Introduction
p. 5-13
Texte intégral
1Dans la ligne de recherches antérieures sur les OGM ou sur le bien-être dans leurs rapports avec le droit1, le Centre d’études et de recherches sur l’administration publique (Cerap ISJPS, UMR 8103) de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a considéré comme opportun de s’interroger sur les inégalités générées par les progrès scientifiques et technologiques, en croisant son regard dans les domaines de l’environnement et de la santé, au cœur des politiques publiques contemporaines et des préoccupations de l’humanité.
2Rassemblant les contributions d’un colloque qui s’est tenu le 7 décembre 2017 sous le titre « Les inégalités face aux innovations scientifiques et technologiques. Regards croisés en environnement et santé », le présent ouvrage intègre la notion générique de progrès scientifique et technologique, même s’il ne comporte pas de réflexion spécifique sur le progrès. Il a été considéré que la notion de progrès est sous-jacente aux innovations scientifiques et technologiques et a pu nourrir les réflexions de tous les auteurs à des degrés divers. Étant donné que les innovations sont plus prégnantes dans le domaine de la santé que dans le domaine de l’environnement, il est apparu que le progrès scientifique et technologique était une expression à la fois plus neutre et plus tentaculaire, pouvant être considérée comme un donné concernant tous les secteurs d’activité avec des avancées profitables tant aux individus qu’aux sociétés dans leur ensemble, même si des inconvénients les accompagnent souvent.
3 Selon la Chapelle de l’humanité, sise rue Payenne à Paris, dernier temple positiviste existant en Europe et édifié d’après les plans du philosophe Auguste Comte par des positivistes brésiliens en 1903, la religion de l’humanité serait « l’amour pour principe et l’ordre pour base, le progrès pour but » ; cette phrase est la devise positiviste. Indépendamment des progrès de l’esprit humain vers plus de solidarité et de fraternité qui dépendent en grande partie des structures du pouvoir dans la société des hommes, le progrès est habituellement assimilé à celui des sciences et des techniques. Les innovations scientifiques et technologiques ont en effet innervé les xixe et xxe siècles dans un contexte de célébration du progrès technique – ne parle-t-on pas de la religion du progrès ? – considéré comme libérateur, tant les modes de vie des personnes que la perception par celles-ci de la vie en société ont été bouleversés par des découvertes ou des inventions améliorant le bien-être collectif et individuel. L’acception du progrès a en conséquence été généralement positive et rarement entendue comme régressive.
4La réalité du xxie siècle est sensiblement différente des représentations traditionnelles que véhicule l’idée de progrès. Le changement climatique aujourd’hui – ou le voisinage des installations polluantes à travers les âges – et les injustices environnementales qu’il génère, les bulles technologiques, les déserts médicaux ou les expérimentations en santé, pouvant aller jusqu’à l’augmentation technologique des êtres humains, révèlent des inégalités insoupçonnées et sans doute la part sombre ou maléfique du progrès. Comme a pu l’expliquer le professeur d’histoire du droit Sylvain Soleil dans une brillante conférence préparatoire au colloque, le progrès est à la fois mouvement et déstabilisation, bénédiction et malédiction. Il est le propre de l’homme et la voie de son salut, que ce dernier soit d’ailleurs d’essence mystique ou laïque. Le colloque et l’ouvrage dont il est issu ont eu pour ambition de débusquer ces inégalités, part maléfique du progrès, dans les deux secteurs de l’environnement et de la santé, choisis, pour le premier en ce qu’il est présenté comme victime du progrès, pour le second en ce qu’il est reconnu comme la voie triomphale du progrès.
5Il ne s’est pas agi d’instruire le procès du progrès, mais simplement de mettre en lumière le fait que les innovations scientifiques et technologiques sont consubstantiellement porteuses d’inégalités, tant dans l’accès à celles-ci que dans leur application à tous les hommes. Le choix fait dans cet ouvrage de contempler les écueils des progrès scientifiques et technologiques sous le prisme des inégalités vient aussi du constat qu’il convient de retravailler et de repenser les liens entre les inégalités (environnementales, écologiques, en santé) comme autant d’inégalités sociales et économiques dont le droit doit se saisir. Si la problématique n’est pas totalement nouvelle, car elle apparaît déjà au xixe siècle et se renouvelle dans les années 1970, force est de constater la méconnaissance du sujet en Europe et en France, chez les juristes, jusqu’à une date très récente. Le décideur politique, quant à lui, n’intègre ces problématiques que très tardivement et partiellement, sans engager une réflexion globale sur le sujet, pourtant devenue nécessaire aujourd’hui. Chacun des contributeurs tente de dépasser l’ordre du constat en explorant les voies d’une réduction de ces inégalités, sans pouvoir prétendre détenir la pierre philosophale, tant la question des inégalités est sensible dans un pays passionné par l’égalité. Si l’injustice est ressentie plus intensément que la justice et avant elle, le même constat peut être dressé pour les inégalités, plus visibles que l’égalité, et de moins en moins bien tolérées, comme le montrent les mouvements spontanés de contestation citoyenne.
