Préface
p. 7-9
Texte intégral
1Il faut être attentif au titre de l’avant-propos pour prendre toute la mesure de l’intérêt de l’ouvrage : ciuitas et imperium. En inversant l’intitulé d’un livre de D. Nörr, publié en 1966, et dont les thèses furent vivement combattues par les travaux de Claude Lepelley ou de François Jacques entre autres, Antony Hostein ne recherche pas ce qui ne serait chez d’autres qu’un artifice littéraire. Il engage une réflexion de grande ampleur, dont on mesure avec plaisir et satisfaction, pas à pas, chapitre après chapitre, quels horizons elle embrasse, quelles perspectives elle trace. L’ancrage dans une documentation qui paraîtrait mince de prime abord s’avère un atout décisif. Mais il faut tenir compte de la méthode, qui vient superposer et articuler aux commentaires minutieux des parallèles éclairants et des exemples qui, pour venir d’ailleurs que du monde gallo-romain, n’en sont pas moins pertinemment utilisés et savamment exploités.
2Il importait d’abord de débusquer une belle documentation, puis de la disposer pour engager les démonstrations. Il fallait l’offrir au lecteur, parée avec l’habileté du meilleur artisan, c’est-à-dire en montrer tout l’intérêt et l’illustrer d’exemples et de compléments pour la faire vivre et lui faire exprimer tout ce qu’elle contenait. Le corpus des Panégyriques latins apportait la matière. Encore fallait-il l’extraire. La constitution du recueil a fait l’objet depuis longtemps de recherches savantes, mais fallait-il considérer que les pièces rassemblées étaient du même moule, interchangeables jusqu’à devenir banales et insipides. Réunis sous le même vocable, considérés dès lors comme des discours d’apparat, au contenu factice, ils avaient été sollicités, plutôt dans des perspectives d’histoire politique, comme le montre la réussite de W. Seston pour dégager les traits essentiels de l’idéologie impériale à l’époque tétrarchique.
3Attentif aux travaux du voisinage dans le domaine des sciences de l’Antiquité, Antony Hostein a tiré grand profit des études qui ont mis en évidence la rhétorique antique à l’époque impériale, ses méthodes, ses pratiques, les modalités de son insertion dans le vécu du politique, ce qu’ont exposé dans de riches travaux tous les « enfants » de Ménandre le Rhéteur ou des orateurs de la Seconde sophistique. Il peut ainsi isoler deux des pièces du recueil, et montrer que les caractéristiques de leur contexte d’énonciation en font des discours à part, ouvrant sur d’autres domaines que l’histoire politique au sens traditionnel. Le Panégyrique latin v d’après la numérotation de l’édition d’Édouard Galletier (= 9 dans celle de Baehrens), si original par sa composition, par son sujet, par son vocabulaire même, peut être défini comme un discours de demande, une postulatio, celle d’un personnage important de la cité des Éduens, Eumène, qui pour atteindre l’empereur s’adresse à l’intermédiaire institutionnel par excellence, le gouverneur de la province de Gallia Lugdunensis, constamment dénommé de façon anonyme uir perfectissimus, et qui avait autorité sur la ciuitas Aeduorum. Antony Hostein identifie ici une pièce exceptionnelle en son genre : le discours d’un notable sollicitant l’appui d’une autorité pour que soit transmise à l’empereur avec toutes les recommandations possibles la demande d’une cité, et qu’elle revienne avec l’approbation de ce dernier. Durant la période impériale cette pratique du « discours d’ambassadeur » fut ancrée dans le quotidien municipal, mais on ne la saisit que par des allusions ou des raccourcis, ou par les témoignages qui, affichés à l’aboutissement du processus, quand il s’est bien conclu, montrent que le cycle de relations entre les cités et le pouvoir a bien fonctionné : mais on découvre alors la décision impériale, tandis que s’effacent tous les préalables, et toutes les démarches ou procédures qui ont abouti à l’expression bienveillante du prince. Tout déplacement d’autorité dans la province, scandé par la visite des cités, suscitait ces requêtes d’appui, comme le montre la correspondance de Pline et de Trajan. Mais que reste-t-il de cette littérature issue de la vie et du fonctionnement des cités ? Dans la mesure où, parfois, la réponse recevait sa forme de la pétition adressée, il arrive qu’on appréhende indirectement le contenu des demandes. Le Panégyrique latin v(9) correspond ici à un discours officiel venant à l’appui d’une remise de pétition. Son contenu n’est pas étranger à celui de la pétition, mais il se doit de suivre sa propre logique pour mieux accompagner la démarche. On dispose donc d’un document très original, qui entre parfaitement dans le jeu des relations circulaires entre le monde des cités et les chaînons de l’autorité impériale.
