Les réformes de la gendarmerie à l’issue de la guerre de Sept Ans
p. 153-184
Texte intégral
1Le 1er août 1759, l’armée française essuie un grave revers lors de la bataille de Minden. Le prestigieux corps de la gendarmerie de France y subit de lourdes pertes. Au lendemain de l’affrontement, le réveil est brutal pour les troupes françaises, déjà malmenées depuis le début de la guerre de Sept Ans (1757-1763). Il l’est encore davantage pour la gendarmerie, qui pour la première fois doit faire face aux vives critiques de la cour et de l’armée. Deux ans après la débâcle de Rossbach, cette nouvelle défaite confirme en effet la supériorité des armées prussiennes et anglo-hanovriennes, mieux organisées et plus mobiles. Elle pose en même temps la question de l’utilité d’un corps d’élite sévèrement battu.
2À la veille de Minden, la gendarmerie n’a plus combattu depuis la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), dont elle n’a pas encore tout à fait comblé les pertes. Elle jouit alors légitimement de sa réputation de corps de cavalerie d’exception issu des anciennes compagnies d’ordonnance, que l’on garde en réserve sur le champ de bataille pour emporter la décision. À Minden, elle se révèle pourtant totalement inefficace. Les compagnies de gendarmerie lancées par Contades1 se brisent en effet contre l’infanterie adverse. La déroute d’une masse si importante de cavalerie face à de l’infanterie est un choc. Les gendarmes chargent avec allant, mais de manière complètement désordonnée. Les pertes sont édifiantes : sur 778 gendarmes présents, 153 sont tués ou pris, et 205 blessés. Au soir, il ne reste que 315 cavaliers armés, montés et prêts à servir2.
3Les officiers qui réchappent à l’hécatombe tentent rapidement d’expliquer la raison de cette défaite à une cour qui reste incrédule. De fait, si Minden est l’un des plus remarquables exemples de cavalerie refoulée par l’infanterie, certaines circonstances ont aidé à accentuer l’ampleur du désastre. À la suite d’un ordre mal compris3, le bataillon anglo-hanovrien s’est notamment mis en marche trop tôt. Caché par le brouillard, ce mouvement lui a permis de prendre la gendarmerie au dépourvu, alors qu’elle se préparait encore à charger. Néanmoins, si le courage des gendarmes n’est pas remis en cause, leur incapacité à mener correctement une charge est tout de même vivement critiquée. Ces diatribes sont attisées par la jalousie qu’engendrent les privilèges dont bénéficient ces compagnies. Elles mettent en lumière les limites de ce corps, qu’un long maintien en réserve et son organisation distincte du reste de l’armée ont finalement rendu impropre au service.
4C’est dans ce contexte délétère que l’un de ses officiers, le comte de Lordat, major et inspecteur général de la gendarmerie, rédige un mémoire4 destiné à rétablir une gendarmerie meurtrie dans sa chair et dans son âme. Né en 1725 dans le Languedoc, Joseph Marie, comte de Lordat et baron de Brame, est le fils d’un officier de marine, Paul-Jacques de Lordat. Il est adopté par son oncle, ancien brigadier des armées du roi, avec qui il entretient, après son départ pour Paris, une correspondance régulière5. Lordat commence tôt sa carrière dans le métier des armes, comme page de la petite écurie. Au moment de la rédaction de son texte, il est officier depuis plus de vingt ans6. C’est un soldat expérimenté, qui a également participé à de nombreuses campagnes7. À ce titre, il a obtenu en 1759 la succession du vicomte de Sabran en tant que major inspecteur de la gendarmerie, au détriment du chevalier de Ray, alors aide-major du corps, à qui le roi avait pourtant promis la charge. Une faveur que Ray ne manque pas de dénoncer dans ses mémoires comme le fruit de l’intrigue et de l’ambition8. C’est en tant que tel que Lordat effectue la campagne de 1759, au cours de laquelle la gendarmerie n’est que très peu engagée et se contente de marches harassantes. À Minden, elle croit enfin trouver l’occasion de montrer toute sa valeur, mais l’issue inattendue et désastreuse de l’affrontement constitue pour elle, comme pour Lordat, un véritable traumatisme. Les gendarmes présents à Minden restent cependant convaincus des compétences de la cavalerie et ils ne mettent en cause dans cette affaire que des points particuliers de tactique9. Beaucoup affirment qu’il s’en est fallu de peu que la gendarmerie ne réussisse à enfoncer les lignes adverses10. Lordat se montre néanmoins plus nuancé dans son analyse. Il se borne essentiellement à son rôle de major et évalue rationnellement les pertes, comme en témoigne une de ses lettres, adressée au prédécesseur de Choiseul le 11 août 1759. Déjà, il annonce son mémoire et les solutions qu’il entend proposer : « Quoique l’objet des réparations du corps soit immense et pût le faire craindre hors d’état de servir pour longtemps, je me flatte encore, Monseigneur, qu’il peut être mis en état de servir pour la campagne prochaine. J’aurai l’honneur de vous proposer des moyens relatifs à cette objet un de ces jours, et j’espère que vous les approuverez »11.
5Ce mémoire est envoyé quelques années plus tard au duc de Choiseul12, sans doute au début de l’année 176313. Dès l’introduction de son texte, Lordat évoque les critiques que la gendarmerie subit. En tant que major, il entend rétablir la vérité auprès du ministre. Il commence, dans une première partie, par rappeler les origines illustres de la gendarmerie de France, qui remontent aux anciennes compagnies d’ordonnances formées par Charles VII, en 1455. Lordat traite ensuite de ce qui constitua, selon lui, l’évolution majeure de ces compagnies, les réformes de Louis XIV. Ce dernier donna en effet une forme permanente à la gendarmerie en supprimant les compagnies d’ordonnances. Il les remplaça par dix compagnies de gendarmes et six de chevau-légers, dont il fit capitaine les membres de la famille royale et certains Grands, pour renforcer leur attachement à la monarchie. L’auteur revient ensuite, dans une courte deuxième partie, sur le bénéfice des réformes de Louis XIV. Elles dotèrent, selon lui, la gendarmerie d’une constitution particulière, améliorant son uniformité et sa discipline, tout en préservant l’esprit de corps et le sens de l’honneur liés à l’organisation en compagnies. Mais cette constitution originale a dès lors contribué à faire des gendarmes l’objet d’une jalousie qu’il condamne. Dans une troisième partie, le comte de Lordat en vient aux différentes mesures qu’il propose pour améliorer le service de la gendarmerie. Il estime qu’elle devrait être pourvue de quartiers fixes, pour en améliorer les manœuvres, la police et la discipline. Suivant cette idée, il suggère d’en augmenter l’état-major, pour permettre un meilleur encadrement. Enfin, dans sa dernière partie, Lordat revient d’abord sur la fin de la distinction entre brigadiers de gendarmerie et de cavalerie depuis la fin du règne de Louis XIV14. D’après lui, cette mesure conduisit la gendarmerie à être traitée selon un ordre du tableau commun avec le reste de la cavalerie15. Les gendarmes se trouvèrent dès lors moins souvent promus, puisqu’en concurrence avec les cavaliers. Il convient par ailleurs du bien fondé de la critique reprochant à la gendarmerie de compter trop d’officiers supérieurs dans ses rangs, afin de satisfaire les ambitions de la noblesse. Lordat reconnaît néanmoins que réduire ce nombre d’officiers engendrerait d’importantes difficultés, car le montant des charges de la gendarmerie s’élève alors, selon ses comptes, à plus de sept millions de livres16. Sa solution est donc de simplifier la composition du corps en supprimant les compagnies de chevau-légers pour les reverser dans celles de gendarmerie. Cette mesure permettrait de renforcer les compagnies-escadrons, tout en diminuant le nombre d’officiers supérieurs. Elle homogénéiserait aussi un corps qui ne compterait plus que douze compagnies de gendarmerie, tout en ne contraignant à ne rembourser que la moitié des charges d’officiers des compagnies de chevau-légers supprimées.
6Le mémoire du comte de Lordat constitue à la fois une défense de la gendarmerie et un appel à sa transformation. La première partie, traitant de ses origines illustres, est ainsi destinée à rappeler le lien presque immémorial du corps avec la monarchie et évoque le modèle chevaleresque dont il descend. C’est à dessein que l’auteur présente la gendarmerie comme le premier corps de cavalerie après ceux de la Maison du roi. Dans la même perspective, les longues références au gouvernement de Louis XIV renvoient à ce qui est considéré par les contemporains comme un modèle d’organisation et l’apogée de la gendarmerie. La référence à Fleurus17 (Folio 5) n’est à ce titre pas anodine. C’est immédiatement à la suite de cette bataille, où la gendarmerie se distingua avec éclat, que Louis XIV dote les compagnies de gendarmerie des règlements qu’elles gardent sans grands changements jusqu’à la guerre de Sept Ans. Lordat n’en demeure pas moins lucide quant aux limites de ce corps. Les mesures qu’il propose dans les deux parties suivantes visent ainsi à répondre aux principaux griefs qui sont faits aux gendarmes.
7La proposition de doter le corps de quartiers fixes (Folios 11 et 12) doit notamment lui permettre d’améliorer la qualité de ses manœuvres et sa discipline, deux éléments qui lui ont cruellement fait défaut à Minden. Cette proposition s’inscrit toutefois dans une optique plus large. Elle fait écho au choix de rompre avec le système classique de cantonnement de la cavalerie. Avant la guerre de Sept Ans, celle-ci alternait entre deux années passées en quartiers et une en garnison. Les années de quartiers offraient la possibilité aux compagnies dispersées dans différents villages de fourrager à moindre coût. Elles présentaient néanmoins l’inconvénient de favoriser le relâchement de la formation et de la discipline, ce qui nécessitait une reprise en main des régiments pendant leur année en garnison. Les revers essuyés conduisent à faire systématiquement placer la cavalerie en garnison, en privilégiant la discipline sur l’économie18. De la même manière, l’augmentation de l’état-major de la gendarmerie prônée par Lordat (Folio 13) s’inscrit également à l’intérieur de cette volonté d’améliorer l’encadrement.
