La quête d’une discipline éclairée
p. 185-252
Texte intégral
1Parmi les multiples sujets abordés par les mémoires de la sous-série 1 M, la question de la discipline militaire occupe une place à part, délimitée par l’existence de deux cartons qui lui sont spécifiquement consacrés1. Si l’un d’entre eux regroupe pour l’essentiel des informations judiciaires, le deuxième contient quant à lui plusieurs mémoires, dont l’un porte un titre particulièrement épuré et évocateur : Discipline2. Bien que ce document ne soit pas signé, l’identification de son auteur, le baron de Maltzan, est néanmoins rendue possible par une lettre qui l’accompagne fort heureusement3. Celle-ci s’avère d’autant plus utile qu’elle permet également de dater l’envoi du texte, adressé le 5 juin 1776 au secrétaire d’État de la Guerre, le comte de Saint-Germain. Il s’agit bien ici de la date d’expédition et non de celle de la rédaction. Maltzan nous apprend en effet que son mémoire a été rédigé il y a quelques années, pour son instruction personnelle. Sa décision soudaine de l’envoyer au ministre est le fruit des circonstances, et plus précisément de la décision annoncée par Saint-Germain de produire un code destiné à regrouper l’ensemble des ordonnances militaires. Le désir de contribuer par ses lumières à cet ample travail pousse le baron à adresser au secrétaire d’État un ouvrage qu’il tenait jusqu’alors resserré dans ses cartons. Néanmoins, s’il ne fut pas produit en 1776, son mémoire ne semble guère plus ancien. Diverses citations, ainsi qu’une allusion probable à l’ordonnance du 17 avril 1772, laissent en effet penser qu’il fut écrit au début des années 1770 et que son auteur n’attendit pas longtemps avant de l’envoyer.
2Transmis de son propre chef par Maltzan, le texte Discipline s’inscrit dans la catégorie des nombreux mémoires envoyés spontanément au département de la Guerre, afin de contribuer à la réforme de l’armée. Son auteur ne se distingue d’ailleurs pas de la figure ordinaire des faiseurs de projets. Militaire de carrière, il a commencé à servir dès l’âge de six ans comme lieutenant en second dans le régiment d’Alsace. Ses débuts précoces, sans doute favorisés par son appartenance à une famille alsacienne reconnue, sont suivis d’une carrière de qualité sans être exceptionnelle. Fait aide-major des Volontaires-Étrangers en 1756, avant d’occuper le même poste dans la légion de Lorraine en 1763, il reçoit successivement le rang de capitaine en 1759, celui de major en 1769 et enfin celui de colonel en 17724. Cette progression, en marge de la hiérarchie militaire, puisqu’elle s’effectue par le biais de commissions qui ne sont pas des grades effectifs5, lui permet de devenir colonel en second du régiment de Bourgogne le 18 avril 17766. Malgré cette nomination, c’est pourtant comme officier de la légion de Lorraine qu’il signe sa lettre d’envoi. Il semble donc que sa promotion n’ait pas été encore effective à la date du 5 juin. Quoi qu’il en soit, au moment de l’expédition de son texte, Maltzan a déjà plus de trente années de service et une carrière assez proche de celle de nombreux autres officiers particuliers rédacteurs de mémoires. Celle-ci est à la fois remarquable pour un membre de la petite noblesse provinciale dénué de fortes relations, en même temps que terne comparée à celle des membres de la noblesse de cour, dont le parcours est non seulement plus rapide mais aussi plus brillant7.
3De même que pour beaucoup de ses confrères, les nombreuses années qu’il a passées au service constituent pour Maltzan sa principale source de légitimité. S’il peut parler de discipline, c’est bien parce que ses fonctions d’aide-major l’ont amené à dresser une multitude de soldats et d’officiers. Il s’exprime donc en tant qu’expert, et ce d’autant plus qu’il joint à son ancienneté d’importantes connaissances théoriques. Maltzan est en effet l’incarnation type de l’officier des Lumières qui réunit désormais en lui la figure de l’instructeur, de l’homme de guerre et de l’homme de plume. Au temps passé à former son régiment s’ajoute ainsi sa participation aux campagnes de la guerre de Sept Ans, à celles de la conquête de la Corse et même à une expédition polonaise, en 1772, qui lui vaut d’être fait prisonnier. Mais Maltzan a surtout profité de l’importance nouvelle que la paix occupe dans les services des officiers français à la fin de l’Ancien Régime pour se fortifier dans la connaissance de l’art de la guerre. Nous l’avons évoqué, son mémoire sur la discipline est avant tout le produit d’un travail d’instruction personnelle. Il constitue surtout une goutte d’eau parmi les nombreux écrits théoriques du baron, qui revendique, à la veille de sa mort, pas moins de trente gros cartons remplis de cahiers rédigés pour lui-même. Dès 1778, deux ans après l’envoi de son mémoire au comte de Saint-Germain, il envisageait d’ailleurs de rédiger une somme sur l’art de la guerre, destinée à servir à l’éducation des jeunes officiers8. Un projet qui ne voit finalement pas le jour, faute sans doute de soutien de la part du ministère9. Auteur prolixe, Maltzan incarne ainsi la place nouvelle que la production de mémoires occupe dans la carrière d’un officier, que ces écrits soient destinés au département de la Guerre, qu’ils circulent dans un cercle restreint ou demeurent enfoui à l’état de simple brouillon.
4Manuscrit parmi d’autres, son mémoire sur la discipline s’inscrit à l’intérieur d’un contexte bien précis, dont l’origine remonte à la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748). Bien qu’achevé victorieusement, ce conflit est l’occasion d’une première remise en cause de l’armée française. En effet, l’échec de l’intervention en Bohème et la défaite de Dettingen (1743) sont notamment interprétés comme la conséquence d’une indiscipline tenace qui mine les troupes, tant sur les routes que sur le champ de bataille. Une réforme militaire apparaît dès lors nécessaire, et ce d’autant plus qu’un nouveau modèle s’impose en Europe, celui de l’armée prussienne. Formée sur les terrains d’exercices, cette dernière triomphe dès 1741, à la bataille de Mollwitz, face à son homologue autrichien, pourtant bien plus aguerri par de multiples guerres menées, entre autres, contre l’Empire Ottoman. Cette victoire spectaculaire érige l’entraînement des troupes en temps de paix comme principal critère de l’efficacité d’une armée. Au lendemain de la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, le comte d’Argenson entame en conséquence une série de réformes qui concernent en particulier la tactique et la formation des troupes. La pratique des exercices est considérablement intensifiée, en même temps que leur nature se modifie. Les évolutions s’effectuent désormais systématiquement à rangs serrés10, le pas cadencé est introduit, le maniement des armes devient à la fois plus rapide et plus resserré… De ces transformations résulte une emprise minutieuse sur le corps du soldat, dont la position et les mouvements sont réglés avec une précision jusque là inégalée.
5À ce premier travail de rénovation, la guerre de Sept Ans conduit à en substituer un second, beaucoup plus ample. Les déboires de l’année 1757, au premier rang desquels se trouve bien sûr la déroute de Rossbach, marquent fortement l’opinion française. L’armée a non seulement été écrasée sur le plan tactique par celle qui lui sert de modèle depuis une dizaine d’année, mais elle a également fait preuve d’une indiscipline éhontée. La maraude, dont les officiers furent parfois les premiers à donner l’exemple, a atteint des proportions effroyables. Le 17 décembre 1757, Cornillon, major général de l’infanterie, affirme ainsi qu’il est devenu « absolument nécessaire de changer presque la constitution militaire » pour conserver au roi une armée11. Ce constat, largement partagé, conduit à refondre les structures mêmes de la hiérarchie militaire épargnées par d’Argenson. En effet, la principale cause des désordres du soldat est alors attribuée à un défaut d’encadrement. Loin de surveiller ses hommes, l’officier est incité à les protéger en raison du mode de recrutement en vigueur. Le système semi-entrepreneurial, dans lequel un capitaine est chargé de recruter lui-même sa compagnie, conduit effectivement ce dernier à limiter au mieux ses pertes humaines. Dans cette perspective, chaque soldat déserteur ou exécuté est synonyme de frais de remplacement. Il en résulte une coupable indulgence à laquelle Choiseul décide de mettre fin en établissant le recrutement au compte du roi en 1762. Une mesure complétée par d’autres, destinées en particulier à briser l’esprit de corps, afin de favoriser une exacte discipline.
6Au moment où le baron de Maltzan rédige son mémoire, la discipline a donc fait l’objet d’importantes transformations, en même temps qu’elle est devenue un sujet de prédilection pour nombre de mémoires. À l’intérieur de ce contexte, l’approche qu’il propose se décompose grossièrement en quatre temps. Le premier consiste à définir la discipline, le second à en montrer les avantages, le troisième à fournir les moyens de l’introduire dans l’armée et le dernier à analyser son rôle dans la tactique. Ce déroulé en apparence limpide, et que l’auteur décompose en un plan en sept parties placé au début de son mémoire, ne doit cependant pas faire illusion. Loin d’être strictement linéaire, la pensée de Maltzan fonctionne par accumulations et par répétitions. À cela s’ajoute un style qu’il est possible de qualifier de médiocre sans faire pour autant injure à la mémoire de son auteur. Il n’est ainsi pas rare, qu’emporté par sa plume, Maltzan formule des phrases dont la longueur égale l’obscurité12. Dans cette perspective, nous ne proposerons ici qu’une synthèse des points forts de son argumentation, sans prétendre restituer l’ensemble de son propos, dont la complexité ne peut être entièrement saisie qu’à travers la lecture de son texte.
7Avant d’analyser la pensée de Maltzan, il convient néanmoins de souligner succinctement l’importance que l’exemple et la citation occupent de manière générale dans son mémoire13. Leur rôle premier est de confirmer les propos de l’auteur par le recours à une auctoritas. Dans cette perspective, l’Histoire constitue une des principales autorités convoquées, qu’elle soit celle des Anciens ou plus récente, le Moyen Âge étant pour sa part largement délaissé. Xénophon, Polybe, Tite-Live, César, Virgile ou encore Salluste sont notamment mobilisés, qu’ils aient été lus dans le texte ou que Maltzan se contente d’en rapporter les anecdotes les plus célèbres, communes à toute la littérature du xviiie siècle. À ce premier référent, qui n’a rien pour surprendre à une époque où l’histoire constitue un socle commun à tous les auteurs, s’en joint un second : celui de la littérature militaire. Les auteurs antiques, comme Léon le Sage, se mêlent aux plus récents, que ce soit le duc de Rohan, le maréchal de Saxe, Hérouville de Claye, Pazzi de Bonneville, Turpin de Crissé ou encore Folard, que le baron a sans doute parcouru, bien qu’il ne le cite pas ouvertement. Ces ouvrages théoriques sont complétés par des lectures plus littéraires, comme les Héros Subalternes ou les Loisirs d’un soldat aux gardes françaises. À ces écrits, dont la présence dans le mémoire de Maltzan atteste l’influence, s’ajoute enfin une troisième catégorie, celle des œuvres littéraires et philosophiques. Montesquieu surtout, mais aussi Fénelon, Machiavel, Diderot, Helvétius, l’abbé Girard ou Le Camus, doyen de la faculté de médecine, sont tour à tour repris, si ce n’est ouvertement mentionnés. Apparaît ainsi une des caractéristiques essentielles des écrits des officiers-philosophes du xviiie siècle qui puisent dans des champs extrêmement divers, en particulier celui de la philosophie, pour construire leur réflexion.
8S’appuyant sur ces multiples lectures, Maltzan construit une conception de la discipline qui est essentiellement tactique. Il la conçoit en effet comme la garante de l’ordre nécessaire aux évolutions d’une troupe. À ce titre, elle s’oppose aux passions, qui ne sont au mieux qu’une fusée brillante dont l’effet ne dure qu’un instant, et plus souvent la cause même du désordre. À l’inverse, la discipline est une lumière diffuse qui éclaire tout le combat et qui assure la constance des troupes. Pour Maltzan, il ne saurait donc être question de s’opposer à l’introduction de la discipline au nom d’une valeur française faite de bravoure et d’élan guerrier. Cette dernière est trop inconstante, elle soumet l’issu de la bataille au hasard et à la versatilité des sentiments humains. Elle s’oppose par ailleurs à la valeur froide et à la culture de l’endurance qui forment selon lui la véritable source de la belle gloire. Le vrai soldat est le soldat discipliné et non le héros, au service de ses intérêts personnels plus que de la patrie et dont les actes sont plus souvent nuisibles qu’utiles.
9Cette discipline ne doit cependant pas s’imposer par la force et la contrainte, contrairement à ce que Maltzan estime avoir été fait jusqu’à présent. Il ne suffit pas d’exiger du soldat qu’il se tienne immobile comme un automate, il faut lui insuffler des sentiments, il faut lui faire aimer ses devoirs. Dès lors, la discipline doit être une véritable éducation, à même d’étouffer en lui la force des mouvements intérieurs. Elle doit le conduire à renoncer à son opinion au profit de celle de son chef, non par obligation, mais avec plaisir. Pour parvenir à cette fin, le patriotisme serait sans aucun doute le meilleur ressort. L’amour de la patrie conduit en effet les hommes à sacrifier leur intérêt personnel au profit du bien collectif. Il engendre la vertu, cette qualité propre aux républiques. Pourtant, s’il est le moyen idéal de conduire les hommes, il ne saurait être pour Maltzan d’une réelle utilité dans la France du xviiie siècle. L’organisation monarchique de l’État, les limites surtout d’un recrutement volontaire qui fait de la troupe « le peuple du peuple », lui ôtent en effet toute véritable pertinence.
10Dès lors, c’est vers le point d’honneur qu’il convient de se tourner. À la différence du patriotisme, celui-ci est en effet présent en chaque soldat, car il constitue une qualité éminente de la nation française. Maltzan s’inscrit ici dans le mouvement de démocratisation et de nationalisation de l’honneur qui s’affirme en France au lendemain de la guerre de Sept Ans. Deux traits spécifiques distinguent cependant sa conception de l’honneur. Le premier est que celui-ci ne doit pas, comme dans les armées d’autrefois, l’emporter sur la discipline mais lui être subordonné. Le second tient dans le paradoxe apparent opposant l’honneur comme qualité propre à la nation et l’idée que cet honneur est néanmoins un objet construit et instrumentalisé par l’institution militaire. Pour Maltzan, le soldat français est en effet moins doué d’un honneur réel que susceptible du point d’honneur. Cette potentialité doit être exploitée par les officiers qui ont pour mission de forger en lui un honneur conforme aux exigences disciplinaires du temps. Pour y parvenir, plusieurs voies doivent être explorées. La réforme de l’instruction du soldat, où les coups doivent disparaître au profit de la douceur et de l’appel à l’intelligence des recrues, l’esprit de corps, qui doit assurer un contrôle efficace des troupes par elles-mêmes, la refonte des châtiments, destinés à devenir moins arbitraires et plus justes, et surtout l’accroissement des récompenses, meilleur moyen de conduire les hommes vers le bien désiré. Ces différents éléments sont autant de moyens d’améliorer le sort du soldat, de susciter en lui l’estime de soi et de le doter d’un honneur, envisagé par Maltzan comme le plus sûr garant de la discipline.
11Le mémoire de Maltzan offre ainsi une plongée dans un des problèmes essentiels de l’armée des Lumières. Celui de la conciliation entre les exigences disciplinaires de la tactique et la motivation de combattants réduits au rang d’automates. Pour y parvenir, l’honneur est la clé de voûte, mais un honneur conçu comme un objet construit et qui implique comme postulat que le soldat soit entièrement malléable. L’œuvre de Maltzan s’ancre ainsi à l’intérieur d’un fort substrat empiriste, caractéristique de son époque qui accorde à l’éducation un pouvoir sans limite. En cette dernière réside ultimement l’espoir crucial de pouvoir, non seulement dresser les corps, mais aussi mobiliser des âmes pour lesquelles l’honneur et la discipline ne feraient qu’un.
Discipline14
12Privas, ce 5 juin 1776
13Monseigneur,
14je viens de voir dans les papiers publics que le militaire peut enfin se flatter de recevoir de vous, Monseigneur, ce code intéressant, même essentiel, qui réunira toutes les parties de l’instruction et des devoirs de tout officier, à consulter et à suivre dans tous les cas et circonstances possibles à prévoir où il peut se trouver, dont les militaires instruits et zélés pour la perfection de leur art connoissent si bien l’avantage et le désirent si ardemment, depuis que nos diverses ordonnances commencent à faire bibliothèque sans que tout y soit prévu, et où il paraît qu’il y a des contradictions depuis qu’il existe une quantité de lettres des ministres qui font décisions sur des objets dont les officiers particuliers n’ont pas de connoissance, ce qui, avec d’autres raisons encore, rend un seul et même code clair et concis, universel et uniforme, tenant de la raison et de la vérité, à être suivi partout [sic] les officiers, de quelque grade et naissance qu’il puissent [sic] être, d’un avantage et d’une nécessité également inestimables pour la nation entière, et dont on peut d’autant plus se flatter de la stricte observation que cette nation désire unanimement le tenir d’un ministre qui réunisse toutes les parties de l’art pour le prescrire et le faire observer.
15L’article discipline qui y est annoncé m’a rappellé que dans le nombre des cahiers que je me suis formé sur les diverses [sic] objets du métier pour mon instruction particulière, il s’en trouve un sur cet objet. J’ay l’honneur de vous l’adresser, Monseigneur, tel qu’il se trouve dans mon portefeuille, trop heureux si dans cet écrit dicté par l’amour pour ma patrie, après trente années d’expériences dans le métier passées à exercer des soldats et des officiers, à les suivres [sic], à causer avec eux et à chercher à les connoitres [sic], il se trouvoit dans ce que je pense et que je propose seulement quelques lignes qui fussent conformes aux vues et principes de Monseigneur. Mon amour propre seroit bien flatté et c’est pour lors que je croirai la plus grande partie de ma vie consacrée à étudier, à pénétrer et à apronfondir [sic] mon métier bien employée.
16Je n’y joins pas, Monseigneur, les nottes qui y sont annoncées par les chiffres. Ce sont en général des citations et des exemples qui font autorité pour ce que j’avance, des réflexions qui découlent naturellement des parties qui y sont traitées, des vues et des moyens propres à assurer ce qu’on s’y propose. Elles exigeroient, pour être lues, un tems qui est trop précieux à l’État pour le donner à des objets en [sic] détails que Monseigneur trouvera dans le grand en un seul moment de réflexions.
17Il y a déjà quelques années, Monseigneur, que ce mémoire est fait sans que j’aie pu le retoucher. Si par le peu de bon qu’il peut y avoir, il jugeât qu’il vaille la peine d’être traitéa plus amplement, ou que les nottes soient malgré cela une chose à voir, je n’attendrois que ses ordres pour m’y livrer entièrement.
18Je suis avec un très profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur,
19Maltzan, officier dans la légion de Loraine
Division et objets dont traite ce mémoire
[Page 1] Section ière : définition de la discipline
20La discipline, la marche, l’exercice du fusil, &a sont les éléments de la guerre, aussi indispensables pour elle que l’eau, l’air et le feu le sont pour le monde. La victoire est une action où ces éléments de l’art de la guerre se trouvent combinés en un juste rapport et relativement au cas, de manière que chacun en particulier puisse agir plus avantageusement pour la circonstance, en visant également avec les autres à la fin générale : à la victoire. C’est de cette combinaison que naissent les principes et fondements. C’est sur de pareils sujets que les studieux et doctes tacticiens du jour devroient nous donner leurs remarques et idées, surtout en les adaptant à des cas nouveaux et à d’autres non prévus par leurs prédécesseurs. Le plus essentiel et le plus avantageux des trois et qui, par conséquent, mérite la plus grande attention, c’est la discipline. Tout sçavant mouvement militaire suppose une troupe bien exercée et supérieurement disciplinée. Ayant donné un moyen de parvenir au premier objet (l’exercice), voyons à la fois l’essentiel et le possible du second (la discipline).
21La discipline est dans le métier, ce que le point est en géométrie, c’est le générateur de tout. Aveugle dans son procédé, dangereuse dans ses suites, la valeur téméraire dénuée de ce sublime avantage n’est plus que l’emportement insensé d’un frénétique [Page 2] ou l’effort inutile d’un enfant qui voudroit ébranler une tour dont la vue lui déplaît.
22Si la guerre est le métier des héros, la discipline est l’arbitre des combats. Oui, dans tout État où le gouvernement est militaire, dans celui dont la puissance, ou position, exige une nombreuse milice, la discipline en est le rempart, le nerf et le soutien, comme elle fut la cause de ses succès et la baze de sa grandeur. C’est elle qui décide entre les maîtres de la terre, c’est elle qui donna à Rome l’empire du monde. Sa décadence entraîna celle de ce colosse redoutable qui sembloit braver le temps, le hazard et la fortune. C’est ainsi qu’elle préside au destin de l’univers. C’est elle qui changea les affaires de l’Europe depuis 100 ans par les moyens qu’elle prêta aux Gustaves15, aux Maurices16, aux Charles XII17, Pierre Ier et à Frédérick18.
23Ô vous qui vous amusés à des superbes bagatelles militaires, vous qui travaillés sans cesse à de brillants riens, ne croyés pas que cette discipline que je préconise consiste à faire blanchir des gibernes et polir des armes, à fatiguer, ennuyer et décourager le soldat. Pourquoi des hommes de génie ne se consacrent-ils pas à approfondir ce ressort divin, cette véritable philosophie du métier. Oh ! que leur temps seroit mieux emploié qu’à perfectionner de laborieuses minuties ou à renouveller sans cesse des idées systématiques et presque toujours inutiles dans la pratique. Tout homme est capable de faire du bien à un autre homme, mais [Page 3] c’est ressembler aux dieux que de contribuer au bonheur d’une société entière, et c’est à quoi on peut prétendre avec justice en y établissant la discipline. Quoi ! Notre siècle prétend au titre de siècle philosophe (et plus un métier est barbare, plus il mérite l’attention et les soins du philosophe), il abonde en politiques qui cherchent à éclairer les nations, tout est approfondi, tout est perfectionné, nous mesurons les cieux, nous instruisons la terre, toutes les sciences sont également cultivées, soit mode, soit désir du bien, on étudie enfin la tactique comme tous les autres arts, on invente, on perfectionne, on entasse des volumes, chaque année on fait une ordonnance, on met à contribution les Anciens et les Modernes, et l’on n’a pu parvenir encore à établir cette discipline sans laqu’elle composer des évolutions militaires et des systèmes de tactique, c’est bâtir sur le sable…
24Que dis-je ! On n’a point encore établi cette discipline… Peut être n’en a-t-on pas encore senti toute l’importance, peut-être ne sommes nous pas encore assés avancés pour apprécier la distance immense où nous sommes encore du bon, du parfait et même du convenable pour la nation ? Vous qui commandés à des François, sentés tout ce que peut et doit ajouter la discipline aux singulières ressources de cet esprit national qu’on ne peut comparer à aucun autre. Que de soins vous vous donnerés alors pour son établissement et son maintien. [Page 4] Mais ne croyés pas que cette valeur nationale et la discipline soient la même chose pour avoir produit quelques fois des effets semblables, si la discipline y avait été jointe, elle aurait produit un effet comme d’un à mille. Plus d’un observateur connoisseur a dit que les François attaquent vigoureusement par esprit national, mais qu’ils sont battus étant réduits à la deffensive. Qui ne voit le deffaut du dernier point dans celui de la discipline négligée ?
