Rapport de synthèse
p. 319-325
Texte intégral
1Est-ce l’expression inconsciente d’un temps heureusement disparu, au moins dans nos pays d’Occident, où elles étaient difficiles à obtenir ? Les céréales sont revenues à plusieurs reprises dans le présent ouvrage. Et, s’agissant au moins du blé et de quelques autres d’entres elles, il n’est pas difficile de saisir les raisons d’une telle sensibilité, tant la dimension symbolique du pain est grande dans notre histoire.
2Quoi qu’il en soit, et restant dans ce domaine des céréales, mais sous la forme d’allégorie, nous dirions que la moisson de cet ouvrage est abondante, si abondante que même une très faible part ne pourrait entrer dans ce petit grenier qu’est le rapport dit de synthèse, un grenier où l’on ne peut trouver, généralement, que des restes ou des rebuts. C’est pourquoi nous nous contenterons d’essayer de faire une guirlande dans laquelle seront probablement omises les plus belles des fleurs qui ont été présentées, et nous nous en excusons d’avance auprès de chacun.
3Passons rapidement sur les rêves ou les fantasmes qui entourent la question des organismes génétiquement modifiés (OGM), et l’on peut sourire, au moins, en pensant au lapin lumineux, ce qui n’est d’ailleurs qu’une image. D’ailleurs, à propos de lapin, un doute peut nous saisir, car l’on peut s’interroger sur d’autres lapins, qui relèvent de l’histoire littéraire, et peut-être même beaucoup plus : le lapin que rencontre Alice n’aurait-il pas été, à l’insu de son créateur, un lapin transgénique ?
4Sur un plan plus sérieux – mais les histoires de lapin le sont aussi –, les auteurs rassemblés ici se sont interrogés sur les OGM, et les interrogations qui ont été posées l’ont été à la fois à plusieurs voix et sur plusieurs registres, mettant en évidence, au-delà des OGM, d’autres interrogations, encore plus fondamentales. L’un des fils conducteurs de ces interrogations a été la volonté de comprendre. « Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre », écrivait Baruch Spinoza, et les différents intervenants ont cherché à comprendre, à faire comprendre et à se comprendre. Il n’est pas facile de comprendre, et le débat sur les OGM a mis en évidence de grands thèmes, comme si ce débat était un concentré ou un révélateur.
5L’un des grands thèmes évoqués directement a été celui du progrès. Depuis la fin du xixe siècle l’aspiration au progrès est caractéristique de l’Occident ; ce progrès est d’abord un progrès scientifique et technique ; et il a été l’un des facteurs les plus puissants de l’amélioration des conditions de vie. Il a été dit que les ressources génétiques, la sélection génétique, étaient source de progrès. En même temps, le doute s’est installé. Comme hier, et aussi demain, toute une série de questions se posent : qu’est-ce que le progrès ? En quoi y a-t-il progrès ? Est-il univoque ? Et au profit de qui s’opère-t-il ? Stéphanie Hennette-Vauchez a montré que lors des débats sur la loi du 25 juin 2008 deux conceptions se sont opposées à l’égard de la science, et les positions qui se sont exprimées sont à la fois versatiles et réversibles, chacun se renvoyant la qualification d’obscurantisme.
6Un autre thème s’est fait jour, celui des idéologies. Et si la notion de progrès est plutôt « valorisante », celle d’idéologie est plutôt « dévalorisante », évoquant la fermeture, l’intransigeance, le dogmatisme. Destutt de Tracy, probable inventeur du terme, aurait été sans doute fort surpris si on lui avait parlé de l’avenir glorieux de ce terme. Mais la question, difficile, est la suivante : où est l’idéologie ? Dans les débats qui parcourent cet ouvrage, le terme a été appliqué à ceux qui s’opposent aux OGM, mais il a été aussi appliqué, par d’autres, aux défenseurs des OGM.
