Chapitre 3. Panégyriques latins, πρεσβευτικòς λόγος et diplomatie intérieure
p. 81-135
Texte intégral
1Les analyses des chapitres précédents ont permis de rétablir la véritable nature des Panégyriques latins v(9) et viii(5) comme discours de représentants de cités plutôt que comme panégyriques. Reste maintenant à rompre leur isolement relatif, en opérant des rapprochements avec d’autres sources gréco-latines qui mentionnent directement ou indirectement des discours de même nature.
2Prononcés au début du ive siècle, ces deux textes peuvent en effet être considérés comme l’aboutissement d’un genre rhétorique, d’une tradition littéraire, appelé communément « discours d’ambassadeur » et associé à la pratique institutionnelle du même nom (legatio en latin ; πρέσβεία en grec). Celle-ci consistait, pour une communauté civique ou provinciale, à envoyer un délégué en audience auprès de l’empereur ou ses représentants, dans le cadre de démarches réglementées fixant à l’avance les modalités de désignation, le nombre de légats, les frais de voyage et bien d’autres détails matériels1. Dans le cours de l’analyse, l’usage du terme « ambassade », trop connoté par les usages contemporains puisque confiné au domaine des relations internationales, devra être entendu dans son acception antique. Il comporte de nombreux défauts, comme celui de ne pas rendre compte des discours prononcés par les légats dans leur propre cité, à l’occasion de l’aduentus d’un officiel. Par ailleurs, une distinction stricte sera opérée entre les différentes catégories de légations civiques : aussi, pour emprunter une classification proposée par Jean-Pierre Coriat au sujet des rescrits, distinguera-t-on les ambassades gracieuses des ambassades contentieuses2, deux catégories qui se démarquent des ambassades purement honorifiques, envoyées sans motif autre que la participation à une célébration officielle.
3En rassemblant des parallèles instructifs, la généalogie de ce genre de discours pourra être retracée, accompagnée de remarques générales sur les légations durant le Haut-Empire. Ce travail apparaît d’autant plus nécessaire que ces questions, pour l’Occident, ont été négligées par la recherche récente en raison de préjugés tenaces mais injustifiés. On doit à l’historien Fergus Millar, en particulier, d’avoir soutenu et répandu l’idée que l’envoi de légations (et, de manière connexe, des discours qui les accompagnaient) constituerait une pratique peu courante en Occident comparé à l’Orient, en raison de pratiques culturelles et politiques divergentes entre les deux parties de l’Empire3. L’analyse va permettre au contraire de nuancer cette affirmation tranchée, tout en arrachant des limbes une documentation que l’on pensait définitivement disparue.
Les Panégyriques latins v(9) et viii(5) et le πρεσβευτικòς λόγος
4Pour mieux comprendre ces deux discours si originaux, nous proposons de relever une série de parallèles recensés dans des sources de nature différente (traités théoriques, sources littéraires, juridiques ou épigraphiques), retenus pour leur valeur documentaire.
Le πρεσβευτικòς λόγος dans l’œuvre de Ménandre le Rhéteur
5Les seules indications anciennes concernant ce genre sont contenues dans le Traité n de Ménandre le Rhéteur4. Ce texte est en effet systématiquement mis à contribution, mais de manière superficielle, par les rares chercheurs qui ont travaillé sur ce type de discours. L’intérêt du Traité ii est évident puisque, composé selon toute vraisemblance sous la Tétrarchie, il offre un parallèle contemporain aux discours d’Eumène et de ses pairs5. Par ailleurs, il permet de mesurer avec précision l’écart ou la conformité des discours éduens avec les préceptes formulés par les théoriciens grecs.
6Voici la traduction du passage consacré au πρεσβευτικòς λόγος que donne Jean-Luc Fournet6. Le texte grec est celui de l’édition de Russel et Wilson :
[423.6] Πεpi πρεσβευτικού
Ἐὰν δὲ ὐπὲρ πόλεως καμνούσης δέη’ πρεσβεῦσαι,
ἐρεῖς μἐν καὶ ταῦτα ἀ προείρηται ἐν τῷ στεφανωτικῷ
πανταχοῦ δὲ τò τῆς φιλανθρωπίας τοῦ βασιλέως αὐξή-
[10] σεις, καὶ ὅτι φιλοικτίρμων καὶ ἐλεῶν τοὺς δεομένους,
καὶ ὅτι διὰ τοῦτο ὁ θεòς αὐτòν κατέπεμψεν, ὅτι ᾔδει
αὐτòν ἐλεήμονα καὶ εὖ ποιοῦντα τοὺς ἀνθρώπους, καὶ
ὅταν εἴπῃς τὰ ἀπò τῆς ἀνδρείας ἐν τοῖς πολέμοις καὶ
τὰ ἀπò τῆς εἰρήνης ἀγαθά, ἥξεις ἐπὶ τὴν μνήμην τῆς
[15] πόλεως, ὑπὲρ ἦς πρεσβεύεις, ἐν δὲ ταύτῃ δύο τόπους
ἐργάσῃ, ἔνα μὲν τòν ἀπò τῆς τοῦ ἐναντίου αὐξήσεως,
οἷον. ἦν ποτε τò Ἳλιον πόλις λαμπρὰ καὶ ὀνομαστοτάτη
τῶν ὑφ’ ἥλιον πασῶν, καὶ ἀντέσχεν πρòς τοὺς ἀπό τῆς
Εὐρώπης πολέμους τò παλαιόν, εἶ τα τòν ἐκ διατυπώ-
[20] σεως, ἐν ᾦ καὶ διασκευάσεις τὴν παροῦσαν τύχην, ὅτι
πέπτωκεν εἰς ἔδαφος, καὶ μάλιστα ἐκείνων μνημονεύ-
σεις ἅ πρòς τὴν χρείαν καὶ τὴν ζωὴν συμβάλλεσθαι
πέφυκε, καὶ ὦν εἰώθασιν οἱ βασιλεῖς προνοεῖσθαι,
οἷον ὅτι λουτρὰ συμπέπτωκεν, ὑδάτων ὀχετοὶ διεφθά-
[25] ρησαν, κόσμος ὁ τῆς πόλεως συγκέχυται. καὶ τὰ τοιαῦτα
ἐλεεινολογησάμενος ἐπάξεις ὅτι διὰ ταῦτα ἱκετεύομεν,
δεόμεθα, πρò τῶν γονάτων πίπτομεν, τὰς ἱκετηρίας
προτείνομεν. νόμιζε γὰρ τὴν τοῦ πρεσβευτοῦ φωνὴν
εἶναι πάσης τῆς πόλεως, δι’ ἦς νόμιζε καὶ παῖδας καὶ
[30] γυναῖκας καὶ ἄνδρας καὶ πρεσβύτας δάκρυα προχέειν,
[424] παρακαλεῖν σε πρòς ἔλεον. εἶτα ἀξιώσεις ἐπινεῦσαι
αὐτòν δεχθῆναι τò ψήφισμα.
Si tu dois être ambassadeur d’une cité en proie à des troubles, tu tiendras les propos recommandés précédemment pour le discours de couronne (στεφανωτικòς λόγος), mais tu amplifieras chaque point de la partie consacrée à la philanthropie de l’empereur, et tu diras aussi qu’il est miséricordieux et prend pitié de ceux qui font appel à lui et que c’est pour cette raison que le dieu suprême l’a envoyé sur terre parce qu’il le savait compatissant et bienfaiteur de l’humanité. Et quand tu auras parlé des bienfaits résultant de son courage à la guerre et de la paix, tu en viendras à mentionner la cité dont tu es l’ambassadeur. C’est alors que tu travailleras deux topiques : l’un qui procède de l’amplification du contraire ; par exemple : autrefois Ilion était une cité brillante et la plus renommée de toutes celles existant sous le soleil et elle résista dans les temps anciens aux guerres venant d’Europe. Puis l’autre, qui procède d’une description dans laquelle tu développeras la mauvaise fortune dont est actuellement victime la cité, en disant qu’elle est tombée à terre. Et surtout tu mentionneras ce qui contribue par nature aux besoins et à la vie auxquels les empereurs ont coutume de pourvoir ; par exemple : les bains sont en ruines, les aqueducs sont détruits, l’ordre de la cité est bouleversé. Après un tel appel à la pitié, tu ajouteras : c’est pourquoi nous te supplions, nous faisons appel à toi, nous tombons à tes genoux, nous brandissons les rameaux des suppliants. Considère que la voix de l’ambassadeur est celle de la cité tout entière, par laquelle enfants, femmes, hommes adultes et vieillards versent des larmes et en appellent à ta pitié. Ensuite, tu lui demanderas de bien accepter de recevoir le décret.
7Selon Ménandre (Traité ii), le discours « d’ambassadeur » suit une composition binaire. Le rhéteur doit commencer par un éloge de l’empereur, en insistant sur ses qualités civiles : sa philanthropie, sa miséricorde, sa capacité à entendre les appels de ses sujets. Les qualités guerrières, dans le cas où elles sont mentionnées – l’empereur étant avant tout le défenseur de l’Empire, le garant de la sécurité et de la prospérité de tous –, se trouvent reléguées au second plan. Ménandre, toujours dans cette partie, préconise d’insister sur la légitimité du prince, accordée par la divinité.
8Le second volet du discours s’organise autour de la description de la cité à travers l’évocation de son passé brillant, comparable à un âge d’or, mais qui contraste brutalement avec la désolation et les ruines du temps présent. Les monuments et les infrastructures de la vie civique, qui incarnent la cité, doivent être mentionnés en premier lieu car ce sont ces bâtiments qui, de coutume, bénéficient de l’aide des empereurs car leur devoir est de les maintenir en état. En décrivant les bouleversements qui frappent sa cité, le légat suggère que l’existence même de la communauté semble remise en cause. Le discours s’achève sur un appel à l’aide et à la pitié de l’empereur : le représentant de la cité doit décrire les citoyens affaiblis et suppliants, les mots devant retranscrire le poids des sentiments et la force des émotions. Le discours, enfin, est suivi de la lecture du décret voté par le conseil, souvent appelé ψήφισμα, dont le contenu exact n’est pas précisé. La lecture d’un document de type juridique révèle ici les aspects techniques et administratifs de la requête officielle.
9Ainsi, le πρεσβευτικòς λόγος apparaît comme un discours très structuré, simple dans son agencement mais efficace quant aux procédés mis en œuvre pour atteindre l’objectif de départ. L’accent mis sur certains procédés comme l’amplification ou l’exagération ainsi que la description chargée de pathos l’attestent. En revanche, Ménandre ne propose ici que les grands thèmes sur lesquels l’orateur doit insister, et de manière assez schématique. Jamais il ne livre de recette stricte, jamais il ne donne le canevas à suivre. Il offre à son lecteur, désireux de composer un discours de ce genre, une grande marge de manœuvre ; il le laisse libre de l’agencement interne du discours, en lui conseillant de se reporter, pour certaines rubriques, à ce qui est énoncé dans le Traité i, centré sur la structure essentielle et les topiques incontournables d’un βασιλικòς λόγος.
Les autres discours de représentants de cités dans le Traité ii de Ménandre le Rhéteur
10Le πρεσβευτικòς λόγος, comme son nom le suggère, est le discours « d’ambassade » par excellence, même si en réalité le genre compte une grande variété de sous-catégories. Que ce soit devant l’empereur à Rome ou bien dans la cité lors d’une visite officielle, Ménandre décrit un large échantillon de ces discours. Mais deux en particulier, parmi d’autres, apparaissent bien détaillés : il s’agit du πρεσβευτικòς λόγος et du discours de la couronne (στεφανωτικòς λόγος).
11Le στεφανωτικòς λόγος7 constitue un sous-genre adressé à l’empereur par un représentant de cité. Il se distingue du πρεσβευτικòς λόγος du fait qu’il était prononcé en même temps qu’était offerte une couronne d’or (aurum coronarium) au prince, lors de son avènement, lors de son dies imperii (en particulier au moment des quinquennalia, decennalia et autres dates anniversaires), ou encore à la suite d’une importante victoire militaire. La pratique, bien attestée sous le Haut-Empire, a perduré jusqu’à la fin de l’Antiquité8.
12Voici les caractéristiques principales de ce discours de nature honorifique. Dans l’introduction figurait un éloge à la gloire de l’empereur, où l’orateur rappelait que la cité était venue le couronner, non seulement au sens figuré, avec des mots, mais également au sens propre. Elle était digne de cet acte dans la mesure où elle n’était pas inférieure en gloire, en taille ou en beauté aux autres cités (au passage, on remarque que la pratique du στεφανωτικòς λόγος était une occasion propice pour s’autocélébrer devant le prince). Après avoir loué la famille, la fortune et l’éducation du prince, étaient abordées dans un second temps ses vertus cardinales : son courage, sa capacité à défendre l’Empire et à vaincre les barbares, puis ses qualités de bon gouvernant et son aptitude à faire preuve d’humanité en temps de paix. Le discours s’achevait, comme le πρεσβευτικòς λόγος, par la lecture du décret (appelé ici ψήφισμα).
13Une précision finale apportée par Ménandre est très intéressante : le discours ne devait pas excéder 150 à 200 lignes (ἔποι ou στίχοι), dont l’unité de mesure n’était pas la ligne d’un uolumen mais la longueur d’un hexamètre, soit une quinzaine de syllabes représentant trente-cinq lettres environ9 : ce qui signifie, en creux, que de tels discours pouvaient être fréquemment prononcés les uns à la suite des autres, d’où la brièveté préconisée par Ménandre, destinée à ne pas lasser l’empereur10. À nouveau, le souci propre à l’auteur du Traité ii de proposer des conseils pratiques, adaptés aux conditions d’énonciation, ressort de manière évidente.
14Ménandre consacre une bonne partie de son Traité ii à décrire les types de discours prononcés en présence de l’empereur ou de ses représentants. Or, les conseils concernant ces derniers sont mieux attestés et plus détaillés que ceux concernant le premier11, ce qui confirme à la fois les qualités et l’esprit pratique de l’auteur de ce traité. En effet, pour les lecteurs de ce manuel de rhétorique (les notables des cités de l’Orient romain), il était plus fréquent de rencontrer un gouverneur à l’occasion de sa tournée d’inspection, dans une cité ou dans la salle d’audience du praetorium de la capitale provinciale, que de rencontrer l’empereur en personne, même si le rythme et la fréquence des déplacements impériaux, durant le iiie siècle et à l’époque tétrarchique, s’étaient considérablement accrus12. Le nombre et la précision des conseils formulés par Ménandre pour ces occasions reflètent la fréquence et l’importance croissante de ces cérémonies politiques provinciales.
15Dans tous les cas, le discours devait être équilibré dans ses différentes rubriques et devait comporter des éléments d’éloge de la cité, du gouverneur, mais aussi du prince, puisque le gouverneur en était l’émanation13. Un représentant de cité pouvait prononcer un discours d’invitation (κλητικòς λόγος)14, afin d’inciter un gouverneur à rendre visite à sa cité, ou bien un discours de bienvenue et d’accueil du gouverneur lors de son entrée dans la ville (ἐπιβατήριος λόγος)15 ou de son départ (προπεμπτικὴ λαλιά)16. Le même légat de cité pouvait, dans d’autres circonstances (célébrations de concours, de cérémonies religieuses), prononcer un éloge du gouverneur (προσφωνητικός)17, parfois sous la forme d’un genre particulier appelé λαλιά (« entretien, discussion »)18.
16On soulignera à nouveau le caractère pratique et pragmatique des conseils de Ménandre le Rhéteur pour l’élaboration de tels discours. Cette large palette proposée, qui subordonne les topiques et la disposition générale des discours au contexte précis de leur énonciation, prouve que ces recettes visaient à l’efficacité et que ce genre du discours n’était pas aussi rigide dans sa formalisation que le discours au prince, le βασιλικòς λόγος, tel qu’il apparaît du moins détaillé dans le Traité i. Ces règles s’appuyaient sur deux ou trois principes simples, quelques topiques incontournables adaptés à la situation de la cité au moment du discours, qu’elle fût en crise ou prospère, ainsi qu’aux nombreuses situations d’énonciation : fête impériale célébrée à la cour, rituels politiques de la vie provinciale, etc. Aussi faut-il prendre garde à ne jamais envisager les conseils de Ménandre comme des modèles normatifs rigides destinés à être suivis aveuglément par le lecteur. À plus d’un titre, les discours d’Eumène et des autres orateurs éduens constituent des témoins précieux et reflètent bien cette diversité des pratiques rhétoriques.
Étude comparée des Panégyriques latins v(9) et viii(5) avec les vestiges de discours « d’ambassade » d’époque impériale
17À l’exception des Panégyriques latins v(9) et viii(5), aucun discours de légat municipal adressé à des empereurs n’a été conservé in extenso. Aussi, pour comparer ces textes et les sortir de leur isolement relatif, faut-il se résoudre à chercher, dans la documentation littéraire, des discours résumés et remaniés par les auteurs. Une autre approche, qui concerne la documentation épigraphique, papyrologique et juridique peut porter ses fruits. En effet, il est possible de lire en filigrane ces discours disparus dans des actes de chancellerie, en particulier les réponses impériales aux requêtes, dont le texte reprenait systématiquement, par commodité, la structure et les principaux arguments de la pétition. La démarche, qui a fait ses preuves ailleurs, vaut la peine d’être mise en œuvre, car seules les réponses impériales sont parvenues jusqu’à nous19.
Les parallèles relevés dans les sources littéraires
18Un dépouillement systématique des sources littéraires couvrant la période qui s’étend de la fin de la République au ive siècle de notre ère a nécessité des efforts importants pour des résultats modestes mais non sans intérêt. Sont seulement présentés dans les pages qui suivent les cas d’étude les mieux documentés, sans prétendre à l’exhaustivité. Le choix adopté contraint à ne pas détailler ni analyser les sources qui ne font que mentionner, sans autre précision, l’envoi d’une légation municipale auprès du pouvoir impérial20.
19Les Annales de Tacite, les Césars de Suétone, plusieurs discours d’Aelius Aristide constituent les sources littéraires les plus significatives, celles qui offrent les points de comparaisons les mieux assurés pour notre propos. De simples mentions de légations ont pu être relevées chez Dion Chrysostome, Dion Cassius (ou ce qu’il en reste à travers les excerpta de Xiphilin), Hérodien, Ammien Marcellin. Le phénomène est absent de l’Histoire Auguste, bien que le discours au style indirect soit l’un des procédés favoris de l’auteur. Quant aux abréviateurs d’époque tardive (Eutrope, Aurélius Victor, etc.), en raison même du genre dans lequel ils s’inscrivent, ils mentionnent parfois des ambassades de cité mais jamais n’en détaillent le contenu institutionnel, à plus forte raison le discours prononcé à cette occasion. Ces traces de discours de légats sont analysées dans la mesure où elles ont pu constituer des modèles concrets pour les orateurs éduens et où elles permettent de se faire une idée précise du contenu d’un πρεσβευτικòς λόγος.
Le témoignage de Tacite
20Tacite narre dans son œuvre les événements qui eurent lieu à partir d’Auguste, bien qu’il soit lui-même contemporain des Flaviens et des Antonins. Sénateur, patriote et fervent admirateur de Rome, il fut profondément marqué par la crise de l’année 68-69, dont l’origine était à chercher, selon lui, dans la politique des empereurs julio-claudiens. Ces évidences méritent d’être ici rappelées car elles demeurent des clés de lecture essentielles pour comprendre l’œuvre de cet historien21.
21Les Annales comptent six longs passages rapportant le contenu de discours d’ambassadeurs de cités « grecques », prononcés au Sénat de Rome en présence de l’empereur22. Les discours sont rapportés au style indirect et semblent extraits des archives du Sénat. Comme pour le dossier éduen, ces discours accompagnent des requêtes visant à obtenir un privilège (temple du culte impérial ; privilèges fiscaux ou juridiques) ou des aides financières (pour la reconstruction de bâtiments, de temples en particulier). Pour reprendre la terminologie établie par Jean-Pierre Coriat à propos des rescrits, ces discours peuvent être qualifiés de requêtes gracieuses par opposition à des requêtes contentieuses. Si des témoignages de requêtes contentieuses ont pu être relevés dans l’œuvre de Tacite, ils ne font l’objet d’aucune analyse car ils ne concernent pas directement notre propos23. D’un point de vue méthodologique, les discours d’ambassadeurs relevés dans les Annales doivent être étudiés avec la plus grande prudence dans la mesure où Tacite les a reproduits avec des intentions très précises : il s’agit souvent, à travers les situations décrites, de dresser le portrait du bon ou du mauvais empereur, ou encore de mettre en évidence la puissance de Rome à laquelle sont soumises d’anciennes cités prestigieuses. Le sentiment de Tacite à l’égard de ce genre de pratiques était mitigé puisque, dans un passage des Annales (iii, 63), il critique vertement ce mode de rapports directs entre l’empereur et les cités, considérant les légations comme de véritables plaies faisant perdre leur temps au prince et aux sénateurs en raison de la durée des audiences24.
• Annales, iii, 60-63
22Ce passage des Annales est extrêmement instructif et révélateur de la démarche tacitéenne : « Cependant Tibère, tout en consolidant pour lui la force du Principat (uim principatus sibi firmans), offrait au Sénat l’image des temps passés (imaginem antiquitatis senatui praebebat), en renvoyant à l’examen des sénateurs les demandes des provinces (postulata prouinciarum). » Tacite révèle ainsi d’emblée au lecteur ce qu’il doit comprendre et retenir des lignes qui suivent. Les discours d’ambassadeurs au Sénat reflètent des pratiques que le Principat a fait disparaître : ce n’est plus dans la vénérable institution mais bien devant le prince que sont traitées ces différentes affaires, même si l’assemblée des Patres gardait encore un rôle législatif important de ratification les décisions impériales25.
