Chapitre 4. Le relèvement de la ciuitas Aeduorum par les empereurs de la fin du iiie siècle
p. 141-175
Texte intégral
1Avant la conquête césarienne, les Éduens formaient une force politique et militaire majeure du centre de la Gaule, conduisant des guerres incessantes pour exercer une prééminence disputée par leurs puissants voisins, Séquanes, Bituriges et Arvernes. Durant ces conflits, les Éduens furent les premiers, au milieu du iie siècle avant notre ère, à conclure une alliance officielle avec les Romains1. À compter de ce moment, l’influence de Rome sur ce peuple se fit sentir dans de nombreux domaines, comme l’attestent les découvertes archéologiques récentes de Bibracte2. D’une manière générale, tant sur ce site que sur d’autres tout aussi prestigieux, tels Lyon3, Reims4 ou Corent5, les travaux de terrain obligent à repenser l’image des Celtes de La Tène finale. En ce sens, avec Christian Goudineau, il est permis de parler d’une véritable révolution scientifique6.
2En l’an 61 avant notre ère, le chef éduen Diviciac sollicita une aide contre les attaques des Arvernes, des Séquanes et des Germains, en vain7. Quelques années plus tard, lorsque les Helvètes décidèrent de migrer en pays santon via le territoire des Éduens, le foedus conclu avec ce peuple servit de prétexte à César pour intervenir en Gaule chevelue et conquérir ce vaste et riche territoire.
3Passons sur l’époque de la conquête et retenons que le peuple éduen fut alors traversé par des divisions qui l’entraînèrent, au gré des événements et des changements de dirigeants, à soutenir ou bien les Romains la plupart du temps, ou bien les insurgés durant le bref épisode de la révolte de 52 avant notre ère. Toujours est-il qu’après la victoire définitive de César, les Éduens conservèrent leurs lois et leur titre de fratres populi Romani8.
4La date de création de la ciuitas Aeduorum dans des normes juridiques romaines a fait l’objet de nombreux débats. Il est assuré aujourd’hui, depuis les travaux des érudits du xixe siècle Jean-Gabriel Bulliot et son gendre, Joseph Déchelette, que l’antique Bibracte et Augustodunum/Autun ne se succédèrent pas sur le même site. Autun fut créée par Auguste pour devenir le chef-lieu (caput) de la ciuitas des Éduens, et la ville nouvelle revêtit le rôle tenu auparavant par Bibracte, située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest, même si la notion moderne de « capitale » ne rend pas compte avec exactitude du rôle assigné à cet oppidum dans le cadre du fonctionnement politique des peuples gaulois9. Bibracte, en tant que lieu de réunion et place forte des Éduens, disposait d’une prééminence sur des agglomérations comparables. Si le raisonnement vaut de manière assurée pour la période antérieure à la conquête, rien n’interdit de penser que Bibracte fut, durant une courte période de transition, entre les années 40 et les années 20 avant notre ère, le chef-lieu des Éduens10.
5Augustodunum fut créée de toutes pièces, sur décision de l’empereur Auguste, durant l’avant-dernière décennie du ier siècle avant notre ère, dans le cadre de la réorganisation administrative de la Gaule chevelue, alors découpée en trois grandes provinces (les Tres Galliae)11. L’empereur avait pour objectif d’accélérer la pacification des Gaulois et de favoriser l’assimilation du modèle de civilisation romain auprès de peuples conquis de fraîche date. D’emblée, l’urbanisme d’Autun fur conforme au prestige de ces peuples alliés, « frères » de Rome. Si l’on en croit Pline l’Ancien dont le témoignage est cependant sujet à caution12, la cité possédait le statut juridique de cité fédérée (foederata). Le caput ciuitatis reçut de surcroît, dès sa création, l’insigne honneur d’être enserré dans une enceinte de 6 kilomètres délimitant un espace de près de 200 hectares, privilège normalement accordé aux seules colonies latines ou romaines. Autun fut dotée de monuments prestigieux, mal connus cependant en raison des destructions ayant affecté la ville au cours des siècles13. La capitale de cité fut enfin baptisée du nom de son fondateur et devint Augustodunum, la « ville d’Auguste », sens à donner au suffixe gaulois -dunum. Ce n’est donc pas le fait du hasard si le premier prêtre du culte fédéral, C. Iulius Vercundaridubnus, contemporain de la fondation, qui prononça en 12 avant notre ère au nom des soixante principales cités des Trois Gaules la formule consécratoire du culte d’Auguste à Lyon, était éduen14 : il représentait l’élite d’un peuple généreusement récompensé pour sa fidélité à l’Empire.
6Les sources littéraires antiques permettent de mesurer le rayonnement de la cité à travers plusieurs épisodes historiques fameux du ier siècle de notre ère, au cours desquels furent impliqués des Éduens : la révolte de Iulius Sacrouir connue par les Annales, les privilèges accordés par Claude aux Éduens connus par la table de Lyon et Tacite, la révolte de Vindex relatée par le même auteur15. Puis, à compter de la crise de 68-69 et jusqu’à la fin du iiie siècle, les sources demeurent muettes sur le sort de la cité qui semble s’être toujours tenue à l’écart des grands événements historiques rapportés par les sources16, sans que ce retrait relatif ne préjuge, pour autant, d’une mauvaise intégration des Éduens dans l’Empire.
7À l’époque antonino-sévérienne, l’histoire de la cité se confond avec celle de ses campagnes et de son chef-lieu, car seule la documentation archéologique permet de cerner le quotidien et les évolutions de l’urbanisme qui reflète des transformations de la communauté civique. Quant à l’épigraphie, elle apporte des éclairages importants, même s’il s’agit pour l’essentiel d’une épigraphie de la périphérie au sens littéral, composée d’inscriptions à caractère religieux et funéraire découvertes dans le suburbium d’Autun. L’absence relative d’inscriptions publiques s’explique par leur disparition quasi totale dans des remplois ou, pire encore, dans des fours à chaux. Les témoignages croisés de ces sources permettent de dégager de grandes phases dans l’évolution de la ville du Haut-Empire. En l’état du dossier et au regard des travaux récents, nous suivrons ici la périodisation proposée par Alain Rebourg17.
8Les témoignages littéraires et archéologiques s’accordent sur le développement rapide de la ville, sur la base d’un projet urbain cohérent dont témoigne le quadrillage régulier, au tracé respecté jusqu’aux époques tardives. Si Autun semble dotée d’une importante parure monumentale dès Auguste et Tibère, composée d’un forum – dont la localisation continue de faire débat –, d’une enceinte, de portes, peut-être même de l’aqueduc et du théâtre, l’occupation par un habitat plus dense fut progressive et ne s’affirma pas avant les années 20-30 de notre ère. Le milieu du siècle fut, pour l’habitat privé, une période faste qui précéda une seconde phase dynamique, à l’époque flavienne, marquée par de profondes transformations architecturales avec l’amphithéâtre, la construction de nouveaux édifices publics et la monumentalisation des voies principales. Cependant, il faut prendre garde à ne pas tout attribuer à cette époque, comme l’ont fait les archéologues depuis le xixe siècle. La période qui s’étend des Antonins aux Sévères s’inscrit dans la continuité des évolutions précédentes et se caractérise par l’extension maximale de la ville dans son assiette augustéenne. La parure fut embellie à ce moment, comme l’attestent deux inscriptions monumentales, très fragmentaires, mentionnant les noms de Trajan et Marc Aurèle18. La construction des grandes domus urbaines réputées pour la richesse de leur décor semble se placer à la fin du iie et dans le premier tiers du iiie siècle19. Le fort dynamisme observé dans l’habitat, qui se traduit également dans les activités artisanales, ne semble pas s’être infléchi avant les années 250-260. Des découvertes nouvelles spectaculaires associées à la réinterprétation de trouvailles anciennes attestent même la permanence d’un habitat monumental et luxueux jusqu’au milieu du ive siècle20.
9Ces éléments permettent de rappeler qu’Autun fut l’une des villes les plus importantes, les plus opulentes et les plus prestigieuses de l’Occident romain sous le Haut-Empire, ce qu’omettent de signaler les récentes synthèses21. Le projet augustéen de concevoir une vitrine de la romanisation fut de ce point de vue une réussite éclatante, tant les monuments autunois incarnèrent durant les siècles de domination romaine le prestige de ce peuple allié à Rome et récompensé pour sa constante fidélité. Mais, bien plus que de simples témoignages de reconnaissance, ces monuments incarnaient à eux seuls les valeurs les plus abouties de la romanité.
10Vers 250, à la veille de ce que les historiens appellent communément la « crise du iiie siècle », marquée en Gaule par des événements qui affectèrent cruellement la cité, les Éduens comptaient encore parmi les peuples importants et prospères de la région, ayant su tirer les bénéfices de la pax Romana22.
Les formes de l’intervention impériale à la fin des années 290
La cité des Éduens à la fin du iiie siècle : une cité affaiblie
11La ciuitas Aeduorum a souffert des événements qui ont touché les Trois Gaules dans le dernier tiers du iiie siècle. Frappée par des difficultés militaires ou économiques partagées par l’ensemble des provinces de l’Empire mais dont les conséquences variaient d’un secteur à un autre, sa ruine personnelle, profonde, s’explique néanmoins par des facteurs internes. Les habitants d’Autun prirent en effet le parti de se révolter contre l’autorité de l’empereur « gaulois » Victorin qui s’était emparé de la pourpre après avoir éliminé Marius, l’éphémère successeur de Postume (260-268). En 269-270, les Éduens lancèrent un appel à l’empereur de Rome, Claude II (268-270), pour qu’il leur vienne en aide. Ils ne furent pas entendus23.
12Les raisons de cette opposition à Victorin demeurent obscures, même s’il est permis de se risquer à des hypothèses. D’abord, l’assassinat de Postume, apprécié des armées et des populations civiles, a été mal perçu par les provinciaux, fragilisant la légitimité de ses successeurs immédiats. Cette crise du régime de l’« Empire Gaulois » s’est trouvée renforcée par la présence de troupes de Claude II dans les Alpes, à Cularo-Grenoble, ville située alors en Narbonnaise24. En reprenant en main ces régions mal contrôlées par Postume, Claude II cherchait à contenir les prétentions de l’usurpateur, par une stratégie de prise en tenaille des territoires qu’il contrôlait. Claude II créait par la même occasion une tête de pont lui permettant d’engager une offensive dans ce secteur, tout en consolidant ses flancs à la veille d’une campagne indécise contre les Alamans près du Lac de Garde, à l’automne 269. Le dynamisme de cette reconquête soulignait par contraste les limites des capacités de réaction de Postume puis de Victorin, à un moment où la légitimité de ce dernier n’était pas bien assurée.
13Dans ce contexte, les contemporains ont pu considérer ces événements comme annonciateurs de la fin de la sécession des provinces occidentales. Par ailleurs, devait exister un « parti légitimiste », favorable aux empereurs de Rome et au retour à l’unité impériale. L’implication de puissants notables locaux, qui devaient trouver là des intérêts particuliers, a dû être déterminante dans la décision des Éduens de mener une révolte ouverte. Le témoignage d’Ausone, dont les aïeux maternels étaient originaires de la cité, est précieux25 :
Aus., Parent., 4, Caecilius Argicius Arborius, auus, 2-9: maternum post hos commemoremus auum / Arborium Aeduico ductum de stemmate nomen, / complexum multas nobilitate domus, / qua Lugdunensis prouincia quaque potentes / Aedues Alpino quaque Vienna iugo. / Inuidia set nimium generique opibusque superbis / aerumna incubuit. Namque auus et genitor / proscripti regnum cum Victorinus haberet / uictor et in Tetricos reccidit imperium26.
14Évoquant sa famille, des notables riches et influents (sens des termes nobilitas et potentes), le rhéteur bordelais livre au passage un indice sur faire d’influence de ses ancêtres, qui couvrait des territoires immenses dépassant le cadre de la Lyonnaise, puisque s’étendant du territoire de la cité des Éduens jusqu’à celui des Allobroges27. Or, ce dernier secteur correspond à celui reconquis par les troupes de Claude II. On peut légitimement penser, sur la foi de ce témoignage unique, qu’une partie des notables éduens, en raison de liens de nature familiale, économique, clientélaire peut-être, entretenaient des contacts étroits avec les notables vivant dans les territoires passés sous contrôle de Claude et menaient ainsi une politique active pour que leur cité soit à son tour affranchie de la tutelle de Victorin. Des découvertes monétaires originales sur le territoire éduen permettent d’envisager que des hommes de Claude II ont pu être envoyés pour aider les insurgés à tenir le siège avant l’arrivée d’une armée de secours28. Leur présence supposée expliquerait bien la longueur de ce siège, qui dura près de sept mois.
15Il ressort de tout ce qui précède que la cité des Éduens, forte de l’influence de ses notables, demeurait une cité puissante et prospère jusqu’au seuil des années 270. La hausse du taux d’argent constatée dans les émissions des antoniniens de Victorin frappés peu après le sac d’Autun pourrait traduire indirectement cette prospérité, puisque le métal utilisé, selon certains historiens, proviendrait des pillages des temples de la ville et de la région, dont les dépôts luxueux, constitués d’objets précieux, étaient le fruit d’une thésaurisation pluriséculaire29.
16Grâce à ses richesses matérielles, la cité disposait de moyens importants pour soutenir une révolte armée. Dion Cassius, pour évoquer Nicée et Nicomédie durant la guerre que se livrèrent Septime Sévère et Pescennius Niger, a inventé une belle formule. Il compare ces villes à des camps (τῶν πόλεων ὡς ἀπò στρατοπέδων), expression que l’on peut transposer à Autun lors du siège de 26930. De fait, protégée derrière ses quatre portes et d’épaisses murailles, défendue par sa population, par des gladiateurs (?)31, des vétérans32, des soldats détachés par Claude II ou son représentant Placidianus33, disposant d’armes prélevées dans les arsenaux situés sur son territoire34, Augustodunum devait ressembler à un camp retranché35.
17Ausone n’est pas le seul à témoigner des événements. Plusieurs panégyristes éduens fournissent des informations détaillées dans leurs discours prononcés entre 298 et 311.
18Dans le Panégyrique latin v(9), 4, 1, Eumène détaille ainsi les événements :
Ante omnia igitur, Vir Perfectissime, diuinae Imperatorum Caesarumque nostrorum prouidentiae singularique in nos beneuolentiae huius quoque operis instauratione parendum est, qui ciuitatem istam et olim fraterno populi Romani nomine gloriatam et tunc demum grauissima clade perculsam, cum latrocinio Batauicae rebellionis obsessa auxilium Romani principis inuocaret, non solum pro admiratione meritorum, sed etiam pro miseratione casuum attollere ac recreare uoluerunt ipsamque ruinarum eius magnitudinem immortalibus liberalitatis suae monimentis dignam iudicauerunt, ut tanto esset illustrior gloria restitutorum quanto ipsa moles restitutionis immanior36.
19Dans le Panégyrique latin viii(5), 4, 2-3, l’auteur reprend la description dans ses grandes lignes mais la complète avec des informations inédites :
2. Sed tamen si illa uetustate obsoleuerunt, quid haec recentia quae pueri uidimus? Attende, quaeso, quantum sit, imperator, quod diuum Claudium parentem tuum ad recuperandas Gallias primi sollicitauerunt exspectantesque eius auxilium septem mensibus clausi et omnia inopiae miseranda perpessi tum demum irrumpendas rebellibus Gallicanis portas reliquerunt, cum fessi obseruare non possent. 3. Quod si uobis et conatibus Aeduorum fortuna fauisset atque ille rei publicae restitutor implorantibus nobis subuenire potuisset, sine ullo detrimento Romanarum uirium, sine clade Catalaunica compendium pacis reconciliatis prouinciis attulisset fraternitas Aeduorum37.