7Hier, aujourd’hui et demain, c’était le titre d’un film célèbre de Vittorio De Sica, qui illustre la nécessaire prise en compte du temps, celui de demain comme celui d’hier. Les craintes qui se sont exprimées s’appliquent peut-être à nous-mêmes mais, plus encore, à nos descendants, avec la prise de conscience de nos devoirs à l’égard de ces derniers. C’est pourquoi la connaissance du passé est non seulement utile mais indispensable pour mieux comprendre le présent et tenter de maîtriser l’avenir. La contribution de Maryse Deguergue trouve un écho particulièrement fort dans la situation actuelle, et l’on ne saurait trop méditer les exemples du passé car les mots d’autrefois peuvent se rapporter à des principes d’aujourd’hui.
8Ici et ailleurs. L’exemple des Amériques, présenté par Paule Halley et Sonya Morales puis par Solange Télès da Silva, ne peut être qu’instructif pour nous avec des politiques contrastées, le Canada étant, nous a dit la première, un exportateur important de cultures OGM, tandis que, a fait observer la seconde, au Brésil certains États tels que le Parana ont, à l’inverse, interdit les OGM.
9Un mot a été prononcé à plusieurs reprises dans ces pages, celui de vérité, mot redoutable, le mot le plus relativiste – si l’on peut dire – de toute l’histoire, a écrit un auteur. Qu’est-ce que la vérité ?, demande Ponce-Pilate à Jésus. Où est la vérité ? Si l’on se place sur ce terrain – le terme pouvant être pris d’abord au figuré, mais également au sens propre –, il est assez clair que l’on ne peut qu’aboutir à des imprécations et des condamnations. Nous laisserons donc de côté cette dimension, qui ne relève pas vraiment de la science, pas plus qu’elle ne relève du droit, même si l’une et l’autre y sont nécessairement confrontés.
10Plus modestement donc, et de manière plus réaliste, nous retenons des deux séries d’orientations, la première que nous résumons par le terme de préoccupations, la seconde par le terme d’articulation.
Préoccupations
11Les différentes contributions ont montré qu’il y avait, à la fois de la part des chercheurs, scientifiques ou juristes, et des autorités publiques, des citoyens ou d’une partie d’entre eux, toute une série de préoccupations qui ont pour traduction, de la part des pouvoirs publics et des responsables, des dispositions multiples.
Force des préoccupations
12Les OGM interrogent, interpellent, préoccupent. Ces préoccupations sont diverses et ne vont pas toutes dans le même sens, et de loin ; elles peuvent même être contradictoires, et l’accord apparaît bien difficile à obtenir.
13Cela tient d’abord à l’absence de réponse unanime sur l’utilité du recours aux OGM. Il peut paraître évident que l’utilisation d’une technique, quelle qu’elle soit, ne présente pas que des avantages, ou que des inconvénients. Comme en d’autres temps, nous nous interrogeons sur les bienfaits et les méfaits, sur ce que le juge administratif a appelé le bilan coûts-avantages.
14Pour certains les bienfaits déjà connus, d’autres à venir, des OGM sont incontestables. Axel Kahn nous a rappelé que le recours aux OGM allait permettre d’accroître les rendements et ainsi nourrir une population supplémentaire sur la planète alors que la superficie des terres cultivées va demeurer stable [voire régresser]. Il nous a été également rappelé, par Yvette Dattée, que les OGM avaient eu des applications favorables à l’homme dans le domaine médical avec l’insuline et l’interféron, et avaient permis d’améliorer des productions végétales comme le coton, sans compter les papayes.
15Mais d’autres éprouvent des doutes, non pas tant, peut-être, sur la véracité des bienfaits apportés, mais sur un certain nombre de conséquences possibles ou envisageables de l’usage des OGM. Il y a ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Par exemple, Jean-René Binet a montré que, concernant les deux thérapies géniques, la thérapie somatique était acceptée et ne soulevait pas de problème particulier, tandis que la thérapie germinale était rejetée. Et c’est au nom de la science elle-même que Olivier Rey s’est interrogé sur ce qui est discutable à propos des OGM, en particulier les OGM non confinés, avec le risque, a-t-il fait valoir, de la diminution d’expériences reproductibles.