25Soyés bien convaincus que plus le soldat est valeureux et plus il tient de la machine, car la valeur du soldat n’est autre chose que la fermentation du sang, plus sa bravoure est outrée et plus elle a besoin d’être contenue.
[Page 5] Section iie : Nécessité de la discipline. Preuves
26L’indiscipline a fait perdre toutes les batailles. La bravoure poussée jusqu’à la témérité en a fait perdre beaucoup et la discipline les a toujours fait gagner. J’ose dire plus de l’indiscipline, elle a même fait perdre des batailles qui étoient gagnées et, sans en aller chercher des exemples parmi les Anciens ou nations éloignées, dont l’ancienneté des faits ou des relations mal constatées ne s’envisagent jamais avec autant d’intérêt et de confiance que ceux dont nous sommes contemporains, je citerai de préférence ici les batailles de Sohr19 et Czaslaw20, en 17.. et 17.., entre les Autrichiens et les Prussiens, qui sont des exemples et des preuves vivantes dans notre mémoire de ce que j’avance ; tandis que la discipline et l’ordre qui s’en suit sauva seule l’armée autrichienne en 1760, à la bataille de Torgau, où ils [sic] furent en même temps attaqués à leurs deux ailes, au centre et par derrière, et obligés par là de faire face et de combattre sur tous ses [sic] côtés une armée supérieure21.
27Il ne faut qu’une médiocre connoissance de l’histoire pour se convaincre que la plus grande partie de nos malheurs fut causée par l’indiscipline et, pour ne [Page 6] citer ici que les principales plaies qui firent si longtemps saigner la France, Brenneville22 et Courtrai23, Creci24, Poitiers25, Azincourt26, Maupertuis27 et Pavie28, sans parler de celle de nos jours en 1700, 1733, 1740, ne devroient jamais sortir de la mémoire des François. Le désordre fut la première cause de ces terribles défaites. Tout le monde sçait que l’indiscipline de notre belliqueuse noblesse a anéanti tous les avantages que les circonstances et le nombre nous donnoient à Azincourt. Quiconque aura observé la nation depuis son origine jusqu’au moment où nous vivons conviendra que si son caractère la rend la nation de l’Europe la plus propre à la guerre, sa présomption, son impétuosité qui raisonnent rarement et beaucoup d’autres raisons morales lui rendent le joug de la discipline plus nécessaire qu’à tout autre. Elle ne se croit rien d’impossible à la guerre et cela sera très vrai toutes les fois qu’elle sera obéissante, sage et bien menée, c’est à dire que les officiers et les soldats seront disciplinés.
28La bravoure ne supplée jamais à la discipline et la discipline peut toujours suppléer à la bravoure. Elle fait d’un lâche un brave ainsi que s’il l’étoit, ce qui revient au même dans la plupart des cas de guerre. L’exactitude ponctuelle dans le service marche à côté du talent et du sçavoir pour le subalterne.
29Il ne faut pas croire que la [Page 7] discipline, la subordination et cette obéissance serville avilissent le courage. L’on a toujours vu que plus la discipline a été sévère et plus on a exécuté de grandes choses avec les armées où elle étoit établie. On peut ajouter que la discipline, non seulement augmente les forces de l’âme par la constance, persévérance et obéissance, mais elle augmente également celles du corps, sur lequel la privation des besoins phisiques même ne peuvent [sic] rien, ou très peu. Faim, soif, chaleur, lassitude, &a : tous ces ennemis et destructeurs des plus beaux projets militaires n’ont rien d’effrayant pour un soldat discipliné. À force de les avoir raisonnés, de s’y exposer et familiariser, à force d’en avoir triomphé, il est sûr d’en être encore vainqueur. Et cette gloire ne tient elle pas lieu de tout à des François et ne rend elle pas tout possible ? Elle se soumet les obstacles les plus grands de l’art et de la nature. C’est elle qui fit s’écrier à Alexandre : « Ô Athéniens ! À quels dangers je m’expose pour mériter vos éloges » dans ses [sic] moments pénibles de sa conquête de l’Inde.
30La discipline et la belle gloire sont un dans leurs principes, un dans leurs sources, un dans leurs vues, un dans leurs moyens, un dans leurs effets. Tout est donc possible par leurs secours, lorsqu’on veut être grand par des services rendus à sa patrie. Et comme on est maître d’inspirer et même de faire aimer ces sentiments à ses subordonnés, on peut donc avec assurance entreprendre tout et se charger de tout [Page 8] sans aucune exception. Voila bien de quoi me faire dire que je ne doute de rien, mais n’ayant pas trouvé d’obstacles insurmontables au peu de choses dont j’ai été chargé, j’ose croire que je les vainquerois également en des objets plus intéressants. Cette opinion est d’ailleurs un désir commun avec ma nation de voir établir le bien et non de l’amour propre. Je reste donc convaincu que tout est possible avec quelque peu de talents et de l’autorité. On ne manque pas de moyens pour cela. De quoi ne vient [sic] pas à bout l’imagination, le jugement et une tête propre à exécuter, avec des soldats françois. Revenons à la discipline.
31Qu’elle plus grande preuve de l’avantage de la discipline que ce que Cézar dit lui même ?
32Cézar convient que ce n’est ni ses exhortations, ni sa présence partout, ni l’ordre du combat ordinaire, ni l’avantage du terrein − ayant été obligé de combattre où il s’est trouvé − qui le sauva [sic] dans sa surprise par les Tournaisiens, la même campagne et après ses victoires remportées sur les Belges, les Autunois, ceux de Beauvais et de Rheims29, mais il attribue le salut de cette journée et l’heureux succès à la bonne et longue discipline de ses soldats, qui sçavoient d’eux mêmes se ranger où il falloit, et à ce qu’il faisoit observer exactement à tous ses officiers de demeurer en leur devoir tandis que le [Page 9] retranchement du camp se faisoit. Si bien que partout il se trouva des gens à commander et d’autres à obéir, ce qui produisit la plus vigoureuse résistance et empêcha l’étonnement. Un État militaire qui n’est éclairé ni étayé de la justesse que produit l’ordre de la discipline est à comparer à la supertition, compagne et fille de l’ignorance.
33Un militaire grand et nombreux quelconque qui n’a pour baze la discipline est un corps paralitique du membre le plus utile et qui ne fait que végéter, ramper et se traîner, sans être capable des grandes actions qui lui seroient si faciles étant discipliné. Des premiers maux qui sortirent de la boîte de Pandore contraires au bonheur de l’espèce humaine, et particulièrement à la gloire de tout militaire, l’indiscipline marcha à la tête. L’indiscipline est une corruption du cœur et une foiblesse de l’esprit, dont l’influence funeste amolit le corps, anéantit le courage, détruit tout établissement avantageux pour peu qu’il soit assujétissant ou pénible, dégrade les mœurs, change les usages, les armes et jusqu’aux ordonnances sans retour avec lesquels on a jusque là vaincu ses ennemis, comme on poura le voir dans la note qui se trouve à la fin de ce cahier sur le trop peu de profondeur des lignes dans l’ordre de bataille générale [sic]. L’indiscipline fait périr non seulement l’autorité des chefs, la puissance et les États des princes et souverains, mais [Page 10] encore leur personne. Et c’est à la discipline que vous avés l’obligation que le soldat aujourd’hui, ce peuple du peuple, est de tous les êtres le plus maniable, le plus souple à se plier et à recevoir les impressions quelconques.
34L’observateur de la conduite de Cézar dans sa campagne contre les Allemands de Francfort et de Hesse, chassés de leur pays par les puissants et hardis Suèves, rapporte qu’un corps de sa cavalerie de 5 000 étant allé au fourage dans le pays de Gueldre et Juliers fit rencontre de 800 de leurs chevaux, qui les battirent à plate couture. Que le lendemain, Cézar, avec son armée composée de 40 000, marche à ses Allemands au nombre de 450 000 et les défit entièrement. D’où il conclut que ce n’est pas la vaillance naturelle d’une nation sur une autre, ni le grand nombre sur le petit, qui donne le gain des combats, mais l’observation exacte de la discipline et l’exercice continuel des armes qui instruit [sic] non seulement à bien combattre, mais aussi à bien prendre ses avantages et à connoitre quand il faut combattre ou non30. Il dit de plus que Cézar a continuellement cherché l’occasion de combattre, soit en cherchant les ennemis, soit qu’ils l’attaquassent en campagne rase ou qu’il se retira en lieux inaccessibles, sans jamais en aucune [Page 11] circonstance avoir rien relâché d’aucun point de la discipline. Voyés les grandes actions, les batailles extraordinaires et de nombre de combattants disproportionné de tous les siècles : qu’est-ce qui les a fait réussir ? C’est la discipline.
35300 Grecs au passage des Termophiles [sic] combattirent et arrêtèrent longtems l’armée innombrable de Xercès31. 10 000 Grecs, qui étoient au service de Cirus32, firent plier 100 000 Perses à la bataille de Cunaxa33 contre Artaxerces et retournèrent victorieux dans leur pays sous la conduite de Xénophon34, par l’espace de plus de 1200 lieues35, à travers mille dangers, après avoir perdu leurs principaux chefs dans les combats qu’ils ont livré [sic] et par la trahison qu’ils ont éprouvé [sic].
36Épaminondas, général des Thébains, avec 4000 hommes, dont il n’y avoit que quatre cents chevaux, défit l’armée de Lacédémone qui était de 1600 chevaux et de 20000 hommes de pied36.
37Cirus, avec 14000 soldats, surmonta des dangers infinis en la guerre des Perses.
38Domitius Corbulon soutint tous les efforts de la puissance des Parthes avec deux légions et quelque peu d’alliés après avoir établi la discipline dans sa petite armée37.
39Alexandre entreprit la conquête du monde avec une armée de 40000 hommes [Page 12] et en défit en bataille rangée des millions38.
40Gustave Adolphe donna la loy à toute l’Allemagne avec des armées si petites, dont le nombre paroit fabuleux, contre des nations aussi guerrières, plus instruites et mieux policées que la sienne.
41Charles XII la donna longtems à une grande partie de l’Europe avec un si petit nombre de soldats qu’on regarde d’abord son plan de guerre comme une folie.
42Caius Marius39 ayant le choix de deux armées qui avoient été commandées par divers généraux choisit la moindre, parce que c’étoit la mieux disciplinée. Ce ne sont pas les grandes armées suivant le maréchal de Saxe qui gagnent des batailles, ce sont les bonnes.
43C’est avec une infanterie disciplinée et infatigable que Monsieur de Turenne40 a eu l’avantage sur des armées supérieures aux siennes et a fait des marches que difficilement on exécuteroit avec celles de nos jours.
44Entre autres effets admirables de la discipline, on peut compter ces retraites simulées pendant les actions, qui ne manquoient pas de donner la victoire à ceux qui cherchoient à attirer par là leurs ennemis dans une embuscade, [dans un] terrein désavantageux, sur une ordonnance qu’on leur avoit cachée, ou en occasionnant par cette manœuvre du désordre dans l’ordonnance de son ennemi en se faisant poursuivre. Oserions nous hazarder [Page 13] pareille chose, ainsi que les Anciens à quelques batailles que je rapporterai ailleurs ? Quand nous voyons et admirons des prodiges dans l’art, qui sont pour le vulgaire des miracles d’opéra dont il ne connoit pas le ressort qui fait mouvoir et opérer ces merveilles, ce ressort sera, dans les prodiges militaires, pour l’homme connoisseur, la discipline.
45L’objet du général est l’exécution de sa volonté : qui obéira le mieux, exécutera le plus juste suivant le projet, ce sera le plus discipliné. La volonté du général est le ressort de son armée, la discipline, la chaîne qui communique au pivot qui, tournant les roues et faisant arriver l’éguille sur le chiffre, annoncent [sic] le grand événement de la victoire par la sagesse du mouvement qu’il reçoit de la tension du ressort monté par l’expérience et le jugement. L’activité du ressort ne se communiquera plus si on n’est discipliné. Où la discipline règne, les mots de hazard et de fortune auront peu à faire dans le succès des actions.
46Ce ne sont pas là des déclamations, ce sont des actions, ce sont des faits. Je le répète et ne le répèterai jamais assés : on n’a point d’idée de ce que pouroit l’impétuosité françoise réglée, guidée, contenue par une discipline annalogue [sic] à leur esprit national. La différence est infinie, elle n’est pas calculable. Le véritable homme de guerre est le soldat discipliné. Après lui, c’est le François. Que seroit-ce s’il réunissoit les [Page 14] deux qualités ? Le degré de la discipline des différentes puissances du continent étant connu, des François disciplinés seulement au même point les battroient toujours, vu l’adjectif à cette discipline, ce point d’honneur, force nationale qui réunit tant de branches avantageuses.
47Des François disciplinés, le prince ne sera jamais dans le cas de s’écrier : Ô Varon rend moi mes légions41. Mais on revient toujours à ce ridicule préjugé, si fortement enraciné, que l’asservissement à la discipline exclut la véritable bravoure chés notre nation. La singulière maxime ! Ainsi le François est moins disciplinable que ce cheval indompté. Je l’ay rendu docile aux leçons que je lui ai prescrittes, je lui ai mis un frein. D’un animal emporté j’ay fait un animal utile. Ai je diminué de sa fierté et de ses moyens ? Et pourquoi le cœur françois, ces âmes sensibles à la gloire, attachées à leur prince par dessus toutes choses, ne seroient-ils [sic] pas susceptibles d’être ramenés, s’ils en ont besoin, par l’obéissance à laqu’elle ils se vouent en entrant dans le métier, par le devoir que leur prescrit leur état, par la volonté de leur prince qu’ils aiment et chérissent, dictés dans les loix de discipline, quoiqu’avec cette fausse idée qu’elle diminue l’avantage national. Non seulement je ne m’arrêterai pas à discuter cette ridicule opinion, mais je dis plus : de toutes les nations, la [Page 15] françoise est celle qui seroit la plus susceptible de subordination si on sçavoit bien la prendre et à laquelle la discipline sera plus utile et plus nécessaire. « L’éducation de ce peuple, dit le maréchal de Saxe, est telle qu’aucun ne se picque plus que lui de ce qu’on appelle sentiment d’honneur et de politesse »42. L’amour propre et l’ambition font ses attributs, ainsi qu’ils le sont de tout cœur vraiment grand. L’opinion et l’idée seule suffit [sic] pour les flatter et rendre leur esprit satisfait. Tels furent chés les Anciens, les Grecs et les premiers Romains, dans un degré plus élevé, ces héros qui cultivoient leurs champs. Ils étoient grands et heureux dans leur médiocrité, parce qu’ils jouissoient des hommages de touts [sic] les hommes, que le défaut de fortune n’étoit pas un obstacle pour eux à développer les talents, à se procurer l’occasion à servir leur patrie. Et tels seroient aujourd’hui encore les François si on remettoit les vertus anciennes à la mode. Quoique leur gouvernement soit monarchique, peu de générations suffiroient pour que tout François réponde ainsi que Pomponius à Mithridate, à qui il fut amené prisonnier et blessé, et questionné : « Si tu guéris, sera-tu mon ami ? Oui, si tu l’es du peuple romain, sinon tu m’auras aussi pour ennemi »43. L’homme est un dés [sic] qu’on pipe, un loup ou renard qu’on prend à l’appas, un poisson à l’hameçon du plus flatteur espoir, attiré en partie par la vérité ou vraisemblance [Page 16], retenu par la crainte ou par l’espoir. On a toujours vu qu’un François égale pour le moins un Romain et un Grec. Où donc chercher une comparaison s’il joignoit à ce grand courage les grands moyens de la discipline. De ceux-ci, au lieu d’être comparé, on serviroit de comparaison.
48Un observateur des hommes en rapport de leur climat a prouvé que « dans les pays chauds, les hommes y ont plus d’esprit que de courage et que, dans les pays froids, ils ont plus de courage que d’esprit »44. D’autres ont poussé leurs remarques plus loin de l’effet des climats chauds sur le courage et le tempérament, et non seulement sur les naturels de ces pays, mais ils ont encore reconnu que le courage, les sentiments héroïques transplantés s’affoiblissent et s’énervent après un très petit espace d’années45. L’heureuse proportion de celui de la France fait que ses habitants réunissent en un degré éminent les avantages de l’un et de l’autre climat. En jugeant encore les hommes d’après leurs loix, gouvernement, éducation, mœurs et nourriture, dans tous ces points de comparaison, on trouvera que les François y sont prédictionnés. Aussi trouve t-on dans leurs fastes des exemples en tout genre de courage, patriotisme et grandeur d’âme qui également [sic] au moins ceux de toutes les nations.
49Je suppose que la discipline ne [Page 17] fût pas du goût du génie françois : y a-t-il quelque chose dans la discipline qui puisse diminuer les qualités innées ou celles qu’on acquiert par l’éducation de l’âme ? Convenés du moins pour l’honneur de votre jugement que la discipline peut faire du bien sans jamais faire du mal. Je sçais bien que parler discipline aux vieux officiers à préjugés c’est parler raison à un sot entêté. Mais cela doit-il annuler la vérité suivante ?
50Notre valeur nationale est un héroïsme, mais la discipline est divine. Se récrier contre la discipline, c’est se récrier contre la raison humaine, oui, contre la loy humaine la plus intéressante. Que de gens croyent, ou du moins disent, que cet esprit de liberté de la nation double ses forces, augmente son courage à un point de générosité à se sacrifier et qui approche de l’héroïsme. Qu’elle erreur ! Et qui vous assurera que cet esprit de liberté ne dégénérera pas bientôt en esprit de libertinage. Cela est du moins à craindre, le premier étant le germe du second. Et la guerre en est l’occasion. Et quand même cet esprit de liberté seroit un moyen, ce ne seroit jamais qu’un paillatif [sic], remèdes qui ont cet inconvénient qu’au plus favorable ils sont insuffisants et plus souvent pernicieux pour tous les abus ou parties concernant le métier.
51Pour remède à tout objet de l’art affoibli, &a, il faut trancher dans le vif. Il n’en est pas de la discipline, dont la négligence engendre [Page 18] des maux actifs et agissants sur le champ, ainsi que des défauts de gouvernement qui n’influent que lentement sur la décadence et sur la ruine d’un empire ou nation. La manière d’y remédier et de les corriger ne peut non plus être la même. Le proverbe vulgaire qu’on applique continuellement et bêtement au redressement des abus des gouverneurs, qui dit que Rome n’avoit pu se faire en un jour, ne peut pas non plus convenir au redressement des abus ou à l’insuffisance de la discipline militaire, en ce que cette dernière partie de législation exige des remèdes dont la vertu spécifique soit aussi prompte que les maux qu’ils répandent donnent eux mêmes la mort.
52Qu’elle idée abjecte ne présente pas à l’esprit délicat le cœur et le courage qui a besoin de secours aussi étrangers à la vertu guerrière et aussi méprisables que ceux qui les soustrait aux yeux et au commandement de leurs chefs, qui dérangent l’ordre et l’ensemble si avantageux, si nécessaires même à la guerre ? Cet ordre seul qui fait paroitre les manœuvres des Anciens être compliquées et difficiles dans leur exécution, tandis qu’elles n’étoient la plupart que sçavantes dans l’invention et faciles dans l’exécution. Preuve de cela : c’est qu’elles rouloient la plupart sur des doublements de rangs et de files, des changements de front et de position par des contremarches de ces mêmes [Page 19] parties, ouvrir et serrer à diverses distances leurs rangs et files, et quelques fois des quarts de conversion. La science de la disposition de leurs armées étoit aussi naturelle que conséquente et avantageuse. Ce qui nous paroit faire une partie relevée du génie et une partie sçavante de la corographie [sic]46 militaire n’étoit donc autre chose que de très simple, mais qui nous paroit différent dans l’un et l’autre parce que nous ne sommes pas, et que nous arriveront [sic] difficilement, au degré de perfection en justesse et célérité d’exécution où ils en étoient, même en présence de l’ennemi, par la continuelle application des officiers et soldats à leur devoir. Ce qui les amenoient [sic] à cet heureux point, c’est qu’ils regardoient leur métier comme une science et qu’ils l’étudioient comme telle.
53Le calcul du tems d’un espace à parcourir, des difficultés données à surmonter et celui de la manœuvre à exécuter étoient toutes choses connues à un tacticien habile − par la certitude du nombre de pas et de leur longueur à faire dans un tems donné − et moyennant cela soumis [sic] au plan qu’il se proposoit dans ses manœuvres, étant sûr de l’instruction de ses soldats autant que de leur discipline, qui faisoit la baze de cette partie du métier, comme elle est la gloire du tout. Faut-il donc toujours citer les Romains que nos pères ont vaincu [sic] ? Faut-il [Page 20] donc répéter que leur discipline a subjugué le monde ? Voyés les vaincre par cette vertu l’or de Carthage, l’ascendant d’Annibal47, le fer de Pyrrhus48, l’habilité de Mithridate49, les forces de Persée50, la grandeur d’Antiochus51, la valeur redoutable des Gaulois et des Espagnols, et le nombre renaissant des valeureux Germains. Voyés toutes les nations paroitre tour à tour et céder tour à tour au pouvoir irrésistible de la discipline, sources fécondes [sic] de toutes les vertus militaires. Et en nous rapprochant, qu’est-ce qui a donné tant d’avantages aux Gustaves, aux Maurices de Nassau, aux Charles, &a, tant de réputation aux Allemands et aux Suisses, et tant d’autres événements remarquables dans l’art de la guerre, [ce sont les] manœuvres dans lesqu’elles on a mis de l’ordre et de la discipline.