23Malgré cette critique formulée à l’encontre de Tibère et de son mode de gouvernement, libéral en apparence mais monarchique dans les faits, ce récit des ambassades de cités grecques venues à Rome défendre le privilège d’asylie de leurs temples offre à Tacite l’occasion d’exalter la grandeur de Rome et du peuple romain, alors maîtres de ces cités antiques et prestigieuses. Tacite exprime avec fierté et emphase cette supériorité : « Grand fut l’éclat du jour où les bienfaits (beneficia) de nos ancêtres, les pactes avec nos alliés (sociorum pacta), les décrets (decreta) même des rois qui, avant les Romains, avaient exercé la puissance, et le culte des dieux en personne furent soumis à l’examen du Sénat (introspexit), avec la liberté, comme autrefois, de confirmer ou de modifier (ut quondam, quid firmaret mutaretue). »
24Tacite rapporte les discours des ambassadeurs d’Éphèse, de Magnésie du Sipyle, d’Aphrodisias, de Stratonicée, de Hiérocésarée, de Chypre ainsi que d’autres cités et régions précisées plus loin (Smyrne, Ténos, Sardes, Milet, Crète). L’historien, non sans ironie – les Éphésiens racontent des histoires : memorantes non, ut uulgus crederet –, précise que les cités défendirent leurs droits (iura) « en plaçant leur confiance dans de vieilles superstitions ou dans des services rendus au peuple romain (multae uetustis superstitionibus aut meritis in populum Romanum fidebant) ». Il s’agit en réalité de deux topiques importants du πρεσβευτικòς λόγος. Afin de justifier son privilège, Éphèse insiste lourdement sur les mythes associés au temple (lieu d’asile) et au bois situé dans son voisinage : le légat municipal fait référence aux mythes de Diane et d’Apollon, de Latone, de Liber Pater et d’Hercule. Il invoque aussi la confirmation des privilèges par les puissances qui ont gouverné et qui ont toujours respecté le droit du temple : les Perses, les Macédoniens, les Romains. Les Magnésiens, pour leur part, préfèrent insister sur des actes officiels (constitutiones) accordés par de grands imperatores (Scipion et Sylla) en échange de services rendus durant les guerres mithridatiques, preuves de la fides constante des Magnésiens à l’égard de la cité du Latium. Même procédé de la part des légats d’Aphrodisias et de Stratonicée, deux cités qui ont reçu un privilège de César et d’Auguste en échange de services rendus à leur parti (ob uetusta in partes merita et recens diui Augusti decretum) et de leur fidélité inébranlable (nihil mutata in populum Romanum constantia). Les dieux des temples en question sont également mentionnés, car liés aux vieilles divinités romaines (Jupiter) ou aux dieux protecteurs de la dynastie julio-claudienne (Vénus, ancêtre de la gens Iulia). L’ambassadeur de Hiérocésarée invoque le même double argument, de manière équilibrée, à travers un rappel des mythes fondateurs, plus anciens (altius) que ceux d’Aphrodisias ou de Stratonicée, rappel qu’il fait suivre de la liste des confirmations de privilèges accordés par des imperatores. Les mêmes procédés enfin sont employés par les autres cités, mais leurs arguments, moins crédibles, laissent les sénateurs insensibles.
25Passés les débats, longs et lassants (quorum copia fessi patres...), les dossiers sont confiés aux consuls chargés de rédiger un rapport. Des sénatus-consultes sont ensuite adoptés, avec un souci déclaré de ménager les susceptibilités, ce que suggère l’emploi de termes honorifiques côtoyant des clauses coercitives de restrictions. Les décrets votés sont ensuite gravés sur des tables de bronze, puis affichés, pour mieux en garantir l’application, dans les lieux d’asile confirmés.
• Annales, iv, 43, 4
26Tibère reçoit au Sénat les délégations de quatre cités. Parmi elles, la cité sicilienne de Ségeste qui vient solliciter l’argent de l’État romain pour la reconstruction de son temple de Vénus Érycine, ruiné par les effets du temps. Les arguments de l’ambassadeur sont fondés sur des traditions bien connues concernant l’origine de Tibère, ses liens avec la gens Iulia et donc sa parenté avec Vénus. L’argumentation lui est agréable et le convainc. Ségeste obtient gain de cause, ce que réprouve Tacite car cette justification est insuffisante et trop fondée, selon lui, sur la flagornerie26.
• Annales, iv, 55-56
27Tibère écoute avec attention les délégués de onze cités grecques en compétition pour l’obtention d’un temple du culte impérial (néocorie).
28Tacite précise que la plupart les légats déploient la même argumentation : tous invoquent l’ancienneté de leur cité, le zèle dont les habitants ont fait preuve à l’égard de Rome, notamment à l’occasion de guerres. Les cités jugées trop faibles sont éliminées. Troie, qui s’appuie pourtant sur sa parenté avec les Romains et sur sa gloire ancienne, est écartée pour la même raison27. Certaines font valoir que leur territoire n’a jamais été touché par des tremblements de terre. Elles sont aussi évincées, tout comme d’autres jugées sérieuses mais dont la parure monumentale est estimée suffisante par les sénateurs. Notons au passage le souci affiché des pères conscrits de faire respecter un certain équilibre dans la répartition des faveurs à accorder. Finalement, ne restent plus en compétition que les légats de Sardes et de Smyrne, dont les discours sont rapportés de façon détaillée28.
29Sardes invoque d’abord son ancienneté, ses liens avec l’Italie depuis des temps reculés. Elle appuie cet argument en produisant un décret d’Étrurie qui lie les habitants de la cité, en qualité de consanguinei, avec les Etrusques, descendants, selon la légende, du roi Tyrrhenus venu de Lydie. Puis sont abordées les relations diplomatiques avec Rome : le légat rappelle les bons rapports entretenus avec les généraux romains de la République, les traités d’alliance passés contre la Macédoine. Enfin, sont énumérés les avantages de la cité : l’abondance de ses cours d’eau, la douceur de son climat, la richesse de ses terres. Il s’agit là d’un éloge de cité, pratique bien attestée plus tard dans les Traités de Ménandre le Rhéteur pour ce type de discours29.
30Smyrne, pour sa part, s’appuie sur son ancienneté et sur ses mythes de fondation (la ville aurait été créée par Tantale, Thésée ou des Amazones). L’ambassadeur insiste beaucoup sur les traités et les alliances passés avec Rome, montrant par là l’indéfectible soutien des Smyrniotes. Il cite à l’appui des titres, sur lesquels, précise Tacite, il compte le plus. Ceux-ci consistent pour l’essentiel en services rendus au peuple romain (envoi de bateaux) lors des guerres de conquête, et en Italie même. La cité a également été la première à ériger un temple en l’honneur de Rome lors des guerres puniques, à une époque où Rome n’était pas la puissance qu’elle est devenue par la suite : les Smyrniotes prouvent à l’occasion qu’ils ne sont pas opportunistes. Enfin, les habitants, pour aider Sylla, ont donné leurs propres vêtements à son armée qui hivernait, geste d’une grande valeur symbolique, source de fierté, longtemps demeuré dans la mémoire locale de la cité : il est d’ailleurs rappelé dans l’un des discours d’Aelius Aristide30.
31Finalement, le Sénat donne sa préférence à Smyrne, ce dont Tacite se félicite. Une attitude qui s’explique par le choix des arguments invoqués, Sardes ayant commis une maladresse en invoquant sa parenté avec les Etrusques, longtemps ennemis et rivaux des Romains.
• Annales, xi, 23-25
32Le passage contient le seul discours rapporté par Tacite d’un légat originaire d’une cité de la partie occidentale de l’Empire. Il concerne l’ensemble des cités de la Gaule chevelue. Une délégation gauloise composée de notables (primores Galliae désignés par les délégués de l’Ara Romae de Lyon) se rendit à Rome afin de soumettre à Claude et aux sénateurs une pétition en vue d’obtenir, pour les aristocrates gallo-romains, le droit de faire carrière à Rome, à un moment où l’empereur souhaitait élargir le recrutement du Sénat (foedera et ciuitatem Romanam iam pridem adsecuti, ius adipiscendorum in Vrbe honorum expeterent). Tacite n’a pas jugé bon, hélas, de reproduire le texte de leur requête. L’argumentation déployée se laisse néanmoins deviner à travers le discours de Claude qui a soutenu la démarche. L’argumentation s’appuie principalement sur les alliances (foedera) passées avec Rome ; sur la fidélité constante à Rome (continua inde ac fida pax) ; sur l’intégration avancée de ces peuples, tant sur les plans culturel et juridique qu’administratif (iam moribus, artibus, adfmitatibus nostris mixti, aurum et opes suas inferant potius quam separati habeant) ; sur des titres anciens (fratres populi Romani, pour les seuls Éduens). Claude, malgré son plaidoyer, ne put emporter l’adhésion des sénateurs et l’accès au Sénat fut autorisé non pas à l’ensemble des notables des cités des Trois Gaules, mais seulement aux Éduens parce que ces derniers étaient d’anciens alliés, détenteurs du titre de frères du peuple romain (primi Aedui senatorum in Vrbe ius adepti sunt. Datum id foederi antiquo et quia soli Gallorum fraternitatis nomen cum populo Romano usurpant)31.
• Annales, xii, 58
33Néron, peu après son adoption par Claude, est chargé d’effectuer ses premières armes au Sénat par un plaidoyer en faveur d’Ilion, laquelle cherche à obtenir une remise complète de ses arriérés d’impôts32. Cette affaire lui est confiée, afin qu’il brille par des occupations honorables (studiis honestis) et par la gloire de l’éloquence (eloquentiae gloria). Le jeune Néron rappelle avec aisance (facunde), comme attendu, l’origine troyenne des Romains (Romanum Troia demissum), les liens d’Énée avec la gens Iulia et d’autres traditions proches de la fable (procul fabulis), précise Tacite non sans ironie. Les Troyens obtiennent une exemption complète (omni publico munere soluerentur) grâce à son intervention. Dans la foulée, Néron plaide la cause d’autres cités, liées à sa famille : les délégués de Bologne reçoivent ainsi une somme importante (largitio) pour reconstruire leur cité incendiée ; ceux de Rhodes bénéficient du privilège de libertas, en dépit de leur versatilité, dénoncée par Tacite. Quant aux habitants d’Apamée, ils se voient accorder une remise de tribut (tributum remissum) à la suite d’un tremblement de terre.
• Annales, xii, 61-63
34Dans le cadre de débats au Sénat concernant les pouvoirs accordés aux membres de l’ordre équestre chargés de représenter le prince, Claude reçoit tour à tour une délégation de Cos et de Byzance. L’empereur en personne prononce le plaidoyer en faveur de Cos, à la place des ambassadeurs33, en s’appuyant sur trois arguments : la cité est ancienne (il parle de son antiquitas) ; les Argiens ou bien Coeus, père de Latone, ont résidé les premiers dans l’île avant qu’Esculape ne s’y installe, apportant son art avec lui, pratiqué par ses descendants ; la cité mérite cette faveur car elle a donné à l’empereur un bon médecin, Caius Stertinius Xenophon, dont la famille remonte au dieu de la médecine34. En tant que terre sacrée, vouée à Esculape, la cité reçoit des sénateurs l’immunité (omni tributo uacui in posterum). Tacite critique vertement cette argumentation fondée sur le passé glorieux de la cité (multaque super antiquitate eorum memorauit) et qui néglige le rappel des services rendus à Rome, seul argument décisif à ses yeux. Au fond, dans cette affaire, Claude n’a fait qu’accorder une faveur personnelle sans la masquer, sous la pression de Xénophon (precibus eius). Et c’est là que réside le scandale.
35Le même jour, les sénateurs autorisent les délégués de Byzance à prendre la parole35. At Byzantini marque l’opposition de leur discours avec celui de Claude. La phrase « Au contraire, les Byzantins... » signifie pour Tacite que ces derniers ont respecté le protocole et les pratiques traditionnelles, ont invoqué le droit alors que Claude s’était laissé convaincre par les discours et l’influence de son médecin personnel. Les délégués byzantins, qui implorent les sénateurs de leur accorder une remise d’impôt, la justifient en énumérant des titres (cuncta copia) et des liens noués avec Rome, sans jamais évoquer leur ancienneté ni leur fondation. Ils s’appuient sur le traité (foedus) conclu au temps du PseudoPhilippe, roi de Macédoine ; les troupes fournies lors des guerres contre Antiochos (missas copias), Persée, Aristonicos de Pergame ; l’aide (adiutum) apportée à Antonius contre les pirates ; les secours fournis à Sylla, Lucullus, Pompée ; la fourniture récente de moyens de transport et de ravitaillement (mox recentia in Caesares merita et, plus tard, évocation d’une guerre récente, bello recens) à l’armée lors d’opérations militaires de grande ampleur. À ce point, Tacite, après avoir insisté sur ces mérites et l’importance du vocabulaire relatif à l’aide (adiutum, mérita), insère une description de la cité, selon des rubriques caractéristiques d’un elogium ciuitatis telles qu’elles apparaissent fixées dans les traités de rhétorique postérieurs et chez Quintilien : site et situation (utilitatis locorum) ; anecdote historique liée à sa fondation, avantages et richesses (fertili solo, fecundo mari... Vnde primo quaestuosi et opulenti...) ; charges présentes qui accablent la cité (magnitudine onerum urgente). Finalement, les Byzantins, grâce à l’appui du prince (adnitente principe), reçoivent du Sénat une remise de l’arriéré des cinq dernières années d’impôts (ita tributa in quinquennium remissa). Au passage, la situation des Byzantins semble très proche, aussi bien du point de vue du problème fiscal qu’ils rencontrent que de la procédure adoptée, de celle rapportée dans le Panégyrique latin viii(5).
Suétone, Claude, 25
36Les Vies des douze Césars offrent également, à plusieurs reprises, des indications intéressantes sur la manière dont les princes julio-claudiens et leurs successeurs ont pu administrer les provinces et les cités. Les mentions d’ambassades de cités sont rares, à l’exception d’un passage où transparaît clairement un discours d’ambassade. Dans cet extrait précis, qui recoupe un passage de Tacite (Annales, xii, 61-63), aucune critique des ambassades ni même de l’empereur (Néron au temps de Claude) ne peut être mise en évidence. Il est question pour Claude d’exempter de tout impôt les Troyens, sur la foi de deux arguments. D’abord, parce qu’ils sont les ancêtres (auctores) des Romains et donc de même sang (consanguineos suos Ilienses). Ensuite, parce que les rois hellénistiques leur ont déjà accordé ce privilège à titre officiel (epistula), avec l’appui des Romains, en s’appuyant sur le même argument (recitata uetere epistula Graeca senatus populique Romani Seleuco regi amicitiam et societatem ita demum pollicentis)36. Plus loin, Suétone rapporte que Claude s’engagea à reconstruire le temple de Vénus Érycine sur des fonds pris sur la caisse du peuple romain, certainement à la suite d’une demande des habitants de la cité où se trouvait le temple, en vertu du fait que Vénus était l’ancêtre des Romains et des Iulii37. De nouveau apparaît l’invocation de l’ancienneté des rapports, mythiques et historiques, à l’appui d’une demande de privilège, en l’occurrence une remise d’impôts.
37Quelques réflexions s’imposent ici. L’analyse de ces extraits démontre qu’à l’époque de Tacite et de Suétone (et très certainement un siècle avant eux), le discours d’ambassade s’était constitué en genre spécifique, dans le nouveau contexte politique engendré par la mise en place du Principat. Ce genre semble s’être élaboré de manière très pragmatique, puisqu’il n’est mentionné par aucun des théoriciens de la rhétorique avant le iie siècle. Les extraits relevés permettent de souligner le rôle joué par les ambassadeurs dans son invention, notables cultivés et souvent fins orateurs, médiateurs avisés entre le monde provincial et le gouvernement central de Rome. Aussi, il semble que dès le ier siècle de notre ère, un plan type associé à des topiques se soit progressivement mis en place. Ces topiques étaient fondés en partie sur l’éloge de la cité (éloge du passé mythique ou historique, parfois de son territoire), en partie sur ses mérites à l’égard de Rome (insistance sur les liens et la fidélité au peuple romain, aux imperatores du passé et aux empereurs présents). En revanche, dans ces discours, ne figure aucun éloge détaillé des empereurs comparable à ceux prononcés par les orateurs éduens de la fin du iiie siècle.
La lettre pour Smyrne d’Aelius Aristide (Or. xix, éd. B. Keil)
38La lettre d’Aelius Aristide offre un autre parallèle intéressant susceptible d’éclairer la structure et le contenu des discours d’Autun. Elle concerne le tremblement de terre qui détruisit Smyrne en 177. Le lendemain même de la catastrophe, Aelius Aristide, alors dans son domaine de Laneion, écrivit spontanément à Marc Aurèle et à Lucius Vérus pour qu’ils assurent la reconstruction partielle de la cité grâce aux subsides impériaux.
39Ce texte, même s’il se trouva dès l’Antiquité rangé parmi les discours d’Aelius Aristide, n’est pas à proprement parler un discours : il s’agit en réalité d’une lettre lue devanr Marc Aurèle38. Elle fut écrite et envoyée à titre privé, Aelius Aristide n’étant alors pas officiellement la voix de sa cité, à l’image de Stertinius Xenophon évoqué plus haut, puisqu’il n’avait pas été désigné représentant officiel par les bouleutes, comme il le précise au paragraphe 6. Il s’était, en raison de sa renommée et de sa proximité avec les empereurs, érigé spontanément en porte-parole de sa cité, à un moment où les institutions officielles se trouvaient paralysées.
40Dans cet appel à l’aide, il apparaît qu’Aelius Aristide a composé sa requête selon les règles des pétitions écrites et des discours de légats : les topiques employés, la structure adoptée le laissent penser. Le texte est donc d’autant plus précieux qu’il est de première main et au style direct.
41La lettre se compose ainsi : le premier paragraphe est un appel à l’aide, suivi d’une évocation des liens entretenus par la cité avec les empereurs régnants, Marc Aurèle et Commode (§ 2-5). Dans les paragraphes suivants (§ 6-8), Aelius détaille sa propre peine et son comportement face à la catastrophe, puis souligne la puissance et le pouvoir des empereurs (§ 9-10). La générosité originelle de Smyrne est ensuite évoquée (§ 11-12). La fin de la lettre réitère l’appel à l’aide et résume une dernière fois la description des malheurs (§ 13-14).
42Dans le détail, Aelius Aristide use de procédés et de lieux communs attendus dans ce contexte. Apparaît ainsi l’image de la cité sous la forme d’une allégorie qui tend la main (§1), qui fonctionne comme un être animé (§ 23) et demande à être relevée. Cette image se trouve associée à l’idée que la requête adressée au prince est comparable à la prière adressée à une divinité (§ 5 et 7). Aelius Aristide s’étend sur le contraste entre le passé brillant de la cité, qui devait sa fortune aux dieux et aux faveurs des Romains, et son état lamentable au lendemain de la catastrophe (§ 1 et 3). Le caractère tragique de la situation est souligné par le recours à une méditation sur la fortune et par l’entretien du souvenir de ce joyau de l’Asie (§ 2). Aelius Aristide a alors recours à une description contrastée du souvenir de la fête (θεοξένια) en l’honneur de la venue des princes (§ 2), qu’il oppose à la vision des ruines d’une cité réduite à un amoncellement de poussière et de gravats, sépultures dramatiques des victimes ensevelies (§ 23).
43Afin d’appuyer sa demande, Aelius Aristide rappelle avec force les liens tissés par les Smyrniotes avec l’empereur, resserrés lors d’une récente visite, et ceux entretenus avec Rome depuis des temps immémoriaux, depuis en particulier l’époque d’Aristonicus et de Sylla (évocation du don par les Smyrniotes de leurs propres vêtements à l’armée romaine), preuves de leur fidélité sans faille (§ 1, 2 et 11-13). Aelius Aristide, qui évoque les origines mythiques de Smyrne (§ 4), insiste sur la piété de la cité à l’égard de Rome et des autres cités d’Asie, qui ont bénéficié à plusieurs reprises de son aide magnanime (§ 12). Il souligne les émotions engendrées par ce malheur (émotions personnelles d’Aelius Aristide, de ses contemporains, de l’empereur). Dans cette lettre pleine d’éloquence épidictique, jamais l’éloge n’apparaît cependant comme une pratique en soi : la cité est louée selon le propos (évocation des titres au § 1 : τò τῆς Ἀσίας ἄγαλμα ; de la parure urbaine au § 3), de même que l’empereur est présenté à la fois comme un maître bienveillant, un réparateur des maux de la nature, un nouveau fondateur de la cité (§ 4), un évergète d’exception (§ 8 et 10) surclassant ses prédécesseurs et même les fondateurs mythiques (§ 4). Au point que le monument qui conservera la gloire de cet acte de restauration se trouve être la ville tout entière (§ 8). Pour Aelius Aristide d’ailleurs, la seule annonce d’une visite future de l’empereur en garantit le salut (§ 9).
44Cette présentation rapide de la structure et des topiques employés par Aelius Aristide appelle plusieurs remarques. L’analyse fait ressortir un plan fondé sur l’amplification et le contraste entre la situation brillante de Smyrne avant le séisme et sa situation déplorable au lendemain de la catastrophe. L’orateur fait ainsi l’éloge de la ville, des mérites de sa cité, du prince à travers l’évocation des rapports que Smyrne entretient depuis des générations avec les Romains. Par conséquent, même si le texte d’Aelius Aristide s’écarte sur deux points des discours éduens en raison de sa nature (c’est une lettre) et du statut de son auteur (grand notable qui s’adresse aux empereurs à titre privé, sans passer par les procédures institutionnelles classiques), il ressemble sur bien d’autres points aux discours éduens des années 295-310. Rien de surprenant à cela, si l’on garde à l’esprit qu’Aelius Aristide était l’un des représentants les plus éminents de la Seconde sophistique. La lettre rédigée à titre personnel trahit sa formation et ses qualités de rhéteur capable de composer une lettre originale fondée sur la trame et les topiques du discours dit « d’ambassadeur ». Aussi, ce document, connu dans son intégralité, même s’il a pu subir quelques retouches avant sa mise par écrit, constitue l’une des sources les plus pertinentes pour éclairer les discours éduens, en raison des nombreux rapprochements, sur le fond et sur la forme, qui lient les deux dossiers documentaires.
Les traces de discours « d’ambassade » dans les sources épigraphiques et juridiques
Deux exemples relevés dans le Digeste
45Dans le Digeste, deux textes relatifs aux privilèges de cités d’Orient (Tyr et Troie) peuvent être versés au dossier. Ces règlements juridiques, plus ou moins remaniés par la commission chargée d’élaborer le Code Justinien, étaient très probablement des rescrits, c’est-à-dire des réponses impériales à une pétition émanant des autorités municipales des deux cités concernées. Comme il était d’usage, les membres de la chancellerie ont repris dans le rescrit, de manière résumée et condensée, l’argumentation des délégués de la cité.
46Le premier exemple concerne la cité de Tyr au début du iiie siècle, au temps du juriste Ulpien :
Digeste, l, 15, 1
Sont attestées des colonies de droit italique en Syrie Phénicie comme la très splendide colonie de Tyr, d’où je suis originaire, noble par les régions qui la composent, très antique en raison de ses siècles d’histoire, toute puissante, très attachée au traité qu’elle conclut avec les Romains. Car le divin Sévère et notre empereur régnant également lui ont donné le droit italique pour sa loyauté remarquable (insignem) envers l’État et l’Empire romain. Mais il y a aussi dans la même province, la colonie de Beyrouth, favorisée par les bienfaits d’Auguste et (comme l’avait dit le divin Hadrien dans un de ses discours) la colonie d’Auguste (Augustana) par excellence, qui a le droit italique. C’est encore la cité d’Héliopolis qui, à l’occasion de la guerre civile, a reçu du divin Sévère le statut de colonie italique. Et c’est aussi le cas de la colonie de Laodicée en Syrie Creuse, à qui le divin Sévère concéda le droit italique en raison de ses mérites au cours des guerres civiles39. (Traduction dans C. Badel, X. Loriot dir., Sources d’histoire romaine : ier siècle av. J.-C.-début du ve siècle apr. J.-C., Paris, 1993, p. 319, modifiée.)
47Ulpien s’étend ici sur les titres accordés à cette cité qui était par ailleurs sa propre patria. Il est remarquable que le texte ait été repris dans son intégralité par les compilateurs du Code Justinien, alors qu’on aurait pu s’attendre à des coupes franches de certains passages (en particulier la liste des cités érigées au rang de colonies ou encore la série de qualificatifs élogieux rattachés à Tyr40).