20Les panégyristes ne s’attardent ni sur le siège ni sur la répression qui suivit, ce qui ne signifie pas pour autant que l’événement apparaissait mineur à leurs yeux. Les orateurs, contraints par les règles de la rhétorique, évitent en général de préciser le nom des usurpateurs ou de fournir des détails sur leur personnalité, préférant placer l’accent sur le bon empereur légitime, dont les actions méritent d’être chantées. Les actes de leurs concurrents, considérés comme des imposteurs, surtout s’ils ont été éliminés, sont dénigrés de manière systématique et évoqués de manière péjorative et allusive, comme des faits de brigandage qui les rabaissent au niveau de la troupe et justifient leur damnatio memoriae. Dans son œuvre poétique, écrite un siècle après les événements, Ausone n’était pas soumis à de telles contraintes, raison pour laquelle il est le seul auteur à citer Victorin par son nom et à mentionner la proscription.
21De ces trois témoignages, plusieurs informations importantes se dégagent. D’abord, la cité a indéniablement été touchée par le siège de sept mois38 marqué par la présence de troupes auxiliaires, des Bataves envoyés par Victorin (les désigner ainsi permet de surenchérir dans le dénigrement vis-à-vis de l’usurpateur, de souligner que ses troupes n’étaient composées que de barbares et non de Romains39), et la répression qui suivit, marquée par son cortège de pillages et de destructions (Panégyrique latin viii(5), 4, 2) : septem mensibus clausi et omnia inopiae miseranda perpessi tum demum irrumpendas rebellibus Gallicanis portas reliquerunt, cum fessi obseruare non possent40. La répression fut réelle et exemplaire, voulue par Victorin qui, après son accession au pouvoir marquée par l’assassinat de Marius, lui-même meurtrier de Postume, devait s’assurer la fidélité de la majorité des cités placées sous sa domination. Or, Autun, ville de fondation augustéenne, comptait parmi les plus importantes et les plus prestigieuses, et il fallait éviter que la révolte fît des émules. D’où la répression cruelle qui s’abattit sur les dirigeants de la cité : Inuidia set nimium generique opibusque superbis / aerumna incubuit. Namque auus et genitor / proscripti regnum cum Victorinus haberet. L’empereur gaulois en profita au passage pour confisquer les biens des notables et renflouer ses caisses41. On ne sait rien, en revanche, des mesures prises à l’encontre de la communauté civique dans son ensemble, mais il est possible – ce n’est qu’une hypothèse – que son territoire ait été en partie démantelé, comme ce fut peut-être le cas de la ciuitas Heracleotarum ou d’Orcistos42, ou encore de Byzance, d’Antioche, de Nicomédie, dégradées par Septime Sévère un siècle plus tôt en raison de leur soutien à Pescennius Niger43. Les violences alors commises à Autun résonnent dans les propos tenus par Eumène, enfant à l’époque des faits, qui parle d’une cité grauissima clade perculsa, ou encore d’Ausone, à travers l’expression mentionnée plus haut.
22Si la crise fut de courte durée et atteignit son paroxysme au cours de l’année 270, ses conséquences firent peser leurs effets pendant près d’une trentaine d’années, de 270 à 295-298, sans compter que, dans le même temps, la cité a pu subir les razzias de peuples barbares et souffrir du fardeau qu’impliquait l’entretien des armées impériales, présentes dans la région lors des campagnes menées sur le Rhin ou en Bretagne44. Aucune indication ne filtre non plus sur la pression fiscale pesant alors sur les cités des Trois Gaules45. C’est dire si, entre les années 270 et les années 290, l’incertitude la plus grande plane sur l’histoire de la cité des Éduens46. La seule assurance dont on dispose est qu’à partir de 269-270, la cité fut plongée dans une crise profonde et structurelle qui lui interdit de se rétablir par ses propres ressources. Le pouvoir impérial ne fut pas d’un grand secours, car ses priorités étaient ailleurs, dans la défense de l’Empire et la reconquête des provinces sécessionnistes. En 296, après la reconquête de la Bretagne par le César Constance Ier, les conditions de sa restauration étaient désormais réunies et d’importants moyens furent alors affectés à la reconstruction de la ville.
Le relèvement de la cité par Constance Ier
23Eumène, pour décrire l’œuvre de rétablissement des cités par les Tétrarques, a recours à une image suggestive, comparant cette éclosion de villes et de murailles à celle des blés sous l’effet bienfaisant du soleil47. En Gaule, d’après le témoignage des panégyristes, Constance Ier mena une politique active qui prit plusieurs formes. Elle consista, d’une part, à reconstruire des bâtiments civiques et des infrastructures urbaines détruites ou endommagés, d’autre part, à repeupler la cité, avec une attention particulière portée à l’ordo decurionum alors vidé de ses membres. Trois panégyriques évoquent cette intervention : les deux premiers sont contemporains de la restauration, alors que le dernier a été prononcé quinze ans après les événements, dans un contexte différent.
24Le témoignage du panégyriste anonyme de 297 (Panégyrique latin iv(8), 21, 1-2) est capital, car il livre des informations sur la première phase de cette politique de rétablissement :
1. Itaque sicuti pridem tuo, Diocletiane Auguste, iussu deserta Thraciae translatis incolis Asia compleuit, sicut postea tuo, Maximiane Auguste, nutu Neruiorum et Treuirorum arua iacentia Laetus postliminio restitutus et receptus in leges Francus excoluit, ita nunc per uictorias tuas, Constanti Caesar inuicte, quidquid infrequens Ambiano et Bellouaco et Tricassino solo Lingonicoque restabat, barbare cultore reuirescit. 2. Quin etiam illa, cuius nomine mihi peculiariter gratulandum, deuotissima uobis ciuitas Aeduorum ex hac Britannicae facultate uictoriae plurimos, quibus illae prouinciae redundabant, accepit artifices et nunc exstructione ueterum domorum et refectione operum publicorum et templorum instauratione consurgit. Nunc sibi redditum uetus illud Romanae fraternitatis nomen existimat, cum te rursus habeat conditorem48.
25Le passage, en dépit de sa brièveté, n’en demeure pas moins précis : les mots employés indiquent qu’il s’agit d’une politique en cours (nunc), qui consiste à d’abord repeupler les campagnes en y implantant des peuples ennemis vaincus, des lètes (laeti, terme défini plus loin), destinés à assurer le développement agricole de territoires désorganisés. L’orateur fait mention des campagnes des Nerviens et des Trévires, dont le relèvement fut entrepris du temps de Maximien seul, puis des territoires ruraux des Ambiens, des Bellovaques, des Tricasses, des Lingons et des Éduens, en pleine mutation au moment du discours49. La ciuitas Aeduorum bénéficia de la venue d’artifices, terme que l’on traduira à titre provisoire par « artisans », originaires de la province de Bretagne à peine reconquise. Ces artifices avaient pour tâche de restaurer et/ou de construire des maisons privées, des bâtiments publics, des temples.
26Un an après ce discours, Eumène détaille avec plus de précision encore la politique de reconstruction d’Autun qui demeure inachevée :
2. Itaque maximas pecunias et totum, si res poscat, aerarium non templis modo ac locis publicis reficiundis, sed etiam priuatis domibus indulgent, 3. Nec pecunias modo, sed etiam artifices transmarinos et ex amplissimis ordinibus prouinciarum incolas nouos et deuotissimarum hiberna legionum, quarum inuicta robora ne in his quidem quae nunc cum maxime gerunt bellis requirunt, ut commodis nostris studio gratiae hospitalis operentur et resides aquas et nouos amnes ueluti aridis fessae urbis uisceribus infundant50.
27Si la politique de repeuplement des campagnes par des barbares prisonniers n’est pas évoquée, Eumène rappelle en revanche plusieurs éléments attestés dans le discours de 297 : il mentionne l’envoi d’artifices transmarinos – les Bretons du Panégyrique latin iv(8) – et reprend la « typologie » des différentes constructions concernées par la politique impériale : les maisons privées, les bâtiments publics et les temples. Eumène emploie un vocabulaire précis et, outre les passages consacrés à la reconstruction des monuments urbains, il donne, avec une économie de mots remarquable, des informations nouvelles et précieuses. Il précise d’abord que l’aide n’est pas seulement humaine et technique mais financière : les empereurs versent à la cité des sommes importantes, prises sur l’aerarium, la caisse impériale. Le verbe employé pour décrire l’action est indulgere, qui peut revêtir un sens technique dont il sera question plus loin. Ensuite, Eumène ne place pas sur le même plan les trois types de constructions mentionnés. Le balancement non... modo..., sed etiam... marque une opposition forte entre les temples et les bâtiments publics d’une part, et les maisons privées d’autre part. Cette opposition, qui n’a rien d’un artifice rhétorique, témoigne d’un fait inhabituel, voire exceptionnel, aux yeux d’Eumène : dans la politique de restauration de sa cité, les empereurs se sont préoccupés de ce qui relevait en temps normal de la sphère privée ou municipale. Troisième point : Eumène précise que des troupes cantonnées à Autun participent à la reconstruction. Les soldats, dont le nombre n’est pas précisé – Eumène indique qu’ils sont détachés de « légions très dévouées » (deuotissimae) –, ont pour mission de remettre en état les infrastructures d’alimentation en eau de la ville. La métaphore employée est floue mais laisse deviner qu’il s’agissait d’aqueducs, de canalisations urbaines, de fontaines ou de thermes. Enfin, Eumène est témoin d’un volet fondamental de cette politique de restauration : la cité a été repeuplée, à l’initiative des empereurs, par de nouveaux habitants issus des élites municipales (ordines decurionum) les plus illustres des provinces : ex amplissimis ordinibus prouinciarum. Ces incolas nouos ne sont pas destinés à devenir de simples habitants, de simples dues, mais bien des notables, détachés de l’ordo de leur cité pour repeupler celui de la cité des Éduens.
28Avant d’expliquer en détail les différents éléments du rétablissement d’Autun mis en œuvre par les empereurs, un autre témoignage, celui du panégyriste anonyme de 311, permet de connaître, avec un recul d’une quinzaine d’années, ce que les habitants ont retenu de cette politique :
2, 5. ... et ante paucissimos annos, quod maxime praedicandum, plurima patris tui beneficia partim rebus effecta perceperunt, partim animo significata laetantur [...]. 4, 4. Ob haec igitur merita et prisca et recentia diuus pater tuus ciuitatem Aeduorum uoluit iacentem erigere perditamque recreare, non solum pecuniis ad caldaria largiendis et lauacris quae corruerant exstruendis, sed etiam metoecis undique transferendis, ut esset illa ciuitas prouinciarum uelut una mater, quae reliquas urbes quodammodo Romanas prima fecisset51.
29En 311, la politique engagée dans la décennie précédente gardait de son actualité, l’orateur sous-entendant même, non sans gêne, que l’œuvre de Constance demeurait inachevée bien qu’une grande partie des travaux eût été réalisée, charge à Constantin de prendre la relève de son divin père. L’auteur du discours rappelle à l’auditoire l’importance des sommes d’argent accordées mais limite sa description à la reconstruction des seuls bâtiments thermaux. Le repeuplement de la cité est aussi évoqué, sans qu’il soit question cependant de nouveaux habitants issus des meilleurs conseils des provinces de l’Empire. L’auteur désigne, par le terme de metoecis transposé du grec, de simples habitants. Dans le discours de 311, les informations données sont plus restreintes et simplifiées que celles fournies par les panégyristes précédents. Doit-on pour autant mettre en cause les témoignages de ces derniers ? Non, bien entendu, car il faut replacer le Panégyrique latin viii(5) dans son contexte et comprendre que chacun des mots prononcés par l’orateur est subordonné aux nécessités du contexte de son énonciation et à son but principal, appelé καιρός dans le vocabulaire technique des théoriciens de la rhétorique52.
30Le discours de 311 devait justifier et remercier Constantin d’une remise d’impôts et d’un privilège fiscal importants, en sa présence, entouré de ses conseillers, de sa cour et des légations venues de tous les territoires qu’il contrôlait. L’orateur devait faire preuve d’habileté en noircissant le tableau, pour mieux souligner en creux la faiblesse de sa cité et l’urgence de cette nouvelle aide, sans pour autant la réduire et la rendre indigne de l’aide impériale, ni trop mettre en exergue les avantages acquis par le passé. L’exercice demeurait périlleux, c’est pourquoi l’orateur évoque ces aspects du bout des lèvres, pour souligner la continuité des liens noués entre la cité et la gens Flauia (et sous-entendre que c’était un devoir filial pour Constantin d’aider la cité comme son père Constance et son ancêtre Claude l’avaient fait avant lui) et pour dresser un tableau détaillé des aides dont a bénéficié la cité durant quinze ans.
31Ces trois passages, chacun à leur manière, livrent un témoignage unique sur l’œuvre de reconstruction engagée par Constance Ier en Gaule après la pacification de l’Occident. Cette œuvre s’inscrivait dans une entreprise plus générale, à grande échelle, qui consistait à remettre en ordre et à réaffirmer l’unité impériale dans les provinces. La ciuitas Aeduorum, grâce au dossier des Panégyriques latins, offre un bon exemple, en Gaule, du rétablissement orchestré par les Tétrarques au lendemain de la « crise du iiie siècle ».
Les cadres juridiques de l’intervention impériale
32La reconstruction se justifie de deux façons : d’un point de vue institutionnel – fiscal ou juridique, pour être précis – et d’un point de vue idéologique, les deux aspects ne s’excluant pas mutuellement. Les cadres institutionnels de cette reconstruction sont révélateurs des actions conduites par les empereurs, actions qui ne furent ni spontanées ni menées selon leur bon vouloir : Dioclétien et ses collègues se conformèrent aux réglementations juridiques et aux coutumes en vigueur dans des dossiers comparables.
33Les arguments idéologiques, qui feront l’objet d’une analyse détaillée au chapitre 8, peuvent se résumer ainsi : aux yeux des orateurs, le rétablissement de leur communauté était un devoir pour les empereurs. Il relevait en quelque sorte de la « raison d’État », de l’intérêt général (ratio reipublicae) car :
la cité était l’une des plus importantes des Trois Gaules et devait par conséquent le demeurer ;
la cité avait été détruite par un usurpateur malgré sa fidélité à l’empereur de Rome, le seul légitime. Une fois l’unité rétablie, elle méritait plus que toute autre ciuitas une aide massive ;
il existait des liens personnels tissés avec les princes, au moins depuis Claude II. Ces relations ont pu se transformer en liens officiels de patronage, sans qu’il soit possible de le prouver de manière sûre (le point est discuté infra, au chapitre 10) ;
le rétablissement, enfin, relevait d’une préoccupation commune à tous les empereurs romains. Relever la ciuitas Aeduorum revenait à rétablir une cellule de base du pouvoir romain, dont la bonne santé demeurait nécessaire pour la survie de l’Empire puisque chaque disparition menaçait l’équilibre de l’édifice impérial et les valeurs civilisatrices qui lui étaient associées. Le poids de cette idéologie ne doit pas être négligé dans le contexte éduen53, surtout si l’on se souvient que le rétablissement fut accompli par un collègue de Dioclétien, grand réformateur et fondateur de l’Empire tardif54.
34Le principal intérêt de ces panégyriques réside dans la précision des termes employés par leurs auteurs pour décrire des procédures institutionnelles associées au chantier de reconstruction d’Autun. Il s’agit de mots techniques souvent relevés dans les sources juridiques et épigraphiques. De ce point de vue, le discours d’Eumène est un document aussi important et digne de foi qu’une « belle » inscription, et la rhétorique épidictique qu’il contient ne nuit pas à sa précision. Elle ne constitue un écran qu’aux yeux de ceux qui en méconnaîtraient les codes. Au contraire même, elle offre un apport d’informations non négligeable, car celles figurant sur une inscription sont résumées et simplifiées à l’extrême, alors que des discours comme celui d’Eumène les rapportent amplifiées et détaillées55.
35Dans la politique de rétablissement de la ville d’Autun entreprise au milieu des années 290, plusieurs volets peuvent être identifiés : apport d’une aide concrète (dons d’argent, reconstruction de bâtiments) ; envoi de spécialistes pour mener à bien cette reconstruction (des artifices, des soldats du génie) ; repeuplement de la communauté par un afflux de nouveaux habitants (recomposition de l’ordo, implantation d’hommes libres ou de barbares).