54Si Talbot avoit vu les règlements de la discipline des États militaires en réputation avant le [sic] 14e et 15e siècles où il vivoit, il n’auroit pas dit en 1427, après la bataille de Montargis, où Lahir commandé pour la première attaque rencontrant sur son chemin un chapelain à qui il demanda l’absolution et qui lui dit : « confessés vous. Je n’en ai pas le loisir, il faut tomber sur les Anglois, au reste j’ay fait tout ce que les gens de guerre ont accoutumé de faire », et ayant obtenu l’absolution, il n’eût pas ajouté [Page 21] « si Dieu étoit homme d’armes, il seroit pillard »52. S’il avoit connu, dis-je, la discipline des Suédois, des Allemands, des Prussiens qui se sont rendus formidables depuis lui, il révoqueroit ces blasphèmes contre les États militaires vraiment digne de la gloire de cet état, de même que s’il eût connu l’essentiel et la possibilité de l’établir en tout tems et chés toute nation53.
55C’est chés les Prussiens, les Allemands et les Russes, et chés les Turcs encore au commencement de ce siècle, où la discipline est la plus stricte de ces tems, qu’on voit le plus de confiance du soldat à l’officier, le plus d’assurance en sa présence et, de l’officier au soldat, plus de soins et d’amitié lorsqu’il le voit ou lui parle ailleurs que sous les armes. Quel avantage inouï qu’une bonne et conséquente discipline ! Est-ce que jamais un de ces hommes de la nation qu’elle révère ne s’écriera : « Oh ! [sic] discipline, comment et à quoi te comparer sans choquer ta divine essence dans l’art militaire ! », et en prouve la nécessité indispensable ? Une nouvelle discipline est pour le militaire ainsi qu’une nouvelle religion dans l’État, c’est au moins un moyen sûr pour corriger les abus de l’ancienne. Pourquoi donc tarder à y travailler ! J’ai déjà dit que la discipline fait d’un lâche un brave comme s’il l’étoit né, ce qui revient au même en bien des cas. De plus, l’on est brave l’un par l’autre et quelque fois plus que par soi-même.
56[Page 22] Lorsque Sixte Quint disoit que « la France n’a pas besoin de grands hommes pour la gouverner, que ce royaume se gouverne par lui même, qu’une divinité invisible en tout tems a paru s’en être chargée »54, il a sûrement prétendu dire que la grandeur, la position, la richesse et la puissance de cet État faisoient que les fautes qui s’y commettent n’y causent pas un effet si ruineux qu’à tout autre. Mais depuis, il s’est formé de grands, de puissants, de nouveaux empires qui peuvent sans témérité être mis en parallèle avec la France et qui sont gouvernés avec soin, intérêt et génie par de grands hommes, par des chefs touts militaires.
[Page 23] Section iii : Combien son rétablissement a produit d’effets surprenants
57Quel excellent moyen de faire faire aux hommes de toute espèce les choses les plus difficiles sans même qu’ils y mettent du leur par la seule discipline ?
58La discipline élève l’homme, le soldat au dessus de lui même. La discipline est une puissance médiatrice entre notre ignorance et foiblesse, et entre notre penchant vers la volupté et les devoirs de notre état.
59La discipline est au militaire ce que le médecin est à la seule vue du malade. Il calme le sang et la raison agitée plus par les dangers apparents que par les maux réels. La pratique de la discipline dissipera la crainte en assurant la victoire.
60La persévérance constante, même opiniâtreté, souvent nécessaire après avoir combiné juste, tout cela est renfermé dans la discipline. Qui dit discipline dit tout. C’est la pierre philosophale du métier.
61Ne voudra t-on jamais lire l’histoire avec fruit ? Confronter les tems, les circonstances, voir que ces valeureux barbares que le besoin, encore plus que le goût du brigandage, déterminoient [sic] à des incursions qui ont si souvent inondé le monde n’ont eu que le talent de dévaster et se sont détruits par eux-mêmes ? N’observera ton jamais que tous les [Page 24] grands hommes, à qui le timon des affaires a été confié dans ces moments orageux qui décident du sort des empires, ont toujours commencé par rétablir la discipline et l’ont regardé comme le véritable thermomètre d’un État puissant ? Ne consultera t-on jamais les modèles ? Ne sentira t-on jamais combien les Anciens étoient pénétrés de l’importance de ce code irrévocable, d’où dérive [sic] l’ordre et la force ! Verra t-on toujours sans voir cette allusion si fine et si juste ; ces oyes du capitole, que tant de gens prennent à la lettre, ne doit-elle pas frapper quiconque se picque de réfléchir ? Et les faits si merveilleux et si bien attestés par la manière dont ils sont décrits : cette retraite des Dix Mille, ces prodiges d’une poignée de Grecs contre la gigantesque puissance des Perses, ces ascendants si singuliers d’une petite nation reléguée dans un coin de l’univers ; je veux dire cette supériorité de la Grèce sur le reste du monde connu, ces commencements si foibles, ces progrès si rapides, ce merveilleux enchaînement de succès, cette grandeur presque inconcevable à laquelle une petite société de brigands, entourée de tant de nations guerrières, est parvenue, cette chute si rapide, cet avertissement aux maîtres du monde dès le moment où le relâchement de la discipline vient énerver leurs mœurs et anéantir leurs forces, le contraste de ces Romains conquérans [Page 25] de l’univers avec les Italiens, leurs descendants, si peu propres à la guerre que leur nom seul entraîne l’idée d’une milice ridicule55 ? Que doit conclure d’un pareil tableau l’œil philosophe qui l’observe et en rassemble les parties éparses ?
62C’est que la discipline est le moyen le plus constament sûr qu’on puisse employer sur les hommes. Premièrement, parce qu’ils sont tous susceptibles de sentir le prix de l’ordre. Deuxièmement, parce que la force tirannique de l’habitude est peut être le joug le plus puissant qu’on puisse leur imposer. Ce ressort précieux est bien préférable à celui des passions. Les mettre en parallèle, c’est comparer cette fusée brillante qui perce la nue, frappe les yeux, les éblouit et laisse bientôt appesantir sur eux les voiles de l’obscurité à l’éclat plus modéré, mais plus durable, d’une illumination bien disposée dont la clarté douce ne laisse point de vuide à l’organe de la vue. Oui, je le soutiens, on doit préférer les effets de la discipline à ceux des deux passions les plus violentes qui germent dans le cœur humain. J’entends le patriotisme et le fanatisme. On soutient malheureusement que le patriotisme n’est plus qu’un mot ou du moins un assemblable [sic] de sentiments trop divergents pour que sa chaleur trop divisée ne soit bien affaiblie. Le fanatisme a des éruptions violentes, mais peut-on y compter ?
63[Page 26] La discipline d’ailleurs peut devenir un fanatisme. Je le demande à ceux qui connoissent les hommes, je le demande à ceux qui ont suivi la vie des soldats des deux Alexandre56, leurs peines, leurs fatigues, leurs dangers, leur espèce de récompense et leur attachement malgré cela pour leur prince. L’attachement aux préjugés, c’est à dire l’habitude, n’est-elle [sic] pas chés nous un véritable fanatisme. Il se pourroit bien que le nerf fléchisseur de toutes les passions, ce muscle recteur et extenseur pour la discipline romaine, soit bien affoibli parmi nous. Mais rassemblés, animés et faites vivifier le peu qu’il en reste. Joignés y le pouvoir du point d’honneur, pouvoir despotique sur tout François, et on poura encore se promettre d’atteindre au même degré qu’ils l’ont porté.
64Etablissés des juges des mœurs. Solon57, ce législateur qui connoissoit si bien ce qui étoit le plus intéressant pour les hommes, regarda la réforme des mœurs comme la principale baze d’une bonne législation. Touts les philosophes de l’Antiquité ont ils eu d’autre but dans les instructions qu’ils donnoient à leurs disciples ? Il en résultera au moins que pour juger des mœurs, il faut en avoir. C’est donc en donner aux juges, qui bientôt les établiront et les communiqueront. Qui ne connoit l’heureux effet qu’un établissement approchant a produit dans le régiment de La Couronne, [Page 27] sous Monsieur de Saint-Wart, lieutenant-colonel58 ? Les juges étant mieux choisis, et surtout distingués, seront encore d’un meilleur exemple et par conséquent d’un effet infaillible.
65Avec ces moyens, tour à tour ménagés et bien employés, on poura encore atteindre le but salutaire de la discipline. Si l’on peut en attendre des effets si merveilleux, le lâche étant entraîné par la discipline en le faisant agir et concourir au bien ainsi que si c’étoit son mouvement naturel, le tiède à l’ardeur la plus vive et le mal intentionné au bien, à quoi ne peut-on pas s’attendre d’un réellement brave discipliné, dégagé de tout ce qui peut diminuer ses avantages ? Que peut-on espérer d’une nation comme née pour la guerre, livrée depuis son existence à ce métier ? Quel parti tirera t-on d’une nation qu’un regard mène au combat et met au dessus des dangers, qu’un mot console des fatigues et pénètre d’émulation ? D’un peuple enfin qui diffèrent [sic] de tous les autres en ce que la plus vile populace est susceptible du point d’honneur presque autant que ceux en qui coule le sang des héros ? Tels sont les François, toujours avides de gloire, toujours dociles à la voix de l’homme et surtout aux égards inséparables de l’estime qu’on ne sçauroit leur refuser.
66Je sçais l’objection spécieuse à laquelle je dois m’attendre : « les États ont eu et auront toujours des révolutions de nécessité. Si vous [Page 28] supposés que la décadence d’un empire dépend du relâchement de la discipline militaire, vous verrés que le relâchement de la discipline militaire vient de l’affoiblissement des bonnes mœurs, mal contagieux qui se communique rapidement sur ce globe. C’est donc par un enchaînement inévitable que le dernier [sic] période de la grandeur d’un État et sa décadence se tiennent. En vain chercheriés vous d’autres raisons. Un État finit parce qu’il faut que tout État finisse : c’est la loy de la nature ».
67Je ne crois pas avoir affoibli cette objection. C’est ce que tant de gens disent les uns d’après les autres, et je soutiens que c’est un de ces sophismes qu’on répète sans cesse parce qu’on les a toujours dit. Sans demander aux politiques s’ils ont lu cet arrêt irrévocable dans le livre du destin, je leur représenterai seulement qu’ils mettent en fait ce qui est en question. En effet, ils conviennent que la décadence d’un empire tient bien au relâchement de la discipline, mais ils trouvent la cause de ce relâchement dans l’affoiblissement des bonnes mœurs. C’est d’abord tomber dans un cercle dont ils sortiront difficilement. Car je soutiens que les bonnes mœurs sont inséparables de la bonne discipline. La discipline une fois établie sur des principes sûrs et des loix constantes ne sçauroit se relâcher tant que ses [sic] loix subsisteront. L’habitude, ce ressort puissant et [Page 29] immanquable est le garant de sa durée.
68Qu’elle est la cause la plus ordinaire de la corruption des mœurs ? 1° : l’introduction du luxe, qui divise bientôt toutes nos affections, éguise [sic] nos désirs, accroît nos besoins et multiplie nos intérêts personnels. Ce sentiment, toujours exclusif, ouvre la porte à la mollesse et dégoûte conséquemment d’un métier absolument incompatible avec elle, ce qui vous porte à y admettre des étrangers, des mercenaires, qui à leur tour y apportent les vices de leur pays sans vous enrichir de leurs vertus. 2° : la corruption des femmes, à qui quelques étourdis donnent un ton de séduction et de coqueterie − fléau inévitable des bonnes mœurs − qui, par une réciprocité singulière, donnent à leur tour le ton à la nation. Or, il est absolument impossible que, si les loix de la discipline sont maintenues, le luxe et la mollesse s’introduisant [sic] dans le militaire. En disconvenir, c’est se [leurrer]b d’être tombé dans un cercle inévitable. Car enfin, le grand et premier principe de la discipline, c’est précisément d’éviter le luxe et d’anéantir la mollesse. Que peuvent à la discipline les égarements de quelques femmes ? Ce ne seront point à coup sûr les officiers formés sur ces principes qui donneront le branle à la corruption des mœurs. La discipline renferme dans l’amour de ses devoirs, l’émulation, l’honneur, &a. Un homme entièrement occupé de son métier, un homme en qui l’excès des sensations n’a point [Page 30] émoussé les sens, blessé le cœur et perverti la raison, un homme en qui l’habitude de réfléchir n’a point laissé d’entrée aux frivolités et aux dangereuses maximes de la société, ne troublera jamais le règne de la vertu et ne craindra pas plus la contagion des mœurs qu’il n’aura contribué à leur corruption. Cet homme trouvera sa récompense dans sa façon de penser même. Une couronne d’herbes, la permission d’ouvrir sa porte en dehors, de tracer l’action sur la toile, de la graver sur la pierre ou de l’imprimer sur quelque métail aura à ses yeux le même prix qu’une pension, si forte qu’elle soit ; grandes ressources de richesse pour un État.
69On va sans doute m’opposer mes propres armes. « Les Romains, me dira-t-on, ces Romains que vous cités avec raison pour modèle de la discipline, ne nous donnent-ils pas la preuve de la nécessité du relâchement de cette discipline ? Si vous en faîtes dépendre la ruine d’un État, quel peuple la porta plus loin, quel peuple tomba de plus haut ? ».
70Nous sortons de notre sujet, la décadence de Rome tient encore à d’autres raisons qu’à celle du relâchement de la discipline, qu’il est aussi facile d’éviter qu’il est facile de maintenir la discipline, dont l’heureuse influence sur le moral et sur le phisique d’une nation détruit d’elle même la plus grande partie de ces vices qui coopèrent à la ruine des États, [Page 31] tels qu’étoient ceux qui, avec le relâchement de la discipline, hâtèrent la chute de la puissante Rome et que je cite ici. Tant que le nombre de ses troupes ne fut pas excessif, tant que l’autorité militaire ne fut pas partagée, [tant qu’] on ne la donna qu’aux hommes qu’on sçavoit vouloir la conserver intacte et, au second âge, on peut ajouter à ces raisons, tant qu’ils ont eu la liberté de se choisir un maître, les soldats furent choisis avec un sage discernement : « On n’enrôla, dit Monsieur de Montesquieu, que des gens qui eussent assés de bien pour avoir intérêt à la conservation de la ville »59. Mais du moment où les forces militaires, composées d’étrangers, même des peuples barbares, divisés en tant de départements si éloignés du centre, si enorgueuillis [sic] de leurs succès, si fiers dans un pays qui leur devroit son existence, ses progrès et sa gloire, pourroient [sic] être séduits [sic] par quelques particuliers ambitieux, le maintien de la discipline ne peut [sic] plus exister dans un État où l’autorité sage étoit si fort contrebalancée par l’autorité tumultueuse.
71« Tant que les Romains ont gardé leur excellente discipline, leur Empire, avec l’aide de Dieu, s’est maintenu dans la force. Mais depuis longtems ayant été négligée, pour ne pas dire entièrement oubliée, ainsi que la tactique, nous voyons qu’il en est arrivé de grandes et fréquentes disgrâces. Comme elles avoient été la cause de leur avantage et de leur grandeur, lorsqu’elles furent tombées, [Page 32] ils perdirent la bienveillance divine et la victoire qui les avoit toujours suivis leur échappa des mains. À mesure que la discipline militaire s’est perdue, le zèle et la vigueur de l’âme se sont affoiblis dans les grands, l’oisiveté et la mollesse ont succédé aux exercices qui entretenoient les forces du corps. Les chefs inappliqués, toujours ignorants, négligeoient de s’instruire dans les anciens tacticiens qu’on regarda comme des livres obscurs et inutiles », préface de l’Empereur Léon60.
72Leur militaire éprouva dans les premiers siècles des changements, mais qui n’eurent aucune influence considérable sur leurs avantages, parce que la discipline resta constament la même. L’extrême cupidité remua tous les cœurs, l’enthousiasme de la vertu disparut et le gouvernement ne pût plus récompenser les moindres services que par des sommes immenses, tandis qu’ils [sic] payoient auparavant les plus grands bienfaits par de légères marques d’honneur. La patrie ne reçut plus de service de ses citoyens, elle les acheta et les paya plus cher que le produit des avantages en étoit pour la nation. Tout fut perdu alors. Les ambitieux firent jouer tous les ressorts de la corruption et de la séduction, ce qui paroit par ce vers des satires de Juvénal :
« De débauches, d’excès, ce grand corps abimé Venge tout l’univers qu’il avoit opprimé »61.
73« Ne croyés pas, dit un historien romain, que ce soit par les armes que nos [Page 33] ancêtres, d’un empire très borné, en ont fait un très vaste. S’il en étoit ainsi, nous le rendrions bien plus florissant encore, puisque nous avons beaucoup plus de citoyens, d’armes et de chevaux. D’autres avantages qui nous manquent ont fait leur grandeur. Au-dedans une industrieuse activité, au dehors une manière de gouverner toujours équitable. Dans les délibérations, un esprit qui ne tiranisoit ni n’admettoit de passions. Au lieu de ces vertus règne [sic] parmi nous le luxe et l’avarice. L’État est pauvre, les particuliers sont riches. On n’estime que l’argent, on se livre à la paresse. Nulles distinctions entre les bons et les méchants. L’ambition envahit toutes les récompenses dues à la vertu. Faut-il s’étonner si chacun de vous forme séparément des projets intéressés ? Chés lui, l’esclave du plaisir, ici, celui de l’argent et de la faveur. De là vient qu’on fond sur une république &a »62.
74Si donc l’Empire se soutient [sic] longtems encore par son propre poids, c’étoit ce reste même de grandeur qui, miné de toutes parts et prêt à s’écrouler, n’attendoit que l’effet naturel des vices des particuliers et des deffauts du gouvernement pour entraîner irrévocablement la perte de la République. Les loix de Rome étoient faites pour l’aggrandir et sa constitution insuffisante pour pouvoir soutenir cet aggrandissement. Je n’ay point dit que des causes politiques ne fussent la cause nécessaire de la décadence d’un État. Je n’ay point dit que l’esprit conquérant ne fût [Page 34] le grand acheminement à cette décadence. Je sçais qu’il est bien rare que dans un État, l’esprit militaire ne devienne très dangereux s’il n’est contenu par un gouvernement sage et surtout par des constitutions fixes. Mais je dis que le maintien de la discipline est le grand soutient [sic] de tout empire, le seul soutient de tout État militaire, une barrière insurmontable contre la corruption des mœurs, un merveilleux instrument de gloire, une précieuse ressource dans les révolutions et les malheurs.
75Supposés que la fatalité de l’esprit de relâchement soit un des vices attachés à la nature humaine. Les Grecs, les Romains et les plus sages républiques en ayant été les victimes et assujétis à ces révolutions, ce n’est qu’une raison de plus pour prévenir ce relâchement par une plus stricte observation du code, je ne crains pas de le dire, en suivant la sévérité des loix, non seulement pour les fautes volontaires, mais pour toutes autres. Les foiblesses étoient punies avec la même sévérité chés les Anciens. La lâcheté, l’inattention pour la conservation de ses armes, &a étoient également punies de mort comme une faute contre la discipline. Ainsi pensoient et agissoient ces nations vraiment militaires, vraiment grandes.
76« L’observation des loix militaires est la source des victoires et de tous les bons succès. Elles sont les gardiens [Page 35] des biens et du salut de tous et procurent la ruine des ennemis, elles assurent le repos de nos sujets », E[mpereur] L[éon]63.
77Les Romains n’opposèrent à l’incursion des Gaulois, à la valeur de Pyrrhus, aux talents d’Annibal, qu’un redoublement de discipline et ils se préservèrent de tous les écueils où Rome naissante devoit échouer. Si l’on apperçoit dans cette confusion où elle fut plongée depuis la mort de Cézar quelques lueurs brillantes, ce ne sont point les dernières étinceles [sic] d’un feu qui s’éteint, ce sont les fruits de l’administration de quelques grands hommes qui recoururent au rétablissement de la discipline comme au seul remède qu’on peut apporter au dérangement des affaires et aux dangers pressants des circonstances, remèdes qui opérèrent toujours le plus heureux effet. Il auroit suffi, pour la perpétuité de la grandeur et de la gloire de Rome, qu’on en eût fait un continuel usage. En un mot, les sophismes de l’esprit auront peu de poids sur les gens qui réfléchissent ces comparaisons, ces raisonnements et ces faits.
78Il est bien étonnant qu’une chose dont l’expérience prouve si parfaitement la nécessité soit encore à désirer. Tout peuple est une multitude tumultueuse. J’attribue également au soldat ce que Tite Live et autres disent du peuple « son naturel est d’être soumis avec bassesse ou de dormir avec brutalité »64. Tout peuple est donc vraiment une bête et ce qui suit lui convient également : « il faut lui tenir les cornes [Page 36] basses de crainte qu’il ne lève la tête ». Je ne crains pas de le choquer, fus-je né en une république. J’ai de même renoncé au consulat, à la réputation qu’il vous fait et au bien qu’il vous souhaite. Il faut laisser dire, mais il faut ordonner et faire pour le mieux quand on est en place pour cela, puisqu’il est trop vrai que les hommes s’affligent du mal et qu’ils se lassent du bien. Les loix contiennent ceux des villes par des principes auxquels on se conforme avec exactitude. Il n’en est pas de même de ceux qui doivent conduire et éclairer le peuple militaire. Cependant, la puissance exécutrice et coactive n’est elle pas un attribut aussi précieux de la souveraineté que la puissance législatrice65 ?
[Page 37] Section iv : Moyens les plus propres à l’introduire dans le militaire françois
79Il ne sera pas difficile d’établir la discipline la plus exacte dans les grades subalternes lorsqu’on sera parvenu à l’établir dans les grades supérieurs. La force, la vigueur, l’autorité, le pouvoir de la discipline tient [sic] particulièrement à la soumission des chefs à ses loix.
80L’homme en général est imitateur, et cet esprit se remarque plus chés le soldat que partout ailleurs. Il est donc ce qu’on le fait. Quel est celui qui murmurera jamais d’être astreint au joug qu’il voit son officier s’imposer ?
81J’entends déjà les clameurs qui s’élèvent. Si vous agissés avec tant de sévérité, les gens comme il faut quitteront et vous n’aurés plus des officiers que du commun.
82Qu’entendés vous par des gens comme il faut ? Seroit-ce les gens mal intentionnés, qui s’opposent au bien et se plaisent dans le désordre, bien sûrs que leur stupidité ne peut se sauver qu’à la faveur de l’ignorance générale ? Que ceux là quittent, on peut le leur permettre ! Je les regarde non seulement comme de mauvais, mais comme de dangereux officiers. Quiconque trouvera lourd le joug de la discipline n’est pas fait pour un métier qui ne peut exister ni glorieusement, ni longtems sans elle.
83[Page 38] Quoi ? L’artisan enthousiaste de sa profession en exalte le mérite et vous, officiers, vous avilissés les principes de la vôtre. D’une science aussi vaste que profonde, qu’intéressante et devenue essentielle, même indispensable, à l’espèce humaine, vous n’en faîtes plus qu’un métier barbare et sanguinaire.
