Les expérimentations en santé et les choix médicaux
p. 141-162
Texte intégral
1Avec son ouvrage Introduction à la médecine expérimentale de 1865, Claude Bernard ouvre une nouvelle étape dans la recherche médicale et, sans doute, plus largement, dans toutes les sciences que l’on qualifie d’expérimentales. Claude Bernard n’est pas l’inventeur des termes « expérimental », « expérimentation », et des expérimentations ont été conduites bien avant qu’il n’en parle mais, d’une part, elles n’en portaient pas officiellement le nom1, elles n’étaient pas perçues, analysées, comme de l’expérimentation telle que nous l’entendons aujourd’hui, d’autre part, ces expérimentations n’étaient pas régies par des principes, si ce n’est des principes religieux, elles ne faisaient pas l’objet d’un encadrement intellectuel, encore moins d’un encadrement juridique.
2Dans son ouvrage précité, Claude Bernard définit ainsi l’expérimentation : « l’art d’obtenir des expériences rigoureuses et bien déterminées », et il ajoute immédiatement que l’expérimentation « est la base pratique et en quelque sorte la partie exécutoire de la méthode expérimentale appliquée à la médecine »2. Donnons immédiatement une autre définition, légale, de l’expérimentation, tout au moins appliquée aux médicaments : « On entend par expérimentation des médicaments […] tous les essais chimiques, pharmaceutiques, biologiques, les essais non cliniques et les essais cliniques3. »
3Claude Bernard parle également de « la science expérimentale » alors qu’aujourd’hui on parle « des » sciences expérimentales, et « l’avènement des sciences expérimentales, dans les temps modernes, constitue certainement l’une des révolutions les plus importantes dans l’histoire de la pensée humaine4 ».
4Ce qui est en jeu, dans la médecine, c’est la santé, son maintien ou son rétablissement. Et, au-delà de la santé strictement dite, ce que les hommes (pris au sens générique) recherchent, c’est à retarder le vieillissement, qui altère les facultés et les fonctions et se traduit par une dégradation progressive. Cette préoccupation ne date pas d’aujourd’hui. La règle d’or de la médecine hippocratique, primum non nocere, est d’abord une garantie de longue vie. Et au xiiie siècle, Aldebrandin explique à la belle-mère de saint Louis la façon de « se maintenir jeune », tandis que Roger Bacon écrit au pape le Liber ou Epistola de retardatione accidentium senectutis, intitulé fort explicite qui se passe de traduction. Ces préoccupations vont évidemment trouver un écho contemporain, mais d’une tout autre manière, avec le transhumanisme.
5Nous sommes cependant assez loin, avec toutes ces recommandations, de l’expérimentation et, par ailleurs, la santé dont il est question est une santé envisagée individuellement, la notion de santé publique n’existe pas5 ; il faudra attendre la période contemporaine pour que cette notion émerge. Lorsque cette notion de « santé publique » va être reconnue, consacrée, elle va avoir des incidences sur l’expérimentation. La formule « choix médicaux », qui figure dans l’intitulé de cette contribution, fait beaucoup plus penser, aujourd’hui, à des choix collectifs qu’à des choix individuels de santé (même si ces derniers ne sont pas exclus).
6L’expérimentation, expression ou forme des progrès scientifiques et techniques qui se sont accélérés en quelques décennies, est à l’intersection de trois séries de considérations. La première est celle de l’éthique. Celle-ci a sans doute été toujours présente dès lors qu’il s’agissait d’intervenir sur le corps humain, mais elle prenait d’autres noms, elle s’inscrivait dans un cadre religieux déterminant, elle n’était pas confrontée aux progrès techniques. Avec la séparation d’avec le religieux6, et avec l’avènement du positivisme dans la médecine comme dans les sciences, l’éthique a paru passer au second plan.
7Les préoccupations éthiques sont revenues en force avec les capacités accrues d’agir sur les mécanismes du vivant, qu’il s’agisse de rajeunir des cellules, de faire du « bricolage » génétique en manipulant l’ADN, ou de pratiquer des greffes de plus en plus audacieuses7. En témoignent également la naissance d’une nouvelle discipline, la bioéthique, et la parution de nombreux ouvrages dans ce domaine8.
8Dès lors que l’on parle de santé publique, ce sont inévitablement d’autres considérations qui entrent en jeu, les considérations politiques. Les autorités politiques sont sollicitées pour intervenir, elles ne peuvent demeurer des spectateurs passifs des évolutions en cours, elles sont même sommées parfois par des groupes plus ou moins grands de citoyens de se prononcer, de faire des choix. Et, en tout état de cause, les pouvoirs publics sont contraints de faire des choix, et nous verrons que certaines contraintes pèsent particulièrement.
9Une troisième série de considérations est d’ordre juridique. Les choix politiques s’expriment toujours, pour se concrétiser, à travers un certain nombre de règles, qui sont des règles juridiques, quel que soit par ailleurs le niveau de la hiérarchie des normes où elles se situent, cette question n’affectant pas directement notre sujet. En revanche, s’agissant de ces règles, un autre point mérite d’être relevé, car il est significatif d’une certaine évolution, qu’il conviendra de qualifier ; il s’agit de la multiplication des règles, à laquelle s’ajoute un autre trait, celui de la fréquente variabilité de ces règles, ce qui soulève encore d’autres problèmes.
10C’est à travers toutes ces considérations, à la fois scientifiques, politiques (donc, également, juridiques) et éthiques que peut apparaître, jusqu’à la période actuelle de manière indirecte et voilée, mais désormais de plus en plus affirmée, la question des inégalités. Il est possible de le montrer en évoquant, dans un premier temps, les expérimentations sources de dispositions normatives et, dans un second temps, le renouvellement de la problématique.
I. L’expérimentation source de dispositions normatives
11Pour comprendre le sens des dispositions qui régissent l’expérimentation, il est indispensable, au préalable, de reprendre l’historique de la réglementation de l’expérimentation dans le domaine médical, plus précisément de l’expérimentation sur l’être humain, ce qui permet d’éclairer le dispositif français en la matière.
A. L’histoire de la réglementation de l’expérimentation sur l’être humain
12Avant d’aborder cet historique, une double remarque préalable s’impose. D’une part, avant d’être mis sur le marché, pour un nouveau médicament, ou d’être autorisé, pour un nouveau traitement9, des tests doivent être effectués, et ils le sont sur des animaux, sur ceux qui sont réputés les plus proches de l’homme ou dont on pense que leurs réactions peuvent être utiles dans l’éventualité d’une application à l’être humain. L’expérimentation animale soulève une série de questions extrêmement sensibles (il suffit de voir les réactions parfois très violentes des associations de protection des animaux), mais qui sortiraient du cadre du sujet et qui ne seront donc pas abordées.
13D’autre part, les tests sur les animaux ne suffisent pas. À un moment donné, il faut passer à l’homme, parce que celui-ci ne réagit pas nécessairement de la même manière à une substance chimique, à une molécule, que les animaux : il suffit de constater le nombre d’échecs sur l’être humain de molécules qui s’étaient révélées très prometteuses lorsqu’elles étaient appliquées à des animaux10.
14Ces précisions étant données, l’historique de la réglementation passe nécessairement par l’exposé de ce qui est appelé le « code Nuremberg », et les suites qui ont été données à ce dernier.
15Nuremberg est la conclusion judiciaire d’une des périodes les plus sombres de notre histoire, qui a vu l’être humain avili et nié en tant que tel. Le procès de Nuremberg évoque d’abord celui des dirigeants nazis, mais il y a un autre procès, celui des médecins de ce régime.
16Les médecins nazis se sont livrés à des expérimentations abominables sur les prisonniers. Plusieurs ouvrages ont retracé l’historique de ces expérimentations, et les témoignages sont nombreux. Parmi tous ces témoignages, citons celui de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, qui a écrit un ouvrage à la fois sobre et bouleversant de son temps dans les camps nazis11. Elle raconte comment elle voyait arriver dans la cellule des jeunes filles volontairement mutilées par le professeur Gebhardt, ce dernier contaminant les blessures avec la gangrène, le tétanos ou le streptocoque.
