Chapitre 2. Les particularités des Panégyriques latins v(9)et viii(5)
p. 59-80
Texte intégral
1Parce qu’ils concernent l’un et l’autre la cité des Éduens, les Panégyriques latins v(9) et viii(5) forment un ensemble documentaire cohérent, auquel il faut associer des extraits des Panégyriques latins iv(8) et vii(6). Ce constat établi, il reste à déterminer le plus précisément possible la nature véritable de chacun d’entre eux, dans la mesure où seul un effort de recontextualisation permet de vérifier la qualité des informations historiques contenues dans ces textes.
Les Panégyriques latins v(9) et viii(5) : circonstances, cadre d’énonciation, contenu
2Pour commencer, il convient de présenter de manière aussi exhaustive que possible ces deux discours « pseudo-panégyriques ».
Circonstances et cadre d’énonciation
Le Panégyrique latin v(9)
3L’auteur du Panégyrique latin v(9) est le rhéteur Eumène, ancien magister memoriae, professeur et directeur des écoles d’Autun. Son nom figure dans le discours même, et il est le seul orateur éduen à livrer des informations sur sa biographie, sa famille, son milieu social1. Eumène a été désigné à titre officiel, par les décurions d’Autun, pour représenter la cité dans une affaire où il s’avérait personnellement très impliqué en qualité d’évergète. En d’autres termes, il revêtait le statut de legatus ciuitatis, au sens de représentant ou de porte-parole officiel, et non à proprement parler celui d’ambassadeur, puisqu’il accomplissait sa mission dans la ville même d’Autun2.
4Depuis les travaux d’Édouard Galletier, la date du printemps 298 est considérée comme canonique3. Le discours a été prononcé à Augustodunum, devant un personnage qualifié à plusieurs reprises de Vir perfectissimus, dans lequel il faut voir le gouverneur chevalier de la province dont dépendaient administrativement les Éduens. Il se trouvait en tournée d’inspection sur place, comme l’indique la formule ut ipse uidisti (§ 20, 3)4. La datation proposée repose sur des indications fournies par Eumène, qui évoque le souvenir de la reconquête de la Bretagne (296) et fait état de trois opérations militaires en cours ou en voie d’achèvement : la guerre en Afrique de Maximien, l’arrivée de Dioclétien en Égypte, le début des campagnes de Galère contre les Sassanides (§ 21, 1-3). Dans le discours sont mentionnés les soldats qui participent au chantier de reconstruction d’Autun, ville où ils ont pris leurs quartiers d’hiver (§ 4, 3). En l’absence d’autres précisions, ces événements doivent se placer dans un arc chronologique allant du printemps 297 au printemps 299. Si certains commentateurs du texte privilégient cette chronologie large mais peu satisfaisante5, d’autres en revanche, comme Frank Kolb, préfèrent adopter une datation plus resserrée, visant à placer la date du discours à la fin de l’hiver 298, en février ou mars6. F. Kolb estime que la victoire est effective si elle est mentionnée, reprenant ainsi un raisonnement et une datation déjà proposés dans des travaux antérieurs7. Une dernière hypothèse a été formulée par Constantin Zuckerman8 qui préfère placer la prise d’Alexandrie au mois de février 298, la victoire de Galère suivie de la capture de la suite du roi perse à l’automne 297 (après un échec militaire au début 297)9. Quel que soit le point de vue adopté, une datation basse de la victoire de Galère sur Narsès n’exclut pas de placer le discours au printemps 298, si l’on admet que le bon déroulement de la campagne permettait d’espérer une victoire proche10. Finalement, par des voies différentes et parfois opposées, les spécialistes s’accordent à dater le discours des premiers mois de l’année 298, entre la fin de l’hiver et le printemps11. Nous les suivons volontiers dans cette voie, réfutée par le seul Timothy Barnes, qui situe la date du discours, sans vraiment convaincre, entre la fin de l’été et le début de l’automne 29812.
5Par ailleurs, ce texte est le seul discours du recueil dont le cadre d’énonciation ne corresponde pas à un événement officiel (une victoire, un jubilé impérial, un aduentus). La qualité de son destinataire, chevalier de rang perfectissime représentant le prince, le distingue tout autant.
6Quant au lieu d’énonciation, il a longtemps fait consensus jusqu’à la parution d’un article de Barbara Rodgers13. Traditionnellement, il était admis qu’Eumène avait prononcé son « panégyrique » dans un lieu public de la cité – certains pensent au forum, en raison de l’allusion aux avocats, et à une basilique (sedes iustitiae) –, à l’occasion d’une visite d’inspection du gouverneur de province, rendue nécessaire par l’importance des travaux engagés à cette date. Barbara Rodgers, se fondant sur plusieurs arguments philologiques, a remis en cause ce schéma et émis l’hypothèse qu’il aurait été prononcé devant le gouverneur de Lyonnaise, dans la capitale provinciale, Lugdunum-Lyon. La reconstitution implique l’envoi d’une ambassade composée d’Eumène et de plusieurs délégués dont le nombre et les noms, excepté Glaucus, nous échappent, au praetorium du gouverneur dans le cadre d’une audience officielle.
7L’hypothèse ne résiste cependant pas à une lecture attentive du texte tenant compte à la fois du fond et de la forme du discours, même si par ailleurs plusieurs arguments avancés par Barbara Rodgers demeurent intéressants pour leur portée générale. Comment expliquer par exemple l’absence d’éloge du gouverneur, topique attendu dans ce type de situation ? Ou encore l’absence de mention de la cité d’accueil de l’ambassade, autre passage obligé, comme l’illustrent les formules introductives du Panégyrique latin viii(5) prononcé à Trèves ? Pourquoi Eumène aurait-il tenté de ménager les avocats du forum de Lyon, lui qui résidait à Autun et y exerçait une fonction pédagogique ? De tout ce qui précède, il ressort que le discours a bien été prononcé à Autun, à l’occasion d’une inspection du gouverneur provincial.
8En résumé, le discours d’Eumène a été prononcé en 298, à l’extrême fin de l’hiver ou au printemps, à Autun même, dans un lieu important de la vie civique situé sur le forum (basilique judiciaire ? curie ?), devant le gouverneur de Lyonnaise en tournée d’inspection. Il fut adressé à ce personnage par un représentant officiel de la cité (legatus, qui peut aussi signifier « ambassadeur » dans le cas d’une délégation hors les murs), désigné par les curiales pour défendre une affaire relative à la reconstruction du bâtiment des écoles de la cité. L’auditoire se composait des notables municipaux, d’une partie de la population locale ainsi que des agents de l’État et des grands personnages qui entouraient le gouverneur.
Le Panégyrique latin viii(5)
9L’auteur anonyme du discours est un notable éduen venu présenter les hommages et les remerciements de ses compatriotes à Constantin. Désigné, comme Eumène, par les curiales de la cité pour être l’orator publicae gratulationis, c’est-à-dire le porte-voix de la gratitude publique (la formule est employée au § 1, 2), il était un legatus ciuitatis – que l’on peut qualifier ici d’ambassadeur – revêtu d’une charge officielle ou munus. Dans la mesure où la charge impliquait des compétences oratoires ainsi qu’un certain prestige social, le personnage devait être l’un des principales de la cité, c’est-à-dire un décurion riche et d’âge avancé, respectable, ayant gravi tous les échelons de la carrière locale14.
10La date du discours a suscité de nombreux débats15 : il aurait été prononcé à l’occasion d’une importante fête officielle, situation propice à la formulation puis à l’aboutissement favorable de requêtes. Le dossier mérite qu’on lui prête une plus grande attention dans la mesure où ce discours constitue une source majeure pour établir le dies imperii de Constantin16.
11D’emblée, un sort doit être fait à la date proposée par ceux qui le raccrochent aux cérémonies consulaires du 1er janvier 312, au cours desquelles Constantin revêtit la trabée17. Les arguments ne manquent pas : il n’est fait aucune mention directe au consulat, et l’on comprendrait mal pourquoi, dans cette situation, l’orateur n’aurait rien dit sur la magistrature, les ornements consulaires ou le Sénat, comme on le constate habituellement dans des discours de ce genre18. Enfin, cette datation s’accorde mal avec le contexte institutionnel de l’affaire : l’année fiscale commençant en septembre, pourquoi l’orateur remercierait-il à cette date l’empereur de privilèges accordés, dont l’application imminente se serait fait déjà sentir concrètement ? En accord avec ces différentes remarques, il faut placer la date du discours quelques semaines avant septembre 311. En effet, l’été 312 est a priori exclu puisque Constantin se trouvait alors engagé dans sa guerre contre Maxence, dans le Nord de la péninsule italienne. L’orateur n’aurait assurément pas omis cette lutte imminente et surtout, il n’aurait pu prononcer son discours à Trèves en présence du prince. L’été 310 doit être écarté puisque c’est à ce moment qu’un autre orateur d’origine éduenne, auteur du Panégyrique latin vii(6), invita Constantin à rendre visite à sa cité (vœu explicitement formulé au § 22, 1). L’appel entendu, elle eut lieu vraisemblablement à l’automne 310 ou à l’hiver 310-311. C’est à l’issue de cette visite que Constantin accorda à la cité d’importants privilèges fiscaux.
