La lutte contre le terrorisme à l’épreuve de la commission nationale consultative des droits de l’homme
p. 167-185
Texte intégral
1« Compagnie de vigilants », selon la formule de Robert Badinter, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) reste encore mal connue, alors qu’elle est la plus ancienne institution de la République chargée de la protection et de la promotion des droits de l’homme, et bénéficiant d’une assise à la fois internationale et nationale. C’est sous l’influence de René Cassin, qui représentait la France dans la nouvelle Commission des droits de l’homme des Nations unies appelée à rédiger après guerre les textes fondateurs du droit international des droits de l’homme, que le Conseil économique et social des Nations unies invita les États à créer des groupes d’information et des comités locaux collaborant au développement des activités de la nouvelle venue. C’est ainsi que fut instituée en France en 1947 la « Commission consultative pour la codification du droit international et la définition des droits et des devoirs des États et des droits de l’homme1 », regroupant auprès du ministre des Affaires étrangères et sous la présidence de René Cassin quelques experts indépendants (universitaires, magistrats, avocats et représentants de la société civile) afin d’assister la diplomatie française dans les travaux préparatoires notamment de la Déclaration universelle des droits de l’homme, puis des deux pactes internationaux de 1966 relatifs l’un aux droits civils et politiques, l’autre aux droits économiques, sociaux et culturels.
2Mise en sommeil dans les années 1960, la Commission renaît en 1984 sous la dénomination de « Commission consultative des droits de l’homme », abandonnant ainsi toute référence à sa mission internationale initiale, alors que cette mission perdure et s’élargira même en 1996 au droit international humanitaire et à l’action humanitaire internationale. Elle amorce alors son véritable ancrage dans le paysage institutionnel français, concrétisé deux ans plus tard par l’extension de son mandat à la promotion et à la protection des droits de l’homme en France, et son détachement subséquent du ministère des Affaires étrangères2. Dénommée peu après par un décret du 31 janvier 1989 « Commission nationale consultative des droits de l’homme » et rattachée alors directement au Premier ministre, la CNCDH s’est vue dotée ensuite d’un statut légal par la loi du 5 mars 20073 ; statut conditionnant son accréditation comme institution nationale des droits de l’homme (INDH) par les Nations unies en application des « Principes de Paris4 ». Conformément à ces principes, la loi de 2007 consacre son indépendance et son pluralisme, de même que sa mission de conseil pour la protection et la promotion des droits de l’homme.
3Répondant au souhait de René Cassin de donner place à la société civile, car, « plus qu’aucun autre, c’est le soutien de l’opinion publique qui forme la clé de voûte des droits de l’homme sur le plan international comme sur le plan national5 », la CNCDH est une autorité dont la composition collégiale vise à assurer le « pluralisme des convictions et des opinions6 » en associant à parts égales des représentants de la société civile (de grandes ONG comme Amnesty International, Médecins du monde, la Cimade, la Fédération internationale des droits de l’homme, ATD Quart monde, la Ligue des droits de l’homme… et les principales confédérations syndicales), ainsi que des personnalités qualifiées (professeurs d’université, avocats, experts des divers comités onusiens en charge des droits de l’homme…). Un pluralisme sur lequel est chargé de veiller depuis 2007 un comité composé du vice-président du Conseil d’État et des premiers présidents de la Cour de cassation et de la Cour des comptes en donnant un avis sur les nominations envisagées par le Premier ministre lors du renouvellement triennal de son mandat7. En disposant que la Commission « assure sa mission en toute indépendance » (art. 1), la loi de 2007 consacre par ailleurs son indépendance fonctionnelle. Soustraite ainsi à tout contrôle du gouvernement, de tutelle et, a fortiori, hiérarchique8, elle dispose depuis 1989 d’un droit d’autosaisine qui lui permet de se prononcer sur toute question relative aux droits de l’homme dont elle ne néglige pas l’usage9. Depuis 2013, ses avis bénéficient d’une publication au Journal officiel qui renforce son autorité. Une procédure instituée depuis 2001 lui permet par ailleurs d’assurer leur suivi à travers les réponses que les ministres concernés doivent y apporter10.
4Elle exerce la mission de conseil et de proposition dans le domaine des droits de l’homme, du droit international humanitaire et de l’action humanitaire que la loi de 2007 lui confie, en assistant le gouvernement par des avis « sur toutes les questions de portée générale relevant de son champ de compétence tant sur le plan national qu’international ». Elle peut également « de sa propre initiative appeler publiquement l’attention du Parlement et du gouvernement sur les mesures qui lui paraissent de nature à favoriser la protection et la promotion des droits de l’homme ». Elle n’est donc pas un acteur de terrain qui se confondrait par une action militante avec les ONG de défense des droits de l’homme, mais exerce une mission de veille, d’alerte et d’expertise en matière de droits de l’homme et de droit international humanitaire pour assurer leur protection et leur promotion, lesquelles incluent l’éducation à ces droits, tant en France que sur la scène internationale, seule ou à travers les réseaux des institutions nationales des droits de l’homme (notamment le réseau européen ENNRHI qui regroupe ses homologues des États européens11).
5Son mode classique d’expression est l’avis. Élaboré dans le cadre d’un de ses cinq pôles (ou d’un groupe de travail transversal) à l’issue d’auditions nombreuses de personnes venues d’horizons divers (juristes, sociologues, historiens, philosophes, ONG…, ainsi que de membres des administrations et des cabinets ministériels concernés) pour lui permettre d’exercer au mieux sa fonction d’expertise, cet avis est ensuite adopté par son assemblée plénière. De plus en plus étoffés dans leurs analyses comme dans leurs recommandations au gouvernement, ses avis, dont le rythme d’adoption s’accélère12, portent sur toute question ayant trait aux droits et libertés dont elle est saisie ou dont elle se saisit, et principalement sur des projets de textes de lois, voire parfois de décrets, ou encore sur des projets de conventions internationales dans le domaine des droits de l’homme ainsi que sur leur application en France. Elle est d’ailleurs expressément associée au suivi des plus importantes, qu’ils s’agisse de l’examen périodique universel (EPU) confié depuis 2007 au Conseil des droits de l’homme ou des rapports que la France doit périodiquement adresser à huit des comités conventionnels onusiens ainsi qu’au Comité européen pour les droits sociaux13. Pour être efficace, la Commission doit conseiller le gouvernement le plus en amont possible du projet de loi. Il lui arrive ainsi d’être sollicitée par le ministre concerné ou par un membre du gouvernement au moment de l’élaboration du projet, avant le passage en Conseil des ministres ou juste après. Elle exerce par ailleurs sa mission d’expertise auprès des assemblées parlementaires, qui sollicitent régulièrement ses membres pour audition des rapporteurs des avis, ou pour apporter, à l’issue de celles-ci, aux commissions parlementaires concernées des compléments d’information, voire aider à la rédaction de certains amendements. Lorsque le temps ou l’urgence d’une situation exige une initiative rapide, la Commission fait part de ses observations au gouvernement ou au Parlement par une lettre ou note du président ou par déclaration de son assemblée plénière. Enfin, si la nécessité lui apparaît, la Commission peut décider de compléter tel ou tel de ses avis par une étude plus approfondie14.