17Le procès des médecins nazis a soulevé des questions inédites et a obligé à une réflexion sur l’expérimentation sur l’être humain12. Les avocats qui défendaient les médecins nazis développèrent une défense très habile. Ils ne nièrent pas les faits reprochés aux accusés, mais ils firent valoir qu’aucune norme applicable n’interdisait l’expérimentation sur l’être humain, et ils contestèrent l’idée du caractère universel de la moralité médicale. Ils ajoutèrent que les nations au nom desquelles les accusés étaient jugés – et notamment les États-Unis – pratiquaient elles-mêmes l’expérimentation sur l’être humain.
18Les juges se rendirent compte que le serment d’Hippocrate présentait des faiblesses et ne permettait pas de répondre à la question de savoir ce qu’il était possible de faire et ce qui devait être considéré comme illicite. Cette réflexion est à l’origine du code Nuremberg13.
19Ce code Nuremberg comporte dix recommandations, qui sont les suivantes14 :
1. Il est absolument essentiel d’obtenir le consentement volontaire du malade ; 2. L’essai entrepris doit être susceptible de fournir des résultats importants pour le bien de la société, qu’aucune autre méthode ne pourrait donner ; 3. L’essai doit être entrepris à la lumière d’expérimentation animale et des connaissances les plus récentes de la maladie étudiée ; 4. L’essai devra être conçu pour éviter toute contrainte physique ou morale ; 5. Aucun essai ne devra être entrepris, s’il comporte un risque de mort ou d’infirmité sauf, peut-être, si les médecins, eux-mêmes, participent à l’essai ; 6. Le niveau de risque pris ne devra jamais excéder celui qui correspond à l’importance humanitaire du problème posé ; 7. Tout devra être mis en œuvre pour éviter tout effet secondaire à long terme après la fin de l’essai ; 8. L’essai devra être dirigé par des personnalités compétentes. Le plus haut niveau de soins et de compétence sera exigé pour toutes les phases de l’essai ; 9. Pendant toute la durée de l’essai, le malade volontaire aura la liberté de décider d’arrêter l’essai si celui-ci lui procure une gêne mentale ou physique et si, de quelque autre façon, la continuation de l’essai lui paraît impossible ; 10. L’expérimentateur doit se préparer à arrêter l’essai à tout moment, s’il a des raisons de croire, en toute bonne foi, et après avoir pris les avis les plus compétents, que la continuation de l’essai risque d’entraîner la mort ou une infirmité aux malades.
20L’adoption du code Nuremberg n’a pas réglé tous les problèmes, ou plus exactement, c’est sa prise en compte qui a posé problème. D’une part, et par définition, il ne s’agissait que de recommandations, édictées par un tribunal international dans et pour des circonstances tout à fait particulières. D’autre part, et de manière sans doute plus importante dans cette problématique, les pays démocratiques ne se sont pas sentis vraiment concernés par ce « code ». Les expérimentations pratiquées par les médecins nazis étaient tellement hors de toute humanité que les médecins, dans beaucoup de pays, ont pensé que le code en question ne s’appliquait qu’à ces circonstances15. Pierre Amiel, dans son ouvrage précité, parle de « silence normatif », parce qu’aucune législation n’est intervenue, en Europe ou aux États-Unis (et à plus forte raison dans d’autres régions du monde) pour donner valeur normative de droit positif à ces recommandations.
21Comme souvent, c’est à la suite de scandales que les interrogations et les réflexions reprirent, notamment le scandale de la thalidomide16. À partir de là, de nombreuses déclarations furent adoptées au fil du temps, avec de nouvelles précisions apportées aux conditions de l’expérimentation sur l’être humain pour tenir compte des situations qui pouvaient se présenter et des progrès de la médecine expérimentale. Une association de médecins a été à l’origine de ces différentes déclarations, l’Association médicale mondiale17.
22Une première déclaration est la déclaration d’Helsinki de 1964. Cette déclaration est l’expression d’une prise de conscience que le code Nuremberg n’est pas seulement un code visant les nazis, que de nouveaux principes sur l’expérimentation doivent être dégagés. Elle s’écarte, sur certains points, du code Nuremberg, mais, surtout, introduit une distinction entre l’expérimentation « non thérapeutique » dans laquelle les patients doivent être particulièrement protégés, et l’expérimentation « thérapeutique » pour laquelle les conditions de l’expérimentation peuvent être assouplies parce que cette expérimentation est susceptible de créer un bénéfice aux patients concernés. Cette distinction n’a pas été remise en cause jusqu’à la fin du xxe siècle alors que, selon plusieurs commentateurs18, elle a contribué à brouiller une autre distinction, fondamentale, entre l’acte de soins, qui est à visée curative, et l’acte de recherche, qui est à visée cognitive.
23Un autre scandale permit l’avancée de la réflexion, il se produisit aux États-Unis. Un journal, le New York Times, révéla qu’une « expérience » (en fait, une expérimentation)19 commencée en 1932 se poursuivait toujours plus de trente ans après. Cette expérience, menée par le Public Health Service, consistait à suivre l’évolution de la syphilis (non traitée) chez des hommes noirs qui, au surplus, n’étaient pas informés de ladite expérience.
24À la suite de l’enquête menée par le journal, le National Research Act de 1974 institua une Commission nationale pour la protection des sujets humains dans la recherche biomédicale et comportementale. Après les travaux de cette commission, et les différents rapports partiels qu’elle produisit, une synthèse des travaux parut, sous la forme d’une recommandation éthique, appelée rapport Belmont20. Ce rapport Belmont consacre trois principes. Le premier est le principe de respect des personnes, qui implique le consentement informé et préalable du sujet avant toute expérimentation ; le deuxième est le principe de bienfaisance, qui consiste à opérer une appréciation des risques et des bénéfices de l’expérimentation, à la fois pour le sujet concerné et pour la société ; le troisième est le principe de justice qui consiste à répartir équitablement les chances et les risques, en particulier dans le recrutement des sujets, recrutement qui est souvent inégalitaire, plus encore dans les pays qui n’ont pas de système de protection sociale aussi étendue que dans les autres21.
25La déclaration d’Helsinki fut révisée lors de la réunion de l’Association médicale mondiale à Tokyo en 1975. Cette déclaration de Tokyo consacre le caractère inconditionnel du consentement préalable à la participation de tous les sujets et prescrit l’examen obligatoire des projets de recherche par un comité indépendant.
26Une troisième déclaration à citer est la déclaration de Manille de 2013. Elle déclare que la recherche impliquant la participation de sujets humains peut se définir de la manière suivante :
Toute étude impliquant la participation de sujets humains et dirigée vers le progrès des connaissances biomédicales qui ne peut être considérée comme un élément de la conduite thérapeutique ou de la pratique de la santé publique établie et qui implique, soit une intervention ou une évaluation physique ou psychologique, soit la génération, la mise en mémoire et l’analyse de dossier contenant des informations biomédicales sur les individus identifiables.
27La déclaration de Manille revient sur le consentement des sujets, précisant que « le consentement éclairé constitue une sauvegarde imparfaite pour le sujet et devra toujours être complété par un examen éthique indépendant des projets de recherche ». De plus, relève la déclaration, de nombreuses personnes sont incapables de donner un consentement adéquat. C’est le cas, notamment, des enfants qui, selon la déclaration, « ne doivent jamais participer comme sujets à des recherches que l’on pourrait tout aussi bien effectuer sur des adultes ». Leur participation étant cependant parfois indispensable pour des recherches sur les maladies de l’enfance, le consentement d’un parent ou d’un autre tuteur légal est toujours nécessaire, la déclaration ajoutant que, dans la mesure du possible, et en fonction de l’âge de l’enfant, « on cherchera à obtenir la coopération volontaire de l’enfant après l’avoir franchement informé des malaises ou inconvénients possibles ».