48La cité de Tyr a obtenu le rang convoité de colonia au cours du règne de l’empereur Septime Sévère (décédé et divinisé au moment de la rédaction du texte, à placer en 213 exactement). Le passage est intéressant car il constitue un éloge en bonne et due forme des mérites de la cité de Tyr. Construit en quatre temps, il a été placé avant la mention du statut de colonia, comme pour le justifier. D’après la disposition des rubriques et le contexte de l’affaire, on peut supposer qu’il s’agit là d’un résumé des arguments figurant dans un discours ou une pétition écrite de plus grande ampleur, présentée en audience ou envoyée à la chancellerie impériale pour obtenir ce statut de colonia. Au regard de l’importance de l’affaire, une audience devant l’empereur, à Rome ou bien à Tyr même à l’occasion d’un des séjours de Septime Sévère en Orient, paraît la solution la plus probable41. Ulpien lui-même, familier du prince, a dû jouer un rôle d’intercesseur actif42. Les éléments de l’éloge de Tyr, à considérer comme des arguments, sont les suivants :
nobilis regionibus (formule qui concerne l’éloge du territoire qui compose la cité de Tyr) : le territoire se compose de « régions » qui rendent la cité nobilis, noble. Cette expression souligne la richesse et la variété du territoire de la cité, qui lui apporte prospérité, richesses, agrément. C’est ainsi qu’il faut entendre le terme regionibus à l’ablatif43.
serie saeculorum antiquissima (formule qui concerne l’éloge de l’histoire de la ville) : Tyr est très ancienne, ce qu’exprime cette expression redondante. Son histoire s’étend sur des siècles et remonte à la nuit des temps. On aurait pu s’attendre, dans ce passage, à des détails plus précis sur l’histoire mythique et réelle de la cité, bien attestée dans son monnayage ou d’autres sources44. Il faut se contenter de cette expression très ramassée.
armipotens (formule qui garde le souvenir d’un fait historique – la résistance aux armées d’Alexandre lors du siège de la ville – et, d’une manière générale, qui exalte la capacité militaire et la puissance de la cité) : ce point peut paraître incongru à l’époque impériale où les cités étaient devenues quasiment inermes et avaient perdu le rôle militaire quelles avaient aux époques classique et hellénistique. Cet adjectif rappelle la puissance militaire à la veille de l’intégration dans l’Empire : les Tyriens s’étaient distingués en effet pour leur vaillance militaire du temps de Nabuchodonosor ou d’Alexandre45. Dans le contexte des années 190 de notre ère, certaines cités, en prenant parti pour Septime Sévère ou Pescennius Niger lors des guerres civiles, ont pu jouer un rôle important de point d’appui ou de soutien logistique. Dion Cassius (lxxiv [lxxv], 6, 4-6), évoquant cette lutte, compare les villes engagées dans le conflit à des camps (τῶν πόλεων ὡς ἀπó στρατοπέδων), pour décrire le rôle joué par Nicomédie et Nicée. Dans ce passage, les Tyriens font probablement allusion à leur participation active au conflit, aux côtés de Septime Sévère.
foederis quod cum Romanis percussit tenacissima (formule qui loue l’ancienneté de la fidélité de Tyr envers les Romains) : cette fidélité est garantie par un foedus antiquum respecté par la cité avec constance46. Il est intéressant de noter qu’au début du iiie siècle, le foedus d’époque républicaine gardait tout son prestige47.
49Le second texte juridique concerne une cité déjà évoquée par Tacite et Suétone : il s’agit d’Ilion, l’antique Troie. La cité a obtenu d’Antonin le Pieux la confirmation et l’octroi de nouveaux privilèges, en s’appuyant sur des arguments qui forment sommairement un éloge de la cité. Voici le texte du rescrit promulgué par cet empereur :
Digeste, xxvii, i, 17, 1 (Troie).
Depuis les temps anciens, en vertu des sénatus-consultes et des constitutions des princes, les citoyens d’Ilion en raison de l’illustre noblesse de leur cité et de leur origine commune avec les Romains, sont pleinement exempts des tutelles dans les affaires de pupilles qui ne sont pas citoyens d’Ilion. Le divin (Antonin le) Pieux a tranché l’affaire par rescrit48.
50La communauté civique a ainsi obtenu des privilèges pour plusieurs de ses citoyens parce qu’elle possédait des garanties juridiques anciennes du Sénat et des empereurs, mais aussi parce qu’elle était noble et liée aux Romains. L’allusion n’est pas explicite mais renvoie clairement aux liens généalogiques mythiques qui se rapportent à l’histoire d’Énée et d’Ascagne-Iule. L’argumentaire valait encore sous Antonin le Pieux qui, à l’inverse des Julio-Claudiens attachés à leur origine divine, aurait pu être moins sensible à ce genre de propos.
51À travers ces exemples puisés dans des textes de nature différente, issus de régions diverses, écrits dans des langues variées, ressortent des thèmes et des lieux communs caractéristiques du πρεσβευτικòς λόγος. Certains d’entre eux peuvent être observés sur les inscriptions.
Le témoignage des inscriptions
52Si les inscriptions grecques et latines des ier-ive siècles conservent de nombreuses traces de discours de légats municipaux, cette documentation comporte des limites. Le principal obstacle réside dans l’extrême brièveté des textes. Aucun d’entre eux, en effet, n’a été reproduit in extenso et il faut en reconstituer le canevas et le contenu à partir des rescrits des empereurs qui avaient force de loi et qui, pour cette raison, ont été jugés dignes d’être gravés par les autorités de la cité. Or, ces réponses reprenaient souvent, de manière résumée mais dans l’ordre d’exposition, le plan ainsi que les principaux points de la pétition.
53Dans l’analyse des dossiers proposés ici l’exhaustivité n’est pas de mise, afin de ne pas allonger inutilement le chapitre. Le panorama, fondé sur une documentation épigraphique sélectionnée, vise à présenter les sources les plus développées et les plus significatives, autrement dit celles qui sont le plus susceptibles d’éclairer les Panégyriques latins v(9) et viii(5). Dans cette masse documentaire, trois dossiers en particulier ont retenu l’attention : celui, fort célèbre, des inscriptions du théâtre d’Aphrodisias, qui reproduit des inscriptions gravées entre le ier siècle avant et le iiie siècle de notre ère ; celui qui témoigne des rivalités entre Nicomédie et Nicée à l’époque sévérienne ; celui, enfin, de la bourgade d’Orcistos, érigée au rang de cité sous Constantin, à la fin des années 32049.
• Le dossier épigraphique du mur du théâtre d’Aphrodisias (du ier siècle avant notre ère au iiie siècle de notre ère)
54Le dossier épigraphique d’Aphrodisias, exceptionnel par son ampleur, permet d’un point de vue chronologique d’opérer un lien entre l’époque de Tacite et celle des orateurs éduens, dans la mesure où les inscriptions ont été gravées de manière ininterrompue entre le ier siècle avant et le milieu du iiie siècle après notre ère. Il s’agit de rescrits impériaux affichés et archivés sur le mur du théâtre de la ville50. Ces textes officiels répondent à des requêtes de la cité concernant les privilèges attachés à son statut de cité libre51, sous la forme de réponses codifiées de la chancellerie impériale à des pétitions transmises par des représentants de la cité. Les lettres reprennent en quelques lignes ou en quelques mots l’argumentation du discours prononcé par les légats municipaux, procédé repérable également dans la Table de Banasa ou dans l’inscription d’Orcistos par exemple52. En bref, pour emprunter une expression de Denis Feissel, dans ces textes épigraphiques « le dispositif laisse apercevoir, comme en filigrane, la pétition sous-jacente53 ».
55Sont ici passées en revue les inscriptions les plus pertinentes pour notre objet d’étude, selon la numérotation établie par Joyce Reynolds dans son ouvrage Aphrodisias and Rome. Aphrodisias reçoit une des premières confirmations de ses privilèges des mains d’Octave car elle a montré du zèle à l’égard des Romains : περὶ τῆς τοῦ δήμου τοῦ Ῥωμαίων ἡγεμονίας πλείστην σπουδήν, et parce qu’elle est attachée à son parti : μάλιστα τοῖς ἡμετέροις μέρεσιν προγενόμενοι (inscription no 7, à rapprocher du discours d’Octave à Alexandrie rapporté par Plutarque54). Octave accorde à une date ultérieure des privilèges à la cité en raison de son amitié envers les Romains (mention de la φιλία) ainsi que de sa bienveillance (εὔνοια). A plusieurs reprises sont rappelés les traités passés avec Rome (inscription no 8). Auguste, dans une lettre adressée aux Samiens puis affichée à Aphrodisias, répond à la demande des premiers d’obtenir le statut de cité libre. L’empereur, bien que d’autant plus favorable à leur requête que sa propre épouse a intercédé en leur faveur, affirme qu’il ne peut rompre avec ses habitudes, soulignant qu’un tel privilège ne peut être accordé sans de bonnes raisons (χωρὶς αἰτίας εὐλóγου). Car si les Aphrodisiens l’ont obtenu, c’est en raison de leur engagement militaire à ses côtés, engagement qui a attiré « l’orage sur eux » à l’occasion des guerres civiles : ἐν τῷ πολέμῳ τὰ ἐμὰ φρονήσας δοριάλωτος διὰ τὴν πρòς ἡμᾶς εὔνοιαν ἐγένετο (inscription no 13)55.
56Deux siècles plus tard, Septime Sévère et Caracalla confirment les privilèges des Aphrodisiens qui, au lendemain de la campagne parthique de 198, ont fait preuve de piété, de dévouement (εὐσέβεια) envers les princes, en organisant avec leurs voisins des jeux pour célébrer la victoire et l’accession de Caracalla à l’Augustat (inscription no 17). En échange, le jeune prince confirme le maintien des privilèges de la cité en invoquant la déesse qui en est la patronne, c’està-dire Vénus-Aphrodite, l’ancêtre des Romains par Énée (inscription no 18).
57Les mêmes arguments, développés avec soin, apparaissent dans un rescrit de Gordien III (238-244) et un autre de Trajan Dèce (249-251). La lettre de Gordien III a été rédigée en 239 (inscription no 20), sans qu’il soit possible de déterminer précisément le lieu où se sont rendus les légats pour rencontrer l’empereur56. L’argumentation pour justifier le maintien des privilèges s’articule autour de trois idées simples : Aphrodisias a des origines anciennes (ἀρχαιότης), elle fait preuve de bon égard (εὔνοια) et d’amitié (φιλία) vis-àvis du peuple romain et de dévotion (εὐσέβεια) envers l’empereur, comme en témoigne le décret municipal (ψήφισμα) qui lui a été envoyé. La lettre de Trajan Dèce, datée de l’année 250, ressemble à la précédente par sa structure et la complète sur certains points (inscription no 25). C’est une réponse à un décret honorifique de félicitations envoyé par la cité au moment de l’accession de ce prince au pouvoir57. Trajan Dèce confirme les privilèges de la cité pour les raisons suivantes : elle est patronnée par la déesse Vénus (διά τὴν ἐπώνυμον τῆς πόλεως θεòν), elle entretient de bonnes relations avec les Romains (διὰ τὴν πρòς Ῥωμαίους οἰκειότητα), elle est fidèle (τε καὶ πίστιν) et a accompli les sacrifices attendus lors de l’avènement de l’empereur58. Citons enfin l’inscription d’une base de statue du démos de la cité qui loue les Aphrodisiens pour leur alliance avec les Romains (σύμμαχος Ῥωμαίων) et leur dévotion envers les empereurs (φιλοσέβαστος) (inscription no 43).
58C’est ainsi qu’Aphrodisias, aussi longtemps qu’elle disposa des privilèges étendus d’une cité libre, ne cessa d’envoyer des ambassadeurs auprès des empereurs, pour confirmer et même étendre, si le contexte s’y prêtait, ces mêmes privilèges. L’argumentation déployée, constante dans ses grandes lignes, s’organise autour de trois idées majeures : autour de l’éloge de la cité, de son passé mythique et historique, en insistant sur la déesse poliade, Aphrodite ; autour des liens d’alliance et d’amitié avec les Romains ; enfin, autour des rapports étroits et personnels entretenus avec les empereurs régnants. Autant de rubriques déjà observées dans le reste de la documentation, en particulier dans les discours d’Eumène et de l’Anonyme de 31159.
• Inscriptions de Nicomédie et de Nicée (époque sévérienne)
59Une inscription de Nicée de l’année 201, dédicace d’une statue en l’honneur de Plautille, fille du préfet du prétoire Plautien et épouse de Caracalla, entre, semble-t-il, dans la catégorie des inscriptions où apparaît résumé un discours de représentant de cité60. La base a été dédiée par les autorités de la cité de Nicée, à l’occasion de la visite de la famille impériale dans le courant de l’année 20161. Une lecture attentive du texte montre que l’éloge honore autant Plautille que la cité des Nicéens, qualifiée de λαμπρoτάτη et μεγίστη, de φίλη, de σύμμαχος, πιστὴ τῷ δήμῳ τῷ Ῥομαίων et ἐκ προγόνων οἰκεία τῷ οἴκῳ τῶν Αὐτοκρατόρων, et enfin d’Aὐρηλιαvή, Ἀντωνινιανὴ εὐσεβεστάτη.
60L’inscription trouve sa place dans le dossier étudié si l’on considère, d’une part, la personne honorée ainsi que le contexte historique précis et, d’autre part, l’agencement des mots et des expressions composant cet éloge. En effet, Nicée, pour s’être rangée aux côtés de Pescennius Niger, fut, comme Byzance, punie par Septime Sévère qui la priva de ses titres et même provisoirement de son statut civique62. L’inscription prouve qu’en 201 ce statut avait été rétabli mais de manière incomplète, puisque ne figurent pas dans la titulature officielle tous les privilèges et titres du passé. L’inscription honore Plautille, fille du préfet du prétoire et fiancée de Caracalla. À ce titre, elle a pu jouer un rôle direct dans ce retour en grâce, tant auprès de son futur mari que de son beau-père. Caracalla a assuré pour sa part un rôle actif puisque la cité a fait ajouter son nom aux épithètes de la titulature civique. C’est donc dans ce contexte de retour en grâce, souhaité par les Nicéens, obtenu grâce au soutien et à la médiation de Caracalla, que le document doit être relu.
61Si l’on s’intéresse maintenant à l’ordre des mots et des expressions, la cité a, semble-t-il, fait son éloge, ou plutôt l’éloge de ses mérites, pour mieux justifier et étaler au regard de tous son retour en grâce et son rang retrouvé. Louis Robert avait bien noté que ce n’était pas la titulature canonique de la cité qui était présentée là, comparable à celle que les autorités faisaient figurer sur les monnaies63. En réalité, l’ordre des mots suit les étapes de la procédure qui est à l’origine de ce rétablissement. L’argumentation – car c’est de cela dont il s’agit – s’articule autour d’un éloge en trois temps, suivi d’une série d’épithètes précédant le nom de la cité au nominatif, acteur de la dédicace qui remercie la personne à l’origine de ce retour en grâce. Dans le détail, l’argumentation se compose d’un éloge de la cité elle-même (brillante et grande), d’une présentation des titres anciens quelle peut faire prévaloir (amie et alliée des Romains) et d’un éloge de sa fidélité envers le peuple romain et la maison impériale, qui reflète et prolonge dans le présent les anciens titres d’« amie » et d’« alliée ». En raison de ces grands mérites, les empereurs (la famille des Sévères en réalité) lui ont rendu son statut et sa dignité de πόλις ; en retour, pour les honorer, les notables nicéens font ajouter à la titulature de leur ville, à la suite d’une décision officielle, de nouvelles épithètes tirées du nom du nouveau fondateur, Caracalla. Par ce biais la cité réaffirme son allégeance et sa piété (ευσέβεια). On peut ainsi lire en filigrane la procédure à travers ce texte : la pétition avec son contenu (discours d’ambassade ?), le rôle joué par de puissants protecteurs, la réponse positive des empereurs (Nicée se présente officiellement comme une πόλις) suivie de remerciements. La procédure est proche, même si le contexte de l’affaire est différent, de celle rapportée par fauteur du Panégyrique latin de 311 : démarche auprès du pouvoir alors que la cité se trouve en difficulté, obtention d’un privilège qui maintient la dignitas de la cité en raison de sapietas à l’égard des princes, remerciements et honneurs officiels, enfin, adressés par la cité à l’empereur, aboutissant à l’ajout dans sa titulature officielle de l’épithète Flauia.
62On peut ajouter à ce dossier plusieurs documents signalés par Louis Robert. Nicomédie, la grande rivale de Nicée, reçut des titres et de nouveaux privilèges en récompense de sa fidélité à l’égard de Septime Sévère, peu après la défaite de Pescennius Niger, probablement à la suite de demandes acceptées par le pouvoir. Dans cette perspective, le sens des expressions figurant sur une base de statue en l’honneur de l’Augusta Julia Domna s’éclaire d’un jour nouveau64. Nicomédie est qualifiée de μεγίστη μητρόπολις καὶ πρώτη Βειθυνίας τε καὶ Πόντου, puis Ἁδριανή, Σεουηριανή et enfin δίς νεωκόρος. Vient ensuite le nom de la cité. À cet emplacement, contrairement à l’inscription de Nicée, apparaît la titulature officielle et canonique de la cité. C’est dans un second temps que figurent d’autres qualificatifs et expressions qui s’ajoutent aux précédents comme pour mieux les justifier sur un plan moral et historique. Si la cité possède tous ces titres, c’est parce qu’elle est ἱερὰ καὶ ἄσυλος, φίλη, πιστὴ καὶ σύμμαχος ἄνωθε τῷ δήμῳ τῶν Ῥομαίων. Ainsi, même s’il n’est pas structuré de la même manière, le texte de la dédicace de Nicomédie semble répondre à celui de Nicée, dans une joute verbale propice à la surenchère. Dans les deux textes sont honorées deux femmes de la famille impériale, dans un même contexte, pour des motifs proches. Le rang des bénéficiaires de l’éloge permet de déceler une différence statutaire et honorifique entre les deux cités. Nicée a retrouvé son statut, non ses titres ; elle est « seulement » patronnée par la jeune génération de la domus Augusta, en la personne de l’Auguste Caracalla et de Plautille, destinée à devenir son épouse. Nicomédie, elle, demeure la grande gagnante de l’affaire : elle a accru son prestige et ses titres. Elle porte le nom de l’empereur senior et honore l’impératrice-mère. Dans cette inscription, les titres annoncés au début de l’inscription semblent justifiés par la liste de vertus qui suit, liste qui s’apparente à une série d’arguments repris dans cet ordre par les représentants de la cité pour solliciter Septime Sévère de les leur accorder. On mesure ici l’importance accordée à l’histoire ancienne et au passé récent dans ce jeu des relations entre les cités et l’empereur65. La fidélité des Nicomédiens dans cette affaire était indiscutable et il était devenu impossible, pour les princes de la famille sévérienne, de ne pas accéder à leur demande.
63On arrêtera là le catalogue et on renverra à la lecture des travaux de Louis Robert, qui fournit dans un article de nombreux autres parallèles, notamment une liste des inscriptions où une cité se dit alliée ou amie des Romains66. Georgos Souris et Christopher Jones ont commenté également des inscriptions grecques dont le formulaire et le contenu peuvent être rapprochés de celui des discours d’Autun67. Pour terminer, il faut rappeler que ces expressions épigraphiques employées comme des arguments sont proches dans leur formulation de celles utilisées à la même époque par les délégués d’Aphrodisias. On retrouve la série des trois topiques : éloge de la cité, liens avec Rome, liens avec la dynastie régnante. On mesure enfin combien la titulature de la cité nourrissait les arguments invoqués dans le dialogue engagé avec les autorités romaines.
• L’inscription d’Orcistos (époque constantinienne)
64À la suite de l’édition critique, traduction et commentaire d’André Chastagnol, le dossier épigraphique d’Orcistos, connu depuis la fin du xixe siècle, a fait l’objet de deux articles récents, l’un par François Jacques, l’autre par Denis Feissel68. L’intérêt du dossier est double : il est postérieur à celui des Panégyriques latins, écrit dans la même langue et il demeure complet, offrant ainsi un bel exemple de pétition écrite.
65L’inscription reproduit quatre lettres officielles gravées sur une même pierre aujourd’hui brisée. Elle reproduit plusieurs textes extraits de la correspondance entretenue entre la cité phrygienne d’Orcistos et la chancellerie provinciale et impériale durant les années 324-331. La procédure reflète bien les mécanismes administratifs de ce temps, depuis la requête formulée par la cité, transmise à la chancellerie impériale en passant par les bureaux du préfet du prétoire. À l’origine de la pétition des Orcistains se trouvait leur désir de retrouver le statut de ciuitas, de communauté civique autonome, perdu à une date indéterminée, afin de sortir de la dépendance dans laquelle ils se trouvaient vis-à-vis de la cité de Nacoleia située à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest, sur le plateau anatolien.
66Seul le début de la pétition a traversé les siècles, le reste ayant disparu ou n’ayant jamais été gravé en intégralité, faute de place ou parce que cela n’avait pas été jugé utile par les autorités municipales. En revanche, comme dans les inscriptions analysées plus haut, la lettre impériale reprend les arguments des Orcistains pour justifier l’octroi du « privilège de liberté ». De ce qu’il reste de la pétition (panneau ii, côté droit du pilier), il ressort que la demande commençait par un appel à l’aide et une adresse aux empereurs présentée sous la forme d’un bref éloge accompagnant la titulature. Puis était formulée l’idée qu’Orcistos était un oppidum fort ancien (uetustissimum) qui, depuis des temps reculés, avait possédé le statut et la dignité de ciuitas (ex antiquissimis temporibus ab origine etiam ciuitatis dignitatem obtinuit). Le texte de la pétition insistait ensuite sur la situation de carrefour de la cité, aux confins de la Galatie et de la Phrygie (in medio confinio Galatiae Phrigiae situm est, nam quattuor uiarum transitus). Quant au reste de l’argumentation, il peut se reconstituer aisément à partir du texte du rescrit de Constantin (panneau i, face antérieure). Au passage, on remarque que l’argumentation du rescrit reprend presque mot pour mot, dans le même ordre, celle de la pétition, confirmant ainsi l’hypothèse de départ selon laquelle on lit en filigrane, dans la réponse élaborée par la chancellerie impériale, le dispositif de la pétition.
67Voici l’argumentation développée par les habitants de la cité :
Orcistos est un oppidum ancien (prioris aetatis oppidi splendore) qui dispose de structures « quasi civiques » : des « magistrats », des « curiales », des citoyens en grand nombre (et annuis magistratuum fascibus ornaretur essetque curialibus celebre et populo ciuium plenum).
La situation (situs) de la cité est privilégiée, le lieu (ingenium) est commode (opportunus). Il existe même une mansio (un relais de poste impérial) sur son territoire, utilis adque accomoda. Autant d’éléments qui contribuent à la prospérité de la communauté.
Orcistos possède toutes les infrastructures utiles à la vie urbaine : on y trouve de l’eau en abondance (aquarum ibi abundantem afluentiam), de nombreux bains privés ou publics (labacra [sic] quoque publica priuataque) ; le forum est orné de statues des anciens princes (forum istatuis ueterum principum ornatum) ; la population est importante et le nombre de décurions pour siéger à la curie suffisant (populum commanentium adeo celebrem) ; des moulins à eau sont implantés sur tout son territoire (aquarum aquimolinarum numerum).