Premier moyen : attribuer des sommes reversées en temps normal au fisc – Panégyriques latins v(9) et viii(5)
36Les empereurs ont soutenu la ciuitas Aeduorum en finançant la reconstruction des bâtiments d’Autun. Le terme indulgere, employé dans les Panégyriques latins v(9) et viii(5), pose cependant des problèmes de traduction et soulève des questions sur les mécanismes du financement. Peut-on le traduire simplement, comme la majorité des commentateurs, par « donner » ? Cette solution simple en apparence est trompeuse, car elle laisse entendre que les empereurs ont octroyé des sommes prélevées dans la caisse centrale impériale, comme si la procédure consistait en un simple transfert de fonds, d’argent en espèces, depuis le lieu où était entreposée la somme dans le trésor impérial jusqu’à la cité des Éduens.
37Une autre interprétation peut être proposée, à condition de définir au préalable indulgere. Le sens commun de ce verbe renvoie à l’idée d’être bienveillant et indulgent à l’égard d’une personne, ce qui peut, dans un second temps, par glissement sémantique, signifier « choyer, accorder, concéder ». Indulgentia, terme de la même famille, renvoie au premier abord au champ lexical des vertus56. Mais il peut aussi avoir un sens technique, juridique et/ou fiscal. Jean-Michel Carrié, dans une contribution publiée en 1992, a bien souligné cette polysémie et cette multitude de recoupements sémantiques qui ne s’excluent pas nécessairement57. Il a démontré qu’indulgentia et indulgere, tout en gardant un signifié moral, se sont chargés d’un signifié juridique répandu dans certains contextes. Indulgentia désigne non seulement l’acte législatif, mais également le privilège attaché à la décision officielle. Pour préserver cette polysémie, il faudrait retraduire le passage : maximas pecunias et totum, si res poscat, aerarium [...] indulgent ainsi : « ils [les empereurs] octroient par un édit généreux de très grandes sommes d’argent et, si l’affaire l’exige, tout ce qui se trouve dans la caisse impériale ».
38En quoi consistait une indulgentia impériale de ce genre ? Était-ce une somme « en espèces » prélevée dans les caisses de l’État puis reversée directement à la cité ? Si l’on se réfère aux quelques cas attestés à l’époque impériale ainsi qu’aux travaux récents sur les finances municipales, ceux de Mireille Corbier en particulier, il y a de fortes chances pour que l’indulgentia accordée à la cité ait consisté en réalité en une réattribution, à l’échelon local, des prélèvements fiscaux dus à l’État58. Une opération blanche comptable qui satisfaisait, par sa simplicité, les différentes parties concernées. Du point de vue romain, les empereurs n’avaient qu’à promulguer un texte réglementaire dont les retombées symboliques pouvaient s’avérer avantageuses, puisque la procédure les faisait passer pour de généreux évergètes, sauveurs de la cité, alors qu’en réalité la somme remise demeurait marginale à l’échelle des finances générales de l’Empire. Du point de vue de la cité, la pression fiscale restait la même et continuait de peser sur le territoire rural au premier chef. Mais au moins, cette réattribution avait le mérite de réinjecter l’argent des prélèvements fiscaux dans le circuit économique local et d’augmenter les sommes disponibles pour la reconstruction des monuments du chef-lieu.
Deuxième moyen : reconstruire des demeures privées, des bâtiments publics et des temples – Panégyriques latins iv(8) et v(9)
39Tout au long de son discours, Eumène ne cesse d’employer des termes relevant du champ lexical de la construction ou de la restauration. En voici la liste, présentée sous la forme d’un tableau :
Vocabulaire concernant la restauration des écoles | restituere : § 2, 2 ; instaurare : § 3, 3 ; reformare : § 3, 4 ; instauratio : § 4, 1 ; reparare·. § 5, 1 ; reformare puis reparare sous la forme reparatus (les écoles étant désignées comme un sanctuaire) : § 8,3 ; constituere. § 9, 2 ; reparare·. § 9, 2 ; instaurare : § 9, 4 ; exstruire, collocare (par le fondateur) : § 9, 4 ; instaurare : 10, 3 ; restitutio : § 11, 3 ; consurgere (toits et murs des écoles) : § 15, 1 ; recolere et ornare perfecere : § 17, 4. |
Vocabulaire concernant la restauration de la cité, du monde | restitutio : § 3, 2 ; reparare (temples, monuments civiques) : § 3, 3 ; attollere ac recreare : § 4, 1 ; restitutio par un restitutor : § 4, 1 ; reficere (temples, bâtiments publics mais aussi les demeures privées) : § 4, 2 ; erigere atque animare : § 5, 1 instituere (autel, temple) : § 7, 1 ; facere (ex pecunia censoria fecit : temple d’Hercule et des Muses, situe près du circus Maminius) : 7, 2 ; consecrare (statues des neuf Muses d’Ambracie par Nobilior) : § 7, 3 ; restitutio (bâtiments de la cité) : § 16, 5 ; restitutio orbis (monde) : § 17, 5 ; instaurare (villes, par les Tétrarques) : § 18, 1 ; resurgere (murailles) : § 18, 4 ; recreare (toutes les choses) : § 19, 1 ; restituere (villes) : § 20, 2. |
40Dans ce discours, on compte ainsi 34 occurrences de ce genre59. Certains mots clés sont particulièrement mis en exergue, comme restaumre, instaurare ou restituere, et la palette déployée se révèle particulièrement riche, comme par exemple à propos du bâtiment des écoles décrit à différents moments de son existence, depuis le choix du lieu puis son érection par le fondateur (extruire, collocare), jusqu’à son délabrement au iiie siècle, sans oublier la restauration en cours. Eumène emploie ainsi consurgere pour caractériser la restauration des toits et des murs, reparare, instaurare, reformare pour décrire la réparation, ornare ou exornare pour évoquer les finitions.
41Ce vocabulaire reflète avec fidélité, de manière frappante, les formules qui figuraient à la même époque dans les textes des inscriptions commémorant des travaux publics. La comparaison montre qu’Eumène emploie des termes précis et adaptés aux différentes étapes de l’entreprise60. L’analyse de ces différents passages du discours ne laisse planer aucun doute : Augustodunum-Autun a bel et bien été restaurée à la fin du iiie siècle.
42Pour des affaires de construction, la distinction entre bâtiments publics et bâtiments privés apparaît dans plusieurs règlements du Digeste traitant de la liberté (ou non) de construire sans autorisation impériale61. La première catégorie relevait des autorités locales ou centrales, la seconde des propriétaires priuati (particuliers). L’État se réservait cependant le droit d’intervenir dans la construction des bâtiments privés dans des situations bien définies. On retrouve ainsi, mot pour mot, la distinction opérée dans le Panégyrique latin iv(8) et dans celui d’Eumène.
43Un texte juridique d’époque constantinienne (CTh, xv, 1, 3 de 326), repris par Julien en 362, rappelait que les temples, dans les affaires de reconstruction, devaient être traités en priorité62. En cas de travaux de rénovation, il fallait commencer d’abord par eux, avant d’entreprendre toute nouveauté. Cette loi éclaire la stratégie argumentative adoptée par Eumène pour convaincre le Vir perfectissimus de la nécessité de reconstruire les écoles d’Autun, dont le bâtiment ne figurait pas sur la liste des chantiers prioritaires : la cité était affaiblie, d’autres bâtiments indispensables à la vie civique devaient être relevés en priorité. Enfin, les écoles continuaient de fonctionner sans espace propre, dans des demeures privées (inter priuatos parietes). En assimilant sans cesse les écoles, par leur fonction et leur situation, à un édifice sacré, Eumène exerçait une pression subtile sur le gouverneur qui connaissait la législation en ce domaine63. À une époque où l’une des vertus cardinales était la pietas, il paraissait difficile de ne pas s’y conformer.
44Par conséquent, il existait une hiérarchie, en droit, qui fixait des priorités dans la réfection des monuments civiques et qui limitait l’aide impériale à certains d’entre eux. Il s’agissait, la plupart du temps, des bâtiments indispensables à la vie municipale, distinguant la simple bourgade d’un caput ciuitatis digne de ce rang. Ces bâtiments fonctionnels et conformes à une conception particulière de la civilisation urbaine, appelés ornamenta de la cité, incarnaient dans la pierre l’identité de communauté civique et constituaient, pour cette raison, une source de fierté64. Augustodunum, à titre exceptionnel, bénéficia non seulement d’une aide impériale massive pour rétablir ses ornamenta, mais également de subsides pour les travaux de demeures privées65.
45Ainsi, par cette relecture du témoignage d’Eumène, se précisent des éléments importants de la topographie autunoise, en particulier les espaces du centre monumental, premiers concernés par la politique de restauration impériale.
Troisième moyen : faire venir des artifices de Bretagne – Panégyriques latins iv(8) et v(9)
46Le troisième volet de cette politique consista à envoyer des artisans originaires de provinces transmarinas, parfois interprétés comme des artisans syriens66, bien que le Panégyrique latin iv(8) précise sans ambiguïté qu’il s’agissait de Bretons, dont la province venait d’être reconquise par Constance Ier. Plutôt que de s’attarder sur l’origine géographique de ces artisans, mieux vaut s’interroger sur les raisons de leur présence à Autun. Pourquoi les empereurs ont-ils jugé utile d’envoyer loin de chez eux ces fameux « artisans » pour effectuer des travaux dans le centre de la Gaule ?
47Le terme d’artifex qui les qualifie semble neutre67, et les commentateurs de l’extrait suggèrent qu’il pourrait s’agir d’une main-d’œuvre abondante, bien qu’il s’agisse d’une extrapolation. Une autre interprétation mériterait d’être creusée : pourquoi ne pas considérer ces artifices comme une main-d’œuvre spécialisée ? En effet, les spécialistes des métiers du bâtiment devaient faire défaut en Gaule, à un moment où l’importance des besoins de reconstruction devait dépasser les capacités de la main d’œuvre locale en raison des destructions ou du défaut d’entretien des bâtiments durant le dernier tiers du iiie siècle. Cette explication permettrait de mieux justifier la présence d’artisans bretons, dont la patrie d’origine avait été relativement épargnée par les grandes incursions des Alamans ou des Francs.
48Sur la question des artifices mobilisés par l’État, le seul parallèle notable se trouve dans la correspondance officielle de Pline le Jeune avec Trajan. Artifex au sens d’« artisan qualifié », voire d’« entrepreneur », apparaît chez cet auteur lorsqu’il demande à l’empereur de lui envoyer des techniciens spécialisés – ingénieurs (mensores), géomètres spécialistes des aqueducs (aquileges), architectes (architectes), niveleurs (lihratores)68. Dans le cadre des travaux préparatoires du canal du lac de Nicomédie, Pline sollicite l’envoi d’un niveleur, requête acceptée par l’empereur qui en fournit un, tout en signalant à son interlocuteur que les provinces orientales n’en manquent pas : neque prouinciae istae his artificibus carent69. Artifex désigne alors, dans ce contexte, un spécialiste qualifié. Toujours dans le cadre de cette entreprise démesurée, Pline sollicita l’envoi d’un expert pour vérifier si le lac ne se déverserait pas dans la mer au cas où un canal de liaison serait creusé entre les deux étendues d’eau. Pline rapporte dans sa lettre l’opinion des artifices de la région, selon lesquels le lac se trouvait à dix coudées au-dessus du niveau de la mer70. Les artifices en question ne pouvaient pas être de simples maçons ni des artisans locaux : ils formaient un groupe d’individus éclairés, très certainement des techniciens.
49L’emploi à Autun d’artifices transmarinos, c’est-à-dire d’entrepreneurs et d’artisans spécialisés, fut rendu nécessaire par la pénurie de main-d’œuvre spécialisée qui touchait les Gaules vers 298, bien attestée durant le ive siècle grâce à des textes conservés dans le Code Thédosien, de même qu’elle avait pu être constatée durant le Haut-Empire dans un autre contexte, celui de la fièvre édilitaire que connaissait la Bithynie sous Trajan. Les raisons de cette pénurie au ive siècle résultaient soit d’une explosion de la demande, soit d’une offre limitée par le faible nombre d’artisans, du fait que le métier n’était pas assez valorisé ou trop imposé sur ses bénéfices71. Les deux raisons se valent, selon les provinces ou selon les époques. Les empereurs du Bas-Empire cherchèrent à corriger cette pénurie en donnant plus de dignitas accompagnée de privilèges à ceux qui s’engageaient dans des métiers rares et acceptaient de transmettre leur savoir-faire72.
Quatrième moyen : envoyer des détachements de soldats et des ingénieurs militaires remettre en état les infrastructures liées à l’eau – Panégyriques latins v(9) et viii(5)
50Le quatrième moyen mis en œuvre dans cette politique de rétablissement concerne l’affectation de soldats à des tâches civiles précises. Les militaires pouvaient en effet, sous certaines conditions et sous contrôle strict des autorités civiles – gouverneur ou empereur73 –, prêter main-forte aux habitants des cités pour la reconstruction de bâtiments. Le phénomène, bien attesté par des témoignages épigraphiques et juridiques, a fait l’objet d’un renouveau important depuis une vingtaine d’années74.
51À Autun, les détachements légionnaires mentionnés ont certes pu être utilisés comme une simple main-d’œuvre, bien que la chose paraisse peu probable. Les actions menées par les soldats ne sont évoquées dans les discours qu’à une seule reprise et dans un cadre précis, celui de la réfection des infrastructures liées aux usages de l’eau. Dans le discours de 311 sont mentionnés des édifices thermaux, rétablis à cette date, mais sans autre précision75. Or, de tels travaux impliquaient de bonnes connaissances en ingénierie, et les spécialistes de l’armée, le génie en d’autres termes, étaient fréquemment mis à contribution : la pratique, tant pour la construction d’aqueducs que de thermes, fut courante durant le Haut-Empire76. Les militaires mentionnés dans le discours d’Eumène étaient donc des spécialistes chargés de remettre en état le réseau complexe d’aqueducs, de conduites d’eau et d’égouts de la ville d’Augustodunum77, ainsi que toutes les infrastructures qui leur étaient liées, fontaines et thermes au premier plan. À ces spécialistes furent associés des soldats qui prenaient leurs quartiers d’hiver à Autun.
52Les infrastructures liées à l’eau étaient fragiles et résistaient mal aux attaques du temps, surtout faute d’entretien régulier. Elles demeuraient cependant vitales au bon développement de la vie urbaine. À Autun, il y a de fortes chances pour qu’elles aient souffert du siège de 270, bien qu’aucune découverte archéologique ne permette pour l’instant de l’affirmer.
Cinquième moyen : repeupler la cité et l’ordo decurionum – Panégyriques latins v(9) et viii(5)
53Le terme ordo, associé à l’adjectif amplissimus dans l’expression ex amplissimis ordinibus prouinciarum, se traduit, sans ambiguïté, par « conseil municipal de la cité » (ordo decurionum). Dans son discours, Eumène évoque l’intervention directe des empereurs non pour repeupler la cité en général mais bien le conseil lui-même78. La procédure est mal attestée dans les sources. Au ive siècle, deux exemples sont recensés. Néanmoins, la procédure consistait à créer un nouveau conseil ex nihilo et non à reconstituer les forces d’un ordo affaibli79.
54Parce qu’elle touchait à l’ordre et aux équilibres sociaux des cités, cette intervention était du ressort exclusif de l’empereur80. La législation impériale et certains témoignages épigraphiques précisent que, même dans le cas d’une cité modeste, pour que l’ordo fût complet et digne d’une ciuitas à part entière il fallait que le nombre de décurions atteignît au moins le seuil de cinquante membres, et plus encore dans les grandes cités81. À Autun, en cette fin du iiie siècle, le chiffre ne semblait pas atteint, et le problème n’était pas simplement quantitatif. Les empereurs ont ressenti le besoin de repeupler l’ordo avec des décurions issus des conseils des meilleures cités des provinces, précise Eumène.