28Une autre catégorie particulière est celle des femmes enceintes ou des mères allaitantes. La recherche thérapeutique est alors « admissible uniquement pour améliorer la santé de la mère sans préjudice de celle du fœtus ou du nourrisson pour augmenter la viabilité du fœtus, ou pour favoriser le bon développement du nourrisson ou l’aptitude de la mère à le nourrir ».
29Une autre catégorie fragile encore est celle des malades et déficients mentaux, pour lesquels s’appliquent les mêmes considérations éthiques applicables aux enfants et femmes enceintes. Pour les recherches sur les origines et le traitement de maladies mentales ou de la déficience mentale, les intéressés sont cependant les seuls sujets dont on dispose. Dans ce cas, l’expérimentation est possible sous certaines conditions. Un accord de la famille proche (époux, parent, enfants adultes, frères ou sœurs) doit alors être recherché, mais, ainsi que le relève avec réalisme la déclaration de Manille, « sa valeur peut être mise en doute du fait que les personnes mentalement dérangées ou déficientes sont parfois considérées par leur famille comme un fardeau gênant22 ».
B. Le dispositif français en matière d’expérimentation
30La France s’est saisie assez tardivement de la question de l’expérimentation sur l’être humain, ce qui peut a priori paraître surprenant pour un pays très porté à régler tous ses problèmes par le biais de la loi, ou plus largement de la norme écrite.
31Le développement qui suit va relater les étapes de l’adoption du dispositif que nous connaissons actuellement, les différents textes adoptés consacrant un certain nombre de principes précisés parfois par le juge.
32Le point de départ est certainement la création en 1983 du Comité d’éthique, après la tenue d’assises de la recherche23, le plus surprenant étant sans doute la tardiveté avec laquelle un tel comité a été créé24. Et il est à relever que l’un de ses premiers avis a été un avis de 1984 portant sur les essais de nouveaux traitements sur l’homme25. Le comité a connu des modifications à plusieurs reprises, la dernière étant (au moment où ces lignes sont écrites) celle apportée par la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 (art. 24). Ce comité est qualifié par la loi d’« institution indépendante26 », ce qui le fait entrer dans la catégorie des autorités publiques indépendantes27.
33Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (couramment appelé CCNE) « a pour mission de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevées par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé28 ». Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par ces progrès de la connaissance dans les domaines précités de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux organisés par le CCNE. À la suite du débat public, le CCNE établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation, en faisant ressortir les éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme envisagée. Le CCNE établit un rapport annuel d’activité qui est remis au président de la République et au Parlement et rendu public. Ce rapport comporte une analyse des problèmes éthiques soulevés dans les domaines de compétence de l’Agence de la biomédecine et dans le domaine des neurosciences. Il peut publier des recommandations sur les sujets relevant de sa compétence.
34Un autre point à relever dans l’évolution du dispositif français est le caractère normatif des dispositions adoptées. C’est là une différence considérable avec les pays anglo-saxons qui préfèrent, comme nous l’avons vu, le système des recommandations. Celles-ci ne sont pas absentes du dispositif français, puisque le CCNE émet des recommandations, mais tout cela est fixé dans des textes normatifs, de préférence dans la loi. La première loi à citer en ce sens est la loi que l’on appelle, du nom de ses initiateurs29, la loi Huriet-Sérusclat, du 20 décembre 1988, provenant de l’initiative de parlementaires venant de bords politiques différents et qui fut votée à l’unanimité.
35Un autre point encore à relever est le fait que de nouvelles situations se présentent en permanence, appelant des réponses de la part du CCNE, parfois du juge administratif, tout cela pouvant se terminer par l’adoption de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires. Un cas mérite quelques observations en ce sens, celui des malades en état végétatif chronique. Des expérimentations ont été effectuées, et différentes autorités ont été amenées à se prononcer. Le CCNE a rendu en 1986 un avis à propos d’expérimentations effectuées sur ces malades30. Le médecin déclarait que ces malades sont « des modèles humains presque parfaits et constituent des intermédiaires entre l’animal et l’homme31 ». Le CCNE a condamné cette position, et les propos tenus qui, ainsi que le dit le langage populaire, « font un peu froid dans le dos ».
36Le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur une expérimentation, concernant d’ailleurs le même médecin, sur un cadavre. Le Conseil d’État, comblant ce que le commissaire du gouvernement a appelé un « vide législatif », a déclaré que « les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui s’imposent au médecin dans ses rapports avec son patient, ne cessent pas de s’appliquer après la mort de celui-ci32 », ce qui exclut certaines expérimentations post mortem, René Chapus ayant qualifié cet arrêt de « remarquable par son éminente signification philosophique33 ».
37En matière de santé, le principe est d’abord celui du consentement du patient, et ce principe est si général qu’il ne figure pas d’abord dans le code de la santé publique mais dans le code civil, en son article 16-334. Le code de la santé publique rappelle cette exigence du consentement à l’article L. 1111-4 (de nombreux autres articles de ce code y faisant référence), ainsi que le devoir corrélatif du médecin d’informer son patient35. Ce consentement doit être éclairé, et la jurisprudence tant judiciaire qu’administrative sur cette notion de consentement éclairé est plus qu’abondante.
38Le code de la santé publique comporte tout un chapitre relatif aux « Principes généraux relatifs aux recherches impliquant la personne humaine », aux articles L. 1121-1 et suiv.
39La loi commence par distinguer trois catégories de recherches impliquant la personne humaine :
les recherches interventionnelles qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle ;
les recherches interventionnelles qui ne comportent que des risques et des contraintes minimes, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé publique, après avis du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;
Les recherches non interventionnelles qui ne comportent aucun risque ni contrainte dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle.
40La personne physique ou la personne morale, qui est responsable d’une recherche impliquant la personne humaine, en assure la gestion et vérifie que son financement est prévu : elle est dénommée le promoteur. Celui-ci ou son représentant légal doit être établi dans l’Union européenne. Lorsque plusieurs personnes prennent l’initiative d’une même recherche impliquant la personne humaine, elles désignent une personne physique ou morale qui aura la qualité de promoteur et assumera les obligations correspondantes. La ou les personnes physiques qui dirigent et surveillent la réalisation de la recherche sur un lieu sont dénommées investigateurs. Lorsque le promoteur d’une recherche impliquant la personne humaine confie sa réalisation à plusieurs investigateurs sur plusieurs lieux en France, le promoteur désigne parmi les investigateurs un coordonnateur.
41La loi énonce un certain nombre d’interdictions de recherche. Aucune recherche impliquant la personne humaine ne peut être effectuée : si elle ne se fonde pas sur le dernier état des connaissances scientifiques et sur une expérimentation préclinique suffisante ; si le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à la recherche est hors de proportion avec le bénéfice escompté pour ces personnes ou pour l’intérêt de cette recherche ; si elle ne vise pas à étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens susceptibles d’améliorer sa condition ; si la recherche impliquant la personne humaine n’a pas été conçue de telle façon que soient réduits au minimum la douleur, les désagréments, la peur et tout autre inconvénient prévisible lié à la maladie ou à la recherche, en tenant compte particulièrement du degré de maturité pour les mineurs et de la capacité de compréhension pour les majeurs hors d’état d’exprimer leur consentement.
42L’article L. 1121-2 du code de la santé publique précise, à son alinéa 6 : « L’intérêt des personnes qui se prêtent à une recherche impliquant la personne humaine prime toujours les seuls intérêts de la science et de la société. »
43Les recherches ne peuvent être effectuées que si elles sont réalisées dans les conditions suivantes : sous la direction et sous la surveillance d’un médecin justifiant d’une expérience appropriée ; dans des conditions matérielles et techniques adaptées à la recherche et compatibles avec les impératifs de rigueur scientifique et de sécurité des personnes qui se prêtent à ces recherches36. La recherche interventionnelle qui comporte une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle ne peut être mise en œuvre qu’après avis favorable d’un comité de protection des personnes et autorisation de l’autorité compétente37, les recherches interventionnelles qui ne comportent que des risques et des contraintes minimes ainsi que les recherches non interventionnelles ne peuvent être mises en œuvre qu’après avis favorable du comité de protection des personnes cité ci-avant.