12En conséquence, le discours aurait été prononcé à l’occasion de l’anniversaire du dies imperii de Constantin, le 25 juillet 31119. Il paraît difficile de retenir l’hypothèse d’un dédoublement du dies imperii, l’un commémorant l’accès au Césarat (25 juillet 306), l’autre à l’Augustat (courant 307, la date exacte faisant l’objet de discussions20). Il s’agit d’une dichotomie élaborée par les Modernes, absente des témoignages antiques, à l’exception de quelques documents épigraphiques isolés et d’interprétation délicate21.
13L’auteur du panégyrique rappelle que son discours s’insère dans les cérémonies d’anniversaire de Constantin, ses quinquennalia. Et d’ajouter qu’il ne s’agit pas des quinquennalia officielles mais de cérémonies destinées à clore l’année inaugurée par les quinquennalia officielles. Le texte n’offre pour autant aucune preuve d’une réitération des cérémonies officielles de célébration des quinquennalia, decennalia, etc., au début puis à la fin de la cinquième, dixième année, etc. Le discours a simplement été prononcé le jour de la date anniversaire (dies imperii) de l’avènement de Constantin, fêtée chaque année de manière moins éclatante qu’au moment des jubilés. L’orateur a su jouer avec habileté sur les mots dans sa tentative de faire coïncider, de manière rhétorique, deux cycles quinquennaux qui n’avaient rien à voir l’un avec l’autre, les cinq ans de règne d’un côté, le cycle de l’indiction fiscale d’une durée égale de l’autre.
14Les cérémonies du 25 juillet 31 1 ont cependant pu revêtir pour Constantin une signification particulière, dans la mesure où son projet de reconquête de l’Italie devait, à cette date, être planifié et annoncé. La fête de son dies imperii a, dans ce contexte particulier et plus qu’à l’habitude, servi de rituel de consensus durant lequel les cités et les provinciaux d’Occident seraient venus faire acte d’allégeance, réitérer leur soutien et réaffirmer leur unité autour de Constantin avant cette campagne décisive. Car sa préparation devait mobiliser d’importantes ressources et reposait sur la qualité de la logistique mise en œuvre, qualité qui dépendait elle-même de la bonne volonté des cités de verser l’impôt et des contributions en nature destinées à l’armée de campagne. La présence des nombreux délégués des cités gauloises et de particuliers s’expliquerait ainsi par ce contexte de préparatifs militaires.
15Quant au cadre d’énonciation du Panégyrique latin viii(5), l’orateur observe avec envie la ville devenue résidence officielle de Constantin et qui bénéficie, à ce titre, des avantages liés à la présence impériale (§ 2, l)22. À cette date, il ne peut s’agir que de Trèves et le discours adressé à Constantin en ce 25 juillet 311 s’est tenu au palais, dans la salle des audiences officielles, au milieu des délégués des cités d’Occident et des autres privilégiés autorisés à participer aux cérémonies. La mention du comitatus impérial, c’est-à-dire du groupe composé des divers conseillers et membres de l’état-major du prince, abonde dans ce sens. Impossible en revanche d’affirmer que la salle des audiences correspondait à la salle monumentale de plan basilical dont les restes demeurent visibles aujourd’hui23.
Résumé et structure des discours
16Sans prétendre s’engager dans un commentaire linéaire de ces deux « panégyriques », une étude serrée de leur structure et de leurs caractéristiques formelles permet de révéler certaines particularités qui les distinguent des autres discours du recueil.
Le Panégyrique latin v(9) : discours d’Eumène en faveur de la reconstruction des écoles d’Autun24
17L’exorde du discours est construit autour de deux thèmes. Devant son interlocuteur, désigné par l’expression Vir perfectissimus, Eumène fait d’abord état de son appréhension à prononcer un discours de ce genre devant un large auditoire, lui qui ne se considère que comme un homme d’écoles (§ 1). L’occasion qui lui est offerte de parler au forum ne doit pas méprendre le public : il n’abordera jamais les luttes du barreau qui lui sont étrangères (§ 2). Dans la proposition et dans la division, Eumène délimite son propos : il ne parlera que du rétablissement des écoles de rhétorique d’Autun et montrera tour à tour les raisons qui justifient cette restauration et les moyens pour y parvenir (§ 3).
18La première partie est consacrée à justifier l’entreprise (§ 4-10). Eumène évoque dans un premier temps les efforts des empereurs dans le redressement de la ville d’Autun (§ 4). Le rétablissement des écoles s’inscrit dans ce plan. Pour preuve, les empereurs viennent de nommer un nouveau directeur (§ 5) en la personne d’Eumène, ancien magister memoriae (§ 6), obéissant au sentiment qui pousse les hommes épris d’un idéal à le matérialiser et à l’éterniser en érigeant un monument (§ 7). Ils pensent que le fondement de toutes les vertus réside dans la connaissance des arts libéraux et, au premier chef, de l’éloquence (§ 8). Enfin, les ruines des écoles, qui avoisinent les temples et le capitole de la cité, constituent un outrage et une injure aux divinités qui les protègent (§ 9). Il paraît urgent de les rebâtir afin de rendre leur dignité aux dieux et à la cité (§ 10).
19Eumène aborde ensuite, dans la seconde partie, les moyens à engager. Pour cette restauration, il est prêt à abandonner son traitement de 600 000 sesterces reçu en qualité de magister memoriae et de directeur des écoles (§ 11). Des raisons morales l’y incitent : un honnête homme cherche à obtenir des récompenses méritées mais en répudie les avantages matériels (§ 12). Eumène s’inspire du modèle des athlètes qui, dans les jeux sacrés, ne reçoivent pour leur victoire qu’une simple couronne. Sa nomination par les empereurs est à ses yeux la plus grande récompense qui soit (§ 13). Sa lettre de nomination (§ 14) mérite d’être lue de vive voix, car ce témoignage de la bienveillance impériale demeure stimulant (§ 15). S’il accepte l’honneur et les avantages matériels qui lui sont associés parce qu’ils proviennent des empereurs, il affectera cependant l’intégralité de la somme à la reconstruction des écoles (§ 16). Ce projet lui est cher, car c’est dans ce bâtiment que son aïeul enseigna jusqu’à un âge très avancé : son acte témoigne de sa piété familiale et civique (§ 17). S’attacher ainsi au passé, à l’ordre traditionnel des choses, revient à participer au mouvement de renaissance générale entrepris par les Tétrarques, à précipiter l’avènement d’un nouvel âge d’or (§ 18). La reconstruction d’un bâtiment scolaire s’inscrit dans l’effort engagé par les princes pour le renouveau de la « culture » qui constitue l’un des piliers de la puissance romaine (§ 19).
20La péroraison s’ouvre sur une note optimiste : si l’entreprise est menée à son terme, les écoles d’Autun refleuriront, la jeunesse gallo-romaine pourra à nouveau être formée et recevoir des leçons de patriotisme (§ 20). Déjà les cartes peintes sur les murs d’un portique de la ville permettent de localiser et de se figurer mentalement les victoires en cours ou passées des Tétrarques aux quatre coins de l’Empire (§ 21, 1-3). Eumène espère ainsi que son interlocuteur voudra bien rapporter le contenu de ce projet en haut lieu, « aux oreilles sacrées des empereurs », avec un avis favorable de sa part (§ 21, 4).
21Le discours d’Eumène se caractérise donc par une composition simple et binaire : la première partie vise à justifier l’entreprise, la seconde à démontrer comment la chose est possible. Le propos est clair et ponctué de repères qui laissent penser qu’il fut bel et bien prononcé25. Sur ce point, la version écrite semble ne pas avoir subi de profonds remaniements.
22Le style est parfois condensé à l’extrême26. Les articulations et transitions sont franches et chaque temps fort du discours – début de certains paragraphes, moments où l’orateur rassemble sa pensée – est souligné par une interpellation de l’interlocuteur principal, le Vir perfectissimus27. Eumène ménage aussi son auditoire par un recours fréquent à 1’exemplum puisé dans la mythologie, l’histoire ancienne ou récente, afin d’illustrer sa pensée et d’appuyer sa démonstration, au risque parfois de succomber aux travers habituels de l’accumulation28. L’expression se redouble fréquemment, les balancements sont pléthore29. Ce choix peut être interprété comme un défaut30 ou considéré comme un effet lié à l’oralité, témoignant d’un souci de ménager l’attention des auditeurs par la répétition d’idées simples31. À cela s’ajoute la graduation soigneuse du propos, en particulier dans la première partie : les justifications invoquées apparaissent rigoureusement hiérarchisées et exposées selon un mouvement allant crescendo32. Enfin, Eumène fait preuve d’un sens du concret et de qualités sans égal pour décrire des faits, des choses, des hommes tout en ajoutant, in fine, une tonalité épique à ses descriptions33.
23Dans le détail, de nombreux points communs avec d’autres discours du corpus peuvent être relevés : l’usage de topiques banals (l’incapacité avouée de l’orateur dans la captatio beneuolentiae) et celui de tournures d’inspiration cicéronienne en sont les exemples les plus significatifs34. Cependant, dans ses grandes lignes et d’un point de vue formel, ce discours demeure le plus atypique du recueil. D’abord parce qu’il est le seul construit comme un plaidoyer en deux temps (pourquoi ?/comment ?). Pour définir sa mission, Eumène emploie la formule cicéronienne causa dicendi (§ 3, 3). L’originalité du discours tient par ailleurs au choix des mots employés – Eumène succombe peu, comparé aux autres orateurs, au néologisme35 – ou encore au rythme des phrases et des périodes36. Les exempla enfin, originaux, témoignent d’une culture et une connaissance larges de l’histoire et de la mythologie gréco-romaines37.