6Il va de soi que, dans le cadre de sa mission de protection et de promotion des droits de l’homme, la CNCDH ne peut ignorer le terrorisme qui, en constante progression depuis trente ans, leur porte les atteintes les plus redoutables. Mais elle ne peut non plus rester indifférente à la lutte entreprise pour le combattre, qui peut elle-même être susceptible d’affecter ces droits et libertés. Le corpus des avis qu’elle a rendus en la matière – neuf avis jusqu’en juin 2016 –, dont le rythme s’accélère ces toutes dernières années au fil du renforcement constant de la législation antiterroriste, rend compte de l’attention qu’elle lui porte15. Cette attention s’exprime sur la scène internationale dans ses observations aux comités conventionnels onusiens, dans le cadre des rapports que la France doit leur adresser périodiquement sur la situation des droits de l’homme en France ainsi qu’au plan européen, ainsi qu’il ressort notamment de son avis du 20 janvier 2005 portant sur le projet de convention pour la prévention du terrorisme au sein du Conseil de l’Europe, convention adoptée le 16 mai 2005. La majorité de ses avis – huit avis sur les neuf donnés en la matière jusqu’en juin 2016 – portent toutefois sur le droit national.
7Le premier, en date du 19 décembre 1995, relatif aux mesures antiterroristes et à la législation sur les étrangers, porte par son double objet sur la confusion entre terrorisme et immigration que la loi du 22 juillet 1996, tendant à renforcer la répression du terrorisme, confirme peu après. Les attentats hors de France qui marquent les années 2000 (11 septembre 2001 à New York, 2004 à Londres, 2005 à Madrid) expliquent l’adoption de nouveaux instruments internes de lutte contre le terrorisme dans le cadre européen ou interne sur lesquels elle a aussi donné son avis16. La nouvelle vague d’attentats qui touche le sol français dans la décennie suivante (Toulouse en 2012, Paris et Saint-Denis en janvier et novembre 2015, Nice en juillet 2016) conduit à l’intensification de la lutte antiterroriste et l’adoption de nouveaux projets de lois sur lesquels la Commission se prononce à un rythme qui s’accélère, puisqu’elle adopte cinq avis de 2012 à juin 2016 : l’avis du 20 décembre 2012 sur le projet de loi, devenu loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, l’avis du 25 septembre 2014 sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, devenu loi du 13 novembre 2014, l’avis du 16 avril 2015 sur le projet de loi relatif au renseignement, devenu loi du 24 juillet 2015, l’avis du 18 février 2016 sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, auquel le président de la République renoncera finalement le 30 mars 2016, l’avis du même jour qui ne porte pas sur un projet de loi mais sur le suivi de l’état d’urgence instauré en novembre 2015, l’avis du 17 mars 2016 sur le projet de loi de lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, devenu loi du 3 juillet 2016. Ces avis, qui s’allongent et se densifient à partir de 2014 (passant de deux à trois pages jusque-là à des analyses d’une vingtaine de pages), se sont encore enrichis d’un nouvel avis le 15 décembre 2016 contre l’état d’urgence permanent, portant leur nombre à six en quatre ans (entre décembre 2012 et décembre 2016). C’est dire l’importance et la gravité du sujet pour la Commission17.
8Dans l’élaboration de ses avis, la Commission est pourtant confrontée à des difficultés diverses, qui sont particulièrement accusées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La principale tient à son absence de saisine. Certes, le gouvernement ne la saisit pas systématiquement de tous les projets de loi ayant une incidence sur les droits et libertés, et notamment ceux ayant trait à la sécurité, mais, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il s’est toujours abstenu de le faire18. Contrainte de s’autosaisir dans chacun des avis précités, la Commission se trouve alors prise par le temps et affectée dans l’exercice de sa mission d’expertise, mais aussi de conseil au gouvernement et au Parlement. Tenue de respecter sa procédure interne (adoption du projet d’avis en pôle après des auditions d’autant plus nombreuses que le sujet est sensible ou difficile, dépôt d’amendements, adoption en assemblée plénière), mais aussi parfois ignorante de l’initiative gouvernementale, il lui est difficile de rendre son avis avant passage du projet de loi en Conseil des ministres, c’est-à-dire avant qu’il ne soit finalisé. Il en va de même s’agissant du Parlement, car le temps dont elle dispose pour rendre son avis avant discussion du projet par les assemblées est le plus souvent raccourci par le recours à la procédure accélérée en matière de lutte contre le terrorisme. D’où la pratique qui s’est développée avant avis consistant tantôt dans l’envoi d’une lettre ou note du président19, tantôt dans une déclaration de son assemblée plénière20. L’évolution des projets de loi, voire leur versatilité, constitue une autre difficulté pour la CNCDH, dont témoigne son avis du 18 février 2016 sur le projet de loi constitutionnelle sur la protection de la Nation, où elle se prononce tour à tour sur le projet de loi initial adopté en Conseil des ministres le 23 décembre 2015, puis sur celui adopté par l’Assemblée nationale le 10 février 2016, qui en diffère sensiblement.
9Dans ses avis, et à l’instar du Conseil d’État dans l’exercice de sa fonction de conseil, la CNCDH apprécie les textes sur lesquels elle se prononce du double point de vue de leur légalité et de leur opportunité. Ainsi, la voiton mobiliser en matière de terrorisme d’abord le droit international des droits de l’homme, dont au premier chef la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à laquelle la Cour européenne donne toute sa portée, en rappelant notamment, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le caractère indérogeable de certains droits, mais aussi le droit constitutionnel des droits de l’homme, encore que plus marginalement, du fait sans doute de la frilosité plus grande du Conseil constitutionnel en la matière. Elle s’interroge au-delà sur l’opportunité des mesures envisagées, comme par exemple dans son avis de février 2016 sur le projet de loi constitutionnelle sur la protection de la Nation à propos de la déchéance de nationalité envisagée pour les auteurs d’actes terroristes. Elle relève alors tant son inefficacité, car elle ne permettra pas de prévenir le terrorisme, son inutilité, car une personne déchue de sa nationalité ne sera pas pour autant éloignable, son danger pour la cohésion sociale, du fait de son caractère discriminatoire, enfin les risques qu’elle présente sur les plans politique et diplomatique, en raison des réticences prévisibles des pays d’origine à accueillir des terroristes déchus de la nationalité française et déracinés sur leur propre sol. Elle relève de même l’inefficacité de la mesure d’interdiction de sortie du territoire emportant retrait et privation du passeport, dès lors qu’elle ne permet pas à elle seule d’interdire les déplacements des ressortissants français dans l’espace Schengen (avis de 2014, § 10).
10Il va de soi qu’à travers ses avis la CNCDH exprime une certaine conception, voire une doctrine en matière de lutte contre le terrorisme. Sa contribution est double : elle tient, d’une part, à l’affirmation de principes devant la guider (I), d’autre part, à la définition en creux des modalités d’une telle lutte en conformité avec les exigences d’un État de droit (II).
I) L’affirmation de principes devant guider la lutte contre le terrorisme
11Ce sont tout à la fois des principes directeurs (A) et des principes de légistique (B) que la CNCDH invite les pouvoirs publics à respecter dans le cadre de la lutte antiterroriste.