55Partant de l’exemple des aïeux d’Ausone, il apparaît que les dirigeants de la cité ont été les premières victimes de la proscription de Victorin, pour des raisons évidentes. Ces punitions collectives entraînaient une répression contre les décurions et s’accompagnaient parfois de mesures d’humiliation et de déclassement. Or, dans le contexte de rétablissement engagé par Constance Ier, la cité devait disposer de représentants compétents, influents et solvables pour faire face aux dépenses, pour servir d’interlocuteurs fiables au pouvoir impérial afin de relayer, à l’échelon local, les décisions prises au sommet de l’État. La nomination d’Eumène à la tête des écoles participait de cette politique volontariste. Par ailleurs, plusieurs indices montrent que certains notables ont réussi à maintenir leurs niveaux de richesse et d’influence sur la cité, pour des raisons difficiles à expliquer : c’est le cas de Glaucus, dont la personnalité est analysée au chapitre 6. Dans ces conditions, les empereurs ont été contraints de repeupler le conseil de la cité à l’aide de décurions prélevés dans les communautés voisines. Les liens étroits entretenus par les Éduens avec d’autres communautés durant le Haut-Empire, associés au prestige exercé par cette cité, ont dû favoriser la procédure de recrutement.
56Rien d’étonnant, donc, à ce qu’Eumène évoque ces questions en présence du gouverneur, puisqu’il revenait à ce dernier, en sa qualité de représentant de l’empereur, de vérifier le bon fonctionnement des curies et de signaler les abus éventuels. Ce contrôle n’empêchait pas pour autant les cités de s’auto-administrer ni de se charger du recensement périodique, dans l’album, des membres de l’ordo82.
57Les sources d’époque tétrarchique et constantinienne soulignent l’attention portée par les princes au sort des décurions. Ce souci de bien pourvoir les curies était guidé avant tout par la mise en place des grandes réformes, celles du découpage provincial et de la fiscalité au premier chef. L’homogénéisation du statut des cités, en abolissant les multiples privilèges et franchises civiques, permettait un contrôle accru et plus systématique de l’État sur les curiales et les finances municipales83. Elle limitait également la compétition ruineuse à laquelle s’étaient livrés les notables des iie et iiie siècles pour l’obtention (ou le maintien) de titres, de privilèges et, plus généralement, d’une forme de prééminence. Dans le cas du dossier éduen, la politique bienveillante menée à l’égard des décurions ainsi que l’octroi du statut de ciuitas accordé à des communautés compensaient ces restrictions. Dans le même temps, l’État s’assurait du maintien d’un groupe indispensable à son fonctionnement et à sa survie, chargé de la gestion locale et des prélèvements fiscaux84.
58Sur ce point précis, le témoignage du panégyriste de 311 tranche avec celui d’Eumène, puisque l’Anonyme précise qu’Autun a été repeuplée par un apport de nouveaux habitants (incolae). Le terme revêt un sens juridique et livre un indice sur le statut de ces nouveaux habitants : simples colons venus d’autres cités, ils furent déplacés et installés là pour compenser, semble-t-il, les pertes démographiques liées aux troubles du iiie siècle85. Le phénomène n’est ni original ni nouveau : il est attesté au ier siècle à Volubilis86, après les révoltes qui suivirent l’annexion de la Tingitane, ainsi qu’en Campanie au lendemain de l’éruption du Vésuve de 79 de notre ère87.
Sixième moyen : transférer des populations barbares – Panégyrique latin iv(8)
59À la fin du iiie siècle, la politique d’implantation de barbares dans l’Empire n’a rien d’original si ce n’est son ampleur et son intensité, généralisées et systématisées par Dioclétien et ses collègues.
60Le Panégyrique latin iv(8) livre des informations de premier ordre sur cette politique. Son auteur, de manière incidente au fil de son propos, présente trois cas de figures possibles : celui des barbares prisonniers, Chamaves et Frisons, enchaînés sous des portiques et devenus pour certains les colons de propriétaires terriens (§ 9,1-4) ; celui des lètes (laeti) rétablis dans l’imperium sur les territoires des Nerviens et des Trévires (§ 21, 1 : Laetus postliminio restitutus) ; celui des Francs, enfin, recepti in leges, passés sous la tutelle des lois romaines (toujours au § 21, 1 : Laetus postliminio restitutus et receptus in leges Francus).
61Dans un récent article, Yves Modéran a analysé ce phénomène d’implantation des barbares dans l’Empire tardif, en distinguant avec précision leurs modalités d’installation ainsi que le statut juridique individuel ou collectif qui en découlait. Si l’on suit ses analyses, les Chamaves et Frisons enchaînés sous des portiques devaient être des prisonniers de guerre, des pérégrins déditices ayant reçu le statut de colons (ius colonatus) de grands propriétaires à titre individuel88. Il est plus difficile, en revanche, de cerner le statut des barbares francs recepti in leges. À la différence des précédents, ils semblent disposer d’une position originale en raison d’une implantation collective. Mais il paraît difficile, en l’état de la documentation, d’en dire plus. Yves Modéran défend néanmoins l’hypothèse d’une installation en groupe suivie de lotissements individuels, que pourrait illustrer le fameux médaillon de Lyon, épreuve de plomb d’un multiple d’or découverte dans la Saône à plusieurs kilomètres en amont de Lyon89. Reste la question des lètes90, dont voici la définition proposée par Jean-Michel Carrié dans une récente synthèse : « Lètes (laeti, d’une racine germanique du type lassen) : groupes de cultivateurs barbares auxquels est concédée une portion de sol impérial, à charge pour eux de fournir des recrues (qualifiées d’auxiliarii) combattant dans des unités sous commandement romain91. » Dans cette perspective, les lètes seraient des barbares défaits militairement par Rome, ayant conclu un traité d’installation avantageux mais inférieur à celui des foederati de la fin du ive siècle car plus contraignant92. Cette définition correspond bien à la réalité historique des lètes mentionnés par les auteurs de la fin du IVe siècle, mais pas à ceux décrits dans le Panégyrique latin iv(7). Ces derniers lètes doivent être examinés indépendamment, comme une première vague d’implantation de populations de ce type93. Dans la perspective ainsi tracée, en analysant les termes précis employés par l’auteur anonyme du discours (laetus postliminio restitutus, littéralement « le lète [sans majuscule] rétabli dans ses frontières », sous-entendu « antérieures »), il faut envisager, avec Yves Modéran, que cette première vague de lètes se composait très certainement de provinciaux capturés, libérés à la suite de victoires romaines en territoires ennemis, puis réinstallés dans l’Empire dans des conditions particulières. Sur ce point, selon toute vraisemblance, les espaces d’implantation de ces populations devenaient des terres létiques, c’est-à-dire des terres octroyées en échange d’une astreinte militaire qui consistait en l’envoi d’unités militaires spécifiques placées sous le commandement d’un praepositus94. La proposition d’Yves Modéran peut certes prêter aux critiques mais, fondée sur une lecture stricte de l’extrait du Panégyrique latin iv(7), elle n’en demeure pas moins la plus convaincante pour comprendre le phénomène des lètes à haute époque.
62Pour en revenir aux Éduens, d’un point de vue politique, l’implantation pragmatique de barbares offrait une solution astucieuse et bien adaptée aux problèmes rencontrés par les habitants de la cité, preuve de l’attention des dirigeants à l’égard de leurs administrés. Cette politique possédait le triple avantage de garantir une bonne occupation des territoires, d’apporter des solutions de recrutement en troupes auxiliaires et, pour les habitants des cités, d’assurer une main-d’œuvre suffisante pour la mise en valeur des terrains agricoles. En dernier lieu, argument de poids, cette politique garantissait la levée de prélèvements fiscaux à des niveaux convenables, compensant les effets désastreux engendrés par le phénomène des agri deserti.
63Le dossier de la restauration de la ciuitas Aeduorum demeure exceptionnel par la richesse et la précision des informations qu’il contient sur la vie quotidienne d’une cité gallo-romaine de la fin du iiie siècle, d’autant que de récentes découvertes archéologiques apportent un nouveau relief aux informations contenues dans les textes.
64Le rétablissement du caput ciuitatis fut décidé par les Tétrarques, dans le cadre d’une politique de restauration générale de l’Empire (restitutio imperii). Les cités situées dans les Trois Gaules et les Germantes (secteur correspondant de manière approximative aux limites du diocèse des Gaules créé au plus tard au milieu de l’année 314), les plus touchées par les incursions barbares et les passages de troupes durant la crise du iiie siècle, bénéficièrent en priorité de cette politique.
65La restauration de la ciuitas Aeduorum prit plusieurs formes et concerna divers domaines, tels le repeuplement des campagnes et de la curie, l’assainissement des finances, la reconstruction des infrastructures urbaines et des ornamenta ciuitatis. L’entreprise fut menée selon la coutume et les règles juridiques héritées des pratiques administratives du Haut-Empire. À Augustodunum, les princes firent preuve d’un grand volontarisme, comme l’attestent les expressions employées par Eumène pour décrire leurs actions : Dioclétien et ses collègues uoluerunt, statuerunt, iudicauerunt (§ 4 et 5). Ces verbes revêtent dans ce contexte un sens juridique précis, puisqu’ils signifient que les volontés des empereurs (uoluerunt, iussserunt)95, prononcées avec fermeté et établies par écrit (statuerunt)96, avaient force de loi, leur application étant soumise à leur propre jugement (iudicauerunt)97. Les difficultés traversées par la cité justifiaient cette politique active de relèvement, associée à d’autres motivations plus idéologiques.
66Les « frères des Romains », fidèles à Claude II malgré les risques encourus, méritaient en priorité de recevoir des compensations après les malheurs qui s’étaient abattus sur eux. Par ailleurs, restaurer Augustodunum donnait au tétrarque Constance l’occasion d’emboîter le pas à Auguste et d’accroître sa popularité auprès des populations locales en se présentant comme un nouveau fondateur.
67La restauration d’Autun fut-elle un mythe, comme l’a affirmé Alain Rebourg98 ? Les discours d’Eumène et de ses pairs contiennent assez d’informations fiables, concordant avec d’autres témoignages, pour contredire l’idée que cette restauration n’aurait été qu’une proclamation vaine, énoncée par des agents de la propagande impériale. Le discours d’éloge, malgré ses travers (amplification, schématisation, omission), reflète avec une grande fidélité la réalité historique et confirme le témoignage d’Aurelius Victor qui affirmait que, sous la Tétrarchie :
Rome fut merveilleusement embellie de monuments nouveaux et décorée avec art, ainsi que les autres villes de l’Empire, surtout Carthage, Milan et Nicomédie99.
68Les découvertes récentes effectuées à Autun grâce aux progrès spectaculaires accomplis dans le domaine des méthodes archéologiques confortent le témoignage des Panégyriques latins. La thèse de Michel Kasprzyk, inédite mais citée à de nombreuses reprises dans ce chapitre, offre une vision nuancée des transformations d’Augustodunum entre le Haut et le Bas-Empire. En substance, si, à la fin du iiie siècle, l’auteur constate une rétraction urbaine dans de nombreux îlots d’habitation ou d’artisanat, il relève dans le même temps un phénomène de monumentalisation prononcé qui concerne aussi bien les espaces publics tel le cardo, alors pavé et flanqué de portiques imposants, que les espaces privés, comme la maison aux stucs ou certaines salles de la maison de Balbus Iasus. Ces chantiers sont datés sans conteste, grâce à la céramique et à d’autres marqueurs chronologiques, de la fin du iiie ou du début du ive siècle. De cette confrontation des témoignages écrits et matériels ressortent plusieurs recoupements intéressants qui prouvent que la ville d’Autun, si elle gardait sa parure monumentale du Haut-Empire, demeurait vers l’an 300 une ville différente, remodelée certes, mais pas en déclin.
69En conséquence, contre l’avis du regretté Alain Rebourg et avec Michel Kasprzyk100, il paraît nécessaire de renoncer à l’idée d’un mythe de la reconstruction d’Augustodunum sous la Tétrarchie : Autun, restaurée et rétablie par Dioclétien et ses collègues, a acquis une physionomie nouvelle à l’orée du ive siècle.
Notes de bas de page
1 Sur la conclusion de cette alliance avec Rome, que la tradition fixe peu avant 123 avant notre ère, avant la guerre des Éduens contre les Allobroges et les Arvernes (Flor., iii, 2), voir l’analyse détaillée proposée infra, au chapitre 9.
2 Depuis l’ouvrage pionnier de Goudineau, Peyre, Bibracte et les Éduens, la recherche archéologique sur le site de Bibracte, actuel mont Beuvray, a progressé de manière spectaculaire. Sur les découvertes récentes effectuées sur le site de l’oppidum : C. Gruel, D. Vitali et alii, « L’oppidum de Bibracte. Un bilan de onze années de recherches (1984-1996) », Gallia, 55 (1998), p. 1-140 ; V. Guichard, « Un aperçu des acquis récents des recherches sur l’oppidum de Bibracte (1997-2002) », RAE, 52 (2003), p. 45-90 ; id., « Chronique des recherches sur le Mont Beuvray, 2003-2005 », RAE, 56 (2007), p. 127-152 ; articles auxquels il faut ajouter la série Bibracte–Centre archéologique européen. Rapport d’activité, Glux-en-Glenne, parution annuelle depuis 2000, et Szabó, « La basilique de Bibracte », p. 389-408. Sur les monnaies de Bibracte : K. Gruel, L. Popovitch, Les monnaies gauloises et romaines de l’oppidum de Bibracte, Glux-en-Glenne, 2007 (coll. Bibracte, 13). Sur le commerce à Bibracte : F. Olmer, Le commerce du vin chez les Éduens d’après les timbres d’amphores. Catalogue des timbres de Bibracte 1984-1998. Catalogue des timbres de Bourgogne, Glux-en-Glenne, 2007 (coll. Bibracte, 7) ; O. Buchsenschutz, « Les Celtes et la formation de l’Empire romain », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 59-2 (mars-avril 2004), p. 337-362. Sur les transformations des élites éduennes entre la Tène finale et le début de l’Empire : Hostein, « D’Eporedirix à Iulius Calenus », p. 49-80.
3 Sur Lyon, lire les travaux coordonnés ou écrits par Armand Desbat : Lugdunum. Naissance d’une capitale et « Nouvelles données sur les origines de Lyon et sur les premiers temps de la colonie de Lugdunum », dans Simulacra Romae, p. 201-221.
4 Sur les Rèmes : S. Fichtl, « Des capitales de cités gauloises aux chefs-lieux de province : le cas de Reims-Durocorturum », dans Simulacra Romae, p. 296-306.
5 Sur les Arvernes, parmi les nombreux travaux de Mathieu Poux, on citera « Le sanctuaire arverne de Corent », dans Religion et société en Gaule, Goudineau C. dir., Paris, 2006, p. 116-137, et Poux M., Demierre M., Garcia M., Gratuze B., Gruel K., Guichon R., Nieto-Pelletier S., « Paire de fibules en or du 1er s. av. J.-C. Autour d’une découverte de l’oppidum de Corent », Gallia, 64 (2007), p. 191-225.
6 C. Goudineau, « Postface », dans Lugdunum. Naissance d’une capitale, p. 180.
7 Sur l’épisode relatif à Diviciac, voir l’analyse originale et stimulante de Verger, « Le bouclier de Diviciac », p. 333-369, et les commentaires formulés infra, au chapitre 9.
8 Caes., BG, i, 45. Sur ces questions : C. Goudineau, César et la Gaule, Paris, 1990 [réédité au Seuil, coll. Points, 2000].
9 Sur la notion d’oppidum celte, un état de la question clair et synthétique se trouve dans O. Buchsenschutz, art. cit., p. 345-349. Lire également S. Fichtl, La ville celtique : les oppida de 150 av. à 15 apr. J.-C., Paris, 2005 ; id., Les peuples gaulois, iiie-ier s. av. J.-C., Paris, 2004.
10 Sur le statut des oppida gaulois, voir l’analyse critique proposée par J.-C. Béal, « Bibracte-Autun, ou le “transfert de capitale” : lieu-commun et réalités archéologiques », Latomus, 55 (1996), p. 339-367, désormais remise en cause par des découvertes récentes. Pour Bibracte, le débat est relancé par la découverte d’une « basilique » élaborée sur des modèles italiens, en fonction des années 40 aux années 20 avant notre ère : Szabó, art. cit., p. 389-408. Pour un panorama rapide des événements de cette période mal connue de l’histoire des Gaules : J.-M. Roddaz, « La Gaule de César à Auguste », dans Lugdunum. Naissance d’une capitale, p. 29-38.