8La diminution du nombre d’officiers supérieurs qu’il propose (Folios 14 et 15) répond pour sa part à l’autre critique majeure adressée à la gendarmerie : celle de constituer un refuge pour des officiers plus soucieux de bénéficier de privilèges associés à leurs charges de gendarmes que de servir dans les armées du roi. Elle s’inscrit par ailleurs à l’intérieur d’un débat qui oppose alors considérations politiques et tactiques. D’aucuns considèrent en effet que l’armée doit répondre à une exigence sociale. En conséquence, le roi doit fournir des emplois en nombre proportionné aux attentes de sa noblesse. D’autres, influencés par les échecs de la guerre de Sept Ans et le modèle prussien, estiment au contraire que les emplois doivent être justifiés par leur utilité militaire, même si la noblesse réclame plus de débouchés. C’est cette dernière politique qu’adopte Choiseul, qui diminue notamment les compagnies de seize à huit dans les bataillons d’infanterie. Si cette baisse engendre moins d’emplois pour les nobles, elle permet aux compagnies, plus étoffées, d’être davantage efficientes sur le plan tactique19. Dans cette perspective, la dernière proposition de Lordat, consistant à faire fusionner les compagnies de chevau-légers et de gendarmes (Folios 16 à 18) a également pour but de réduire le nombre d’officiers supérieurs, tout en rendant les unités plus efficaces d’un point de vue strictement opérationnel.
9Riche de propositions conformes à l’esprit de réforme de l’époque, le mémoire du comte de Lordat a sans doute contribué à l’ordonnance du 5 juin 176320. Cette dernière témoigne de la rapidité avec laquelle Choiseul s’efforce, au lendemain du conflit, de trouver une solution au problème de la cavalerie en général, et de la gendarmerie en particulier. Elle rend compte également du travail d’uniformisation de l’instruction équestre qui s’accélère alors, afin de donner à la cavalerie une vitesse et une capacité manœuvrière supérieures21. L’ordonnance reprend largement les propositions de l’inspecteur général. Comme proposé, la gendarmerie obtient des quartiers fixes à Lunéville, près de Nancy. Les six compagnies de chevau-légers sont par ailleurs supprimées et incorporées dans celles de gendarmes, que l’on garde au nombre de dix (bien que Lordat en souhaitât douze). D’autre part, les compagnies voient le nombre de leurs brigades passer de deux à trois. L’une commandée par le capitaine-lieutenant, l’autre par le sous-lieutenant et la dernière par l’enseigne. Surtout, l’état-major est considérablement renforcé22. À sa tête, le chevalier de Ray, nommé brigadier des armées du roi, succède au comte de Lordat et reçoit des lettres de service qui lui confèrent la haute main sur les compagnies, afin de bénéficier de toute la latitude nécessaire à la mise en place des réformes. Le major du corps devient ainsi le véritable commandant de la gendarmerie23.
10Quant à Lordat, il est difficile d’établir si ce mémoire lui vaut une promotion. Il est toutefois fait maréchal de camp en mai 1763 et gouverneur de Brouage entre 1762 et 176424. Il ne profite cependant guère des revenus de son gouvernement, puisqu’il meurt en 1765, à l’âge de trente-neuf ans.
Mémoire sur la gendarmerie fait par Joseph Marie, comte de Lordat Bram, major et inspecteur de la gendarmerie
11[Folio 1] Aux yeux des gens qui n’aprofondissent aucun principe, qui n’ont par conséquent aucune idée de ceux d’après lesquels a été formée la constitution présente de la gendarmerie, et qui joignent à cette ignorance une jalousie naturelle aux hommes contre tout ce qui s’annonce avec quelque distinction, la constitution de ce corps fourmille de vices. Ils prennent pour tel tout ce qui s’écarte de ce qui est propre aux autres corps et ne connoissant que cette règle, ils regardent comme des monstres les formes les plus largement établies, traitant de chimères des ordonnances et des règlements qu’ils n’ont jamais lus, et qualifient de prétention les prérogatives les plus authentiques et les plus raisonnables : de là naissent les préjugés les plus absurdes. La jalousie qu’inspire l’éclat, les distinctions, la réputation même soutenue de la gendarmerie, les nourrit. L’ignorance les adopte sans examen, et s’il arrive que quelque homme en place en soit imbu, la flatterie en fait le ton général. C’est ainsy [Folio 1 verso] que ce corps a été souvent sur le point de leur être sacrifié et les services les plus réels, joints aux efforts les plus constants de son zèle, ont eu peine à l’en garantir.
12Mais il n’a dans ce moment rien de pareil à craindre. Il n’est point question de projet de destruction. Ce sont des moyens d’amélioration que j’ay à proposer. Chargé de l’administration de ce corps, c’est devant le ministre éclairé qui veut voir le vray, qui sçait le discerner et qui méprise les préventions et les préjugés, c’est enfin sous les yeux de Monsieur le duc de Choiseul que j’expose mes idées. Quant à moy, la vérité et l’amour du bien seront mes guides, et l’étude que j’ay faite de l’esprit et de la constitution de la gendarmerie me dictera ce que je croirai de plus convenable au service du roy.
13Je sçais combien les plus petits changements sont dangereux à entreprendre dans les anciens établissements, mais je me suis persuadé qu’il y a des règles sûres au moyen des quelles il est difficile de s’égarer. Voicy donc celles que je me suis proposé de suivre dans le plan de ce mémoire.
14Je raporterai d’abord l’origine, la création de la gendarmerie, les divers changements qu’elle a éprouvés et enfin la dernière forme qui luy a été donnée par le feu roy25, en 1660, 1667 et 1690. C’est de l’assemblage de tous ces principes que s’est formée sa constitution actuelle.
15J’examinerai ensuite quels sont les avantages ou les inconvénients de cette constitution et je chercherai à les connoitre par les effets qu’elle produit, ne pensant pas pouvoir suivre une route plus sûre pour y parvenir.
16Cette connoissance me mènera naturellement à [Folio 2] proposer ce qui sera propre à remédier aux inconvénients connus, sans affoiblir les avantages réels de cette constitution.
Première partie
17L’espèce de milice connue sous le nom de gendarmerie est presque aussi ancienne en France que la monarchie, mais elle a éprouvé divers changements dans sa forme. Sous Hugues Capet, la gendarmerie françoise étoit à peu près comme sous la deuxième race26 : les grands vassaux amenoient à l’armée leurs sujets en qualité de chevaliers, d’écuyers, et de gendarmes, c’est à dire gens à cheval armés de toutes pièces et d’armes complettes, lesquels marchoient par l’obligation de leurs fiefs. Ils amenoient aussi d’autres gens à cheval armés à la légère qu’on apelloit chevaux légers, et même des gens de pied qu’on nommoit piétons.
18Lorsqu’on rassembloit l’armée, on séparoit les différentes troupes et on les divisoit par bandes de gens d’armes, de chevaux légers et de piétons, auxquelles on assignoit des chefs ou capitaines dont le commandement ne duroit que pendant la campagne.
19Il y eut du changement à cette forme à peu près sous le règne de Philippe Auguste, en ce que le commandement de la gendarmerie se divisoit alors entre les chevaliers bannerets27. Ceux qui n’avoient pas le moyen de lever bannière se rangeoient sous celle d’un chevalier banneret avec leur penons28 ou étendarts. Les autres gendarmes s’y rangeoient aussi, et les seuls chevaliers bannerets étoient les capitaines de la gendarmerie. Mais leur commandement ne duroit [Folio 2 verso] non plus que pendant la campagne. Ainsy, il n’y avoit pas encore de capitaines fixes des compagnies de gendarmerie.
20La première ordonnance qu’on aye vue où il soit parlé de compagnie réglée de gendarmerie est de l’an 1373, sous Charles V. Il y est dit que les compagnies de gendarmerie seront de cent hommes sous des capitaines ordonnés. Ces compagnies étoient indépendantes des bannières et avoient leurs capitaines et leurs étendarts particuliers, mais il y en avoit peu et le gros de la gendarmerie étoit encore composé de gendarmes amenés par les seigneurs fieffés. Enfin, Charles VII fit en 1455 une réforme générale de la milice françoise et réduisit toute la gendarmerie à quinze compagnies d’ordonnance de cent hommes d’armes chacune. Les chevaliers bannerets cessèrent d’être connus et l’ancienne chevalerie fit place à ces compagnies de gendarmerie, qui furent commandées par des capitaines fixes et formèrent un corps de cavalerie toujours subsistant, et d’environ neuf mille hommes en y comprenant les archers, écuyers, couteliers, &ca. que les gendarmes avoient à leur suite. Il y eut une solde réglée pour ces compagnies et l’imposition du taillon29 pour y fournir, comme elle est encore destinée au même objet.
21Il est aisé de sentir combien cette forme étoit préférable à l’ancienne. Ce fut alors le tems le plus brillant de la gendarmerie françoise, et son lustre se soutint pendant plusieurs règnes. Dans la suitte, on ajouta de nouvelles compagnies à celles cy, lesquelles furent même divisées en deux et sous divisées, sans qu’on gardât [Folio 3] beaucoup d’uniformité pour le nombre des gendarmes. Et avec le tems, tous les princes, le connétable, les maréchaux de France et plusieurs autres seigneurs eurent leur compagnie d’hommes d’armes et de chevaux légers. Il s’introduisit bien des abus dans ce grand nombre de compagnies d’ordonnance qui participoient à l’indépendance des princes et des seigneurs qui s’en étoient faits capitaines. Les guerres civiles vinrent encore les augmenter, et les cayers des États généraux du royaume sont remplis de plaintes qu’arrachoit à la nation le dépérissement d’un corps qui luy étoit si précieux. L’on trouve à peine, en parcourant l’histoire, quelques mesures prises de loin en loin, dans ces temps troubles, pour remettre ces compagnies sur un pied convenable. Mais pour que ces mesurent eussent réussi, il eût été nécessaire que toutes ces compagnies eussent été remises sous l’autorité du roy. Et ce fut le premier objet dont s’occupa Louis XIV, immédiatement après la paix des Pyrénées, en 166030, lorsqu’il forma le projet de donner à la gendarmerie une forme permanente et relative à l’ordre nouveau et à la règle qu’il voulut introduire dans le militaire de France.