24Ainsi, les savants qui avaient considéré que ce panégyrique n’en était pas un, mais plutôt une suasoria, étaient sur la bonne voie38. Eumène révèle lui-même la véritable nature de son discours, qu’il qualifie de postulatio (§ 2, 1), de requête insistante, et dans laquelle il joue le rôle d’avocat de la cité plaidant une cause (restaurer le bâtiment des écoles) devant un juge (le Vir perfectissimus) venu évaluer le bien-fondé de la pétition.
25Pour finir sur ce point, on proposera un bref commentaire du quatrième paragraphe du discours où il est question de l’aide apportée par les empereurs pour restaurer la ville d’Autun39. Eumène la justifie de la manière suivante : les empereurs sont bienveillants à l’égard de la cité des Éduens, car ils portent le titre de fratres et ont été, malgré leur fidélité envers Claude II (268-270), les innocentes victimes des soldats de l’usurpateur Victorin en 270. En juste cause, les empereurs ont relevé la cité par admiration pour elle, pour les services rendus à Rome mais aussi par pitié pour ses malheurs. Eumène insiste enfin sur le fait que l’ampleur des libéralités accordées, décrites à la fin du paragraphe, est proportionnelle aux dommages subis. Ce passage résume probablement l’argumentation déployée par les délégués éduens pour faire appel à la générosité impériale, dans le courant des années 290. On disposerait là peut-être des vestiges d’un discours-pétition, écrit ou oral, envoyé ou prononcé devant un empereur (Dioclétien, Maximien) ou l’un de ses représentants.
26L’une des dernières caractéristiques de ce discours réside dans la présence permanente, tout au long du développement, d’un éloge double de l’empereur et de la cité des Éduens, bien que le dernier point semble moins visible puisqu’aucun paragraphe ne lui est consacré. L’éloge de la cité est au contraire réparti entre les différents paragraphes : aux § 4, 9 (où sont loués les bâtiments qui composent le centre civique), 14 (où les jeunes gens des écoles sont honorés) et 18 (dans lequel Eumène fait l’apologie du goût prononcé des Éduens pour les choses de l’esprit). Cette dispersion rompt avec les règles établies d’un éloge de cité en bonne et due forme, telles qu’elles apparaissent dans les traités grecs ou latins de rhétorique40.
27De la même manière, aucune partie n’est consacrée exclusivement à l’éloge du prince, omniprésent mais subordonné au thème général du discours. Cependant, les passages louant les princes sont particulièrement représentés aux § 18 et 21, qui contiennent la description des guerres en cours ou passées. En d’autres termes, bien qu’irriguant l’ensemble du propos, jamais l’éloge du prince n’apparaît composé selon les rubriques du βασιλικòς λόγος. Si certains topiques traditionnels du genre peuvent être relevés, ils demeurent diffus, peu développés et très sélectifs41. Le constat qui précède conforte l’idée que l’éloge, dans ce discours, sert avant tout de procédé et de moyen de pression destiné à solliciter et à obtenir l’autorisation de reconstruire les écoles éduennes. En d’autres termes, il sert d’argument42.
Le Panégyrique latin viii(5) : des remerciements officiels adressés à Constantin par un représentant de la cité des Éduens suite à l’obtention d’une série de privilèges fiscaux
28Le plan de la première partie du Panégyrique latin viii(5) s’organise ainsi43 : dans l’exorde (§ 1), l’orateur réserve quelques mots à Trèves, la cité qui accueille les cérémonies, avant de formuler une proposition et d’établir une division de son discours (§ 2, 1 à 2, 4). Avant tout, il défend l’idée que nulle autre cité que la sienne n’a plus droit aux faveurs de Constantin.
29La première partie s’attache à décrire les mérites des Éduens (§ 2, 4-7). Dans un premier temps, l’orateur rappelle leur attachement à l’Empire (§ 2, 4-7) : les premiers et les seuls en Gaule, ils portent le titre de fratres populi Romani (§ 2, 4-5). En faisant appel à Jules César, les Éduens ont permis aux Gaules d’échapper à la barbarie (§ 3) et, à une époque plus récente, la cité a payé au prix fort son attachement à Claude II, seul empereur légitime. Cette preuve de loyalisme lui a valu par la suite les faveurs de Constance Ier. L’orateur relate alors les infortunes de la cité (§ 4) : Autun est ruinée par la guerre, les habitants sont écrasés par les impôts (§ 5) et les campagnes se trouvent dans un état déplorable (§ 6). Malgré ce délabrement, Constantin a daigné rendre visite aux Éduens (§ 7).
30Dans la deuxième partie sont détaillés les bienfaits accordés par l’empereur (§ 8-13). Elle s’ouvre sur une description de l’accueil réservé à Constantin à l’occasion de sa visite de 310 (§ 8-10). Les habitants ont fêté avec dignité et enthousiasme cet aduentus (§ 8), même si l’empereur, prévoyant, a évalué l’étendue des malheurs qui les accablaient (§ 9) et, dans le même mouvement, accordé deux importants privilèges fiscaux (§ 10). Le premier consiste en une réduction de l’impôt foncier : l’empereur a retranché de la matière imposable 7 000 unités et a assuré par cette opération le paiement des 25 000 restantes (§ 11). Le second consiste en une remise de dette qui efface l’arriéré des cinq années passées (§ 12). À la suite de quoi ce lustre si mal inauguré s’achève dans la prospérité et dans la félicité (§ 13).
31La péroraison exalte les largesses de l’empereur qui ont rendu vie à la cité affaiblie. Autun mérite de porter le nom de son sauveur en signe de reconnaissance : Augustodunum s’appellera désormais Flauia Aeduorum (§ 14).
32Le discours est structuré en deux temps : l’orateur anonyme justifie d’abord les privilèges reçus (§ 2, 4-7), avant de les décrire en détail (§ 8-12) avec leurs effets positifs immédiats (§ 13). Chaque partie se divise elle-même en deux sous-parties : dans la première sont décrits les mérites des Éduens (§ 2, 4-3) puis leurs malheurs (§ 4-7). Dans la seconde sont détaillés les deux privilèges (réduction de l’impôt foncier [§ 11] puis remise de l’arriéré [§ 12]), après une longue description de l’aduentus impérial à Autun (§ 8-10). Le discours est donc soigneusement élaboré, selon une série de découpages binaires construits en miroir et en oppositions (mérites/bienfaits ; mérites/malheurs ; aduentus impérial/bienfaits ; aduentus impérial/rétablissement immédiat). Il se caractérise par une disposition annulaire, l’orateur achevant son propos sur le sujet même qui avait servi à l’inaugurer : Augustodunum est devenue Flauia Aeduorum.
33Dans son introduction générale consacrée aux « valeurs littéraires » de chacun des panégyristes, Édouard Galletier ne tarissait pas d’éloge sur l’auteur de ce discours44. Sans formuler de tels jugements de valeur, il faut reconnaître sa grande sobriété : les mots employés sont précis45, les articulations apparaissent clairement, sans être trop appuyées, en particulier lorsque l’orateur prend soin de résumer son propos à la fin de chaque partie46. On reconnaît, comme chez Eumène, un souci de ménager l’auditoire en rompant la monotonie tout en apportant des repères clairs. L’orateur sait insister sur certains thèmes, par le biais de répétitions et de périphrases. Il fait un usage abondant des balancements binaires ou ternaires appuyés par l’emploi d’anaphores (sponte... sponte... au § 9, 1, ou diu... diu... diu... au § 10, 4) et emploie une série de métaphores filées (ainsi l’empereur-médecin guérisseur de la cité malade aux § 8, 9 et 11). En somme, cet orateur anonyme fait preuve d’une grande habileté pour convaincre son auditoire que Constantin a accordé de justes récompenses et non point des faveurs.
34Dans le détail, l’orateur use abondamment des figures et procédés de l’ἔκφρασις (descriptio), de l’amplification, ainsi que d’exempta. Dans les nombreuses descriptions qui égrènent son discours, il possède un sens aigu du détail pittoresque : description de la rencontre avec les décurions au § 1, 3, de l’aduentus et de ses différentes phases – passage des portes au § 7, 6, cortège intra muros au § 8, 3-4, audience au « palais » au § 9 –, description des campagnes en ruine aux § 6 et 7, description du retour à la prospérité et à la sécurité au § 14, 3. Ce procédé s’appuie sur l’attention accordée au sens visuel, qui se traduit en particulier par l’emploi régulier du verbe uideo et de ses dérivés47.
35L’orateur a fréquemment recours à l’amplification et au contraste, qu’il place au service de sa démonstration. La description dramatique des campagnes ruinées, aussi précise semble-t-elle, doit d’abord être lue et éclairée à la lumière d’autres passages du discours, où l’auteur insiste sur le lien entre la présence de l’empereur et le rétablissement immédiat. La brièveté et la sobriété du discours ne doivent pas être considérées pour autant comme des preuves de « vérité », ni comme un signe extérieur d’objectivité du témoignage de l’Anonyme de 311. En un sens même, l’absence volontaire de procédés trop voyants peut être considérée comme un parti pris esthétique48.