A) Les principes directeurs de la politique de lutte contre le terrorisme
12De la façon la plus claire, ferme et récurrente, la Commission se dit d’abord « pleinement consciente des dangers que les menaces terroristes font peser sur la sûreté des personnes et la paix civile ». Elle affirme face à ces menaces que « toute démocratie a le droit et le devoir de se défendre » (avis du 29 octobre 2001, § 1), il s’agit là d’un « devoir des pouvoirs publics ». Aussi soutient-elle et encourage-t-elle une « politique d’envergure de prévention et de répression du terrorisme et approuve “sans naïveté” la nécessité de mesures dissuasives » (avis du 25 septembre 2014, § 1), tout en récusant toutefois fermement l’usage du mot « guerre contre le terrorisme21 ».
13Pour autant, elle n’entend pas en ignorer les risques. Risque d’abord d’atteintes portées aux droits et libertés, en particulier au droit à la vie privée. Risque, au-delà des restrictions ponctuelles et provisoires à ces droits, de voir la sécurité prendre le pas sur les libertés, car « paradoxalement la crise renforce l’État en même temps qu’elle le perturbe » (avis sur la protection de la Nation du 18 février 2016, § 4). Relevant à cet égard le « contexte actuel marqué par des années de dérive sécuritaire », elle se dit profondément inquiète de la généralisation du dispositif de surveillance envisagé par le projet de loi sur le renseignement et du risque de voir institués une « surveillance de masse » et un « État panoptique » (avis du 16 avril 2015, § 5 et 23), de même que de la mise en place de l’état d’urgence et, a fortiori, de sa pérennisation (avis du 15 décembre 2016, « Contre l’état d’urgence permanent »).
14C’est également le risque de délitement du lien social qu’elle invite les pouvoirs publics à mesurer, ce dès son premier avis de décembre 1995 sur le projet de loi relatif à la fois aux mesures antiterroristes et à la législation sur les étrangers, en mettant en garde contre l’amalgame entre actes de terrorisme et infractions à la législation sur les étrangers, alors que ces derniers sont pourtant « exposés comme les Français eux-mêmes aux risques d’attentats destinés à frapper aveuglément22 ». Tandis que la violence terroriste s’abat tous azimuts, elle met à nouveau en garde dans son avis du 15 décembre 2016 contre la stigmatisation à laquelle conduit le projet de loi pérennisant l’état d’urgence, « en touchant presque exclusivement des personnes de confession musulmane réelle ou supposée et en aggravant le sentiment d’être victimes d’ostracisme […] compromettent la cohésion nationale » (§ 8). Elle avait de même quelques mois plus tôt déploré dans son avis du 18 février 2016 l’extension de la déchéance de nationalité envisagée par le projet de loi constitutionnelle sur la protection de la Nation, « à une époque où il est absolument nécessaire de refuser toute forme de stigmatisation et de rejet de l’Autre », relevant alors que, « s’il importe avant tout que la transgression radicale de l’ordre social que constituent les crimes de terrorisme, par la violence aveugle qu’ils sèment, ne tombe pas dans l’oubli, il convient tout autant de réfléchir à une réponse adaptée à cette violence extrême qui met en cause la paix civile et met en danger la société politique » (§ 36).
15La réponse au terrorisme ne peut être simple dès lors qu’elle doit s’inscrire dans le cadre d’un État de droit. La CNCDH n’hésite pas à « marteler » cette exigence première, qui est une condition inhérente à la lutte contre le terrorisme dans une démocratie. Ainsi, dans une sorte de considérant de principe que l’on trouve dans son avis du 25 septembre 2014 et repris ensuite, elle indique devoir « réaffirmer avec force que les États ne sauraient prendre au nom de la lutte contre le terrorisme n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée, dès lors que cela aboutirait à saper, voire détruire, la démocratie au motif de la défendre » (§ 5). Elle invite à un effort constant pour « raisonner la raison d’État », car cette lutte doit s’inscrire dans le cadre du droit international comme du droit constitutionnel, « faute de quoi les démocraties ruineraient les principes qui font leur force […]. La plus grande victoire du terrorisme serait de mettre en péril l’État de droit ».
16La lutte contre le terrorisme doit donc être menée avec les moyens d’un État de droit, c’est-à-dire dans le respect premier des droits de l’homme (avis du 19 décembre 1995). C’est là, indique-t-elle dans son avis relatif au projet de convention européenne contre le terrorisme de 2005, une « condition préalable à la mise en place de toute mesure antiterroriste dont elle doit faire partie intégrante ». Rappelant que les restrictions aux droits et libertés doivent être dûment justifiées et proportionnées aux nécessités de la lutte antiterroriste (avis de 2001, § 5), elle s’oppose à toute banalisation et normalisation de mesures d’exception, notamment par la pérennisation de l’état d’urgence23. Face au risque de stigmatisation d’une partie de la population (les étrangers et les musulmans), elle met l’accent sur les exigences de la société politique ainsi que sur les « fondements mêmes du pacte républicain ». À cet égard, elle préconise la mise en place de mécanismes de prévention du terrorisme dans le cadre d’une « politique interministérielle ambitieuse de “main tendue” en particulier dans les établissements pénitentiaires, en milieu scolaire et dans les quartiers ghettoïsés » (avis de 2014, § 1), et regrette que la France n’ait toujours pas adopté, comme d’ailleurs l’Union européenne l’y a enjoint, un plan national de prévention des actes de terrorisme, pour permettre notamment la détection des signes de radicalisation, et prenant en compte parmi ses diverses causes l’« impression de discrimination (qu’elle soit réelle ou ressentie) », l’exclusion sociale, l’absence d’intégration (avis de 2014, § 32). Il s’agit donc à la fois d’« éviter absolument tout processus d’étiquetage précoce et autoréalisateur » (avis de 2014, § 1) et de s’attacher à expliquer le phénomène de radicalisation par une approche ouverte notamment aux sciences sociales24. Très fermement à propos de la déchéance de nationalité, elle souligne que la « maturité d’une société politique se mesure à sa capacité à connaître et surmonter ses divisions intérieures, aussi graves soient-elles », et invite à « réfléchir à une réponse adaptée » à la violence extrême que constitue le terrorisme, qui « ne saurait consister à prétendre exclure radicalement ceux qui ont radicalement trahi le contrat social25 ».
17Encadrée par ces principes directeurs, la législation antiterroriste doit également satisfaire à certaines exigences d’ordre légistique.