11 Si la ville fut créée ex nihilo, ce ne fut pas cependant sur un terrain absolument vierge. Le site était déjà un carrefour (commercial ?) important, où s’était peut-être implanté un sanctuaire indigène : voir les hypothèses de Rebourg, « L’urbanisme d’Augustodunum », p. 214.
12 Voir infra, les commentaires du chapitre 10.
13 Consulter sur la question le plan d’Autun présenté page suivante (fig. 1), emprunté au travail inédit de Michel Kasprzyk. On trouvera une présentation du centre monumental de la ville à l’époque augustéenne dans Rebourg, art. cit., p. 180-186, et dans Rebourg, Goudineau, Autun antique, p. 64-67.
14 Liv., Per., cxxxix, 2. Pour une nouvelle lecture de l’épisode, voir infra, chapitre 10.
15 Sur Iulius Sacrouir : Tac., An., iii, 40-46. Sur les privilèges accordés par Claude aux Éduens : Tac., Αn., xi, 25, et l’étude de P. Fabia, La table claudienne de Lyon, Lyon, 1929. Sur Vindex enfin : Tac., H., i, 8, 51-54 et 2, 61.
16 On trouvera chez Frézouls, Autun, p. 57-122, une liste des sources sur l’histoire de la cité, un bref rappel historique (p. 164-166), ainsi que quelques éléments utiles sur la géographie (p. 123-126). Les meilleurs plans et cartes publiés se trouvent dans Rebourg, art. cit., et Chardron-Picault, Pernot, Un quartier d’artisanat. Pour un état des lieux de la recherche sur Autun antique, en plus du catalogue d’exposition Autun-Augtistodunum coordonné par Mathieu Pinette et Alain Rebourg en 1985, on consultera le volume consacré à la ville dans Dossiers d’archéologie, 316 (2006), ainsi que le catalogue de l’exposition autunoise de 2007 coordonné par la regrettée Pascale Chardron-Picault : Hommes de feu, hommes du feu. L’artisanat en pays éduen.
17 Rebourg, art. cit., p. 214-220.
18 CIL, xiii, 2658 et 2661, présentées en détail par Rebourg, art. cit., p. 219.
19 L’exemple le plus éclatant de la richesse des demeures privées à ces époques est assurément la fameuse maison dite « des Poètes », ainsi baptisée en raison de la mosaïque qui en décorait l’une des salles principales : M. Blanchard-Lemée, A. Blanchard, P. Chardron-Picault, « Ateliers de mosaïstes à Autun », dans Hommes de feu, hommes du feu. L’artisanat en pays éduen, p. 178-183 ; A. Blanchard, M. Blanchard-Lemée, P. Chardron-Picault, « Art et culture dans la capitale des Éduens. L’exemple de la mosaïque des Auteurs grecs », Dossiers d’archéologie, 316 (2006), p. 70-75.
20 Sur la maison des stucs, mise au jour récemment et interprétée comme un véritable palais construit autour des années 300 : P. Bet, « Le site gallo-romain du nouvel Hôpital d’Autun », Dossiers d’archéologie, 316 (2006), p. 78-85 ; J. Boislève, C. Allonsius, « Un exceptionnel décor de stucs », ibid., p. 86-88 ; P. Bet, J. Boislève, « Un palais du Bas-Empire sur le site du ‘nouvel hôpital’ d’Autun », dans Hommes de feu, hommes du feu. L’artisanat en pays éduen, p. 184-195. La datation proposée, vers 300, n’est cependant pas complètement assurée, en raison du contexte archéologique perturbé dans lequel l’ensemble a été trouvé, une couche de remblais.
21 Cette opulence se lit à travers la richesse et le luxe déployés par les élites locales dans l’ostentation architecturale des demeures privées et des bâtiments publics. À Autun, plus qu’ailleurs en Gaule, les archéologues ont mis au jour des roches décoratives en abondance, en provenance de tout l’Empire : porphyre égyptien, marbre de Chemtou, etc. Ces roches décoratives ont fait l’objet d’études par P. Chardron-Picault : A. Rebourg, A. Olivier, L’œuvre au noir. L’emploi du schiste à Augustodunum, Autun, 1996 ; Les roches décoratives dans l’architecture antique et du haut Moyen Âge, Chardron-Picault P, Lorenz R, Rat P., Sauron G. éd., Autun, 2004 ; A. et R Blanc, « Augustodunum. Les roches de construction et les roches décoratives », Dossiers d’archéologie, 316 (2006), p. 38-43 ; P. Chardron-Picault, « L’architecture décorative : les déchets des roches décoratives dans le quartier artisanal du ‘Lycée Militaire’ », dans Hommes de feu, hommes du feu. L’artisanat en pays éduen, p. 138-165. Sur le luxe et l’ostentation dans la société éduenne, voir Autour du trésor de Mâcon, Mâcon, 2007.
22 Pour un panorama actualisé des mutations urbaines d’Autun à travers l’archéologie dans le dernier tiers du iiie siècle : Kasprzyk, Les cités des Éduens et de Châlon, 1-a, p. 137 et suiv., p. 158 et suiv., ainsi que les réflexions conclusives, p. 355, 369 et suiv.
23 La chronologie des événements des années 269-270 ainsi que la date du siège d’Autun ont été particulièrement discutées. On lira Le Gentilhomme, « Le désastre d’Autun » (même s’il commet une erreur en datant la prise de la cité de la fin de l’année 269) ; Demougeot, « Autun et les invasions », p. 137 ; König, Die gallischen Usurpatoren, p. 148-152 ; Drinkwater, The Gallic Empire, p. 106 et 178 (l’auteur place l’événement, sans vraiment convaincre, dans les premiers temps du règne de Tétricus, début 271) ; Peachin, Roman Impérial Titulature, p. 100 et 485-489 (liste des sources sur Victorin) ; Kienast, Römische Kaisertabelle, p. 246.
24 Le personnage clé de l’offensive lancée par Claude II est Iulius Placidianus. Il est connu par deux inscriptions, l’une découverte à Grenoble (CIL, xii, 2228 = ILN, 5-2, 365 ; Grenoble, no 15), l’autre à Vif, en Isère (CIL, xii, 1551). Préfet des vigiles de Claude II, il commandait des détachements de cavalerie et des vexillations de légionnaires. Les inscriptions mentionnées constituent des jalons intéressants pour suivre son avancée dans la reconquête des territoires contrôlés par les empereurs « gaulois ». On peut également mettre en relation avec les opérations militaires menées par ce personnage plusieurs milliaires dédiés à Claude II, mis au jour dans ce secteur de la Narbonnaise (CIL, xvii-2, 149 [référencé auparavant CIL, xii, 5547], découvert à Vienne, de lecture incertaine, attribué à Claude ou à Probus, et CIL, xvii-2, 159, découvert dans la Drôme, à Saint-Didier-de-Chapy). La réussite de cette expédition se lit dans la promotion ultérieure de Iulius Placidianus, fait préfet du prétoire puis adlecté dans l’ordre sénatorial (en 273-274 au plus tard). Parmi les nombreux travaux consacrés au personnage, on retiendra les notices de la PIR2, i, 468 et de la PLRE, i, Placidianus 2, p. 704. Lire aussi H.-G. Pflaum, Les fastes de la province de Narbonnaise, Paris, 1978 (Suppl. Gallia, 30), p. 191-193 ; M. Christol, Essai sur l’évolution des carrières sénatoriales dans la 2e moitié du iiie s. apr. J.-C., Paris, 1986, p. 113, n. 86-88 ; R. Sablayrolles, Libertinus Miles. Les cohortes des vigiles, Rome, 1996 (CÉFR, 224), en particulier p. 516-517 ; en dernier lieu, B. Rossignol, « De Rome à Grenoble : les Feux Éternels et Iulius Placidianus (CIL, xii, 2218 ; ILN, v-2, 365 ; CIL, xii, 1551) », CCG, 19 (2008), p. 311-312. L’épisode a fait couler beaucoup d’encre. Voir l’analyse synthétique de Demougeot, « Autun et les invasions », p. 134-136, 138, qui approfondit les hypothèses de König, Die gallischen Usurpatoren, p. 156. Drinkwater, The Gallic Empire, p. 36-37, aborde brièvement l’affaire. Émilienne Demougeot signale (p. 136, n. 40-41) des briques légionnaires de la viii Augusta stationnée à Strasbourg, sur lesquelles l’épithète claudiana apparaît, ainsi que des marques sur canalisations de la vii Gemina stationnée à Léon où, en plus de claudiana, figure quintilliana, qu’elle interprète comme des signes d’allégeance à Claude II et à son frère Quintille qui lui succéda brièvement en 270.
25 Ausone rappelle à deux reprises dans son oeuvre ses origines éduennes : Ausone (éd. R. Green), 1, Prefationes, 1, Ausonius lectori salutem, 5-6 : Vasates patria est patri, gens Aedua matri / de patre, Tarbellis sed genetrix ab Aquis ; 11, Commemoratio professorum Burdigalensium, 16, Aemilius Magnus Arborius rhetor Tolosae, 7-8 : Stemma tibi patris Aeduici, Tarbellica Maurae / matris origo fuit : ambo genus procerum.
26 Ausone (PLRE, 1, Ausonius 7, p. 140-141), Sur ses parents, 4, Caecilius Argicius Arborius, mon aïeul, 2-9 : « après eux, rappelons mon grand-père maternel, Arborius, nom tiré d’une lignée éduenne, dont la noblesse embrassait de nombreuses maisons à la fois dans la province de Lyonnaise et chez les puissants Éduens, et à Vienne aux cimes alpestres. Mais une terrible et funeste épreuve s’abattit sur ma famille et sur ses grandes richesses ; en effet, mon aïeul et son père furent proscrits alors que Victorin avait le pouvoir mais aussi lorsque l’Empire tomba aux mains de Tétricus. » Voir en dernier lieu l’ouvrage de Sivan, Ausonius. Dans le stemma de la gens côté maternel proposé par Hagith Sivan (p. 52), x correspond à l’ancêtre exilé d’Autun à Dax. Sivan pense qu’il s’agit de l’arrière-arrière-grand-père d’Ausone, Argicius étant son arrière-grand-père, Arborius son grand-père maternel. Sivan (note 8, p. 183) s’appuie sur des conclusions de Roger Green, The Works of Ausonius, Oxford, 1991, p. 307. Étienne, Ausone, propose un stemma plus simple (p. 20). Il voit dans ces deux personnages le grand-père et l’arrière-grand-père d’Ausone, selon la tradition. Nous préférons suivre cette voie, car elle est plus simple et respecte mieux les écarts intergénérationnels de la famille d’Ausone (cf. l’annexe en fin de volume). En dernier lieu, Coşkun, Die gens Ausonia, p. 112 et suiv.
27 Les notables éduens du Haut-Empire, mal connus en raison des lacunes de la documentation épigraphique sur le site d’Autun, sont attestés principalement par des inscriptions honorifiques découvertes sur les territoires d’autres cités. ILS devaient être forts puissants et influents, et constituaient une élite provinciale bien structurée, formée de réseaux centrés sur Autun : Dondin-Payre, « Magistratures », p. 127-230, en particulier le tableau (p. 178-179) et les remarques p. 174 et 179-180. On notera dans le cas des ancêtres d’Ausone, implantés à Autun et à Vienne, la remarquable continuité avec les pratiques des ier et iie siècles, et même de l’époque de la conquête. Dumnorix était marié à la fille de l’Helvète Orgetorix, sa mère à l’un des plus nobles Bituriges, d’autres parentes à de puissants personnages : voir Goudineau, dans Goudineau, Peyre, op. cit., p. 52.
28 Il est tentant de faire l’hypothèse que certains monétaires accompagnant des soldats fidèles à Claude II étaient présents dans le secteur pour soutenir les insurgés. Mais ce n’est qu’une hypothèse invérifiable. Voir P. Le Gentilhomme, « La trouvaille de la Vineuse », RN (1942), p. 23-102.
29 Suggestion de J.-N. Barrandon, C. Brenot, « Variations du titre de l’antoninianus de Victorin. Une émission trévire exceptionnelle », RN (1976), p. 97-109 (en particulier p. 104-105). Cette hypothèse est fort convaincante, surtout lorsque l’on mesure la richesse des trésors de temples ruraux secondaires découverts sur le territoire des Trois Gaules. Voir par exemple, pour le Haut-Empire, l’étude ancienne de E. Babelon, Le trésor d’argenterie de Berthouville près Bernay (Eure), Paris, 1916, ou encore la thèse de F. Baratte, La vaisselle d’argent en Gaule dans l’Antiquité tardive (iiie-ve s.), Paris, 1993, pour la période tardive. Sur la richesse des élites éduennes du iiie siècle, se reporter à l’ouvrage collectif Autour du trésor de Mâcon.
30 DC, lxxiv (lxxv), 6, 4-4.
31 La présence de gladiateurs et d’un centre de formation est attestée dès l’époque augustéenne. Autun disposa d’un des plus grands amphithéâtres de Gaule, à la fin du ier siècle probablement : Frézouls, Autun, p. 156-158 (sur l’amphithéâtre) ; Rebourg, art. cit., p. 190-193 (sur l’amphithéâtre également). Certains de ces gladiateurs furent mêlés à la révolte de Iulius Sacrouir. Voir Frézouls, op. cit., p. 169, ainsi que le catalogue Autun-Augustodunum, p. 308-311 pour les attestations archéologiques (statuettes, etc.).
32 De nombreux vétérans semblent s’être installés, une fois leur service accompli, sur le territoire de la ciuitas Aeduorum. Ces vétérans jouèrent un rôle de police ; ILS devaient aussi constituer un vivier de recrutement des curiales en cas de besoin. Voir Frézouls, op. cit., p. 108-109 et 168-169. Trois sources nous les font connaître ; deux inscriptions du Haut-Empire, l’une mentionnant un vétéran de la i Mineruia (CIL, xiii, 2666), l’autre un vétéran de la xxii Primigenia (Autun-Augustodunum, no 539), et enfin un long passage d’Ammien Marcellin précisant que les vétérans permirent aux soldats renfermés dans Autun en 356 de chasser des barbares venus attaquer la ville par surprise (Amm., xvi, 2, 1-4). Sur la place des vétérans dans les cités et la vie civique : S. Demougin, « Les vétérans dans la Gaule Belgique et la Germanie inférieure », dans Cités, Municipes, Colonies, p. 355-380 ; B. Rossignol, « Élites locales et armées : quelques problèmes », dans Les élites et leurs facettes, p. 349-380, en particulier p. 368 et suiv.
33 Voir supra n. 28, où se trouve formulée l’hypothèse selon laquelle des militaires fidèles à Claude auraient pu aider et soutenir les assiégés.
34 La présence d’ateliers impériaux de fabrication d’armes est attestée dès le Haut-Empire sur le territoire de la cité, par une inscription qui mentionne des opifices loricarii (CIL, xiii, 2826, datée de la fin du iie-début du iiie siècle).
35 Jusqu’au iiie siècle, et plus rarement ensuite, les cités demeurèrent des puissances militaires, de second plan certes, mais non négligeables pour certaines d’entre elles. Les décisions des notables pouvaient peser lourd dans le choix de s’engager dans une révolte armée ou dans la décision de soutenir un des prétendants à l’Empire en cas de compétition. On peut citer les exemples de Byzance, Nicée, Nicomédie, Antioche à l’époque de Septime Sévère et de Pescennius Niger ; le rôle des cités de Syrie dans l’aide apportée à Élagabal contre Macrin ; le rôle joué par les cités d’Afrique proconsulaire (collèges de iuuenes) dans la révolte de 238 contre Maximin le Thrace ; la résistance d’Aquilée contre le même empereur ; etc. Il est vrai que, la plupart du temps, ces cités furent facilement prises et durement châtiées. La longue résistance de Byzance contre les soldats de Septime Sévère, puis celle d’Autun contre les troupes de Victorin, demeurent des exceptions.