L’absence de statut civique, marqué par le rattachement à Nacoleia, est intolérable et apparaît comme une profonde injustice, indigne du règne de Constantin (quod est indignum temporibus nostris, ut tam opportunus locus ciuitatis nomen amittat). Il apparaît non moins injuste que la population du lieu soit spoliée par des gens plus puissants, allusion aux habitants de Nacoleia (ut depraedatione potiorum omnia sua commoda utilitatesque deperdant).
Pour finir, le texte met en avant un argument décisif : presque tous les habitants du lieu sont versés dans la très sainte religion – le christianisme – mentionnée implicitement (quibus omnibus quasi quidam cumulus accedit quod omnes ibidem sectatores sanctissimae religionis habitare dicantur).
68François Jacques a bien démontré que cette argumentation reposait principalement sur la rhétorique de l’éloge de cité telle qu’elle apparaît codifiée dans des ouvrages de l’époque, comme par exemple les Traités de Ménandre le Rhéteur. Certes, le texte est bien coulé dans le « moule de la rhétorique classique69 » et les principaux arguments de la pétition concernent la cité avant tout. Mais l’éloge n’est pas un elogium ciuitatis comprenant tous ses passages obligés ; c’est un éloge recomposé, agencé avec précision, placé au service d’un plaidoyer visant à élever la communauté au rang de ciuitas. Certains éléments traditionnels sont passés sous silence, d’autres développés. Par ailleurs, l’éloge du pouvoir impérial est bien présent dans cette requête, que ce soit dans le rappel de la titulature, dans l’éloge du prince comme source de droit et de justice, dans l’évocation des statues des anciens souverains sur le forum ou dans la fidélité à l’empereur du moment, dont les habitants ont adopté la religion personnelle.
69Si François Jacques avait raison de rapprocher cette argumentation des conseils de Ménandre le Rhéteur, il est cependant permis d’aller plus loin dans le rapprochement avec la trame du πρεσβευτικòς λóγος. Ainsi, à Orcistos, petite cité sans lustre d’Anatolie, on maîtrisait une rhétorique utile à la communauté civique, une rhétorique permettant d’obtenir de la part de l’empereur un bienfait, le plus grand peut-être : le priuilegium libertatis.
70Dans les dossiers de Tymandos ou de la ciuitas Heracleotarum, aucun indice ne permet de reconstituer le contenu du discours de l’ambassadeur ou de la pétition écrite des notables70. Les deux lettres impériales (adressées au gouverneur de province pour Tymandos, aux bouleutes pour Héraclée en Thrace) constituant le document final du processus, tous les autres éléments du dossier où figuraient les arguments de la pétition ont disparu car jugés inutiles à reproduire, puisque pour garantir le statut nouvellement acquis il n’était pas nécessaire de tout afficher, comme ce fut le cas à Orcistos. Le texte dévoile simplement que les preces des habitants de Tymandos ont été trop insistantes (1. 57 : Tymandenos uoto praecipuo, summo etiam studio optare, ut ius et dignitatem ciuitatis praecepto nostro consequantur)71. Rien n’interdit de penser qu’il n’y a pas eu envoi d’une délégation auprès des empereurs régnants. À Héraclée par exemple, il était aisé pour les bouleutes de présenter une requête à Galère quand ce dernier se trouvait dans l’une de ses résidences impériales, Thessalonique en particulier ou Nicomédie, située plus loin.
71Ainsi, en dépit de l’absence, dans la documentation, de discours de représentants de cité comparables à ceux d’Eumène ou de l’Anonyme de 311, il est possible, en ayant recours à une documentation composite, de trouver des parallèles significatifs ayant conservé la trace de ce genre de discours. Mais au regard des remarques qui précèdent, il est permis d’affirmer que les panégyriques éduens ne constituent pas des sources isolées. Au contraire, ces textes uniques demeurent les héritiers directs de pratiques oratoires dont les origines et les évolutions peuvent être suivies de manière précise dans la documentation gréco-latine depuis l’époque julio-claudienne.
Les discours éduens dans l’histoire du genre presbeutique : essai de synthèse
72Sans prétendre écrire l’histoire du genre littéraire que fut le πρεσβευτικòς λόγος72, les analyses qui suivent visent à mettre en perspective, de la façon la plus précise possible, les discours des orateurs éduens envisagés comme un point d’aboutissement d’une tradition vieille de trois siècles. En retraçant cette généalogie, les topiques communs aux discours prononcés dans les domaines latinophone et hellénophone de l’Empire peuvent être identifiés et commentés. Dans un second temps, peuvent être dégagées certaines spécificités propres à ces discours. De cet essai de synthèse, se dessine une dimension méconnue des rapports entre communautés civiques et pouvoir impérial, que nous proposons de désigner sous le terme de « diplomatie provinciale » (G. Souris) ou mieux, de « diplomatie intérieure ».
73Par cette expression, il faut entendre l’ensemble des pratiques et des discours mettant en relation directe, sans médiation, des communautés civiques avec l’empereur dans les limites de l’imperium Romanum. Elle caractérise un mode de communication ne relevant ni des relations internationales – bien qu’elle en maintienne la fiction – ni des simples relations entre administrés et gouvernants. L’intérêt d’avoir recours à ce concept, élaboré à partir d’une enquête documentaire serrée au plus près des sources, est d’éviter l’écueil inhérent à l’usage de notions contemporaines et méta-historiques, comme celle de diplomatie au sens actuel. Au moins la notion de « diplomatie interne » possède-t-elle l’avantage de bien rendre compte de l’ambiguïté de la domination romaine sur les cités, oscillant, comme l’écrit Georgos Souris, entre diplomacy and administration, entre, d’une part, des relations en principe bilatérales et reconnues comme telles, héritage de la période précédant la conquête, et, d’autre part, une administration volontariste, directe, unilatérale, autorisée par le cadre provincial et la puissance militaire dont disposaient les dirigeants romains73. Cet environnement institutionnel original et unique, caractéristique de l’Empire romain des trois premiers siècles de notre ère, doit être gardé à l’esprit tout au long des pages qui suivent, car c’est dans ce contexte que s’insère et se comprend la rhétorique de la « diplomatie intérieure », si éloignée de nos catégories modernes.
Les topiques de la diplomatie « intérieure » à l’époque impériale
74Pour mémoire, voici la structure des discours éduens ainsi que leurs principaux topiques74 :
75Le discours d’Eumène est construit en deux temps : l’auteur détaille les raisons pour lesquelles il faut reconstruire les écoles, puis les moyens à mettre en œuvre. Dans le détail, Eumène tente de précipiter l’aboutissement du projet en faisant l’éloge de chaque partie impliquée dans l’affaire (la cité, le gouverneur, l’empereur, lui-même) et insiste sur les mérites propres de chacun de ces acteurs.
76Le discours de l’Anonyme de 311 s’articule autour de deux parties : dans la première, il dresse un tableau contrasté et saisissant de l’état de la cité avant puis au lendemain de la crise engendrée par la pression fiscale. Dans la seconde, il décrit la restauration de la cité grâce aux privilèges accordés par l’empereur après sa visite. Les topiques du discours sont proches de ceux qu’emploie Eumène : éloge de la cité, du prince, mais surtout insistance sur les mérites de la cité (son passé, sa fidélité à Rome, aux empereurs, en particulier à la dynastie régnante) afin d’invoquer, en dernier recours, un droit d’auxilium auprès des autorités romaines.
77Il convient de dresser une liste raisonnée des topiques rencontrés dans les sources étudiées précédemment, topiques qui constituaient les passages obligés de tout πρεσβευτικòς λόγος75. En effet, les grands thèmes qui structurent les discours prononcés par les notables éduens étaient les mêmes que ceux qui étaient utilisés par leurs pairs en Orient, dès le ier siècle de notre ère. Une fois ces topiques dégagés, il paraît envisageable, à partir des rares sources parvenues jusqu’à nous, de dégager des règles précises concernant en particulier le plan type caractéristique de tout discours d’émissaire.
78Tacite avait bien compris les ressorts de cette rhétorique de la diplomatie provinciale quand, évoquant les discours des délégués de cités d’Asie venus solliciter l’obtention d’un temple néocore, il précisait76 :
Neque multum distantia inter se memorabant de uetustate generis, studio in populum Romanum per bella.
79Les topiques de cette diplomatie renvoient à ces deux thèmes majeurs, auxquels s’ajoutent un éloge de la cité, l’éloge de Rome et l’éloge des empereurs. Au passage, il est nécessaire de préciser que les deux derniers points, étudiés séparément par commodité, n’étaient pas présentés de manière si distincte dans les discours antiques.
L’éloge de la cité
80L’orateur, dans le cadre d’un πρεσβευτικòς λόγος, doit évoquer sa cité sous un bon jour. Dans la palette dont il dispose pour élaborer cet éloge, deux voies s’ouvrent à lui : l’ambassadeur peut insister sur le passé ou bien sur les éléments concrets et physiques composant la cité, tels que le territoire ou les bâtiments du caput ciuitatis77.
• L’éloge du passé
81L’éloge porte soit sur le passé mythique de la cité (mythes fondateurs, épisodes liés à des dieux, des héros)78, soit sur son passé historique (les grands hommes qui ont participé à sa création ou son histoire, depuis les origines jusqu’au temps des imperatores et de l’Empire)79. Les deux thèmes sont fréquemment combinés, comme cela a pu être relevé supra.
82L’ancienneté s’exprime à travers une série d’expressions et de mots comme, par exemple, quondam, prior aetas en latin ou ἄνωθε en grec80, qui visaient à rehausser le prestige de la cité auprès des autorités romaines, en un temps où le passé et l’ancienneté demeuraient des valeurs en soi, comme le rappelle l’Anonyme de 311 (§4, 1) :
Dicet aliquis : Vetera ista sunt ! Et quidem hoc sanctiora quod uetera. Bonis enim meritis cum aetate dignitas et pondus accedit.
83L’éloge du passé s’exprime enfin par le rappel des titres accumulés au fil des siècles, conçus à la fois comme l’incarnation de cette histoire idéalisée et comme des signes de distinction vis-à-vis des cités voisines. Dans le cadre de la rhétorique de la « diplomatie intérieure », ces titres semblent mentionnés avec plus d’insistance encore au iie siècle81, alors qu’au ier siècle seuls les notables des cités d’Ilion, de Ségeste et de la ciuitas Aeduorum semblent avoir joué sur ce registre82. Ces titres demeurent encore présents dans les discours éduens de la fin du iiie siècle83. Leur utilisation plus fréquente s’explique peut-être par l’atmosphère agonistique qui traverse la Seconde sophistique et l’époque sévérienne, ambiance dont on relève des prolongements en Occident, dans la lutte que les cités se livrent pour accéder à des statuts plus prestigieux84.
• L’éloge des éléments concrets qui composent la cité
84L’éloge porte sur des éléments concrets et visibles qui composent et incarnent la cité : son territoire (relief, étendue, richesses), son chef-lieu (monuments), ses habitants85. Aussi, comme le préconise Ménandre le Rhéteur, il incombe à l’orateur de mettre en valeur les aspects positifs ou avantageux et de taire ce qui peut nuire à son prestige86. Comme l’atteste la documentation disponible, chaque discours de légat comportait au moins quelques allusions à ce genre d’éloge87.
85Dans certaines situations, le représentant de la cité pouvait être amené à insérer dans son discours un bref éloge de sa cité reprenant l’ensemble des rubriques attendues. Le schéma de cet éloge inséré correspondait alors dans ses grands traits à l’elogium d’une cité tel qu’il est formalisé dans les œuvres de Ménandre le Rhéteur et d’autres théoriciens, en particulier Quintilien88. Significatifs à cet égard sont les discours des représentants de Sardes et de Byzance (rapportés par Tacite), celui de Tyr (évoqué par Ulpien), le passage consacré au πρεσβευτικòς λόγος chez Ménandre le Rhéteur, le Panégyrique latin viii(5) ou encore le « discours » écrit des Orcistains89.
86L’insertion d’un éloge de la cité pouvait être motivée dans un premier temps par le souci d’exalter le prestige et la dignité de la communauté civique ; dans un second temps, l’éloge pouvait rejaillir indirectement sur les dirigeants romains, maîtres du monde, dans la mesure où la prospérité de chaque cité exaltait l’état de prospérité plus général de l’Empire lui-même. En quelque sorte, l’ambassadeur, tout en faisant l’éloge de sa propre communauté, flattait dans le même mouvement les autorités romaines, les plaçant ainsi dans une attitude bienveillante vis-à-vis de ses concitoyens. Dans ces conditions, il devenait difficile pour l’empereur ou son représentant de ne pas répondre aux requêtes et de ne pas accorder de bienfaits si mérités.
87Enfin, un autre cas de figure pouvait se présenter à l’occasion d’un discours d’appel à l’aide (ou discours « contentieux ») formulé par le légat d’une cité touchée par d’importantes difficultés. L’éloge cédait la place à une description très négative, souvent construite par contraste avec la situation antérieure de prospérité, de sorte qu’il est permis de caractériser cet éloge d’éloge « en creux » ou « en négatif », puisque l’ambassadeur suggère, au moyen d’une description précise de l’ampleur du désastre, la grandeur passée. Par ce procédé reposant sur des ressorts émotionnels, l’orateur soulignait la nécessité et même l’obligation pour les autorités romaines de remédier au problème90.
L’éloge du peuple Romain
88Le légat municipal avait pour obligation de consacrer une partie de son discours à faire un éloge des Romains destiné à souligner les bienfaits de la conquête et de leur bon gouvernement. L’orateur insistait alors sur le passé, le moment où la cité était entrée en contact avec les Romains. D’où, dans l’ordre : l’évocation successive des traités (évoqués avec le vocabulaire habituel : foedus, socius, συμμάχος) passés avec Rome91 ; des bons rapports entretenus avec certains imperatores de la République figurant encore, sous le Haut-Empire, dans la galerie des grands personnages de l’histoire du peuple romain92 ; des titres officiels obtenus par la cité par décisions officielles (consanguinei, fratres, σῦγγενεις, ἀδελφοί)93. La mention de ces différents éléments semblait décisive dans les cas d’ambassades d’appel à l’aide ou d’ambassades contentieuses qui obligeaient le légat à justifier ce droit à l’auxilium octroyé par les autorités romaines. Dans le cadre de légations de ce type, le représentant de la cité devait s’appuyer sur des preuves écrites, conservées dans des archives94. L’orateur pouvait aussi mentionner des faits de guerre particuliers, des anecdotes connues de tous, ou encore des épisodes marquants de l’histoire de sa cité faisant intervenir un grand personnage de l’histoire romaine95. C’est dans ce contexte que l’imbrication avec l’éloge de la cité apparaît le plus souvent et qu’intervient ce que Christopher Jones appelle la kinship diplomacy, ce topique fondé sur l’exaltation des liens de parenté et d’amitié96. De fait, la kinship diplomacy affleure de manière récurrente dans les discours d’ambassade attestés dans la documentation.
L’éloge du prince régnant et de sa famille
89Dans un πρεσβευτικòς λόγος, il est impossible de trouver un éloge en bonne et due forme où figureraient toutes les rubriques, sans exception, du βασιλικòς λόγος97, ce qui n’a rien de surprenant. Dans les discours de ce genre, l’éloge était par définition sélectif, les qualités du prince exaltées par le légat municipal devant s’adapter aux circonstances et à la nature même de l’ambassade, selon qu’il s’agissait d’une légation gracieuse, contentieuse ou destinée à formuler une requête. La règle apparaît dans l’œuvre de Ménandre le Rhéteur, en particulier dans le chapitre consacré au πρεσβευτικòς λόγος98. Par ailleurs, des exemples concrets de tels procédés sont attestés dans les discours mentionnés plus haut. Si l’empereur était connu pour sa pietas, l’ambassadeur insistait sur cet aspect de sa personnalité ou de sa politique99 ; s’il était question dans le discours de παιδεία, l’empereur était loué pour ses qualités – prétendues ou réelles – d’homme de lettres et de protecteur des arts100. Mais par-dessus tout, la situation imposait de mettre en valeur une vertu cardinale de l’empereur dans l’exercice de sa fonction : sa φιλανθρωπία.
90La kinship diplomacy n’était pas seulement employée dans le cadre des relations entre peuples ou cités. L’orateur, en soulignant les attaches de sa cité aux empereurs, mettait en avant la fidélité continuelle de sa communauté à l’égard de Rome incarnée par l’Imperator. Ces rapports pouvaient être personnels et se justifier par des événements particuliers (visite de l’empereur, lien entre un notable éminent et l’empereur)101, ils pouvaient être dynastiques (fidélité à l’égard du prince régnant et de ses aïeux)102, se fonder sur des mythes partagés (Vénus et la gens Iulia)103 ou des liens de patronage104.
91Chacun de ces topiques avait vocation à affirmer la légitimité du prince ainsi que l’adhésion de la communauté à sa politique. L’éloge, en plaçant ainsi l’empereur dans un état d’esprit bienveillant, facilitait la formulation des requêtes et favorisait leur dénouement favorable.
Le canevas du πρεσβευτικòς λόγος
92Très brièvement, quelques mots méritent d’être ajoutés au sujet de l’agencement général (le plan type, en quelque sorte) ou encore des figures de pensée ou de style récurrentes dans ces discours, bien que la nature de la documentation, composée de discours résumés ou rapportés au style indirect, ne permette que très rarement d’atteindre ce degré de précision.
93Dans un cas au moins, il est possible de se faire une idée du plan type suivi par l’orateur : il s’agit du discours accompagnant une légation envoyée par une cité en proie à des difficultés, dans le cadre d’un d’appel à l’aide. Le plan de ce genre de discours est explicité par Ménandre le Rhéteur dans le passage qu’il consacre au πρεσβευτικòς λόγος105. Ménandre conseille d’organiser la partie centrale du discours en deux parties contrastées, l’une soulignant le passé florissant de la cité, l’autre l’état de déchéance dans laquelle elle se trouve au moment du discours. Dans ces deux parties, le porte-parole de la cité doit faire usage de la description (descriptio, ἔκφρασις), partie où il doit brosser un tableau détaillé et vivant de l’état de la cité, en faisant usage de l’amplification (amplificatio, αὔξησις). Ce plan en deux points s’achève par une péroraison qui consiste en un appel à la pitié (commiseratio, ἔλεος).
94Les traces d’un plan type ainsi conçu affleurent dans la phrase de Tacite concernant la légation de Byzance auprès de l’empereur Claude106 :
Vnde primo quaestuosi et opulenti ; post, magnitudine onerum urgente, finem aut modum orabant, adnitente principe, qui...
95Sous le règne conjoint de Marc Aurèle et de Commode, en 178-179, Aelius Aristide a conçu sa lettre aux empereurs selon le même schéma (situation avant puis après la catastrophe) et au moyen de procédés similaires (contraste, amplification, description)107. Quelques années seulement après la rédaction du Traité ii de Ménandre, l’Anonyme de 311 a élaboré la première partie de son discours selon des principes similaires108 même si, dans ce cas précis, il ne s’agit pas d’un appel à l’aide mais d’un remerciement pour l’obtention d’un bienfait. Pour autant, l’orateur a jugé utile de rappeler d’abord le contenu de la requête à l’origine de la procédure, avant d’exalter la magnificence du bienfait à l’origine du rétablissement de la cité.
96De ce point de vue, il apparaît remarquable que les topiques dégagés à travers ces exemples choisis de discours de légats municipaux s’accordent presque parfaitement avec les repeated themes and arguments of provincial diplomacy mis en valeur par Georgos Souris dans sa thèse inédite109. Ce dernier avait en particulier identifié six grands thèmes incontournables, en se fondant pour l’essentiel sur le témoignage des sources épigraphiques grecques (et latines dans une moindre mesure), des iie-iiie siècles :
Loyalty to the emperor / loyauté envers l’empereur,
Loyalty and services to Rome / loyauté et services rendus envers Rome,
Special relationships with Rome / relations privilégiées avec Rome,
Relationships with the emperors / relations privilégiées avec les empereurs,
Local deities and sanctuaries / divinités et sanctuaires locaux,
Noble origin, size, beauty / noblesse des origines, taille, beauté.
97L’auteur concluait que ces thèmes, qui visaient à souligner l’importance de la cité et à mettre en avant les liens noués avec Rome et les empereurs, pouvaient être rassemblés en deux catégories : arguments historiques (liens avec Rome) et arguments intrinsèques (éloge de la cité).
98Cette convergence de vue entre les travaux de G. Souris et les nôtres ne fait que confirmer la valeur du dossier documentaire rassemblé qui, sans être exhaustif, aboutit à des résultats concordants avec ceux d’un travail fondé sur une étude sérielle des inscriptions. Les topiques ainsi décrits et classés attestent l’existence d’un répertoire partagé dans le langage de la « diplomatie provinciale » ou « intérieure » sous le Haut-Empire, valable tant pour l’Orient que pour l’Occident. Ils démontrent que dans la communication qui s’établissait entre le pouvoir impérial et les communautés civiques, il existait un dénominateur commun, fruit et témoin du rôle unificateur joué par les cadres administratifs romains.
99Au coeur des enjeux de la pratique de l’envoi d’une légation et de cette rhétorique, apparaît une notion clé, celle de mérites attachés à des droits (merita), qui comporte pour corollaire, du côté du pouvoir impérial, la notion de gratification (beneficium)110. En effet, cette diplomatie « intérieure » engageait des relations réciproques et continues entre les cités et le pouvoir impérial. Ces relations, faites de dons et de contre-dons à la fois symboliques et concrets, consistaient, pour simplifier, à échanger de la légitimité et du consensus contre une confirmation ou bien un accroissement de privilèges111.
100Néanmoins, la liste de topiques ainsi constituée pose problème en raison de son caractère intemporel qui pourrait gommer, voire occulter, d’éventuelles évolutions historiques ou divergences de pratiques entre la pars Occidentis et la pars Orientis de l’Empire.
Origines et diffusion du genre presbeutique
Jusqu’où remonter ?
101Cette rhétorique paraît liée aux conditions nouvelles créées par le processus de provincialisation et l’émergence progressive du régime du Principat. Un détour par la documentation d’époque républicaine s’impose afin de vérifier si ces topiques n’étaient alors pas déjà présents ou en germe.
102Plusieurs topiques ont pu être relevés dans des inscriptions et des sources littéraires datées du iie siècle avant notre ère, moment clé de l’expansion de Rome dans la partie orientale de la Méditerranée. Il s’agit souvent de traces de discours prononcés dans le cadre de la diplomatie internationale, fondée à cette époque sur un jeu d’alliance entre cités, peuples et grandes puissances du moment (Rome et les royaumes hellénistiques)112. Ces discours, dans leur majorité, n’ont pas été transmis directement mais ont été rapportés, après réécriture, par les auteurs contemporains ou postérieurs113. Dans ces textes relevant du genre délibératif, sont mis en avant les faits de guerre et les alliances conclues. Par ailleurs, si les notions de mérite et de fidélité demeurent essentielles, elles sont évoquées dans un style qui ne comporte aucun élément de rhétorique de l’éloge. En dépit de ces différences, plusieurs topiques proches de ceux en usage dans la « diplomatie intérieure » d’époque impériale apparaissent dans les sources littéraires latines, à propos des alliances passées entre Rome et les peuples d’Italie, ou bien avec des peuples occidentaux comme les Gaulois, les Germains, les Ibères. Comme dans le monde grec, ces textes diplomatiques reposent sur un usage récurrent de mots issus du vocabulaire de la parenté, tels que les titres d’amis (amici) ou de consanguins (consanguinei)114. Ressort également de ces textes l’importance accordée par les Romains à la dignité de leurs alliés, elle-même attachée à la puissance et au passé : ces éléments figurent à plusieurs reprises, par exemple, dans les passages de la Guerre des Gaules concernant précisément les Éduens115.