B) Des principes de légistique
18Au-delà de nombreuses recommandations portant sur la qualité de la législation, la CNCDH a estimé devoir se prononcer, dans son avis du 18 février 2016 sur la protection de la Nation, sur le principe de recours à une loi « constitutionnelle » pour lutter contre le terrorisme, précisément pour inscrire dans la Constitution l’état d’urgence ainsi que la déchéance de la nationalité des personnes condamnées pour des faits de terrorisme. Rappelant que l’objet même d’une Constitution est, selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, non seulement d’articuler les pouvoirs en les encadrant, mais aussi de garantir les droits et libertés, elle a fait part, à l’issue de nombreuses auditions et d’importants débats, de son opposition à la constitutionnalisation de ces mesures. La fragilisation des droits et libertés, ainsi placés au même niveau dans la hiérarchie des normes juridiques que des dispositions visant à les restreindre, lesquelles se voient banalisées, a d’abord retenu toute son attention. Elle a par ailleurs mis en exergue les restrictions du contrôle juridictionnel résultant de cette constitutionnalisation – les dispositions constitutionnalisées échappant au contrôle de conventionalité des juges ordinaires au regard des normes internationales en raison du caractère de norme suprême de la Constitution dans l’ordre juridique interne, et se voyant le cas échéant soumises à un contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme rendu plus délicat car s’exerçant précisément en l’absence d’un contrôle préalable de conventionalité des juges internes. Elle a également pris acte de la jurisprudence constitutionnelle reconnaissant compétence au législateur ordinaire pour définir des régimes d’exception autres que ceux prévus par la Constitution, précisément celui de l’état d’urgence. Elle a aussi estimé qu’une loi ordinaire suffisait pour définir un nouveau régime de déchéance de nationalité, en écartant sur ce point le risque d’inconstitutionnalité évoqué tant dans l’étude d’impact que par le Conseil d’État dans son avis du 11 décembre 2015, mais non sans s’étonner à cet égard de voir ce dernier envisager le contrôle de la constitutionnalité « comme un risque, partant comme un argument en faveur de la constitutionnalisation, alors que ce contrôle a pour seul objet d’assurer le respect de la Constitution » (avis du 18 février 2016, § 9 à 12 et § 21 à 23).
19Elle formule plus largement des critiques à l’égard de la qualité de la législation antiterroriste qui, si elles ne sont pas propres à cette législation26, sont particulièrement vives en raison des graves restrictions qu’elle porte aux droits et libertés. Sans ignorer le « contexte d’émotion légitime » suscité par les attentats terroristes (avis du 18 février 2016, § 5), la CNCDH se dit particulièrement préoccupée au fil de ses avis de l’approche « réactive, émotionnelle et politique » des pouvoirs publics, qui à chaque attentat répondent de manière ponctuelle par un nouveau projet de loi27, d’où un « empilement des réformes », un « replâtrage de textes » (avis du 17 mars 2016, § 3). Par ailleurs, elle déplore le recours quasi systématique à la procédure accélérée28, sans pourtant que l’urgence soit toujours caractérisée29. Il n’est pas rare non plus de voir des amendements substantiels être déposés alors que le débat est déjà très avancé30. Le temps et la sérénité du débat parlementaire en sont évidemment affectés, mais aussi sa qualité faute de temps pour l’organiser. Déposés à un rythme « effréné » (avis de 2014, § 4) et de plus en plus tôt après la survenance d’un attentat, les projets de loi sont assortis d’études d’impact souvent lacunaires, ne comportant pas d’évaluation complète du droit en vigueur, d’éléments chiffrés, voire d’éléments de droit comparé, permettant d’appréhender la portée des mesures envisagées31. L’importance des questions traitées requerrait pourtant une réaction plus distanciée par rapport aux événements déclencheurs de ces textes, et surtout de mener, au-delà de l’« extrême segmentation des sujets traités », une réflexion globale (avis du 18 février 2016), éclairée par l’expertise que la CNCDH a pour mission d’exercer par ses avis et nourrie par un véritable débat parlementaire32. Cette nécessité est d’autant plus forte que le consensus est souvent de règle en matière de lutte contre le terrorisme, la Commission observant à cet égard que « tout se passe comme si l’invocation d’une plus grande efficacité de la lutte contre le terrorisme pouvait justifier l’adoption, sans aucune discussion, de mesures attentatoires aux libertés » (avis de 2012, § 3 ; avis de 2015, § 5 ; avis du 17 mars 2016, § 6). Par ailleurs, les mesures sécuritaires tendant à être pérennisées, des dispositifs dérogatoires prévus pour être temporaires sont reconduits (avis de 2012), tandis que les prorogations successives de l’état d’urgence (au nombre de cinq entre 2014 et décembre 2016) mènent à un état d’urgence permanent, contre lequel la CNCDH s’est insurgée tout à la fois parce que le discours accompagnant ces prorogations successives « entérine l’idée, erronée, selon laquelle l’action antiterroriste se trouverait entravée par le fonctionnement ordinaire des institutions » et parce qu’elles s’accompagnent d’un renforcement des mesures dérogatoires33 qui inspirent ensuite le droit commun, conduisant ainsi à rendre normal et banal ce qui était exceptionnel (avis de mars et décembre 2016).
20Dénoncée par la Commission, cette « turbulence réformatrice » (avis de 2016 sur la protection de la Nation, § 3), particulièrement sensible dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, affecte la qualité de la loi. Sans vision d’ensemble, les dispositions législatives prolifèrent en un ensemble hétéroclite, en même temps qu’elles perdent en clarté, précision, prévisibilité et accessibilité. La technique de renvois en cascade, courante dans le Code de procédure pénale, rend les textes complexes, voire indéchiffrables. Ainsi, la Commission relève par exemple, dans son avis relatif au projet de loi sur le renseignement, son silence sur les modalités techniques du recueil des renseignements et sur ses incidences politiques et économiques (qui collecte ? dans quel périmètre ? avec quels moyens ? pour quelle durée ? quelles données ? quel accès de la nouvelle CNTR aux renseignements collectés ? quelle formation pour les personnels de l’Administration pénitentiaire, dont l’intégration à la communauté du renseignement est prévue ? quelle articulation entre leurs différentes missions ?) (avis de 2015, § 4). L’imprécision de la loi prend évidemment un relief particulier en matière pénale au regard du principe constitutionnel de légalité criminelle.
21Au-delà de ses nombreuses recommandations visant à améliorer la qualité de la législation antiterroriste, la CNCDH se prononce au fond sur les mesures qu’elle prévoit.
II) L’encadrement des modalités de la lutte contre le terrorisme
22Soucieuse de prévenir les risques d’arbitraire, la Commission s’inquiète à la fois de l’extension constante des pouvoirs de police de l’administration (A) et de l’insuffisance du contrôle des diverses mesures prévues (B), en invitant par ses recommandations le gouvernement à mieux encadrer les premières et à renforcer le second.
A) L’extension continue des pouvoirs de police
23Les projets de loi antiterroriste, au demeurant tous portés par le ministre de l’Intérieur, et ce de manière quasi exclusive34, n’ont de cesse de renforcer les pouvoirs de police des autorités administratives. Dans chacun de ses avis, la CNCDH souligne les risques que l’octroi de ces pouvoirs exorbitants comporte pour les droits et libertés, en particulier pour la sûreté35, la liberté d’aller et de venir, le droit à la vie privée, le droit à la protection des données personnelles, ainsi que pour le principe d’égalité (s’agissant notamment de l’extension projetée de la déchéance de nationalité), pour prohiber les mesures ne respectant pas l’exigence, martelée par la Cour de Strasbourg, de leur nécessité dans une « société démocratique » et de leur proportionnalité36, et rappeler l’interdiction absolue, et donc en tout temps, même d’exception, de porter atteinte aux droits indérogeables. Elle met en garde par ailleurs contre le glissement vers la privatisation de certaines missions de sécurité, non sans lien au demeurant avec leur extension, et s’efforce de les encadrer37.