36 « Il faut avant tout, Éminent gouverneur, par la restauration de cet édifice aussi, seconder les vues divines de nos empereurs et de nos Césars et la particulière bienveillance qu’ILS ont pour nous : ILS ont voulu que ce peuple constitué en cité, qui se glorifiait jadis du titre de frère du peuple romain, et qui a été ruinée par la plus terrible dévastation, au moment où, assiégée par les bandes de rebelles des bataves, elle implorait le secours de l’empereur de Rome, fût relevée et rendue à la vie, non pas seulement par admiration pour ses services, mais par pitié pour ses malheurs. ILS ont estimé que l’ampleur même de ses ruines méritait de leur part des libéralités dont le souvenir fût éternel, la gloire des restaurateurs devant être d’autant plus éclatante que serait plus énorme la masse des restaurations. »
37 « 2. Toutefois, s’il est vrai que le temps a effacé tout ce passé, que dire des événements récents dont on a été témoin durant notre prime enfance ? Remarque, je t’en prie, empereur, l’importance de cette démarche des Éduens qui, les premiers, pressèrent le divin Claude, ton aïeul, à reconquérir les Gaules et qui, dans l’attente de son secours, subirent un siège de sept mois avec toutes les horreurs de la famine, ne laissant enfoncer leurs portes par les Gaulois rebelles qu’à l’heure où l’épuisement leur ôta la possibilité d’y monter la garde. 3. Si la fortune avait favorisé vos efforts et ceux des Éduens, si le restaurateur de l’État avait pu nous accorder l’aide que nous implorions, sans aucun dommage pour les forces romaines, sans qu’il en coûtât le désastre des champs Catalauniques, la fraternité des Éduens et des Romains eût amené le prompt retour de la paix dans les provinces réconciliées. »
38 Il existe des traces matérielles qui témoignent éventuellement du siège, mais il faut les considérer avec une extrême précaution face à une argumentation circulaire : on attribue au siège d’Autun toute trace de destruction ou tout trésor enfoui pour mieux le dater et témoigner en retour de l’importance de l’événement, ainsi Buckley, « The Aeduan Area », p. 295. Une émission trévire particulière d’antoniniens de Victorin peut être mise en rapport avec la « victoire » de ses troupes à Autun : J.-N. Barrandon, C. Brenot, art. cit., p. 97-109. Le contenu d’un dépôt monétaire découvert à Autun à l’époque moderne et étudié par François Baratte peut être daté des années 270 et rapporté à l’événement, selon F. Baratte, « Le trésor d’orfèvrerie découvert à Autun en 1614 : nouvelles observations », BSNAF (1992), p. 201-212. Plus prudent, X. Loriot, « Le trésor d’Autun de 1614 », BSFN, 40-4 (avril 1985), p. 607, propose de dater l’enfouissement des années 260-270. D’autres, comme Harold de Fontenay, ont vu dans le propriétaire d’un aureus de Tétricus monté en bague un Éduen « collaborateur » (Fontenay, Autun, p. lx-lxiv, repris par Buckley, art. cit., p. 296 ; cet anneau figure dans le catalogue Autun-Augustodunum, no 361). Sans tomber dans de tels excès, on pourrait suggérer qu’il s’agissait là d’un bijou appartenant à un militaire placé en garnison pour surveiller la ville immédiatement après le siège et qui aurait reçu l’aureus à l’occasion d’un donatiuum. La remarque vaut pour un aureus de Victorin découvert près d’Autun (Autun-Augustodunum, no 513). Plaident dans le sens d’une occupation militaire importante dans les années 270 les découvertes de nombreux militaria, mal inventoriés jusqu’à une époque récente, qui placent Autun au second rang des sites militaires urbains de la période après Augst (Augusta Raurica) : Kasprzyk, op. cit., 1-a, p. 154-155 et i-b, p. 364 en particulier. Malgré un dépouillement exhaustif des fouilles anciennes et récentes, l’auteur n’a trouvé aucun indice direct du siège (incendie, destructions violentes), comme il le précise p. 137-138.
39 Pour l’anecdote, Le Gentilhomme, art. cit., p. 238, trouvait ces orateurs « tendancieux ».
40 Contra Domenico Lassandro qui continue de soutenir que la cité fut prise par des Bagaudes, contre toute vraisemblance et contre toutes les leçons des manuscrits qu’il a pourtant consultés dans le cadre de son travail d’édition. Ces positions ont été défendues pour la première fois dans D. Lassandro, « Batavica o Bagaudica rebellio ? (a proposito di Pan. Lat. iv [=ix/4] 4, 1 e viii [=v/8], 4, 2) », GIF, 25 (1973), p. 300-308, puis reprises sans cesse par la suite (en dernier lieu Panegirici Latini, p. 11, 15,20 et 166). On relira les remarques formulées à ce sujet par Le Gentilhomme, art. cit., p. 234-239, qui auraient dû clore le débat depuis bien longtemps. Le premier, il avait suggéré un rapprochement entre le genre de troupes qui avaient réprimé l’insurrection de Vindex en 68 (Tac., H., iv, 17) et celles qui matèrent les Éduens en 270, des « Bataves » dans les deux cas, intégrés à l’armée romaine (dont certains, en cette fin de iiie siècle, n’avaient peut-être de batave que le nom de leur corps de troupe).
41 Sur la procédure de proscription, voir la thèse de F. Hinard, Les proscriptions de la fin de la Rome républicaine, Paris, 1985 (CÉFR, 83). Il n’existe aucune synthèse sur le sujet pour des époques plus tardives.
42 Sur le dossier récemment découvert de la Ciuitas Heracleotarum, voir G. Mitrev, « Civitas Heracleotarum. Heracleia Sintica or the Ancient City at the Village of Rupite (Bulgaria) », ZPE, 145 (2003), p. 263-272 ; Lepelley, « Une inscription d’Heraclea », p. 221-231. Sur l’inscription d’Orcistos (CIL, iii, 352 = 7000 ; ILS, 6091), je renvoie à l’article de Chastagnol, « L’inscription constantinienne d’Orcistos », p. 381-416 (p. 105-142).
43 L’hypothèse d’un démantèlement du territoire éduen a été reformulée récemment par Jean-Louis Voisin dans CAG, 89-1, p. 175-178, puis répandue par d’autres historiens, par exemple B. Beaujard, « Le patriotisme municipal dans la Gaule de l’Antiquité tardive », dans Hommage à Claude Lepelley, p. 262. Dans ce schéma d’interprétation, la cité d’Autessiodurum, actuel Auxerre, serait issue du démembrement d’Autun. Néanmoins, Auxerre n’apparaît comme cité que tardivement, dans la Not. Gall., iv, 4 (éd. O. Seeck, p. 265). Ces interprétations, fondées sur des hypothèses du xixe siècle (celles, en particulier, formulées par E. Desjardins, Géographie historique et administrative de la Gaule romaine, 4 vol., Paris, 1876-1893), posent des problèmes insolubles. Les arguments sont ployables dans les deux sens, et il est impossible de trancher en l’état actuel de la documentation. Sur les limites de la cité d’Autun, voir en dernier lieu Goudineau, dans Goudineau, Peyre, op. cit., p. 143-143-169 ; Buckley, art. cit., p. 310 ; Frézouls, op. cit., p. 129-139, 166 ; mise au point synthétique de B. Debatty, « Les limites de la cité gallo-romaine des Sénons. Perception et réalités », Hypothèses 2004. Travaux de l’École doctorale d’Histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne (2005), p. 85-94, en particulier p. 90-92 pour le débat signalé plus haut.
44 Sur les invasions et les troubles qui touchèrent la Gaule dans les années 270-280, lire les pages de Demougeot, art. cit., p. 128 et suiv., et celles de Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 131 et suiv. Michel Christol place le paroxysme de cette crise en Gaule entre 274 et l’avènement de Maximien Hercule. Selon lui, ce furent des « années difficiles, parfois noires pour les régions septentrionales de la Gaule » (p. 178).
45 Sur la fin des privilèges et des statuts spécifiques des cités, voir pour l’Occident C. Lepelley, « La fin du privilège de liberté : la restriction de l’autonomie des cités à l’aube du Bas-Empire », dans Splendidissima Ciuitas, p. 207-220 ; id., « Vers la fin de l’autonomie municipale », p. 470-472 (conclusion). Pour l’Orient, on consultera avec profit l’étude de Rouéché, Aphrodisias in Late Antiquity, p. xix-xxvii, où l’auteur évoque la fin des droits et statuts de cette cité libre dans la seconde moitié du iiie siècle.
46 Les témoignages apportés par les fouilles archéologiques menées à Autun depuis trente ans permettent de préciser le cadre général de l’urbanisme et des activités dans cette période trouble que fut le dernier tiers du iiie siècle. Rebourg, art. cit., p. 220, constate dans les dernières décennies du iiie siècle une interruption parfois très brutale du dynamisme urbain, de l’habitat en particulier ainsi que des activités artisanales. La fouille du site du lycée militaire, effectuée au début des années 1990, n’a fait que confirmer et préciser cette tendance qui oblige les archéologues à s’interroger sur les lieux où ont pu se redéployer ces activités. Chardron-Picault, Pernot, Un quartier d’artisanat, p. 72, soulignent la brutalité de l’abandon du site et des activités à la fin du iiie siècle précisément. Le site continua d’être fréquenté ultérieurement, mais les modalités de son occupation n’eurent plus rien à voir avec celles constatées pour le Haut-Empire. Abondant en ce sens, Michel Kasprzyk a recensé de nombreux indices de crise et de grandes difficultés, dans des domaines variés comme les productions manufacturières, plus regroupées à cette date dans des quartiers spécialisés (Kasprzyk, op. cit., 1-b, p. 355, 374 et suiv.), ou les établissements ruraux (p. 306 et suiv.), tout en soulignant l’importante occupation militaire sur le site d’Autun vers 270-280 (i-a, p. 154-155 et 364) ainsi qu’un maintien très relatif des échanges régionaux et internationaux (i-b, p. 374 et suiv.). Sur les campagnes de la partie septentrionale du territoire éduen, Pierre Nouvel dresse un constat très proche ; P. Nouvel, « Luxe matériel et aménagements monumentaux dans les établissements ruraux de Bourgogne du Nord », dans Autour du trésor de Mâcon, p. 123-146.
47 Panégyrique latin v(9), 18, 4 : Qua ueris autumniue clementia tot manu positae arbores conualescunt, quo calore solis tot depressae imbribus segetes resurgunt, quot ubique muri uix repertis ueterum fundamentorum uestigiis excitantur. L’expression est étudiée par Rebuffat, « Comme les moissons à la chaleur du soleil », p. 113-133.
48 « 1. De même que naguère l’Asie a, par une directive officielle émanant de toi, Dioclétien Auguste, peuplé les déserts de la Thrace en y transplantant des colons ; de même que plus tard, sur un signe de toi, Maximien Auguste, les champs en friche des Nerviens et des Trévires furent cultivés par les Lètes rétablis dans leur pays et par les Francs assujettis à nos lois, ainsi aujourd’hui, Constance, César invincible, grâce à tes victoires, toutes les terres qui, au pays des Ambiens, des Bellovaques, des Tricasses et des Lingons, demeuraient abandonnées reverdissent sous la charrue d’un barbare. 2. Il y a plus : cette cité des Éduens, au nom de laquelle je dois t’adresser des remerciements particuliers et qui vous est toute dévouée, a reçu, à la suite de la victoire de Bretagne, une multitude de ces entrepreneurs qui abondaient en ces provinces, et, à cette heure, la reconstruction de ses vieilles demeures, la réfection des édifices publics, la restauration de ses temples la font surgir de ses ruines. Aujourd’hui elle croit se voir restituer l’antique titre témoignant de la fraternité avec Rome, puisqu’elle a en toi un nouveau fondateur. »
49 Il s’agit d’une politique conduite en deux temps, à la fin des années 280 puis au milieu des années 290. D’autres passages du discours prononcé en mars 297 font état de la généralisation de cette politique et de ses conséquences importantes sur le territoire rural de la cité. Au §1,4 : tôt translati sint in Romand cultores ; au § 9, 1-3 : totis porticibus ciuitatum sedere captiua agmina barbarorum [...] atque hos omnes prouincialibus uestris ad obsequium distributos, donec ad destinatos sibi cultus solitudinum ducerentur [...] Arat ergo nunc mihi [l’auteur du discours, grand propriétaire terrien] Chamauus et Frisius. Bibliographie sur le sujet infra, p. 171 et suiv.
50 Panégyrique latin v(9), 4, 2-3 : 2. « C’est pourquoi ILS ont octroyé par un édit généreux les sommes les plus considérables et, en cas de besoin, toutes les disponibilités de la caisse impériale, non seulement à la réfection des temples et des édifices publics, mais encore à celle des demeures particulières. 3. Non contents de ces sommes d’argent, ILS nous envoient aussi des entrepreneurs d’outre-mer, de nouveaux habitants choisis parmi les meilleurs notables des provinces et ILS font hiverner chez nous les légions les plus dévouées, sans recourir à leur force invincible même pour les guerres qu’ILS mènent justement à cette heure : ILS veulent que, par reconnaissance pour notre hospitalité, elles s’emploient à notre profit et fassent couler dans les entrailles presque desséchées de la ville épuisée les eaux dont le cours s’était interrompu ainsi que des sources nouvelles. »
51 Panégyrique latin viii(5) : « 2, 5. [...] et, ces toutes dernières années, ce que je tiens surtout à proclamer, ILS ont obtenu de ton père des bienfaits sans nombre dont une partie leur a été effectivement accordée ; pour une autre part ce sont des promesses dont ILS se réjouissent [...]. 4, 4. En considération de ces mérites passés et de nos mérites récents, ton divin père a voulu relever la cité des Éduens abattue et ranimer cette malheureuse : non seulement il a donné par ses Largesses des sommes pour édifier des thermes et il a reconstruit des bains écroulés, mais de partout il y a transféré des habitants d’autres cités afin que les provinces eussent comme une mère unique dans cette cité qui, la première, avait fait de toutes les autres, pour ainsi dire, des villes romaines. »
52 Pernot, La rhétorique de l’éloge, 1, p. 266.
53 L’importance de ce motif idéologique a été mise en évidence pour l’Afrique par Waldherr, Kaiserliche Baupolitik in Nordafrika, p. 403-415.
54 Sur ce point de l’idéologie officielle, voir les remarques du chapitre 8.
55 Sur le formulaire des inscriptions tardives : Chastagnol, « Le formulaire », p. 15-65. Sur les sources littéraires tardoantiques et leur importance pour la connaissance du système municipal : L. Robert, « Τροφεύς et ἀριστεύς », Hellenica, xi-xii (1960), p. 569-576 ; C. Lepelley, « Évergétisme et épigraphie dans l’Antiquité tardive : les provinces de langue latine », dans xe Congrès international d’épigraphie grecque et latine. Rapports préliminaires. Résumés des communications, 1, Paris, Nîmes, 1992, p. 99-108. Sur les liens entre panégyrique et épigraphie, voir également Hostein, « Panégyrique et épigraphie », à paraître. Citons à titre d’exemple un jugement très critique de la part d’un épigraphiste sur la rhétorique et le formulaire des inscriptions tardives : J. Gascou, « Le rescrit d’Hispellum », MÉFR, 79-2 (1967), p. 609-659 : « Tous les défauts du style administratif du ive siècle (l’obscurité en moins toutefois) se rencontrent ici : absence de concision, abus du lieu commun, pesanteur solennelle de l’énoncé, où le pompeux s’unit à la platitude » (p. 659).