36Enfin, comme Eumène, il recourt volontiers, pour illustrer son propos, à des exempla puisés dans l’histoire récente ou passée de Rome ou de la ciuitas Aeduorum49. Il se distingue cependant de ses prédécesseurs sur plusieurs points importants : les exempla utilisés dans le discours de 311 évoquent peu les dieux païens, puisqu’on relève au mieux deux ou trois références éparses et brèves (dii immortales au § 7,6, Terra Mater, Iupiter Moderator au § 13, 6, templa au § 14, 3). L’orateur se fait aussi moraliste, usant de maximes et de formules empreintes de sagesse populaire50. Sa culture, contrairement à Eumène, semble plus centrée sur la culture latine : il est moins perméable à l’hellénisme, malgré des mentions rapides de Troie (§3, 1) et du fleuve Pactole, comparé au Tage (§ 14, 2). S’il fait preuve d’une bonne connaissance de l’histoire et des institutions romaines, son horizon de pensée reste centré sur la Gaule, peut-être parce que l’Anonyme de 311 demeure plus ancré et impliqué qu’Eumène dans la vie de la cité et de la province. Des pointes d’esprit connotant une forte identité locale, « gallo-romaine », affleurent. L’auteur s’enhardit jusqu’à revendiquer une égalité de dignitas entre Éduens et Romains (§ 3, 1), affirmation suivie du récit de la visite de Diviciac au Sénat (§ 3, 2).
37D’un point de vue formel, ce panégyrique offre un bon exemple de discours d’éloge double, de l’empereur et d’une cité. Comme dans le plaidoyer d’Eumène, aucun paragraphe cohérent et isolé n’est consacré à un éloge de cité ou d’empereur en bonne et due forme, composé selon les rubriques habituelles : l’éloge est sélectif et disséminé dans tout le discours. Cependant, contrairement au discours d’Eumène, celui de l’Anonyme de 311 est plus harmonieux dans sa composition : l’éloge de la cité occupe presque l’intégralité des paragraphes 2, 3 et 4, celui de l’empereur les paragraphes 9, 13 et 14, offrant une image plus équilibrée des deux sujets principaux du discours. Mais comme dans le discours d’Eumène, l’éloge n’est pas un éloge en soi mais bien un procédé mis en œuvre par l’orateur, utilisé à des fins bien précises, non pour demander et obtenir mais pour remercier et justifier ce qui a été donné.
38Pour terminer, on ajoutera une observation sur la première partie du discours. Dans cette gratiarum actio, l’Anonyme de 311 pratique une forme de surenchère dans sa manière de justifier les bienfaits accordés par Constantin aux Éduens. Par ce biais, il rappelle à l’auditoire ce qui a conduit l’empereur à les octroyer. La première partie, qui se compose de deux sections distinctes, un exposé des mérites suivi d’un tableau des malheurs, se trouve en parfaite conformité avec les règles du πρεσβευτικòς λόγος. Peut-être faut-il envisager, à titre d’hypothèse, que le plan de cette partie reprend en le résumant celui du discours que cet orateur n’avait pu prononcer à l’occasion de l’aduentus de l’empereur en 310, et qu’il mentionne au § 1, 3-5. Seule manquerait ici – et pour cause –, la fin de ce discours fantôme, qu’il faudrait envisager comme un appel à l’aide imprégné de pathos.
39Ainsi, le Panégyrique latin viii(5) offre un exemple précieux de discours d’ambassade. Une analyse minutieuse de son contenu permet même de le ranger dans un sous-genre du πρεσβευτικòς λόγος. Car si le discours d’Eumène était une requête amorçant un cycle de relations entre la cité et le pouvoir impérial, celui de 311, situé à l’autre extrémité de la chaîne, est une gratiarum actio dont la vocation est de clore un processus engagé précédemment51.
Observations sur des extraits des Panégyriques latins iv(8) et vii(6)
40Le recueil des Panegyrici Latini contient deux discours émanant d’orateurs éduens où les allusions à la cité n’apparaissent que de manière ponctuelle, dans la péroraison. Pour autant, les Panégyriques latins iv(8) et vii(6) offrent des informations originales et précieuses pour replacer les témoignages d’Eumène et de l’Anonyme de 311 dans leur contexte.
Le Panégyrique latin iv(8) : éloge de Constance prononcé le 1er mars 297
41Le Panégyrique latin iv(8) est un éloge prononcé à Trèves, probablement en l’honneur de Constance, le jour de son dies imperii, le1er mars 297. L’orateur demeure anonyme, bien qu’on puisse tirer de plusieurs passages du texte des indications biographiques le concernant52. Ancien maître de rhétorique (§ 1, 1), il avait parcouru une carrière de dignitaire civil au sein de la chancellerie impériale (§ 1,4 et 2, 1), fonction qui l’avait conduit à suivre Constance durant ses campagnes rhénanes et danubiennes (§2, 1). Au moment du discours, il vivait retiré dans l’un de ses domaines situé dans les campagnes éduennes (§ 1, 4 et allusion aux barbares prisonniers qui cultivent ses terres au § 9, 3).
42La datation précise du discours a suscité de nombreux débats, bien que son contenu soit on ne peut plus explicite53. L’expédition de Bretagne est achevée puisque l’orateur en donne le récit complet, ce qui nous situe après 29654. L’orateur associe ensuite son discours, sur un mode métaphorique et fleuri (éloge du printemps, thème de la lumière, importance des calendes de mars), à la date anniversaire d’avènement du César Constance Ier, le 1er mars 29355. Aucune allusion n’est faite aux campagnes des Tétrarques de l’année 297. Selon toute vraisemblance, le discours a été prononcé devant l’empereur, le 1er mars 297, dans la seule résidence officielle qu’on lui connaisse à cette date, Trèves56. Comme attendu, l’anniversaire du dies imperii donne lieu à des cérémonies à la cour, dont le faste était plus marqué tous les cinq ans, en particulier lors des quinquennalia et des decennalia. Pour autant, de telles célébrations prenaient place chaque année, comme cela a été rappelé pour le Panégyrique latin viii(5), prononcé lors du sixième anniversaire de la date d’avènement de Constantin, le 25 juillet 311. Le calendrier civique et celui des célébrations officielles à la cour étant scandés par ces nombreuses dates anniversaires, d’importance inégale, que le Feriale Duranum, calendrier civique officiel de la xxe cohorte palmyrénienne remontant au règne de Sévère Alexandre, illustre de manière spectaculaire57. En plus des thèmes attendus propres à tout discours d’apparat, ces anniversaires étaient prétextes à dresser le bilan des actions accomplies par le prince dans un passé proche. En ce jour du 1er mars 297, l’éloge des actions militaires et civiles de Constance Ier se prêtait bien aux circonstances, puisque la Bretagne venait d’être reconquise après une longue sécession. La victoire militaire permettait de surcroît de concentrer les efforts de la politique impériale sur le rétablissement des cités et des provinces.
43Le discours est élaboré de la manière suivante58 : dans l’exorde, l’orateur fait état de son embarras à prononcer l’éloge des brillantes victoires impériales, alors qu’il demeure éloigné de la vie publique (§ 1). Il annonce ainsi qu’il ne fera le panégyrique de Constance que depuis son accès au Césarat (§ 2). L’orateur dresse ensuite le tableau de la situation de l’Empire, exaltant au passage la prospérité retrouvée grâce aux Tétrarques (§ 3-5). Puis, il brosse un panorama détaillé, selon l’ordre chronologique, des victoires de Constance en Occident, en commençant par le récit de la prise de Boulogne-Gesoriacum (§ 6-7), pour terminer sur la campagne de Batavie (§ 8-9).
44Le reste du discours est consacré à la description de l’expédition de Bretagne. Les dangers entraînés par cette sécession sont détaillés (§ 10-12), avant de passer aux opérations militaires (§ 13-15) à l’origine de la défaite de l’usurpateur, et à l’entrée triomphale dans Londres (§ 16-17). Les derniers paragraphes font état de la joie générale et de la sécurité retrouvée de la Bretagne, désormais réintégrée (§ 18-19).
45La péroraison offre une ultime occasion d’exalter le prince qui a rendu à l’Empire ses limites d’autrefois (§ 20). Le panégyriste remercie Constance de cette restauration énergique de l’Empire, au nom des provinciaux mais aussi des habitants d’Autun dont la cité se relève de ses ruines, grâce aux bienfaits impériaux dont elle commence à bénéficier (§21).
46Sans conteste, ce discours offre un bel exemple de panégyrique au sens de discours d’apparat, prononcé lors de festivités officielles et dans un cadre aulique, par un orateur désigné par le destinataire de l’éloge ou son entourage. Dans ce schéma classique, le statut assigné à chacun des protagonistes apparaît bien fixé. Quant aux caractéristiques formelles du discours, il paraît inutile de les détailler dans la mesure où leur étude n’apporterait rien à notre propos59. En revanche, nous souhaiterions formuler une remarque inédite sur ce panégyrique.
47Comme cela a été rappelé plus haut, le statut de l’orateur est celui d’un « poète de cour », même si le terme paraît mal adapté puisqu’il ne s’exprime pas en vers mais en prose. Le dernier paragraphe du discours trouble cependant le jeu : l’orateur, au nom des cités du Nord de la Gaule, remercie l’empereur de sa politique énergique de rétablissement60. Aussi, dans ce paragraphe final, son statut est double : à celui de « poète de cour » s’ajoute celui de représentant d’une cité. De fait, la portée de son message change et la communication déployée devient « ascendante », pour reprendre une expression de Guy Sabbah, dans la mesure où l’orateur sort du cadre imposé par les cérémonies pour se faire le porte-parole et le défenseur des intérêts des provinciaux. Et à ce moment précis, le discours se transforme en une gratiarum actio (l’orateur emploie d’ailleurs le verbe gratulare au § 21, 2).