24De manière récurrente, elle condamne l’imprécision des dispositions antiterroristes, qui ne permet pas d’identifier clairement leurs destinataires et les motifs de leur mise en œuvre ainsi que leur périmètre. Tel est le cas notamment du projet de loi sur le renseignement qui autorise, d’une part, la collecte en temps réel des données de connexion (les métadonnées) des personnes « préalablement identifiées comme présentant une menace », ainsi que le recours tant à des dispositifs algorithmiques destinés à détecter, au vu d’une succession suspecte de données de connexion anonymes, des signaux de préparation d’un acte de terrorisme, qu’à des dispositifs de proximité (les IMSI catching), permettant le recueil de toutes les données de connexion des personnes présentes dans la zone géographique couverte par le dispositif, ce à leur insu. Ce même projet permet par ailleurs l’interception des correspondances électroniques des personnes « susceptibles de révéler des renseignements entrant dans les finalités mentionnées à l’article L. 811-4 » (la sécurité nationale, la prévention du terrorisme, la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, etc.), interception étendue, au terme d’une définition également vague, à leur entourage, voire le cas échéant à toute personne se trouvant dans le périmètre d’action d’un IMSI catching. Soulignant que des personnes, totalement étrangères à la préparation d’actes de terrorisme et donc à la mission de renseignement, et sans lien avec les motifs d’intérêt général justifiant le recours à une technique de surveillance, sont ainsi susceptibles d’être visées, la CNCDH condamne un tel recueil « généralisé et indifférencié » des données de connexion et des correspondances électroniques qui institue une « surveillance de masse » portant atteinte aux droits fondamentaux38. À cet égard, elle ne manque pas de rappeler l’exigence particulière formulée par les cours européennes, à savoir que « l’existence de règles claires et détaillées apparaît indispensable, d’autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se perfectionner39 », et, partant, le risque de condamnation des techniques de renseignement dont le champ s’avère ainsi « potentiellement illimité » en raison du caractère particulièrement vague des motifs d’intérêt public les autorisant40.
25L’extension générale des pouvoirs donnés aux autorités administratives dans la lutte contre le terrorisme inquiète plus généralement la CNCDH, car leur exercice est souvent conditionné par des « raisons sérieuses de croire » à un risque terroriste, c’est-à-dire par des appréciations subjectives fondées en pratique sur des notes des services de renseignement qui ne sont pas contradictoires et peuvent même être couvertes par le secret défense, alors que des « critères objectifs » devraient être retenus41. D’autre part, certaines de ces mesures, notamment les techniques nouvelles de renseignement, ne peuvent être considérées comme des mesures de police purement administratives car elles n’ont pas pour unique objet de prévenir la commission d’actes terroristes, mais poursuivent aussi une finalité répressive. Selon la distinction classique entre police administrative et police judiciaire commandée par le principe de séparation des pouvoirs, elles relèvent en réalité pour la Commission « indéniablement du domaine de la police judiciaire ». Dès lors, leur direction et leur contrôle doivent, en application de la jurisprudence constitutionnelle, « être dévolus à l’autorité judiciaire, seule compétente pour la poursuite et la répression des infractions » (avis de 2015, § 54 sq)42, en même temps qu’assortis des garanties entourant la procédure pénale (avis de mars 2016, § 26). Enfin, la CNCDH s’inquiète de voir la mise en œuvre de certaines mesures administratives ou incriminations pénales fondée sur des critères reposant « vraisemblablement sur un diagnostic de dangerosité et un pronostic de passage à l’acte terroriste par définition aléatoires » (avis de 2015, § 10) ; inquiétude qu’elle exprime également à propos de la modification projetée du régime juridique des périodes de sûreté en matière de terrorisme, système qui repose « sur la prédiction aléatoire de comportements futurs », et à propos duquel elle réitère « sa plus vive opposition au développement du droit pénal de la dangerosité » et à la logique prédictive dans laquelle il s’inscrit (avis de mars 2016, § 6 et 37).
26Elle déplore par ailleurs l’affaiblissement des principes de la répression pénale, à commencer par le principe de légalité criminelle, du fait notamment de l’imprécision des incriminations qu’illustre notamment la définition du délit d’entreprise individuelle de terrorisme qui permet de prendre en compte des conduites « temporellement et matériellement très éloignées du commencement d’exécution de l’infraction terroriste (la préparation de la préparation) » (avis de 2014, § 12 sq). Il en va de même tant du principe de nécessité des incriminations, mis à mal par l’empilement des incriminations sans examen de celles existantes, comme l’illustre l’incrimination projetée de trafic de biens culturels (avis de mars 2016, § 36), ainsi que des principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ou encore d’individualisation des peines.
27La lutte contre le terrorisme conduit par ailleurs à l’affaiblissement des garanties procédurales (dont celle de la présomption d’innocence (avis de 2014, § 14). Cet affaiblissement tient d’abord à l’insuffisance des garanties assortissant les mesures nouvellement prévues, qu’il s’agisse de mesures de police administrative, comme l’interdiction de sortie du territoire (avis de 2014, § 11), ou de certaines mesures édictées dans le cadre de l’état d’urgence, qui relèvent en réalité de la police judiciaire, ou encore de mesures répressives confiées le cas échéant à une autorité administrative, comme la déchéance de nationalité43. Il tient aussi, à la fois, à la suppression de garantie existantes44 ou à leur infléchissement (s’agissant par exemple du régime de la presse dont elle relève en 2012 la « déconstruction progressive du « pilier prescription » de la loi républicaine45 »), et au renforcement constant des pouvoirs d’enquête du parquet qui déséquilibre la procédure pénale, ainsi que des moyens donnés aux forces de sécurité, en particulier l’usage d’armes ou de caméras mobiles (avis de mars 2016, § 28, 31 sq)…
28D’où l’importance pour la Commission de voir assuré un véritable contrôle des mesures de lutte antiterroriste, lequel est insuffisant et doit donc être renforcé.
B) L’insuffisance du contrôle des mesures de lutte contre le terrorisme
29La CNCDH se montre d’abord soucieuse de l’exercice d’un véritable contrôle juridictionnel des mesures antiterroristes. Si elle invite le juge administratif à exercer son contrôle sur les nouvelles mesures de police administrative prévues, elle s’inquiète à plusieurs reprises de l’appréciation du risque terroriste sur la base de notes blanches des services de renseignement46, mais aussi du contrôle trop tardif pour être utile de ces mesures, même dans le cadre de référés. Aussi suggère-telle que, dès lors qu’un certain nombre de ces mesures se rattache par leur finalité à la police judiciaire ou « évoque fortement certaines obligations du contrôle judiciaire » (comme par exemple le contrôle administratif des retours sur le territoire), leur contrôle relève du juge judiciaire, et plus précisément du juge des libertés et de la détention (JLD) ; un juge dont elle souhaite voir le statut renforcé pour en faire un « authentique juge des libertés disposant d’une compétence de droit commun en matière de contrôle des investigations et de garanties judiciaires des droits et libertés fondamentaux à tous les stades de la procédure » (avis de mars 2016, § 10). Elle porte également une attention particulière au contrôle confié à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), nouvelle autorité administrative indépendante substituée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), et fait part de ses « plus vives réserves » à son égard en raison tant de sa composition, des limites de la collégialité, de l’insuffisance de ses prérogatives (avis simple assorti d’exceptions) et de ses moyens pour faire face aux demandes permettant une surveillance de masse, de la tardiveté du contrôle par l’allongement du délai de conservation des correspondances, enfin des importantes limites affectant le recours contentieux devant le Conseil d’État qui lui paraît « totalement illusoire » (avis de 2015, § 52).