Multiplicité des dispositions
16Alors que depuis de nombreuses années, et d’un peu tous les côtés, l’on dénonce l’inflation normative, on ne peut qu’être impressionné par l’importance purement quantitative des dispositions adoptées en la matière. Ainsi Florence Aubry-Caillaux nous a présenté l’abondance des dispositions communautaires en la matière, avec plusieurs directives, elles-mêmes modifiées à plusieurs reprises, et des règlements. Ces dispositions communautaires retentissent évidemment sur le droit interne avec la nécessaire transposition des directives, le retard pris par la France dans cette opération se traduisant par l’adoption de décrets avant qu’une loi soit votée, ce qui contribue à une certaine complexité, pour ne pas dire un certain désordre normatif.
17L’un des points importants, entre autres, en matière de réglementation d’OGM est celui de l’information et de la participation du public. Là aussi il y a abondance de textes avec, outre la (célèbre) convention d’Aarhus, les dispositions communautaires et les dispositions spécifiquement nationales. Laurent Fonbaustier nous a d’ailleurs rappelé que le droit français n’avait pas attendu la loi du 25 juin 2008 et que, déjà, la loi du 13 juillet 1992 comportait des dispositions en ce sens. Mais il nous a également montré que cette information et cette participation du public n’étaient pas aussi simples ni aussi satisfaisantes que l’on aurait pu l’espérer ou l’escompter, et le débat a également mis en évidence, s’agissant de la désignation des parcelles, le fait que la transparence exigée n’allait pas sans difficultés.
Difficulté des articulations
18Les difficultés d’articulations apparaissent en ce qui concerne les normes et, plus encore, en ce qui concerne les rôles.
L’articulation des normes
19Les différentes normes doivent être conciliées entre elles, et cette conciliation ne va pas de soi. Lorsque des normes juridiques sont de même valeur, c’est au juge qu’il appartient de trancher, en ayant recours à un certain nombre de critères. Mais cette tâche est rendue délicate par la pluralité des préoccupations et des objectifs poursuivis.
20Cela vaut à l’échelon communautaire, où il nous a été rappelé que les OGM pouvaient relever d’une politique de santé, mais aussi de la politique agricole et celles de sécurité alimentaire, tout en constituant une marchandise. Tout cela a pour conséquence que les bases juridiques ne sont pas les mêmes selon l’objectif poursuivi, et que les dispositions du traité étaient, de ce fait, différentes, avec toute une série d’hypothèses à distinguer selon que l’on se place dans le cadre des articles 174 et 175, 95 ou 152, sans compter – ce qui complique encore les choses – les dérogations que peuvent demander les États.
21Sur le plan interne, Aude Rouyère nous a montré les principes et les outils juridiques auxquels a recours le juge pour éviter les conflits normatifs, en particulier ce fameux principe d’indépendance des législations – que l’on ne retrouve pas dans tous les pays – que Yann Aguila préfère qualifier de principe de spécialité des autorisations administratives. Mais cela peut avoir pour effet, outre l’incompréhension que peut éprouver le requérant qui voit rejeter sa requête parce que, selon le juge, les dispositions qu’il invoque ne sont pas applicables cela pouvant conduire, au surplus, à une limitation du contrôle de ce dernier.
22Une autre difficulté est l’articulation, sur le plan interne, entre des normes juridiques relevant de différents codes, Jean-René Binet rappelant que les règles relatives aux OGM se retrouvent aussi bien dans le code civil, dans le code de la santé que dans le code de l’environnement, le croisement de ces différentes dispositions ne favorisant pas, là encore, une claire appréhension des problèmes et, par voie de conséquence, les réponses qu’il convient d’apporter.
L’articulation des rôles
23La problématique de l’articulation des rôles se présente sous différents angles, trois d’entre eux étant apparus dans les contributions et les débats.
24Une première articulation est celle à établir, ou à préciser, entre les organismes consultatifs et les autorités décisionnelles : le pouvoir politique peut être tenté d’interpréter à sa manière, en fonction de ses propres orientations et de ce qui « l’arrange », un avis donné par un organisme consultatif, lequel avait cherché à être nuancé et neutre.