44Des dispositions particulières sont prévues pour les recherches sur les parturientes et les femmes qui allaitent38, les personnes privées de liberté par une décision judiciaire ou administrative, les personnes faisant l’objet de soins psychiatriques en vertu des articles L. 3212-1 et L. 3213-1 du code de la santé publique et les personnes admises dans un établissement sanitaire ou social à des fins autres que celles de la recherche. Des dispositions comparables sont édictées pour les recherches sur les mineurs, ainsi que sur les personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection légale ou hors d’état d’exprimer leur consentement.
45À noter également que les personnes qui ne sont pas affiliées à un régime de Sécurité sociale ou bénéficiaires d’un tel régime peuvent être sollicitées pour se prêter à des recherches non interventionnelles dans des conditions similaires.
46Le promoteur assume l’indemnisation des conséquences dommageables de la recherche impliquant la personne humaine pour la personne qui s’y prête et celle de ses ayants droit, sauf preuve à sa charge que le dommage n’est pas imputable à sa faute ou à celle de tout intervenant sans que puisse être opposé le fait d’un tiers ou le retrait volontaire de la personne qui avait initialement consenti à se prêter à la recherche39. Toute recherche interventionnelle exige la souscription préalable, par son promoteur, d’une assurance garantissant sa responsabilité civile et celle de tout intervenant, indépendamment des liens existant entre les intervenants et le promoteur.
47La recherche impliquant la personne humaine ne donne lieu à aucune contrepartie financière directe ou indirecte pour les personnes qui s’y prêtent, hormis le remboursement des frais exposés et, le cas échéant, l’indemnité en contrepartie des contraintes subies versées par le promoteur. Le montant total des indemnités qu’une personne peut percevoir au cours d’une même année est limité à un maximum fixé par le ministre chargé de la santé. Le versement d’une telle indemnité est interdit dans le cas des recherches effectuées sur des mineurs, des personnes qui font l’objet d’une protection légale, des personnes majeures hors d’état d’exprimer leur consentement, des personnes privées de liberté, des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et des personnes admises dans un établissement sanitaire et social à d’autres fins que la recherche. Les personnes susceptibles de se prêter à des recherches interventionnelles qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle bénéficient d’un examen médical préalable adapté à la recherche.
48Aucune recherche ne peut être effectuée sur une personne décédée, en état de mort cérébrale, sans son consentement exprimé de son vivant ou par le témoignage de sa famille. Toutefois, lorsque la personne décédée est un mineur, ce consentement est exprimé par chacun des titulaires de l’autorité parentale. En cas d’impossibilité de consulter l’un des titulaires de l’autorité parentale, la recherche peut être effectuée à condition que l’autre titulaire y consente.
49Les recherches impliquant la personne humaine et leurs résultats sont inscrits dans un répertoire d’accès public selon des règles déterminées par décret.
50Pendant la durée de la recherche, le promoteur fournit gratuitement les médicaments expérimentaux et, le cas échéant, les médicaments auxiliaires, les dispositifs médicaux utilisés pour les administrer, ainsi que, pour les recherches portant sur des produits autres que les médicaments, les produits faisant l’objet de la recherche.
51On le voit, l’innovation nourrit l’expérimentation, est à l’origine de nouvelles expérimentations. Mais celles-ci apparaissent aujourd’hui comme un facteur de nouvelles inégalités.
II. L’expérimentation facteur de nouvelles inégalités
52Nous vivons une situation assez inédite en raison des innovations constantes en matière médicale, le progrès s’étant accéléré dans ce domaine comme en d’autres. Cependant, et c’est un trait particulier de cette évolution, si ces innovations profitent à tous, c’est de manière différenciée, elles bénéficient plus à certains qu’à d’autres40. Cela crée des inégalités, et des inégalités qu’il est difficile de combattre.
A. Les innovations en santé, source de nouvelles inégalités
53Les politiques de santé conduites dans notre pays depuis plus d’un demi-siècle ont cherché à réduire les inégalités. La généralisation progressive de la Sécurité sociale est l’expression de cette volonté politique fondée sur l’idée de solidarité41. Mais aujourd’hui cette idée de solidarité est, sur le plan de l’expérimentation au moins, largement battue en brèche. Cela vaut, de manière presque caricaturale, entre les pays développés et les pays en développement, cela vaut également au sein même des pays développés.
54Ces inégalités se produisent naturellement au détriment des pays en développement et un constat peut facilement être établi, dont découlent des conséquences qui ne sont évidemment pas favorables auxdits pays.
55Le constat suivant peut être dressé, dans sa brièveté et sa dureté : les entreprises pharmaceutiques expérimentent sur les populations pauvres des pays en développement des produits destinés aux populations des pays riches, ou tout au moins développés. Certes, le constat appellerait des nuances, car ceci ne concerne ni toutes les populations des pays en développement, ni toutes les populations des pays développés. Il n’empêche qu’il correspond bien à une réalité.
56Un grand romancier britannique, John le Carré, a illustré cette situation, ou ce phénomène, avec un roman intitulé The Constant Gardener, traduit en français sous le nom La constance du jardinier, publié en France à la fin de l’année 2000, et qui a été d’ailleurs porté à l’écran42. Le thème est celui d’un diplomate britannique qui se trouve au Kenya et dont la femme, militante altermondialiste, travaille avec une ONG pour enquêter sur les pratiques de deux entreprises pharmaceutiques dans la lutte contre le sida. Et, sans doute, il faut faire la part de ce qui est roman, et de la distance qu’il convient de prendre avec un film, surtout si celui-ci est réussi (ce qui est le cas en l’espèce), l’émotion suscitée par les images pouvant avoir tendance à prendre le pas sur le raisonnement.
57Néanmoins, le phénomène ne paraît pas niable, plusieurs enquêtes allant dans le même sens43. Le fait est, comme le rappelle l’auteur de l’ouvrage précité, que nous consommons de plus en plus de médicaments, qui nous aident à mieux vivre en bonne santé pendant plus longtemps, et qui améliorent effectivement le confort de vie de nombreuses personnes dans tout l’Occident (ainsi que des pays sortis du sous-développement dans d’autres régions du monde). Mais nous souhaitons également que ces médicaments soient pris sans risque, ou avec le minimum de risques44. Cela implique de nombreux essais thérapeutiques et, comme rappelé au début de ce texte, les essais sur l’homme sont inévitables.
58Pourquoi cette situation décrite plus haut, pourquoi les pays en développement sont-ils une « cible » privilégiée de l’industrie pharmaceutique ? Les raisons en sont facilement compréhensibles. Du côté des pays riches, la demande de médicaments, notamment de médicaments « de confort », est de plus en plus grande, particulièrement – mais ils ne sont pas les seuls, même s’ils représentent la demande la plus forte – aux États-Unis d’Amérique du Nord. Mais ces populations qui sont demanderesses ne veulent pas assumer les risques des essais, qui peuvent être parfois très longs avant de parvenir à un résultat satisfaisant.
59Du côté des pays pauvres – plus exactement des populations pauvres des pays en développement, qui forment évidemment la très grosse majorité de la population –, à la fois les personnes physiques et les institutions sont portées à se prêter à ces expérimentations, pour une raison qui est similaire, qui est une raison financière. Les personnes physiques se voient promettre et attribuer une rétribution qui, quel qu’en soit le montant, représente une aide tentante pour des familles pauvres. Les institutions hospitalières sont également tentées d’accepter parce qu’elles ne disposent souvent que de maigres ressources, d’équipements insuffisants, et que l’aide d’un laboratoire pharmaceutique est bienvenue.
60Cette situation ne peut guère être considérée comme satisfaisante. Tout d’abord, il faut relever que, selon les ouvrages qui ont été cités – et sans qu’il soit possible à l’auteur du présent texte d’infirmer cette affirmation –, le phénomène n’est pas en régression mais en progression pour les raisons indiquées précédemment (demande accrue des consommateurs, perspectives de plus en plus larges ouvertes par les progrès de l’industrie pharmaceutique, etc.).