30Par ses trois avis adoptés en 2016 sur l’état d’urgence, la CNCDH exprime de même sa volonté de voir garanti un véritable contrôle des régimes d’exception qui peuvent être particulièrement attentatoires aux droits et libertés, en l’occurrence celui de l’état d’urgence. Sa contribution en la matière est double. Elle tient d’abord dans une définition du régime juridique de l’état d’urgence caractérisé par l’exigence de certaines garanties absentes du projet de loi constitutionnelle sur la protection de la Nation, à savoir, d’une part, des garanties procédurales pour mieux encadrer sa mise en œuvre (renforcement du contrôle parlementaire, contrôle du Conseil constitutionnel, détermination de sa durée, interdiction de dissoudre l’Assemblée nationale), qui s’ajoutent au contrôle européen exigé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales lors de sa mise en œuvre, d’autre part, des garanties de fond (définition claire et précise des circonstances et objectifs de son déclenchement, justification des finalités poursuivies, limitation de son champ spatial, principes d’adaptation, de nécessité et de proportionnalité des mesures de police, non-discrimination dans leur mise en œuvre, liste de droits intangibles, etc.). Sa contribution résulte par ailleurs du suivi qu’elle a réalisé, à la demande de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, de la mise en œuvre de l’état d’urgence47.
31Au-delà du bilan dressé des mesures prises (perquisitions administratives, assignations à résidence, fermeture de certains lieux et interdiction de manifester) et de pratiques qu’elle a jugées constitutives d’un « détournement de l’état d’urgence », elle s’est penchée sur leur contrôle. Contrôle d’abord institutionnel, dont elle observe à propos des nombreuses saisies informatiques intervenues qu’il y a aurait lieu de porter plus d’attention aux avis de la CNIL, mais se félicite en revanche, à propos des pratiques illégales des forces de l’ordre, de la contribution des services du défenseur des droits chargés de veiller au respect de la déontologie par les professionnels de la sécurité. Contrôle également juridictionnel relevant du juge administratif, en raison de la nature administrative des mesures antiterroristes, qui est caractérisé, au-delà de la faiblesse initiale du nombre des recours dont elle analyse les causes, par un renforcement remarquable du contrôle du Conseil d’État (admission d’une présomption d’urgence en référé-liberté contre les arrêtés d’assignation à résidence, contrôle entier de ces derniers, exigence d’adéquation entre la mesure et l’objectif poursuivi par l’état d’urgence, encadrement par certains tribunaux administratifs de la valeur probante des notes blanches des services de renseignement) non sans toutefois inviter, d’une part, à une meilleure individualisation des assignations à résidence et à leur adéquation aux finalités poursuivies par l’état d’urgence, d’autre part, à avancer le contrôle des perquisitions par un contrôle a priori du juge administratif ou un contrôle confié au juge judiciaire, comme c’est le cas par exemple pour les perquisitions fiscales, et mieux informer sur les recours en indemnisation. Enfin, la Commission prend acte d’un « contrôle citoyen » de grande envergure émanant des médias, des organisation syndicales, du secteur associatif (à l’origine de nombreux recours contentieux) et de l’initiative nouvelle de création d’un Conseil d’urgence citoyenne, rendant compte du « rôle fondamental de vigie joué par la société civile ».
***
32C’est assez dire, au vu de ces avis, l’importance de la contribution de la CNCDH au respect de l’État de droit dans la lutte contre le terrorisme. Reste toutefois à en apprécier la portée. À cet égard, s’il va de soi que les lois finalement adoptées ne reprennent évidemment pas toutes ses recommandations, force est néanmoins d’observer que certains projets de loi ont connu des évolutions tantôt au stade du projet, lorsque ces avis ont été adoptés assez tôt pour influencer le gouvernement, tantôt lors du débat parlementaire, à la suite notamment d’auditions devant les commissions parlementaires. Sans doute ne saurait-on porter au crédit de la seule CNCDH les évolutions que l’on peut observer ici ou là, voire l’abandon d’un projet aussi important que celui sur la protection de la Nation. Pour autant, l’on ne peut lui dénier toute influence. Aussi bien l’« oubli » systématique de sa saisine par les ministres concernés, le ministre de l’Intérieur en l’occurrence pour les projets de loi antiterroriste, qu’à l’inverse la forte attention portée à l’évolution de ses travaux (notamment le déplacement dans ses locaux du ministre de l’Intérieur pour expliquer très longuement la position gouvernementale sur le projet de loi sur la protection de la Nation ou sa réponse très étoffée et critique du 24 avril 2015 donnée par ce même ministre sur l’avis sur le projet de loi renseignement) témoignent de l’autorité dont elle est en réalité créditée et de la fonction essentielle d’acteur de la démocratie qu’elle est appelée à exercer, lorsque la tension entre autorité et liberté se voit comme portée au paroxysme dans la lutte antiterroriste.
33Même si ses recommandations ne sont pas toujours suivies, la vigilance qu’elle exerce n’est certainement pas vaine, car les positions qu’elle défend, au demeurant souvent à l’unanimité en matière de terrorisme, sont autant de points de repère pour la conduite, dans le respect de l’État de droit, de la lutte contre le terrorisme ; une politique publique où sa mission d’expertise est particulièrement délicate en raison du très large consensus dans l’opinion publique sur les mesures renforçant la sécurité. Parce que ces mesures tendent à la fois à se pérenniser, se généraliser et se renforcer, et que, comme l’observait le conseiller d’État Guy Braibant, « les crises laissent derrière elles, comme une marée, d’épais sédiments de pollution juridique48 », sa vigilance se doit d’être redoublée.
Notes de bas de page
1 Arrêté du ministre des Affaires étrangères du 17 mars 1947, JORF, 27 mars 1947, p. 2849. Sur l’historique de la CNCDH, voir E. Decaux : « Utile Cassandre. Du rôle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme », dans Études offertes à Jacques Mourgeon, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 589 ; voir également C. Teitgen-Colly, « Le droit international des droits de l’homme et la Commission nationale consultative des droits de l’homme », Mélanges en l’honneur du professeur E. Decaux, Paris, Pedone, 2017.
2 Décret no 86-1204 du 21 nov.1986.
3 Le législateur s’étant jusque-là borné à lui donner compétence par la loi du 13 juillet 1990 pour la rédaction du Rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie en France.
4 Rédigés en novembre 1991 sous l’impulsion de la CNCDH, ces principes ont été adoptés par la Commission des droits de l’homme et l’Assemblée générale des Nations unies (résolutions respectives no 1992/54 du 3 mars 1992 et no 48/134 du 20 décembre 1993). En vertu de ces principes, les INDH doivent être dotées d’un statut constitutionnel ou législatif leur assurant une composition pluraliste, une coopération étendue à la société civile, une indépendance réelle, une fonction de conseil du gouvernement et du Parlement ainsi que de tout autre organe compétent à leur demande ou par autosaisine sur toutes questions relatives à la protection et la promotion des droits de l’homme, enfin des ressources adéquates pour en assurer l’exécution. Accréditée de statut A depuis 1995, la CNCDH a toujours vu son accréditation renouvelée mais non sans avoir dû être dotée en 2007 du statut légal qui lui manquait.