56 Sur cette notion : H. Cotton, « The concept of indulgentia under Trajan », Chiron, 14 (1984), p. 245-266 ; C. Munier, « Indulgentia », dans RLAC, 18 (1998), p. 56-86 ; J. Gaudemet, « Indulgentia principis », Conferenze romanistiche (Milan), 2, 1967, p. 3-45 (repris dans Études de droit romain, 2, Naples, 1979, p. 237-279) ; M. Corbier, « Indulgentia principis·. continuità e discontinuità del vocabolario del dono », dans Politicia, retorica e simbolismo del primato : Roma e Costantinopoli (secoli iv-vii). Omaggio a Rosario Soraci. Atti del Convegno internazionale di Catania (4-7 ottobre 2001), Elia F. éd., Catane, 2004, p. 259-277. Voir en dernier lieu la synthèse de Pietanza, Indulgentia.
57 Carrié, « La munificence du prince », p. 411-430. Il existe à Byzance une évolution identique du terme sympatheia qui s’est chargé, en plus de son premier signifié moral, d’un signifié technique, désignant une remise fiscale dans des conditions particulières : A. P. Kazhdan, « Sympatheia », dans The Oxford Dictionary of Byzantium, 3, Oxford, New York, 1991, p. 1989.
58 Sur les mécanismes financiers et le versement des impôts à l’État sous cette forme, lire les réflexions de M. Corbier, « Fiscalité et dépenses locales », dans L’origine des richesses dépensées dans la ville antique, p. 219-232. Lepelley, Les cités, 2, relève plusieurs inscriptions mentionnant des largesses impériales : à Vtica (p. 243, n 14), Thysdrus (p. 320) et à Cirta (p. 391) où il est question probablement « d’attribution locale des ressources fiscales ». On trouvera d’autres références dans C. Lepelley, « La crise de l’Afrique romaine au début du ve siècle d’après les lettres nouvellement découvertes de saint Augustin », CRAI (1981), p. 445-463, p. 455, n. 55, en particulier (repris dans Lepelley, Aspects de l’Afrique romaine, p. 367, n. 54), où sont recensés les articles du Code Théodosien extraits du De indulgentiis debitorum relatifs à l’Afrique et qui datent du début du ve siècle.
59 Plusieurs articles sont parus récemment sur le vocabulaire de la reconstruction dans les inscriptions. Les auteurs de ces articles ont porté leur attention sur l’exactitude du vocabulaire employé et la réalité des travaux effectués : voir en dernier lieu Hamdoune, « La uetustas », p. 251-279. On lira par ailleurs les articles stimulants de E. Thomas, C. Witschel, « Claim and Reality of Roman Rebuilding Inscriptions from the Latin West », PBSR, 60 (1992), p. 135-177, et les objections de G. C. Fagan, « The Reliability of Roman Rebuilding Inscriptions », PBSR, 64 (1996), p. 81-93.
60 Analyse de restituere et de ses dérivés dans E. Thomas, C. Witschel, art. cit., p. 155 et suiv.
61 D’après Dig., i, 16, 7, 1 (éd./trad. H. Hulot, J.-F. Berthelot et alii), le gouverneur doit se déplacer aedes sacra et opera publica circumire inspiciendi gratia. Plus loin, Dig., l, 10, 3-4 : Opus nouum priuato etiam sine principis auctoritate facere licet, praeterquam si ad aemulationem alterius ciuitatis pertineat uel materiam seditionis praebeat uel circum, theatrum, uel amphitheatrum sit. Publico uero sumptu opus nouum sine principis auctoritate fieri non licere, constitutionibus declaratur·, et Dig., l, 10, 5 : Curabit igitur praeses prouinciae, si qui publici sunt, a priuatis separare, et publicos potius reditus augere.
62 CTh, xv, 1,3 de 326 (éd. T. Mommsen) : Idem Augustus Secundo praefecto praetorio. Prouinciarum indices commoneri praecipimus, ut nihil se noui operis ordinare ante debere cognoscant, quam ea compleuerint, quae a decessoribus inchoata sunt, exceptis dumtaxat templorum aedificationibus.
63 Eumène assimile les écoles à des temples, ou encore les compare à des lieux de culte aux § 6, 4 ; 7, 3 ; 8, 3 ; 10, 1-2, et surtout 13, 2 où apparaît l’expression templum ac sedes litterarum.
64 Sur les ornamenta, voir l’article de Thomas, « Les ornements, la cité, le patrimoine », p. 263-284.
65 Sur l’habitat privé et les monuments d’Autun autour des années 300, voir l’utile synthèse de Frézouls, op. cit., p. 160, ainsi que Rebourg, art. cit., p. 180 et 203, concernant l’habitat tardif (« Mais en cette fin de l’Antiquité, il ne s’agit pas d’une phase dynamique. [...] la maison se maintient dans le cadre fixé aux siècles précédents et connaît même une sorte de repli. »). Les progrès spectaculaires accomplis en ces domaines sont consignés dans les travaux suivants : en plus de la découverte de la maison aux stucs (bibliographie donnée supra, n. 20), il faut mentionner les réflexions de Kasprzyk, op. cit., 1-a, p. 93-95 et 100, n. 500, qui souligne que le début du iiie siècle peut être interprété comme un apogée de l’architecture domestique autunoise. À la fin de ce siècle, au temps des Tétrarques, de nombreux îlots résidentiels ont ou bien disparu, ou bien été en grande partie démembrés, les maisons les plus imposantes se concentrant désormais le long de l’axe du cardo en particulier (ibid., 1-a, p. 135). Sur ces questions, dans une perspective plus générale : É. Morvillez, « Mise en scène des choix culturels et du statut des élites d’Occident dans leurs domus et villae(iie-ive siècles) », dans La « Crise » de l’Empire romain, p. 591-634. Sur l’évolution des monuments au lendemain de la crise des années 270-280 : Kasprzyk, op. cit., 1-A, p. 84-87 et 109. Concernant le forum, l’auteur propose de situer le long du cardo, dans l’espace compris entre le décrochement en baïonnette du decumanus (voir fig. 1, supra p. 144) ; voir aussi p. 89-91, sur les thermes et monuments de spectacles ; p. 87-93 et 110, sur les temples païens. Se fondant sur des observations précises, Michel Kasprzyk montre qu’à cette date, l’essentiel de la parure urbaine du Haut-Empire demeurait en place, en dépit des fortes recompositions urbaines récentes.
66 Opinion relevée par exemple dans un manuel de M. Clavel-Lévêque, Villes et structures urbaines dans l’Occident romain, Paris, 1971, p. 97.
67 Selon le Gaffiot, p. 165 et l’OLD, p. 175, le terme ars, artis signifie en latin « talent, savoir-faire ». Il peut parfois revêtir un sens moral (« vertu ») ou un sens technique (« métier, profession, celui qui dispose de connaissances techniques »). L’artifex est donc celui qui pratique un art, c’est-à-dire un artisan, un artiste, un ouvrier, un créateur. Opifex en est un synonyme et signifie « celui qui réalise un ouvrage, celui qui en est l’artisan », avec parfois le sens poétique d’« auteur ». Des opifices loricarii travaillaient sur le territoire d’Autun, par exemple : il s’agissait d’artisans spécialisés dans la création d’armes pour des arsenaux placés sous contrôle de l’État (CIL, XIII, 2826).
68 Lettres où figure ce genre de requête : Plin., Ep., x, 17 ; x, 37 ; x, 41-42 ; x, 61-62.
69 Plin., Ep., x, 61-62.
70 Plin., Ερ., x, 41, 3.
71 Sur le sujet, voir Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 205-206.
72 Plusieurs lois d’époque tardive relatives aux métiers manuels soulignent la nécessité de recruter des artisans disposant de bonnes compétences techniques. Ces lois ont pour vocation de privilégier les artisans qui se consacrent à de telles activités et de favoriser leur enseignement. Cette multiplication des privilèges peut être interprétée comme un signe de désintérêt qu’il faut stimuler dans la mesure où ces artisans sont indispensables ; ou au contraire comme un décalage entre l’offre d’artisans et la demande de travaux, qu’il faut supposer forte alors. Voir Jones, LRE, 2, p. 1013-1015, et LRE, 3, p. 336, n. 62-65, qui cite des édits connus concernant les architectes et les artisans (CTh, xiii, 4, 1, de 334, et 2, de 337), ou encore les peintres (CTh, xiii, 4, 4, de 374).
73 Le contrôle par le gouverneur de soldats engagés dans de tels chantiers est clairement précisé par le Dig., i, 16, 7, 1 = Ulpien, Livre ii sur le rôle du proconsul (éd./trad. H. Hulot, J.-E Berthelot et alii) : Aedes sacra et opera publica circumire inspiciendi gratia, an sarta tectaque sint uel an aliqua refectione indigeant, et si qua coepta sunt ut consummentur, prout uires eius rei publicae permittunt, curare debet : curatoresque operum diligentes solemniter praeponere, ministeria quoque militaria, si opus fuerit, ad curatores adiuuandos dure : « Il doit se déplacer (faire sa tournée) pour inspecter les édifices sacrés et les bâtiments publics, veiller à ce que les édifices soient bien entretenus, ou voir si les constructions anciennes ont besoin d’être restaurées, ou si les édifices commencés doivent être achevés, dans la mesure où les ressources de cette commune le permettent ; il doit nommer selon les règles des curateurs de travaux efficaces, et désigner des soldats, s’il est nécessaire d’apporter une aide aux curateurs » (traduction revue de Lepelley, « Vers la fin de l’autonomie municipale », p. 458). Pline chercha à utiliser des soldats pour aider les curateurs des cités de sa province engagés dans des chantiers, ce qui explique sa demande de soldats auprès de son collègue P. Calpurnius Macer (PIR2, C, 273), alors gouverneur de Mésie inférieure (Plin., Ep., x, 41-42). Un bel exemple d’intervention directe de l’empereur pour mettre au travail des légions dans une construction publique est celui de Gallien à Lambèse (AE, 1971, 508). Ce prince fit reconstruire les thermes de la cité per legionem suam iii Augustam. Déjà à Lambèse, les travaux de restauration des thermes avaient été effectués sous la direction d’un centurion (Lepelley, Les cités, 2, Lambèse, p. 419 : CIL, viii, 2660 = ILS, 5787). Lambèse demeure un cas exceptionnel en raison de la présence de la iii Augusta et des liens étroits avec cette légion dès la création de la cité : Y. Le Bohec, La Troisième Légion Auguste, Paris, 1989, p. 372-375, 396-397, ainsi que le tableau des p. 582-583, à utiliser avec beaucoup de prudence.
74 La bibliographie sur l’utilisation de soldats dans des chantiers civILS est abondante : – Voir à ce sujet J. Lesquier, L’armée romaine d’Auguste à Dioclétien, Le Caire, 1918, p. 237-242 ; R. Mac Mullen, « Roman Imperial Building in the Provinces », dans HSPh, 64, 1959, p. 207-235 ; id., Soldier and Civilian in the Later Roman Empire, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1967 ; Y. Le Bohec, « L’armée et l’organisation de l’espace urbain dans l’Afrique romaine du Haut-Empire », dans L’Africa romana, 11-3, (1996), p. 1391-1401 ; M. Horster, Bauinschriften römischer Kaiser. Untersuchungen zu Inschriftenpraxis und Bautätigkeit in Städten des westlichen Imperium Romanum in der Zeit des Prinzipats, Stuttgart, 2001 (Historia Einzelschriften, 157), en particulier, p. 168-187, le chapitre 4 intitulé Der Einsatz von Militär. – Sur les aqueducs construits par des militaires : P.-A. Février, « Armées et aqueducs », dans Journées d’études sur les aqueducs romains. Tagung über romiscbe Wasserversorgungsanlagen, Lyon 26-28 mai 1977, Boucher J.-P. éd., Paris, 1983, p. 133-141 ; Y. Le Bohec, op. cit., p. 137-152, et p. 212 sur le fameux dossier de Nonius Datus, à l’origine de la construction d’un aqueduc à Saldae (CIL, viii, 2728 = 18122 ; ILS, 5795) ; à compléter avec J.-P. Laporte, « Notes sur l’aqueduc de Saldae (Bougie) », dans L’Africa Romana, 11-2 (1996), p. 711-762 ; G. Fabre, J.-L. Fiches, J.-L. Paillet, « L’aqueduc antique de Nîmes et le drainage de l’étang de Clausonne : hypothèses sur le financement de l’ouvrage et sur l’identité de son concepteur », dans Actes du colloque les aqueducs de la Gaule romaine et des régions voisines (Limoges, 1996), Bedon R. éd., Limoges, 1997 (Caesarodunum, 31), p. 193-219.
75 Sur les thermes d’Autun, peu connus et mal localisés : Frézouls, op. cit., p. 158-159 ; Rebourg, art. cit., p. 196-198. Alain Rebourg a identifié deux ensembles thermaux, l’un dans le quartier Saint-Andoche, l’autre près du forum. Pour des informations détaillées sur la localisation et la physionomie des bâtiments : Kasprzyk, op. cit., 1-a, p. 90-91 et 111-112.
76 Voir à ce sujet les tableaux de M. Horster, op. cit., p. 184-187, où sont recensés les travaux accomplis par des soldats pour des ouvrages civils.
77 Sur les infrastructures liées à l’eau : Frézouls, op. cit., p. 147-148 ; Rebourg, art. cit., p. 186-188. Ce dernier avait déjà émis l’hypothèse défendue ici, p. 186, n. 112. Réflexions récentes sur l’aqueduc et les canalisations urbaines d’Autun dans Kasprzyk, op. cit., 1-A, p. 82-83 et 106 ; L. Borau, « L’équipement hydraulique d’Augustodunum. Nouvelle étude », Bulletin archéologique. Comité des travaux historiques et scientifiques. Antiquité, archéologie classique, 35 (2009), p. 35-53.
78 Rodgers, « Eumenius », p. 261, compte parmi les rares commentateurs à avoir bien compris le sens technique de cette expression. Buckley, art. cit., p. 298, n’interprète pas convenablement le passage. Sur les conseils des cités d’Occident, la meilleure synthèse reste l’ouvrage de Jacques, Les cités, p. 105-118.
79 Pour prendre des décisions, l’ordo devait obligatoirement disposer d’un nombre minimum de décurions : Jacques, op. cit., p. 107. Les transferts mentionnés correspondent à ceux des décurions de Nicée à Basilinopolis sous Julien (ACO, ii, 1, 418) ; de Césarée à Podandos sous Valens (364-378), lorsque ce dernier prit la décision de diviser la province de Cappadoce en deux provinces de plus petites dimensions (Bas., Ep., lxxv). À l’époque tétrarchique ou constantinienne des cités furent créées, ce qui dut poser le même type de problème qu’à Autun : par exemple Helenopolis (création ex nihilo), la ciuitas Heracleotarum, Tymandos, Cularo (Grenoble), Orcistos (recréations ou détachements de pagi élevés au rang de cité). Sur les cités de Basilinopolis, Podandos et Helenopolis, voir Jones, LRE, 2, p. 720 (et n. 19, p. 227 au t. 3) ; id., CERP, p. 165-166 (ainsi que les n. 34-35, p. 426, où sont détaillées les sources) ; Th. A. Kopecek, « Curial displacements and flight in later fourth century Cappadocia », Historia, 23 (1974), p. 319-342. Sur Podandos, voir en dernier lieu les remarques de S. Métivier, La Cappadoce (ive-vie siècle). Une histoire provinciale de l’Empire romain d’Orient, Paris, 2005 (Byzantina Sorbonensia, 22), p. 42, 46, 53-54, 64 et 96-97.
80 L’empereur était un juge de dernier ressort dans toute décision de nomination de nouveaux membres dans une curie municipale. Lui seul pouvait par ailleurs transférer des décurions d’une cité vers une autre, et ainsi modifier leur origo. Voir à ce sujet Jacques, op. cit., p. 83. Signalons, à titre de comparaison, le texte d’une inscription découverte sur le site de l’antique Tarraco (CIL, ii, 4277 = ILS, 6943 ; RIT, 352), qui précise qu’un certain Caius Valerius Auitus, duumuir, a été transféré depuis l’ordo de sa cité d’origine vers celui de la prestigieuse colonie par Antonin le Pieux : translato ab diuo Pio ex municip(io) August(obrigensi) in col(oniam) Tarrac(onensium). Le texte souligne l’intervention directe du prince dans ce genre d’affaire, que le transfert soit individuel (comme c’est le cas ici) ou collectif (comme ce fut le cas à Autun), qu’il soit sollicité par le décurion transféré (c’est vraisemblablement à sa demande que C. Valerius Auitus fut déplacé) ou imposé par le pouvoir central (situation d’Autun). Un autre moyen de repeupler les ordines des cités consistait à y implanter des vétérans.