22Ce prince commença donc par suprimer alors toutes les compagnies d’ordonnance, tant de gendarmes que de chevaux légers, des princes et autres, et ne conserva que celle des gendarmes écossois, dont étoit capitaine le duc d’York (depuis roy d’Angleterre sous le nom de Jacques II31), en considération de l’ancienneté de cette compagnie − la première de celles [Folio 3 verso] crées [sic] par Charles VII −, et celles de la famille royalle, qui consistoient alors en celles des gendarmes et des chevaux légers de la reine Anne d’Autriche32, et celles des gendarmes et chevaux légers d’Orléans, appartenant à Monsieur, frère du roy33. Il se fit céder en 1667, par le duc d’York, la compagnie des gendarmes écossois, s’en fit capitaine et y institua pour la commander les charges de capitaine lieutenant34, de sous lieutenant, d’enseigne, de guidon35 et celles des quatre maréchaux des logis, dont il régla le rang, grade et qualité dans la gendarmerie par l’ordonnance du 6 may 166736. Le roy avoit déjà créé dès 1660 une compagnie de gendarmes et une de chevaux légers en faveur de la reine sa femme37, celle des chevaux légers dauphins en 1662 et celle des gendarmes dauphins en 1666, en faveur de Monseigneur le Dauphin38. Il créa ensuite, en 1667, la compagnie des gendarmes anglois, en 1668, celle des gendarmes bourguignons et celle des gendarmes de Flandres en 1673. Il se fit capitaine de ces trois dernières compagnies, comme il avoit fait de celle des gendarmes écossois. Le roy créa encore en 1669, en faveur de Monseigneur le duc d’Anjou39, les deux compagnies de gendarmes et chevaux légers d’Anjou. Et enfin, en 1690, celles des gendarmes et chevaux légers de Bourgogne et celles des gendarmes et chevaux légers de Berry, en faveur de Monseigneur le duc de Bourgogne40 et de Monseigneur le duc de Berry41, ses petits fils.
23La création de ces quatre compagnies, faite en [Folio 4] 1690, juste après la bataille de Fleurus, les termina toutes, et le nombre des compagnies d’ordonnance de la gendarmerie se trouva alors de 16 compagnies, sçavoir 10 de gendarmes et 6 de chevaux légers. Les quatre premières sous les titres de gendarmes écossois, anglois, bourguignons et de Flandres, desquelles le roy fut capitaine, et douze autres sous le nom de la reine, du dauphin et des fils de France, pour lesquels elles avoient été établies.
24Le feu roy avoit aussi, depuis peu, érigé en compagnies de gendarmes les quatre compagnies de ses Gardes du corps et les deux compagnies des mousquetaires de sa garde. L’ordonnance du 6 may 1667, qu’on peu regarder comme constitutive d’un nouveau corps de gendarmerie, s’exprime ainsy dans l’article premier42 :
25« Les quatre compagnies des Gardes du corps de Sa Majesté, celles de ses gendarmes et chevaux légers, sa compagnie de gendarmes écossais, celle des mousquetaires à cheval et les compagnies d’ordonnance tiendront rang de compagnies de gendarmes et, réputées du corps de la gendarmerie, auront la droite sur tous les régiments et compagnies de cavalerie françoise et étrangère, et marcheront entre elles dans le rang cy après… ».
26Cette ordonnance règle le rang que tiendront entre elles toutes les compagnies. Elle entre ensuite dans le plus grand détail sur le rang et le commandement [Folio 4 verso] entre eux de tous les officiers de ces compagnies, en nommant chaque charge à sa place. Celuy des exempts des Gardes du corps43 et des maréchaux des logis des autres compagnies s’y trouve ensuite réglé suivant le rang de leurs compagnies, de même que celuy des brigadiers et sous brigadiers de toutes les compagnies, suivant le même rang.
27Cette ordonnance embrasse tout le corps de la gendarmerie de France. Les compagnies qui servent à la garde du roy n’y sont uniquement considérées qu’en cette qualité, qui est celle par laquelle elles sont militaires. Et c’est d’après cette ordonnance qu’a été réglé depuis tout le service que ces compagnies font à la guerre avec les compagnies d’ordonnance de la gendarmerie, comme faisant partie du même corps et comprises dans toutes les ordonnances militaires sous le titre commun de gendarmerie.
28Mais comme quelques-unes de ces compagnies employées à la garde du roy ont un service particulier à faire près de sa personne, il a été nécessaire qu’elles eussent des règlements et des constitutions particulières relatives à ce service, pendant que les compagnies d’ordonnance de la gendarmerie, uniquement et de tout tems destinées à la guerre, avoient besoin de recevoir une constitution plus conforme à cet objet. C’est aussi à cela que le feu roy paroit s’être apliqué en entier dans la forme immuable qu’il voulut donner à ces compagnies, lorsqu’après la bataille de Fleurus en 1690, il en eut porté le nombre comme nous venons de le dire à celuy de seize compagnies, lequel n’a jamais varié depuis cette époque.
29C’est donc sous cette dernière forme que nous allons [Folio 5] considérer ces compagnies, qui ont retenu plus particulièrement le nom de gendarmerie, plus conforme à leur destination purement militaire, pendant que les autres sont plus connues sous le nom de Maison du roy, parce-qu’en devenant militaires elles ont continué à faire partie de la maison de Sa Majesté.
30Il est bon de remarquer d’abord la différence qui se trouvoit déjà entre les compagnies d’ordonnance des tems passés et celles qui étoient sur pied à cette dernière époque de 1690, et qui existent encore aujourd’huy sous le même titre d’hommes d’armes d’ordonnance, qui a été attribué de touts [sic] les temps aux compagnies de gendarmeries.
311° Elle consistoit en ce qu’il n’y avoit pas de chevaux légers, au lieu qu’il y en a aujourd’huy. En ces temps là, la cavalerie étoit comme un genre qui se divisoit en deux espèces tout à fait oposées : la gendarmerie et la cavalerie légère ; et l’une ne fit jamais partie de l’autre. Le gendarme, ou l’homme d’armes, étoit apellé ainsy à cause de son armure, complette de pied en cap, et les chevaux légers se nommoient ainsy pour la raison contraire. Mais la cavalerie légère ayant été toute enrégimentée, les six compagnies de chevaux légers que créa le feu roy furent crées sous le titre de compagnies de gendarmerie, et à l’instar des compagnies d’hommes d’armes, et firent partie du corps de la gendarmerie.
322° Dans les compagnies de gendarmes, il y avoit autrefois des archers, et il n’y eut dans celles cy que des gendarmes et des chevaux légers, tous de même [Folio 5 verso] parures et armés des mêmes armes.
333° Il n’y avoit autrefois dans chaque compagnie de gendarmerie qu’un lieutenant, un enseigne ou un guidon, et il y eut alors − comme aujourd’huy −, un capitaine, sçavoir le roy, la reine ou les fils de France, sous le nom desquels la compagnie est établie, un capitaine lieutenant, un sous lieutenant, un enseigne et un guidon. C’est la même chose pour les compagnies de chevaux légers, à l’exception qu’au lieu des titres d’enseigne et de guidon, il y a un premier et un second cornette, lesquels tiennent par l’ordonnance du 6 may 1667 le même rang dans la gendarmerie que l’enseigne et le guidon des compagnies de gendarmes.
34Enfin, le nombre des hommes pour chaque compagnie fut réglé sur un pied différent de ce qu’il avoit été et uniforme entre elles. Et elles ne furent plus commandées par des capitaines, mais seulement des capitaine lieutenants, qualité dont tout ce qui vient d’être dit a donné suffisamment la notion.
35Il est aisé de sentir combien cette nouvelle forme introduite dans les compagnies de gendarmerie les rendoient déjà plus susceptibles de recevoir de nouveaux arrangements que le feu roy méditoit. Aussi n’attendit-il pas plus longtems à les faire, et ce fut en 1690 qu’on vit éclorre [sic] cette constitution préparée avec tant de peine et [qui], quoique souvent contredite depuis, n’a pas éprouvé jusqu’à ce jour la plus petite variation.
36Ces compagnies, entièrement indépendantes l’une [Folio 6] de l’autre, n’avoient jusques [sic] là de raport entre elles que celuy que leur donnoient une forme pareille, des prérogatives communes vis à vis des autres corps, la nécessité de se réunir lorsqu’il s’en trouvoit plusieurs ensemble dans la même armée et le rang que leurs officiers tenoient entr’eux, réglé par l’ordonnance du 6 may 1667. La police et le détail de chaque compagnie étoit entre les mains de son capitaine-lieutenant. Les unes servoient dans une armée, les autres dans une autre. Le tems de la campagne fini, chaque compagnie recevoit des ordres particuliers pour la destination de ses quartiers d’hyver. Le nombre des gendarmes avoit été longtemps différent dans toutes ces compagnies. Celle des gendarmes écossois avoit été de 200 gendarmes jusqu’en 1667, que le duc d’York la remit au roy. Celle des gendarmes anglois étoit sur le même pied. Celles des gendarmes et chevaux légers dauphins furent créées sur le pied de 300 gendarmes chacune, en 1662 et 1666, et cette dernière fut composée alors de trois cents officiers réformés, dont la plupart eurent des pensions. Le feu roy les avoit toutes réduites à cent gendarmes en 1668. Elles furent ensuite portées à cent quarante en 1672 et formoient chacune leur escadron.
37Mais enfin, le feu roy ayant fixé en 1690, par les dernières créations dont nous avons parlé, le nombre des compagnies à celuy de [Folio 6 verso] seize, les mit toutes sur le pied de quatre vingt [sic] hommes chacune44. Alors on les doubla à la guerre pour former des escadrons. Les huit premières furent les chefs d’escadrons, lesquels en retinrent le nom, et on ne laissa de timballes qu’à celles cy, ce qui forma un corps de huit escadrons égaux.
38Les officiers, les gendarmes et chevaux légers portèrent le même uniforme dans les seize compagnies, et elles ne différèrent entr’elles que par les couleurs des bandoulières et par leurs étendarts. Les chevaux légers furent équipés d’une manière uniforme et chaque compagnie conserva seulement son chiffre sur les housses.
39Il fut enfin réglé que ces compagnies seroient toujours réunies et ne seroient plus censées former qu’un corps. Il y eut un tableau d’ancienneté établi entre les officiers supérieurs pour monter aux charges d’une compagnie à l’autre, ce qui ne s’étoit point vu précédemment, et leur service fut aussi réglé d’après des tableaux généraux45.