5 Cité par M. Agi, « L’action personnelle de René Cassin », dans La Déclaration universelle des droits de l’homme 1948-1998. Avenir d’un idéal commun, Paris, La Documentation française, 1999, p. 163.
6 Décret du 26 juillet 2007 relatif à la composition et au fonctionnement de la CNCDH. Elle est composée aujourd’hui de soixante-quatre membres dont trente sont « nommément désignés parmi les membres des principales organisations non gouvernementales œuvrant dans le domaine des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou de l’action humanitaire et des principales confédérations syndicales, sur proposition de celles-ci » (collège A) et trente autres sont choisis « en raison de leur compétence reconnue dans le domaine des droits de l’homme, y compris des personnes siégeant en qualité d’experts indépendants dans les instances internationales des droits de l’homme » (collège B) auxquels s’ajoutent un député, un sénateur et un membre du Conseil économique, social et environnemental, ainsi que le Défenseur des droits.
7 Le Premier ministre désigne les principales ONG et syndicats du collège A et les personnalités du collège B. L’avis du comité sur ces désignations et nominations, bien que publié au Journal officiel, ne constitue toutefois pas un véritable garde-fou, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un avis simple.
8 Si des représentants du Premier ministre et des ministres peuvent participer à ses travaux, c’est sans voix délibérative (L. 2007, art. 1).
9 Sur les 44 avis rendus lors de son dernier mandat (2012-2015), 12 l’ont été sur autosaisine.
10 Circulaires du 12 mars 2001 et du 28 novembre 2007 relatives au dispositif interministériel de suivi des avis émis par la CNCDH. Les ministres ne répondent toutefois pas toujours ou le font de manière laconique. Il arrive néanmoins que des réponses très argumentées soient données, notamment lorsque l’avis s’est montré très critique (voir à cet égard la longue réponse adressée le 24 avril 2015 par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, à l’avis du 20 avril 2015 relatif au projet de loi sur le renseignement).
11 En 2016, le réseau européen regroupe 39 INDH en Europe, dont 24 sont accréditées de statut A. Sur la contribution de la CNCDH au droit international des droits de l’homme, on se permettra de renvoyer à C. Teitgen-Colly, « Le droit international des droits de l’homme et la Commission nationale consultative des droits de l’homme », art. cité.
12 Le nombre des avis rendus annuellement, égal à quatorze par an, a doublé depuis vingt ans. Ils sont publiés sur le site de la CNCDH et dans son rapport annuel d’activité, et depuis 2013 au Journal officiel. Les plus significatifs et importants ont été réunis et commentés sous le titre Grands avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ouvrage publié par la CNCDH sous la direction de C. Lazerges, Paris, Dalloz, 2015. Les avis peuvent faire l’objet d’opinions séparées, mais il n’a été fait usage qu’à deux reprises de cette possibilité qui a été âprement débattue.
13 Il s’agit du Comité pour les droits civils et politiques, du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, du Comité contre la torture, du Comité des droits de l’enfant, du Comité des droits des personnes handicapées et du Comité des disparitions forcées.
14 Au-delà de ces avis, lettres, notes et études, la Commission adopte des rapports sur les questions qu’elle juge utile d’approfondir, qui s’ajoutent au Rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, dont la loi du 13 juillet 1990 l’a chargée, et au Rapport national sur la traite des êtres humains, qui lui est également confié depuis 2014, ainsi qu’à son Rapport annuel d’activité et son Rapport sur les droits de l’homme en France qui fait état tous les trois ans de l’application en France du droit international des droits de l’homme. Tous ces rapports sont publiés sur son site ainsi qu’à La Documentation française. Au-delà de la réflexion qu’elle initie ainsi, la CNCDH mène des actions de sensibilisation du grand public ainsi que d’éducation et de formation (par exemple, le prix des droits de l’homme de la République française).
15 Mis à part la première législation antiterroriste du 9 septembre 1986 en réponse à la vague d’attentats qui se sont multipliés dans les années 1980 et celle du 23 janvier 2006 également relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, la CNCDH s’est chaque fois exprimée sur les divers textes de convention internationale ou de lois. L’on relèvera que, au-delà des textes cités ayant pour objet direct la lutte contre le terrorisme, des textes divers insèrent des dispositions nouvelles dans le Code pénal (lois du 22 juill. 1992, 16 déc. 1992…) et le Code de procédure pénale (lois du 18 février 1995, 30 déc. 1996, 29 déc. 1997, 9 mars 2004, 23 janv. 2006, 1er déc. 2008, 14 avr. 2011) et développent toute une série de mesures de protection de la sécurité (loi du 10 juill. 1991, LOPSI 1 du 29 août 2002, LOPSI 2 du 18 mars 2003, 14 mars 2011, 22 mars 2016…) afin de prendre en compte la lutte contre le terrorisme.
16 Avis du 29 octobre 2001 sur les dispositions législatives proposées par le gouvernement en vue de renforcer la lutte contre le terrorisme, devenues la loi du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne. En revanche, elle ne s’est pas exprimée sur le projet qui deviendra la loi également relative à la lutte contre le terrorisme du 23 janvier 2006.
17 Les cinq nouveaux avis rendus depuis juin 2016 la confirment (avis du 15 décembre 2016 contre l’état d’urgence permanent, du 26 janvier 2017 sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures antiterroristes de la loi du 21 juillet 2016, prorogeant l’application de la loi no 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste sur laquelle elle n’avait pas rendu d’avis, du 18 mai 2017 sur la prévention de la radicalisation, du 6 juillet 2017 sur le projet de loi visant à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme).
18 Paraît dès lors très malvenu le reproche adressé par le ministre de l’Intérieur à la Commission de ne pas l’avoir auditionné avant de rendre son avis sur le projet de loi relatif au renseignement puisqu’il n’avait pas pris la peine de l’en saisir (réponse précitée du 24 avril 2015 à cet avis).
19 Comme celle de huit pages adressée au ministre de l’Intérieur au début de l’été 2014 avant adoption de son avis du 25 septembre 2014 sur le renforcement de la législation antiterroriste ou celle rassemblant à la hâte avant audition par la Commission des lois de l’Assemblée nationale et à son intention un certain nombre de remarques sur le projet de loi relatif au renseignement précédant son avis du 16 avril 2015.
20 Comme celle brève adoptée sur l’état d’urgence et ses suites le 14 janvier 2016, qui a précédé son avis du 18 février 2016 sur la protection de la Nation.
21 Employée pour justifier la mise en œuvre de l’état d’urgence puis sa prorogation, cette expression peut être employée pour rendre compte de la radicalité de la réponse à apporter à la radicalité de la violence terroriste, mais « n’en demeure pas moins sujette à caution au regard de la définition de la guerre en droit international » (avis du 18 février 2016, § 3).
22 Elle dénonce le même amalgame dans la présentation par le ministre de l’Intérieur des résultats du plan Vigipirate (avis de 1995 et 2001).
23 Elle suit avec une particulière attention les mesures prises en la matière, voir avis du 18 février 2016 ; voir également le nouvel avis du 15 décembre 2016.
24 Consciente en la matière des réticences exprimées sur ce point à la suite des attentats du 13 novembre 2015 par le Premier ministre Manuel Valls, pour qui expliquer serait excuser.
