La transgénèse ou la fabrication d’OGM : quelques données scientifiques essentielles
p. 27-31
Texte intégral
1La transgénèse permet d’introduire dans une cellule un caractère d’intérêt biologique et un seul, en une seule étape. À l’opposé, les croisements classiques donnent des individus ayant hérité d’un des parents un des caractères agronomiques d’intérêt. Chez les plantes par exemple, il faut plusieurs générations de croisements par les méthodes classiques, pour arriver à introduire un nouveau gène contrôlant un caractère agronomique (par exemple un gène de résistance à une maladie issue d’une même espèce de plante, ou un gène modifiant la couleur des pétales) dans une espèce cultivée. Une série de croisements entre une lignée receveuse dite « élite » et une lignée donneuse ayant un caractère intéressant permet d’obtenir une lignée dite « convertie ». Comme à chaque génération 50 % du génome provient de chaque parent, il faudrait sept générations pour parvenir à obtenir la lignée convertie possédant moins de 1 % de gènes provenant de l’espèce donneuse, dont au moins ceux déterminant le caractère agronomique sélectionné. Il en résulte que cela prendra moins de temps par transgénèse ; tel est donc le premier avantage remarquable de cette technique. Néanmoins, une fois obtenu le transformant sélectionné, on peut vouloir transférer le nouveau (trans) gène dans d’autres variétés de la même espèce, et là, il faudra avoir recours à des techniques « classiques », en général en faisant des plantes hybrides.
2La plus grande limitation, pour entreprendre de faire un organisme génétiquement modifié (OGM), est d’avoir tout d’abord identifié, cloné et déterminé la séquence de chacun des gènes impliqués, puis d’avoir construit in vitro le gène qui permettra son expression dans la cellule. On est donc principalement limité par la connaissance des gènes d’« intérêt agronomique » – ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes de propriété intellectuelle et de brevets qui ne seront pas développés ici.
3Le deuxième avantage que l’on peut voir dans les techniques de transgénèse, par rapport aux méthodes classiques, est que nous ne sommes limités ni par les possibilités de croisements et ni par la source du gène d’intérêt. En effet, les méthodes classiques ne conduisent à des échanges de gènes qu’à l’intérieur d’une espèce ou entre espèces encore assez voisines pour avoir quelques chances de pouvoir se croiser sexuellement. Cela limite les possibilités de transfert de gènes à ceux existants chez les espèces voisines, sexuellement compatibles – par exemple on ne peut pas imaginer introduire un gène de bactérie dans une levure, ou de blé dans un pétunia. En revanche, la transgénèse permet d’introduire dans n’importe quel organisme receveur un gène provenant de n’importe quel organisme donneur (bactérie, animal, plante), la seule condition à son expression est son contrôle par des signaux de régulation de la transcription, reconnus spécifiquement par l’organisme receveur.
Historique de la transgénèse
4Les premières expériences de transgénèse chez les animaux ont eu lieu dans la période 1980-1982, devançant donc de peu l’obtention de la première plante transgénique en 1983. L’histoire de la transgénèse végétale a débuté grâce aux découvertes d’un groupe de phytopathologistes travaillant sur des bactéries du sol, Agrobacterium tumefaciens. En 1974, Jeff Schell et Marc Van Montagu ont montré que cette transformation naturelle des cellules végétales était due aux plasmides présents dans les bactéries virulentes du sol : Agrobacterium tumefaciens. Ils ont pu montrer que la transformation génétique des cellules végétales par Agrobacterium tumefaciens résulte de l’intégration dans leur génome d’un fragment d’ADN, appelé ADN-T pour ADN transféré, issu des plasmides Ti (Tumor inducing ou inducteur de tumeurs) portés par ces bactéries. Des études ont permis de bien comprendre les bases moléculaires de la transformation génétique naturelle et aussi d’apprendre à utiliser Agrobacterium tumefaciens pour réaliser la transgénèse végétale. Depuis, l’équipe de Jeff Schell et Marc Van Montagu a réussi en 1983 à produire des tabacs transgéniques tolérants à des herbicides. La méthode a été employée pour obtenir un grand nombre de plantes transgéniques recevant de très nombreux caractères d’intérêt agronomique.
5Plus récemment, une nouvelle méthode de transgénèse ciblée, déjà utilisée chez la souris, vient d’être mise au point chez certaines plantes dont le maïs. Il s’agit de la recombinaison homologue qui permet de cibler le transgène dans une région précise du génome des plantes receveuses.
La fabrication d’un ogm végétal
6Les succès de la transgénèse végétale, comme pour celui des autres types de transgénèse non végétale, reposent sur la conjonction de plusieurs conditions qui doivent être réunies simultanément :
tout d’abord, l’ADN étranger doit être apte à s’exprimer dans une cellule végétale c’est-à-dire posséder une structure et des signaux de régulation reconnus par la cellule receveuse ;
ensuite, il doit pénétrer dans les cellules végétales et s’intégrer, soit dans le génome nucléaire, soit dans le génome des organites (chloroplastes ou mitochondries). Les méthodes utilisées sont soit Agrobacterium tumefaciens, soit un canon à particules ;
enfin, il doit s’y maintenir de façon stable. Après avoir produit une cellule transformée, deux contraintes supplémentaires doivent être surmontées afin d’obtenir un organisme transgénique. Il faut pouvoir sélectionner les cellules transformées et être capable de régénérer une plante entière à partir de ces cellules. Les cellules végétales offrent un matériel de choix pour la transgénèse car elles sont susceptibles, par des moyens simples, de retourner à l’état totipotent. Contrairement aux cellules animales, les cellules végétales sont extrêmement malléables. La culture in vitro permet d’obtenir, pour un nombre croissant d’espèces végétales, la dédifférenciation des cellules d’un organe (feuille, tige, racine…) et d’orienter leur multiplication vers la régénération de plantes entières. Il est donc potentiellement réalisable, en réussissant à intégrer une information génétique dans une cellule, d’obtenir une plante dont toutes les cellules dérivant de celle manipulée à l’origine possèdent et expriment cette information.
