et officie (§ 3, 4 et 10, 3), utilitas (§ 19, 1). Cecconi, Governo imperiale, p. 128, étudie la notion d’utilitas telle qu’elle apparaît dans les inscriptions italiennes contemporaines ou postérieures.
86 La valeur esthétique des écoles fait l’objet d’un long développement (§ 9) avant que ne soit abordée leur magnitudo (§ 19, 1). Sur cette question : Cecconi, op. cit., p. 128. Sur la physionomie du bâtiment : A. Hostein, « Le bâtiment des écoles méniennes dans la topographie d’Autun-Augustodunum », à paraître.
87 Eumène dit, à propos des écoles qui jouxtent les temples et le Capitole : ne fana longe omnium in hac urbe pulcherrima labes media deformet (§ 9, 4). Sur le motif, lancinant dans les inscriptions du iiie siècle, des ruines qui déforment la beauté de la cité : Hamdoune, « La uetustas », p. 251-279 ; E. Thomas, C. Witschel, « Claim and Reality of Roman Rebuilding Inscriptions from the Latin West », PBSR, 60 (1992), p. 135-177 ; objections de G. C. Fagan, « The Reliability of Roman Rebuilding Inscriptions », PBSR, 64 (1996), p. 81-93.
88 Selon l’OLD, p. 1680, salarium signifie « paiement officiel accordé au détenteur d’un poste civil ou militaire ». Jullian, op. cit., 7, p. 248, définissait déjà ainsi le terme.
89 Selon l’OLD, p. 1972, tribuere signifie « partager, diviser » puis « accorder, faire bénéficier, gratifier, donner quelque chose, une somme d’argent ».
90 Le praemium se définit, d’après l’OLD, p. 1434, comme une « rétribution », une « somme d’argent », un « bienfait ».
91 Voir les pages de G. Coppola, Cultura e potere. Il lavoro intelletuale nel monde romano, Milan, 1994, p. 293-300, sur le concept de salarium appliqué aux détenteurs de compétences intellectuelles à l’époque impériale.
92 La somme de 600 000 sesterces est évoquée avec précision dans le Panégyrique latin v(9) à trois occasions : aux § 11, 2 (in sescenis milibus nummum... ut trecena illa sestertia) ; 14, 5 (in sescenis milibus nummum) et 16, 3 (sescena illa).
93 Faut-il envisager d’autres sources de rétribution officielles pour compenser les pertes, comme par exemple des annones ou des attributions de terres ? Ou bien admettre qu’il y a eu érosion des salaires des membres de l’ordre équestre ayant atteint ces niveaux de responsabilité ? La pratique est attestée en tout cas à la fin du ive siècle à Trèves pour les professeurs : CTh, xiii, 3, 11 de 376. Cette loi de Gratien fixe une grille de salaire stricte pour les professeurs enseignant en Gaule et à Trèves au sein des écoles municipales. Un rhéteur recevait ainsi en Gaule 24 annonae, un grammairien de latin ou de grec moitié moins. À Trèves, le rhéteur recevait 30 annonae, le grammairien de latin 20, celui de grec 12.
94 S. Mazzarino, Aspetti sociali del quarto secolo. Ricerche di storia tardo-romana, Rome, 1951, p. 162-168, en particulier p. 164-165 ; A. Chastagnol, « Remarques sur les salaires et rémunérations au ive siècle », dans Les dévaluations à Rome, époque républicaine et impériale. 2. Gdansk, 19-21 octobre 1979, Rome, 1980 (CÉFR, 37), p. 215-233 (repris dans Aspects de l’Antiquité Tardive, p. 373-392, en particulier p. 377 et 383). L’importance de la somme est également soulignée et démontrée à la fin du présent chapitre, à travers une comparaison avec les prix engagés à la même époque dans des constructions publiques en Afrique.
95 Les empereurs décidèrent de doubler le salaire pour montrer que cette charge de moderatort de praeceptor au sein des écoles d’Autun était aussi importante que celle de magister memoriae et qu’elle méritait, pour cette raison, une rétribution conséquente.
96 Rappelons que l’essentiel des problèmes auxquels étaient confrontées les communautés civiques de Bithynie du temps de Pline étaient liés à leur mauvaise gestion financière. Par ailleurs, il suffit de disposer de séries d’archives pour mesurer combien cette même gestion quotidienne pouvait occuper sans relâche les décurions qui en étaient responsables, comme c’est le cas des bouleutes d’Hermoupolis la Grande sous Gallien, bien connus grâce à la documentation papyrologique. On dispose d’un aperçu de ces questions grâce aux archives relatives aux travaux effectués dans les années 260, dans le centre monumental de la cité : M. Drew-Bear, « Guerre civile et grands travaux à Hermoupolis Magna sous Gallien », dans Akten des 21. Internationalen Papyrologenkongresses. Berlin, 13-19.08.1995, Bärbel K. et alii éd., Stuttgart, 1997, p. 237-243 ; ead., « Hermoupolis la Grande : une métropole d’Égypte d’après les archives de son conseil municipal (266-268) », Pallas hors série (1997) [L’Empire romain de 192 à 323], p. 127-130.