103Pour terminer sur ce point, il paraît impossible de retrouver, tant dans les sources d’époque hellénistique que dans les textes latins de la fin de la république, les topiques de la « diplomatie intérieure » tels qu’ils apparaissent formalisés à partir des Julio-Claudiens. Au mieux est-il permis de déceler des éléments isolés, comme l’importance accordée aux merita et aux beneficia dans le dialogue diplomatique noué entre Rome et ses alliés. Mais la grande différence réside dans l’importance nouvelle prise par le genre épidictique à l’époque impériale, qui témoigne de transformations radicales liées à la mise en place du Principat.
Modèles grecs, modèles latins
104Le débat sur les modèles qui ont inspiré Eumène et ses pairs fait partie de ces questionnements auxquels chaque génération qui s’est intéressée aux Panegyrici Latini s’est sentie obligée de contribuer. La question a été posée en ces termes : les discours rassemblés dans ce corpus puisent-ils leurs modèles dans la théorie rhétorique grecque ou latine ? Ces discours s’inspirent-ils des théoriciens grecs héritiers de la Seconde sophistique ou d’orateurs latins contemporains de Cicéron ou postérieurs à lui ?
105Ainsi formulé, le questionnement se fonde sur un présupposé et un a priori idéologique qui orientent la réponse. Derrière ce débat en effet se pose le problème du degré « de pureté » des discours du recueil ainsi que de la supériorité supposée de la culture grecque sur la culture latine. Ces débats, inaugurés au xixe siècle, ont parasité la recherche sur le sujet.
106Edmond Vereecke, dans un article paru en 1975, avait exposé les positions des uns et des autres, formulant à l’occasion plusieurs objections pertinentes116. Sans reprendre ni résumer son article, signalons que, d’après ses lectures, les tenants de la théorie de l’imitation d’auteurs grecs ont établi des parallèles principalement avec les traités de rhétorique grecs, en particulier celui de Ménandre le Rhéteur, alors que les tenants de la thèse d’une imitation d’auteurs latins ont surtout mis en évidence des analogies avec des discours pratiques, à savoir les discours de Cicéron au Sénat et, dans une moindre mesure, le discours de Pline à Trajan.
107La position adoptée par le savant belge sur la question est originale : selon lui, il est impossible de parler d’imitation ni même de modèles suivis consciencieusement117. D’où la nécessité de mener une enquête plus rigoureuse, en tenant compte des discours prononcés par des orateurs hellénophones de la Seconde sophistique et des œuvres des théoriciens latins de la rhétorique118. Cette approche prenant en compte l’ensemble de la documentation disponible possède l’avantage de réfuter l’idée reçue selon laquelle les rhéteurs de l’époque, à la manière d’écoliers laborieux, ne faisaient que suivre les préceptes des manuels ou copier des passages de grands auteurs pour leurs compositions personnelles. Au lieu de parler d’imitation, le terme d’imprégnation serait plus approprié, surtout de la part d’orateurs cultivés, passés par des écoles de rhétorique comme étudiants puis comme maîtres.
108Une étude approfondie des Panégyriques latins v(9) et viii(5) permet, sur ce point, de faire progresser le débat. Dans leur composition d’ensemble, ces deux discours reprennent certains préceptes énoncés par Ménandre le Rhéteur à propos du πρεσβευτικòς λόγος. D’une manière générale, il est aisé de pointer dans un paragraphe, dans une partie, parfois dans la structure générale du discours, l’opposition entre un passé brillant et un présent désastreux, ainsi qu’un passage consacré à un appel à l’aide pour susciter la pitié. Dans le détail du texte, Eumène et l’Anonyme de 311 ont recours à la description et à l’amplification, deux procédés essentiels aux yeux de Ménandre le Rhéteur.
109Peut-on considérer ces traits communs comme le fruit du hasard ? Ils confortent les remarques des spécialistes qui avaient noté la parenté de structure entre certains Panégyriques latins conservés dans le recueil et les plans types énoncés par les théoriciens hellénophones dans leurs traités. D’une manière ou d’une autre, Eumène et l’Anonyme de 311 avaient pris connaissance, sinon du Traité ii de Ménandre le Rhéteur, du moins de manuels de rhétoriques grecs et latins, disparus dans le naufrage de la documentation et dont les préceptes demeuraient proches de ceux qu’énonçait Ménandre. Une transmission orale au sein des écoles et dans les cercles de notables cultivés n’est pas à exclure non plus, bien que moins convaincante.
110Les Traités i et ii de Ménandre se détachent peu, cependant, des autres traités théoriques sur la rhétorique. Les catégories de discours qui s’y trouvent décrites n’offrent pas de modèles théoriques absolus, créés de toutes pièces dans le cadre d’un système élaboré fondé sur une réflexion philosophique centrée sur la fonction du langage, comme c’est le cas de l’œuvre d’Aristote. Au contraire, ces catégories semblent formaliser a posteriori des discours pratiques prononcés au quotidien dans les cités depuis l’époque augustéenne. Comparé aux autres ouvrages consacrés à la rhétorique, le double traité de Ménandre le Rhéteur se caractérise avant tout par sa dimension pratique, son statut assumé de « livre de recettes » destiné à aider ceux qui, parmi les notables, souhaitaient produire des discours simples et efficaces.
111Dans le détail, Eumène et l’Anonyme de 311 semblent avoir puisé leurs modèles dans les discours de la littérature latine des siècles antérieurs (Cicéron, Pline, Fronton) et non de la Seconde sophistique (Dion Chrysostome, Aelius Aristide et d’autres). Si Eumène semble avoir une bonne connaissance de la culture grecque, qui s’explique certainement par les origines attiques de son grand-père, il inscrit cependant son propos dans la culture latine, aussi bien par le style adopté que par les thèmes abordés, fortement marqués par le modèle cicéronien119. La remarque vaut plus encore pour le style de l’auteur du discours de 31 1. Au demeurant, aucun rapprochement assuré avec de grands auteurs grecs de la Seconde sophistique n’a pu être mis en évidence.
112Dans le débat sur les modèles d’inspiration des panégyristes, l’analyse approfondie des discours d’Eumène et de l’Anonyme de 311 oblige donc à adopter une position intermédiaire et nuancée : ces discours de légats municipaux ont certes été coulés dans un moule façonné par les théoriciens hellénophones de la rhétorique, mais avec des matériaux propres à la langue latine. En se conformant à ce cadre, les matériaux s’y sont adaptés tout en imprimant leur spécificité. De ce point de vue, les discours éduens apparaissent comme des témoins privilégiés, dans le domaine de la rhétorique, des « transferts culturels » opérés entre les deux partes de l’Empire.
Diffusion géographique du πρεσβευτικòς λόγος sous le Haut-Empire
113En guise d’avertissement méthodologique, les remarques qui suivent relèvent en grande partie de reconstructions vraisemblables, en raison du faible nombre de sources à notre disposition. Pour brosser ce tableau de la diffusion dans les provinces du πρεσβευτικò ς λόγος durant le Haut-Empire, le raisonnement se fonde sur des repères documentaires détaillés mais rares.
114Les textes d’Eumène et de l’Anonyme de 311 trouvent des parallèles directs indiscutables dans les discours adressés par des légats municipaux à Tibère et rapportés par Tacite. Il semble donc que, dans la pratique, par tâtonnements, disons au cours des dernières décennies du ier siècle avant notre ère, se soit constituée cette nouvelle rhétorique de la « diplomatie provinciale » ou « interne ». Cette apparition soudaine découle de et s’explique par la mise en place des nouveaux cadres politiques et administratifs de l’Empire, en particulier la généralisation du système provincial120. En admettant que les propos prêtés à Octave par Plutarque à l’occasion du discours d’Alexandrie de 30 avant notre ère aient bien été prononcés sous cette forme121, il est permis de les considérer comme un prototype annonçant la forme ultérieure prise par le genre du discours d’ambassade. Mais quelle que soit l’hypothèse adoptée, le règne d’Auguste et de ses premiers successeurs apparaît comme un moment fondateur de l’histoire de cette « diplomatie intérieure ».
115Cependant, ce genre de discours, s’il a hérité de pratiques séculaires forgées par les sophistes et orateurs des cités grecques, semble s’être constitué de façon pragmatique dans la partie orientale de l’Empire. Créée par des notables cultivés et habitués à prendre la parole, cette catégorie de discours n’a, dans un premier temps, pas intéressé les théoriciens de la rhétorique, du moins avant le iie siècle de notre ère.
116Avec la Seconde sophistique, la rhétorique épidictique s’impose dans le genre du πρεσβευτικòς λόγος, marquant une nouvelle étape décisive de son histoire. La lettre d’Aelius Aristide en faveur de Smyrne en fournit un bon aperçu, sans compter les inscriptions rapportant l’envoi de légations où fleurissent les éloges. Si, pour le iie siècle, les attestations directes de discours de légats de cités demeurent rarissimes, en revanche la pratique de l’envoi d’une ambassade semble atteindre un apogée122, lequel en retour a permis de préciser et d’adapter le contenu des discours de légats en fonction de leur mission. Il n’est pas exclu que les catégories établies dans le Traité ii de Ménandre ne tirent leur origine de cette phase de maturation et d’épanouissement du genre « presbeutique ». Par ailleurs, c’est au iie siècle que les sophistes grecs ont le plus voyagé et fait circuler leurs idées. Le grand-père d’Eumène, Athénien venu exercer la profession d’enseignant dans des écoles de rhétorique romaines avant de s’installer à Autun, entre la fin du iie et le début du iiie siècle, a participé à ces brassages qui sont à l’origine de « transferts culturels »123. Sa trajectoire semble d’autant plus précieuse qu’elle fournit des jalons et offre des indications sur un milieu social intermédiaire, celui des sophistes de second rang, mal attestés dans la documentation occidentale bien qu’ils aient dû jouer un rôle essentiel dans ce phénomène.
117Si, d’un point de vue politique, le iiie siècle demeure le siècle de « la grande crise », il n’a pas pour autant constitué une rupture significative dans ce mouvement d’efflorescence intellectuelle, au contraire124. Ceci explique pourquoi, sous la Tétrarchie, un rhéteur originaire d’Asie Mineure connu sous le nom de Ménandre le Rhéteur (ou de Laodicée), entreprit de rédiger un double traité à visées pratiques qui fournit précisément la recette de composition d’un πρεσβευτικòς λόγος et des discours relevant de cette catégorie. Or, au même moment, à plusieurs milliers de kilomètres à l’ouest, des représentants de la cité des Éduens prononçaient des discours construits selon des schémas et des topiques très proches.
118Pour résumer, le πρεσβευτικòς λόγος, tel qu’il apparaît formalisé chez Eumène et l’Anonyme de 311, tire son origine de discours créés de manière pragmatique par des légats issus du milieu des notables hellénophones, au moment de la mise en place progressive du Principat, entre Auguste et les premiers Julio-Claudiens. Si les topiques et le schéma du discours-pétition semblent fixés dès cette époque, l’intrusion massive de la rhétorique épidictique intervint un peu plus tard, au cours du iie siècle. Durant cette période, la gamme des discours de légats se diversifia parallèlement à la fréquence accrue et à la variété des circonstances dans lesquelles il était permis d’envoyer une légation. Ce mouvement se prolongea durant le iiie siècle, bénéficiant de l’élan de la Seconde sophistique. En Occident, le « discours d’ambassade » a dû être adapté en latin à Rome, de manière pragmatique, au contact des légats de cités hellénophones, au plus tard au début du ier siècle de notre ère. C’est à cette époque que l’on en repère les traces, en particulier dans le passage des Annales de Tacite concernant l’accès des Eduens au Sénat sous Claude, ou encore dans le passage où le jeune Néron plaide la cause de cités italiennes125. À titre d’hypothèse, certaines cités et villes occidentales, de fondation grecque ou imprégnées par la culture latine, ont pu jouer un rôle de relais, comme par exemple pour la Gaule au sens large, Marseille ou Augustodunum126. Dans ce contexte, les inventions des rhéteurs grecs de la Seconde sophistique ont pu être diffusées dans la pars Occidentis de l’Empire par différents canaux. À la fin du iiie siècle, les représentants de la ciuitas Aeduorum étaient en mesure de prononcer des discours « presbeutiques » de qualité.
Spécificités du discours d’un legatuspar rapport à celui d’un πρεσβευτής
119Les remarques qui suivent se fondent exclusivement, côté occidental ou latinophone, sur le témoignage des Panégyriques latins v(9) et viii(5). Côté hellénophone, les permanences, nombreuses, se lisent à travers les divers témoignages relevés supra. Pour autant, par-delà les nombreux thèmes communs, par-delà certaines analogies formelles liées à la création d’une véritable communauté culturelle, des différences entre ces discours peuvent être dégagées. L’une d’entre elles a pu être soulignée à propos des modèles d’inspiration, qui induisaient nécessairement une couleur et un ton propres à la langue et à la culture, qu’elle fût hellène ou latine.
Des différences institutionnelles entre la ciuitas et la πόλις
120Ces écarts témoignent de pratiques institutionnelles diverses qui tirent leur origine de l’histoire des rapports entretenus avec Rome. Une cité des Trois Gaules, si prestigieuse soit-elle, ne possède pas le lustre d’Athènes ni même de Smyrne. Lorsque le légat d’une ciuitas créée au moment de la conquête s’adresse à l’empereur, il ne dispose pas du même capital de prestige ni, en conséquence, de la même palette d’arguments pour faire l’éloge de sa cité que son homologue représentant une πόλις grecque prestigieuse, dont les origines remontent aux temps mythiques et aux époques historiques où Rome n’était qu’une obscure bourgade du Latium. Cette situation induit un contenu différent dans les discours, d’autant plus prononcé que l’identité et l’autoreprésentation, abordées en détail dans la troisième partie de cet ouvrage, constituaient des éléments essentiels de l’argumentation.
En Occident, pas de mythe de fondation ?
121À aucun moment, dans les discours éduens, les orateurs ne s’appuient sur des mythes pour appuyer leur demande ou justifier leurs privilèges. Or, le procédé leur était permis, les Éduens possédant en effet le titre de fratres populi Romani, obtenu au iie siècle avant notre ère à la suite d’un traité (foedus) passé avec Rome. En rappelant cette « fraternité », les Éduens auraient très bien pu revendiquer une origine troyenne, puisqu’étant frères des Romains, eux-mêmes descendants des Troyens, ils pouvaient prétendre faire partie de cette famille prestigieuse issue de la déesse Vénus. Mais il n’en est rien, et les orateurs éduens du iiie siècle semblent avoir eu des scrupules à ce sujet.
122Eumène et ses collègues insistent sur des aspects concrets, attestés car vérifiables, de l’histoire qui les lie à Rome. Les liens évoqués sont ceux noués avant et pendant la conquête. Cette fierté d’un passé glorieux est omniprésente chez l’auteur du Panégyrique latin viii(5), plus encore que chez Eumène. L’Anonyme de 311 va jusqu’à critiquer vertement le recours aux mythes car, selon lui, le mythe est une fable qui ne constitue pas un argument suffisant – il emploie l’expression origo fabulosa127. Son poids est faible comparé aux preuves tangibles que les cités peuvent produire, tels leurs titres, témoins d’une fidélité constante envers Rome. La critique était déjà très présente chez Tacite, ironique envers ce genre de fabula, ainsi que dans la lettre d’Aelius Aristide128, au point d’ailleurs de se demander si critiquer les mythes invoqués sans justification par d’autres cités ne constituait pas l’un des topiques du πρεσβευτικòς λόγος. Dans tous les cas, même en ce début de ive siècle, alors que les statuts des cités avaient été uniformisés et que tout argument pour valoriser la communauté demeurait bon à prendre, les représentants des Éduens ont conservé une vision assurément « diplomatique » des rapports entretenus avec les Romains, en insistant sur le passé commun, les titres ou encore l’égalité entre les deux peuples (§3, 1).
123En somme, l’une des différences observées dans le répertoire des topiques du discours de légat réside, côté latin, dans l’absence par défaut – souvent présentée comme un refus conscient – de toute référence à une origine mythique ou fabuleuse de la cité. Pour prolonger cette remarque, on peut relever la rareté des mentions des exempla mythiques dans les discours des orateurs éduens comparés à ceux de leurs homologues hellénophones. Là encore, il s’agit d’une différence culturelle liée à l’origine et à l’identité des cités concernées.
La lecture ou non du décret (ψήφισμα) à la fin du discours
124Pour finir, une particularité orientale peut être relevée. Chez Ménandre le Rhéteur, le πρεσβευτικòς λόγος constitue un morceau d’éloquence « pur », accompagné seulement, dans un second temps, d’une lecture par le légat des décrets municipaux où se trouvaient consignés des règlements pratiques et institutionnels concernant chaque étape de la légation129. La dissociation des deux pratiques, discours d’une part, présentation de la requête sous forme de décision officielle prise à la βουλή d’autre part, apparaît déjà, de manière implicite, dans la correspondance de Pline le Jeune à propos de la légation avortée des Byzantins auprès de Trajan130. Or rien de tel ne figure chez les orateurs éduens dont les discours ne laissent apparaître aucune séparation nette entre les aspects « littéraires » et cérémoniels, et les aspects techniques et institutionnels. Les deux éléments semblent au contraire mêlés dans le corps même du discours où se côtoient précisions comptables et exempla soignés. En revanche, comme il en a déjà été question, à Autun, le gouverneur a été chargé de transmettre l’ensemble du dossier à la chancellerie impériale. Ceci a nécessité la rédaction d’un document écrit, d’une pétition à la manière d’un formulaire administratif, plus concise, comprenant le discours ou son simple résumé. Ces pièces ont constitué le dossier de la reconstruction d’écoles que le gouverneur devait faire suivre au pouvoir impérial. À aucun moment il n’est fait mention d’un decretum des curiales, ce qu’Eumène n’aurait pas manqué de préciser. Faute de détails cependant, on ne peut exclure la possibilité que le decretum ait été lu, en dehors du cadre cérémoniel du discours, à un responsable de la cour présent aux côtés de l’empereur ou bien au gouverneur. Ce ne sont que des hypothèses, bien entendu, mais l’importance accordée au ψήφισμα accompagnant le discours semble constituer une seconde différence dans les pratiques observées dans la partie hellénophone et la partie latinophone de l’Empire. Les répercussions de cette différence de pratiques se faisaient sentir sur le contenu même des discours, puisqu’en Occident considérations littéraires et aspects institutionnels étaient inextricablement mêlés131.
125Dernière remarque. Les discours éduens sont des morceaux oratoires à finalités pratiques voire prosaïques : les orateurs se justifient, demandent un bienfait, remercient leur interlocuteur, etc. Pour autant, ils se caractérisent d’un point de vue formel par un haut niveau littéraire. Ce trait de « littératurisation132 » des requêtes accompagnant la communication entre les administrés provinciaux et le pouvoir impérial, semble avoir connu une postérité remarquable dans les pétitions écrites, attestées dès le iiie siècle par les dossiers épigraphiques (analysés en particulier par Tor Hauken), puis dans l’Antiquité tardive par la documentation papyrologique (étudiée par Jean Gascou et Jean-Luc Fournet133) Des discours comme celui d’Eumène marquent une étape importante dans l’évolution de ce mode de communication, marqué par un style partagé aussi bien par les légats municipaux que par les hauts dignitaires de la chancellerie impériale134.
126L’enquête qui a occupé en partie ce chapitre permet désormais de resituer avec précision les discours éduens dans l’histoire du genre appelé traditionnellement « discours d’ambassade » ou πρεσβευτικòς λόγος par les théoriciens grecs de la rhétorique. Grâce aux rapprochements établis entre les « panégyriques » d’Eumène et de l’Anonyme de 311 et des textes de même nature prononcés dans des lieux différents et à des époques antérieures, on comprend comment les représentants de la cité des Éduens ont pu prononcer de tels discours, sous cette forme précise, à la fin du iiie et au début du ive siècle. Sans revenir sur les détails, ils semblent s’inscrire dans une forme de communication politique apparue au moment même où l’Empire fut créé, entre le temps des derniers imperatores et les premiers Julio-Claudiens. Ce dialogue pétri de conventions entre dans le cadre plus général de ce que G. Souris a qualifié de provincial diplomacy (« diplomatie provinciale »), expression à laquelle on préférera « diplomatie intérieure », plus neutre. Pour résumer, il s’agit d’une forme de communication hybride superposant et combinant des situations et des discours caractéristiques des rapports diplomatiques bilatéraux entre deux peuples avec des modes de relations administratives entre gouvernants et gouvernés. Cette communication politique paraît représentative de l’originalité du système impérial romain, dans lequel l’empereur se positionne à la fois comme un concitoyen et un souverain des habitants de l’Empire. De ce point de vue, les orateurs éduens perpétuent une pratique institutionnelle et rhétorique pluriséculaire au moment où ils prononcent leurs discours.
127En effet, ces derniers s’inscrivent dans la tradition du πρεσβευτικòς λόγος prononcé par les légats des cités hellénophones devant le prince ou le Sénat des débuts du Principat. Il semble que les principaux topiques de ce genre de discours se soient fixés de manière pragmatique dès cette époque. La pax Romana a favorisé la pratique des légations, dans le contexte du renouveau culturel de la Seconde sophistique. C’est à ce moment, semble-t-il, que les canons du πρεσβευτικòς λόγος se sont précisés et fixés dans le milieu des bouleutes des cités les plus illustres de Grèce et d’Asie Mineure. C’est à cette époque aussi, sous l’effet de « transferts culturels » autorisés par la circulation accrue des hommes et des idées, que le modèle s’est répandu sous cette forme littéraire, à Rome et dans les provinces latinophones de l’Empire. À Autun, on dispose d’une trajectoire individuelle unique et exceptionnelle dans ce contexte, comparable à celles mieux attestées de Fronton ou d’Apulée, à travers l’exemple du grand-père d’Eumène, rhéteur d’origine athénienne devenu enseignant dans les écoles municipales après être passé par Rome. Ces acteurs ont contribué à répandre et à adapter les modèles rhétoriques hellénophones à Rome mais aussi dans les provinces africaines et gauloises. Par leur existence même, ces textes montrent qu’en dépit des graves crises qui frappèrent les provinces occidentales au iiie siècle, ce mouvement d’ensemble de diffusion et d’efflorescence culturelle ne fut pas entravé. Bien au contraire, il apparaît que même dans les régions les plus touchées, la présence quasi permanente d’une cour impériale sur la frontière rhénane à partir des années 250 eut pour effet de faciliter et de stimuler l’envoi de légations, rendant plus familier ce mode de communication avec le prince. Dans cette perspective, les Panégyriques latins v(9) et viii(5) doivent être considérés comme des « discours d’ambassade » témoins de l’apogée de cette pratique dans les provinces latinophones de l’Empire.