48Toutes les raisons présentées plus haut incitent à intégrer ce discours, et plus particulièrement sa péroraison, dans le dossier documentaire formé par les Panégyriques latins v(9) et viii(5), puisqu’il constitue un témoignage complémentaire sur les relations entretenues par les provinciaux et les habitants de la cité éduenne avec le pouvoir impérial. En offrant ainsi au prince de tels témoignages de gratitude, l’orateur cherchait à attirer l’attention sur le sort de sa cité dans l’espoir de lui faire bénéficier de nouveaux avantages ou, du moins, pour lui rappeler les engagements pris. Notons au passage que le pouvoir impérial, à l’occasion de festivités étalées sur plusieurs jours, a donné sa préférence à un Éduen pour prononcer l’un des discours officiels inscrits au programme. Choix que l’on interpréterait volontiers comme la reconnaissance, par Constance, d’une forme de prééminence et de préséance de la cité sur les autres communautés gauloises, et qui serait justifiée par le titre de fratres populi Romani porté par les Éduens depuis le iie siècle avant notre ère.
49Dans cette affaire, i1 ressort que l’orateur devait être en réalité un ambassadeur éduen venu féliciter le prince à l’occasion de son dies imperii61. Le fait d’avoir prononcé un discours d’apparat en bonne et due forme ne l’a pas empêché de s’ériger, l’espace d’un instant, en avocat de sa cité et de sa province. La péroraison, d’une certaine manière, remet en perspective la nature de l’ensemble du discours, le rattachant ainsi in extremis au genre de la gratiarum actio.
Le Panégyrique latin vii(6) : éloge de Constantin prononcé fin juillet-début août 310
50L’auteur anonyme du discours est un notable éduen62. Homme d’âge mûr, il a exercé le métier de professeur et assumé peut-être des fonctions officielles à un niveau difficile à préciser, mais élevé : il a exercé sa voix diuersis otii et palatii officiis, précise-t-il au § 1, 1. Il rappelle avec fierté la carrière de certains de ses enfants et de plusieurs de ses anciens élèves, parvenus à de hauts postes équestres (aduocatus fisci pour son aîné ; gouverneurs de provinces pour ses élèves). Assurément, le personnage devait être un Éduen de premier plan, impliqué dans la vie publique de sa cité et dans celle de sa province.
51S’il paraît assuré, en raison des indications tirées du texte, que le discours a été prononcé à Trèves devant l’empereur entouré de sa cour63, les circonstances exactes demeurent difficiles à préciser64. D’après des indications internes, le discours a été prononcé le jour de la date anniversaire de la fondation de Trèves (§ 1,1 et 22, 4)65, après la mort de Maximien (allusion au § 14, 5) au milieu de l’année 310, entre les célébrations des quinquennalia de Constantin du 25 juillet 310 (§ 2, 3) et l’aduentus du prince à Autun à l’hiver 310-311, dont l’orateur semble avoir été à l’initiative, comme il le suggère aux paragraphes 21 et 2266. Sur ce point, il faut donc se satisfaire d’une datation approximative, couvrant un arc chronologique compris entre la fin juillet 310 et le tout début de l’automne de la même année. Si, comme l’indique l’orateur, les cérémonies des quinquennalia venaient de s’achever (Quamuis igitur ille felicissimus dies proxima religione celebratus imperii tui natalis habeatur...), il est tentant de placer la date du discours dans les jours suivants, à un moment où le prince était plus disponible pour traiter des affaires intérieures, ce dont il est question dans la péroraison.
52Dans l’exorde67, le panégyriste associe à son éloge, en ce jour de célébration de la fondation de Trèves, tous les princes, bien que son propos le conduise à insister sur l’empereur Constantin, présent sous ses yeux (§ 1). Le discours suit une composition ternaire.
53L’orateur aborde d’abord l’ascendance de Constantin, en commençant par évoquer brièvement la mémoire de son aïeul, Claude II, vainqueur des Goths (§ 2), puis celle de son père, le divin Constance, empereur vertueux et énergique (§ 4), victorieux à Boulogne, en Batavie, en Bretagne (§ 5), et contre les Germains (§ 6) et les Bretons (§ 7). C’est en Bretagne qu’intervint la mort de l’Auguste, peu après avoir désigné Constantin comme son successeur (§ 8). L’avènement est ratifié par l’armée (§ 9) de cette heureuse province (§ 10). Dans un second temps, l’orateur brosse un panorama rapide mais complet des exploits accomplis par Constantin lors de ses premières années de règne, qui vainc et châtie avec sévérité des peuplades franques (§ 10), semant la terreur chez leurs voisins qui n’osent plus alors franchir le Rhin (§ 11). Une autre expédition, chez les Bructères, est couronnée de succès (§ 12). L’empereur fait construire à cette époque un pont monumental à Cologne, destiné à faciliter les campagnes (§13). Dans un troisième et dernier temps, l’orateur s’étend sur la révolte de Maximien. La conspiration du vieil Herculéen est dénoncée, d’autant que ce dernier a été comblé de bienfaits par son gendre. Sa mort volontaire apparaît comme la juste sanction d’un projet funeste (§ 14). Dans l’affaire, Maximien, par ambition, a manqué de parole tant à l’égard de son ancien collègue, Dioclétien, qu’à l’égard de Constantin (§ 15). S’il a tenté de reprendre la pourpre en soulevant une partie de l’armée, le gros de la troupe est demeuré fidèle à Constantin (§ 16). La beauté charismatique de Constantin explique l’indéfectible attachement des soldats (§ 17). La campagne éclair qui s’engage entraîne le corps expéditionnaire du Rhin à la Saône, de la Saône au Rhône, puis du Rhône à Marseille où Maximien s’est retranché (§ 18). Malgré des prodiges favorables, le siège est un échec, en raison de l’épaisseur et de la solidité des murs de la cité (§ 19). Alors que Constantin s’apprête à lever son camp, laissant à Maximien et aux rebelles le temps de se repentir, les dieux le vengent (§ 20).
54Sur la route du retour vers le limes rhénan où les barbares commencent à s’agiter, Constantin se recueille dans un temple d’Apollon où le dieu lui apparaît en songe, lui promettant un règne long et glorieux. L’orateur profite de l’évocation de cette « vision » pour inciter Constantin à venir honorer le sanctuaire d’Apollon situé sur le territoire de sa cité (§ 21). La présence impériale sera gage de résurrection pour la communauté, laquelle bénéficiera des mêmes faveurs exceptionnelles que Trèves (§ 22). L’orateur remercie le prince de l’avoir écouté et profite du moment pour lui recommander ses enfants et ses anciens élèves (§ 23).
55Les remarques formulées à propos du Panégyrique latin iv(8) valent pour le discours de 31068, qui apparaît comme un pur discours d’apparat, bien qu’il tende à devenir, dans la péroraison, une requête semi-officielle. L’orateur n’a pas simplement remercié l’empereur des bienfaits accordés à la province ou à sa cité, mais a introduit une pétition, formulée en apparence de manière officielle, en raison de son statut de délégué. On réalise à la lecture du discours que la démarche n’était pas dénuée d’arrière-pensées. Les notables éduens ont profité du moment pour introduire, dans un discours d’hommage, une requête formulée avec habileté, qui couvre d’un voile pudique les profondes difficultés alors traversées par la cité. Certes, l’orateur souhaite que l’empereur vienne honorer de sa présence le sanctuaire éduen d’Apollon. Mais l’invitation n’est-elle pas un prétexte pour rendre visite à une communauté civique qui a besoin de l’aide impériale pour se rétablir ? Ces éléments apparaissent de manière feutrée dans la phrase : Ideoque hoc uotis meis sufficit ut patriam meam uideas ducente pietate, quia statim erit restituta, si uideris (§ 22, 7)69. C’est du moins l’interprétation nouvelle qu’il faut proposer de cet extrait du Panégyrique latin viii(5) où il est fait état de manière explicite des raisons de la visite de Constantin. La ciuitas Aeduorum gît accablée sous le fardeau des impôts et se trouve au bord de la banqueroute financière70.
56Le Panégyrique latin vii(6) mérite, comme le panégyrique de 297, sa place dans le dossier documentaire des discours éduens, en sa qualité de premier témoin et jalon d’une importante affaire de dégrèvement fiscal. Ce discours d’apparat peut être ainsi considéré comme une pétition, comme celui d’Eumène, bien que d’un point de vue formel, il s’en détache très nettement. L’exemple de ces deux textes prononcés en 297 et 310 permet de prendre acte de la diversité des discours prononcés dans des situations de détresse d’une cité. Les voies offertes pour présenter une requête étaient variées : le discours pouvait être un discours d’ambassade, prononcé dans la cité ou dans la ville où siégeaient les autorités, devant l’empereur ou l’un de ses représentants ; il pouvait être aussi un pur discours d’apparat, prononcé par un orateur introduisant dans la péroraison, à côté des remerciements d’usage, les éléments d’une pétition.