84Qu’est-ce que la science militaire ? Si ce n’est celle de l’ordre, du calcul et des combinaisons, c’est l’art funeste d’égorger son semblable. Faire ainsi la guerre, ce sera disputer de férocité. Sans discipline, il n’est plus de force, de loix. Celles de la nature même, de la douce humanité, ne sont plus entendues au cœur et il n’est plus rien de sacré pour qui est sorti de ses bornes. Le montre [sic] le plus affreux, le plus terrible, le plus redoutable et le plus à craindre pour toutes sociétés d’hommes, et particulièrement pour le militaire, c’est sans doute l’indiscipline. Vous réclamés sans cesse la valeur. Croyés vous que ce mérite que vous partagés souvent avec le dernier de vos soldats soit bien honorable pour vous ? Quoi ! Assujétir de vieux officiers à sçavoir leur métier, à prêter une attention nécessaire pour exécuter les évolutions dont toute troupe bien instruite doit être capable, à suivre le soldat, à l’instruire et à faire son devoir avec exactitude : qu’elle absurdité !
85La prescription est donc un titre en fait d’ignorance ! Observés tout ce que vos voisins ont acquis dans l’art et ce que leurs progrès exigent de vous. Votre esprit national, votre valeur, ce point [Page 39] d’honneur si redouté sans l’égaler et souvent funeste à vos voisins, ce goût décidé pour les armes tient du héros, mais ne vous y trompés pas, des hommes servent mieux la patrie que des héros. Pesés bien ce paradoxe et démentés moi si vous osés !
86Soyés persuadé [sic] que le soldat est susceptible de tous les sentiments. Songés qu’il est évident que la discipline produit la victoire et non seulement vous la lui communiquerai [sic], mais vous la lui ferai [sic] aimer. Voicy sa marche.
87La discipline produit l’attention, l’attention le silence, le silence l’ordre, l’ordre la bonne exécution et cet ensemble (la discipline) la victoire. Entre tant de choses que nous avons pris des Anciens, policés et disciplinés, nous avons oublié le plus essentiel, le silence des Grecs qu’Homère, ce chantre des plus beaux faits militaires, admiroit avec tant de raison en ajoutant qu’on ignoroit s’ils avoient l’usage de la voix. Le silence seul fait plusieurs degrés de force de plus. Il est affreux que nous autres policés n’ayons depuis tant de tems secoué le joug barbare et honteux de l’usage indiscipliné de commencer à s’étourdir sur le danger de la gloire par des cris et des heurlements [sic] indécents, tenant plus de la crainte que de l’ardeur de combattre, et le tout dans l’espoir de faire perdre la tête à son ennemi. Les sauvages, les cosaques, les Calmouks66, les Tartares et les Turcs, desquels nous tenons ce vice, peuvent seuls nous disputer la prééminence du degré [Page 40] où nous poussons cette honteuse indiscipline ; les troupes légères plus que celles de lignes, et les Allemands plus que nous, pour avoir fait la guerre directement aux Turcs, mais ils se corrigent par la discipline qui est en vigueur chés eux.
88On trouve dans l’Antiquité la plus reculée la source de ce barbare, avilissant et honteux usage, qui avoit pour but le réellement [sic]67, la reconnoissance des siens, d’épouvanter son ennemi, ainsi que d’inspirer du courage à ses soldats. Quelques uns chantoient des vers de louange en l’honneur des grands hommes qui s’étoient distingués par leurs belles actions, particulièrement les Celtes, et c’étoit la fonction principalle [sic] de leurs bardes. Nous avons choisi le pire, et même nous avons enchéris, car nous heurlons. Le cri des chrétiens, sous le Bas Empire contre les Sarrazins et les Turcs, étoit Crus Victoria.
89Le Vive le roy devroit être le seul cri permis, en ce qu’il fait éclore en tout François tout ce qui est en son cœur de valeur et d’attachement pour son maître.
90Convenés, vous qui êtes de bonne foy, que le nombre des officiers médiocres est toujours le plus grand et que l’ignorant, plus que tout autre, a besoin d’être éclairé, guidé et redressé sur bien des objets par la stricte observation des loix de son état.
91La discipline est une chaîne immense, quiconque en perd un [Page 41] chaînon a bientôt perdu le reste. Quiconque n’a point assuré le pivot de cette chaîne, la voit bientôt échaper de ses mains. Qu’est ce qui prouve mieux le cas qu’on doit faire de la discipline et l’usage général dont elle étoit ? Faut-il encore des citations ? Hé bien, en voici une qui les renferme toutes. Les Romains mettoient de la discipline dans leur manière de piller et y observoient de l’ordre. À force d’avoir répété le mot discipline, nous nous sommes imaginés y être parvenus et nous nous en tenons là sans examiner notre opinion, sans l’approprier au sujet.
92Que m’importeroit-il encore qu’une chose soit comme si elle est négligée à un point à n’en trouver des traces que comme des ruines d’un édifice, édifice utile journellement, telle est la discipline de ce jour68.
93Ne nous y trompons pas, le dégoût, l’humeur, les murmures, la désertion ne sont point les symptômes de la discipline chés le soldat et la jalousie, l’envie et l’avidité des grades supérieurs qu’on cherche à se procurer à quelque prix que ce soit n’en sont pas la marque chés l’officier, mais bien ceux du mécontentement, d’un état insuffisant aux besoins phisiques des premiers et de l’ambition, et de la vanité, des autres.
94Quand j’entends tout le monde parler de la discipline et désirer en être instruit, cela me rappelle ce que dit le génie de Montesquieu sur la religion : « Les gens de cour, les femmes même, demandent qu’on leur prouve ce qu’ils sont résolus de ne pas croire »69. Supposés qu’ils le crûssent, encore y a t-il bien loin [Page 42] de la croyance à la conviction, de la conviction à la possession et de la possession à la pratique.
95On a voulu trop embrasser de parties. La marche progressive, la seule sûre dans toute réforme d’abus et nouvelle création chés de certaines nations, a paru trop longue. Il aurait fallu imiter ces missionnaires accommodants, qui sollicitoient auprès des idolâtres la permission pour leur dieu de partager le pieddestal [sic] avec le dieu du pays. Cette politique est une leçon contre tous les préjugés à abbattre [sic] et [pour toutes les] nouveautés à introduire peu à peu. « Le nouveau venu poussoit son camarade, peu à peu la place du pieddestal se retrécissoit pour celui-cy, jusqu’à ce qu’il ne luy en restât plus et qu’il fût obligé de tomber par terre »70. Et pour lors, l’autre a élevé sa tête radieuse et a commandé despotiquement à un peuple accoutumé à composer avec ses dieux, et s’en est malgré cela fait obéir.
96On a voulu construire sans poser des fondements, on n’a travaillé que pour l’instant, et ces gens qui ne réfléchissent ou ne travaillent que pour les circonstances du moment ressemblent assés à ceux qui dépensent leur argent en un jour, et à une seule chose de leur goût, ou à ces médecins qui, pour se faire une réputation prompte, traitent leurs malades avec des paillatifs − qui produisent un mieux être qui n’est qu’une suspension du mal momentanée et non le rétablissement parfait − et qui cependant sont contents d’eux jusqu’à s’en applaudir publiquement. Ces paillatifs dont on se sert dans l’art [Page 43] de la guerre sont les inventions, les moyens destitués de principes. Au lieu que les principes sont des moyens radicaux qui attaquent et extirpent tous vices contraires au bien.
97Quiconque veut discipliner des hommes doit se former des principes dont il ne s’écarte point. De ces principes doivent successivement dériver tous les autres. Je dis successivement toute instruction et discipline doit aller en augmentant jusqu’à sa perfection sans s’arrêter − c’est une boule lancée sur une montagne, si vous n’avés point assés de force pour l’envoyer jusqu’au sommet, elle retombe jusqu’à l’endroit dont elle est partie et souvent redescend plus bas − sinon, l’objet sera manqué dans le grand pour l’avoir trop négligé dans le petit et dans ses détails. L’art est encore de sçavoir tirer parti des hommes et non de sçavoir les dompter. L’homme que vous asservissés ressemble à l’arbre en qui vous prévenés le développement de la nature. S’il ne périt pas, qu’en retirés vous ? Des fruits précoces, sans goût et sans saveur. Encore ses productions seront-elles bornées à un petit nombre de récoltes. Vous conclués de l’essay hâté qui vous a mal réussi, que le caractère françois est incompatible avec le joug de la discipline. Revenés de cette absurde erreur. Croyés vous qu’elle honnore [sic] la nation ? Je ne vois pas de mérite à chercher dans les dangers une mort inutile à la gloire, inutile à la patrie, d’affronter le trépas sans marcher à la victoire. Cette témérité n’est le plus souvent qu’un mouvement purement machinal, et je me méfie de tout soldat dont [Page 44] la bravoure chancelle aussi tôt que l’eau de vie manque ou que la réflection étourdit. L’homme naît si foible que j’ai peine à me persuader que ceux qui sont braves soient nés tels. C’est l’éducation qui forme l’esprit et le cœur, c’est elle qui donne un ressort à l’âme, c’est elle qui crée, modifie et change de nature nos sensations.
98Pélopidas71 et Épaminondas firent voir à Lacédémone, qui tenoit leur patrie dans l’esclavage depuis longtemps, qu’il naissoit des soldats là où il naît des hommes, même à combattre les plus braves, quand il s’en trouve de capables à les former et à les conduire. Virgile prouve la même chose en disant : « Tullus72 a rendu guerriers des gens nourris dans la mollesse »73.
99L’homme rempli de l’amour de ses devoirs, l’homme en qui la discipline aura développé l’honneur et établi la subordination, verra sans effroi les plus grands dangers et volera à la mort la plus certaine.
100L’homme, au contraire, qui n’a d’autre bravoure que la fermentation d’un tempérament vigoureux ou cette stupidité qui donne de l’indiférence [sic] pour la vie, cet homme, dis-je, n’a point de ressources pour les circonstances qui peuvent ralentir la chaleur de son sang, ses sensations aveugles se détruisent réciproquement par leur choc.
101Qu’est ce que la bravoure qu’un accès de fièvre anéantit ?
102L’instruction et la discipline sont la baze du métier. Je regarde ceci comme un axiome, de même qu’il n’est point d’homme qu’on ne soumette aisément aux loix de [Page 45] l’un [sic] et de l’autre, surtout lorsque ces loix sont aussi justes et aisées que je vais les établir.
103Le soldat est la cheville ouvrière dans notre métier. Quoiqu’on le regarde comme un automate parce qu’on le rend immobile à l’exercice, cela ne lui ôte pas tout sentiment. Nous le contraignons à la vérité dans ces moments par la crainte d’un châtiment passager, mais qu’en devons nous conclure ? Que nous parviendrons avec le tems à affoiblir et éteindre toutes ses passions dans un moment plus critique, où tout concoure [sic] à les développer et où la sensation la plus forte doit nécessairement l’emporter, si nous n’avons pas travaillé de longue main à lui former un caractère de préjugé qui étouffe en lui la force des mouvements intérieurs ?
104On ne parviendra à cecy que par une parfaite connoissance du cœur humain.
105Pour commander aux hommes, il faut auparavant les bien connoitre, les avoir vus dans des scituations différentes, sçavoir à leurs moindres mouvements deviner l’état de leur âme, distinguer leurs talents, les faire naître et les employer. Il n’y a point de métier où tout cela soit aussi nécessaire que celui de la guerre et il est impossible qu’un homme qui manque dans un de ces points puisse jamais réussir à bien commander une troupe. J’entends par commander, la discipliner, c’est à dire former les soldats pour les exercices les plus rudes et les plus fatigants, les accoutumer à être privés des objets les plus [Page 46] nécessaires sans aucun murmure, leur ôter toute espèce de volonté, les réduire à l’obéissance la plus exacte et faire des hommes les plus ignorants et les plus indociles des gens instruits, souples et de bonne volonté, des âmes qui s’animent et s’enflâment par celles de leur commandant, des hommes qui n’agissent que par la voix de leurs officiers, qui renoncent sans regrets à leurs opinions, désirs et volontés pour adopter avec plaisir celle de leurs chefs. Tous les officiers n’ont certainement pas ce talent, « il faut même convenir qu’ils peuvent être bons à la guerre sans l’avoir, et tel est capable de faire une belle marche, de bien asseoir un camp, de faire une belle manœuvre et de prendre le meilleur parti devant l’ennemi, qui n’est pas du tout propre à être le chef d’un corps… », maréchal de Saxe74.
106Pour connoitre ces hommes, il est des moments et des circonstances infaillibles. Ceci fait, établissés vos principes sur l’instruction morale et phisique, crées [sic] cette vertu qu’on appelle esprit de corps, vertu susceptible du plus grand et du plus heureux accroissement, qui promet et fait tout réussir.
107L’union, la concorde, l’amitié et la fraternité y contribueront essentiellement. La politesse, la defférence des jeunes soldats pour les anciens, l’entretiendra et la cimentera. Cet esprit a encore la plus grande influence sur les succès d’un militaire. L’officier y concourera par des égards et des distinctions pour les vieux et bons sujets, c’est d’ailleurs un [Page 47] moyen de s’assurer de leurs principes. C’est en inspirant cet attachement qu’on parviendra le plus aisément à établir cette habitude heureuse, qui a son tour ne permettra pas à leur amour propre de souffrir parmis [sic] eux un sujet qui n’en soit digne : ils lui feront la guerre, ils le corrigeront. Ce n’est pas une chimère que ce degré d’intérêt à la gloire de son état et à celle de la réputation personnelle. La police d’un régiment n’est jamais mieux faite que lorsqu’elle est exercée par les soldats, cela suppose au moins de l’honneur et des sentiments. Qu’elle source heureuse ! Que ne peut on pas confier à des troupes ainsi disciplinées ! Que ne peut on pas entreprendre avec elles ! Que n’est-on pas en droit d’en attendre ! C’est dans le même esprit que Laius forma une troupe de jeunes guerriers qui s’engagèrent par serment à donner la vie les uns pour les autres, et dont les succès à la guerre leur ont fait donner le nom d’Immortels75.
108Rome sentoit l’essentiel du secours réciproque entre les soldats, et c’est cette remarque qui lui fit accorder la couronne civique à tout citoyen qui sauvoit la vie à un autre. Alexandre avoit huit escadrons de cavalerie d’élite, qu’on nommoit par honneur les amis et les compagnons du roy, qui se montroient dans toutes les occasions dignes de cette gloire76. Ils furent placés à la pointe de l’aile droite de son armée au passage et au combat du Granique77, occasion peu favorable à la [Page 48] cavalerie à se distinguer et où ils vainquirent tous les obstacles : le courant de l’eau, un bord escarpé en plusieurs endroits, une grêle de flèches qui les accabloient pendant leur traversé, un ennemi en ordre et innombrable qui les attendoit sur le rivage, où ils ne pouvoient arriver qu’en désordre et en confusion.
109Le roy Agésilas78, convaincu de l’avantage que l’esprit de corps devoit nécessairement produire dans un militaire, changea l’usage ancien des Lacédémoniens − qui étoit de faire une imposition générale d’hommes dans leur pays et d’en former après pêle-mêle des corps − en imposant à chaque grand district un bataillon ou une troupe dans sa forme et nombre entier, afin de leur donner de plus que l’intérêt général de la patrie celui de leur province particulière, celui de leur corps, et afin que la harangue du chef ait un plus grand pouvoir pour les animer et leur procurer une force triomphante sur leurs ennemis. Tels étoient une partie des soins qu’inspiroit l’intérêt d’une nation à chercher de lui adapter tout ce qui pouvoit contribuer à sa force et à sa gloire.
110Toutes les nations qui se sont distinguées par la sagesse de leur gouvernement et que nous admirons encore, sans cependant les imiter, ont eu dans leur militaire des corps de citoyens en sus de ceux de leurs alliés mercenaires et esclaves.
111Ne pouvant pas comparer la composition des régiments de Picardie, Champagne, &a [Page 49] aux régiments formés de patriciens, &a79. Ce n’est que dans les petites républiques, et particulièrement la Suisse, qu’ils se trouvent, mais le petit rôle que jouent ces États républicains dans les affaires politiques de l’Europe leur rend leur excellente constitution militaire inutile.
112On peut assurer que le militaire russe et en partie celui d’Autriche s’amélioreront de jour en jour. On peut dire le Russe tout formé des nationnaux [sic], et le soldat l’est pour la vie.
113Les pays héréditaires d’Autriche fournissent également un nombre d’hommes pour toute leur vie, mais ils sont mêlés dans les régiments avec d’autres qu’on engage, avec des étrangers, de là cet esprit de corps n’est pas à beaucoup près si bien établi que parmis les Russes.
114Composition dont l’avantage a été recommandé par L. Léon qui, parlant au général, dit : « Tachés qu’ils soient tous animés du même esprit, les soldats, qu’ils soient patients dans les travaux, qu’ils supportent avec courage et résignation la faim, la soif, le froid, le chaud, toutes les fatigues et les maux de la guerre »80.
115L’esprit de corps a produit des miracles en tout tems et en produira toujours. Il remplace le patriotisme des Anciens, qui les a rendus souvent invincibles. Joignons icy l’exemple moderne d’une nation que nous prétendons plutôt instruire qu’admirer. À la bataille de Parme en 173481, le 29 juin, le régiment Guido de Staremberg ayant lâché le pied, un caporal nommé Jacob [Page 50] Nitz s’écrie : « Soldats, vous oubliés que vous êtes de Guido qui n’a jamais tourné le dos. Tout camarade digne de servir dans ce régiment me suivra ». Ils se retournèrent, les plus près le suivent, d’autres s’arrêtent, le mouvement est remarqué, on hésite mais on joint ce caporal colonel qui ramène le régiment en face des François, quoique le front de l’attaque n’eut que six cents pas d’étendue82, qu’ils ne pouvoient joindre les François par rapport à un fossé long et large qui régnoit sur ce front où tous les feux se dirigeoient et faisoient un affreux carnage de ce régiment.
116On a vu que des Anciens avoient des corps qui s’engageoient par serment de ne pas s’abandonner. L’union, la concorde, la fraternité et l’honneur chés les François seront un lien aussi puissant que tel serment, aussi solennel qu’il puisse être, chés toute autre nation.
117Les François ayant de plus que tous les peuples ce ressort puissant, le point d’honneur, et qu’il [sic] a aussi mieux que tout autre l’intelligence nécessaire pour sentir le prix de l’ordre et le motif des devoirs qu’on lui impose, faites-lui aussi sentir les cas et les raisons pourquoi, si vous présumés qu’il les ignore. On se souvient mieux des objets qui nous ont été démontrés, on les exécute avec plus d’exactitude lorsqu’on en connoit les avantages, trop heureux si au lieu d’asservir nos soldats au méchanique du métier, nous pouvions en faire pour lui une étude raisonnée qui [Page 51] graveroit dans sa mémoire nos principes et doubleroit son intelligence, en développant son entendement. Qui de nous n’a pas appris l’arithmétique par routine, qui de nous ne l’a pas oubliée ? Ceux-là seuls qui raisonnent leurs habitudes se pénètrent de leurs principes.
118Voilà du Platon dira-t-on. Oui, sans doute l’inapplication des officiers rend la perfection de l’art pour le soldat une chimère. Ne lui enseignés que des principes et choses utiles, apprenés les lui avec méthode, ne lui prescrivés que des choses justes, jugés le toujours sans faveur, mais aussi sans partialité, proportionnés les peines et les récompenses − il faut que ces deux puissants moteurs de l’homme soient continuellement présents aux yeux de ceux dont la multitude pouroit ne pas avoir d’autres pentes qui les entraîne que l’espoir et la crainte – et vous atteindrés sûrement ce but qui vous paroit même hors de la portée de votre jugement et de la possibilité.
[Page 52] Section v : Doit être subordonnée dans ses récompenses et punitions à l’esprit national. Preuves
119Ne vous contentés pas de louer et de récompenser le bien. Soutenés et protégés la foiblesse humaine par tout ce qui est fait pour rassurer, soit par l’art, le talent du chef, soit par le ton et le soin des officiers particuliers, en même tems que vous éguillonnerés le sentiment par tout ce que l’honneur a de plus séduisant, de plus cher et de plus précieux.
120Appliqués vous sur toute chose à inspirer de l’honneur à vos soldats, ce sentiment, ce devoir, doit être le plus précieux à tout militaire. C’est leur faire accepter pour censeurs, non seulement leurs camarades du même régiment, mais encore tout l’état militaire, qui plus est tout le genre humain ; et ce tribunal existera [sic] à ces traits qui caractérisent l’homme d’honneur, l’homme jaloux et digne de l’estime publique, aux dépens même de sa fortune et de sa vie s’il en a donné sa parole, ainsi que Regulus83, Jean, roi de France84, François premier, aussi roi de France85, Hambroeck, ministre de la garnison hollandaise au fort de Zeiland dans l’île de Formose86, Milord Petersborough, général anglois87.
121Qu’ils sçachent que la honte de ceux qui se rendent méprisables est personnelle, que les lâches partagent les périls, les dangers et non la gloire, que la lâcheté n’exempte personne de la mort, qu’au contraire, c’est [Page 53] sur eux que tombent les coups et le blâme, blessures profondes qui n’ont aucun remède, la mort même ne les fait ni expier, ni oublier.
122Qu’ils sçachent aussi que le blâme et la honte sont toujours en rapport de ce qu’on est en droit d’attendre des hommes. Qu’ils sont d’une nation vouée à l’honneur, des êtres de prédilection, qu’ils peuvent tout, qu’on attend beaucoup d’eux. On a chanté la liberté aux Grecs, vanté l’héroïsme aux Romains, annoncé le paradis aux Turcs, on la promit [sic] aux Russes, on a fait boire les Allemands, pourquoi ne flatteroit-on pas l’amour propre des François, si c’est un moyen de tirer un plus grand parti de leurs qualités et avantages ?
123Si c’est bienfait [sic] d’avoir mis un frein à la méchanceté, ce sera encore mieux fait d’indiquer les moyens contre la foiblesse, qui seroient des remèdes aussi efficace contre le mal et à la fois plus doux et plus humains. Pour cet effet, vous, officiers particuliers, instruisés vos soldats de leurs devoirs, sachés qu’il [sic] n’est répréhensible que des fautes qu’il aura commis [sic] avec connoissance de cause et que vous l’êtes pour lui de toutes celles qu’il fait, même de celles qu’il pouroit faire, par ignorance. Instruisés les, faites leur aimer et chérir leur métier, faites leur pressentir et goûter d’avance ce charme dont jouit l’homme content de lui et mettés à côté en parallèle la honte de manquer à ses engagements, à ses devoirs, le murmure secret et intérieur de qui a des reproches à se faire. Qu’ils sachent aussi les peines portées contre les fautes et les crimes. Les crimes [Page 54] ainsi que les vertus sont des exemples. C’est un tableau double qui fait son effet dans la même raison. La crainte de l’infamie, cette terrible punition du présent et de l’avenir, ainsi que celle de la loy, est un frein puissant. Il est des âmes assés peu sensibles à la belle réputation, à la fortune, pour ne pas faire un pas après elle, mais il n’en est aucune qui ne la [sic] sente émue et ne frissonne au seul récit des fautes, vices et crimes. Tel que le bonheur d’autrui n’a pu rendre sage craint et fuit l’infortune des malheureux. L’exemple seul est déjà un châtiment pour qui a encouru la même peine.