61Ces pratiques soulèvent un problème éthique (ou moral si l’on préfère) : les habitants des pays en développement qui se prêtent à ces expérimentations n’ont pas besoin des médicaments qui sont testés sur eux. Il suffit de relever les médicaments qui font le plus l’objet de telles expérimentations. Ils sont de trois ordres : les hypocholestérolémiants (le cholestérol étant un problème de pays riches…), les antidépresseurs (avec la même remarque45) et les traitements du dysfonctionnement érectile (qui concerne notamment les personnes d’un certain âge, âge auquel on ne parvient généralement pas dans les pays pauvres).
62Enfin, ces pratiques ont un effet pervers, parce que dans les pays pauvres, on n’expérimente pas, sauf exception, de médicaments qui correspondraient aux pathologies que l’on trouve dans ces pays, mais que l’on ne trouve pas ou plus dans les pays développés. Les instituts de recherche de ces pays en développement acceptent les ressources qui leur sont proposées par les laboratoires parce qu’elles constituent une manne financière pour eux, ils se détournent des recherches qui seraient utiles pour les populations de leur pays.
63Ces inégalités ne se constatent pas seulement en matière d’expérimentation mais se retrouvent plus largement dans le traitement de maladies : certaines régions du monde sont frappées plus que d’autres par certaines maladies, et ces régions sont situées dans des pays en développement. Parmi les exemples, celui du virus Ébola est révélateur. Ainsi que le déclaraient en 2014 le président de la Banque mondiale et un médecin anthropologue dans une tribune, le virus Ébola « est le reflet d’inégalités persistantes et croissantes d’accès aux soins de santé de base46 ».
64Le cas du virus Ébola, qui est une fièvre hémorragique, a soulevé des questions qui valent, au-delà de cette maladie, pour bien d’autres dans les pays pauvres : est-il souhaitable, compte tenu de l’urgence d’agir, de diffuser les traitements avant que tous les tests aient été effectués, sans connaître les effets secondaires (il y en a toujours, plus ou moins graves) ? Et si l’on répond positivement à cette question, auprès de qui faudrait-il les diffuser en priorité : auprès des malades ? des personnels soignant ? Et comment tenir la balance entre les exigences médicales et le respect des rituels accompagnant la mort d’un proche ?
65Le fait de faire partie d’un pays développé n’exclut pas de pâtir de certaines situations qui sont génératrices d’inégalités. Il faut rappeler d’abord, pour mémoire, les inégalités territoriales, qui ne répondent pas à notre sujet parce qu’elles ne concernent pas l’expérimentation. Pour autant, elles sont de plus en plus accusées. Ces inégalités territoriales font notamment référence à ce qu’il est convenu d’appeler les « déserts médicaux », qui concernent principalement l’installation des médecins libéraux mais également des équipements hospitaliers. Les pouvoirs publics essaient bien d’encourager de nouvelles pratiques pour pallier ces manques47, mais n’arrivent pas à trouver de véritables solutions. Et bien qu’en matière de soins tout soit de plus en plus « protocolisé », les inégalités sont grandes dans l’accès aux soins innovants selon la partie du territoire que l’on habite.
66Il peut être utile également de rappeler les orientations retenues dans la stratégie nationale de santé 2018-202248. Cette stratégie met en avant quatre axes prioritaires : « Promouvoir les comportements favorables à la santé, lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé, accroître la pertinence et la qualité des soins, innover. »
67Mais d’autres inégalités apparaissent, qui découlent des nouvelles techniques ou des expérimentations conduites en santé. Il convient de distinguer selon qu’il s’agit de médicaments de confort ou de médicaments pour les maladies qui mettent en jeu la vie des malades.
68S’agissant des médicaments dits de confort, les inégalités ont une moindre importance que dans le second cas cité, et l’on peut même contester l’existence d’inégalités. Cependant les innovations qui se succèdent peuvent autoriser de se poser la question. En voici un exemple, celui du traitement de l’apnée du sommeil49, qui a des conséquences sur le plan de la santé puisque cela entraîne un manque d’oxygénation, avec des risques cardiovasculaires50. La solution classique, et prise en charge par la Sécurité sociale, est celle du port d’un masque nasal tout au long de la nuit. L’inconvénient de ce système est qu’il est souvent mal supporté par les intéressés. Un nouveau dispositif a été expérimenté en 2017, consistant en la greffe d’un implant envoyant des stimuli électriques. Mais, outre que le dispositif n’est pas applicable à tous les cas d’apnée, il a un coût qui n’est pas pris en charge par la Sécurité sociale51.
69Beaucoup plus importante est, du point de vue qui nous intéresse, la question des inégalités face aux nouveaux traitements ou nouveaux médicaments destinés à lutter contre des maladies mettant en jeu la vie du malade. Ces maladies sont principalement représentées par les cancers52 et leucémies.
70Une situation tout à fait nouvelle se présente en effet depuis quelques années seulement. Des entreprises se sont créées53, généralement de petite taille, et se sont lancées dans les biotechnologies, mais en « visant » la production de molécules bien ciblées, ce qui explique qu’elles puissent parvenir, parfois assez rapidement, à des résultats spectaculaires. Certaines des molécules ainsi trouvées par ces entreprises de biotechnologies sont réellement efficaces.
71L’un des exemples récents (en 2017)54 est celui d’un nouveau traitement de thérapie génique découvert par une petite entreprise pour le traitement chez certains patients (enfants ou jeunes adultes) d’une forme de leucémie particulièrement agressive. Le traitement55 consiste à reprogrammer les cellules immunitaires d’un malade pour qu’elles soient en mesure de détruire les cellules cancéreuses. Ce traitement se révèle efficace56 mais il a un coût qui, au moment où ces lignes sont écrites, est exorbitant, de l’ordre de 475000 dollars. Cela montre que la question financière devient aiguë et, par là, est un facteur potentiel d’inégalités.
B. Des inégalités difficiles à combattre
72Signalons d’abord que, sur un plan éthique, les traitements innovants en matière de santé soulèvent de nouvelles interrogations, auxquelles il n’est pas facile de répondre de manière tranchée. En effet, et sans que cela soit contradictoire avec ce qui a été dit précédemment sur les populations des pays pauvres qui servent de « cobayes » pour les médicaments de confort, à partir du moment où le pronostic vital est engagé, il est compréhensible que des malades qui se savent condamnés à plus ou moins brève échéance demandent que leur soient appliqués des traitements expérimentaux, sur lesquels ils placent leur dernier espoir de vivre. Mais cette demande va directement à l’encontre des principes qui avaient été posés dans le code Nuremberg. Certaines associations de malades vont même jusqu’à demander que soit consacré un « droit à l’expérimentation », avec toutes les questions difficiles que cela soulève.
73Si l’on s’en tient au cadre de cet exposé, la principale difficulté rencontrée par les pouvoirs publics est de nature financière. D’où l’importance des dispositions relatives à la fixation du prix en France des médicaments.
74Il est question ici de la contrainte financière plutôt que des contraintes financières, pour globaliser ces contraintes, et les penser sur un plan plus élevé que les strictes et limitées considérations de dépenses et de bonne gestion. Les contraintes financières sont partout, dans tous les domaines, elles sont une sorte de composante obligée de toute politique publique parce que les ressources publiques ne sont pas un puits dans lequel on pourrait puiser indéfiniment. Sans doute ces considérations valent-elles pour toutes les époques, mais il fut un temps où cette contrainte était moins prégnante qu’aujourd’hui, avec les exigences réitérées de réduction des dépenses publiques et de résorption du déficit. Parler de la contrainte financière, dans notre domaine, c’est mettre l’accent sur la particularité de cette contrainte.
75Un aspect de la contrainte financière dans le domaine de la santé ne nous intéresse qu’indirectement, mais doit être rappelé, c’est la contrainte du renouvellement des équipements médicaux. En ce domaine, l’obsolescence est rapide, de nouveaux équipements plus performants arrivent chaque année sur le marché, et les établissements hospitaliers publics éprouvent des difficultés à « suivre le rythme57 ».