7En conclusion un OGM se construit en plusieurs étapes :
le clonage du gène que l’on souhaite utiliser dans la transgénèse ;
la construction du transgène permettant son expression correcte dans la plante ou une partie de la plante ;
le transfert du transgène dans les cellules embryonnaires de plantes receveuses ;
la régénération de la plante entière à partir de ces cellules transformées ;
l’analyse de l’expression, de la stabilité du transgène dans la plante.
8Il faut noter que toutes ces différentes étapes sont réalisées en laboratoire ou dans des serres, c’est-à-dire en milieu clos dit confiné. Ensuite, interviendra nécessairement une culture de la plante transgénique, en champs ouverts pour vérifier les résultats observés en milieu confiné.
9Enfin, les plantes OGM d’intérêts seront ensuite sélectionnées, puis soumises à des tests définis par les réglementations, tests portant sur la dissémination, les flux de pollen, les effets directs et indirects sur l’environnement ou tests de toxicologie destinés à identifier les risques allergiques ou d’alimentarité.
Les différents types de plantes transgéniques commercialisés dans le monde
10Parmi les OGM végétaux obtenus par transgénèse et commercialisés, on trouve sur le marché mondial :
les OGM résistant aux herbicides : soja, colza, maïs, coton, betterave, peuplier. Ils sont dotés d’un gène produisant un composant enzymatique qui bloque l’effet du glyphosate selon deux différentes méthodes : soit en rendant la plante insensible au glyphosate, soit en possédant une enzyme qui dégrade l’herbicide. Ce type d’OGM permet aux agriculteurs de pulvériser le désherbant qu’est le glyphosate sans que la plante n’en soit affectée ;
les OGM résistant aux insectes : coton, maïs, aubergine (en Inde). Ces OGM sont dotés d’un gène de bactérie qui code pour la protéine Bt, protéine existante à l’état naturel et utilisée en agriculture biologique ;
les OGM résistant à certains virus : courgette (États-Unis), papaye (États-Unis), poivron (Chine) ;
les OGM améliorant la qualité du produit : œillet bleu, tomate à maturation retardée (Chine) ;
les OGM à « caractères multiples », c’est-à-dire résistant à un herbicide et à un ou plusieurs insectes : maïs, coton.
les techniques les plus récentes ou les OGM de deuxième génération
Les OGM en cours d’expérimentation
11En dehors de l’amélioration des plantes pour une meilleure résistance aux insectes, aux virus ou encore pour faciliter le désherbage, les OGM peuvent avoir de multiples autres applications telles que la réduction de substances allergènes dans certains aliments ou l’amélioration de la teneur en vitaminés, nutriments ou acide gras non saturés meilleurs pour la santé humaine.
12Pour l’instant, au stade expérimental, dans le monde industriel, on voit :
des OGM résistant à la salinité des sols ou à la sécheresse ;
des OGM fabriquant des biocarburants ou fabriquant du plastique végétal biodégradable ;
des OGM résistant à certaines bactéries ou certains virus : pomme de terre résistant au mildiou, vigne modifiée pour mieux résister à une maladie virale, le « court-noué » ;
des OGM pour améliorer la qualité comme le riz doré enrichi en vitamine A.
Les OGM de demain
13Pour l’instant, au stade expérimental, dans le monde industriel, on relève :
des OGM pour améliorer la qualité d’un aliment tels que : le riz enrichi avec des éléments comme la lysine, le fer et le zinc ; la tomate enrichie en anthocyane ; le sorgho « biofortifié » enrichi en lysine, vitaminé ; le riz, le maïs et l’orge à faible teneur en acide pythique ; le peuplier avec une faible quantité de lignine afin d’améliorer la production de pâte à papier…
des OGM pour « améliorer » l’environnement afin de détoxifier certains sols contre des pollutions comme le mercure…
des OGM de production de molécules médicamenteuses : riz produisant un vaccin contre le choléra par exemple… Plus de 100 plantes génétiquement modifiées sont à l’état de recherche dans le monde
Références bibliographiques
Bibliographie
Doré, Claire et Varoquaux, Fabrice (coord.), Histoire et amélioration de 50 plantes cultivées, Paris, INRA, coll. « Savoir faire », 2006.
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Gallais, André, Hétérosis et variétés hybrides en amélioration des plantes, Paris, Éditions Quae, coll. « Synthèses », 2009.
Gallais, André et Ricroch, Agnès, Plantes transgéniques : faits et enjeux, Paris, Éditions Quae, 2006.
Rossignol, Jean-Luc, Berger, Roland, Deutsch, Jean et Fellous, Marc, Génétique : Gènes et génomes. Cours et questions de révision, Paris, Dunod, 2004.
Auteur
Professeur émérite de génétique humaine, université Denis-Diderot.
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