128L’effort de remise en perspective historiographique des discours contenus dans le corpus des Panégyriques latins permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles ces panégyriques ont été dépréciés (chapitre 1). La situation s’explique par la méfiance et le mépris à l’égard du genre épidictique exprimés par les moralistes et les philosophes depuis Socrate, et tient aux préjugés des historiens à l’égard du Bas-Empire, époque dont ces discours sont les témoins privilégiés.
129Est-il alors légitime de les désigner tous, sans distinction, par le terme de « panégyrique » ? Assurément non, du moins pour plusieurs d’entre eux (chapitre 2). Une analyse externe de leur contexte, doublée d’une analyse interne de leurs caractéristiques formelles et de leur contenu, révèle que les Panégyriques latins v(9) et viii(5) sont deux discours d’ambassadeurs de cité et non des discours d’apparat prononcés dans le cadre du cérémonial impérial. La nuance apportée, importante, permet de replacer le contenu de ces textes dans les modes de gouvernement et d’administration de l’Empire : ils forment à ce titre un dossier documentaire exceptionnel, jamais étudié sous cet éclairage, des rapports entre cité et pouvoir impérial, ciuitas et imperium. Les textes d’Eumène et de l’Anonyme de 311 offrent deux exemples significatifs, par leur longueur et leur état de conservation, d’un genre littéraire, le πρεσβευτικòς λόγος, dont ils demeurent les seuls survivants pour l’ensemble de la période allant d’Auguste à Constantin.
130Mais comment les resituer dans l’histoire du genre du πρεσβευτικòς λόγος ou discours « d’ambassade » ? Sans revenir sur la démonstration du chapitre 3, il est permis, grâce aux rapprochements établis entre les discours éduens et des sources antérieures au caractère souvent hétéroclite et incomplet, de retracer la généalogie du genre. Ces discours s’inscrivent dans une forme de communication politique apparue au moment de la création de l’Empire, entre les derniers imperatores et les premiers Julio-Claudiens. Cette forme de communication correspond à ce que Georgos Souris a appelé la provincial diplomacy et que nous préférons qualifier de « diplomatie intérieure », notion qui désigne le dialogue hybride superposant des éléments propres au langage diplomatique entre deux peuples égaux avec les éléments caractéristiques des relations administratives entre gouvernants et gouvernés. Les panégyriques éduens s’inscrivent dans la tradition des discours d’ambassadeurs de cités hellénophones prononcés devant le prince ou le Sénat au début du Principat. Ils reprennent les principaux topiques de ce genre de discours, fixés pragmatiquement entre Auguste et le iie siècle, sans qu’aucun théoricien n’en définisse les canons. La pax Romana a ensuite facilité la multiplication des ambassades et favorisé le bouillonnement culturel du iie siècle de notre ère en Grèce et en Asie Mineure en particulier, connu sous le nom de Seconde sophistique. C’est à cette époque, semble-t-il, que les canons du πρεσβευτικòς λόγος se fixèrent et que, par un effet de « transferts culturels » favorisés par la circulation accrue des hommes et des idées, le modèle s’est répandu sous cette forme littéraire dans les provinces latinophones de l’Empire. Dans le cas des Éduens, il faut supposer que le grand-père d’Eumène, rhéteur athénien devenu enseignant dans les écoles de rhétorique, a joué un rôle déterminant, même si la documentation se révèle généralement lacunaire et demeure muette sur les parcours similaires qui devaient pourtant bien exister : ainsi pour l’Afrique, les rhéteurs Apulée et Fronton ont contribué à répandre et à adapter les modèles rhétoriques hellénophones. Enfin, en raison de l’existence des discours d’Eumène et de l’Anonyme de 311, il faut reconnaître que les crises qui affectèrent l’Occident au iiie siècle n’eurent pas d’effets négatifs sur ce mouvement culturel. Au contraire, il semble que, dans les provinces occidentales, la présence quasi permanente d’une cour impériale sur la frontière rhénane à partir des années 250 eut pour conséquence de faciliter l’envoi d’ambassades, car le prince, qui séjournait à Cologne et à Trèves, demeurait plus accessible que du temps où il résidait à Rome. Dans cette perspective, les Panégyriques latins v(9) et viii(5) doivent être considérés comme des témoins de l’apogée de cette pratique dans les provinces latinophones du Haut-Empire. Le rapprochement du contenu de ces textes avec les préceptes énoncés par Ménandre le Rhéteur montre que l’époque tétrarchique constitue un moment d’aboutissement dans l’élaboration d’une communauté culturelle au sein des élites municipales de l’Empire, permise par l’unification progressive des structures du gouvernement impérial. En définitive, les Panégyriques latins v(9) et viii(5) constituent des morceaux majeurs de l’éloquence de la « Troisième sophistique », pour emprunter l’expression de Laurent Pernot135, au même titre que les discours d’Ausone, Libanios ou Thémistios.
131À l’échelle de l’Empire, le contenu et la structure de ces discours attestent, comme cela vient d’être souligné, une véritable communauté d’esprit avec ceux prononcés à la même époque dans l’Orient hellénophone. En dépit des différences relevées, qui s’expliquent par des pratiques culturelles et des traditions locales diverses, ces textes témoignent de l’établissement d’une forme de langage commun partagé et reconnu pour ses valeurs fédératrices par les élites municipales et les dirigeants de l’Empire. La rhétorique ainsi formalisée fournit la preuve éclatante du puissant attrait exercé par le modèle romain, en particulier la force structurante de sa culture universelle. Enfin, on peut s’interroger sur le rôle joué par cette rhétorique de la « diplomatie intérieure » dans l’émergence d’un quatrième pôle de légitimité aux côtés du Sénat, du Peuple, de l’armée : celui des provinciaux. Autrement dit, ce topique n’a-t-il pas constitué l’un des moyens les plus efficaces pour communiquer avec l’empereur et, en conséquence, être associé au gouvernement et au destin de Rome ? De ce point de vue, nos conclusions s’accordent avec les travaux récents de Greg Rowe et d’Egon Flaig136, tout en les précisant sur certains points. Greg Rowe voyait poindre dans les décrets du règne de Tibère l’émergence des provinciaux comme un quatrième pôle de légitimité pour l’empereur. Quant à Egon Flaig, il a formalisé deux concepts que nous reprenons à notre compte : d’abord celui de « secteurs déterminants du système politique » pour qualifier les institutions clés du système du Principat que sont le Sénat, le peuple, l’armée, auxquels il faut ajouter désormais de manière plus affirmée les provinciaux ; ensuite celui d’Akzeptanz-System, traduction en language sociologique contemporain du concept latin de consensus uniuersorum, notion clé qui éclaire les phénomènes d’adhésion des forces vives de l’Empire au Principat augustéen. Parmi les manifestations de consensus en l’honneur du prince émanant des « piliers » du régime, telles que l’acclamatio, l’aduentus, la profectio, les ludi, etc., il faut à présent compter le phénomène de la « diplomatie intérieure » qui, à travers l’audience et la réception des légats municipaux, en constitue l’une des expressions les plus originales et les moins connues.
Notes de bas de page
1 La bibliographie sur les ambassades de cités dans le monde romain demeure très éclatée et il n’existe aucune synthèse substantielle à ce jour. On abordera le sujet à partir des remarques de Liebenam, Städtverwaltung, p. 82-88 ; A. Cagnat, « Legatio. Πρέσβεια, πρέσβευμα, πρέσβευσις, députation, ambassade », dans Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Daremberg C., Saglio E., Pottier E. éd., iii-2, Paris, 1904, p. 1025-1038 (en particulier les pages consacrées aux députations provinciales, p. 1035-1038) ; D. Kienast, « Presbeia », dans RE, Supplbd. xiii (1973), col. 499-528 ; J. Matthews, « Gesandschaft », dans RAC, 10 (1977), col. 653-685. Pour l’époque républicaine : Canali de Rossi, Le ambascerie (liste des ambassades de cités grecques auprès des Romains) et Bonnefond-Coudry, Le Sénat de la république romaine, en particulier p. 138-143 et p. 294-320. Pour le Haut-Empire : Millar, ERW (se reporter à l’index, à l’entrée embassies, p. 641-642) ; R. Talbert, The Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984, en particulier p. 411-425 ; Ziethen, Gesandte vor Kaiser und Senat ; Souris, Studies in provincial Diplomacy ; Jones, Kinship Diplomacy ; Diplomats and Diplomacy in the Roman Empire, références auxquelles il faut ajouter les remarques disséminées dans l’oeuvre de Louis Robert. Pour la fin de l’Antiquité : A. Gillet, Envoys and political communication in the Late Antique West, Cambridge, 2003 ; A. Laniado, Recherches sur les notables municipaux dans l’Empire protobyzantin, Paris, 2002, en particulier p. 15, 99, 150, 190, 218, 233, 239.
2 Voir Coriat, Le prince législateur, p. 474-479. Hauken, Petition and Response, p. 300-301, reprend cette distinction dans son étude des rescrits épigraphiques.
3 Millar, ERW, p. 8-9, considère que la lacune documentaire au sujet des ambassades de cités occidentales aux empereurs s’explique uniquement par des considérations culturelles et des spécificités politiques. Selon lui, en Orient, l’approche directe de l’empereur est chose beaucoup plus fréquente, car elle est liée au système de la cité et aux modes de relations entretenues avant la conquête. Cela est vrai en partie, surtout au début de l’Empire. Il existe également des différences certaines dans la pratique épigraphique, qui peuvent biaiser nos vues sur la question puisque c’est essentiellement sur ces témoignages que repose le raisonnement de Fergus Millar. Contre ces positions, lire en dernier lieu W. Eck, « Diplomacy as Part of the Administrative Process in the Roman Empire », dans Diplomats and Diplomacy, p. 193-207.
4 Menander Rhetor. Edited with translation and commentary by D. A. Russell and N. G. Wilson, Oxford, 1981, demeure la référence incontournable pour étudier ce théoricien de la rhétorique, à compléter avec l’étude récente de M. Heath, Menander. A Rhetor in Context, Oxford, 2004. Comme précisé plus haut, sous le nom de Ménandre le Rhéteur, il faut envisager deux auteurs distincts pour les Traités i et ii. Selon Russell et Wilson, qui s’appuient sur des indications internes (référence à des Carpes installés dans l’Empire, aux Blemmyes d’Égypte présentés comme les alliés de Rome, mention d’un collège impérial), « both treatises are likely to date from the reign of Diocletian », p. xl, idée reprise par F. Gascó, « Menander Rhetor and the Works attributed to him », dans ANRW, ii, 34-2 (1998), p. 3110-3146 (p. 3116). On complétera la bibliographie de Russell et Wilson avec plusieurs ouvrages parus en espagnol : Menandro el Rétor. Dos tratados de retórica epidíctica. Introducción F. Gascó, Traducción y notas M. Garcia y J. Gutiérrez, Madrid, 1995 ; F. Gascó, ibid., p. 3110-3146 ; M. J. Ponce, « Menandro rétor y el discurso imperial », p. 217-228 ; ead., « Menandro rétor y la figura del gobernador », Habis, 30 (1999), p. 353-364. En dernier lieu : L. Pernot, « Ménandre », dans Dictionnaire des philosophes antiques, iv. De Labeo à Ovidius, Goulet R. éd., Paris, 2005, p. 433-438. À l’exception de traductions partielles et de brefs commentaires relevés dans les travaux de J.-L. Fournet, L. Pernot ou M.-H. Quet, cet auteur de premier plan n’a fait l’objet d’aucune monographie en français.
5 La date de l’œuvre peut être précisée en réalité. Lepelley, « Vers la fin de l’autonomie municipale », p. 463, est le seul commentateur à avoir relevé, dans la partie consacrée à l’éloge de la famille (γένος) du prince, passage obligé de tout βασιλικòς λόγος, que Ménandre suggère, dans le cas où le prince aurait des origines humbles, de souligner sa nature divine. L’exemple choisi est tout à fait éloquent (Mén. Rh., ii, 370, 12-28 ; voir également l’éd./trad. D. A. Russell, N. G. Wilson, p. 80-81). En substance, voici ce que dit Ménandre : de la même façon qu’Hercule est considéré comme le fils d’Amphytrion bien qu’il soit le fils de Zeus, l’empereur est considéré comme un homme, alors qu’en réalité il est de nature divine, en raison même de sa fonction, preuve de son élection et de la supériorité de ses vertus. On notera ici le parallèle entre l’empereur et Hercule, présenté comme le fils de Zeus-Jupiter. Le propos est repris plus loin, dans le passage consacré au discours de la couronne (στεφανωτικòς λόγος), non relevé par Claude Lepelley. L’empereur est à nouveau assimilé à Hercule, fils de Jupiter. Il est présenté comme un prince guerrier, à cheval, armé de sa lance et de son bouclier, luttant contre ses ennemis sur toute l’étendue du monde parcourue par le soleil (Mén. Rh., ii, 422, 20-24). Ces deux passages renvoient très probablement à la théologie jovienne et herculéenne mise en place par Dioclétien à l’occasion de l’accession à l’Augustat de Maximien, le 1er avril 286 selon Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 193-194, et Barnes, NE, p. 4. Par conséquent, il faut exclure une datation antérieure à 286, remontant à Aurélien ou encore au règne de Carus et de ses fils, comme l’ont envisagé les éditeurs du texte. Enfin, si l’on se fie au portrait du prince que dresse Ménandre (un Hercule fils de Jupiter, sans origines familiales brillantes, menant des campagnes sur de nombreux territoires de l’Empire), compte tenu de l’absence de toute mention d’un collège de plus de deux princes, on serait tenté d’y voir de nouveaux indices chronologiques permettant de resserrer la fourchette de datation du Traité ii aux années 286-293, celles de la dyarchie. Il y a peu de chances pour que de tels préceptes aient été formulés après 306, quand le système élaboré par Dioclétien se désagrégea rapidement. Gianfranco Agosti aboutit à une datation très proche : Agosti, « P. Oxy. 4352, fr. 5. ii. 18-39 (Encomio a Diocleziano) », p. 51-58.
6 Traduction partielle et commentaires dans J.-L. Fournet, Hellénisme dans l’Égypte du vie siècle. La bibliothèque et l’œuvre de Dioscore d’Aphrodité, vol. 1, Le Caire, 1999 (MIFAO, 115), p. 260. Traduction intégrale dans id., « Entre document et littérature : la pétition à Byzance », p. 64-65. Aux lignes trois et quatre, à la suite d’observations formulées par Laurent Pernot lors d’un séminaire organisé à Paris en juin 2006 par l’équipe du Centre Glotz dirigée par Michel Christol, on apportera de sensibles retouches à la traduction proposée : « mais partout, tu amplifieras la philanthropie de l’empereur ». Dans ce passage, le verbe αυξήσεις donne la couleur typologique du discours.
7 Mén. Rh., ii, 422, 5-423, 5.
8 Sur la pratique de l’envoi de couronnes d’or, lire en premier lieu la mise au point de Millar, ERW, p. 140-142. Une telle pratique semble avoir coexisté, jusqu’à des époques tardives, avec l’envoi obligatoire de sommes d’argent considérées comme des taxes. La pratique de l’envoi d’une couronne à l’occasion d’une victoire est mentionnée dans un fragment d’Eunape concernant l’accession de l’empereur Julien à l’Augustat. À cette occasion, des envoyés des cités d’Ionie et de Lydie se firent remarquer et obtinrent pour leurs provinces des bienfaits supérieurs à ceux espérés. L’envoyé des Lydiens, Eunape, participa aussi à un procès dont il sortit victorieux. Pison de Clazomène bénéficia du même régime de faveur : Eun., frag. 15. À l’époque tardive, de telles pratiques sont mentionnées par Them., Or. iii, 1 (πρεσβευτικòς λόγος de 357 adressé à Constance ii présent à Rome), Or. xiv, 2 (discours d’ambassade à Théodose en 379) et par Syn., De la Royauté, iii, 2. Analyses de la question dans Pernot, op. cit., 1, p. 94 ; MacCormack, op. cit., p. 58 ; et surtout dans R. Delmaire, Largesses sacrées et res priuata. L’aerarium impérial et son administration du ive au vie siècle, Rome, 1989 (CÉFR, 121), p. 387-400.
9 Mén. Rh., ii, 423, 2-5. La durée des discours antiques est étudiée en détail par Pernot, op. cit., 1, p. 454-459.
10 Un bel exemple est fourni par Libanios (Lib., Or. i, 127-130). Au moment de la prise du consulat par Julien à Antioche, le 1er janvier 363, trois rhéteurs prirent officiellement la parole pour louer le prince, dont Libanios lui-même (son discours nous est parvenu : Or. xii). Quant aux autres rhéteurs, ils étaient latinophones.
11 Présentation de ces discours accompagnée d’un bref commentaire dans Pernot, op. cit., 1, p. 96-97.
12 Sur les tournées des gouverneurs dans leurs provinces : Lehnen, Adventus principis, en particulier p. 318-341 et 357-360 ; C. Lepelley, « Les sièges des conventus judiciaires de l’Afrique proconsulaire », BACTHS, Afrique du Nord, 23 (1990-1992), p. 145-147 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 55-68, avec un appendice inédit consacré au calendrier et à l’itinéraire de la tournée du proconsul, p. 68) ; Bérenger-Badel, « Le voyage des gouverneurs à l’époque impériale », p. 73-86 ; P. Le Roux, « La question des conventus dans la péninsule Ibérique d’époque romaine », dans Au jardin des Hespérides. Histoire, société et épigraphie des mondes anciens. Mélanges offerts à Alain Tranoy, Rennes, 2004, p. 337-356. La relative rareté des mentions de visites de gouverneurs dans les sources littéraires s’explique peut-être du fait que notre documentation fait plutôt état d’événements exceptionnels (comme la visite d’un prince), laissant de côté ce qui était considéré comme normal, fréquent et donc banal. Si la tournée d’inspection fait partie des attributions des gouverneurs dès l’époque républicaine, en revanche, le cérémonial qui l’accompagnait semble avoir pris une autre tournure en Orient puis en Occident au moment de la Seconde sophistique. En témoignent les œuvres de Dion Chrysostome, Aelius Aristide et Apulée, pour ne citer que les témoins et acteurs les plus célèbres.
13 Ménandre conseille aux orateurs de comparer le gouverneur, représentant du prince, à un rayon du soleil : Mén. Rh., ii, 378, 10-12 ; 21-23. Rapide commentaire de ce passage dans Ponce, « Menandro rétor y la figura del gobernador », p. 355. L’image de la lumière constituait un lieu commun : voir les parallèles recensés par Russell, Wilson, p. 283-284. On retiendra en particulier le recours que fait Libanios à cette image dans l’ouverture de son discours d’accueil adressé à Julien (Or. xv ; éd./trad. A. F. Norman, Loeb).
14 Mén. Rh., ii, 424, 3-430, 8. Le plan canonique d’un tel discours est le suivant : exposer dans l’introduction (ἐν τοῖς προοιμίοις) les raisons de la venue au festival (fête durant laquelle ce genre d’invitation était formulé habituellement) et les raisons de l’invitation. Doivent ensuite se succéder, dans l’ordre, l’éloge de la fête, l’éloge de la cité qui accueille l’événement et l’éloge du gouverneur. Ménandre envisage ensuite tous les cas de figure, en fonction des circonstances (festival ou non), du lustre de la cité qui lance l’invitation. Ces éléments entraînent des modifications substantielles dans l’ordre des idées et leur agencement (l’éloge de la cité vient avant ou après celui du gouverneur, ou lui est lié, comme l’indique l’expression κατὰ ἕνωσιν).
15 Mén. Rh., ii, 377, 31-388, 15. Il existe, selon Ménandre, trois types de discours appelés ἐπιβατήριος : le discours adressé par l’orateur de retour dans sa patrie ; celui adressé à une cité à laquelle il rend visite ; celui adressé à un gouverneur qui se rend dans sa cité. Dans l’introduction, il faut insister sur le thème de la joie. Dans le détail ensuite, chacun comporte des éléments spécifiques. Doivent cependant apparaître, à un moment ou un autre, dans le cas du discours de visite d’un gouverneur, un éloge de l’empereur, un autre du visiteur, un dernier de la cité honorée.
16 Mén. Rh., ii, 395, 1-399, 10. Ménandre précise le style à adopter pour ce genre de discours et souligne la variété de discours possibles, en alignant une série d’exemples concrets.
17 Mén. Rh., ii, 414, 31-418, 3. Variantes chez le Pseudo-Denys, qui donne à ce genre de discours le titre de Προσφωνηματικός : Ps.-Denys, 272-277 (cité dans l’éd./trad. D. A. Russell, N. G. Wilson, p. 371-373). Il s’agit d’un éloge du gouverneur, mais sélectif quant aux thèmes abordés. L’orateur doit insister sur l’éloge du prince que le gouverneur représente, puis sur la série de topiques suivants : le bon choix du gouverneur par les empereurs ; l’éloge de sa famille si elle est renommée ; l’éloge des actions du gouverneur, selon quatre vertus cardinales : φρόνησις, δικαιοσύνη, σωφροσύνη et ἀνδρεία ; la comparaison du gouverneur avec des personnages mythiques. Le discours se clôt par un épilogue lyrique, où l’orateur insiste sur les honneurs à venir qu’il faut rendre au gouverneur (décrets, statues).
18 Mén. Rh., ii, 388, 16-395, 1. Ménandre souligne que la λαλιά (la « discussion ») constitue plus un style usité dans un discours qu’un genre épidictique à proprement parler. Il envisage par exemple qu’on puisse faire un éloge de gouverneur dans le style d’une λαλιά, en abordant l’attitude des empereurs, le rôle du gouverneur à l’égard des cités et, enfin, le caractère du gouverneur. Mais au lieu d’aborder directement ces questions, l’orateur les évoquera à travers des histoires et des exempla très détaillés. Ménandre décline ensuite la gamme des discours qui peuvent être rédigés sous cette forme (discours d’exhortation à la concorde entre cités ou adressé à des citoyens d’une même cité ; discours de retour ou d’arrivée ; etc.).
19 Une liste des pétitions du Haut-Empire connues par l’épigraphie a été dressée récemment par Hauken, op. cit., p. 2-256, accompagnée d’une synthèse, p. 256-326. L’auteur montre cependant que les pétitions gravées se distinguaient des éloges parfois prononcés à l’occasion de la présentation de la requête (p. 286). Sur la justification d’une étude des réponses pour reconstituer le texte des pétitions, voir D. Feissel, « Pétitions aux empereurs et formes du rescrit dans les sources documentaires du ive au vie siècle », dans La pétition à Byzance, p. 33-34 (liste, p. 45-52, des pétitions et rescrits d’empereurs des iv-vie siècles). Voir aussi la récente analyse par Denis Feissel d’un rescrit de Justinien découvert en 1991 à Didymes et dont les attendus ou considérants, pour reprendre une terminologie empruntée à la diplomatique, qui couvrent les lignes 1 à 16, sont l’écho direct de la pétition de la cité : « Un rescrit de Justinien découvert à Didymes », Chiron, 34 (2004), p. 285-365, en particulier p. 311-318. L’auteur rappelle que le procédé avait été employé dans le rescrit constantinien reproduit sur l’inscription d’Orcistos, analysée plus loin.