76La contrainte la plus préoccupante, désormais, est représentée par le coût des traitements. Deux exemples peuvent en être donnés. Le premier est celui de l’hépatite C. Il se trouve qu’en ce domaine, il s’est produit une véritable « révolution thérapeutique », avec l’arrivée de nouvelles molécules appelées antirétroviraux d’action directe (AAD), dont le principal représentant, dans les médicaments, est le Sovaldi, produit par le laboratoire Gilead. Le problème, comme l’on dit, est le coût de ce traitement. Après discussion avec le Comité économique des produits de santé (Ceps) dont il est question ci-après, et acceptation de baisse du prix, le coût de la boîte est de 13667 euros, soit, pour un traitement de trois mois, un coût de 41000 euros. Sachant que le nombre de personnes estimé atteintes par l’hépatite C est de 200000, et qu’environ 5000 nouveaux cas sont déclarés chaque année, cela représente un budget de 10 milliards par an. Selon l’Observatoire cancer de l’institut Curie, l’assurance maladie n’a pas pu provisionner une telle somme58.
77Un second exemple est celui du traitement des cancers. Quelques chiffres, par ailleurs très connus, au moins des spécialistes (et beaucoup moins, semble-t-il, du grand public) permettent de se faire une idée assez précise de la situation. Le nombre de personnes atteintes d’un cancer (passé ou actuel) est d’environ 3 millions dans la population française, soit environ 1/20e de cette population, ce qui est déjà un chiffre considérable59. 385000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année et, ainsi que cela a été rappelé plus haut, quelle que soit la forme des cancers60.
78Le coût annuel de la prise en charge par l’assurance maladie est de 16,1 milliards d’euros (soit environ 10 % des ressources de cette dernière), dont 3,2 milliards pour les médicaments anticancéreux. Le surcoût estimé des nouveaux traitements est de 1 milliard par an. L’une des voies actuellement considérée comme prometteuse pour la lutte contre le cancer, celle de l’immunothérapie, donne lieu à la découverte de nouvelles molécules dont la mise sur le marché est extrêmement onéreuse : ainsi par exemple, le Keytruda, du laboratoire MSD, et qui semble efficace contre un type de mélanome, sorti depuis peu sur le marché, est de 100000 euros61.
79Quoi qu’il en soit, le coût extrêmement élevé de ces nouveaux médicaments soulève de vives inquiétudes chez les médecins comme chez les responsables de l’assurance maladie. En 2017, le président de l’Institut Curie a écrit :
Le risque de voir s’installer des inégalités entre les patients touchés par le cancer n’a pas disparu, bien au contraire. Le prix des nouveaux médicaments continue d’augmenter, de sorte qu’arrivera forcément le moment où l’accès de tous les patients aux anticancéreux innovants ne sera plus possible62.
80Cette inquiétude n’est pas propre à la France : un rapport de l’OCDE de janvier 2017 va dans le même sens.
81Ces contraintes financières ont inévitablement des retentissements éthiques. Le bénéfice des nouvelles molécules est en effet variable : si dans certains cas les résultats sont spectaculaires, dans d’autres, le bénéfice est plus modeste, quelques mois de gagnés63. D’où la question : dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques, de rareté de la ressource, de la nécessité de faire des choix, est-il légitime que la solidarité nationale – c’est-à-dire, en l’espèce, l’assurance maladie – continue d’assumer le coût de quelques mois de survie ? Cette question est très complexe. D’une part, si une molécule prolonge en moyenne la vie du patient de trois mois, cela est intéressant pour un cancer qui tue en moyenne les patients au bout d’un an, ce bénéfice est moins évident pour un cancer dont 80 % des patients sont toujours en vie au bout de cinq ans. D’autre part, étant donné que l’on ne sait pas, pour un patient déterminé, quel sera l’effet du traitement, faire des distinctions aboutit nécessairement à des discriminations qui sont source d’inégalités64.
82La fixation du prix des traitements et des médicaments est une donnée essentielle d’une politique de santé publique. Dans une lettre de 2016, les trois (plus le secrétaire d’État) ministres concernés (à cette date) résument bien la problématique :
De nombreuses innovations thérapeutiques sont […] attendues et espérées au cours des prochaines années. Les patients doivent en bénéficier dans les meilleurs délais chaque fois que leur état de santé le justifie. La fixation du prix de ces molécules innovantes constitue une étape importante et doit être compatible avec la soutenabilité de la diffusion de ces traitements et un retour sur investissement pour les industriels65.
83Ou comment concilier l’inconciliable…
84Il a été créé auprès des ministres compétents un Comité économique des produits de santé. C’est un organisme interministériel placé sous l’autorité des ministres chargés de la santé, de la Sécurité sociale et de l’économie66. Le comité contribue à l’élaboration de la politique économique du médicament et des produits et prestations mentionnés à l’article L. 165-1 du code de la Sécurité sociale. Il met en œuvre les orientations qu’il reçoit des ministres compétents, en application de la loi de financement de la Sécurité sociale. Ces orientations portent notamment sur les moyens propres à assurer le respect de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie mentionné à l’article L. 1431-1 du code de la santé publique. Les prix de vente au public des médicaments, les tarifs et, le cas échéant, les prix des produits et prestations fixés par le comité sont publiés au JO de la République française.
85Le comité comprend, outre son président et deux vice-présidents, choisis par l’autorité compétente de l’État en raison de leur compétence dans le domaine de l’économie de la santé, quatre représentants de l’État, trois représentants des caisses nationales d’assurance maladie et un représentant de l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire. Il est composé de deux sections, la section du médicament et la section des dispositifs médicaux. Les prix ou les tarifs sont fixés de préférence par la voie de conventions conclues avec les entreprises commercialisant les produits ou, pour certains dispositifs médicaux, avec les organisations professionnelles représentatives de ces entreprises.
86La lettre précitée des ministres concernés, en date du 17 août 2016, réitère un certain nombre de recommandations. Elle évoque « la priorité donnée à l’innovation », la nécessité de « définir avec les laboratoires un niveau de remise qui garantisse à la fois l’efficience du produit et un impact budgétaire soutenable », de maîtriser « le surcoût de l’innovation » en veillant à « trouver des réponses conventionnelles », d’établir « une doctrine de prise en compte de l’efficience des produits et de leur impact budgétaire », etc. On se rend compte, à la lecture de ces recommandations, que le Ceps a un rôle très difficile, devant à la fois favoriser l’admission des patients aux innovations thérapeutiques et tenir compte des finances publiques, ce qui est, nonobstant le langage administratif qui ne peut occulter toutes ces difficultés, la « quadrature du cercle ». Les inquiétudes manifestées par les médecins et les associations de patients sont donc justifiées.
87Les années qui viennent vont donc être marquées par cette tension entre une demande croissante de médicaments innovants de la part de patients souffrant de maladies graves, et une difficulté tout aussi grande des organismes de Sécurité sociale pour assumer le coût de ces dépenses, ce qui peut être source d’inégalités dans l’accès aux soins.
88Mais ces années à venir seront également marquées par d’autres tensions, qui ne relèvent plus de l’organisation des soins ou de la recherche de financements adaptés, mais de l’éthique. Les questions éthiques se multiplient, elles résultent des nouvelles possibilités. Les dispositions législatives adoptées ou à venir concernant la PMA, la GPA ou la fin de vie ont des incidences sur l’ensemble de la société et soulèvent de manière évidente de nombreuses questions éthiques. D’autres questions éthiques découlent de l’utilisation de nouvelles techniques, telles la bio-impression en 3D, ou encore du développement de cellules souches humaines dans un embryon d’animal (en particulier une truie, en raison de la parenté de certains tissus cellulaires) en vue d’obtenir des organes « humanisés » pouvant être greffés sur l’homme.
89Toutes ces expérimentations mettent en évidence une tension plus fondamentale entre la liberté et la dignité67. En effet, au moment de la Révolution, c’est la liberté qui est mise en valeur, qui est même la valeur par excellence, les autres lui étant subordonnées. Avec les excès du libéralisme économique, l’inégalité entre le faible et le fort68, des mécanismes de solidarité ont peu à peu été mis en place, et une autre notion s’est imposée progressivement comme une valeur, la dignité de la personne humaine. Aujourd’hui, il semble que nous entrions dans un autre cycle, où la liberté de chacun quant aux choix à faire dans tous les domaines l’emporterait sur la dignité. Si ces tendances se confirment69, c’est une nouvelle société qui se dessinerait, mais dont nul ne peut aujourd’hui établir les contours.