40Le commandement de ces compagnies ainsi réunies fut réglé de façon que l’autorité du commandant n’y fût jamais partagée. Elles obéissent à la guerre au plus ancien brigadier, de quelque charge qu’il soit pourvu dans un corps46. Mais lorsque ce corps est rassemblé dans toute autre occasion, et que le défaut de lettres de service ôte l’activité à ce grade, le commandement général est dévolu au capitaine lieutenant de la première compagnie.
41Il falloit quelque chose de plus pour former [Folio 7] l’ensemble parfait auquel le feu roy vouloit parvenir et en établir la durée sur des principes solides. Ce prince termina donc enfin ces opérations par la création de l’état major général de la gendarmerie, composé d’un major, d’un ayde major et d’un sous ayde major, auquel on en a depuis joint un second. Le major fut chargé de l’inspection de tout le corps, avec ordre de rendre compte au roy de tout ce qui concerne la gendarmerie, d’entretenir dans toutes les compagnies le bon ordre, la police et la discipline, de veiller à l’entretien des brigades et au choix des sujets qui les composent47, d’y maintenir la plus grande uniformité et d’informer Sa Majesté de l’exactitude ou de la négligence des officiers dans leur service. Il eut le rang de premier sous-lieutenant, ce qui luy donna le commandement sur tous les officiers du corps à l’exception des seuls capitaine lieutenants. Mais ceux-cy furent assujettis à se concerter avec luy pour le choix des officiers inférieurs de leurs compagnies. Du reste, l’inspection, le travail avec le roy pour les grâces et, plus que tout cela, la relation continuelle avec la cour et la confiance que doit supposer naturellement le choix libre du roy pour cette place, luy donnèrent un degré d’autorité suffisant pour pouvoir diriger utilement pour le service du roy l’administration de ce corps.
42Dans le même temps que le roy s’occupoit des moyens de réunir ces compagnies, il leur conserva avec soin tout ce qui caractérisoit leur existence [Folio 7 verso] indépendante. Elles campèrent à l’armée dans l’ordre de la formation des escadrons, et non selon leur rang, pour la commodité du service48. Mais chaque compagnie eut le soin de garder son étendart et ne confia jamais cet honneur à une autre. Elles sont toujours soumises pour le service à un seul commandant, mais ce commandant n’ordonne rien pour l’entretien et le détail intérieur de chaque compagnie, lesquels appartiennent à son capitaine, de concert avec l’état major général. Si elles marchent dans le royaume pour changer de quartiers, chaque compagnie marche sur une route particulière, quoiqu’elles ayent la même destination (ainsy qu’il est pratiqué dans les régiments qui marchent ensemble) et les étendarts, et timballes de chaque compagnie sont portés chez l’officier qui la commande, de quelque grade qu’il soit, par préférence à un capitaine lieutenant d’une autre compagnie, quant [sic] même il se trouveroit commander tout le corps.
43Les capitaine lieutenants conservèrent dans leur compagnie toute l’autorité convenable à l’éminence de leurs charges et n’y connurent point de supérieurs. Mais ils connurent des règles et furent assujettis à s’y conformer par un concert souvent importun, mais devenu nécessaire, avec le major, chargé par le roy de l’inspection générale [Folio 8] de toutes les compagnies. Et la jalousie que devoient leur donner les fonctions de celuy cy, luy firent de chacun d’eux des surveillants sévères, dont la vigilance dut prévenir en luy jusqu’au désir d’abuser de l’autorité que le roy luy confioit.
44Enfin, toutes les vues du feu roy tendirent à deux objets principaux. Il voulut d’un côté unir si étroitement tous ces corps qu’ils parurent n’en plus former qu’un dans le service, afin qu’il fut plus facile d’y maintenir cette uniformité d’esprit et de police si nécessaire dans tout corps militaire et de leur procurer cet ensemble si propre à assurer à la guerre les grands succès. Mais il voulut aussi que ces compagnies portassent l’empreinte de leur ancienne origine et de leur indépendance passée, afin qu’elles devinssent véritablement utiles sans rien perdre de cet esprit d’honneur qui avoit toujours caractérisé la gendarmerie françoise, et que le défaut d’émulation auroit détruit dans un service subalterne où tout se rapporte à un chef.
Seconde partie
45Telle a été en 1690 la constitution de la gendarmerie, et telle elle est encore aujourd’huy. Il suffiroit d’une attention un peu réfléchie sur tout ce qui vient d’être dit pour juger des avantages ou [Folio 8 verso] des inconvénients qu’elle peut renfermer. Mais je me suis prescrit une règle plus sûre, c’est d’examiner si les effets qu’elle a produit ont justifié ce que le feu roy s’étoit promis de ses soins. Et d’abord, si l’on parcourt l’histoire militaire depuis cette époque, on voit partout la gendarmerie soutenir parfaitement son ancienne réputation. La réunion des corps qui la composent, en rendant ses succès plus utiles, les rendit même plus éclatants et ce corps, en se couvrant d’une gloire immortelle à Leuze49 et à la Marsaille50, ne tarda pas à donner à Louis XIV la satisfaction de s’aplaudir de son ouvrage.
46La guerre de 170151 n’est pas moins l’histoire des exploits de la gendarmerie qu’elle est celle des malheurs de la France. On la vit à Luzara52, à Spire53, à Hoestaat54, à Oudenarde55, à Malplaquet56, ou décider le sort de ces grandes journées, ou justifier par des pertes excessives les efforts de son zèle. Enfin on ne craint pas d’avancer qu’aucun corps n’a plus fait la guerre, qu’il n’en est point qui puisse compter autant d’actions brillantes. Et l’envie la plus outrée n’a jamais pu, jusqu’à ce moment, luy reprocher à cet égard l’ombre même d’une conduite équivoque.
47Il faut donc convenir que la nouvelle constitution de ce corps, bien loin d’altérer l’esprit d’honneur qui animoit l’ancienne gendarmerie, n’a fait que luy prêter de nouvelles forces en réunissant ses efforts, et quant à cet objet, les vues du feu roy n’ont assurément pas été trompées.
48Il reste à examiner si ce prince avoit pris des [Folio 9] mesures aussi justes pour cimenter l’union de ces compagnies et les rendre susceptibles d’une police et d’une discipline aussi exacte que parfaitement uniforme.
49L’uniformité de tenue et de discipline qu’on remarque dans la gendarmerie, l’ensemble frapant [sic] dans son service − qui y produit une exactitude et une règle à laquelle les plus grands ennemis de ce corps sont obligés de rendre justice et qui l’a rendu susceptible, surtout dans ces dernières campagnes, de s’employer à touts les genres de service, et de résister aux plus grandes fatigues −, l’union qu’on voit régner parmy ses membres, l’attachement vif qu’ils font paroître pour leur corps, qui est même devenu un lieu commun de raillerie (car sur quoy ne s’exerce t’elle pas ?), toutes ces marques, dis-je, de l’union la plus parfaite ont fait oublier peu à peu le principe d’indépendance de ses compagnies, dont les traces ne peuvent être aperçues que par des gens instruits. C’est là la vraye cause de touts ces vices tant rebattus que veulent trouver dans cette constitution des gens qui décident tout sans rien aprofondir (et c’est malheureusement le grand nombre) et qui, ne portant dans leurs jugements que des vues rétrécies et modelées d’après les objets connus de tout le monde, sont incapables de saisir un plan de constitution qui a été dirigé loin de la route commune par une main plus habile. Tout doit être régiment à leur yeux et s’ils ne voyent dans tout corps militaire un commandant né, tout le reste campant sous une autorité absolue, et toute émulation [Folio 9 verso] restreinte au seul objet de plaire à ce chef, ils sonnent partout le tocsin contre une constitution si étrange.
50Je laisserois crier tranquillement ces frondeurs indiscrets si leurs reproches, fondés sur le change que leur ont fait prendre l’union, l’ensemble, la discipline et l’esprit de corps qui règnent dans la gendarmerie, ne démontroient entièrement que le succès a encore parfaitement répondu dans ce point aux vues du feu roy.
51Il résulte donc de cet examen que les deux objets que le feu roy s’étoit proposé ont été bien remplis, on pourroit même dire qu’en bien des points le succès a passé ses espérances.
52La constitution vraiment nationale de ce corps distingué réunit tous les avantages, et le plus prétieux [sic] sans doute est l’impossibilité dans laquelle sont toutes les puissances de l’Europe d’en former un semblable.
53Une dernière réflection terminera cet article. Cette constitution subsiste telle que nous venons de la présenter depuis 1690, et à peine a t-elle été soignée pendant les premières années. Aucun corps militaire n’a été moins veillé par le gouvernement, aucun par cette même raison n’en a été moins protégé. Ce corps a toujours eu à se défendre contre l’envie que sa gloire faisoit naître, contre la jalousie que son éclat et ses prérogatives lui attiroient, contre des préjugés et des préventions de toute espèce fomentées par ces motifs et autorisés par l’oubli général où [Folio 10] l’on est tombé de son origine et des ressorts de sa constitution. Il a quelques fois essuyé des dégoûts et des humiliations capables d’y refroidir le zèle. Il a même vu agiter les projets les plus affligeants pour luy dans les tems où il en donnoit les plus grandes preuves. Enfin, l’on peut dire que ce corps n’a presque jamais joui de cette tranquillité et de cette protection propre à soutenir le courage et à produire l’émulation.
54Si ensuite l’on considère la situation présente de ce corps, la façon dont il a soutenu cette guerre, qu’il a peut-être seul dans le militaire faite en entier, si l’on ose enfin rappeler icy les éloges que sa conduite en tout genre luy a attirés dans ces dernières campagnes, de la cour, des généraux et des armées, ne sera t-on pas bien tenté de penser qu’une constitution qui opère constamment tous ces succès, malgré tant d’obstacles, est sans doute excellente ? Et une épreuve de cette espèce n’est elle pas faite pour dissiper toutes les préventions qui l’attaquoient ?