81 Voir les remarques synthétiques de Lepelley, Les cités, 1, p. 198-199, concernant les ordines des cités africaines, en particulier les conditions d’entrée et le nombre de décurions. Il s’appuie principalement sur le Livre xii du Code Théodosien, précis sur ces questions : CTh, xii, 1, 7 (Constantin, 320) ; CTh, xii, 1, 66 (365) ; CTh, xii, 1, 6 (319) ; CTh, xii, 1, 53 (362) ; CTh, xii, 1, 96 (383). Pour entrer dans 1’ordo decurionum, il fallait disposer d’un cens suffisant (variable selon les cités), d’une assise foncière importante (CTh, xii, 1, 33 de 342) et d’honorabilité. Les effectifs des curies défaillantes pouvaient être renfloués par cooptation : CTh, xii, 1, 66 (365). Antioche ne comptait pas moins de 1200 bouleutes, chiffre exceptionnel qu’il faut ramener à 600 ailleurs en Syrie (selon LIB., Or, xl-viii, 3, mais ce nombre paraît exagéré). Tymandos ne disposait « que » de 50 décurions (CIL, iii, 6866 = ILS, 6090), Timgad de 168 au temps de l’empereur Julien, en comptant les praetextati (entre 18 et 29) qu’il faut défalquer. Voir la notice détaillée consacrée à l’album de Timgad (Lepelley, Les cités, 2, p. 92) et l’édition de l’album par A. Chastagnol, L’album municipal de Timgad, Bonn, 1978. Le nombre des membres du conseil de la ciuitas Heracleotarum demeure inconnu (Lepelley, « Une inscription d’Heraclea »). En Occident, le nombre canonique était de 100 décurions dans les colonies et municipes, comme le confirment les inscriptions de Cures (ILS, 5670), de Canusium (ILS, 6121), de Veii (ILS, 6579), ainsi qu’un extrait de Cicéron concernant Capoue (Cic., Agr., ii, 96). Le nombre des décurions à Autun, dans l’une des cités les plus éminentes des Trois Gaules, devait selon toute vraisemblance se situer dans une fourchette supérieure.
82 Une lettre de Pline montre le rôle joué par le gouverneur dans le contrôle des activités de l’ordo, notamment son recrutement : Plin., Ep., x, 79-80. Par ailleurs, l’inscription de Tymandos (CIL, iii, 6866 = ILS, 6090), lettre adressée par le pouvoir impérial au gouverneur, rappelle à ce dernier que Tymandos peut devenir une cité si et seulement si elle dispose d’un nombre suffisant de décurions (critère qui était précisément contrôlé par le gouverneur). Lire également les pages consacrées au rôle du gouverneur dans les cités dans Jacques, Le privilège de liberté, p. 337-351,665-686, 793, et id., Les cités, p. 113-115 (l’auteur cite en particulier Dig., xlix, 4, 1 [Ulpien, Livre i sur les appels], qui évoque le rôle du gouverneur dans la désignation des décurions à des fonctions précises dans leur cité).
83 Le nivellement des statuts facilitait le contrôle systématique des cités. Ce type de procédure existait cependant au Haut-Empire, comme en témoigne Pline le Jeune. Mais à cette époque, le contrôle était ponctuel et mis en place dans des situations d’urgence. Sur l’autonomie des cités, voir les articles de Claude Lepelley cités supra n. 45, et Jacques, Le privilège de liberté. Voir également G. A. Cecconi, « Redazione e controllo degli albi municipali. Materiali per una discussione sulla crisi delle curie », dans Les cités de l’Italie, p. 23-35.
84 On retrouve un souci commun des empereurs, tant à Tymandos (CIL, iii, 6866 = ILS, 6090) qu’à Autun – Panégyriques latins v(9) et viii(5) –, de préserver le groupe des décurions à tout prix, fût-ce aux dépens des intérêts de l’État, en accordant par exemple d’importants privilèges fiscaux (ce fut le cas à Autun en 311). Une inscription de Sicile témoigne du souci de Constantin de ménager les curies et de renforcer le groupe de notables locaux : il s’agit d’un hommage public adressé par le koinon provincial au proconsul de Sicile, Betitius Perpetuus signo Arzygius (PLRE, 1, Perpetuus, 2, p. 689), érigé à Rome même (CIL, vi, 31961 = IG, xiv, 1078 ; ILS, 8843 ; IGUR, i, 60). D’après le texte, ce personnage aurait relevé les cités et bien administré les bouleutes. On peut supposer ici que Perpetuus sut mettre de l’ordre dans des curies affaiblies en les repeuplant, en exemptant certains bouleutes, en jouant le rôle de bon administrateur impérial. Voir en dernier lieu le commentaire que donne de cette inscription A. Lewin, « Urban public building from Constantine to Julian : the epigraphic evidence », dans Recent Research in Late-Antique Urbanism, Lavan L. éd., Portsmouth, 2001 (suppl. JRA, 52), p. 28-29.
85 Le sens à donner au terme incola est très débattu. Il est assurément polysémique : d’un point de vue juridique, il signifie « étranger résident » et s’applique à toute personne se trouvant dans une cité dont elle ne tire pas son origo. Il peut aussi revêtir un sens juridique dans certaines cités, désignant un statut intermédiaire entre le citoyen à part entière et l’étranger résident. Enfin, il peut signifier simplement « colon », au sens moderne du terme. Voir les discussions de S. Mrozek, « Quelques observations sur les incolae en Italie », Epigraphica, 46 (1984), p. 17-21 ; A. Chastagnol, « Coloni et incolae : note sur les différenciations sociales à l’intérieur des colonies romaines de peuplement dans les provinces de l’Occident (ier siècle av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C.) », dans Splendidissima ciuitas, p. 13-25 ; G. Poma, « Incolae : alcune osservazioni », RSA, 28 (1998), p. 135-147. Pour une définition juridique, voir Jacques, Scheid, Rome et l’intégration de l’Empire, 1, p. 247.
86 IAM, ii, 448 : ab diuo Claudio... incolas... impetrauit... [sujet : Marcus Valerius Seuerus, notable chargé de mener une ambassade auprès de l’empereur]. Sur l’identité de ces incolae, voir M. Lenoir, « Histoire d’un massacre. À propos d’IAMlat. 448 et des bona uacantia de Volubilis », dans L’Africa Romana, 6-1 (1989), p. 91 (en particulier les n. 7 et 11).
87 Selon L. Falanga, « Dalle ville romane ercolanesi a quelle vesuviane », Klearchos, 28 (1996), p. 179-183, qui s’appuie sur une série d’indices archéologiques, après la catastrophe de 79 survint un repeuplement intense de la côte et des territoires ravagés par l’éruption, probablement à l’instigation du pouvoir impérial lui-même : Suét., Tit., 8. L’empereur aida les victimes consolando per edicta, pour reprendre les termes exacts employés par Suétone.
88 Modéran, « L’établissement de barbares sur le territoire romain », p. 337-397 (en particulier p. 363-367). Les conclusions de cet article très complet ont été résumées dans id., « L’immigration contrôlée des communautés barbares (déditices, tributaires, lètes, gentiles et fédérés) », dans Rome et les barbares, p. 220-221.
89 Y. Modéran, art. cit., p. 368-374.
90 Sur la question des lètes, la bibliogaphie est immense. On retiendra en particulier R. Mac Mullen, « Barbarian Enclaves in the Northern Roman Empire », AC, 32 (1963), p. 552-552-561 ; H. Roosens, « Laeti, Foederati und andere spätromischen Bevölkerungsniederschläge im belgischen Raum », Die Kunde, 18 (1967), p. 89-109 ; É. Demougeot, « À propos des lètes gaulois au ive siècle », dans Beiträge zur Alten Geschichte und deren Nachleben. Festschrift für Franz Altheim, 2, Berlin, 1970, p. 101-113 ; ead., « Laeti et Gentiles dans la Gaule romaine du ive siècle », dans Actes du colloque d’histoire sociale de l’Université de Besançon, Paris, 1970, p. 101-112 ; R. Günther, « Laeti, foederati und gentiles in Nord- und Nordostgallien im Zusammenhang mit der sogenannten Laetenzivilisation », Zeitschrift für Archeologie des Mittelalters, 5 (1971), p. 39-59 (non uidi) ; id., « Einige neue Untersuchnungen zu den Laeten und Gentilen im Gallien im 4. Jahrhundert und zu ihrer historischen Bedeutung », Klio, 59 (1977), p. 311-321 ; C. J. Simpson, « Laeti in Northern Gaul : A Note on Pan. viii, 21 », Latomus, 36 (1977), p. 169-170 ; id., « Julian and the Laeti : A Note on Ammianus Marcellinus, xx, 8, 13 », Latomus, 36-2 (1977), p. 521-523 ; L. Cracco-Ruggini, « I Barbari in Italia nei secoli del Impero », dans Magistra Barbaritatis. I barbari in Italia, Milan, 1984, p. 3-51 ; C. J. Simpson, « Laeti in the Notifia Dignitatum. Regular Soldiers vs. Soldier-farmers », Revue belge de philologie, 66 (1988), p. 80-85 ; J. Szidat, « Terrae Laeticae (Cod. Theod. xiii, 11, 10) », dans Historische Interpretationen : Gerold Walser zum 75. Geburtstag dargebracht von Freunden, Kollegen und Schülern, Weinmann-Walser M. éd., Stuttgart, 1995 (Historia. Einzelschriften, 100), p. 151-159 ; J. Szidat, « Laetensiedlungen in Gallien im 4. und 5. Jahrhundert », dans La politique édilitaire dans les provinces de l’Empire romain, Frei-Stolba R., Herzig H. éd., Berne, 1995, p. 283-293. En dernier lieu, Modéran, art. cit., p. 375 et suiv., dont il semble préférable de suivre les conclusions prudentes.
91 Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 765.
92 Pour une définition simple de foedus : U. Heider, « Foederati », dans Der Neue Pauly, iv (1998), col. 579-580.
93 Voir les analyses de H. W. Böhme, Germanische Grabfunde des 4. bis 5. Jahrhunderts zwischen unterer Elbe und Loire. Studien zur Chronologie und Bevölkerungsgeschichte, Munich, 1974, p. 199-203. Cet archéologue distingue deux vagues d’implantation de lètes : la première (placée dans le dernier tiers du iiie siècle) n’aurait pas laissé de traces matérielles, contrairement à la seconde (ive siècle). Il interprète ces phénomènes comme un indice de plus ou moins grande assimilation dans les populations gallo-romaines. Cette deuxième vague semble illustrée avec éclat par une découverte archéologique récente : V. Gonzales, P. Ouzoulias, P. Van Ossel, « Saint-Ouen-du-Breuil : un habitat germanique du ive siècle apr. J.-C. en Haute-Normandie », Bulletin de la SFAC dans RA (1999), p. 203-210. En territoire éduen, une telle présence est indétectable dans les indices matériels archéologiques mis au jour : Kasprzyk, op. cit., 1-b, p. 363 et 367.
94 Kasprzyk, op. cit., 1-b, p. 375-379.
95 Le verbe iubere apparaît ainsi dans des inscriptions relatives à des restaurations ou des constructions dans les cités ordonnées de manière expresse par les empereurs. On trouvera des analyses intéressantes de ce terme dans Chastagnol, « Le formulaire », p. 60-64, ainsi que dans Waldherr, Kaiserliche Baupolitik in Nordafrika, p. 328-336, en particulier p. 328-329. À titre d’exemple, c’est ainsi que l’empereur Gallien ordonna la reconstruction des murailles de Vérone (CIL, v, 3329 = ILS, 544 ; AE, 1963, 113) ; que Dioclétien et Maximien iusserunt, « ordonnèrent en vertu de leur pouvoir normatif », la reconstruction des portes, des murs et de bâtiments publics de Grenoble (CIL, xii, 2229 a-b = ILS, 620 et 620a ; ILN, 5-2, 366 a-b ; Grenoble, no 16) ; qu’ils ordonnèrent la construction d’une basilique à Tarraco (AE, 1929, 233 = 1938, 13 ; RIT, 91) ou d’un temple à Côme (le terme employé ici est iussu : AE, 1914, 249 = 1917-1918, 124 ; 1919, 52 ; 1948, 203). Constantin et ses fils ordonnèrent dans des termes équivalents la construction d’un aqueduc à Serino (AE, 1939, 151 = 1983, 194). C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’ordre officiel (iussu) de Dioclétien de repeupler la Thrace avec des prisonniers barbares dans le texte mentionné plus haut (Panégyrique latin iv(8), 21, 1). Dans tous les cas, il s’agit d’entreprises de grande ampleur ou jugées importantes par les princes, d’où leur implication dans chacune de ces affaires. De tels ordres officiels pouvaient être relayés ensuite à l’échelon provincial par le gouverneur. Une inscription de Madaure datée de la dyarchie de Dioclétien et Maximien (ILAlg, i, 2048) rappelle que le temple d’Hercule fut restauré, avec les portiques qui l’entouraient, sur ordre (iubente) du proconsul T. Claudius Aurelius Aristobulus (PLRE, 1, p. 106), ordre lui-même relayé dans la cité (per instantiam) par le légat C. Macrinius Sossianus (PLRE, 1, Sossianus 2, p. 849). Dans les textes du Code Théodosien, le verbe visant à signifier l’établissement de règles par les empereurs et leur application immédiate est précisément le verbe iubere sous la forme iussimus, comme dans CTh., ii, 1, 2 ; ii, 8, 1, pour ne prendre que deux exemples.
96 Cette signification de statuere, « établir quelque chose par une décision ou une directive officielle, conforme au droit », est bien soulignée par les auteurs de lֹ’OLD, p. 1815. Le verbe est très présent dans le Code Théodosien, sous la forme statuimus par exemple : CTh., i, 6, 8 ; ii, 1, 7 ; ii, 6, 4.
97 Iudicare s’entend ici dans son sens premier d’« agir en tant que juge », de« prononcer un jugement officiel » : OLD, p. 979 ; F. Oomes, « iudicare », dans ThLL, vii-2 (1956-1979), col. 617-623.
98 Rebourg, art. cit., p. 220. La remarque est intéressante d’un point de vue historiographique. Elle reflète une série de renversements de perspective dans le rapport entretenu par les archéologues avec les sources littéraires et épigraphiques. Au xixe siècle, ces derniers leur accordent une confiance absolue, cherchant à confirmer sur le terrain les témoignages des textes, quitte à forcer la réalité et les interprétations. Cela a parfois débouché sur une réaction hypercritique, en particulier à partir des années 1960, tout aussi stérile et vaine, prônant un refus systématique d’utiliser les textes sous n’importe quelle forme. Le scepticisme d’Alain Rebourg concernant la restauration d’Autun conçue comme un mythe porte cet héritage et, qui plus est, repose sur une approche très partielle de la documentation archéologique (la fouille de la maison de retraite). On mesure dans ces conditions tout l’intérêt pour les historiens et les archéologues d’un nouvel examen critique de la documentation des fouilles anciennes. Exemplaire à ce titre est la proposition de Michel Kasprzyk de resituer le forum là où il était convenu de le placer depuis l’époque médiévale, dans le quartier de Marchaux : Kasprzyk, op. cit., 1-A, p. 158-166 (voir fig. 1, supra p. 144).
99 Aur.-Vict., xxxix, 45 (éd./trad. P. Dufraigne, CUF) : mirum in modum adbuc nouis cultisque pulchre moenibus Romana culmina et ceterae urbes ornatae, maxime Carthago, Mediolanum, Nicomedia. A contrario, Lactance dénonçait cette politique édilitaire de restauration en l’assimilant à un vice, la cupiditas aedificandi (Lact., Mort., vii, 8).
100 Rebourg, art. cit., p. 220 ; Kasprzyk, op. cit., 1-a, p. 160.
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