124Ne vous arrêtés pas à ces points, poussés vos soins plus loin, procurés vous également la satisfaction d’avoir fait du bien à des hommes et vous verrés qu’il ne suffit pas d’avoir instruit vos sous ordonnés, qu’il faut encore leur faire éviter, leur dérober les occasions où souvent ils feront mal sans le vouloir, où souvent ils pêchent par occasion, par pure faute de discernement. Veillés sur leur conduite, mais comme un ami dont l’objet est d’avertir et de sauver des dangers, et non comme un maître sévère et cruel qui prend plaisir à faire usage de son autorité, à l’étendre, à la faire craindre par des punitions dictées dans la vivacité, l’emportement ou la colère. S’il le faut absolument, montrés la baguette. La force des loix vient de qu’on les craint, ainsi que le désir des belles actions, de leur récompense. Pesés les actions, discernés [Page 55] les motifs, ne punissés point une légère faute comme une infamie. Rien ne prouve plus pour l’avantage des peines modérées que l’expérience que l’on a que les punitions plus ou moins cruelles ne font pas qu’on en obéisse plus strictement aux loix. Les châtiments sont crainte [sic] en tout pays, qu’ils soient modérés ou atroces, et suivant l’usage de ces pays. D’ailleurs, l’autorité des loix pénales empêche souvent leur exécution et occasionne par là même l’impunité. « Tralaspriglia elaspronne consiste la regione »88.
125Que d’exemples j’ai de la maladdresse des officiers et sergents d’aggraver les fautes des soldats lorsque ceux-ci sont saouls et qu’ils veulent leur donner des ordres − qu’il leur est d’autant plus difficile d’exécuter qu’ils ne les entendent pas − les supérieurs se fâchant, les faisant maltraiter sur le champ. On ordonne des punitions inhumaines desquelles, par amour propre, ils ne veulent pas se relâcher. Défaut de l’esprit et du cœur des officiers, faute de jugement à les conduire, faute de les aimer et de sçavoir, sans tolérer les fautes, les interpréter et attribuer à leur véritable cause – au vin, à l’ignorance, au peu de jugement de l’espèce de soldats, au peu de soin qu’on a pris de les instruire, au peu d’intérêt qu’on se sent de veiller, guider et suivre leur pas – leur conduite. Il faut sçavoir distinguer les fautes, les crimes, les délits et les forfaits.
126La faute tient de la foiblesse humaine et va contre les règles du devoir. Le crime part de la malice du cœur, il est contre les loix de la nature. Le délit part de la désobéissance ou de la rébellion contre l’autorité légitime. [Page 56] Le forfait vient de la scélératesse et d’une corruption entière du cœur. Il blesse les sentiments d’humanité, viole la foi et attaque la sûreté publique. Il faut pardonner la faute, punir le crime, examiner la nature du délit et avoir horreur du forfait, &a, G89. La sévérité et la rigueur ne doivent agir dans toute l’étendue de leur sens que contre les grosses fautes. Tout officier avant de s’y livrer doit se ressouvenir que la sévérité de caractère condamne facilement et n’excuse jamais, que la rigueur n’adoucit aucune peine et ne pardonne dans aucun cas.
127Qu’en tout les récompenses et les punitions soient publiques. L’exemple doit être le premier objet de la punition, comme les récompenses le premier but de l’émulation. Les premières le moins fréquentes possibles. Que les récompenses soient en revanche infinies, mais petites, pour qu’il y ayt toujours un objet d’un plus grand désir, un éguillon pour exciter au bien par le motif flatteur et satisfaisant de la distinction et du bien être. Il faut châtier rarement et punir sévèrement. Les châtiments trop fréquents contribuent moins à corriger des fautes qu’à se familiariser avec la punition et à dégoûter des leçons de préceptes et diminuer de la force des ordres donnés.
128Les soldats des Anciens, entre cent motifs qui les engageoient dans leur devoir à braver les fatigues et les périls ainsi qu’à se bien battre, avoient encore l’avantage de participer aux dépouilles de l’ennemi vaincu. C’étoit une loy. Ils [Page 57] avoient même dans les premiers tems des prétentions sur les terres. Voyés les légions révoltées et marcher contre Rome pour obtenir les récompenses que Cézar avoit promis à leurs travaux. Aujourd’hui encore, les Turcs ont des timaris90 et les Suédois des capitaineries91, terres données à vie aux officiers et soldats, et les Polonnois ont des starosties92, biens considérables qu’on donne également à vie aux grands militaires en forme de récompense. « Après que les ennemis se seront dissipés, vous distribuerés les dépouilles avec équité à vos soldats et vous férés préparer des banquets pour les régaler. Vous louerés, caresserés et récompenserés par des dons et des honneurs ceux qui se sont distingués et vous punirés ceux qui auront mal fait » dit un sage empereur dans ses instructions militaires93.
129C’est le sistème des philosophes, qui ont veillés [sic] et cherché avec le plus de pénétration et de soin à surprendre la machine humaine sur le fait dans les divers cas et positions où elle peut se trouver, que les éloges, les louanges et les récompenses sont les vrais moteurs de l’âme, et qu’ils lui sont nécessaires et forment un besoin réel pour elle, qui leur [sic] rendent [sic] la privation de ces récompenses une punition94. Preuve de ces vérités : mettez en jeu vos machines − machines qui n’auroient pas pour compagne ce point d’honneur dans le degré de notre nation − sans louange, sans considération, sans distinction ny récompenses, vous les trouverés détraquées, démantibulées et, ne se sentant pas d’aucun des ressorts qui sont en elles, vous [Page 58] chercherés en vain de les monter. Divin point d’honneur qui équivaut à tout, jusqu’au patriotisme, cette source féconde d’héroïsme est un guide bien plus sûr pour la société que les gibets et les roues n’en sont un pour sa sûreté.
130Les gibets et les roues font que les méchants prennent plus de précautions, qu’ils se cachent et peut être qu’il se commet moins de désordres et de crimes, mais l’exemple de cent pendus et d’autant d’arquebusés ne font pas un vertueux. Et cela n’est pas égal pour la société. Quel pouvoir a d’ailleurs la crainte de la mort sur un homme élevé et nourri dans l’opinion de la mépriser, de s’exposer tous les jours, et cela gaiement, à l’offrir et de la désirer pour sa patrie, pour la gloire, et dont l’état présent et les scituations personnelles, par la trop grande sévérité et quelque fois par le caprice et l’injustice de ses supérieures [sic], en font souvent un fardeau, lorsqu’il a encouru la peine portée contre ceux qui cherchent à se soustraire à ces maux, et qui reçoit la mort de la main de ses camarades, de celle de ses amis ?
131Il n’en est pas ainsi du point d’honneur, dont l’effet influe constamment sur toutes nos actions par un droit tout naturel, par un pouvoir secret. Le point d’honneur, le patriotisme, les désirs de la gloire ne sont pas de ces choses à discuter, mais à sentir, comme le sont la plus part des choses secrètes qui exercent un si prodigieux empire dans tous les cas d’un usage particulier.
[Page 59] Section vi : Manière de procéder avec aisance, avec douceur et infailliblement à toute l’instruction nécessaire des soldats et de la perfectionner
132Dans tout exercice du soldat, vous ne sçauriés trop prêcher l’attention, âme et vivacité. C’est d’elles que dépendent la justesse et le brillant de leur exécution. On pardonnera pour cet effet toutes les fautes d’ardeur, elles tournent toujours au bien. Pour que le soldat ait plus de facilité à acquérir la manière de joindre la vivacité à la justesse de l’exécution des tems de l’exercice du fusil et des mouvements du corps avec grâce et cet air moëleux indispensable pour pouvoir se dire exercé, il faudra d’abord leur démontrer et faire entendre la différence de l’exécution des tems faits avec vivacité et aisance d’avec ceux de force et de roideur. Que les premiers seront moëleux, aisés, de bonne grâce et de facile exécution, les seconds roides, durs, malaisés, fatigants et en tout frappés au coin de la mauvaise grâce et de la maladresse.
133Après que les soldats auront un certain acquis dans les différentes parties de l’exercice, il faudra leur montrer les ruses et petits moyens qui en facilitent l’exécution, donnent cet air d’aisance, de bonne grâce à tout. On leur montrera et fera sentir qu’en cherchant à doubler les tems, à les répéter 10 et 12 fois de suite, à manier son fusil de toutes les manières, à avoir une grande familiarité avec lui, à le jetter en l’air, le ratraper, le manier dans les mêmes tems indiféremment [Page 60] avec l’une ou l’autre main et répétant les tems de bayonnette en avant et puis porter son arme, ceux de la charge en marchant, et puis en courant, et à charger au plus vite, on acquiert cette belle et utile aisance pour tout exercice.
134Une facilité pour l’intelligence du soldat qui influe en même tems sur la belle exécution, c’est qu’il y ayt une conséquence et suite dans ce qu’on lui fait faire. Qu’on commence toujours toute manœuvre ou espèce d’exercice par son commencement et qu’il sçache la succession et véritable signiffication des commandements, son attention moins partagée ne sera jamais en suspend entre l’exécution et ses connoissances.
135Le tout dépendant des principes dont on se servira et de la manière dont on les insinue et fait goûter, on ne peut se faire un plan trop juste et trop scrupuleusement choisi et raisonné du conséquent du premier objet, dont l’idée est répandue dans ce qui est dit dans ce mémoire concernant la discipline. Pour le second objet, il ne faudra pas perdre de vue que c’est d’après la réception, manière de parler et agir avec les soldats, qu’on le [sic] portera à son devoir, qu’il jugera de son état et de la difficulté de son instruction. Brusqués le, maltraités le, ayés l’air dur et prenés vous en a lui de son ignorance, de ne pas sçavoir quelque chose dont il n’a jamais ouï parler vu que vous venez souvent de l’imaginer, il envoyera en lui même le métier au diable, désespérant de ne pouvoir jamais apprendre [Page 61] ce qu’on lui aura montré. Parlés-lui au contraire avec douceur, ayés de la patience, un air d’intérêt pour lui, loués sa bonne volonté, donnés quelques éloges et récompenses, dites être content de lui, assurés le qu’en peu il poura être admis dans une classe et de là successivement aux exercices du bataillon95, dont on lui vantera le beau, il louera et bénira son sort ainsi que son instructeur. Pénétrés vous de cette idée qu’on n’instruit jamais bien sans plaire.
136L’officier instructeur ne sauroit apporter trop de douceur, de patience et de bonté à l’instruction du soldat. Il est un ton à se former qui donne à la fois un degré d’intelligence de plus, un grand désir de bien faire, une facilité pour l’exécution et même des moyens. « La formule de tout commandement public, dit un législateur, sera la raison veut, la loy ordonne »96. Sans devenir discoureurs, on peut très bien, avant d’ordonner l’exécution d’un objet nouveau, faire pressentir aux exécutants que cela est raisonnable, utile, même avantageux, &a. Mais un grand inconvénient à cela, c’est qu’il n’y a que les jeunes gens qui d’ordinaire ayent le zèle nécessaire pour ce travail et qu’il n’y a que les vieux officiers qui ayent une expérience suffisante à les bien instruire, suivant leur caractère et les moyens qui opèrent le mieux sur leur phisique et moral.
137On commencera par exiger le plus grand silence et toute l’attention dont ils seront susceptibles, afin de mieux entendre et concevoir les explications qu’on leur donnera de ce qu’on va leur faire faire. On demandera si ce qu’on a dit est entendu, sinon on le répétera et on exécutera soi même la chose pour se rendre plus intelligible en cherchant à se faire entendre par les oreilles et par les yeux. Je dis que la douceur, la patience, la clarté et la netteté ne sufisent pas seules pour instruire un être si peu raisonné, souvent si peu raisonnable que l’est le soldat. Ces moyens frappent bien l’âme et l’intelligence quand ils en trouvent, mais chés bien des soldats, ne faut-il pas chercher l’âme et l’intelligence au bout de leurs bras ? C’est donc un langage nouveau qu’il faut. Le voici.
138Un joueur de gobelets, un escamoteur, commençant à montrer ses tours subtils à son élève le fait très lentement, pour qu’il puisse appercevoir touts les mouvements de chaque doigt qui coopère à l’exécution totale, et il les luit fait exécuter de même. Successivement, il double la vitesse, et jusqu’au point que l’œil attentif à peine à les distinguer et à les suivre. C’est ainsi qu’il faut aider l’esprit et l’intelligence du soldat, en parlant à plusieurs sens à la fois. Voici, moyennant ce, comme on pouroit y procéder.
139Que les classes se forment par compagnie, que chaque officier exerce ses soldats, le progrès en sera plus prompt et l’instruction du soldat plus facile97. L’officier a un égal intérêt à ces deux objets, ce qui seul suffiroit à les faire réussir. Mais il y a, en sus de cet intérêt et raison personnelle, une raison phisique pour [Page 63] que l’instruction soit plus efficace et plus facile pour l’officier, et pour le soldat, en ce qu’il aura toujours les mêmes hommes et que, connaissant mieux ceux de sa compagnie que tout autre, il saura la manière la plus convenable de les louer ou réprimer. Et les soldats tâchent de plaire de préférence aux officiers de leur compagnie, ils ne laisseront pas échapper l’occasion que les exercices d’instruction leur présentent. Je bornerai à ce peu de mots cet article traité dans un grand détail dans un mémoire sur une augmentation98. Je reviens aux objets généraux.
140Si ce que vous aurés établi exige des changements ou additions (ce qu’il faut tâcher d’éviter), donnés les méthodes nouvelles lentement et par degré. Quelques [sic] précieux que soit le tems en guerre, Scipion l’Affricain99 a prouvé qu’il a fait un bon emploi de celui de toute une campagne passé [sic] à remettre l’ordre dans les troupes que la République lui confia pour faire le siège de Numance, en 133 avant Jésus-Christ, devant laquelle plusieurs années de suite les armées romaines s’étoient avilies sous les Q. Pompeius, Popilius et Mancius100.
141Ne rendés point le soldat responsable de nos dégoûts, ni de notre ignorance. Vous êtes aussi des hommes et ne pouvés pas prétendre d’être exempt des foiblesses humaines. Veillés à cet égard sur vous. Les jeunes officiers doivent trembler d’agir vis-à vis des soldats suivant leur caractère, d’ordinaire vif, emporté et sévère. Il seroit, j’ose le dire, plus avantageux au bien du service de moins punir que de punir [Page 64] trop sévèrement et souvent injustement, de regarder les soldats comme des hommes, comme le premier et le plus essentiel instrument de l’art et de la gloire. De là, en jugeant un homme, on devroit toujours se souvenir qu’on est soi même un être semblable, que des moyens qui leur sont inconnus sont pour nous les seuls avantages que nous avons sur eux. Quel plus malheureux jour que celui où, interprète des loix ou des cas, on ne peut sauver un homme qu’on ne plaint même pas ; lorsqu’on est même forcé par devoir de le condamner pour une faute qu’il [sic] sait par certitude être un effet de la foiblesse humaine.
142Plus un soldat qu’on veut instruire a l’esprit borné, la conception difficile, plus il faut faire d’effort contre ces obstacles naturels, plus il faut être simple, clair, net et précis dans ses leçons, plus il faut être patient dans ce qu’on veut lui inculquer et qu’il ne conçoit qu’imparfaitement, plus il faut être modéré dans ce qu’on en peut exiger. Le soldat − ainsi que l’écolier duquel le maître ne rapproche pas la distance de leurs [sic] facultés de sentir, de concevoir et d’exécuter, quelques fois immenses entr’eux − commence par s’étourdir aux grands mots, aux grands airs, ne sçait plus ce qu’on lui demande, perd la tête et ne sçait plus ce qu’il fait. Pour lors, son jugement et son cœur n’est [sic] plus sensible qu’à la peine, à l’amertume de son état et à la sévérité de ses maîtres.
143Les principes spéculatifs ne sont pas toujours les meilleures leçons de pratique. [Page 65] À moins que les principes ne soient parfaitement développés, détaillés et d’une facile conception et exécution, ce seroient les plus goûtés dans leur lecture, mais les moins entendus et les moins utiles dans la pratique.
144Raisonnés vos soldats, mettés en activité les facultés de leur âme, la conception, la mémoire, la volonté. Leur instruction et leurs devoirs leur paroitront aisés et peu de chose à remplir. Ces qualités sont dans un chacun, il suffit de les faire germer et développer. Et si leur esprit est insensible à ce langage, parlés à leurs passions et vous serés écouté [sic], favorable interprète chés tout homme. Enfin aimés les, soyés leur attaché [sic], n’oubliés jamais que ce sont des hommes, que c’est eux qui contribuent avec plaisir, quoi qu’avec des fatigues, des peines et des mals êtres incroyables, à la gloire dont vous, officiers, retirez le principal et le plus grand avantage. Non seulement le soldat jouit de la moindre partie des récompenses, tandis qu’il éprouve le plus grand mal être pendant qu’il se porte bien, [mais] il n’éprouve que peu et souvent point de soins étant malade et blessé. Quel est l’homme qui, passant sur un champ de bataille, dont [sic] le cœur n’ait senti et partagé les douleurs aiguës que les blessés expriment par leurs cris et prières à obtenir la mort de la main des passants, qui n’ait déploré l’humanité en voyant ces malheureux, souvent deux ou trois fois vingt-quatre heures sans secours et entassés sur des chariots, où ils meurent [Page 66] 1 000 fois pour une par les douleurs que leur causent le transport et l’espèce des secours qu’ils reçoivent après ! Que de bras, que de jambes coupés pour épargner les soins et les frais d’une longue guérison ! Que de braves gens envoyés dans l’autre monde par ces bourreaux de médecins et chirurgiens ! Quel fatal cordial un certain roy n’a til pas fait donner à ses blessés pendant la guerre de 1756101 ! Malheur au cœur assés barbare pour ne pas partager leurs peines ! Malheur à toutes les âmes que le seul tableau du sort des soldats blessés n’émeut aux larmes et dont le cœur ne tressaille de sentiments de tendresse et de compassion lorsqu’il se rappelle le spectacle « d’une plaine encore jonchée de morts et de mourants, lorsque l’avarice et la cupidité des vainqueurs portent leurs regards sur les vêtements des victimes encore palpitantes du bien public, lorsque, sans pitié pour des malheureux dont ils redoublent les souffrances, ils s’en rapprochent et les dépouillent sans que les larmes, le visage effrayant de l’angoisse, le cri aigu de la douleur, rien ne les touche. Aveugle aux pleurs de ces infortunés, ils sont sourds à leurs gémissements »102.
145Le meilleur moyen de faire valoir à l’autorité son prix, c’est de la ménager, c’est de conduire à l’objet, si cela suffit, au lieu de commander, c’est d’inviter, d’insinuer au lieu de contraindre. À cet effet, il seroit bon qu’on remit à chaque chambrée, aux corps de garde et salles de discipline quelques exemplaires des livres [Page 67] suivants, afin que les soldats passent leur tems de service et de loisirs à s’amuser en s’instruisant, en excitant en eux l’amour de la belle gloire et de l’intérêt, en même temps qu’ils s’attachent à leur état : Histoire de l’école militaire103 ; Les loix de l’éducation, exemples propres à former un soldat, à Hambourg, chés Beck, 1765, traitant de l’intrépidité, discipline militaire, de générosité et d’esprit104 ; Les Héros subalternes par le dragon Parisien105 ; Loisirs d’un soldat des gardes françoises addressé à ses camarades106 ; Le cavalier, écrit en 1640107 ; Histoire des choses les plus mémorables arrivées tant en France qu’aux pays étrangers depuis l’année 1610 jusqu’en l’année 1720 [sic], par Pierre Bartelle sieur de Gaubertin, soldat au régiment des gardes françoises108, et autres pareils.
146Pourquoi ne leur composeroit-on pas une histoire de toutes les vertus et faits des soldats qui se sont distingués, écrite dans leur esprit et langage ?
147« C’est ainsi qu’on mène les hommes sans contrainte, par les récompenses et par le bon ordre. L’autorité seule ne fait jamais bien. La soumission des inférieurs ne suffit pas, il faut gagner les cœurs et faire trouver aux hommes les avantages dans les choses où l’on veut se servir de leur industrie », Narbal à Thélémaque, livre iii, parlant des moyens et des avantages du commerce de Tyr109.
148Les Anciens honnoroient leurs soldats bien plus que nous, aussi en tiroient-ils un bien plus grand parti. Nous ne daignions, le plus communément, leur parler que pour désigner des volontés et souvent des caprices, donner [Page 68] des ordres, faire des menaces avec un air d’autorité et de maître qui avilit l’âme qu’ils peuvent avoir. C’est le langage et les manières les plus ordinaires de plusieurs de nous. Ce peu de cas qu’on fait du soldat, le peu d’estime qu’on lui accorde, influe non seulement sur sa satisfaction personnelle, mais ces sentiments tiennent encore directement au plus ou moins de considération de tous les États pour le militaire, sentiments qui lui sont utils, nécessaires et flatteurs. C’est cette vérité qui a fait désirer et prendre aux princes habiles le titre de capitaine, de chevalier, d’ami, de camarade et de père du soldat, de préférence à tout autre, afin de marquer au soldat le cas et l’estime qu’ils faisoient et du soldat et de son art. Les Anciens portoient cette considération encore plus loin dans la composition de leur militaire. Ils en excluoient les esclaves, et ce n’est que dans des cas très pressants, leur ayant au préalable rendu la liberté et les ayant par là associés au corps de la nation, qu’ils les admettoient à l’état militaire, ainsi que les Romains après leurs grandes défaites. Agésilas voulant changer le théâtre de la guerre que Carthage lui faisoit dans ses États en arma 8000, qui faisoient le plus grand nombre de l’armée, qu’il embarqua pour aller attaquer des ennemis dans leur capitale.