Troisième partie
55Après avoir parcouru exactement les états successifs par lesquels a passé la gendarmerie de France jusqu’au temps où le feu roy luy a donné la forme qui devoit fixer sa constitution permanente, après avoir examiné dans le plus grand détail [Folio 10 verso] l’esprit et les ressorts de cette constitution si réfléchie, après avoir enfin démontré (je me flatte au moins de l’avoir fait) que le succès plein et entier qui a justifié les vues de ce prince ne peut être attribué qu’à la sagesse et au mérite de cette constitution, je ne dois pas penser qu’on s’attende à voir paroître icy des projets capables de l’altérer. Toutes mes idées tendront au contraire à la seconder et je mettrai à profit l’attention suivie que j’ay donné au service de ce corps pour remarquer seulement les moyens propres à la perfectionner. Je n’ignore pas la vérité de cet axiome, que le mieux est souvent le plus grand ennemi du bien, mais j’aurai pour me guider une boussole sûre et je ne proposerai aucun arrangement qui ne favorise l’un des deux grands objets que le feu roy a eu en vue, et qu’on doit regarder comme les deux pivots sur lesquels porte tout cet édifice.
56J’entrerai aussi dans les vues que m’a paru avoir la cour dans les arrangements généraux du militaire, et cet article sera le dernier, afin qu’il puisse être adopté ou rejetté sans préjudice aux arrangements qui auront été proposés pour le bien du service, auquel ce dernier article sera totalement indifférent.
571° Je commencerai par proposer qu’il soit donné à la gendarmerie des quartiers fixes dans le royaume. Cet établissement donnera la facilité de placer [Folio 11] toujours ensemble deux escadrons dans des quartiers choisis et accommodés pour cela, au lieu que les brigades même se trouvent souvent isolées ; et l’on sent assés quelle source d’avantages ce seroit pour le service.
58L’ensemble des manœuvres en seroit le premier. La police et la discipline seroient mieux veillées. Une tenue exacte et uniforme s’entretiendroit plus aisément par des arrangements qui deviennent impossibles lorsque ce corps est dispersé dans les villages. Il seroit aisé pour lors d’établir une école de cavalerie dans ce corps, chose si nécessaire dans tout corps de cavalerie. Les garnisons, dans lesquelles on envoye la gendarmerie passer un an après deux ou trois années presque perdues dans des quartiers en plat pays, deviendroient inutiles, puisque le corps jouiroit continuellement des avantages que luy procurent ces garnisons, dans lesquelles même à peine les grandes manœuvres sont praticables pendant trois mois de l’année. Et la disposition des fourrages, qui ne seroit plus interrompue par l’année de garnison, donneroit sans frais pour le roy plus d’aisance aux chefs de brigades pour l’entretien de leurs troupes.
59Les provinces de Lorraine ou de Champagne me paraîtroient plus propres à cet objet. Elles sont à portée de toutes les frontières où la guerre pourroit se faire. Mais celle de Lorraine fourniroit [Folio 11 verso] surtout beaucoup de facilité par le nombre et la proximité des petites villes propres à recevoir de gros quartiers, et voisines de Nancy, où l’état major seroit établi pour être à portée du commandant et de l’intendant de la province, et de se distribuer dans touts les quartiers afin d’y réveiller continuellement l’attention sur touts les points par des visites fréquentes.
602° La dispersion des brigades dans les quartiers errants et étendus que la gendarmerie occupe d’ordinaire pendant deux ou trois ans a donné lieu à une forme de service pour Messieurs les officiers supérieurs aussi peu utile pour eux que pour leur troupe. Il y a toujours un sous lieutenant, un enseigne et un guidon de service, lesquels se relèvent tous les mois et sont effectivement plus que suffisants pour veiller avec l’état major à la police des quartiers dont on leur rend compte. Et lorsque le corps est rassemblé pendant l’année de garnison, le service de mois est interrompu pendant les trois mois de l’année les plus propres aux manœuvres, pendant lesquels tous les officiers s’y rassemblent.
61Or, l’établissement des gros quartiers fixes pourroit selon moy faciliter celuy d’une forme de service mieux ordonnée. Je suis éloigné de vouloir outrer les choses à cet égard. Je pense au contraire que rien ne seroit plus propre à [Folio 12] inspirer aux officiers supérieurs de la gendarmerie le dégoût de ce métier que de les assujettir à une résidence forcée, qu’ils reconnoitroient inutile au bien du service. Il y a, ce me semble, un milieu à prendre pour concilier l’avantage du service avec une honnête liberté, qui fait revoir sa troupe et qu’on est revu d’elle avec plaisir. Et il me paraît qu’une forme de service qui les feroit aller plus souvent à leurs troupes, les y tiendroit le tems convenable pour leur instruction et les y occuperoit utilement rempliroit tous les objets.
62Le corps étant donc établi dans quatre grands quartiers de deux escadrons chacun, je voudrois que les officiers supérieurs se rendissent tous les ans pendant les mois de juin, juillet et aoust à leurs troupes. Ce tems seroit employé à répéter en grand les manœuvres auxquelles elles auroient été formées pendant le reste de l’année par les officiers inférieurs, sous l’inspection de l’état major. Et le service de trois mois, qui n’avoit lieu que lorsque le corps se trouvoit en garnison, se renouvellant à présent toutes les années, procureroit aux chefs de brigade une connoissance plus exacte des gendarmes qui composent leurs troupes et aux jeunes officiers des occasions plus fréquentes de s’instruire dans les manœuvres.
63Le service de mois auroit toujours lieu pendant [Folio 12 verso] le reste de l’année et il y auroit toujours à l’état major un sous lieutenant, un enseigne et un guidon qui se relèveroient tous les mois à l’ordinaire. Ce service n’est pas véritablement d’une grande utilité et j’aurois proposé volontiers de le supprimer en établissant l’autre, sans la raison qu’il est convenable qu’il y aye toujours au corps des officiers supérieurs pour y recevoir les ordres de la cour et conduire les divisions du corps dans les changements de quartiers. Mais il seroit encore facile d’en tirer quelque utilité pour le bien du service. Je voudrais donc que les trois officiers de mois fussent assujettis à faire chacun pendant leur mois un séjour de dix jours dans celuy des quatre quartiers où seroit établie la compagnie à laquelle il seroit attaché, en observant de ne pas s’absenter pour ce voyages touts les trois à la fois. Cet arrangement produiroit des visites fréquentes et inattendues dans chaque quartier pendant le cour [sic] de l’année, et y animeroit sans relâche l’émulation.
643° Les habillements se faisant dans la gendarmerie en même tems pour toutes les brigades, il seroit aussi à désirer qu’ils se fissent en commun, étant bien difficile que l’attention de touts les chefs de brigades soit la même sur les qualités et sur le tems où les fournitures arrivent à leurs troupes. Je voudrois donc qu’il fût ordonné que les chefs [Folio 13] de brigades choisissent d’eux [sic] d’entr’eux qui fissent, dans les tems concertés avec le major, les marchés de chaque habillement et qui pussent en examiner avec luy les qualités d’assés bonne heure pour faire changer les fournitures défectueuses, et les faire arriver toutes à temps dans chaque quartier. Le major feroit ensuitte passer aux trésoriers du corps les ordres qu’il prendroit de la cour pour retenir sur les fonds destinés à cet objet et sur les traitements faits par la cour les sommes nécessaires pour le payement des fournisseurs, aux termes réglés par leurs marchés57.
65Je n’ay pas besoin de m’étendre sur les avantages de cette forme qui sont évidents par eux mêmes. Mais je voudrois que cet arrangement fût restreint à ce qui concerne l’habillement, équipement et armement, et que toute liberté fût laissée aux chefs de brigades pour les remontes, afin de piquer leur émulation par le goût de propriété sur cet article, dont le bon effet s’est toujours remarqué dans la gendarmerie plus que dans tout autre corps58.
664° L’augmentation de l’état major de la gendarmerie fera encore l’objet d’un article de ce mémoire. Le petit nombre des officiers qui le composent est l’effet du peu d’attention que j’ay déjà dit avoir été donnée au service de ce corps depuis 1690. Il n’y a aucun corps militaire où le nombre [Folio 13 verso] des officiers de cette espèce ne soit plus considérable en proportion de la force de ce corps et, à en juger d’après le tableau qui vient d’être fait de sa constitution, il n’y en a point où l’état major dût être plus nombreux. Aussi n’appuyerai-je pas cette demande d’aucune réflexion. Je pense donc qu’il conviendroit de créer deux charges de sous ayde major de plus dans la gendarmerie, n’y en ayant actuellement que deux, ce qui donneroit au major la facilité de charger chacun d’eux de la police de l’un des quatre grands quartiers proposés.
675° La circonstance de la paix amène naturellement une réflection générale sur la réforme à faire dans les compagnies de la gendarmerie. La proportion de ces sortes de réformes dépend pour l’ordinaire du plus ou moins d’aisance dans les finances, et je prendrois la liberté d’observer icy que souvent la détérioration des corps devient l’effet malheureux d’une œconomie poussée à l’excès dans ces occasions.
68La réforme de la paix dernière avoit réduit les brigades à vingt quatre gendarmes59, ce qui a produit en 1757 une augmentation subite de 432 gendarmes dans ce corps, au moment d’entrer en campagne60. Les augmentations dans les autres troupes avoient été faites dès l’année précédente et l’on n’auroit jamais entrepris de les faire servir dans cet état. On eut plus de confiance dans l’esprit et dans la constitution de la gendarmerie, et l’on n’y a pas été trompé à [Folio 14] en juger par les effets. Mais cet essay, qui luy fait honneur, seroit dangereux à répéter. Et il vaudroit certainement mieux pour le bien du service que les brigades restassent à trente gendarmes pendant la paix.
Quatrième partie
69Après avoir exposé mes idées sur les moyens de perfectionner encore, s’il est possible, le service de la gendarmerie, il me reste à traiter un dernier objet que j’ay annoncé dans ce mémoire, et cet article exige la plus grande attention.
70Deux principes doivent concourir à la forme des corps militaires dans un État. L’un est purement tactique et n’exige que ce qui est propre à faire réussir les opérations militaires. L’autre est politique et embrasse toute la constitution d’un État. Il en tire tout ce qu’il peut pour favoriser le premier, mais il sçait plier celuy cy au génie de la nation et aux ressorts du gouvernement politique. L’un est connu seul de l’homme de guerre, l’autre appartient à l’homme d’État, et c’est le concert heureux de ces deux principes qui peut seul assurer à une nation des succès constants. Il s’ensuit de là que comme le tems amène des changements dans le génie des nations, il peut devenir nécessaire d’en [Folio 14 verso] faire aussi dans la forme du militaire pour l’y adapter autant qu’il est possible. Ce n’est pas à moy de porter mes vues sur ces grands objets. Mais je n’ay pas cru inutile de rappeler ces principes lorsqu’il va être question de décider d’un changement dans une partie considérable de la forme d’un corps qui porte plus particulièrement le caractère national et dont l’espèce est propre à la France seule.