25 Avis du 16 février 2016 sur la protection de la Nation qui se réfère ici à l’audition de F. Worms le 3 février 2016.
26 Critique récurrente, cette mauvaise qualité de la loi a justifié l’adoption d’un avis spécifique sur l’élaboration des lois du 15 avril 2010.
27 Sur les suites législatives immédiatement postérieures aux attentats, voir l’avis de 2015.
28 Sur la critique d’une « méthode contestable », voir notamment l’avis du 17 mars 2016.
29 Dont témoigne la tardiveté générale de l’édiction des décrets d’application des lois adoptées en urgence.
30 Dans son avis du 29 oct. 2001, la CNCDH déplore l’introduction par le gouvernement d’amendements modifiant des dispositions très sensibles du Code de procédure pénale, alors que le projet de loi était passé en commission mixte paritaire, amendements sur lesquels de surcroît le Conseil d’État n’avait pas été consulté.
31 La « pauvreté » de l’étude d’impact du projet de loi sur la protection de la Nation avait été également soulignée par le Conseil d’État (avis du 18 févr. 2016, § 5).
32 Avis du 20 déc. 2012 sur la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, adoptée huit jours avant par le Parlement et promulguée le 21 déc. 2012.
33 Dans son avis de mars 2016, la Commission cite les dispositions relatives aux perquisitions de nuit et aux perquisitions informatiques ainsi que celles relatives au contrôle administratif des retours sur le territoire.
34 La CNCDH relève à cet égard l’absence de contreseing du ministre de la Justice, alors que de nombreuses dispositions antiterroristes dérogent au droit pénal et à la procédure pénale (voir par exemple son avis de 2012, § 1). L’on remarquera toutefois qu’il en est allé différemment avec la loi du 3 juin 2016 qui porte le contreseing du ministre de la Justice, mais aussi que le nouveau ministre J.-J. Urvoas a exercé des responsabilités dans le domaine de la sécurité et du renseignement qui lui ont donné une culture de l’Intérieur…
35 Elle condamne dans son avis d’avril 2016 la possibilité d’appliquer dans le cadre d’une vérification ou d’un contrôle d’identité une retenue de quatre heures à l’égard de tous, y compris les mineurs.
36 Exigence devant conduire, selon la CNCDH, à affirmer la subsidiarité des mesures de renseignement, ce que la loi relative au renseignement ne fait pas.
37 En exigeant notamment la formation des personnels, le port d’un signe distinctif lors des contrôles, le rappel du respect de la dignité des personnes contrôlées et l’exclusion de toute pratique discriminatoire (avis du 29 oct. 2001).
38 Elle souligne à cet égard la non-prise en compte des personnes ayant un statut ou exerçant une profession imposant une protection spécifique, comme notamment les magistrats, les avocats, les parlementaires, les médecins ou encore les journalistes (secret des sources). Elle relève par ailleurs l’allongement excessif de la durée de conservation des données de connexion et des correspondances.
39 CEDH, 31 mai 2005, Vetter c/ France, § 26 ; voir CEDH, 24 avr. 1990, Kruslin et Huvig c/ France ; voir également CJUE (GC), 8 avr. 2014, Digital Rights Ireland Ltd.
40 Qu’il s’agisse de la notion d’« intérêts majeurs de la politique étrangère », ou d’« intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France », ou de la tentaculaire « prévention de la criminalité et de la délinquance organisée », ou encore de la « prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ».
41 Tel est le cas, d’une part, pour l’interdiction de sortie du territoire opposable, selon le projet de loi de 2014, à tout ressortissant français « lorsqu’il y a des raisons sérieuses de croire qu’il projette des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français » (§ 7), d’autre part, pour le contrôle administratif des retours sur le territoire d’une personne dont « il existe des raisons sérieuses de penser que ce déplacement a pour but […] de rejoindre un théâtre d’opérations de groupements terroristes ; ou une tentative de se rendre sur un tel théâtre, dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour » (avis de mars 2016, § 25) ; ou encore pour la retenue de quatre heures à l’occasion d’un contrôle ou d’une vérification d’identité, « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste » (avis de mars 2016, § 14).
42 Tel est le cas pour la CNCDH du recueil des données de connexion pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme de « personnes préalablement identifiées comme présentant une menace », dans la mesure où cette formulation vague permet de décider de ce recueil pour des personnes soupçonnées d’entreprise individuelle terroriste (art. 421-2-6 du Code pénal) ou d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (art. 421-2-1 du Code pénal), c’est-à-dire pour des comportements ou actes qui, bien que distants tant temporellement et matériellement de la réalisation de telles infractions, sont incriminés pénalement (avis de 2015, § 10). Le contrôle administratif des retours poursuit aussi pour la CNCDH une finalité répressive, « dès lors que les personnes concernées sont inévitablement soupçonnées au minimum, voire susceptibles d’être mises en examen pour les mêmes incriminations (avis de mars 2016, § 26). La CNCDH observe le même « brouillage » entre police administrative et police judiciaire à propos de la retenue de quatre heures à l’occasion d’un contrôle ou d’une vérification d’identité (avis de mars 2016, § 14) ou encore du blocage administratif de l’accès à certains sites Internet (avis de 2014, § 19), ainsi qu’à propos des mesures de police adoptées dans le cadre de l’état d’urgence (avis de févr. 2016, § 22).
43 La plupart des garanties du droit pénal et de la procédure pénale s’appliquant aux sanctions administratives, la CNCDH reproche au projet de loi sur la protection de la Nation de ne préciser ni la nature de sanction de cette mesure ni les exigences qui s’attachent à son prononcé (définition précise de l’infraction, délai de son prononcé…).
44 Comme par exemple la suppression de la consultation de la commission d’expulsion, en cas d’expulsion du territoire conçue dans le cadre de la législation antiterroriste et s’appliquant finalement au-delà de ce seul cas (avis de 2012).
45 Le projet de loi de 2014 confirme ce mouvement du point de vue cette fois du droit pénal, en prévoyant de réprimer l’apologie du terrorisme et la provocation à celui-ci non plus dans la loi du 29 juillet 1881 sur la presse mais dans le Code pénal (avis de 2014).
46 Voir, à propos du risque d’arbitraire, des interdictions de sortie du territoire fondées sur l’appréciation d’un tel risque au vu de ces notes, lesquelles ne sont de surcroît pas infaillibles (avis de 2014).
47 Avis sur le suivi de l’état d’urgence du 18 févr. 2016.
48 « L’État face aux crises », Pouvoirs, 1979, p. 8, cité par la CNCDH dans son avis de mars 2016, § 4.
Auteur
Professeur de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Environnement et santé
Progrès scientifiques et inégalités sociales
Maryse Deguergue et Marta Torre-Schaub (dir.)
2020
La constitution, l’Europe et le droit
Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Masclet
Chahira Boutayeb (dir.)
2013
Regards croisés sur les constitutions tunisienne et française à l’occasion de leur quarantenaire
Colloque de Tunis, 2-4 décembre 1999
Rafâa Ben Achour et Jean Gicquel (dir.)
2003
Itinéraires de l’histoire du droit à la diplomatie culturelle et à l’histoire coloniale
Jacques Lafon
2001
Des droits fondamentaux au fondement du droit
Réflexions sur les discours théoriques relatifs au fondement du droit
Charlotte Girard (dir.)
2010
François Luchaire, un républicain au service de la République
Jeannette Bougrab et Didier Maus (dir.)
2005