149Essayez une affabilité noble, une honnêteté généreuse, de ces mots flateurs et séduisants qui touchent, déterminent et captivent, qui rendent vos sous ordonnés esclaves sans qu’ils s’en apperçoivent et [Page 69] sans le regreter [sic], et vous verrés que ces moyens sont efficaces sans rien diminuer de l’autorité. Que ceci soit dit aussi pour les chefs vis-à vis l’officier subalterne, qu’on a cru discipliner en l’assujétissant sans recours aux caprices, aux injustices et au caractère peu honnête de plusieurs d’entreux. C’est priver l’homme de ses plus heureuses qualités, de la sensibilité et justice, que de l’avilir. C’est diminuer l’honneur, le courage, les sentiments qui le font valoir tout son prix, que de l’abandonner aux emportements et aux passions d’un autre homme. Ce n’est pas en avilissant les hommes en quelque classe que ce soit qu’on les corrige et loin qu’on les rend susceptibles des grandes actions dans le métier qui étonnent toutes les fautes [sic] de l’âme de ceux des autres états110. Il en est cependant qu’il faut avertir, éguillonner, corriger et punir pour les amener à leur devoir et à votre but, qui doit toujours être au delà dans vos vues, mais par des exhortations d’amitié, des avis doux et réitérés, des points d’émulation, par des privations d’éloges, de distinctions, de récompenses, par des peines sensibles au cœur honnête. Le rustre et grossier montagnard est également susceptible de sentir les peines de ces moyens de punitions, ainsi que l’homme bien né, lorsque vous lui aurés fait connaître, sentir et goûter les charmes de l’éloge, de l’approbation et de l’admiration, en même tems que vous lui avés [sic] peint, en une forte teinte, les peines de l’indifférence de son officier, la douleur du dédain, l’horreur du mépris et des punitions.
150Les gens sans génie, sans ressources, [Page 70] qui ne connoisent que ce moyen vulgaire d’ordonner, cette raison des foibles, je le veux, et souvent des ignorants, sont privés des avantages qui résultent de cette heureuse manière de se faire obéir sans qu’on s’en apperçoive. Diminuer le mal en faisant sentir le meilleur est la façon la plus avantageuse d’introduire et faire chérir le bien, quelques nouveaux que les changements pouroient nous en paroitre.
151La baze à l’introduction de la discipline, c’est de persuader, c’est de convaincre. Ce n’est pas que le soldat déjà discipliné ne doive obéir ipso facto, sans même réfléchir au motif de l’ordre, mais si vous êtes sages, vous n’en viendrés là que par degrés, et ce n’est pas l’ouvrage d’un moment, et un de part le roy n’est pas le moyen suffisant. Ces mots peuvent faire un officier et non pas un soldat, pour lequel il faut du tems, et du tems bien employé. C’est en voyant souvent le soldat, en le suivant, en causant avec lui, qu’on apprend à le connoitre, qu’on poura lui inspirer les vertus qu’il n’a pas et qu’on parviendra à étouffer le vice en lui avant qu’il ait germé. C’est en le raisonnant, en y prenant intérêt, qu’on s’en fait aimer, qu’on acquerera sa confiance à en tirer tout le parti possible, au degré du fanatisme le plus captivant pour sa patrie, pour sa cause, pour son chef.
152Que la finale des conversations d’amitié que Messieurs les officiers auront avec les soldats, après avoir prêché, parlé de leur intérêt, de leurs facultés et de leurs parents, [Page 71] soit donc toujours : obéissance, respect et attachement pour la légion. Qu’ils leur fassent connoitre l’avantage actuel du soldat en France, la manière dont ils sont entretenus et traités, les soins que leurs officiers leur prodiguent et l’espoir certain d’avoir du pain après quelques années de service, les droits, prérogatives, honneurs et distinctions attachés au sort qu’on vient de leur faire111. Quel est le soldat à qui on procurera ces avantages qui ne s’attachera à son état, qui ne désirera de mériter l’approbation de ses officiers par sa bravoure, son exactitude, son obéissance et bonne volonté ? De là leur naîtra un goût pour leur métier qui finira par devenir un attachement qu’ils chercheront à communiquer à leurs camarades, qu’ils s’empresseront d’inspirer, non seulement à la jeunesse des lieux où ils se retireront, mais encore aux pères et mères. Ces sentiments peuvent devenir un petit patriotisme. Quand [sic] aux sergents et caporaux, qu’il leur soit ordonné de se modeler dans leur conduite envers les soldats sur celle de Messieurs les officiers. Qu’ils soient justes et doux, qu’ils soient exacts et bons, qu’ils veillent aux points intéressants, chacun suivant sa charge et les soins qu’on lui commettra. On exigera de même des vieux soldats envers les jeunes et en rapport de leur capacité. Il en est dont je m’en promettrois plus que de plusieurs hautes payes112.
153Il faudra que tous s’appliquent à suivre [Page 72] le soldat dans ses paroles, goûts, passions et actions − les caporaux, les soldats, les sergents, ces deux classes et l’officier tous ensemble − afin de les juger justes, à [sic] mettre chacun à sa place et à en tirer le meilleur parti possible.
154C’est par de pareils moyens qu’il faudra mériter leur confiance. C’est de cette manière qu’il faudra réveiller leur âme de l’assoupissement, ou létargie, où elle pourra être plongée. C’est ainsi qu’on remuera en eux l’honneur, les sentiments, les principes, l’amour propre et l’intérêt, moteurs secrets qui les porteront avec gayeté et exactitude à l’exécution de tout ce que leur devoir leur prescrit, de tout ce qu’on peut exiger des hommes.
155Cézar fit une heureuse épreuve de cet attachement à son début en Affrique, où l’armée navale de Varus et d’Octavius113 ayant pris quelques bâtiments qui amenoient des troupes de Sicile à Cézar en Affrique, il se trouva sur un, Quintus et Lucius Ticida114, chevalier romain, et sur l’autre, un centurion avec quelques soldats. Étant menés à Scipion115 − qui soutenoit le parti de la République − lorsqu’il étoit sur son tribunal, il leur dit : « puisque la fortune vous a livrés entre mes mains et que c’est par force, sans doute, que vous servés à la tirannie de Cézar, dîtes-moi franchement si vous ne voulés pas suivre le parti de la République et de tous les gens de bien, sur l’assurance certaine, non seulement de la vie et de la liberté, mais encore de la récompense ».
156Le centurion lui répondit avec cette [Page 73] fermeté qu’inspire l’attachement, quoique certain qu’il le payera de sa vie : « je te remercie Scipion, sans le traiter de général, de l’offre que tu me fais de la vie et de la liberté et j’accepterois volontiers tes offres si je pouvois le faire sans crime, mais irai-je me présenter en bataille contre Cézar après avoir combattu pour lui l’espace de tant d’années et mettrois-je l’épée à la main contre mes compagnons pour qui j’ai tant de fois hazardé la vie ! Je te prie de ne m’y pas contraindre. Si tu veux éprouver tes forces, donne-moi seulement dix de mes camarades pour combattre une de tes cohortes. Tu jugera de l’issue de la guerre par celle de notre combat »116.
157Scipion le fit assommer sur le champ, mais cet exemple d’inhumanité n’empêcha pas que les césariens ne fussent attachés au delà de toutes expressions à leur chef, dans le tems et les circonstances les plus fâcheux pour eux et les plus critiques pour Cézar. Aussi, lui qui possé-doit cet art, jouissoit-il de l’avantage inséparable de la connoissance des hommes, de leur attachement et de leurs qualités phisiques et morales, dont il tiroit le plus grand parti en mettant chacun à sa place dans le tems et lieu qui lui étoient les plus favorables.
158Cette connoissance de vos soldats vous fera remarquer ces personnages négligents et vicieux. S’il s’en trouve, que ce soit sur eux que tombent les reproches et punitions. [Page 74] Et s’il y en a d’incorrigibles, n’hésités pas à les renvoyer. Les mauvais exemples sont d’autant plus dangereux qu’ils dévoilent la source du mal et qu’ils y accoutument. L’un peut être ignoré, même inconnu au grand nombre, tandis que l’autre frappe la vue de tout le monde.
159Faites revivre cet heureux tems où l’on pouroit [sic] menacer un soldat de le renvoyer des bandes comme un effet de punition sévère, ainsi que s’exprime une ordonnance de Henry IV sur la police et forme de vivre des gens de guerre117.
160Un autre avantage pour l’officier, non moins réel, de la connoissance de ses soldats est qu’il apprendra leur langage, il apprendra à l’entendre et à être entendu de lui. Qu’elle pitié ne font pas les officiers plus occupés des spectateurs que de leur besogne, qui font les académiciens en parlant à leurs troupes, et quels succès peuvent-ils s’en promettre ?
161Pour vous, officiers vraiment dignes du nom, vous vous servirés de moyens plus sûrs et vous verrés bientôt que le François est aussi susceptible d’être discipliné qu’il est réellement valeureux.
162Si le maintien de la discipline exige une grande sévérité, elle exige aussi une bien plus grande justice. Ô que celui qui connoit les hommes trouvera de ressources pour les assujettir à des loix raisonnées. C’est là l’objet essentiel.
163L’art de former des hommes et des soldats est sans doute l’ouvrage qui [Page 75] mérite le plus de la patrie ! Ce devroit être la principalle occupation de quiconque veut la servir. C’est l’objet le plus important de notre métier. Que dis-je, c’est le seul qui mérite qu’on s’en occupe et dont la gloire est éternelle. Nous nous ressouvenons toujours avec reconnoissance de deux particuliers qui, dans le siècle précédent, vers 1672, disciplinèrent et formèrent notre militaire. Le chevalier de Fourilles disciplina le premier notre cavalerie et Martinet donna la forme à notre infanterie118, forme qu’elle avoit encore au commencement de ce siècle et qui a peu variée jusqu’en 1764. N’y auroit-il plus de Fourilles ny de Martinet ? Où est-ce que cette gloire ne seroit pas suffisante pour tenter quelqu’un de nos grands ? Mais il ne suffit pas d’être discipliné pour agir le plus avantageusement. Pour connoitre cet esprit et le communiquer aux subordonnés, il faut l’aimer.
164Les longues paix pourroient devenir instructives et salutaires, contre l’ordinaire, en tournant ce tems tout à l’avantage et à la gloire du métier, en cultivant pendant leur cours les talents et les vertus militaires. Et c’est là leur emploi le plus essentiel, vu que les licences que l’on tolère pendant la paix se répriment difficilement pendant la guerre. Les occasions, le soldat plus livré à lui, ou au moins à d’autres chefs et officiers, &a, multiplient également les moyens, et de là les effets, de ce malheureux fléau, et cela dans un tems, des cas et des circonstances où la moindre de ses suites [Page 76] peut devenir des plus dangereuses et même mortelle pour le bien du service. Les paix dont on néglige de profiter sont communément nuisibles à toutes sortes d’États monarchiques, aristocratiques, démocratiques et plus encore aux républicains. Si ces États ont été fondés pour s’aggrandir, la guerre et la paix étant également inévitables, le plus sage est de tirer le meilleur parti de l’un à l’avantage de l’autre, et vice versa.
165Entre les longues paix des Anciens, Polybe observe que celle des Achaïens avoit gâté leur discipline, au point que Timoxène119 annonça d’avance le mauvais succès qu’aura la guerre120. Prédiction justifiée par le sort de leur armée sous Aratus121, qui en eu [sic] meilleure opinion jusqu’à ce qu’il fut battu en diverses rencontres et puis défait à la bataille de Caphiesc 122. On voulut sauver leur réputation, on chercha à excuser leur lâcheté et on s’en prit à l’incapacité du général de la honte de leur défaite contre les Étoliens.
166Il est mille exemples de l’ignorance qu’elle a nourrie dans le militaire, plus essentiel à la vérité que celui de nos jours par la multiplicité des puissances et par leurs différents intérêts123. Mais en nous rapprochant, les longues paix ont elles été moins onéreuses ? L’indiscipline de 1733 l’a prouvé : la maraude, la quantité d’arquebusés, de pendus, l’ignorance, passez m’en le mot, en ont été les tristes fruits chés nous.
167J’ai été malheureusement dans le cas de remarquer dans divers régiments, non seulement un mauvais emploi de l’autorité, mais j’ai encore observé un [Page 77] partage onéreux de cette partie de la puissance.
168La discipline partagée entre tous les grades en un régiment ne diminue en rien celle du chef, ni la somme totale ainsi distribuée. Je la compare aux différents rameaux d’un gros arbre, dont le tronc représente le chef et les branches les subalternes. L’autorité est une force qui se trouve toujours en une quantité superflue dans la puissance du chef pour qu’il ayt besoin de se l’attribuer exclusivement. C’est par le moyen de ce tronc que la sève se communique aux extrémités les plus minces, les plus éloignées et les plus divisées, mais c’est par elles aussi que la fleur, le bouton et le fruit éclos [sic], se forme, se perfectionne et procure une ample récolte.
169Arrêtés, fixés ou détournez la sève au haut du tronc, il n’y aura plus de fruits, les branches, par cette privation, étant rendues inutiles sans que le tronc en devienne plus puissant et dans l’impossibilité de pouvoir suppléer aux fonctions des branches. Chaque emploi a ses fonctions. Sitôt que le supérieur empiète sur la fonction d’un inférieur, il suspend son activité, il préjudicie au relief de l’officier, elle [sic : il le] fait tomber dans le mépris, au moins diminue t-il la confiance qu’on doit avoir en lui. C’est [sic] avis est pour les chefs qui veulent tout ordonner, tout savoir et tout faire, pour ceux dont la bonne opinion d’eux-mêmes ne permet pas de voir la prudence, la sagesse et le savoir des autres. Mais qu’arrive t-il aux hommes à bonne opinion d’eux-mêmes exclusivement à tout autre, aux présomptueux et tranchants, méprisants et durs pour [Page 78] les autres : on leur laisse faire des sottises, on les juge et on en rit avec le public. Les gens peu attachés à la gloire de leur art, au bien de la patrie s’en réjouissent, le sage même se contente de gémir et de faire des vœux en silence. L’homme d’honneur seul, qui [est] plus attaché à la vérité, à la gloire, qu’à la fortune, blâme ouvertement.
170Quand un Vilard124 est trompé par ce grossier piège, l’amour propre, qui lui fait faire des sottises à Consarbrück, où il fut battu, à Trêve, dont la garnison se révolta, quel est l’homme qui ne doit être sur ses gardes contre ce dangereux ami125 ?
171Un autre mal, ce sont les préférences et l’intérêt, qui mènent les chefs insensiblement à l’injustice, à des permissions, même à des tolérances, comme à des refus et punitions arbitraires, dont les suites sont mortelles à l’esprit des corps et à la discipline, en ce qu’une pareille conduite décourage les gens exacts, sans en rendre les autres meilleurs. C’est commettre, c’est avilir l’autorité que de s’en servir par caprice. Le ton dur d’un chef est un abus de l’autorité qui la dégrade. Le persifflage est une impertinence de l’esprit qui aliène les cœurs.
172Les chefs de corps, les colonels au moins, devroient, ainsi que les roys de l’Europe, être législateurs et non pas exécuteurs de la loy : commander et non juger, pour conserver tout l’attachement et affections de leurs régiments. Ils devroient seulement se réserver de faire grâce, s’il est impossible de les assujétir à l’observation littéralle des ordonnances, comme je le crains, sans l’établissement d’un conseil de guerre.
173[Page 79] Il est indispensable que l’autorité soit partagée et agisse séparément, en ramenant toujours les effets de clémence et de bonté au chef et ceux de punitions aux loix, &a.
Section vii : De l’ordonnance solide des Anciens et de celle de nos jours. Changement provenant du relâchement de la discipline
174L’ordonnance solide126, jadis si généralle[sic], aujourd’hui si rare par la destruction que porte le canon, par la différence des armes et manière de combattre, par sa lenteur dans l’offensive, par sa lourdesse dans les manœuvres, a successivement diminuée [sic] de sa profondeur, qui étoit celle de la commune ordonnance de bataille des Grecs et qui, de 16 rangs, souvent 32 et jamais moins de 8, en est actuellement à trois de hauteur127. Ceux qui parmis les Anciens osèrent toucher à cette force de profondeur cherchèrent au moins à y suppléer par quelques moyens équivalents, tel que Cirus, qui le premier mit son ordonnance de 24 sur 12. Lorsqu’allant au secours de Cyaxare128, son oncle, en Médie, et qu’il vit que leurs armées jointes ensemble étoient inférieures en nombre à celle des ennemis, il chercha à dédommager son ordonnance de ce dédoublement en donnant à ses Perses des armes offensives et défensives : au lieu d’arcs et javelots, propres seulement à combattre de loin, des boucliers, des cuirasses, des épées et des haches, propres à en venir aux mains, ainsi que sa nouvelle ordonnance plus alongée l’indique, ce que les Modernes [Page 80] apperçoivent aisément mais qu’ils imitent rarement.
175L’ordre des feux a tellement prévalu sur tout autre qu’il est assés généralement devenu celui de bataille et nous pouvons quasi dire que nous n’avons plus en Europe qu’une seule et même ordonnance, tant pour la profondeur que pour la disposition des armées, tant l’exemple détermine à l’imitation, entraîne l’opinion de l’homme ordinaire et souvent captive celle du génie129. Quelqu’ait été le succès130 de ce nombre de batailles que les François ont donné [sic] ou reçu sur ces plans, dans lesquels [sic] naturellement l’espèce de troupes, les qualités nationnales et souvent le nombre auroient dû leur donner de l’avantage sur leurs ennemis, nous ne voyons cependant pas beaucoup de généraux qui ayent cherché à pénétrer les causes qui leur y ont fait avoir le pire et moins encore qui ayent cherché à y apporter remède par de sages et utils changements, par un juste employ des moyens et ressources sans fin qu’une armée à en elle même, que les circonstances de l’art indiquent, que les principes désignent. Il semble au contraire que, non seulement aveugles sur ses [sic] dispositions, mais encore sourds à la raison, on s’éloigne de plus en plus des principes de l’art et qu’on néglige de même les avantages nationaux.
176Ce qu’il y a de singulier dans le choix d’un objet dont la conséquence se met toujours à côté de la gloire et du bonheur des nations, [c’est] que ce ne soit pas les François [Page 81] qui ayant [sic] imaginé l’ordonnance peu conséquente, j’ose dire ridicule et peu sage, eu égard à leur esprit national, mais qu’ils ont pris aveuglément celle de leurs voisins, sans examiner les motifs qui la leur ont fait adapter au leur, sans raisonner ces motifs pour soi, quoi qu’ils se trouvent diamétralement opposés au sens et à ce qui devroit constament servir de baze et de principe à diriger la nation françoise dans les actions. À peine les sent-on et ils forment tout au plus quelques fois le sujet de la conversation d’un petit nombre de militaires pensants, quoique ces qualités qui caractérisent les peuples, et particulièrement les François − et pour cela inutiles à détailler ici, étant connues par leurs effets réciproques des uns [sic] sur les autres −, se soient souvent échapées de la contrainte dans laquelle on les captivoit − sans en sçavoir ni soupçonner d’autres raisons que celles de l’usage − avec vivacité, souvent avec violence, avec une sorte d’explosion, par boutades et sans insinuation131, d’un mouvement libre du soldat : vrai signe caractérique [sic] qui en prouve son analogie directe avec elle [sic], comme on peut le voir par des actions de corps entiers et par celles de quelques unes de leurs parties, ainsi que Navarre dans la plaine de Fleurus le 11 juillet 1690132, Champagne à Stenkaque [sic] en 1692133, à la bataille de Spirbarch le 15 novembre 1703 plus qu’en tout autre, puisque le mouvement d’un régiment se communiqua à toute la ligne134, à Casano le 16 août 1705, où les dragons même y eurent recours135, Piémont [Page 82] à l’attaque retranchée de Calimato [sic] le 19 avril 1706136, la brigade de Béarn sous le Johannesberg le 30 août 1762137, &a.
177Nos maîtres, ces âmes bienfaisantes qui vouloient bien penser pour nous, qui faisoient des recherches et nous sacrifioient leurs veilles, ont cru qu’il pouroit nous être avantageux de recourir à quelques usages des Anciens. En conséquence, l’un a proposé des piques, l’autre des casques138. N’y avoit-il pas d’autres points à admirer et à nous rendre profitables de ce nombre rapporté dans les faits et histoires des Anciens, où ils ont pris ce qu’ils proposent ? Ils auroient bien dû être frappé de la sagesse et pénétration des Romains dans leur conduite pour la partie phisique de leur militaire, qu’ils ont précautionné contre la charge furieuse de l’épée tranchante de l’infanterie gauloise, contre la légèreté et célérité de la cavalerie numide aussi nombreuse que leste, contre la foule et l’addresse de l’archer persan, contre la flèche mortelle du Parthe barbare, contre la justesse et danger de la fronde baléare139, contre la pique menaçante et imposante des Grecs, contre le dard de leurs troupes légères aussi juste dans son jet que la fronde et la flèche, contre la grelle [sic] de flèches et dards lancés par le scorpion et baliste, contre le brutal et furieux éléphant, contre la course rapide et destructive du charriot armé, contre le génie du machiniste de toutes les nations, contre la diversité de l’ordonnance et la manière de combattre de tant de peuples guerriers, [Page 83] aussi nombreux que braves, valeureux, souvent féroces dans la nécessité de vaincre ou de périr pour se procurer des établissements ou deffendre les leurs, enfin contre le génie de tant de chefs qui tour à tour ont employé la force la plus grande, la ruse la plus fine, et qui tous ont été vaincus par la sagesse et les principes de l’art qu’ils [les Romains] raisonnoient, calculoient et par conséquent qu’ils pratiquoient mieux qu’eux, sans s’attacher constament et exclusivement aux mêmes moyens, aux mêmes armes et aux mêmes dispositions des diverses troupes de la légion, mais bien suivant l’espèce des armes, le cas et les circonstances, &a, tantôt en faisant changer d’armes à une espèce de soldats avec l’autre, en se formant avec des intervalles, en ligne plaine [sic], avec plus ou moins de profondeur, en mêlant les diverses armes ou en s’en servant séparément, en diversifiant leur ordonnance, par la disposition des troupes, par leur alignement, &a, en suppléant par là au nombre dans l’attaque, comme par des dispositions particulières et adroites aux flans [sic] et au derrière dans la deffensive, et en général par l’habilité, l’art et le scavant de leurs manœuvres, et surtout par le degré de perfection de l’instruction de leurs soldats et la pratique constante de leur divine discipline. Tous ces points essentiels n’ont pas été pratiqués exclusivement par les grands généraux de la nation, on le remarque encore sous des consuls, comme l’attestent les batailles de Tunis, Cannes, Zama140, &a.
178Je ne citerai ni le tems, ni les lieux où les premiers s’en servirent si glorieusement [Page 84]. Il faudroit copier leurs histoires qui fourmillent de ces exemples et de ces faits.