97 C’est le sujet des paragraphes 12, 13, 16 et 17, qui suivent le paragraphe 11 où Eumène décrit en détail le montant, l’origine ainsi que l’affectation future de son salaire. Sur les tabous liés à l’argent, on trouvera des réflexions dans J. Andreau, La vie financière dans le monde romain : les métiers de manieurs d’argent (ive siècle av.-iiie siècle ap. J.-C.), Rome, 1987 (BÉFAR, 265), p. 359-441, dans la partie consacrée à l’insertion des manieurs d’argent au sein de la société romaine. Sur le fait économique dans les mentalités romaines, on se reportera à C. Nicolet, Rendre à César. Économie et société dans la Rome antique, Paris, 1988, en particulier p. 63 et suiv., consacrées à la morale romaine face aux phénomènes économiques. Voir enfin H. Pavis d’Escurac, « Aristocratie sénatoriale et profits commerciaux », Ktèma, 2 (1977), p. 339-355, qui offre une mise au point utile sur l’attitude des élites dirigeantes romaines, des sénateurs en particulier, à l’égard de l’argent et des profits liés au commerce (en particulier p. 342-344).
98 La question des mécanismes financiers, du versement des impôts à l’État est abordée par M. Corbier, « Fiscalité et dépenses locales », dans L’origine des richesses dépensées dans la ville antique, p. 219-232. Le même auteur aborde des questions connexes dans « Cité, territoire et fiscalité », dans Epigrafia, p. 629-665. Lire aussi Lepelley, Les cités, 2, p. 243, n. 14, p. 320 et 391. L’auteur a relevé des textes de lois qui évoquent des indulgentiae consistant en une « attribution locale des ressources fiscales ». On trouvera à ce sujet d’autres références dans id., « La crise de l’Afrique romaine au début du ve siècle d’après les lettres nouvellement découvertes de saint Augustin », CRAI (1981), p. 455, n. 55 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 367, n. 54), où sont recensés les articles du Code Théodosien extraits du De indulgentiis debitorum relatifs à l’Afrique et qui datent du début du ve siècle. Voir enfin id., « Témoignages épigraphiques sur le contrôle des finances municipales par les gouverneurs à partir du règne de Dioclétien », dans Il capitolo delle entrate, p. 235-247, en particulier p. 245-247.
99 Contra Coppola, op. cit., p. 340-341, qui pense que le salaire d’Eumène était versé par la seule cité et non pas par l’État, en s’appuyant sur des documents antérieurs où, effectivement, le rhéteur recevait son salaire de sa cité (p. 333-339). L’auteur n’a pas mesuré, dans le cas d’Eumène, le caractère exceptionnel de la situation. Voir Messina, art. cit., p. 189, qui pense aussi que le salaire est versé par la seule cité, ce qui n’est pas faux mais ne rend pas compte de toutes les subtilités du cheminement de la somme.
100 Sur le sens du terme respublica dans les inscriptions de la péninsule Ibérique, voir la synthèse de S. Dardaine, « Une image des cités de Bétique aux iie et iiie siècles après J.-C. : l’emploi du terme respublica dans les inscriptions de la province », dans Ciudad y comunidad cívica en Hispania, p. 47-58. L’auteur montre que l’emploi du terme sur les inscriptions signifiait de la part des communautés une grande adhésion aux valeurs de la cité, de la romanité, puisqu’elles désiraient ainsi se placer sur le même pied que la Respublica par excellence, Rome. L’auteur note qu’à côté de ce sens local et civique, le terme est employé dans certaines inscriptions pour désigner l’État. Par ailleurs, et cela intéresse notre propos, respublica était souvent employé par les autorités provinciales et impériales dans des affaires financières relatives à la vie municipale. Il semble qu’Eumène s’inscrive dans cette tradition. Le terme a fait l’objet d’une étude récente d’É. Lyasse, « L’utilisation du terme respublica dans le quotidien institutionnel des cités. Vocabulaire politique romain et réalités locales », dans Le quotidien municipal dans l’Occident romain, p. 187-202 (en particulier p. 189-191 pour des réflexions sur son emploi dans le domaine financier).
101 Les gens fortunés disposaient de livres de comptes pour gérer leurs biens, à plus forte raison l’ancien responsable des archives du prince. Sur la question, voir Andreau, La vie financière dans le monde romain, p. 75, qui cite à ce propos une loi (Dig., v, 1, 45) qualifiant ces livres de comptes de codices accepti et expressi.