Notes de bas de page
1 Cela peut paraître tout à fait secondaire mais ne l’est pas en réalité car le fait de désigner une chose implique une réflexion, plus ou moins élaborée, sur ce que l’on fait, un recul par rapport à la chose.
2 Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, Baillière et fils, 1865, p. 9.
3 Art. R. 5121 du code de la santé publique.
4 Claude Tresmontant, « Les sciences expérimentales et le point de départ de l’analyse philosophique », 1977. L’auteur poursuit : « Avec les sciences expérimentales, l’humanité apprend à penser correctement. Elle apprend ce qu’est le rationalisme à base expérimentale. Elle apprend à distinguer la pensée contrôlée par l’expérience, et la pensée mythique ». Ces phrases sont tirées d’un texte publié sur Internet, extrait de Sciences de l’univers et problèmes métaphysiques, Paris, Seuil, 1976.
5 Les préoccupations d’hygiène existent en revanche et, à plusieurs reprises, les rois adoptent des mesures visant à assainir les rues des villes, notamment de la capitale.
6 La formule est nécessairement rapide et l’on ne peut entrer dans les détails, elle est donc en partie inexacte car, d’une part, le religieux peut prendre des formes extrêmement variées, d’autre part, il n’est nullement certain que, dans l’acception large qu’il peut avoir, le religieux ait déserté le champ scientifique, il peut être masqué ou non avoué comme tel.
7 Certains chercheurs envisagent même de transplanter la tête d’un être humain affecté par une maladie (telle une sclérose latérale amyotrophique) sur un autre corps, plus jeune et sain…
8 Le dernier paru, au moment où avait lieu ce colloque, celui de Jean-François Mattei, Questions de conscience. De la génétique au posthumanisme, Paris, Les liens qui libèrent, 2017, en est une bonne illustration.
9 Dans les deux cas il s’agit bien d’une autorisation, mais ce n’est pas le même régime juridique qui est applicable.
10 Ce taux d’échec est si élevé qu’il soulève lui-même des interrogations sur l’utilité de la multiplication de certaines expérimentations.
11 Geneviève de Gaulle-Anthonioz, La traversée de la nuit, Paris, Seuil 1998.
12 Voir Pierre Amiel, « L’expérimentation sur l’être humain », dans Jean-Marc Mouillie et al., Médecine et sciences humaines. Manuel pour les études médicales du Collège des enseignants en sciences humaines en médecine, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 564 et suiv. Voir également id., Des cobayes et des hommes. Expérimentation sur l’être humain et justice, Paris, Les Belles Lettres, 2011. Nous empruntons à cet auteur les développements qui suivent sur le procès de Nuremberg.
13 Le code Nuremberg est en fait une section du jugement qui définit les « expériences médicales acceptables ».
14 La version donnée ici est celle qui est utilisée par le CCNE, notamment dans son avis no 2 du 9 octobre 1984 sur les essais de nouveaux traitements chez l’homme, et par le Conseil d’État dans son rapport qui a précédé le vote de la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1984 (sur cette loi, voir infra).
15 Pierre Amiel cite un auteur, Jay Katz, selon lequel « c’était un bon code pour les barbares, mais un code inutile pour les médecins normaux » (« The Consent Principle of the Nuremberg Code », dans George J. Annas, Michael A. Grondin, The Nazi Doctors and the Nuremberg Code. Human Rights in Human Experimentation, Oxford, Oxford University Press, 1992, p. 228).
16 La thalidomide était un médicament utilisé entre les années 1950 et 1960 comme sédatif et antinauséeux. Il fut notamment utilisé par les femmes enceintes, et il eut des effets tératogènes (phocomélies, c’est-à-dire atrophie des membres à la naissance).
17 L’Association médicale mondiale (AMM, WMA en anglais) est une association de médecins fondée le 17 septembre 1947, lors de la première assemblée générale de cette association qui s’est tenue à Paris. Elle œuvre notamment en matière d’éthique médicale.
18 Voir notamment Pierre Amiel, publications précitées.
19 Normalement, il existe une différence nette entre l’expérience et l’expérimentation : l’expérience est ce que chacun peut éprouver, volontairement ou, le plus souvent, involontairement, l’expérimentation, elle, se situe dans une démarche scientifique, en observant un phénomène et en cherchant à faire varier les paramètres qui commandent ce phénomène pour en comprendre la signification. Mais la distinction n’est pas toujours aussi claire.
20 Il n’est pas très étonnant que les travaux de la commission se soient traduits par une recommandation plutôt que par une réglementation, d’une part parce que les pays anglo-saxons préfèrent la première à la seconde, d’autre part, parce que ce domaine de l’éthique médicale se prête plus aux recommandations qu’à la réglementation. On peut comparer également avec les « bonnes pratiques » que le Conseil d’État a consacrées dans le domaine médical et hospitalier.
21 C’est le cas aux États-Unis jusqu’à présent. L’expérimentation donnant lieu au versement d’une certaine somme d’argent, cela incite les plus démunis à se proposer comme objet d’études. Accepter l’expérimentation est également un moyen pour ceux qui n’en ont pas les moyens d’entrer dans le système de protection sociale et d’en bénéficier.
22 Dans certains pays, la déficience mentale est considérée comme un signe de malédiction divine. Les familles cherchent, au mieux, à cacher le membre qui est atteint, et essaient assez souvent de s’en débarrasser en le confiant à une association ou une institution publique.
23 Décret no 83-132 du 23 février 1983 portant création d’un Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la société.
24 Mais il est vrai que la tradition française n’allait pas dans le sens de l’institution d’organismes de ce genre dans notre pays.
25 Avis sur les essais de nouveaux traitements chez l’homme. Réflexions et propositions, 9 octobre 1984.
26 Art. L. 1412-2 du code de la santé publique.
27 Les autorités publiques indépendantes se différencient des autorités administratives indépendantes, mais la loi organique no 2017-54 du 20 janvier 2017 et la loi no 2017-55 du même jour ont établi un statut commun à ces deux catégories d’autorités soustraites à la hiérarchie administrative.
28 Art. L. 1412-1 du code de la santé publique.
29 Cela soulève un autre problème : nous avons un corpus normatif très développé dans tous les domaines, et certains ont suggéré de ne plus appeler un texte de loi par les ministres ou les parlementaires qui en sont à l’origine pour calmer l’ardeur desdits ministres ou parlementaires à déposer des projets ou des propositions de loi en vue de « passer dans l’histoire ».
30 Avis sur les expérimentations sur des malades en état végétatif chronique no 7, 24 février 1986.
31 Cette formule du médecin en question figure dans l’avis précité.
32 CE Ass. 2 juillet 1983, Milhaud, Rec., p. 194, concl. D. Kessler, AJDA 1993, p. 530, chron. C. Mauguë et L. Touvet, D. 1994, note J.-M. Peyrical, p. 74, JCP, 1993, note P. Gonod no 22133, JCP 1993, I, no 3700, chron. E. Picard.
33 René Chapus, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, 2001, p. 100.
34 « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre expérimental dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »
35 « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose » (art. R. 4127- 35 du code de la santé publique).
36 L’art. L. 1121-3 précise les conditions de la recherche pour les domaines particuliers que sont le domaine de l’odontologie, le domaine de la maïeutique, le domaine des soins infirmiers.
37 Le comité de protection des personnes est mentionné à l’art. L. 1123-1 du code de la santé publique et l’autorité compétente est précisée à l’art. L. 1123-12 du même code.