57Pour finir, on notera à propos du discours de 310 que l’orateur, en plus de présenter une requête au nom de la cité qu’il représentait, a profité de son statut d’interlocuteur privilégié du prince pour formuler une pétition à caractère privé, jugeant opportun de recommander ses enfants et ses anciens élèves à Constantin afin que ce dernier protège et favorise leur carrière dans l’administration impériale. Le procédé correspondait aux pratiques usuelles associées aux liens de patronage. On retrouve la même façon d’agir chez Sidoine, environ un siècle et demi plus tard quand, dans le panégyrique prononcé en l’honneur de Majorien71, il introduit une requête à deux occasions : l’une fictive et sur le mode de la prosopopée mettant en scène l’allégorie de l’Africa réclamant secours à Majorien (v. 53 et suiv.), l’autre bien concrète, émanant de Sidoine lui-même qui sollicite auprès de l’empereur une aide pour la reconstruction de Lyon, partiellement détruite dans des combats récents (v. 574-603). Par la suite, Sidoine a profité de sa position pour bénéficier, dans un contexte similaire, d’une réduction de ses propres impôts par le biais d’un poème-pétition adressé à Majorien72. Dans le poème, les deux pétitions, celle visant à rétablir sapatria et celle visant à rétablir sa fortune, sont habilement liées73. Ces différents exemples permettent de mesurer combien la frontière entre sphère publique et sphère privée, pétition officielle et littérature, demeurait ténue74.
58Les analyses interne – du fond et du contenu – et externe – du cadre d’énonciation – des Panégyriques latins v(9) et viii(5) attestent leur grande similitude et soulignent combien ces deux discours se démarquent des neuf panégyriques rassemblés dans le recueil, celui de Pline excepté. Ils partagent de nombreux points communs, en particulier l’origine et le statut de leurs auteurs représentants de la cité des Éduens, les circonstances fiscales ou financières qui les conduisent à s’adresser au pouvoir, les grands thèmes développés dans leurs discours respectifs, en particulier les éléments d’éloge de la cité ou du prince. Quant aux dissemblances, indéniables, elles doivent être mises sur le compte de la forte personnalité de ces orateurs – l’un ancien magister memoriae, l’autre notable ancré dans son horizon provincial – et sur celui des différences de contexte historique, attendues pour des discours prononcés à treize années d’intervalle et dans une époque de profondes mutations.
59La remarquable communauté d’esprit et de ton partagée par ces discours ouvre des perspectives d’analyse nouvelles et inédites. Les rapprochements opérés autorisent à les considérer comme un sous-ensemble bien circonscrit, comme un corpus dans le recueil, qui offre au lecteur un dossier documentaire riche sur la ciuitas Aeduorum au tournant du ive siècle. Aux deux documents principaux formés par les discours d’Eumène et de l’Anonyme de 31 1, doivent être joints plusieurs extraits des Panégyriques latins iv(8) et vii(6) dont la particularité est d’avoir été prononcés par des orateurs éduens révélant, au détour d’une phrase, des témoignages précieux sur la vie de leur communauté.
Notes de bas de page
1 Pour plus de détails sur la personnalité d’Eumène, se reporter à l’ensemble du chapitre 5 ainsi qu’à sa fiche individuelle située dans l’annexe consacrée aux notables éduens, en fin de volume.
2 La fonction d’ambassadeur consistait en un lourd munus (λῃτουργία en grec) auquel les curiales étaient soumis. Bonnes mises au point sur le sujet dans Liebenam, Städtverwaltung, p. 82-88 ; Lepelley, Les cités, 1, p. 200 et 211 ; Jacques, Le privilège de liberté, p. 322-324 et 501-502.
3 Voir Galletier, 1, p. 106-109, qui défend les arguments en faveur d’une date basse, début 298 contre 296 (date proposée par Brandt ou Bährens) ou 297 (date défendue par Jullian et Klotz). Édouard Galletier empruntait ici une partie de son raisonnement à Seston, Dioclétien et la Tétrarchie, p. 31 et 171 (en particulier n. 7, où l’auteur mentionne les auteurs qui, avant lui, avaient défendu la date du début du printemps 298).
4 Voir dans le chapitre 6 les remarques consacrées au Vir perfectissimus.
5 Telle est la position adoptée par Nixon, Rodgers, In Praise of Emperors, p. 148.
6 F. Kolb, « Zur chronologischen Problemen der ersten Tetrarchie », Eos, 76 (1988), p. 106-116.
7 F. Kolb, « Chronologie und Ideologie der Tetrarchie », Ant Tard, 3 (1995), p. 21-31 (p. 23-24), propose un rapide commentaire de ce passage clé pour la datation du discours (Panégyrique latin v(9), 21, 1-3).
8 C. Zuckerman, « Les campagnes des Tétrarques, 296-298. Notes de chronologie », Ant Tard, 2 (1994), p. 65-70.
9 Contra A. Chastagnol, « L’évolution politique du règne de Dioclétien (284-305) », Ant Tard, 2 (1994), p. 23-31, qui place cette victoire sur les Perses courant 298 (p. 28).
10 Barnes, NE, p. 63, n. 77, fixe la date de la victoire de Galère dans le courant de l’année 298 et pense que le discours d’Eumène a été prononcé à l’été ou l’automne de cette même année. Certes, mais dans ces conditions, comment expliquer la présence de soldats ayant pris leurs quartiers d’hiver ? Kienast, Römische Kaisertabelle, p. 283, fixe également ces événements la même année, en 298.
11 Il s’agit du résultat auquel aboutit également Rebuffat, « Comme les moissons à la chaleur du soleil », p. 113-133, lequel date le discours d’Eumène de l’hiver 297-298.
12 Barnes, « Emperors, Panegyrics, Prefects », p. 541.
13 Rodgers, « Eumenius », p. 262-266.
14 Pour plus de détails sur le personnage, se reporter à la fiche qui lui est consacrée dans l’annexe (Anonyme 11), ainsi qu’aux pages le concernant du chapitre 7. Aperçus essentiels sur le discours, sa structure, sa signification dans Rönning, Herrscherpanegyrik unter Trajan und Konstantin, p. 189-290.
15 Mise au point utile sur la question dans Baglivi, « Nota a Paneg. viii(5), 13, 4 », p. 145-147, n. 26 ; Nixon, Rodgers, op. cit., p. 255-256.
16 Pour des discussions de détail et pour une mise au point bibliographique, voir Nixon, Rodgers, op. cit., p. 179-185.
17 Galletier, 2, p. 77, a repris les conclusions de Jullian, Histoire de la Gaule, 7, p. 113, n. 9. La date de 312 a été proposée par Faure, « Étude de la capitation de Dioclétien », p. 31, suivi par Carrié, « Dioclétien et la fiscalité », p. 38-39, qui hésite néanmoins entre juillet 311 (Carrié, dans Carrié, Rousselle, ERM, p. 594) et janvier 312 (ibid., p. 532). Messina, « Il panegirico di Costantino », reprend cette date et dresse la liste des savants qui l’ont acceptée (p. 66, n. 2). Barnes, NE, p. 308, n. 107, défend la date du 25 juillet 311. L’autorité des savants qui ont formulé l’hypothèse explique la fortune, dans le milieu des historiens français, de la date erronée du 1er janvier 312.
18 Aucun des discours assurément prononcés un 1er janvier ne fait l’économie d’une mention du consulat ou des attributs consulaires (trabée, chaise curule, sceptre). Pline, dans son discours à Trajan, mentionne la magistrature dès le premier paragraphe et de manière régulière ensuite. Même constat chez Mamertin, dans sa gratiarum actio adressée à Julien (mention du consulat dès la première phrase), ou encore chez Ausone dans son panégyrique de Gratien (mentions explicites aux § 2-4 ; 6 ; 9-12 et 18). De la même manière, l’orateur du discours de 289 ne manque pas de signaler, à l’occasion d’événements survenus début 287, les ornamenta consulaires de Maximien (Panégyrique latin ii(10), 6, 2 et 6, 4). Pour ces discours, on trouvera une liste détaillée des occurrences du terme consul dans Janson, Concordance, p. 112-115.
19 En ce sens : Baglivi, « Nota a Paneg. viii(5), 13, 4 », p. 145-147, n. 26.
20 On trouvera une mise au point des différentes positions sur la date de cet accès autoproclamé de Constantin à l’Augustat, ignoré par les autres membres du collège impérial, Galère en particulier, dans Kienast, op. cit., p. 298, qui propose, avec prudence, une datation large, « Spätsommer ( ?) 307 ».
21 Sur la question du dies imperii de Constantin et des festivités qui s’y rapportent, je renvoie aux articles de Baglivi, « Ricerche sul dies imperii », p. 53-138 ; d’A. Chastagnol, « À propos des quinquennalia de Constantin », RN, 22 (1980), p. 106-119, et « Les jubilés impériaux de 260 à 337 », dans Crise et redressement dans les provinces européennes de l’Empire, p. 11-25. Ces deux savants rejettent les positions du numismate finlandais P. Bruun, « Constantine’s dies imperii and quinquennalia in the light of the early solidi of Trier », Numismatic Chronicle (1969), p. 177-205, et « Constantine’s change of dies imperii », Arctos, 9 (1975), p. 11-29, articles repris dans Studies in Constantinian numismatics : papers from 1954 to 1988, Rome, 1991 (p. 81-95 et p. 97-105). Utile mise au point dans Nixon, Rodgers, op. cit., p. 180-185, et dans Barnes, art. cit., p. 539-541.