179C’est particulièrement dans la guerre de Scipion, Marius, Sylla141, Pompée et Cézar que ces chefs, obligés de recourir aux ressources pour suppléer à ce qui leur manquoit, en ont tiré [sic] de leur génie que les circonstances jusques là n’avoient pas encore rendues nécessaires.
180On peut conclure de ces exemples, de ces divers moyens et de leurs effets, qu’il auroit résulté en grande partie que les recherches et réflexions de ces maîtres dans l’art leur auroient démontré le vice et la foiblesse de notre ordonnance commune et sentie [sic] par tous les habiles officiers. Elles les auroient convaincu [sic] de l’avantage de notre fusil armé de sa bayonnette sur toutes espèces de piques, javelots, pilum, épée, &a, tant pour son effet dans la défensive que particulièrement dans l’offensive, ainsi que de la facilité de son usage dans toutes dispositions, dans tout ordre des rangs et files serrées, moyens et avantages dont les Romains ne jouissoient qu’en rendant inutiles une partie des armes de la légion, tandis que le fusil est d’un usage à toute distance et contre toute espèce d’ennemis.
181Ils auroient enfin vu et indiqué combien une profondeur plus conséquente dans notre ordonnance auroit encore ajouté à tout ce que nous connoissons d’avantages à cet [sic] arme, au point non seulement à oser résister contre la cavalerie avec confiance, mais encore à se porter à entrer en lice avec elle pour l’attaquer et la combattre.
182L’époque deffinitive de la défaite [Page 85] constante du militaire romain, après celle de la discipline négligée et sa suite toute naturelle, est celle où ils changèrent leurs armes portées à la perfection et leurs ordonnances solides. Les primitives étoient faites pour se joindre et vraiment se battre, au lieu qu’ils substituèrent à ces armes celle de jet de loin, comme l’arc et la fronde. Et l’ordonnance solide, ils crurent habilement la remplacer et augmenter de divers avantages et moyens en se formant sur six et même moins de profondeur, en étendant par là le front, en se bornant aux manœuvres et démonstrations de combat, comble de la lâcheté la plus honteuse, extravagance de l’esprit la plus outrée et la preuve la plus certaine du défaut de génie du chef et affoiblissement du courage de la nation.
183Nous avons encore renchéris sur ces défauts et vices et on peut dire que nous les avons porté [sic] au plus haut degré de leur perfection et de leur honte en nous formant sur trois de hauteur, en nous servant plus du canon que de nos bras, interprètes du courage. Aussi gagne t-on et perd-on [sic] des batailles de très loin, au succès desquelles la moindre partie du front d’une ligne d’une lieue d’étendue142 a contribué ou résisté. Il y a eu des Anciens qui avoient un train considérable de machines, qui étoient pour eux ce que le canon est pour nous. On voit bien qu’ils s’en sont servis communément aux sièges, à quelques passages de rivierre, mais jamais sur le front de leurs ordonnances de bataille, toutes corrompues qu’étoient déjà les anciennes [Page 86] vertus, l’ancien courage. On en a vu de placés sur les flancs et derrières, mais plutôt pour les couvrir que pour s’en servir.
184Quelques personnes chés les Romains, sentant ces deffauts de leur militaire et la nécessité d’y remédier en recourant aux anciens instituts, cherchèrent à en ramener les usages. Mais ils firent d’inutils efforts. Ce fut dans un tems où ils n’avoient plus les vertus nécessaires pour pouvoir s’en servir. Ils recoururent de même à la discipline, celle-cy se releva souvent, mais toujours à demi, comme un homme d’un profond sommeil qui retombe aussitôt. Il leur parut plus supportable de commander à leur esprit qu’à leur corps.
185La restitution de la discipline étoit certainement le remède le plus salutaire qu’ils pouvoient appliquer à leurs maux. Mais il falloit la pousser assés loin pour qu’elle eût rendu à leur militaire tout ce que la mollesse, la volupté du corps et le dérèglement de l’esprit lui avoit fait perdre. Alors ses sublimes avantages, obéissance, instructions et moyens phisiques, auroient sauvé l’Empire de la chute à laquelle il se livroit, vers laquelle il couroit à grands pas.
186Le fléau de la déprédation, toujours contagieux, avoit corrompu les Grecs avant eux. Ils changèrent également leurs armes et substituèrent à leurs longues piques d’autres qui n’étoient que des demies à leur égard. Ils firent de même à leurs boucliers.
187[Page 87] Le roy Cléomène143 sentit vivement les désavantages qui devoient s’en suivre, y apporta tous ses soins, mais il essaya en vain de rétablir les anciennes armes. Ils ne portèrent pas la même main sacrilège à la réforme de leurs ordonnances. Ils furent de tout tems ceux dont la profondeur et force de l’ordonnance, surtout dans la deffencive, étoient la plus considérable et la plus solide. On peut dire que les Modernes se sont donnés une ordonnance qui n’est rien moins que grecque, dont les bataillons dans leur moindre profondeur avoient huit rangs. Xénophon, qui la rapporte, parle de cette profondeur comme de la moindre qu’ils avoient. Ils étoientc plus communément dans leurs combats et batailles sur dix et douze. Quelques peuples comme ceux d’Athènes et de Thèbes l’augmentèrent souvent jusqu’à cinquante. Tout plein de l’avantage de la profondeur des ordonnances, ils l’étendaient même jusqu’à leur cavalerie. On a vu leurs escadrons sur douze files. Comme le nombre des gens d’élite n’est pas toujours le plus considérable dans un grand militaire, surtout après de grandes augmentations ou à la suite de plusieurs campagnes qui obligent d’enrôler tous ceux qui se présentent, les recrues, les maladroits et ceux qui manquent de cette assurance qui donne la confiance et la victoire se trouvent rassurés et contenus par le nombre de ceux qui forment la file dans laquelle ils se trouvent placés, soit devant ou [Page 88] derrière eux, ainsi que sur les flancs.
188Il n’est point d’exemple pendant ce grand nombre de siècles qu’on a fait la guerre, et dans cette quantité de faits qu’elle a produits, où dans aucun cas un général ait cru avantageux ou nécessaire de former ses troupes sur une ordonnance aussi foible que la commune des troupes de l’Europe. Je me flatte cependant qu’on sentira à la fin que l’infanterie livrée à elle à la guerre, devant à tout instant être dans l’attente de se deffendre contre la cavalerie, qu’il est de nécessité et du sens commun qu’elle soit au moins formée sur un ordre dont la force, dont le rapport, puisse entrer en proportion et comparaison avec celle [sic] de son ennemi le plus dangereux, afin qu’il soit raisonnable à elle de se commettre contre lui.
189Calcul très aisé à former : la force du cavalier consistant dans celle du poids de son cheval par la vitesse du mouvement qu’il lui imprime et celle du fusilier dans sa force personnelle, qui s’accroît de toutes celles d’un certain nombre joint ensemble144 et qui s’augmente encore par le secours que la raison, le jugement et la réflexion leur prêtent à tout [sic], par le sentiment de l’honneur et de la discipline.
190D’après les forces et qualités connues de l’un et de l’autre, la proportion du nombre de fantassins suffisant pour résister à un cavalier sera facile à donner.
191Ceci établi, l’infanterie aura de grands avantages sur la cavalerie, les effets [Page 89] de sa force étant en tout tems, en tout lieu et en toutes circonstances sûre [sic], constante et permanente, dans l’offensive et la deffensive, tandis que celle du cavalier dépend d’un nombre d’accessoires comme du cheval, de l’homme, du terrein, du tems, &a, qui ne se trouvent pas toujours réunis ; et lorsqu’ils le sont, leur effet n’est à leur calcul [sic] que dans l’offensive.
192Les moyens et avantages des Anciens rapportés dans cette notte ne sont que des rameaux, des suites et conséquences de leurs principes et vertus, que j’indique ci au bas, et qui étoient la baze et le fondement de leur grandeur ; qualités et moyens, qui leur auroient conservé la puissance du monde si la négligence de la discipline n’eût successivement diminué et enfin anéanti toutes les autres.
193Il ne faut pas croire, selon le préjugé commun, que leurs grands avantages consistassent uniquement dans la perfection de la tactique. Ils étoient très loin de la posséder au dernier degré. D’ailleurs, ils auroient eu bien moins de mérite que nous s’ils n’avoient eu que celui-là. Les Grecs et les Romains sur qui tombent tous les éloges militaires qu’on donne aux Anciens, puisque ce sont les seuls qui ayent sçu faire la guerre par ces principes, ne combattoient jamais qu’avec de très petites armées qu’il étoit bien plus facile de manier que le nombre énorme de combattants que nous armons aujourd’hui et dont il est aussi difficile d’embrasser l’ensemble que d’en suivre les détails. Voici donc quels étoient [Page 90] les avantages réels des Anciens sur les Modernes, avantages qu’il nous seroit aussi possible de nous donner ou de compenser que de les conserver par la connoissance que nous avons des raisons qui les leur ont fait prendre.
1° Le choix des chefs.
2° le général en chef choisissoit son lieutenant.
3° le désintéressement et l’abnégation des chefs qui, sachant sacrifier leur amour propre à l’intérêt de la patrie, servoient encore avec zèle en sous ordre après avoir commandé et triomphé.
4° Tout officier passoit réellement par touts les grades.
5° Tout officier étoit revêtu d’un caractère sacré, ses volontés étoient des ordres et ses décisions des oracles.
6° Le choix dans l’espèce et qualités des soldats.
7° La vie toute militaire, non seulement dans les camps, mais encore dans les villes. C’est à dire dans l’éducation de la jeunesse.
8° Les spectacles militaires.
9° Le militaire, le premier état de la société.
10° Leurs forces du corps et par conséquent de l’âme si propres à vaincre les plus grands obstacles.
11° L’intérêt de chaque individu lié à celui de la patrie.
12° L’amour de cette patrie, cette vertu qui dépouille les hommes de leur intérêt personnel, qui les porte à sacrifier à la patrie tous leurs biens et même tout leur sang. [Page 91] 13° La religion et ses préjugés tout militaires.
14° Les armées moins nombreuses et par conséquent plus proportionnées au coup d’œil du chef, mieux embrassées par l’esprit, plus faciles à la communication de son âme.
15° Les armées composées de corps égaux, grands avantages à bien des égards et particulièrement pour la tactique.
16° Merveilleuse discipline.
17° Les jeux et exercices si propres à former des hommes lestes, adroits et vigoureux.
18° Mélange bien proportionné de peines et de récompenses. Peines très sévères mais non pas atroces. Des remèdes qui guérissent et non pas de ceux qui tuent. Récompenses légères, infinies, mais précieuses vu le préjugé établi qui leur donnoit le prix.
19° Ils étoient riches sans or, une couronne d’herbes excitoit en eux le fanatisme de la gloire. Un décret du Sénat qui permet d’ouvrir sa porte en dehors, &a, étoient de précieuses récompenses.
20° La sobriété, mère de la santé, ressource infinie qui rend tout possible à la guerre.
21° Ils faisoient continuellement la guerre.
22° Leurs soldats servoient aussi longtems qu’il leur étoit possible, &a.
« C’est un plaisir divin de pouvoir tirer l’ordre
De la confusion et du sein du désordre. Page 92] Mais quel effort malin, par des moyens secrets,
Retarde et bien souvent enchaîne nos projets.
L’intérêt, le dépit, la crainte, la paresse
Sont les lâches ressorts de l’humaine foiblesse.
L’homme à l’humanité paya toujours tribut.
Guerriers, ministres, rois, aucun n’atteint son but ».
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Épître du R. de P.145
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Il s’agit des cartons 1 M 1785 et 1 M 1786.
2 SHD, GR 1 M 1786, Maltzan (baron de), Discipline, 1776, 24.
3 SHD, GR 1 M 1786, Maltzan (baron de), Lettre du 5 juin 1776 au ministre, 25. L’identification est d’autant plus certaine qu’un autre écrit signé du baron de Maltzan reprend explicitement le plan du présent mémoire à l’intérieur d’une de ses parties : SHD, GR 1 M 1715, Maltzan (baron de), Prospectus de Tableaux Encyclopédiques de la guerre qui en facilitant l’étude et l’art, l’abrègeraient et le perfectionneraient, 1778, 24.
4 Sur ses états de services : SHD, GR 4 Yd 3652, Maltzan (François Thibault, baron de), SHD, GR Yb 660, Légion de Lorraine, et SHD, GR Yb 293, Bourgogne.
5 Face à l’engorgement de la hiérarchie militaire, il est alors courant d’attribuer de simples commissions qui donnent à leur bénéficiaire un rang supérieur au grade qu’ils occupent effectivement. Mesnil-Durand en est un exemple plus illustre que Maltzan. Il reçoit successivement les commissions de capitaine, lieutenant-colonel et colonel avant de devenir colonel en second de Navarre-Infanterie en 1776 : SHD, GR 4 Yd 2999, Mesnil-Durand.
6 Saint-Germain vient alors de dissoudre les légions, dont celle de Lorraine à laquelle Maltzan appartenait.
7 Maltzan, qui continue ses service sous la Révolution, obtient alors d’être nommé maréchal de camp, grade qu’il ne semble pas avoir dépassé ensuite.
8 SHD, GR 1 M 1715, Maltzan (baron de), Prospectus de Tableaux Encyclopédiques…, op. cit.
9 Le projet qu’il soumet au département de la Guerre reçoit une annotation peu amène de la part de son examinateur, qui profite de l’occasion pour dénoncer la multiplication des écritures des officiers.
10 La distance entre les rangs variait auparavant selon la nature de l’opération effectuée, voir notamment à ce sujet : Puységur, Art de la guerre par principes et par règles, Paris, C.-A. Jombert, 1748, t. i, p. 77.
11 SHD, GR A1 3445, Lettre de Cornillon du 17 décembre 1757, 206.
12 Pour faciliter la lecture de son texte, nous avons dû en conséquence considérablement modifier sa ponctuation. Quelques phrases restent malgré tout peu intelligibles. Précisons par ailleurs les fréquentes fautes d’accord de l’auteur qui n’ont pas été systématiquement soulignées par des [sic] afin de ne pas alourdir outre mesure la lecture.
13 Le mémoire de Maltzan était initialement accompagné de notes de bas de page réunies sur des feuillets séparés que l’auteur n’a pas jugé bon de transmettre au ministre. Il est dès lors parfois difficile de connaître ses sources exactes. La présence de citations directement empruntées à des livres permet néanmoins de pallier dans un certain nombre de cas cette lacune.
14 On trouve en page 2 du mémoire un titre plus détaillé : « Extrait de mon mémoire sur une augmentation : article discipline ».
15 Il s’agit vraisemblablement de Gustav Ier Vasa (1496-1560), roi de Suède entre 1523 et 1560 et de Gustav II Adolf (1594-1632), petit-fils du précédent et roi de Suède de 1611 à 1632.
16 Vraisemblablement Maurice de Nassau (1567-1625), stathouder des Provinces-Unies et Maurice de Saxe (1696-1750), maréchal de France.
17 Charles XII (1682-1718), roi de Suède entre 1697 et 1718.
18 Pierre Ier Alexeïevitch, dit Pierre le Grand (1672-1725), empereur de Russie entre 1689 et 1725 et Frédéric II, dit le Grand (1712-1786), roi de Prusse entre 1740 et 1786.
19 Actuellement dite bataille de Soor, 30 septembre 1745. Celle-ci voit le triomphe de l’armée prussienne qui fut pourtant surprise dans son camp par les Autrichiens. Selon Turpin de Crissé, que Maltzan a pu lire, les hussards autrichiens se sont livrés à un pillage prématuré qui permit aux troupes prussiennes de se ressaisir et de l’emporter : L. Turpin de Crissé, Mémoires de Montecuculi, Paris, Lacombe, 1769, t. i, p. 97 et 256.
20 Plus connue sous le nom de bataille de Chotusitz, 17 mai 1742. Alors que les Autrichiens remportèrent en premier lieu un réel avantage, pénétrant jusqu’au bagage prussien, leurs troupes irrégulières sont réputées s’être livrées au pillage, ce qui aurait permit aux Prussiens de se ressaisir et de l’emporter : M. T. Smolett, Histoire d’Angleterre, Orléans, J. Rouzeau-Montaut, 1764, t. xix, p. 164-165.
21 Bataille qui oppose les Prussiens aux Autrichiens le 3 novembre 1760. Les seconds résistent victorieusement aux assauts prussiens, à l’aide en particulier de leur artillerie. Maltzan omet cependant ici la fin de la bataille, qui voit se retourner la situation. En effet, alors que la victoire semble acquise aux Autrichiens, et que les Prussiens se retirent, Frédéric II profite du relâchement des troupes autrichiennes pour lancer une nouvelle offensive qui lui octroie la victoire. Ce que Joseph Servan interprète notamment comme la preuve de la plus grande discipline prussienne : Encyclopédie méthodique, Art militaire, Paris, Agasse, 1797, t. iv, p. 672.
22 Bataille de Brenneville ou Brémule. Elle oppose en 1119 les armées de Louis VI le Gros à celles d’Henri Ier. Les Français y sont réputés avoir chargé en désordre, renversé les Anglais, mais s’être ensuite mis à piller, ce qui causa leur perte.
23 Bataille de Courtrai ou des Éperons d’or. Les troupes de Philippe IV y affrontent les milices flamandes en 1302. Trop pressée de jouir d’une victoire jugée facile, les chevaliers français chargent précipitamment et s’embourbent dans des marécages où les Flamands viennent les achever.
24 Bataille de Crécy : confrontation en 1346 entre Philippe VI et Edouard III. Arrivée en désordre, l’armée française se lance à l’assaut contre l’avis de Philippe VI. Ses multiples charges se brisent contre un ennemi bien retranché et se soldent par des pertes considérables.
25 Bataille de Poitiers : nouvelle confrontation entre les Anglais et les Français en 1356. Une retraite feinte des premiers conduit à une attaque désordonnée des seconds qui sont décimés par les flèches anglaises. La bataille se solde par la capture de Jean II.
26 Bataille d’Azincourt : les Français s’y opposent à nouveau aux Anglais en 1415. Le terrain boueux et l’archerie anglaise conduisent à un échec cinglant de la chevalerie française.
27 Bataille de Maupertuis : autre nom de la bataille de Poitiers de 1356.
28 Bataille de Pavie : confrontation en 1525 entre les troupes françaises et impériales. La charge française, menée mal à propos, favorise la défaite de l’armée et la capture de François Ier.
29 La campagne ici évoquée est celle de l’année 57 av. J.-C. et la bataille en question celle de la Sambre, où les Nerviens, ici désignés comme les Tournaisiens, attaquèrent les Romains alors qu’ils étaient en train de bâtir leur camp.
30 Maltzan reprend ici les écrits du duc de Rohan sur César : H. de Rohan (attribué à), Le parfait capitaine, autrement l’abrégé des guerres de Gaule des commentaires de César, Paris, J. Houze, 1636, p. 31-35.
31 Bataille des Thermopyles, 480 av. J.-C. : confrontation entre les cités grecques et l’armée perse dirigée par le roi Xerxès Ier (vers 519-465 av. J.-C.), célèbre pour la résistance opiniâtre qu’y déployèrent les Spartiates.
32 Cyrus le Jeune (vers 424-401 av. J.-C.), frère d’Artaxerxès II Mnémon, lui-même roi de Perse entre 404 et 358.
33 Bataille qui opposa Cyrus à son frère Artaxerxès en 401 av. J.-C. et se solda par la mort du premier.
34 Xénophon (436-355 av. J.-C.), célèbre auteur d’ouvrages de morale et de politique qui servit également sous Cyrus le Jeune et participa à la retraite des Dix Mille, relatée dans son Anabase.
35 Soit environ 4 700 km.
36 Épaminondas (478-362 av. J.-C.), général et homme d’État thébain. La bataille évoquée est vraisemblablement celle de Leuctres, qui a lieu en 371 av. J.-C. et voit les Thébains l’emporter sur les Spartiates.
37 Gnaius Domitius Corbulo (vers 7-67), général et homme d’État romain célèbre pour ses victoires contre les Parthes.
38 Il s’agit évidemment d’Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.), roi de Macédoine et vainqueur des Perses.
39 Caius Marius (158-86 av. J.-C.), consul romain qui triompha notamment de Jugurtha.
40 Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne (1611-1675), maréchal général des camps et armées du roi, célèbre entre autres pour sa brillante campagne de l’hiver 1674-1675, qui lui permit de récupérer l’Alsace grâce à une marche audacieuse.
41 Formule attribuée à Auguste après la défaite de trois légions romaines dirigées par Publius Quinctilius Varus (46 av. J.-C., 9 ap. J.-C.) lors de la bataille de Teutobourg, en l’an 9.
42 La citation est en fait tirée de Pazzi de Bonneville, dont l’ouvrage se présente comme la continuation de la pensée du maréchal de Saxe : Z. Pazzi de Bonneville, Esprit des lois de la Tactique et de différentes institutions militaires, La Haye, P. Gosse, 1762, t. i, p. 77.
43 Pomponius était le commandant de la cavalerie de Lucullus, qui fut lui-même un temps chargé de la guerre contre Mithridate VI Eupator. L’anecdote que reprend Maltzan est en particulier rapportée par Plutarque et reprise dans divers ouvrages du xviiie siècle : Dacier (trad.), Les vies des hommes illustres de Plutarque, Paris, P. du Mesnil, 1734, t. iv, p. 423.
44 Maltzan se réfère probablement ici à Le Camus, régent de la faculté de médecin de Paris, chez qui se retrouve cette citation : A. Le Camus, Médecine de l’esprit, Paris, Ganeau, 1753, t. ii, p. 34, voir plus largement sur sa théorie des climats : ibid., t. i, p. 210-247.
45 L’idée est en particulier défendue par Montesquieu : Montesquieu, Esprit des lois, Paris, Firmin-Didot, 1862, p. 187-199.
46 Lire vraisemblablement chorégraphie.
47 Hannibal (247-183 av. J.-C.), général et homme d’État carthaginois.
48 Pyrrhos (319-272 av. J.-C.), roi d’Épire qui intervient en 281 av. J.-C. en Italie à la demande de Tarente.
49 Mithridate IV Eupator (120-63 av. J.-C.), roi du Pont qui s’efforça de supprimer la suprématie romaine en Orient.
50 Persée (212-165 av. J.-C.), dernier roi de Macédoine vaincu à Pydna par Paul-Émile.
51 Antiochos III Megas (243-187), souverain de la dynastie des Séleucides battu par les Romains en 190-189 à Magnésie du Sipyle.