38 Les personnes en question ne peuvent être sollicitées pour des recherches que dans les conditions suivantes : soit l’importance du bénéfice escompté pour elles-mêmes ou pour l’enfant est de nature à justifier le risque prévisible encouru ; soit ces recherches se justifient au regard du bénéfice escompté pour d’autres femmes se trouvant dans la même situation ou pour leur enfant et à la condition que des recherches d’une efficacité comparable ne puissent être effectuées sur une autre catégorie de la population. Dans ce cas, les risques prévisibles et les contraintes que comporte la recherche doivent présenter un caractère minimal.
39 Lorsque la responsabilité du promoteur n’est pas engagée, les victimes peuvent être indemnisées dans les conditions prévues à l’art. L. 1142-3 du code de la santé publique (cet article fait partie d’un chapitre intitulé « Risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé », qui fait lui-même partie d’un titre intitulé « Réparation des conséquences des risques sanitaires »).
40 Nous n’abordons pas ici les inégalités susceptibles de résulter de la maîtrise de plus en plus grande sur les mécanismes du vivant. D’une part, ce thème fait l’objet d’une contribution, celle de Maryse Deguergue, d’autre part, ces inégalités sont potentielles ou hypothétiques, nul se sachant exactement sur quoi vont déboucher toutes les expérimentations en cours, même si certains auteurs pensent qu’elles sont « de véritables danses avec le diable » (Jean-Pierre Dickès, La fin de l’espèce humaine, Paris, Éditions de Chiré, 2017, p. 78).
41 La notion de solidarité a donné lieu à de nombreuses publications. S’agissant de la solidarité appliquée à notre domaine, voir Michel Borgetto et Robert Lafore, La République sociale, Paris, Puf 2000 ; Jean-Marie Pontier, « De la solidarité nationale », RDP, 1983, p. 899.
42 Le film, dont l’intitulé est, selon les pays, en anglais ou en français, est de Fernando Meirelles, il est sorti en France en 2005.
43 Voir notamment l’ouvrage de Sonia Shah, Cobayes humains. Le grand secret des essais pharmaceutiques, préf. par J. Le Carré, Paris, Demopolis, 2007.
44 On sait que, quelles que soient les précautions prises, le risque demeure, d’abord parce que chaque personne est unique, que certaines personnes peuvent réagir d’une manière différente de la réaction « normale » ou attendue, et ensuite parce que certains effets ne se manifestent que dans le temps. Mais la préoccupation est de limiter le plus possible les effets indésirables, à plus forte raison les effets inacceptables.
45 Certes, ce que l’on appelle en Occident « dépression » (terme non médical qui peut recouvrir diverses pathologies) n’est pas inconnu dans les pays en développement, mais les habitants de ces derniers n’ont souvent pas le « loisir » de se poser de telles questions.
46 Jim Yon Kim, Paul Farmer, Washington Post, 31 août 2014. Les deux auteurs ajoutaient : « L’argument qui consiste à ne rien entreprendre a été évoqué au fil des ans comme excuse pour ne pas prendre de mesures pour lutter contre la tuberculose pharmaco-résistante, le paludisme et d’autres maladies qui frappent surtout les pauvres. »
47 Par exemple les pouvoirs publics ont lancé en 2017 un plan pour développer la télémédecine. Voir, pour un point de vue sur la question, Jean-Marie Pontier, « Il n’y a plus de Casanova », AJDA, 2017, p. 2161.
48 Stratégie nationale de santé 2018-2020, ministère des Solidarités et de la Santé 2017.
49 L’apnée du sommeil, qui toucherait en France près de 2 millions de personnes, se traduit par une fermeture du pharynx pendant une durée de dix à quarante secondes, plusieurs fois par nuit.
50 Sans compter les neurones, qui sont des cellules fragiles qui n’apprécient guère le manque d’oxygénation.
51 Ce coût était estimé en 2017 à 17000 euros.
52 Rappelons que le cancer, sous ses différentes et multiples formes, est la première cause de décès dans notre pays (environ 150000 décès par an).
53 Ce sont ce que l’on appelle des start-up (ou « jeunes pousses » en français) qui se sont multipliées dans cette économie numérique et mondialisée.
54 En ce domaine, les choses évoluent très rapidement. Ce que l’on constate une année donnée, ici 2017 (date du colloque et de la contribution écrite), peut ne plus valoir deux ans après. Cette remarque est à prendre en compte notamment pour les données financières relevées ici, et qui peuvent changer assez rapidement.
55 Ce traitement porte la dénomination de Kymriah.
56 On n’évoque pas ici les effets qualifiés de « secondaires » qui peuvent être très lourds et impliquent eux-mêmes la prise d’autres médicaments.
57 Il s’agit certes d’une contrainte financière, mais à celle-ci s’ajoutent des procédures administratives fort lourdes, notamment la nécessité de passer des marchés publics, et il peut arriver qu’au moment où l’équipement est livré il soit déjà dépassé, les établissements privés ayant naturellement une « réactivité » plus grande.
58 Cette observation va à l’encontre du discours rassurant tenu par les ministres dans la lettre des ministres du 17 août 2016 citée ci-après.
59 Ce chiffre, comme ceux qui suivent, sont tirés du site Observatoire cancer, de l’institut Curie.
60 On a tendance à parler « du » cancer, alors qu’il existe une multitude de cancers (même si l’un des points communs est la prolifération anarchique de cellules), dont les traitements sont très différenciés. Les chiffres donnés incluent également les leucémies, elles aussi très diverses.
61 Ce chiffre est celui de la fin 2017. Comme dit précédemment, le prix du médicament peut évoluer à la baisse, après discussion avec les organismes nationaux compétents, notamment, en France, le Ceps. Il est très difficile de se faire une idée exacte du coût de mise au point d’un tel médicament, et du « bénéfice » que le laboratoire cherche à en tirer.
62 Pr Thierry Philip, président de l’institut Curie, tribune publiée sur Theconversation.com et reproduite sur le site de l’institut Curie.
63 Au surplus, on ne sait pas nécessairement à l’avance quel sera le bénéfice pour le patient, de quelques semaines ou de quelques années.
64 Et notamment, dans un tel cas, entre ceux, peu nombreux, qui ont ou auraient les moyens financiers d’assumer une prise en charge, et les autres.
65 Lettre des ministres des Finances et des Comptes publics, des Affaires sociales et de la Santé, de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique au président du Ceps, 17 août 2016.
66 Cet organisme n’est donc pas doté de la personnalité morale, ce que souligne le fait qu’il est placé « sous l’autorité » desdits ministres.
67 Opposition bien mise en évidence par Jean-François Mattei (Questions de conscience, op. cit.).
68 On est tenté évidemment de faire référence à la célèbre formule de Lacordaire, prononcée lors de l’une de ses conférences de Carême, mais il est préférable de la laisser ici de côté en raison des fausses interprétations qui en ont été données, la loi à laquelle se réfère Lacordaire étant la loi divine et non la loi en droit positif.
69 Les différents sondages effectués début 2018 auprès de la population française dans le cadre de la réforme de la loi dite « bioéthique », et avec toutes les précautions qu’il convient de prendre avec ces sondages (les réponses, surtout dans des domaines aussi délicats et complexes que celui-ci, dépendent beaucoup de la manière dont les questions sont posées) semblent montrer un « libéralisme » de plus en plus grand des Français dans ce domaine.
Auteur
Professeur émérite de droit public à l’université d’Aix-Marseille.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Environnement et santé
Progrès scientifiques et inégalités sociales
Maryse Deguergue et Marta Torre-Schaub (dir.)
2020
La constitution, l’Europe et le droit
Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Masclet
Chahira Boutayeb (dir.)
2013
Regards croisés sur les constitutions tunisienne et française à l’occasion de leur quarantenaire
Colloque de Tunis, 2-4 décembre 1999
Rafâa Ben Achour et Jean Gicquel (dir.)
2003
Itinéraires de l’histoire du droit à la diplomatie culturelle et à l’histoire coloniale
Jacques Lafon
2001
Des droits fondamentaux au fondement du droit
Réflexions sur les discours théoriques relatifs au fondement du droit
Charlotte Girard (dir.)
2010
François Luchaire, un républicain au service de la République
Jeannette Bougrab et Didier Maus (dir.)
2005