22 Peu auparavant, en 310, un autre ambassadeur éduen venu prononcer un discours à la cour impériale avait décrit les avantages que Trèves avait su tirer de la présence impériale : Panégyrique latin vii(6), 22, 4-5.
23 C’est ce qu’affirme sans précautions Rees, Layers of Loyalty, p. 9, qui joint à l’appui de son affirmation une photographie actuelle de la fameuse basilique (p. 3). Sur la fonction de ce bâtiment, voir les remarques de N. Duval, « Les résidences impériales : leur rapport avec les problèmes de légitimité, les partages de l’Empire et la chronologie des combinaisons dynastiques », dans Usurpationen in der Spätantike, Paschoud F, Szidat J. éd., Stuttgart, 1997 (Historia Einzelschriften, 111), p. 135 et 138.
24 Nous complétons ici le résumé proposé par Galletier, 1, p. 121.
25 Les traces d’« oralité » sont les suivantes : multiplication des adresses au Vir perfectissimus au vocatif (voir à ce sujet infra, chapitre 6, p. 220-221), références à certains groupes ou personnages présents lors du discours (avocats du forum au § 2, 2, Glaucus parmi les notables au § 17, 4). On relèvera les nombreuses phrases interrogatives disséminées dans le discours (accumulations aux paragraphes 16 et 18) et dont l’emploi vise à impliquer à la fois l’interlocuteur et l’auditoire.
26 Comme par exemple dans la série de parallélismes et de balancements : ibi... hic... au § 2, 4.
27 Il est ainsi facile d’identifier la proposition au § 3, 4, la conclusion du premier point au § 10, 3, l’introduction de la seconde partie au § 11, 1, ainsi que la conclusion d’ensemble du discours, qui résume à l’extrême le propos, au § 21, 4.
28 Exemple significatif d’une accumulation au paragraphe 7, dans lequel Eumène, pour illustrer la même idée, fait appel à trois exempla historiques, proches dans leur contenu. Sur les exempla et références historiques employés dans les Panégyriques latins d’époque tétrarchico-constantinienne, voir Hostein, « Un exemplum historique dans le discours d’Eumène », p. 201-210, ainsi que les différentes contributions publiées dans Costruzione e uso del passato storico nella cultura antica, Desideri P., Roda S., Biraschi A. M. éd., Alexandrie, 2007.
29 Exemple de construction en balancements, renforcés par une anaphore au § 17, 1 : si... si... si... si... si... ubi... nisi.
30 Voir les critiques formulées par Galletier, 1, p. 119-120.
31 Ainsi, la palette d’expressions pour désigner les écoles : Maenianae, scholae, monumentum, opus, sacrosancta sedes ou docendi sedes, etc. dont Édouard Galletier a dressé la liste : Galletier, 1, p. 123, n. 1.
32 Les justifications suivent une graduation qui va du concret vers l’abstrait : les écoles méritent d’être rétablies comme les autres bâtiments ; c’est un idéal à atteindre, car ces écoles intéressent la culture, la παιδεία, et suscitent l’intérêt des princes. Enfin, il s’agit de réparer l’outrage moral fait aux divinités puisque leurs demeures, les temples, jouxtent les ruines des écoles.
33 Description des joutes verbales entre avocats (§ 2, 3-5), de la carte du monde connu (§ 20, 3) ou des guerres en cours menées aux quatre coins de l’Empire (§21, 1-3).
34 Le trouble (trepidatio) exprimé par l’orateur dans la captatio, concernant la difficulté de sa tâche et son inaptitude à prononcer une pièce oratoire devant l’empereur en personne, est aussi souligné dans l’exorde du Panégyrique latin iv(8) et dans celui du Panégyrique latin ix(12). Il s’agit d’un topique communément employé dans ces situations : Pernot, op. cit., 1, p. 302. Diverses phrases et expressions d’inspiration cicéronienne ont été relevées par les philologues de la fin du xixe et du début du xxe siècle (Klotz en particulier). Elles sont signalées par Nixon, Rodgers, op. cit., p. 17-19 ; M. J. Rodriguez Gervás, Propaganda política y opinion pública en los Panegíricos Latinos del Bajo Imperio, Salamanque, 1991, p. 19-20 ; Vereecke, « Le corpus des Panégyriques Latins », p. 158-160. Ces commentateurs examinent les rapprochements possibles entre les Panegyrici Latini et les sources latines et grecques, théoriques ou pratiques. Voir aussi l’analyse critique que donne Edmond Vereecke d’une telle approche, ibid., p. 154-157.
35 L’originalité de la prose d’Eumène est relevée par Rees, op. cit., p. 137. Elle ressort de la lecture des listes et tableaux dressés par Marie-Claude L’Huilier : op. cit., p. 329 (liste des vertus caractérisant les empereurs et dont certaines, très rares, ne sont employées que par Eumène ou l’un de ses collègues, par exemple la continentia, l’indulgentia, la magnificentia. On relèvera l’absence de la maiestas et de l’auctoritas impériale), p. 429 (le discours d’Eumène est celui qui comporte le moins de phrases, mais le plus de mots par phrase) et p. 454 (aucune adresse directe aux empereurs). Nixon, Rodgers, op. cit., p. 15, font remarquer qu’Eumène n’a forgé aucun néologisme, contrairement à la plupart des autres panégyristes du corpus.
36 Nixon, Rodgers, op. cit., p. 19.
37 La culture hellène est omniprésente dans ce discours, plus que dans n’importe quel autre, tant par le choix des exempla (mythe d’Amphion au § 15, 2), des références au passé (Athènes au § 7, 1 ; Fuluius Nobilior au § 7, 3), que par le rappel des origines athéniennes du grand-père (§ 17, 3) ou l’allusion à la double compétence linguistique, latine et grecque, de Glaucus (§ 17, 4). Sur ce dernier, lire le chapitre 6. Sur l’hellénisme d’Eumène, voir A. Hostein, art. cit., p. 208-209.
38 Parmi les savants qui ont remarqué que le discours d’Eumène n’était pas à proprement parler un panégyrique, sans pour autant en tirer les conséquences, figurent Demougeot, « Autun et les invasions », p. 114 (un plaidoyer) ; Lana, art. cit., p. 79-80, repris par Messina, « Una singolare rinuncia », p. 175 (une suasoria) ; Barnes, art. cit., p. 541 ; M. Christol, « Le métier d’empereur », p. 355-368 ; en dernier lieu, Rees, op. cit., p. 135 et 137 (a practical appeal in panegyrical vein). On n’accordera aucun crédit aux affirmations de ceux qui considèrent ce discours comme un discours de remerciement adressé à Constance Ier pour son aide dans la restauration des écoles (par exemple B. H. Warmington, « Aspects of the Constantinian Propaganda in the Panegyrici Latini », TAPhA, 104 (1974), p. 372, n. 7).
39 Panégyrique latin v(9), 4, 1-3.
40 Concernant l’éloge des cités, la théorie antique la plus aboutie se trouve exposée dans le Traité i de Ménandre le Rhéteur : Mén. Rh., i, 344, 15-367, 8, où l’auteur détaille les différentes catégories d’éloges de cité à prononcer en diverses occasions. Chez les auteurs latins, Quintilien avait été le premier à véritablement formaliser l’éloge de cité : Quint., iii, 7, 26. On trouvera sur le sujet de bonnes mises au point dans Pernot, op. cit., 1, p. 178-216, et dans Bouffartigue, « La tradition de l’éloge de la cité », p. 43-58.
41 L’éloge des princes ne suit pas un plan scolaire. Certaines vertus présentes nécessairement dans un βασιλικòς λόγος, tel qu’il est formalisé par Ménandre (Mén. Rh., ii, 368, 1-377, 30) ou dans le discours d’Eumène, sont absentes (thème de la naissance, de l’origine des princes), alors que d’autres, mineures, demeurent surreprésentées (éloge de la culture et de l’intérêt des princes pour les choses de l’esprit). Sur les règles régissant la composition du βασιλικòς λόγος, on lira E Del Chicca, « La struttura retorica del panegirico tardoimperiale », p. 79-113 ; Pernot, op. cit., 1, p. 77 (ainsi que le chapitre consacré à l’éloge des personnes, p. 134-178) ; M.-H. Quet, « Conseils de Ménandre le Rhéteur pour l’élaboration d’un “discours du prince”, à la fin du iiie siècle », dans L’éloge du prince, p. 81-89 ; F. Paschoud, « Biographie und Panegyricus : Wie spricht man vom lebenden Kaiser ? », dans Biographie und Prosopographie. Internationales Kolloquium zum 65. Geburtstag von Anthony R. Birley, Vössing K. éd., Stuttgart, 2005 (Historia Einzelschriften, 178), p. 103-118. Sur les différents moyens offerts à l’orateur pour louer un empereur, selon la forme littéraire adoptée et le contexte d’énonciation, lire L. Pernot, « Trois styles de portrait impérial au iie siècle après J.-C. : Antonin chez Aelius Aristide, Pausanias, Marc Aurèle », dans ΟΠΩΡΑ. La belle saison de l’hellénisme. Études de littérature antique offertes au Recteur Jacques Bompaire, Billault A. dir., Paris, 2001, p. 103-113.