20 Aucun ouvrage ne propose de liste des ambassades envoyées par les cités aux empereurs ou au Sénat. Canali de Rossi, Le ambascerie, limite son enquête à la période républicaine. Pour les débuts de l’Empire jusqu’au règne d’Hadrien : Ziethen, Gesandte vor Kaiser und Senat, donne une liste exhaustive. Pour la période suivante, on consultera la thèse inédite de Georgos Souris : Souris, Studies in provincial Diplomacy, en particulier p. 67 et suiv., le tableau 2 où figure la liste des ambassades classées selon l’origine géographique des légats.
21 Sur le travail de Tacite, se reporter à l’ouvrage de R. Syme, Tacitus, 2 vol., Oxford, 1958, ainsi qu’aux commentaires de Furneaux, The Annals, Oxford, 1896-1906, et de Koestermann, Tacitus, Heidelberg, 1965. On lira avec intérêt les brèves remarques formulées sur cette catégorie de discours résumés par Tacite dans Christol, « Entre la cité et l’empereur », p. 179-180.
22 Ces passages sont relativement fréquents dans les Annales de Tacite, qui constituent à ce titre une source précieuse. Tacite narre en détail ces réceptions et ces audiences à Rome d’ambassades de cités grecques, pour souligner la figure du bon ou du mauvais empereur dans ses rapports avec les provinciaux et pour exalter au passage la puissance et la gloire de Rome, maîtresse des villes et des peuples les plus illustres du monde hellénophone.
23 Voir Coriat, Le prince législateur, cité par Hauken, op. cit., p. 300-301.
24 L’idée selon laquelle la réception des ambassades de cité à Rome, auprès de l’empereur ou du Sénat, était chose inutile, ruineuse pour les cités, source de gaspillage de temps pour les récipiendaires, a fait son chemin au iie siècle, même si Cicéron abordait déjà la question dans un contexte particulier il est vrai, dans une lettre du 8 octobre 51 avant notre ère adressée depuis Mopsueste à Appius Pulcher (Fam., iii, 8, 2 = ccxxii dans l’éd./trad. L.-A. Constans, J. Bayet, CUF). La correspondance de Pline le Jeune offre un exemple concret d’intervention de gouverneur pour empêcher ce genre de pratique, lorsque Pline retient une légation byzantine envoyée annuellement à Trajan : Plin., Ep., x, 43. Un siècle plus tard, Dion Cassius prête à Mécène l’idée qu’il fallait abolir totalement ce genre de pratiques, par souci d’une meilleure gestion des affaires de l’État et des cités (DC, lii, 30, 9-10). Ce contrôle des ambassades, en particulier du nombre des légats, devient source d’une réglementation plus pointilleuse de la part des juristes de la même époque (le premier édit attesté sur cette question remonte à Vespasien : Dig., l, 7, 5, 6). Plus tard, Constantin réitéra ces principes avec plus de force encore (CTh, i, 16, 2). Sur cette question : W. Williams, « Antoninus Pius and the control of provincial embassies », Historia, 16 (1967), p. 470-483 ; Millar, ERW, p. 380-382 ; G. A. Souris, « The size of the provincial embassies to the emperor under the Principate », ZPE, 48 (1982), p. 235-244.
25 Sur les ambassades de cités reçues au Sénat : Bonnefond-Coudry, Le Sénat de la république romaine, p. 138-143, 294-320. Pour le Haut-Empire : Millar, ERW, p. 343-350 ; R. Talbert, The Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984, p. 411-425 ; et surtout Souris, op. cit., p. 80-82.
26 Pour des commentaires et des parallèles avec d’autres sources : Furneaux, The Annals, p. 541-541-543 ; Koestermann, Tacitus, p. 146-149.
27 Sur Troie, on lira, parmi de nombreux articles et ouvrages qui font référence aux liens entre cette cité et Rome, Jones, op. cit., p. 94-101 et 103-105.
28 Voir Furneaux, op. cit., p. 553-556 ; Koestermann, op. cit., p. 169-174.
29 Les règles de l’éloge des cités sont énumérées clairement dans le Traité i de Ménandre le Rhéteur : Mén. Rh., I, 344, 15-367, 8. Se reporter aussi aux commentaires de ce passage dans Pernot, op. cit., 1, p. 178-216 ; Bouffartigue, « La tradition de l’éloge de la cité », p. 43-58.
30 Arstd., Or. xix, 1 ; 2 et 11-13.
31 Voir Furneaux, op. cit., p. 31 ; Koestermann, op. cit., p. 73-85. Sur le discours prononcé au Sénat à cette occasion par Claude, connu par la célèbre table de bronze découverte à Lyon (CIL, xiii, 1668), voir l’édition ancienne de P. Fabia, La table claudienne de Lyon, Lyon, 1929, ainsi que l’analyse récente de W. Riss, « Die Rede des Claudius über das ius honorum der gallischen Notablen : Forschungsstand und Perspektiven », RÉA, 105-1 (2003), p. 211-249.
32 Voir Furneaux, op. cit., p. 133-135 ; Koestermann, op. cit., p. 207-209.
33 Koestermann, op. cit., p. 207-209 et 213-218.
34 Sur le personnage, la bibliographie est abondante : voir en particulier Pflaum, Carrières, p. 41-44, no 16 ; Millar, ERW, p. 85-86, 226 et 491. À titre comparatif, on peut citer le rôle de médiateur avec les communautés civiques orientales qu’a joué le médecin de Caracalla : M. Christol, T. Drew-Bear, « Caracalla et son médecin L. Gellius Maximus à Antioche de Pisidie », YClS, 31 (2004), p. 85-118.
35 Furneaux, op. cit., p. 553-556 ; Koestermann, op. cit., p. 169-174.
36 Suet., Claud., 25 (éd./trad. H. Ailloud, CUF) : Iliensibus quasi Romanae gentis auctoribus tributa in perpetuum remisit, recitata uetere epistula Graeca senatus populique Romani Seleuco regi amicitiam et societatem ita demum pollicentis, si consanguineos suos Ilienses ab omni onere immunes praestitisset : « Quant aux Troyens, en leur qualité d’ancêtres de la race romaine, il les exempta d’impôts pour toujours, après avoir donné lecture d’une ancienne lettre, écrite en grec, par laquelle le Sénat et le Peuple romain promettaient au roi Seleucos leur amitié et leur alliance, mais seulement à condition qu’il affranchît de toute charge les Troyens, leurs parents. » Plus loin, Suétone précise que le jeune Néron, à l’occasion de cette séance du Sénat présidée par Claude alors consul, plaida en latin la cause de Bologne, en grec (graece uerba fecit) celle de Troie et des Rhodiens (Suet., Ner., 7).
37 Suet., Claud., 25 (éd./trad. H. Ailloud, CUF) : templumque in Sicilia Veneris Erycinae uetustate conlapsum ut ex aerario populi Romani reficeretur, auctor fuit : « il demanda qu’on fit reconstruire aux frais du trésor public le temple sicilien de Vénus Érycine, ruiné par le temps. »
38 Phil., V. Soph., ii, 9. La nature de ce texte est discutée par Pernot, op. cit., 1, p. 436 (qui la considère comme une ἐπιστολὴ πρεσβευτική), et M.-H. Quet, « Appel d’Aelius Aristide à Marc Aurèle et Commode après la destruction de Smyrne par le tremblement de terre de 177/8 après J.-C. », dans La « crise » de l’Empire romain, p. 237-278. La lettre est donc bien une έπιστολή πρεσβευτική, c’est-à-dire une lettre d’accompagnement d’une requête qui, pour atteindre le prince, suivait les canaux de la hiérarchie administrative (cité, gouverneur, chancellerie). Le contexte particulier de désorganisation des institutions civiques explique ici pourquoi Aelius Aristide a écrit de son propre chef la missive, au nom de ses concitoyens. Les règles de ce genre répandu sont très brièvement énoncées dans le traité du Pseudo-Libanios : Ps.-Lib., Ἐπιστολιμαῖοι χαρακτῆρες, 29 et 76 (éd. R. Foerster, t. 9, p. 31 et 42-43 ; trad. P.-L. Malosse, p. 26 et 36). Sur la pétition écrite, différente du discours oral qu’elle accompagne parfois, voir Hauken, op. cit., p. 286 ; Fournet, art. cit., p. 61-74.
39 Sciendum est, esse quasdam colonias iuris Italici, ut est in Syria Phoenice splendidissima Tyriorum colonia, unde mihi origo est, nobilis regionibus, serie saeculorum antiquissima, armipotens, foederis quod cum Romanis percussit tenacissima : huic enim diuus Seuerus et imperator noster ob egregiam in rem publicam imperiumque Romanum insignem fidem ius Italicum dedit : sed et Berytensis colonia in eadem prouincia Augusti beneficiis gratiosa et (ut diuus Hadrianus in quadam oratione ait) Augustana colonia, quae ius italicum habet. Est et Heliopolitana, quae a diuo Seuero per belli ciuilis occasionem Italicae coloniae rem publicam accepit. Est et Laodicena colonia in Syria Coele, cui diuus Seuerus ius Italicum ob belli ciuilis merita concessit.
40 Ce passage du Digeste est commenté par Christol, « Entre la cité et l’empereur », p. 163-188, qui s’interroge sur les raisons pour lesquelles les compilateurs d’époque justinienne n’ont pas retranché du texte original tous ses développements, en particulier ses fleurs de rhétorique (p. 165). L’auteur interprète cette attitude comme une marque de déférence à l’égard d’Ulpien et de la cité qui l’avait vu naître.
41 Christol, art. cit., p. 180-187, reprend le dossier et, dans sa démonstration pour dater l’octroi du statut colonial, lie le discours d’Ulpien avec l’une des trois visites impériales attestées, à l’été 194, à l’été/automne 197 ou en 201. L’auteur penche plutôt pour cette dernière solution (p. 186), en avançant plusieurs arguments : à cette date, Ulpien faisait partie des plus proches conseillers de Papinien, lui-même personnage clé de l’entourage de Septime Sévère.
42 Christol, art. cit., p. 167. Louis Robert cite plusieurs personnages ayant ainsi profité de leur proximité avec le prince pour favoriser leur cité (Criton, médecin de Trajan pour Héraclée de la Salbakè ; Polémon pour Smyrne du temps d’Hadrien ; Julien pour Philadelphie sous Caracalla) : Robert, « La titulature de Nicée et de Nicomédie », p. 34 (repris dans Opera Minora Selecta. Épigraphie et antiquité grecques, 6, Amsterdam, 1989, p. 244, n. 162).
43 Christol, art. cit., p. 173-176.
44 Voir le commentaire de l’expression et les références aux grands événements de l’histoire de Tyr donnés par Christol, art. cit., p. 176-177.
45 Ibid., p. 177-178, en particulier n. 46-49 où est donnée la liste de ces hauts faits d’armes.
46 Commentaire de cette autre expression ibid., p. 178-180.
47 Paul Veyne, a traité de ces questions dans un article pionnier : Veyne, « Foederati », p. 429-436. On connaît ainsi une cité d’Italie, Amiternum en Ombrie, qui, en 210 (le texte mentionne la xviiie puissance tribunicienne de Septime Sévère et son titre de Britannicus Maximus), s’est vue confirmer par l’empereur le foedus aequum à la suite de l’envoi d’une ambassade (CIL, xi, 5631 = ILS, 432). La mention du foedus apparaît aussi dans des inscriptions municipales de Capène (CIL, xi, 3873 = ILS, 409 ; CIL, xi, 3932 = ILS, 5770 ; CIL, xi, 3936 = ILS, 6588 ; AE, 1954, 164-168) et de Tarquinies (la référence à cette dernière inscription est donnée par Paul Veyne, p. 429, n. 1). Voir aussi les remarques formulées au chapitre 9 sur le sens du souvenir d’un tel foedus à une époque tardive.
48 Iliensibus et propter inclytam nobilitatem ciuitatis, et propter coniuctionem originis Romanae, iam antiquitus et senatusconsultis, et constitutionibus principum plenissima immunitas tributa est, ut etiam tutelae excusationem habeant : scilicet eorum pupillorum, qui Ilienses non sint. Idque diuus Pius rescripsit.
49 On trouvera une liste très détaillée des inscriptions latines mais surtout grecques relatives à l’envoi d’ambassades dans la thèse de Souris, op. cit. Cet auteur cite aussi les riches commentaires de ces inscriptions proposés par Louis Robert. En dernier lieu, sur la documentation latinophone se rapportant aux légations : W. Eck, art. cit., p. 193-207.
50 Voir les introductions consacrées à ces inscriptions dans Reynolds, Aphrodisias and Rome, p. xiii-xviii, 1-6, 33-41, 107-113. Voir aussi la bonne introduction de Rouéché, Aphrodisias in Late Antiquity, p. XIX-xxvii.
51 Sur les cités libres d’Occident et sur la notion de libertas au Haut-Empire, voir l’article de F. Jacques, « Municipia libera de l’Afrique proconsulaire », dans Epigrafia. Actes du colloque en mémoire d’Attilio Degrassi, Rome, 1991, p. 583-606 ; C. Lepelley, « Thugga au iiie siècle : la défense de la liberté », dans Dougga (Thugga), p. 105-114 (repris dans Aspects de l’Afrique romaine, p. 69-81) ; M. Christol, « De la liberté recouvrée d’Uchi Maius à la liberté de dougga », RPh, 78-1 (2004), p. 13-42. Sur les cités orientales et hellénophones, on lira E. Guerber, « Le thème de l’autonomie des cités grecques et ses prolongements politiques sous le Haut-Empire », dans Hommage à Claude Lepelley, ρ. 123-142, en particulier p. 124-136 ; id., les cités grecques dans l’empire romain : les privilèges et les titres des cités de l’orient hellénophone, d’Octave Auguste à Dioclétien, Rennes, 2009, ainsi que les réflexions de la table ronde sur le sujet réunies dans MeditterAnt, 2 (1999).
52 Édition de la table de Banasa : Seston, Euzennat, « La Tabula Banasitana », p. 468-490 (repris dans Scripta Varia. Mélanges d’histoire romaine, de droit, d’épigraphie et d’histoire du christianisme, Rome, 1980 (CÉFR 43), p. 85-107). Commentaires dans Christol, « Une correspondance impériale ; testimonium et suffragatio dans la Table de Banasa », p. 31-42 (p. 31) ; R. Rebuefat, « Le discours oral du prince », MÉFRA, 114-2 (2002), p. 1011-1024. Sur l’inscription d’Orcistos, voir la bibliographie donnée infra, n. 68.
53 Il s’agit de propos oraux, formulés lors du congrès des études byzantines de Paris en 2001, non reproduits dans la version écrite ; D. Feissel, art. cit., p. 33-52.
54 Plut., Ant., 80. Dans ce passage, qui suit l’entrée d’Octave à Alexandrie, ce dernier explique aux habitants, à l’occasion d’un discours prononcé au gymnase, les raisons qui le poussent à pardonner à la cité : le prestige et le respect de la mémoire de son fondateur, l’admiration pour sa taille et sa beauté, le souhait de faire plaisir à son ami le philosophe Aréios (son maître). La scène est mentionnée par Plutarque ailleurs dans son oeuvre (Reg. et imp. apopht., 207 a et Praec. ger. reip., 814 d) et par Dion Cassius (DC, li, 16, 3-4).
55 Cette inscription laisse voir de manière exceptionnelle un exemple de requête infructueuse. Bien entendu, le texte n’a pas été affiché dans la cité qui a essuyé le refus mais dans une autre, indirectement concernée par l’affaire.
56 Reynolds, Aphrodisias and Rome, p. 132.
57 L’ambassade correspond, au regard du contexte, à une ambassade honorifique envoyée pour l’événement. Le discours prononcé fut probablement un discours de la couronne.
58 La proclamation de fidélité par l’envoi d’une légation était un acte apprécié des empereurs. Ce texte semble valoriser plus que de coutume de tels actes de piété. Les Aphrodisiens étaient bien informés de la politique de restauration en matière religieuse et politique engagée par Trajan Dèce durant son court règne, et dont se font l’écho de nombreux documents épigraphiques et papyrologiques. De tels arguments ne pouvaient laisser ce prince indifférent. Sur la politique de Trajan Dèce : Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 119-123.
59 À titre comparatif, il est permis de mentionner un document mis au jour depuis peu, dont le contenu, bien qu’il soit d’époque antonine, apparaît proche du contenu des inscriptions aphrodisiennes (T. Ritti, « Documenti adrianei da Hierapolis di Frigia : le epistole di Adriano alla città », dans L’hellénisme d’époque romaine : nouveaux documents, nouvelles approches (1er s. a.C.-3e s. p.C.), Corbier M., Follet S., Laronde A. éd., Paris, 2004, p. 297-340, d’où AE, 2004, 1423). Le texte reproduit une lettre de confirmation des privilèges de la cité par Hadrien, lequel s’inscrit dans la politique de Trajan qui avait déjà agi ainsi en son temps. Fladrien justifie son action en invoquant l’εὐσέβεια des habitants envers les dieux et envers le prince au moment de son avènement (prières et sacrifices). À cette occasion, en plus des décrets honorifiques, une couronne d’or (aurum coronarium) a été envoyée, qu’Hadrien a décidé de retourner, jugeant suffisant l’hommage lui-même. Un ambassadeur de la cité a pris la parole à l’occasion, un certain Iulios Myndos, évergète important dans sa cité, φιλο[σέβαστος] d’après AE, 2001, 1902.
60 L’inscription est discutée par Louis Robert à différentes reprises dans son œuvre, d’abord dans « La titulature de Smyrne », Hellenica, 1, p. 58-59, puis dans « La titulature de Nicée et de Nicomédie », art. cit., p. 26 (repris dans Opera Minora Selecta, 6, op. cit., p. 236). Sur la date d’élévation au statut d’Augusta de Plautilla, voir désormais M. Christol, « L’épigraphie de Dougga et la carrière de Plautien », dans Dougga (Thugga), p. 127-140. Plautille était déjà Augusta au moment de son mariage avec Caracalla, célébré entre le 9 et le 15 avril 202 lors des decennalia de Septime Sévère (p. 128). La date des fiançailles ne peut qu’être déduite et fixée de manière approximative au printemps 201 ou à l’approche de l’été de la même année (p. 136).
61 Sur ce voyage de la famille impériale en 201 avant l’hiver, voir Halfman, Itinera Principum, p. 50-52, 216-223 ; A. Birley, The African Emperor Septimius Severus, Londres, 1988, p. 142-144, 250-251.
62 Le récit de la lutte entre les cités de Nicée et de Nicomédie en 193, la première partisane de Pescennius Niger, la seconde de Septime Sévère, est relaté par Robert, art. cit., p. 22-25 (repris dans Opera Minora Selecta, 6, op. cit., p. 232-235).
63 Ibid., p. 26-27 (repris dans Opera Minora Selecta, 6, op. cit., p. 236-237).
64 IGR, iii, 6 (CIG, 3771). L’inscription est commentée par Robert, art. cit., p. 28-29 (repris dans Opéra Minora Selecta, 6, op. cit., p. 238-239).
65 Le terme qui signifie l’ancienneté des rapports (ἄνωθε) revêt ici un sens moral. L’ancienneté a une valeur positive en soi. On retrouve ce thème dans le Panégyrique latin viii(5), 4, 1 : Dicet aliquis « Vetera ista ». Sunt, et quidem hoc sanctiora quod uetera.
66 Robert, art. cit., p. 26 (repris dans Opera Minora Selecta, 6, op. cit., p. 236).
67 Voir en particulier les textes épigraphiques évoquant les « repeated themes and arguments of provincial diplomacy », cités en note par Souris, op. cit., p. 172-200, et les textes commentés par Jones, op. cit., par exemple p. 118 (OGIS, 603 : inscription de Laodicée où la cité se proclame maîtresse des mers – ναυαρχίς – et affirme sa συγγένεια, sa φιλία ainsi que sa συμμαχία avec le peuple romain).
68 Sur l’inscription d’Orcistos (ΜΑΜΑ, vii, 305 = CIL, iii, 352 ; 7000 ; ILS, 6091) : Chastagnol, « L’inscription constantinienne d’Orcistos », p. 381-416 (repris dans Aspects de l’Antiquité tardive, p. 105-142) ; Jacques, « Les moulins d’Orcistus », p. 431-437 ; D. Feissel, « L’adnotatio de Constantin sur le droit de cité d’Orcistos en Phrygie », AntTard, 7 (1999), p. 255-267.
69 Jacques, art. cit., p. 437.
70 Sur l’inscription de Tymandos (CIL, iii, 6866 = ILS, 6090), voir Jacques, Les cités, p. 20-21, qui contient une traduction française du texte accompagnée d’un rapide commentaire. Sur la lettre impériale qui rend à la ciuitas Heracleotarum son statut de cité, voir Lepelley, « Une inscription d’Heraclea », p. 221-231.
71 Ce genre de démarche, qui consiste à faire aboutir une requête en exerçant une forme de « harcèlement » sur les autorités provinciales ou sur l’empereur lui-même, est critiqué par l’auteur du Panégyrique latin viii(5), 9, 2 : Haec sunt, imperator, uera benefìcia quae non precibus efflagitata sed ex uolontaria tua bonitate proueniunt.
72 Voir supra, η. 1, pour des références sur la pratique institutionnelle de l’envoi d’ambassadeurs. Parmi les ouvrages cités, peu étudient de manière substantielle le discours prononcé à l’occasion de l’ambassade. Pour l’époque hellénistique, qui a pu fournir des modèles d’inspiration : W. S. Wooten, « The Ambassador’s Speech : A Particulary Hellenistic Genre of Oratory », QJS, 59 (1973), p. 209-209-212 ; J. Bousquet, « La stèle des Kyténiens du Létôon de Xanthos », RÉG, 101 (1988), p. 12-53 ; Canali de Rossi, op. cit. Pour l’époque romaine, voir Millar, ERW, p. 8 et p. 141-142 ; Souris, op. cit., p. 173-200 ; Pernot, op. cit., 1, p. 45, 72, 73-74, 80, 94-97 et 2, p. 712-713 ; Jones, op. cit., p. 108-111 et 115-116.
73 Souris, op. cit., p. 12.
74 Pour une analyse de détail de la structure des Panégyriques latins v(9) et viii(5), voir supra, chapitre 2.
75 Nous suivons ici la définition de Pernot, op. cit., 1, p. 129-131.
76 Tac., An., iv, 55, 1.
77 Sur l’éloge des cités, voir Bouffartigue, art. cit., p. 43-58, et surtout Pernot, op. cit., 1, p. 178-216. On retiendra les noms de Quintilien et de Ménandre, principaux théoriciens antiques à avoir édicté des règles pour la catégorie des discours épidictiques : Quint., iii, 7, 26-27 et Mén. Rh., i, 344, 15-367,8.
78 Les mythes fondateurs sont invoqués par la plupart des délégués de cités et d’îles dont les discours ont été rapportés par Tacite dans les Annales·, par exemple Éphèse (iii, 61, 1), Chypre (iii, 62, 4), Smyrne (iii, 63, 3 et iv, 56, 1), Sparte (iv, 43, 1), Messène (iv, 43, 2), etc. Aelius Aristide, dans sa lettre aux empereurs, refuse de faire usage d’un tel procédé (Or. xix, 4). La question des mythes fondateurs apparaît enfin chez Ménandre, dans la partie du Traité i consacrée à l’éloge des cités, comme un élément essentiel de l’identité des communautés civiques de la pars Orientis de l’Empire à son époque : Mén. Rh., i, 359, 8-11.