71Nos rois ont constamment suivi pour principe d’employer un grand nombre de leur noblesse à leur service. Louis XIII et son ministre61 pensèrent ne devoir pas s’en écarter au sortir des guerres civiles, qui avoient désolé si longtems la France, et attirèrent par touts les moyens la noblesse à la cour et dans les employs militaires. Enfin, Louis XIV, qui augmenta si prodigieusement ses forces et qui fixa l’état militaire, a suivi les mêmes vues en multipliant le nombre des officiers dans la forme qu’il donna aux troupes, afin d’ouvrir une carrière plus grande au zèle de sa noblesse. Et il crut devoir préférer ce motif à celuy que l’œconomie des finances luy auroit prescrit. On a vu même dans ce mémoire qu’il donna aux compagnies de gendarmerie un officier supérieur de plus que n’avoient les anciennes, voulant par là multiplier [Folio 15] des charges destinées à la haute noblesse de son royaume.
72Le nombre de ces charges ouvroit un débouché convenable à cette noblesse et décoroit la gendarmerie, sans qu’on eut éprouvé en ces temps là qu’il causât aucune incommodité dans le service, ny dans les promotions. Elles furent d’abord particulières dans la gendarmerie, parce que les brigadiers de ce corps n’ayant alors rien de commun avec ceux de la cavalerie, et ayant le commandement sur ceux cy par leur qualité de brigadiers de gendarmerie, ne pouvoient par cette raison avoir un tableau commun avec eux. Mais cette circonstance tournoit à l’avantage de la gendarmerie, qui n’en étoit que mieux traitée dans les promotions. La qualité de brigadier de gendarmerie fut suprimée depuis. Il n’y eut plus que des brigadiers de cavalerie et ceux qui furent élevés à ce grade, soit dans les compagnies qui servent à la garde du roy, soit dans les compagnies d’ordonnance, prirent rang avec ceux de la cavalerie et roulèrent avec eux. La gendarmerie perdit beaucoup dans cet arrangement et elle fut forcée alors de se contenter d’être traitée dans les promotions suivant l’ordre du tableau général, de sorte qu’il y a eu depuis ce temps plus ou moins d’officiers [Folio 15 verso] généraux et de brigadiers faits dans ce corps, selon qu’il s’y trouvoit plus ou moins d’officiers dans le cas d’être avancés par leur rang sur le tableau général de la cavalerie. Et les promotions les plus nombreuses dans ce corps n’ont pu occasionner aucune incommodité, puisque les officiers de la gendarmerie quittant leurs charges lorsqu’ils sont faits maréchaux de camp, et ayant reçu par là le prix légitime de leurs services, le roy peut les employer dans le grade ou ne pas le faire, selon les talents qu’ils ont fait paroître.
73C’est dans le cours de cette dernière guerre62 qu’on a commencé pour la première fois à paroître gêné par le nombre d’officiers de la gendarmerie que le tableau offroit pour être élevés aux grades militaires. Et (qu’on me permette cette réflection) c’est peut-être dans cette guerre qu’elle a fait les plus grands efforts de zèle et qu’elle a servi le plus utilement. On a donc pensé qu’il seroit utile de diminuer le nombre d’officiers supérieurs dans ses compagnies, et il paroit même que cette idée est relative aux projets généraux qui concernent tout le militaire63. Il ne m’apartient pas d’examiner si un projet de diminution dans le nombre des employs militaires en France est bien ou mal assorti au [Folio 16] principe politique de l’État. Je me bornerai icy à convenir qu’une diminution dans celuy des officiers supérieurs de la gendarmerie n’aportera aucun inconvénient dans son service : peut-être même seroit-ce pour elle un moyen d’acquérir l’avantage de détruire pour toujours la cause aparente des dégoûts qu’elle a éprouvés.
74Il ne faut pas se dissimuler que le projet de diminuer le nombre d’officiers supérieurs dans la gendarmerie rencontrera des difficultés très grandes dans l’exécution. La finance considérable des charges, les brevets de retenue64 obtenus pour une partie du prix de ces charges seront des plus considérables. À celles là se joindront les difficultés tirées de l’espèce des officiers − auxquels il répugneroit trop, dans un gouvernement aussi doux, d’ôter leur état sans leur donner au moins une espérance prochaine d’y rentrer −, de la constitution raisonnable de ce corps, qui ne connoit pas les commissions réformées65 et qui n’y souffre que des charges réelles, enfin de la proportion nécessaire à conserver en ce point avec les compagnies de la Maison du roy, à cause du raport intime qui existe dans le service commun de toutes les compagnies qui composent la gendarmerie de [Folio 16 verso] France et dans le rang réciproque de leurs charges.
75Ces obstacles se font assés sentir d’eux mêmes et il suffira, pour les rendre évidents, de rapeler seulement icy que le prix de la totalité des charges réglé par l’ordonnance est de 5 547 000lt et qu’il y a 1 475 000lt de brevet de retenue.
76Toutes ces difficultés ne m’ont pas rebuté et j’ay cherché sérieusement à entrer dans les vues de la cour. Le projet que je vais proposer, en les favorisant, peut même perfectionner, si j’ose le dire, le plan de la constitution de la gendarmerie, en simplifiant sa composition. Il est hardi sans doute à proposer, dans ce moment surtout, mais il n’effrayera pas Monsieur le duc de Choiseul, et des idées communes ne seroient pas faites pour luy être présentées. Ce projet, en un mot, donne au roy quatre escadrons de gendarmerie de plus et diminue en même tems de moitié, dans la proportion, le nombre des officiers supérieurs. La forme en est simple. On érigera en compagnies d’hommes d’armes, sous des titres nouveaux, les deux compagnies des chevaux légers d’Orléans et des chevaux légers de la Reine, comme les deux plus anciennes de celles des chevaux légers ; ce qui donnera douze [Folio 17] compagnies d’hommes d’armes, qui feront désormais chacune leur escadron. L’on incorporera ensuite dans ces douze compagnies les quatre autres compagnies de chevaux légers, lesquelles demeureront suprimées, et le corps de la gendarmerie sera à l’avenir composé de douze compagnies d’hommes d’armes, chacune d’un escadron, lesquelles auront la même composition en officiers supérieurs qu’elles avoient lorsqu’elles ne fournissoient que la moitié d’un escadron. Lorsqu’enfin ces opérations auront fixé l’état de la forme de la gendarmerie, on décidera sur quel pied les brigades devront rester pendant la paix.
77J’ay prévu la grande objection que l’on fera contre ce projet, et je me félicite au moins d’être certain que ce sera la seule qu’on puisse faire. On est déjà révolté de l’idée de faire dans ce moment de la paix une augmentation de quatre escadrons, et dans un corps surtout dont l’imagination du public porte la dépense bien au delà du vraya. Je vais d’abord répondre à cette objection et l’on sera bien étonné lorsqu’on verra à [Folio 17 verso] quoy se réduira cette dépense si fort à redouter.
78On aura pas, je pense, de peine à m’accorder qu’au même prix on conserveroit sur pied quatre escadrons de gendarmerie de préférence à quatre escadrons de cavalerie. Et on ne croiroit pas même s’engager beaucoup en suposant une chose aussi peu vraisemblable. Je sens cependant que cette idée tente mon ambition et je vais essayer au moins de la rendre plausible. J’avertis au reste que je prendrai toujours dans ce calcul les troupes sur le pied de la réforme à faire, dont je ne connois pas encore l’objet dans la gendarmerie, que je suposerai la même que dans la cavalerie pour rendre les choses égales.
79Le corps entier de la gendarmerie sur le pied présent formant huit escadrons, réduits par la réforme à 107 hommes chacun, coûteroit au roy, en y comprenant les appointemens et pensions des grands officiers et autres, et ceux de l’état major, et en suposant les fourrages à 20s par jour, la place coûteroit, dis je, par an 1 039 306lt. Et d’abord je trouve que si le roy créoit quatre escadrons de plus de gendarmeries, sur le même pied que les huit qui [Folio 18] existent, la dépense de ces douze escadrons monteroit par la proportion de douze à huit à la somme de 1 558 959lt. Or, selon le projet proposé, la dépense des 12 escadrons sur le pied de 100 hommes, y compris les trompettes, ne monteroit qu’à la somme de 1 329 778lt. Donc par l’adoption de la nouvelle forme, et en augmentant d’un tiers la forme présente de la gendarmerie, il y auroit déjà à gagner dans la proportion de 12 escadrons une différence de 229 181lt.
80Mais, me dira t-on, c’est bien quelque chose que de diminuer la proportion de la dépense, cependant la dépense réelle se trouve augmentée et c’est encore un grand obstacle à votre projet. Me voilà donc réduit à faire de nouveaux efforts, et je sens bien qu’on exigera au moins de moy de trouver le moyen de modérer à une somme modique la nouvelle dépense dans laquelle mon projet pourroit entraîner, si je veux qu’on puisse l’adopter. Il faut donc y souscrire et je demande que ce raisonnement soit suivi avec attention.
81Il vient d’être dit que la dépense présente des huit escadrons de la gendarmerie, réduits par la réforme [Folio 18 verso] à 107 hommes, y compris les trompettes, les fourages évalués sur le pied de 20s, montera par an à la somme de 1 039 306lt. Or un régiment de cavalerie composé de quatre escadrons, réduit de même par la réforme à 106 hommes, coûtera par an la somme de 286 895lt. Il est donc évident que la dépense des huit escadrons de la gendarmerie, dans la forme présente, et celle des quatre escadrons de cavalerie monteront ensemble à une somme de 1 326 201lt. Or je viens de dire que celle des douze escadrons de gendarmerie dans le projet proposé ne montera qu’à la somme de 1 329 778lt. Donc, si le roy réformoit quatre escadrons de cavalerie en adoptant mon projet, il se trouveroit avoir changé seulement quatre escadrons de cavalerie contre quatre escadrons de gendarmerie et il ne luy en coûteroit par an qu’environ 3 577lt.