102 Les termes employés dans ce passage renvoient au vocabulaire du monde des finances et de la comptabilité antique. On trouvera une analyse détaillée de ces termes dans Andreau, op. cit., p. 75, 229-230 et 557. L’historien traduit perscribere par « porter en compte », « porter en recette dans un livre de comptes (ratio en latin) ». Quant à referre, il signifie plutôt « encaisser ». Seuls Rodgers, art. cit., p. 257, et Messina, art. cit., p. 189-190, ont perçu la dimension technique de certaines de ces expressions, qui apparaissent dans plusieurs lois relatives au financement de chantiers publics : CTh, xv, 1, 2 (Janvier, La législation, no 101) : nisi forte iusta ratione petendum sit aliquos, si forte defuerint, inpensarum titulos prouideri ; CTh, xv, 1, 6 (ibid., no 113) : Quae operibus publicis inpensa constiterit, accepto ferri oportere cognoscas ; CTh, xiv, 6, 3 (ibid., no 155) : ita sit ratio partita... separatim conueniet adscribi ; CTh, xv, 1, 27 (ibid., no 203) : accepte omnino non ferri.
103 Sur 1 inflation de la fin du iiie siècle : J.-P. Callu, La politique monétaire des empereurs romains de 238 à 311, Paris, 1969 (BÉFAR, 214), p. 143-146 ; R. Duncan-Jones, The Economy of the Roman Empire : Quantitative Studies, Cambridge, 1974, p. 72. Pour une approche synthétique et plus récente de ce phénomène économique, voir Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 563-570. Claude Lepelley (Lepelley, Les cités, 2, p. 91), commentant l’inscription relative à la construction ( ?) d’un temple d’Apollon à Calama (CIL, viii, 5333 = 17487 ; IlAlg, i, 250), à hauteur de 350 000 sesterces, écrivait : « vu l’importance de la dévaluation subie au iiie siècle par la monnaie, ces sommes ne sont pas très importantes, ce qui incite à voir dans les présents travaux plutôt une restauration qu’une construction ».
104 Rapide commentaire des sommes mentionnées dans ces inscriptions africaines dans Waldherr, Kaiserliche Baupolitik in Nordafrika, p. 103 (Dougga) et p. 150-151 (Calama).
105 Un autre élément penche en faveur de l’interprétation proposée. Mentionner une somme en monnaie de bronze en 298 ne préjugeait en rien d’un versement et d’un paiement en monnaie de bronze dévaluée. Ces mentions d’une unité monétaire disparue constituent des archaïsmes de langage, entretenus par des pratiques comptables. Jean-Pierre Callu a mis en évidence l’existence d’une grille de correspondance entre sommes d’argent exprimée dans une unité monétaire de bronze disparue (le sesterce) et réalités monétaires. De rares attestations épigraphiques mentionnent des salaires en sesterces pour de hauts fonctionnaires équestres de la fin du iiie siècle. Ceux-ci n’ont pas été nécessairement touchés par l’inflation, car si la grille salariale s’exprimait ainsi, rien n’empêchait l’État de leur verser un salarium en bonne monnaie, par un jeu d’équivalences, comme par exemple l’émolument versé en monnaie d’or à Titus Sennius Solemnis, le notable honoré dans les textes du marbre de Thorigny (voir supra, n. 53, pour les références à cette inscription) : J.-P. Callu, op. cit., p. 144-146, poursuivant les réflexions d’un travail antérieur, « Les monnaies de compte et le monnayage du bronze entre 253 et 295 », dans Actes du vie Congrès international de numismatique. Rome, 1961, Rome, 1965, p. 363-376. Lire en dernier lieu E. Lo Cascio, « Prezzi in oro e prezzi in unità di conto tra il iii e il iv sec. d. C. », dans Prix et formation des prix dans les économies antiques, Saint-Bertrand-de-Comminges, 1997, p. 161-182. Ces procédés ont été employés à Autun et à Calama.
106 Tableau réalisé d’après les indications relevées dans R. Duncan-Jones, op. cit., et J.-P. Callu, op. cit. Ne figurent dans cette liste que les sommes attestées et bien datées.
107 Nous reprenons ici des éléments d’analyse de Rodgers, art. cit., p. 261-262, la première, semble-t-il, a avoir attiré l’attention sur la question de l’exemption de munera dont a dû bénéficier Eumène. Elle est suivie par Messina, art. cit., p. 188.
108 Selon Messina, art. cit., p. 181 et 189-190, que nous suivons ici, Eumène accomplit cet acte pour mieux faire accepter à ses concitoyens la perte de contrôle qu’ILS exerçaient sur les écoles municipales, mais aussi pour leur épargner une dépense supplémentaire (le versement de son salaire), alors que les efforts fournis pour reconstruire Autun étaient importants et grevaient les finances de la cité. En revanche, l’interprétation d’ensemble de l’auteur est tronquée par son postulat de départ, selon lequel les cités auraient perdu, à cette date, leur mainmise sur les affaires d’éducation. Nous suivons ici les conclusions avancées par Vössing, « L’État et l’école dans l’Antiquité tardive », p. 281-295. Si l’État fut plus scrupuleux, il le fut semble-t-il dans un cadre législatif hérité du Haut-Empire. Seuls le zèle et le souci d’un bon fonctionnement à l’échelon local des écoles peuvent distinguer certains princes du ive siècle de leurs prédécesseurs, en un temps où le développement de l’administration et du droit obligeait à former plus qu’auparavant un personnel compétent.
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