25Une deuxième articulation, qui s’applique au cas des OGM tout en dépassant largement le cadre de ces derniers, est celle des liens entre l’expert et le juge – vieille question, sans doute, mais qui trouve un renouveau d’actualité avec les OGM et quelques autres domaines –, avec le sentiment d’impuissance que peut éprouver parfois le juge, qui, ne pouvant par définition maîtriser les données techniques, va être porté à adopter le point de vue des experts, et se trouve inévitablement un peu perplexe si les expertises sont contradictoires. Sur cette problématique s’en greffe une autre, celle des relations entre le juge et l’opinion, certains groupes prenant le chemin du prétoire pour, certes, obtenir gain de cause sur un point de droit mais, plus encore, faire de cette démarche et du procès une caisse de résonance destinée à l’opinion.
26Enfin une troisième articulation est à relever, entre les autorités nationales et les autorités locales. Les compétences en matière d’OGM sont d’abord des compétences nationales, et l’on a insisté à plusieurs reprises, dans cet ouvrage, sur le rôle du législateur. Cependant, les autorités locales sont tentées d’intervenir, et elles le font – tout au moins pour celles qui en disposent, c’est-à-dire principalement le maire – au titre de leur pouvoir de police. Mais la concurrence (au sens juridique du terme, non au sens courant) entre les autorités nationales et locales, ainsi que l’agencement de leurs compétences, demeurent une question toujours aussi délicate. Ce problème n’est pas propre à la France puisque par exemple au Canada – mais il est vrai que la question se pose différemment puisque, si le Canada est un État fédéral, la France est un État unitaire, évidence dont la banalité recouvre des problèmes assez redoutables –, ainsi que nous l’ont montré Paule Halley et Sonya Morales, la compétence en ce domaine est partagée entre le gouvernement fédéral et les provinces. En France la répartition des compétences entre les autorités centrales et les autorités locales se révèle souvent délicate, ou imprécise, le juge administratif étant appelé à se prononcer sur la légalité des interventions des collectivités territoriales.
27L’articulation des rôles est peut-être, enfin, celle à établir entre les juristes et les scientifiques, le dialogue entre les uns et les autres étant tout autant indispensable que difficile. La norme juridique n’est pas la norme scientifique et, nous le savons par d’autres domaines, notamment le domaine médical qui depuis quelque temps en fournit une illustration remarquable, la vérité scientifique – à supposer que l’on puisse utiliser ce terme de vérité qui ne relève pas du domaine scientifique et n’appartient guère plus au domaine juridique, même si le terme est utilisé dans le procès – n’est pas la vérité juridique. Et Cécile Moiroud a fait valoir que l’une des causes du malaise tenait à ce qu’elle a appelé la position institutionnelle conférée aux scientifiques et a insisté sur ce qui fait loi pour l’homme. Le droit est le garant de la raison humaine, mais la raison humaine vacille, entraînant l’impuissance de la norme.
28Pour terminer, et sans parler de conclusion, car il n’y a pas à conclure, nous dirons qu’à travers les différentes contributions apparaissent, de manière plus ou moins marquée, plus ou moins vive, trois interrogations.
29La première est relative au citoyen qui décide ou est censé décider, le plus souvent par le biais de ses représentants. Il est irréaliste et vain d’attendre que tous les citoyens deviennent des citoyens philosophes, quel qu’en soit le rêve de certains philosophes qui se voulaient aussi des citoyens. À défaut, tous les efforts doivent être faits pour parvenir à en faire des citoyens éclairés, pour que nous puissions continuer à vivre ensemble.
30La deuxième interrogation, plus souterraine, plus fondamentale, porte sur la personne. Qu’est-ce que l’homme au sein du vivant, avec cette obscure mais forte conviction de beaucoup, que l’être humain ne se réduit pas à ses gènes, qu’il y a une irréductibilité de la personne, même si l’on éprouve des difficultés à dire ce qu’elle est ?
31Enfin, et c’est la troisième interrogation, il nous semble qu’une petite musique est en sourdine dans ces pages, une petite musique qui vient de loin et qui porte un nom un peu démodé, celui d’humanisme. Mais en prononçant ce mot, nous confessons volontiers que nous nous plaçons doublement en position de faiblesse puisque ce dont il s’agit, c’est de morale et de conscience.
Auteur
Professeur à l’université d’Aix-Marseille.
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