82Donc la seule objection qui parut raisonnable contre [Folio 19] l’augmentation proposée dans la gendarmerie se trouve évidemment détruite. Donc il est démontré, 1° Que ce projet diminue de 229 181lt la dépense de la gendarmerie considérée en elle même dans la proportion de douze escadrons à douze. 2° Que la dépense réelle ne sera nullement augmentée pour le roy, à qui il restera l’avantage d’avoir acquis sans frais quatre escadrons de gendarmerie pour quatre de cavalerie, et ce sera là le premier avantage que présentera ce projet.
83Le second consistera dans l’uniformité parfaite que cette opération achèvera de mettre entre toutes les compagnies d’ordonnance de la gendarmerie. La dénomination de chevaux légers est étrangère à ce corps [Folio 19 verso] et, quoyque les six compagnies de chevaux légers qu’on y voit aujourd’huy aient été crées sur le pied et à l’instar des compagnies d’hommes d’armes et fassent partie de la gendarmerie, tout comme celle des chevaux légers de la garde du roy qui a la même dénomination, elles ont conservé certaines différences dans leur solde et leur traitement qui font une bigarrure déplacée et incommode dans la gendarmerie. Ainsy, n’y ayant plus désormais que des compagnies d’hommes d’armes, le principe d’union et d’uniformité aura acquis plus de force dans ce corps.
84Troisièmement, les vingt escadrons qui [Folio 20] composent actuellement la gendarmerie de France ne se trouvent pas toujours réunis. Les compagnies de la Maison du roy en forment douze, et la configuration qui leur est propre permet rarement de les faire servir à la guerre66. Ainsy, la gendarmerie qui se trouve d’ordinaire réduite aux huit escadrons formés par les gendarmeries d’ordonnances ne fait dans l’armée que l’effet d’une brigade de cavalerie. Le projet proposé luy donnera une consistance suffisante pour remplacer plus dignement dans les armées le corps entier dont elle fait partie et un ensemble qui augmente toujours en raison de la force des corps.
85Mais je passerois la loy que je me suis prescrite de ne dire icy que ce qui étoit absolument nécessaire et je donnerois une trop grande étendue à ce mémoire (déjà bien long), si je voulois entrer dans le détail de touts les avantages que ce projet produiroit dans le service, sans que la plus petite objection puisse être faite contre luy. Je passe donc aux moyens propres à lever les difficultés que j’ay déjà remarquées dans son exécution.
86Voilà quatre compagnies de chevaux légers supprimées. L’incorporation qui sera faite des maréchaux des logis, brigadiers, sous brigadiers et chevaux légers dans les douze compagnies d’hommes d’armes lève tout embarras à cet égard ; et cette [Folio 20 verso] opération peut être abandonnée aux soins du major, lequel doit trouver les moyens de la diriger à la meilleure composition des troupes. Mais on se souvient que dans la forme nouvelle, les compagnies, quoique plus fortes du double, n’auront pourtant que le même nombre d’officiers et en même grade qu’elles avoient auparavant. Il nous restera donc quatre capitaine lieutenants, quatre sous lieutenants, quatre enseignes et quatre guidons sans employs. Ce nombre seroit d’abord bien diminué si on faisoit quatre maréchaux de camp dans ce corps, ce qui placeroit tous les capitaine lieutenants, lesquels auroient été les plus embarrassants. Ce moyen paroit d’autant plus aisé à employer qu’il n’y a point de violence à faire pour cela à l’ordre du tableau, et quant [sic] il auroit fallu lui en faire un peu pour faciliter une opération de cette importance, la gendarmerie a servi avec assés de distinction pendant tout le cours de cette guerre pour que le public regarde ce traitement comme une justice qui luy seroit rendue. Deux employs vacants dans le corps placeroient encore deux officiers et de cette façon il n’y auroit plus de lézé qu’un petit nombre de jeunes gens auxquels on prometroit leur remplacement à la première occasion qui s’en présenteroit.
87[Folio 21] Je passe à la difficulté provenant des finances des charges qui est certainement la plus considérable, et je pense qu’il y a encore des moyens de la lever.
88Le remboursement des finances des charges suprimées, ou de celles qui vaqueroient par la promotion, peut se considérer sous deux espèces. L’une regarde les brevets de retenue accordés sur quelques unes de ces charges, et le fonds en est exigible au moment que la charge cesse d’exister. L’autre consiste dans le remboursement du prix des charges que la mort du pourvu fait perdre, et l’on ne peut retarder celuy cy sans qu’il y eût un [Folio 21 verso] inconvénient notable. Or, comme le remboursement des brevets de retenue ne souffre aucun délay, il faut y pourvoir sur le champ. Une ordonnance nouvelle relativement au prix des charges de la gendarmerie en fourniroit le moyen facile. Une nouvelle fixation qui en hausseroit le taux à un prix modéré donneroit plus qu’il ne faudroit pour rembourser sur le champ le montant de ces brevets de retenue, cette ordonnance seroit motivée d’après l’augmentation du nombre de gendarmes dans les compagnies et dans les brigades.
89Je voudrois donc que le taux fixe de [Folio 22] toutes les charges de capitaine lieutenants fut porté à 150 000lt, celuy de toutes les sous lieutenances à 120 000lt, celuy des enseignes à 80 000lt, en leur donnant une brigade, et je laisserois les guidons à 50 000lt. Cette fixation, qui mettroit une proportion de prix raisonnable entre chaque charge et qui n’augmenteroit le prix de chacune que de peu de choses, donneroit encore, après l’acquittement des brevets de retenue dont il vient d’être parlé, une somme de 300 000lt environ, avec laquelle on commenceroit à faire quelques remboursements sur le prix des charges ; et il n’en resteroit après cela que pour environ 400 000lt à faire, ce qui ne chargeroit le roy, par conséquent, que de 20 000lt de rente à payer jusqu’à l’entier remboursement de ces charges. Il me semble même qu’il seroit aisé, pour ne plus en entendre parler, de créer des contrats jusqu’à la concurrence de cette somme qui donneroit la facilité à ceux qui auroient besoin d’un remboursement plus prompt de retirer leurs fonds, en mettant ces contrats dans le commerce.
90Au reste, je ne fais qu’énoncer tous ces moyens et je me contente d’en faire [Folio 22 verso] sentir la simplicité et la facilité. Il sera bien aisé de les détailler pour en faire l’aplication, si je suis assés heureux pour que ce plan soit adopté par Monsieur le duc de Choiseul.
91Ce sera le prix le plus flatteur d’un travail dans lequel je n’ay eu pour but que le vray et le bien du service du roy, et mes vœux les plus chers seront remplis si j’ay pu contribuer par cet ouvrage à attirer sur la gendarmerie des regards favorables d’un ministre si fait par sa naissance pour l’aimer et seul digne de fixer à jamais l’existence de la plus noble, de la plus ancienne et de la plus illustre milice qu’aye eu [sic] la France.
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Notes de bas de page
1 Louis Georges Érasme marquis de Contades, maréchal de France (1704-1795), commande l’armée française à Minden.
2 R. Waddington, La guerre de Sept Ans. Histoire diplomatique et militaire, Paris, Firmin-Didot, 1896-1914, t. iii, p. 63, cité dans F. Magnin, Mottin de la Balme, cavalier des deux mondes et de la liberté, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 89.
3 La langue de l’état-major prussien est alors le français.
4 SHD, GR 1 M 1758, Lordat (comte de), Mémoire sur la gendarmerie fait par Joseph, Marie comte de Lordat Bram, major et inspecteur de la gendarmerie, s.d., 134.
5 Lordat (marquis de), Un page de Louis XV, Lettres de Marie joseph de Lordat à son oncle, Louis comte de Lordat, baron de Brame, brigadier des armées du roi (1740-1747), Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1908.
6 Lordat est deuxième cornette des chevau-légers d’Anjou avec commission de lieutenant-colonel en 1740, puis premier cornette des chevau-légers d’Orléans en 1748. Il est sous-lieutenant des chevau-légers de Bourgogne avec commission de mestre de camp de cavalerie en 1754, avant de devenir capitaine-lieutenant des gendarmes de Flandre en 1759. Lordat est ensuite promu inspecteur major de la gendarmerie la même année et enfin brigadier des armées du roi en 1761. M. Pinard, Chronologie historique-militaire…, Paris, Claude Herissant, 1760-1764, vol. 7, p. 607-608.
7 Il fait la guerre de Flandre, entre 1744 et 1748. Il se trouve à Fontenoy, Lawfeld et à de nombreux sièges, notamment à ceux de Tournay, Mons, Charleroy, Namur, Cassel et La Hesse. Quelques années plus tard il participe à la bataille de Lutzelbourg, à celle de Minden, mais aussi à celle de Clostercamp. Voir : Ibid.
8 Ray (chevalier de), Réflexions et souvenirs, Paris, Charles-Lavauzelle, 1895, p. 124-127, dans F. Magnin, Mottin de la Balme…, op. cit., p. 82.
9 F. Magnin, Mottin de la Balme…, op. cit., p. 88-89.
10 Ibid.
11 SHD, GR Ya 313, Lettre de Lordat à Belle-Isle, 11 août 1759.
12 Étienne-François comte de Stainville, duc de Choiseul (1719-1785), secrétaire d’État de la Guerre à la suite du maréchal de Belle-Isle (1761-1770).
13 Ce mémoire n’est pas daté. Il a toutefois dû être écrit entre le début de l’année 1763, puisque l’auteur évoque la paix sanctionnée par le traité de Paris, signée le 10 février, et le mois de juin suivant, date à laquelle le comte de Lordat n’est plus major et inspecteur général de la gendarmerie.
14 Le grade de brigadier des armées du roi est un grade intermédiaire entre ceux d’officiers supérieurs et les premiers grades d’officiers généraux. Dans l’infanterie et dans la cavalerie, un brigadier peut commander soit un simple régiment, soit une brigade, composée de deux à trois régiments.
15 L’ordre du tableau, institué en 1675, contribue à la normalisation du déroulement des carrières d’officiers en systématisant l’ancienneté comme critère de promotion.
16 Certaines charges militaires, notamment dans la gendarmerie, étaient vénales. Pour obtenir leur charge, les officiers devaient s’acquitter d’une somme dont le montant reflétait, en général, la perspective de carrière qu’elle offrait. Toléré, bien que de plus en plus encadré par le pouvoir royal, l’achat représentait toutefois un investissement risqué. Contrairement aux charges civiles, les charges militaires étaient casuelles. Elles n’étaient pas soumises au paiement d’un droit annuel (la « paulette »). En cas de décès du titulaire, la charge retombait entre les mains du roi, qui la remettait en vente ou en gratifiait un officier méritant en attente de promotion.