79 Les remarques formulées dans la note précédente à propos de l’usage et de la signification des mythes fondateurs dans le cadre de la « diplomatie intérieure » valent aussi pour les anecdotes relatives à l’histoire des cités. Tacite en mentionne plusieurs : par exemple le rappel par les habitants de Hiérocésarée de l’histoire de leur cité au temps de Cyrus (An., iii, 62, 3) ou, dans le même esprit, le souvenir d’Alexandre conservé à Sardes (An., iii, 63, 3). Les orateurs éduens offrent chacun une belle illustration de ce procédé, rappelant les événements marquants de l’histoire de leur cité : appel de Diviciac, guerre des Gaules, siège et sac d’Autun en 269-270.
80 Les termes et expressions relevant du champ lexical de l’ancienneté sont pléthore dans ce genre de discours, tant dans le domaine latin que grec : Troie fait valoir son antiquitas (Tac., An., iv, 55,2), Smyrne sa uetustas (Tac., An., iv, 56, 1), les Éduens rappellent leur foedus antiquum (Tac., An., xi, 25, 1 et Panégyriques latins), les Orcistains précisent que leur ville était un oppidum uetustissimum... ex antiquissimis temporibus (CIL, iii, 352 ; 7000 = ILS, 6091), Tyr précise qu’elle est antiquissima serie saeculorum (Dig., l, 15, 1). Aphrodisias enfin est ἀρχαιότης (Aphrodisias, inscription no 20) et Nicomédie est fameuse depuis longtemps : ἄνωθε (CIG, 3771 = IGR, iii, 6).
81 Voir supra n. 60 et suiv., pour les références aux textes des inscriptions de Nicée et de Nicomédie, où la titulature civique se révèle particulièrement développée. Ce genre de topique apparaît avec plus de force encore dans les inscriptions honorifiques ou sur les revers des monnayages civiques.
82 Ilion-Troie : parens de Roma (Tac., An., iv, 55, 2), liens avec la gens Iulia (Tac., An., xii, 58, 1 et Suét., Claud., 25), coniunctio originis Romanae (Dig., xxvii, 1, 17, 1). Ségeste : consanguinitas (Tac., An., iv, 43, 4). Éduens : références au titre de fratres chez Tacite (An., xi, 25, 1). Les habitants de Sardes, enfin, se proclamaient consanguinei des Etrusques (Tac., An., iv, 55, 3).
83 Sur l’usage du titre de fratres populi Romani par les ambassadeurs éduens de la fin du iiie siècle, voir les analyses du chapitre 9. Sur l’utilisation de la titulature officielle comme argument pour faire valoir des mérites afin d’obtenir en contrepartie des bénéfices, voir les remarques du chapitre 10.
84 Sur la notion de compétition, de rivalité (ἀγών en grec ; aemulatio en latin) et ses implications à l’époque impériale dans les relations entre cités, voir en dernier lieu Heller, Les bêtises des Grecs, ainsi que l’ouvrage de F. Gascó, Ciudades griegas en conflicto (s. i-iii d.C.), Madrid, 1990. Sur les titres des cités de la partie hellénophone de l’Empire, source de conflits, voir l’article de Robert, art. cit., p. 1-39 (repris dans Opera Minora Selecta, 6, op. cit., p. 211-249), déjà cité à maintes reprises. En Occident, le phénomène est apparu parfois de manière précoce, aussitôt après la conquête. Songeons par exemple à la rivalité entre Vienne et Lyon, ou à l’émulation dans la construction et l’embellissement des centres de la vie civique en Gaule au ier siècle de notre ère, ou encore en Afrique un siècle plus tard.
85 On trouvera dans différents passages du Traité i de Ménandre le Rhéteur des indications précises concernant l’éloge des aspects physiques et concrets d’une cité, qu’il s’agisse des éléments naturels (sol, climat, position, etc.) ou anthropiques (bâtiments, habitants, etc.). Voir Mén. Rh., I, 344, 15-367, 8. Sur le sujet, on lira aussi Pernot, op. cit., 1, p. 178-216 ; Bouffartigue, art. cit., p. 43-58.
86 Ménandre, même dans le cadre d’un éloge de cité, précise qu’un tel morceau oratoire doit être sélectif. L’auteur doit arranger au mieux la réalité pour présenter sa cité sous le meilleur jour qui soit. Par exemple, si une cité n’est pas dotée d’un vaste territoire, il faudra préciser dans la rubrique consacrée qu’un tel défaut, qui prive les habitants d’une prospérité assurée, les rend au contraire plus philosophes et plus endurants : Mén. Rh., I, 347, 27-30.
87 Un bon exemple de fragment d’éloge peut être relevé chez Tacite, dans l’éloge par les délégués d’Halicarnasse et de Pergame de la qualité de leur territoire, épargné par les tremblements de terre (Tac., An., iv, 55, 2). On trouve également un bref éloge, très sélectif, dans le discours des habitants de Sardes (Tac., An., iv, 55, 4) ou encore une trace d’éloge de Tyr dans la phrase : nobilis regionibus (Dig., l, 15, 1). Les discours éduens s’insèrent dans cette catégorie de discours d’ambassade où l’éloge de la cité se trouve disséminé dans le propos. Seul le Panégyrique latin viii(5) contient plusieurs paragraphes autonomes sur le territoire rural de la cité des Éduens, mais il s’agit d’une description assez sombre et souvent mal interprétée. Sur ce dernier point, voir les remarques formulées infra, chapitre 7.
88 En plus du Traité i de Ménandre le Rhéteur : Mén. Rh., I, 344, 15-367, 8, la source la plus diserte sur l’éloge des cités, il faut compter avec le bref passage de Quintilien sur ce genre : Quint., iii, 7, 26-27. Pernot, op. cit., 1, p. 178-216, offre une présentation exhaustive des sources pratiques et théoriques sur le sujet.
89 On trouve inséré dans un discours d’ambassade un éloge de cité relativement complet, c’est-àdire aux rubriques variées et détaillées, dans celui qu’adressent les Byzantins à Claude (Tac., An., xii, 63, 1-2), ainsi que dans la pétition des Orcistains à Constantin (CIL, iii, 352 ; 7000 = ILS, 6091). Sur ce dernier point, voir Jacques, art. cit., p. 431-437.
90 Un bel exemple d’éloge « en creux » se trouve dans le Panégyrique latin viii(5), au § 6. Le procédé est justifié et conseillé par Ménandre le Rhéteur dans le passage consacré au πρεσβευτικòς λόγος (voir supra, p. 82-89).
91 Le rappel des traités passés avec Rome apparaît de manière quasi systématique dans les discours rapportés par Tacite : par exemple, Smyrne rappelle le foedus et détaille avec précision l’aide militaire qu’elle a apportée aux Romains dans le passé (Tac., An., iv, 56, 1) ; Byzance en fait autant, avec le même luxe de détails (Tac., An., xii, 61, 1). Ces faits de guerre sont évoqués pour mieux souligner la fidélité envers le peuple romain et le respect à l’égard du pacte conclu avec lui. Un peu plus tard, au temps d’Ulpien, Tyr demeurait attachée tenacissima aux foedera passés avec Rome (Dig., l, 15, 1). La συμμαχία, l’alliance militaire avec Rome, est rappelée dans une inscription d’Aphrodisias datable des iie-iiie siècles (inscription no 43). Les Éduens, enfin, rappellent leur titre de fratres populi Romani, accordé certainement en même temps ou bien à la suite du foedus passé avec Rome (pour la datation, se reporter au chapitre 9).
92 Dans les Annales, Tacite ne cesse de rappeler, à travers les propos des délégués, le rôle bénéfique joué par les imperatores des iie et ier siècles avant notre ère. Magnésie rappelle les constitutions données par L. Scipion et L. Sylla en sa faveur (An., iii, 62, 1) ; Byzance cite les noms d’Antonius (père de Marc Antoine), de Sylla, de Lucullus, de Pompée et de César (An., xii, 62, 1). À Aphrodisias, d’après les inscriptions, le souvenir des bienfaits accordés par César puis Auguste demeurait vivace près de trois siècles après les faits.
93 En Occident, le titre de fratres ne fut porté que par les Éduens, même si certains peuples ont pu être qualifiés de consanguinei. En Orient, les habitants d’Ilion-Troie ont sans cesse fait prévaloir leur συγγένεια avec les Romains, tout particulièrement au temps des Julio-Claudiens qui prétendaient descendre de Vénus, comme le rappellent Tacite et Suétone. Lampsaque, à l’époque hellénistique (en 196-195 avant notre ère), liée à Ilion et à Massalia, se prévalait aussi d’une telle συγγένεια pour mieux justifier un appel à l’aide et un soutien militaire de la part des Romains. Sur ce point : Curty, Συγγένεια, p. 78-82 ; A. Giardina, « Aux sources de l’identité romaine », dans Rome et les barbares. La naissance d’un nouveau monde, Aillagon J.-J. dir., Venise, 2008, p. 58-62, qui reprend des idées exposées dans une contribution antérieure : « Le origine troiane dall’impero alla nazione », dans Morfologie sociali e culturali in Europa fra tarda antichità e alto Medioevo, Spolète, 1998 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, xlv), p. 177-209.
94 L’attitude sans complaisance de Tacite à l’égard des fausses preuves, vraies falsifications ou mauvaises justifications considérées comme des fables, reflète un trait de caractère essentiel de l’attitude des élites dirigeantes romaines. Même si les mythes étaient reconnus, il n’était pas permis pour autant de dire n’importe quoi. Par ailleurs, si des preuves écrites étaient produites, elles prévalaient sur les traditions orales ou sur les mythes fondateurs. On relève de telles critiques dans Tac., An., iii, 60, 2, à propos des ambassadeurs qui font trop confiance aux vieilles superstitions (uetustas superstitiones) ou à des traditions obscures, en iii, 63, 2 (ceteros obscuris ob uetustatem initiis niti) ; en iv, 43, 4, à propos de Ségeste qui insiste trop sur le lien avec Vénus ; en xii, 61, 2, à propos de la complaisance (facilitate solita) de Claude envers Stertinius Xenophon, son médecin (PIR1, S, 666), en qui il reconnaît un descendant d’Esculape. Des critiques semblables sont formulées par Aelius Aristide (Arstd., Or. xix) et l’auteur du Panégyrique latin viii(5), 3, 1.
95 Je présente ici deux épisodes historiques marquants, conservés dans la tradition locale et rappelés dans le cadre de la diplomatie provinciale : l’attitude des Smyrniotes à l’égard des troupes de Sylla, lorsque les habitants de la cité se dépouillèrent pour offrir des vêtements à son armée (Tac., An., iv, 55, 2 et Arstd., Or. xix, 11). L’attitude de Diviciac au Sénat, à Rome, refusant de s’asseoir et prononçant son discours scuto innixus (Panégyrique latin viii(5), 3, 2), est analysée et commentée au chapitre 9.
96 L’expression est définie par Jones, op. cit., p. 9-10. On consultera aussi l’ouvrage de Curty, Συγγένεια, en particulier les pages de conclusion relatives à l’époque romaine (p. 259-263). L’auteur traite moins des rapports entre Rome et les cités grecques que des rapports entre cités.
97 Sur le βασιλικòς λόγος ; Mén. Rh., ii, 368, 1-377, 30. Sur les règles régissant la composition du βασιλικός λόγος, voir Del Chicca, « La struttura retorica del panegirico », p. 79-113 ; Pernot, op. cit., 1, p. 77 (ainsi que le chapitre consacré à l’éloge des personnes, p. 134-178) ; M. J. Ponce, « Menandro Rétor y el discurso imperial », Habis, 29 (1998), p. 221-232 ; M.-H. Quet, « Conseils de Ménandre le Rhéteur pour l’élaboration d’un “discours du prince”, à la fin du iiie siècle », dans L’éloge du prince, p. 81-89.
98 Mén. Rh., ii, 423, 6-424, 2.
99 C’est le cas d’Aphrodisias au temps de Trajan Dèce ou d’Orcistos sous Constantin.
100 Ainsi, dans le discours d’Eumène – Panégyrique latin v(9) -, tous les acteurs présents dans l’auditoire apparaissent comme des amis des arts et des lettres : Eumène lui-même, son grand-père, ses concitoyens, Glaucus, le gouverneur perfectissimus et les empereurs.
101 De telles attaches personnelles sont rapportées dans des discours des notables d’Aphrodisias sous Auguste, ainsi que dans le discours de Claude en faveur de Cos : voir à ce sujet les remarques de Souris, op. cit., p. 185-189.
102 Le dossier composé des discours d’Autun, en particulier le Panégyrique latin viii(5) de 311, offre un bel exemple de l’importance que pouvaient jouer les liens familiaux et dynastiques entre un empereur et une cité dans le cadre de la diplomatie provinciale.
103 Le lien entre la cité et Rome peut être renforcé en invoquant le souvenir d’une origine commune ou en mentionnant une divinité tutélaire commune, comme Aphrodite-Vénus : c’est le cas de Ségeste, de Troie ou d’Aphrodisias par exemple. Voir à ce propos les réflexions de Souris, op. cit., p. 183-184.
104 E Chausson, « Les patronats familiaux en Afrique et en Italie aux ive-ve siècles : un dossier épigraphique », Atti della Accademia Nazionale dei Lincei, vol. 15, fasc. 1 (2004), p. 71-120.
105 Voir Mén. Rh., ii, 423, 6-424, 2.
106 Tac., An., xii, 63, 3.
107 Arstd., Or. xix
108 Panégyrique latin viii(5), 2, 4 à 7, 6 pour la première partie. Sur le plan du discours, voir supra chapitre 2.
109 Souris, op. cit., p. 173-200, en particulier p. 199-200.
110 À titre indicatif, le mot merita au pluriel, dans le discours de 311, apparaît à neuf reprises (§ 1, 5 ; 2, 2 ; 4, 1 ; 4, 4 ; 5, 1 (2 fois) ; 6, 2 ; 10, 4 ; 13, 1), celui de beneficia également (§ 1, 1 ; 1,4 ; 2, 3 ; 2, 5 ; 9, 2 ; 10, 3 ; 11, 1 ; 11, 3 ; 13, 6). Dans les discours d’ambassadeurs d’époque républicaine, les délégués insistaient déjà sur les merita de leur cité et sur la fides dont elle avait su faire preuve à l’égard de Rome en échange de beneficia consistant principalement en un soutien militaire ou financier.
111 Voir infra, les conclusions du chapitre 8.
112 Sur le contexte de la diplomatie internationale du iie siècle avant notre ère et sur la place centrale que joua alors Rome, lire les pages consacrées à ce sujet dans le chapitre 9.
113 Sur les discours d’ambassadeurs d’époque hellénistique et républicaine connus à travers les sources littéraires : W. S. Wooten, art. cit., p. 209-212 ; Pernot, op. cit., 1, p. 45, 79 et 712-713 ; Jones, op. cit., p. 50-65.
114 Sur le titre d’amicus dans le cadre des relations internationales entre Romains et leurs alliés, lui-même hérité pour partie du vocabulaire diplomatique de l’époque hellénistique : E. Badian, Foreign Clientelae (264-70 B.C.), Oxford, 1958, p. 46, 57-62 et 111 ; M. R. Cimma, Reges socii et amici populi Romani, Milan, 1976 ; Curty, Συγγένεια.
115 Ces passages sont analysés infra, chapitre 9.
116 Vereecke, « Le corpus des Panégyriques latins », p. 141-160.
117 Ibid., p. 154-157.
118 Ibid., p. 150 et 154.
119 Sur l’influence exercée par Cicéron sur Eumène et sur l’ensemble des panégyristes tardifs, voir Vereecke, art. cit., p. 151-153 ; Nixon, Rodgers, op. cit., p. 16-19 et 149-150 (dans le seul discours d’Eumène).
120 Sur les concilia et les κοινά dont le rôle d’interlocuteur fut très tôt privilégié par les autorités romaines : P. Guiraud, Les assemblées provinciales dans l’Empire romain, Paris, 1887 [réimpr. Rome, L’Erma, 1966] ; J. Deininger, Die Provinziallandtage der römischen Kaiserzeit von Augustus bis zum Ende des dritten Jahrhundert n. Chr., Munich, 1965 (Vestigia, 6).
121 Sur le fameux discours d’Octave prononcé au lendemain de sa prise de possession de l’Égypte de Cléopâtre (mentionné supra, n. 54) : Plut., Ant., 80. Octave pardonne aux Alexandrins en raison d’abord de la taille et de la beauté de leur ville, puis de la grandeur de leur fondateur, Alexandre. Il invoque enfin l’amitié qui le lie au philosophe et savant alexandrin Areios. Voir sur ce passage le rapide commentaire de Pernot, op. cit., 1, p. 186, qui insiste sur l’idée que dans ce discours postérieur d’un siècle aux faits n’apparaît aucun topique complet d’un éloge de cité. En revanche, on trouve dans ce passage des éléments clés de la rhétorique de la « diplomatie provinciale », dans la mesure où l’éloge est ici sélectif et sert à mettre en valeur des merita dans un contexte particulier. L’originalité tient au fait que le défenseur dans cette affaire est aussi le juge.
122 Comme l’a bien démontré et souligné Pernot, op. cit., 1, p. 55-114, cet apogée s’explique par le contexte favorable de la pax Romana.
123 Sur le grand-père d’Eumène, voir l’annexe (Anonyme 1). La notion de « transfert culturel » a été élaborée par M. Espagne et M. Werner dans le cadre de travaux sur la réception de la culture germanique en France aux xviiie et xixe siècles. Elle s’applique bien, en l’occurrence, à notre propos sur les discours d’ambassades. Définition synthétique de cette notion par B. Joyeux, « Les transferts culturels. Un discours de la méthode », Hypothèses 2002. Travaux de l’École doctorale d’Histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne (2003), p. 151-161 ; F. Villeneuve, « Frontières et transferts culturels. Quelques notes d’un antiquisant », ibid., p. 213-218. En dernier lieu : Transferts culturels et politique dans le monde hellénistique. Actes de la table ronde sur les identités collectives, Sorbonne, 7 février 2004, Legras B., Couvenhes J.-C. éd., Paris, 2006.
124 Voir à ce sujet les remarques formulées supra, chapitre 1, n. 95 et texte correspondant, ainsi que les observations de Pernot, op. cit., 1, p. 104.
125 Sur les Éduens : Tac., An., xi, 23-25. Sur les discours de Néron : Tac., An., xii, 58 ; Suet., Claud., 25.
126 Selon Strabon (Str., IV, 1, 5) et Tacite (Tac., Agr., iv, 3-4), Marseille était une cité réputée pour la qualité de ses écoles et de son enseignement. Lire à ce sujet S. Agusta-Boularot, « Les références épigraphiques aux grammatici et γραμματικοί de l’Empire romain (ier siècle av. J.-C.-ive siècle ap. J.-C. », MÉFRA, 106 (1994), p. 653-746, ainsi que les remarques de J.-C. Decourt, Inscriptions grecques de la France (IGF), Lyon, 2004 (Travaux de la Maison de l’Orient Méditerranéen, 38), p. 31, sur l’épitaphe du grammairien marseillais Athénadès (IGF, 21). On rappellera aussi que de grands rhéteurs étaient originaires de Narbonnaise – le rhéteur hellénophone Favorinus d’Arles PIR2, F, 123, et édition récente d’Eugenio Amato, CUF, 2005, en particulier dans l’introduction p. 1-88 – ou d’Espagne – la famille de Sénèque, qui comprend le père, L. Annaeus Seneca (PIR2, A, 616), Sénèque lui-même, homonyme (PIR2, A, 617), et son neveu Lucain, M. Annaeus Lucanus (PIR2, A, 611). On trouvera des réflexions sur la culture scolaire et les écoles en Gaule dans les notes du chapitre 5, consacré à Eumène.
127 Sur la critique des origines fabuleuses, l’Anonyme de 311 livre un témoignage de premier ordre (Panégyrique Latin viii(5), 3, 1). Voir à ce propos les remarques de Jones, op. cit., p. 124-125.
128 Sur les critiques des origines fabuleuses par les Anciens, on lira avec profit les réflexions de Paul Veyne dans son court essai : Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, 1983.
129 Lecture des décrets après les discours mentionnée par Mén. Rh., ii, 423, 3 et 424, 1-2.
130 Plin., Ep., X, 43 (éd./trad. M. Durry, CUF) : Requirenti mihi Byzantiorum rei publicae impendia, quae maxima fecit, indicatum est, domine, legatum ad te salutandum annis omnibus cum psephismate mitti, eique dari nummorum duodena milia.
131 Sur la postérité du genre du discours d’ambassade durant l’Antiquité tardive, vaste sujet qu’il n’est pas lieu d’aborder ici, se reporter supra, n. 1.
132 Le néologisme est emprunté à Pernot, op. cit., 1, p. 257.
133 Sur la question, dans le volume La pétition à Byzance, lire J.-L. Fournet, art. cit., p. 61-74. Voir le fichier en ligne des pétitions sur papyrus des ve-viie siècles : <http://byzance.drl0.cnrs.fr/web/ressources/sources_documentaires/fiches_papyro/frame.html>.
134 L’existence de la rhétorique de la diplomatie « intérieure » dépendait, comme nous l’avons déjà rappelé, de celle de l’imperium et des institutions impériales. Il n’y a rien de surprenant, donc, à ce que cette rhétorique ait disparu avec le système qui en conditionnait l’existence, au cours du ve siècle de notre ère en Occident.
135 Cette expression, formulée pour la première fois par Laurent Pernot (op. cit., 1, p. 14, n. 9), a bénéficié de réflexions récentes dans Approches de la Troisième Sophistique, en particulier par E. Amato, « Avant-propos », p. v-viii.
136 G. Rowe, Princes and Political Cultures. The New Tiberian Senatorial Decrees, Ann Arbor, 2002 ; E. Flaig, Den Kaiser herausfordern. Die Usurpation im römischen Reich, Francfort, New York, 1992. Ces travaux sont commentés et mis en perspective dans un important article de synthèse de F. Hurlet, « Une décennie de recherches sur Auguste. Bilan historiographique (1996-2006) », Anabases, 6 (2007), p. 187-218. En un sens, nous répondons partiellement dans ces pages aux réflexions de la note 69 : « Dans le cadre de l’importance accordée au consensus, Egon Flaig s’est limité à étudier les actions entre ce qu’il appelle les trois secteurs déterminants du système politique, à savoir l’armée, le Sénat et le peuple romain. Il faudra élargir cette analyse et s’interroger, par exemple, sur le rôle de l’ordre équestre et des provinciaux dans l’élaboration du consensus. »
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Marquer la ville
Signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-xvie siècle)
Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet (dir.)
2013
Église et État, Église ou État ?
Les clercs et la genèse de l’État moderne
Christine Barralis, Jean-Patrice Boudet, Fabrice Delivré et al. (dir.)
2014
La vérité
Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (XIIIe-XVIIe siècle)
Jean-Philippe Genet (dir.)
2015
La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010