4Quant au Panégyrique latin viii(5), il s’agit aussi d’une pièce particulière, une gratulatio, discours d’ambassadeur venu remercier le prince des bienfaits accordés. En cela, il entre dans le même cadre de relations. Et chacun de ces deux discours, associés à quelques paragraphes puisés dans le Panégyrique latin iv(8) et dans le Panégyrique latin vii(6), permettent d’envisager sur une période d’une quinzaine d’années le jeu qui s’établit entre la cité des Éduens et les détenteurs du pouvoir impérial à Trèves. Le titre et le sous-titre de l’ouvrage s’articulent parfaitement. L’auteur est en effet attentif aux réalités locales et aux travaux les plus récents des archéologues, qui s’attachent à mettre au jour autant l’oppidum de Bibracte que la ville d’Augustodunum dans le contexte nouveau que dessina l’œuvre d’Auguste. Si le cas éduen est inséré dans l’empire romain des Tétrarques, il est aussi situé dans un contexte historique large, c’est-à-dire considéré à la fois dans la perspective séculaire d’une longue période de difficultés que l’on peut appeler, pour simplifier, « crise du iiie siècle », et dans une conjoncture plus ramassée, le temps de rétablissement et de réformes qui correspond à la transition du iiie et du ive siècle.
5Il y a bien des choses à découvrir dans ce livre : les pratiques des notables, la difficile adaptation des cités aux nouvelles exigences fiscales de l’État impérial, leur fonctionnement au quotidien dans leur rapport aux autorités, la conscience qu’ont les notables éduens de disposer d’une place spécifique au sein des cités de Gaule chevelue, etc., ce qui, vu de haut, ne distingue pas trop une cité gallo-romaine d’une cité grecque. Aux enquêtes d’Antony Hostein les documents sollicités apportent des moissons d’informations, car les périodes filées par les orateurs ne sont pas faites de mots creux. On peut donc à la fois parcourir le cœur de la cité avec le cortège des notables qui font escorte au gouverneur, en saisir le cadre monumental dans ses détails les plus concrets, et entrer dans les grandes questions que doit poser l’historien : celle du devenir des cités dans l’empire des Tétrarques, celle de la relation des élites municipales avec le monde des « décideurs » que sont les princes et leur entourage.
6Après avoir goûté aux richesses du livre, il vaut la peine de s’attarder sur la conclusion générale, et sur les denses propos que l’on y trouve, puisque le cas éduen peut paraître exemplaire et qu’il est acquis que le discours d’Eumène, puis les remerciements du délégué de la cité adressés à Constantin doivent être considérés comme des documents majeurs, aux fortes capacités de résonance, tel l’Anonyme de rebus bellicis sur qui Santo Mazzarino puis Andrea Giardina n’ont eu de cesse d’attirer l’attention. Deux perspectives sont tracées, l’une concernant l’empreinte de Rome sur les Gaules, l’autre sur les rythmes et les transformations de la vie municipale en Occident. Sur le premier point, Antony Hostein insiste sur le rôle des élites civiques, sur leur adhésion aux modèles classiques de la vie en communauté, sur leur insertion dans la vie politique des provinces de l’Occident romain. Mais les remarques les plus originales portent sur la constitution d’une mémoire collective spécifique, et qui plus est facteur de distinction, associant l’histoire de la cité et l’histoire de Rome. Sur le second point, après avoir marqué les continuités dans les comportements des notables et dans les pratiques du quotidien municipal, il apporte des vues équilibrées, non sur des ruptures qui auraient été irrémédiables (comme le sac infligé à la ville par les troupes de Victorin), mais sur des transformations économiques qui auraient tendu les rapports sociaux et rendu plus incertaine l’adéquation des capacités productives et des ressources disponibles aux exigences de l’entretien et du développement du cadre urbain, c’est-à-dire un élément essentiel de la dignitas de la cité.
7Il faut savoir gré aux Publications de la Sorbonne d’avoir accepté la publication de ce bel ouvrage.
Auteur
Professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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