17 La bataille de Fleurus, le 1er juillet 1690, voit la victoire des armées françaises, commandées par le duc de Luxembourg, contre les armées de la coalition, rassemblant l’Espagne, les Provinces-Unies, l’Angleterre et les Impériaux, et commandés par le prince de Waldeck.
18 A. Guinier, L’honneur du soldat. La discipline militaire en débat dans la France des Lumières (ca 1748-ca 1789), thèse dactylographié, université de Poitiers, 2012, p. 432.
19 A. Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, Paris, PUF, 1997, t. 2, p. 43-45.
20 SHD, GR Ya 313.
21 F. Chauviré, La charge de cavalerie de Bayard à Seydlitz, thèse dactylographiée, université de Nantes, 2009, p. 813.
22 On l’augmente de deux sous-aide-majors et de deux fourriers-majors. L’état-major est dès lors composé d’un major inspecteur, d’un aide-major, de quatre sous-aide-majors et de deux fourriers-majors.
23 F. Magnin, Mottin de la Balme…, op. cit., p. 105.
24 En 1762 d’après M. Pinard, op. cit., p. 608 et en 1764 selon F. de la Chesnaye-Debois et Badier, Dictionnaire de la noblesse contenant les généalogies, l’histoire et la chronologie des familles nobles de la France…, Paris, Schlessinger, 1868, vol. 12, p. 370.
25 Louis XIV (1638-1715).
26 Il s’agit des Carolingiens.
27 Seigneur qui a le droit de porter une bannière pour faire assembler ses vassaux quand l’arrière-ban est convoqué et qui peut en faire une compagnie à cheval.
28 Sorte de ruban fait d’un tissu léger, accroché en haut d’une lance.
29 Seconde taille ou imposition faite à la manière de la taille. Les anciens rôles des tailles s’établissaient par articles, grande taille, taillon, crue, subsistance, etc. Le taillon a été établi en 1549 par Henri II pour l’entretien, vivre et munitions des gens de guerre, sur les plaintes du peuple contre les désordres que faisaient les gens de l’ordonnance.
30 Le traité des Pyrénées, signé le 7 novembre 1659, met fin à la guerre franco-espagnole entamée en 1635 avec l’intervention française dans la guerre de Trente Ans (1618-1648).
31 Jacques Stuart (1633-1701), roi d’Angleterre sous le nom de Jacques II (1685-1689).
32 Anne d’Autriche (1601-1666).
33 Philipe d’Orléans (1640-1701).
34 Dans les compagnies où le roi était lui-même capitaine, il déléguait sa fonction et ses appointements à son lieutenant, pour l’aider à soutenir la dépense inhérente à l’entretien de ces unités. Cet officier prenait ainsi le titre de « capitaine-lieutenant ».
35 Le guidon est l’étendard d’une compagnie de gendarmes et donne, par extension, son nom à l’officier qui le porte.
36 L’ordonnance du 6 mai 1667 réorganise de manière importante la gendarmerie de France et les corps de la Maison du roi, donnant notamment à ces derniers la prééminence sur les autres troupes : SHD, 1 M 1932, Règlement du 6 mai 1667 concernant le rang que le roy veut dorénavant être gardé entre les compagnies servant à sa garde et les compagnies de chevaux-légers d’ordonnance.
37 Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683).
38 Louis de France, dit Monseigneur ou le Grand Dauphin (1661-1711).
39 Philipe de France (1668-1671), duc d’Anjou, fils légitimé de Louis XIV.
40 Louis de France (1682-1712), duc de Bourgogne.
41 Charles de France (1686-1714), duc de Berry.
42 L’ordonnance du 6 mai 1667 détermine la vocation des corps de la Maison du roi, et notamment des Gardes du corps et des mousquetaires de la garde, à devenir des unités de cavalerie à part entière. Avant le gouvernement de Louis XIV, les Gardes du corps ne participaient à la guerre que si le roi s’y rendait personnellement et se bornaient souvent à n’y accomplir que leur service domestique ordinaire.
43 L’origine des exempts des Gardes du corps est difficile à établir avec certitude, mais ils sont vraisemblablement instaurés sous Henri III. Leur nom vient du fait qu’ils sont exemptés des fonctions des autres Gardes, notamment d’être de faction à la cour. Les exempts font office de sous-officiers.
44 Les gendarmes et chevau-légers de Berry sont créés en août 1690, les gendarmes et les chevau-légers d’Artois, en octobre 1690.
45 Il s’agit de l’ordre du tableau.
46 Les brigadiers conservaient leur grade de colonel, de mestre de camp ou de lieutenant-colonel. Ils ne servaient comme brigadiers que si le roi leur donnait des lettres de service, en particulier en temps de guerre.
47 Chaque compagnie de gendarmerie est divisée en deux brigades d’une trentaine d’hommes environ. À ne pas confondre avec la brigade qui réunit sous l’autorité d’un brigadier plusieurs régiments lors d’une bataille.
48 Comme dans la Maison du roi, les compagnies de la gendarmerie ont un rang bien précis, issu la plupart du temps de leur ancienneté. Une compagnie ayant la préséance sur une autre est toujours placée à sa droite.
49 Le combat de Leuze constitue une éclatante victoire de la cavalerie française pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg (1688-1697). Le 18 septembre 1691, un détachement fait par le maréchal de Luxembourg, composé essentiellement de troupe de la Maison militaire du roi, surprend l’arrière-garde de l’armée du prince de Waldeck. Utilisant uniquement l’arme blanche, les Français, dans une infériorité numérique importante (28 escadrons contre 72), mais grâce à une grande cohésion, battent les Hollandais, au prix toutefois de lourdes pertes.
50 La bataille de La Marsaille (ou bataille de Marsaglia), livrée le 4 octobre 1693, voit la victoire des armées françaises commandées par Nicolas de Catinat contre l’armée hispano-savoyarde du duc de Savoie, Victor-Amédée, pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg.
51 Guerre de Succession d’Espagne (1701-1714).
52 La bataille de Luzzara est un affrontement indécis de la guerre de Succession d’Espagne. Livrée le 15 août 1702, elle oppose l’armée du duc de Vendôme à celle d’Eugène de Savoie, qui en revendiquent tous deux la victoire.
53 Appelée parfois bataille de Heiligenstein, la bataille de Spire oppose, le 15 novembre 1703, l’armée française du duc de Tallard aux Impériaux. Alors qu’ils tentent de prendre Landau, les Français sont attaqués par une armée de secours austro-hollandaise, qu’ils mettent en déroute. La reddition consécutive de Landau en fait une victoire tactique importante, éclipsée par le désastre Blenheim neuf mois plus tard.
54 La deuxième bataille d’Höchstädt, plus connue sous le nom de bataille de Blenheim, livrée le 13 août 1704, est un tournant de la guerre de Succession d’Espagne et une grave défaite pour la France. La victoire du duc de Marlborough sur Tallard met Vienne à l’abri des armées franco-bavaroises et évite l’effondrement de l’Alliance.
55 Actuellement appelée Audenarde, cette bataille est la deuxième défaite majeure de la France dans la guerre de Succession d’Espagne. L’armée du duc de Vendôme y est battue le 11 juillet 1708, par les Anglo-impériaux de Marlborough et d’Eugène de Savoie.
56 Malplaquet est une des plus sanglantes batailles du xviiie siècle. Le 11 septembre 1709, les Français sous les ordres de Villars sont à nouveau battus, mais infligent des pertes deux fois plus importantes que les leurs à l’armée de Marlborough et du prince Eugène. Nouveau tournant de la guerre de Succession d’Espagne, Malplaquet évite l’invasion du territoire français par les armées alliées.
57 Une partie de la solde des hommes servait à alimenter différentes caisses que l’on utilisait, par exemple, pour financer l’entretien des uniformes et de l’équipement.
58 La remonte, c’est-à-dire l’acquisition des chevaux, est à la charge du chef de brigade. Les gendarmes sont souvent sans fortune et donc incapables de subvenir à cette dépense. À la fin de la guerre de Sept Ans, l’urgence de combler les pertes et le manque de moyens contraignent souvent les chefs de brigades à se procurer des chevaux de faible taille et âgés, qui ne supportent pas longtemps les fatigues de la guerre : F. Magnin, Mottin de la Balme..., op. cit., p. 106.
59 Le traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 18 octobre 1748, met fin à la guerre de Succession d’Autriche. Les effectifs de la gendarmerie sont réduits l’année suivante, par l’ordonnance du 4 novembre 1749.
60 Ordonnance du 25 décembre 1756.
61 Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu (1585-1642).
62 La guerre de Sept Ans.
63 Le 1er décembre 1761, 31 régiments de cavalerie sont licenciés ou incorporés dans d’autres unités de cavalerie, qui voient alors leurs effectifs doubler à nombre d’officiers supérieurs constant.
64 Un brevet de retenue est une grâce accordée par le roi sur une charge qui n’est pas héréditaire. Par un brevet, il assure au titulaire une somme payable par celui qui désire lui succéder dans cette charge.
65 Les commissions réformées permettaient aux officiers licenciés à l’occasion d’une réforme de conserver leur grade à la suite de l’armée et de réintégrer un emploi en pied à mesure qu’ils vaquaient.
66 Pendant la guerre de Sept Ans, les troupes de la Maison du roi et de la gendarmerie sont gardées en réserve et ne participent que très peu aux combats, ce qui engendre une forte remise en question de leur utilité et de leurs privilèges.
Notes de fin
a En note : « Je remarquerai icy que, si on faisoit attention que les appointements des officiers supérieurs de la gendarmerie leur tiennent lieu d’un intérêt de 277 350lt pour le prix que le roy a mis à leurs charges, et que d’un autre côté les retenues au profit du roy sur le corps montent par an à 100 000lt, la dépense de ce corps cesseroit d’être un objet d’effroy ».
Auteur
Doctorant en histoire moderne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (EA 127 Modernités et Révolutions). Il est rattaché à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et membre de son séminaire Jeunes Chercheurs. Il prépare sa thèse sous la direction d’Hervé Drévillon, sur la Maison militaire du roi au xviie siècle et est l’auteur de Les mousquetaires ou la violence d’État, Paris, Vendemière, 2013.
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