42 Cette fonction de l’éloge fait l’objet d’analyses développées en conclusion du chapitre 8.
43 Le plan général du discours est présenté par Galletier, 2, p. 87-88. Il est étudié en détail par Rönning, op. cit., p. 209-287.
44 Galletier, 1, p. xxxvi : « Combien l’orateur de 312, à côté de lui [Eumène], a d’assurance ! [...] il a une éloquence précise et claire et il rend de façon pittoresque et touchante l’accueil fait par la cité au souverain. »
45 Précision reconnue depuis fort longtemps dans l’usage du vocabulaire de la fiscalité. On relèvera la précision de certains termes techniques ou de mots au sens très circonstancié, comme par exemple conseruator (terme analysé au chapitre 8), ou encore defectio uirium au § 5, 5, qui renvoie au vocabulaire de la comptabilité.
46 Même si les transitions sont moins franches que chez Eumène, elles demeurent bien présentes : annonce du plan au § 2, 2, transition douce au § 7, 6 avec l’incise iam enim peruenit oratio, annonce de deux sous-parties au § 11, 1 et réitération, au début de chaque point, du pronom personnel Tu pour désigner Constantin.
47 Le thème de la vision est très marqué par l’usage des verbes uidere (§ 4, 1 ; 4, 2 ; 5, 6 ; 7, 2 ; 7, 5-6 ; 8, 1 ; 9, 5 ; 12, 1 et 13, 5), obseruare au § 4, 2, ou encore mirare au § 8, 1.
48 Se reporter au chapitre 7 où l’on rappelle que ce discours doit être décodé et étudié à travers les intentions de l’auteur pour comprendre son contenu institutionnel.
49 Les exempla et références sont puisés dans l’histoire passée et récente de Rome (mention de Caton au § 13, 3) et d’Autun (références au passé gaulois aux § 2, 4-5 et 3, au siège récent de la ville au § 4, 2-3, et au rétablissement engagé par Constance au § 4, 4). Sur ces procédés, voir la bibliographie donnée supra, n. 28.
50 Exemples de maximes aux § 2, 2 ; 8, 3 ; 9, 2 et 13, 5.
51 Seul Rönning, op. cit., p. 249-250, a suggéré sans prolonger sa réflexion que le discours de 311 pouvait relever du genre presbeutique.
52 Voir la fiche qui est consacrée au personnage dans l’annexe sur les notables éduens (Anonyme 5).
53 Bonne mise au point sur le sujet dans Galletier, 1, p. 73 ; NHLL, 5, p. 191-192 ; Nixon, Rodgers, op. cit., p. 105-106 (les auteurs proposent une autre hypothèse, au printemps 297) ; Rees, op. cit., p. 101. Ce dernier, empruntant une idée aux auteurs de la NHLL, 5, p. 191, suggère à titre d’hypothèse que le discours a pu être prononcé non pas le jour d’anniversaire du dies imperii, le 1er mars 297, mais au cours de l’hiver 297-298, à l’occasion des festivités associées à l’entrée triomphale (aduentus) du prince à Trèves.
54 La date de 296 proposée pour la reconquête de la Bretagne par Seston, Dioclétien et la tétrarchie, p. 101-114, remise en question par certains savants, paraît désormais assurée. Voir à ce sujet Barnes, NE, p. 60 ; Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 196.
55 Mise au point synthétique sur la date précise de l’avènement des Césars, le 1er mars 293, dans Barnes, op. cit., p. 4.
56 Ce point semble admis par l’ensemble des principaux commentateurs du texte : Galletier, 1, p. 73 ; NHLL, 5, p. 193 ; Nixon, Rodgers, op. cit., p. 105 ; Lassandro, Micunco, op. cit., p. 11 ; Rees, op. cit., p. 101.
57 Sur ce calendrier : The Feriale Duranum, Fink O., Hoey A. S., Snyder W. F. éd., Yale, 1940. Sur la mainmise particulière de Dioclétien sur le calendrier officiel, voir J.-P. Callu, « Réflexions sur un cycle vicennal au iiie s. de notre ère », dans Aiôn. Le temps chez les Romains, Chevallier R. éd., Paris, 1976 (Caesarodunum, 10 bis), p. 209-220, en particulier p. 219-220, ainsi que les travaux d’André Chastagnol cités supra, n. 21.
58 Le présent résumé reprend dans ses grandes lignes celui de Galletier, 1, p. 80-81.
59 Voir Galletier, 1, p. 76-79 ; NHLL, 5, p. 191 ; Nixon, Rodgers, op. cit., p. 109-144 (dans les notes) ; Rees, op. cit., p. 102-104 et 105-129.
60 Ce rôle de porte-parole des intérêts des provinciaux apparaît de manière explicite au § 21, 1-2 : ita nunc per uictorias tuas, Constanti Caesar inuicte, quidquid infrequens Ambiano et Bellouaco et Tricassino solo Lingonicoque restabat, barbaro cultore reuirescit. Quin etiam illa, cuius nomine mihi peculiariter gratulandum, deuotissima uobis ciuitas Aeduorum.
61 Ces cérémonies étaient propices à ce genre de pratiques. L’ambassadeur, tout en congratulant et en félicitant l’empereur, profitait de la situation pour glisser une requête. Ménandre a d’ailleurs fait figurer les règles du discours d’ambassade (πρεσβευτικòς λόγος) immédiatement après celles du discours de la couronne (στεφανωτικòς λόγος), en précisant que ces deux sous-genres comportaient les mêmes topiques développés de façon différente : Mén. Rh., ii, 422, 4-424, 2. Le procédé a été employé par les Aphrodisiens en 250, lorsqu’ils envoyèrent à Trajan Dèce, peu après son avènement, une ambassade pour le féliciter. Ils profitèrent de l’occasion et du discours pour faire confirmer leurs privilèges. L’interprétation se déduit de la lecture de l’inscription no 25 du recueil publié par Joyce Reynolds, analysée en détail au chapitre 3, p. 104-107. Plus tard, en Gaule, Sidoine Apollinaire profita de son statut d’orateur de cour, à l’occasion du panégyrique adressé à Majorien (Carm. v), pour se faire le porte-voix des plaintes et des requêtes des Lyonnais.
62 Sur le personnage, voir l’annexe sur les notables éduens, Anonyme 7.
63 Le discours est prononcé à Trèves, comme l’indiquent la mention explicite de la Moselle (§ 7) et la description des monuments imposants dont vient d’être dotée la ville en raison de la présence impériale (au § 22, 4-5).
64 Sur la date de ce discours : Galletier, 2, p. 34-35 ; Nixon, Rodgers, op. cit., p. 212-214 ; Lassandro, Micunco, op. cit., p. 12.
65 Si la date exacte demeure inconnue, elle coïncidait peut-être avec celle du dies natalis de Claude (le 1er août), à qui l’on attribue généralement la paternité de la décision visant à octroyer à la cité le statut de colonie romaine honoraire. L’hypothèse est formulée par Wightman, Roman Trier, p. 40, qui approfondissait là une remarque de Jullian, Histoire de la Gaule, 7, p. 104, n. 4. Elle est reprise par Heinen, Trier und das Treverland, p. 46-47 et 53, qui rappelle à juste titre qu’il ne s’agit là que d’une Möglichkeit. Voir sur le sujet les brèves remarques de Baglivi, « Osservazioni su Paneg. vii(6), 9 », p. 329, n. 3.
66 Nous suivons la chronologie et la datation proposées par Barnes, NE, p. 70, reprises ensuite dans id., « Emperors, Panegyrics, Prefects », p. 541.
67 Galletier, 2, p. 52-53.
68 Sur les caractéristiques formelles de ce discours, consulter Galletier, 2, p. 46-50 ; NHLL, 5, p. 194 ; Nixon, Rodgers, op. cit., p. 216 et 218-253. Roger Rees, qui n’étend pas son étude au-delà du Panégyrique latin vi(7), n’aborde pas le sujet. Voir à ce propos les critiques formulées par Hostein, « Le corpus des Panegyrici Latini », p. 384-385.
69 La phrase se fait l’écho des remarques formulées au paragraphe 22, 3-4 : Dabis et illic munera, constitues priuilegia, ipsam denique patriam meam ipsius loci ueneratione restitues. Cuius ciuitatis antiqua nobilitas et quondam fraterno populi Romani nomine gloriata opem tuae maiestatis exspectat, ut illic quoque loca publica et templa pulcherrima tua liberalitate reparentur, où il est question de reparare et de restituere la cité, preuve s’il en est de la nécessité pressante des travaux.
70 Sur la question de la ruine financière de la cité dans les années 305-310, se reporter aux analyses du chapitre 7.
71 Sidon., Carm. v.
72 id., Carm. xiii.
73 Ibid., v. 23-25 (éd./trad. A. Loyen, CUF) : Vt reddas patriam simulque uitam / Lugdunum exonerans suis ruinis / hoc te Sidonius tuus precatur...
74 Voir l’analyse de ces audiences « impromptues » à la fin du chapitre 8. Se reporter également aux réflexions de Fournet, « Entre document et littérature : la pétition à Byzance », p. 61-74.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Marquer la ville
Signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-xvie siècle)
Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet (dir.)
2013
Église et État, Église ou État ?
Les clercs et la genèse de l’État moderne
Christine Barralis, Jean-Patrice Boudet, Fabrice Delivré et al. (dir.)
2014
La vérité
Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (XIIIe-XVIIe siècle)
Jean-Philippe Genet (dir.)
2015
La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010