52 Maltzan fusionne ici deux anecdotes, la première concernant le chevalier de La Hire, à qui se rapporte l’épisode de la confession, et la seconde concernant le général anglais Talbot, à qui est prêtée la formule que si Dieu était homme d’armes, il serait pillard. Ces deux faits sont notamment rapportés par Claude Villaret, que Maltzan a pu mal copier : C. Villaret, Histoire de France, Paris, Desaint et Saillant, 1764, t. x, p. 14-16.
53 La dernière partie de la phrase est obscure. Il convient probablement d’entendre : « s’il eût connu l’essentiel de la discipline et la possibilité de l’établir en tout tems et chés toute nation ».
54 Sixte Quint (1520-1590), pape entre 1585 et 1590. L’origine de la citation n’a pu être identifiée.
55 Maltzan mélange visiblement ici les modèles grecs et romains.
56 L’identification du second Alexandre, le premier étant évidement Alexandre le Grand, est incertaine. Il s’agit peut être d’Alexandre le Molosse (362-331 av. J.-C.), oncle du premier, conquérant de l’Épire et ayant remporté plusieurs succès en Italie.
57 Solon (640-550 av. J.-C.) : Homme politique et poète athénien. Devenu archonte en 594/593, il procède à la réforme de la constitution d’Athènes afin de mettre fin aux tensions sociales entre les strates les plus aisées et les plus pauvres de la cité. Il crée notamment un tribunal populaire, l’Héliée, dont les membres sont pris parmi les citoyens.
58 Il s’agit de Saint-Vast, lieutenant-colonel du régiment de la Couronne à partir de 1759 et réputé pour avoir établi les soldats de son régiment juges de leurs camarades.
59 Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, dans Id., Œuvres de M. de Montesquieu, Amsterdam/Leipzig, Arkstée et Merkus, 1758, t. iii, p. 351-552, voir p. 411.
60 Léon VI le Sage ou le Philosophe (866-912), empereur d’Orient et auteur d’un traité de stratégie, les Taktika. Sa diffusion est notamment assurée au xviiie siècle par la traduction qu’en fait Joly de Maizeroy, que reprend visiblement Maltzan : Joly de Maizeroy, Institutions militaires de l’Empereur Léon, Paris, C.-A. Jombert, 1771, voir t. i, p. liii-liv.
61 Les vers en question sont tirés de la sixième satire de Juvénal : Juvénal, Satires, éd. par P. de Labriolle, F. Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 2002, vi, v. 291-292.
62 Il s’agit de Salluste, dont Maltzan semble reprendre la traduction de Dotteville, à quelques légères modifications près : J.-H. Dotteville, Traduction de Salluste, Paris, Lottin, 1763 [1re édition en 1749], p. 101-102.
63 Joly de Maizeroy, Institutions militaires…, op. cit., t. ii, p. 251.
64 La citation n’a pu être identifiée.
65 Ce dernier paragraphe est particulièrement obscur et semble en partie tiré d’un auteur antique, sans qu’aucune référence précise n’ait pu être retrouvée.
66 Les Kalmouks qui peuplent une partie de la Mongolie sont alors considérés comme une des branches des Tartares.
67 Il s’agit en fait du ralliement.
68 Paragraphe également obscur, il semble qu’il faille entendre : « Que m’importeroit-il encore qu’une chose soit, si elle est négligée à un point à n’en trouver des traces que comme des ruines d’un édifice (édifice utile journellement) : telle est la discipline de ce jour ».
69 Montesquieu, Lettres persanes, in Id., Œuvres…, op. cit., t. iii, p. 7-347, voir p. 154-155. Notons que Maltzan ne reprend pas la formule exacte des Lettres persanes, mais celle d’un abrégé des œuvres de Montesquieu, ce qui laisse penser qu’il lut plutôt ce dernier que l’œuvre originale du philosophe : Le génie de Montesquieu, Amsterdam, Arkstée et Merkus, 1759, p. 16.
70 Diderot, Leçons de clavecin et principes d’harmonie, par M. Bemetzrieder, in Id., Œuvres complètes, Paris, Hermann, 1983, t. xix, p. 382-383.
71 Pélopidas (mort en 364 av. J.-C.), homme politique et général thébain qui contribue, avec Épaminondas, à affranchir Thèbes de la tutelle spartiate.
72 Tullus Hostilius, troisième roi légendaire de Rome.
73 Ce paragraphe, associant des exemples grecs et romains, est vraisemblablement emprunté à Machiavel : Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, éd. par A. Fontana, X. Tabet, Paris, Gallimard, 2004, p. 135-137.
74 La citation est en fait tirée du Traité des légions faussement attribué au maréchal de Saxe : Hérouville de Claye, Mémoires sur l’infanterie ou Traité des légions, La Haye, A. Gibert, 1753, p. 14.
75 Il s’agit du bataillon sacré thébain, dont la création est attribuée par Plutarque à Gorgidas plutôt qu’à Laïos. Ce bataillon, peut-être mythique, était composé de 150 couples d’amants homosexuels, s’étant engagés à défendre mutuellement leur vie.
76 Les compagnons ou hétairoi étaient initialement une élite proche du roi de Macédoine auquel ils étaient attachés par des liens d’amitié. Sur le plan militaire, ces hommes servaient initialement de cavalerie au monarque avant de se spécialiser progressivement comme cavalerie lourde.
77 334 av. J.-C. : première grande victoire d’Alexandre sur les Perses, célèbre pour le franchissement du Granique effectué par la cavalerie macédonienne.
78 Agésilas II (444-360 av. J.-C.), roi de Sparte d’environ 398 à 359-358.
79 Phrase à nouveau mal formulé. Il faut vraisemblablement entendre : « Nous ne pouvons pas… ».
80 Joly de Maizeroy, Institutions militaires…, op. cit., t. ii, p. 95.
81 Bataille de Parme, 29 juin 1734 : confrontation entre les troupes françaises et autrichiennes. L’anecdote n’a pas été retrouvée ailleurs.
82 Soit environ 372 m.
83 Marcus Atilius Regulus (iiie siècle av. J.-C.), général romain qui participa à la lutte contre les Carthaginois. Vaincu, il fut envoyé à Rome traiter du rachat des prisonniers sous la promesse de revenir en cas d’échec. Ayant lui-même convaincu les Romains de refuser les conditions qui leur étaient imposées, il retourna à Carthage où il fut mis à mort.
84 Jean II le Bon (1319-1364), roi de France entre 1350 et 1364. Fait prisonnier à Poitiers en 1356, il est libéré par le traité de Calais-Brétigny en 1360 à condition notamment de verser une forte rançon. L’évasion de son fils, retenu en otage en attendant le paiement, le conduit à retourner en Angleterre se mettre personnellement entre les mains d’Edouard III.
85 François Ier (1494-1547), roi de France entre 1515 et 1547, fait prisonnier à Pavie en 1525, libéré par le traité de Madrid de 1526 dont il n’honora pas les clauses territoriales. Il versa néanmoins la rançon nécessaire à la libération de ses fils.
86 En 1661-1662, Coxinga, pirate chinois, attaque l’île de Formose et capture Hambroeck, ministre hollandais. Il envoie ce dernier négocier la reddition du fort de l’île, ce qu’Hambroeck déconseille de faire à ses concitoyens. Les ayant persuadés, il retourne auprès de Coxinga à qui il avait donné sa parole de revenir. L’anecdote est rapportée en particulier par l’abbé Raynal dans son École militaire et reprise dans son histoire des deux Indes où il compare explicitement Hambroeck à Regulus : Abbé Raynal, École militaire, Paris, Durand, 1762, t. ii, p. 354-355 et Id., Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Amsterdam, 1772 [1re édition en 1770], t. i, p. 142-143.
87 Charles Mordaunt, comte de Peterborough (1662-1735), général anglais. En 1705, il mène le siège de Barcelone dont le vice-roi finit par se rendre. Alors que les deux hommes négocient la capitulation à la porte de la ville, des troupes pénètrent dans celle-ci, ce qui entraîne les récriminations du vice-roi qui y voit une traitrise. Peterborough affirme alors qu’il s’agit de soldats allemands dont il propose d’arrêter les exactions si le vice-roi le laisse entrer. Ce dernier accepte et Peterborough fait cesser toute exaction avant de revenir poursuivre les négociations. L’anecdote figure également dans l’École militaire de Raynal ainsi que dans divers ouvrages : Abbé Raynal, École militaire, op. cit., t. iii, p. 240-241.
88 La citation exacte à laquelle Maltzan paraît ici se référer est la suivante : « Tra la briglia e lo sprone, consiste la ragione ». Il s’agit d’un proverbe italien dont l’équivalent en français est : La raison se trouve entre l’éperon et la bride.
89 Il s’agit d’une citation empruntée à l’abbé Girard ici désigné par la lettre G. : Abbé Girard, Synonymes français, édition augmentée par M. Beauzé, La Haye, 1770 [1re édition en 1718], t. i, p. 100.
90 Maltzan fait référence ici au système des timariotes. Ceux-ci recevaient un timar, bien foncier remis par le sultan en échange de services. Ces derniers étaient essentiellement de nature militaire, l’essentiel des timariotes étant employés comme cavalerie légère.
91 Maltzan songe sans doute ici au système de l’indelta ou indelningsverk, rénové par Charles XI (1655-1697). Par ce système, chaque soldat se voyait confier un lopin de terre à cultiver et chaque officier un domaine plus vaste, le tout en échange de leurs services militaires.
92 Terres remises par les rois de Pologne à leurs principaux serviteurs et qui servaient en particulier au financement des campagnes militaires.
93 Il s’agit de l’empereur Léon : Joly de Maizeroy, Institutions militaires…, op. cit., t. ii, p. 166.
94 Ce passage peut être rapproché des idées des sensualistes, notamment d’Helvétius, cité par l’auteur, voir infra.
95 L’instruction des recrues est alors divisée en plusieurs classes que le soldat est appelé à franchir successivement avant d’intégrer le bataillon et d’y être exercé aux évolutions avec ses camarades déjà instruits.
96 Formule empruntée à l’abbé Morelly : Abbé Morelly, Code de la nature ou le véritable esprit de ses lois, Partout, Chez le vrai sage, 1755, p. 215.
97 Au lendemain de la guerre de Sept Ans, l’instruction est essentiellement assurée par les bas-officiers et les officiers-majors du régiment, ce qui débouche en 1774 sur la création d’une école d’instruction régimentaire destinée à accueillir et former l’ensemble des nouvelles recrues du corps. Ces dernières ne sont donc pas instruites directement par les officiers de leur compagnie. En 1776, Saint-Germain s’efforce de modifier cette situation en restituant aux capitaines le contrôle de la formation des recrues de leur compagnie. Dans la pratique l’instruction de ces nouveaux soldats reste cependant assurée par les officiers et bas-officiers du régiment jugés les plus compétents.
98 Ce mémoire n’a pas été retrouvé. Rappelons néanmoins que le mémoire Discipline de Maltzan est intitulé en page 2 : Extrait de mon mémoire sur une augmentation : article discipline. Il est donc possible que l’auteur renvoie ici à un écrit plus large dont le mémoire Discipline ferait partie.
99 Maltzan confond ici Scipion l’Africain et Scipion Émilien : Publius Cornelius Scipio Aemilianus Africanus (185-129 av. J.-C.), homme d’État romain qui réduisit en 133 av. J.-C. la révolte de Numance.
100 Quintus Pompeius, Marcus Popilius Laenas et Gaius Hostilius Mancinus, ici évoqués, échouèrent tous trois à vaincre les Numantins avant que le Sénat ne décida d’envoyer Scipion Émilien.
101 Maltzan renvoie ici au traitement que Frédéric II aurait réservé aux blessés ne pouvant plus servir. Selon Warnery, le souverain aurait ordonné de les laisser mourir pour s’épargner l’entretien d’estropiés : C.-E. Warnery, Campagnes de Frédéric II, roi de Prusse, de 1756 à 1762, s.n., 1788, p. 430.
102 Le passage est tiré d’Helvétius : Helvétius, De l’homme, Londres, la Société typographique, 1773, t. ii, p. 33.
103 L’ouvrage n’a pu être retrouvé, à moins qu’il ne s’agisse du recueil de l’abbé Raynal : Abbé Raynal, École militaire, op. cit.
104 La référence n’a pu être identifiée.
105 Il s’agit d’un livre rédigé par Claude Godard d’Aucourt (1716-1795), munitionnaire : C. Godard d’Aucourt, L’Académie militaire ou les héros subalternes, Lausanne, 1747 [1re édition en 1745].
106 F. Desrivières, Loisirs d’un soldat au régiment des gardes françaises, s.l., s.n., 1767.
107 Le livre n’a pu être identifié.
108 P. Boitel de Gaubertin, Histoire mémorable de ce qui s’est passé tant en France qu’aux pays étrangers, commençant en l’an 1610 et finissant en l’an 1619, Rouen, J. Besongne, 1619.
109 La citation est tirée du Télémaque de Fénelon : Fénelon, Œuvres, Paris, Lefevre, 1835, t. iii, p. 17.
110 Phrase à nouveau obscure qu’il convient sans doute de comprendre de la manière suivante : « Ce n’est pas en avilissant les hommes en quelque classe que ce soit qu’on les corrige et qu’on les rend susceptibles des grandes actions dans le métier qui étonnent toutes les facultés de l’âme de ceux des autres états. »
111 Entre 1762 et 1772, une série de mesures a été adoptée en faveur des soldats. En 1762, Choiseul a établi les soldes et demi-soldes, récompenses accordées respectivement au bout de 24 et 16 ans de service. Cette mesure reste néanmoins limitée à deux hommes par régiments et par an. En 1764 est instaurée une pension pour les soldats invalides qui ont désormais le choix entre l’Hôtel des Invalides et être pensionnés chez eux. En 1771 est enfin créée la vétérance militaire. Il s’agit d’une haute-paie accordée à tout soldat qui prolonge ses services au-delà des 24 ans nécessaires à l’obtention de la solde. Cette récompense s’accompagne d’une distinction honorifique, un médaillon représentant deux épées en sautoir. L’ensemble de ces récompenses est confirmé par l’ordonnance du 17 avril 1772.
112 La haute-paie consiste en une somme accordée à certains soldats en plus de leur solde, généralement en raison de leur ancienneté. Depuis 1771, elle est liée à la pratique du rengagement. Le soldat qui se rengage une première fois reçoit ainsi un sol de haute-paie, la deuxième fois deux sols et la troisième quatre.
113 Publius Attius Varus (ier siècle av. J.-C.), gouverneur d’Afrique à la solde de Pompée, il commande la flotte d’Utique au moment des faits. Octavius sert alors sous ses ordres.
114 Ne sont pas autrement connus.
115 Quintus Caecilius Metellus Pius Scipio (mort en 46 av. J.-C.), homme d’État romain, beau-père de Pompée et farouche opposant à César.
116 L’anecdote est tirée du pseudo-César : César (pseudo), Guerre d’Afrique, 44-46 (texte établi et traduit par A. Bouvet, Paris, Les Belles Lettres, 1949). Elle est notamment reprise par Guischardt : C. Guischardt, Mémoires militaires sur les Grecs et les Romains, La Haye, P. de Hondt, 1758, t. ii, p. 235.
117 Les ordonnances de la fin du xvie et du début du xviie siècle prévoient de fait le bannissement des bandes pour diverses fautes impliquant l’honneur du soldat, en particulier la lâcheté et les insultes à l’encontre d’un camarade. Maltzan oublie cependant ici les biens plus nombreux cas où la punition ordinaire est la mort : Les ordonnances militaires tirées du code du roy Henry III auxquelles ont ésté adjoustez des édicts du roy Henry IV et Louys XIII, Paris, L. Feugé, 1625, p. 262-275.
118 En 1668, Louis XIV et Louvois décident de renforcer le rôle des inspecteurs, ces derniers n’ayant jusqu’alors qu’une utilité ponctuelle. Ils nomment Jean Martinet, colonel-lieutenant du régiment Roi-Infanterie, inspecteur général de l’infanterie avec pour principale mission d’uniformiser et d’accroître la qualité de cette arme. En 1669, le chevalier de Fourilles est investi à son tour des mêmes pouvoirs pour la cavalerie.
119 Timoxène, stratège des Achéens en 221-220 av. J.-C.
120 Polybe, Histoires, éd. par J. de Foucault, Paris, Les Belles Lettres, 1972, iv, 7, 6-9.
121 Aratos de Sicyone (271-213 av. J.-C.), chef de la confédération achéenne.
122 La bataille de Caphiès, en 220 av. J.-C., voit s’opposer Aratos, à la tête de la confédération achéenne, aux Étoliens qui l’emportent.
123 Phrase obscure qu’il convient peut-être d’interpréter ainsi : « Il est mille exemples de l’ignorance qu’elle a nourrie dans le militaire, plus essentiel [le militaire] à cet époque, à la vérité, que celui de nos jours, par la multiplicité des puissances et par leurs différents intérêts. » c En interligne au-dessus de « Caphies » : « 221 anter J. C. ».
124 Louis-Hector, duc de Villars (1653-1734), maréchal de France.
125 Maltzan attribue ici au malheureux Villars deux événements auxquels il n’a pu prendre part, étant décédé peu de temps auparavant. Leur principal protagoniste, auquel le baron pense sans doute, est le maréchal de Créquy : François de Créquy de Bonne (1629-1687), maréchal de France. Désireux de libérer Trêves assiégée, ce dernier livre bataille à Consarbrück le 11 août 1675. Vaincu, il se jette dans la place où il mène une résistance opiniâtre, refusant de capituler, au point d’acculer la garnison à se révolter et à rendre la ville. Voir notamment : Voltaire, Le siècle de Louis XIV, Londres, R. Dodsley, 1752, p. 107-108.
126 Par « ordonnance solide », Maltzan entend ici l’ordre profond, caractérisé par un nombre conséquent de rangs, supposé lui octroyer sa solidité.
127 La décision de disposer les bataillons d’infanterie sur trois rangs de hauteur date de 1754.
128 Cyaxare (fin du viie siècle av. J.-C.), roi des Mèdes entre 653 et 584 av. J.-C.
129 Une armée en bataille est alors classiquement disposée en deux lignes, séparées de 300 m et composées chacune de l’infanterie au centre et de la cavalerie aux ailes. Depuis le milieu du xviiie siècle, la première se forme sur trois rangs et la seconde sur deux.
130 Succès doit ici être entendu dans le sens vieilli de résultat, en l’occurrence négatif. De fait, Maltzan reproche aux batailles livrées en ordre mince d’avoir été défavorables aux Français, malgré les avantages que confèrent à ces derniers leurs qualités nationales.
131 Doit être compris au sens juridique du terme. L’insinuation consiste à inscrire « dans un registre public destiné à cet usage, des actes qui doivent être rendus publics, afin d’éviter toute surprise au préjudice de ceux qui n’auroient pas connoissance de ces actes » : « Insinuation (jur.) », D. Diderot et J. d’Alembert (dir.), Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Stuttgart et Bad Cannstatt, F. Frommann Verlag, 1988 [1re édition en 1751-1780], vol. viii, p. 789.
132 La bataille de Fleurus, qui voit les Français l’emporter sur les alliés, se déroule en fait le 1er juillet 1690. La brigade de Navarre s’y distingue par la charge, baïonnette au fusil, qu’elle effectue sans tirer contre un régiment Suédois réputé invincible.
133 Bataille de Steinkerque, 3 août 1692. Elle oppose également les Français aux alliés et se solde à nouveau par une victoire des premiers. Le régiment de Champagne s’y distingue en franchissant les haies et en tombant à l’improviste sur les Gardes anglais qu’il défait.
134 Bataille de Spire, 15 novembre 1703, marquée par la charge de l’infanterie française, baïonnette au canon, qui lui vaut la victoire.
135 Bataille de Cassano : confrontation le 16 août 1705 entre Eugène de Savoie et le duc de Vendôme. Elle est marquée par de vigoureuses charges de l’infanterie, aidée des dragons qui ont mis pied à terre afin d’empêcher les ennemis de franchir l’Adda.
136 Bataille de Calcinato, 19 avril 1706 : les Français reçoivent ordre du duc de Vendôme d’attaquer baïonnette au fusil, sans tirer, ce qu’ils exécutent avec succès.
137 Bataille de Johannisberg, 30 août 1762. Elle est également marquée par une charge baïonnette au fusil menée par la brigade de la Tour du Pin, devenue ensuite Béarn.
138 Le rétablissement d’un armement inspiré de l’Antiquité fait alors l’objet de multiples propositions. Pour ne citer que les plus célèbres, évoquons le chevalier de Folard et son disciple, le baron de Mesnil-Durand, qui prônent le retour des armes d’hast, et le maréchal de Saxe, qui est favorable à l’adoption de casques : Folard (chevalier de), Nouvelles découvertes sur la guerre, Paris, J.-F. Josse et C. Labottiere, 1726, p. 253-274, Mesnil-Durand (baron de), Projet d’un ordre français de tactique, Paris, A. Boudet, 1755 et M. de Saxe, Mes Rêveries, Amsterdam, Leipzig et Paris, 1757, t. i, p. 13-14.
139 Les îles Baléares étaient célèbres dans l’Antiquité pour leurs frondeurs.
140 Les batailles de Tunis (255 av. J.-C.) et de Cannes (216 av. J.-C.) sont deux sévères défaites des Romains face aux Carthaginois. Dans les deux cas, l’ordonnance traditionnelle des premiers est tournée à leur désavantage par les seconds. En 202 av. J.-C., lors de la bataille de Zama, Scipion l’Africain décide au contraire de rompre l’ordre traditionnellement compact de l’infanterie romaine afin de contrer en particulier un des avantages de ses opposants, les éléphants. Son plan se solde par une entière réussite. Il est surprenant que Maltzan place ici ces trois batailles sur le même plan.
141 Lucius Cornelius Sylla (138-78 av. J.-C.), homme d’État et dictateur romain.
142 Soit environ 4 km.
143 Cléomène III, roi de Sparte entre 236 et 219 av. J.-C., auteur de réformes ayant eu pour but de restaurer les anciennes coutumes spartiates, il est finalement vaincu en 222 av. J.-C., à Sellasie.
144 Il convient sans doute d’entendre : « qui s’accroît de toutes celles d’un certain nombre de fusiliers joints ensembles ».
145 L’extrait est tiré d’une épître de Frédéric II : Œuvres du philosophe de Sans-Souci, Neuchâtel, 1760, t. iv, p. 318.
Notes de fin
Auteur
Agrégé d’histoire et ancien élève de l’École normale supérieure. Actuellement pensionnaire à la Fondation Thiers et rattaché à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine, il est l’auteur de L’honneur du soldat. Éthique martiale et discipline guerrière dans la France des Lumières, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2014 et de différents articles portant sur la formation et la construction du militaire à l’époque des Lumières.
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