6Outre les différentes propositions ici recueillies, cet ouvrage a tenté, avant tout, de mettre en avant la nécessité de « réarticuler » la question sociale aux questions écologique, sanitaire et politique. C’est dans ce creuset que les différents contributeurs, par un croisement des disciplines juridique, sociologique, philosophique, géographique ont mis en lumière la gravité de certaines situations discriminatoires et de grande vulnérabilité. Les réflexions qui suivent viennent à point nommé avant l’entrée de l’humanité dans l’ère de la robotique et avant que les droits des robots viennent coexister avec les droits de l’humanité ou les concurrencer. Loin de l’esprit des contributeurs de démontrer que « le progrès et la catastrophe sont l’avers et le revers d’une même médaille » (Hannah Arendt), les catastrophes et les crises, prétendues ou réelles, ne faisant pas l’objet d’un recensement qui serait stérile, même si elles sont porteuses de réactions souvent dans un sens progressiste. Le concept de crise, affaibli par l’abus dont il fait l’objet – il suffit de penser à la crise du service public, à la crise de la représentation, à la crise de la démocratie, à la crise financière entre autres –, a donc été volontairement écarté des réflexions sur les inégalités face au progrès scientifique et technologique.
7Pourtant, au travers des changements climatiques, des injustices environnementales, des expérimentations sélectives en santé, les inégalités engendrées sont explosives et doivent être traitées par le droit. C’est une impérieuse nécessité qui transparaît dans toutes les contributions, car, si l’égalité en droit est affirmée dans les textes, elle doit se traduire par une lutte contre les inégalités de fait, qu’elles soient constatées entre les pays riches et les pays pauvres, pour faire court, entre les régions favorisées et les régions défavorisées au sein d’un même pays, entre les malades ou les personnes en fin de vie, entre les humains biologiques et les humains technologiquement augmentés, dont l’affrontement est déjà prédit par les oiseaux de mauvais augure.
8Le lecteur trouvera des éléments de réflexion et de réponse à des interrogations neuves et anciennes, sans que la problématique des inégalités, posée ici dans les seuls champs de l’environnement et de la santé, aboutisse à une réponse ferme et définitive, sauf à considérer que l’État doit jouer son rôle de régulateur dans ces domaines précis, mais ce ne peut être qu’un élément de réponse parmi d’autres à inventer.
9 Le présent ouvrage commence justement par une approche « par la justice » des inégalités environnementales, adoptée par Marta Torre-Schaub, qui pose la question de l’émergence d’une démocratie environnementale. L’étude des inégalités environnementales, supportées par les groupes sociaux les plus défavorisés qui vivent dans un environnement dégradé, est considérée comme pouvant donner des clés pour renforcer la démocratie et la justice environnementale. La question est donc posée de savoir dans quelle mesure les politiques publiques et les normes environnementales peuvent améliorer la « justice environnementale ». Ce nouveau concept, dont la clarté n’est pas la vertu première, méritait d’être approfondi pour savoir s’il est opératoire dans la réduction des inégalités. Fruit d’un mélange de participation aux institutions et aux processus décisionnels pour la génération présente et de la prise en considération des droits des générations futures, la justice environnementale s’avère en construction dans la temporalité et dans l’espace. La responsabilité envers la planète et les humains à venir est précisément une éthique pour la civilisation technologique, selon Hans Jonas2. Deux voies sont proposées pour que la justice environnementale corrige les inégalités, faute de les faire complètement disparaître, à savoir la lutte contre le changement climatique et le renforcement des droits procéduraux, éléments majeurs de la démocratie environnementale et d’une communauté écologique mondiale.
10Pourtant, la deuxième contribution de Catherine Larrère rappelle les promesses du progrès, non sans préciser immédiatement qu’elles n’ouvrent pas à l’humanité un avenir aussi « radieux » que l’imaginaire collectif l’avait rêvé. La lecture des innovations technologiques, et plus généralement du progrès qu’elles sont censées apporter, peut en effet être optimiste ou pessimiste, selon le point de vue duquel l’observateur se place, et, à cet égard, plus que la chose observée, c’est peut-être le point de vue de l’observateur qui importe. On ne s’étonnera donc pas de ne pas trouver de définition de l’innovation technologique, puisque, entendue comme l’action d’innover et comme son résultat, elle apporte peu à la réflexion. Seul le point de vue importe donc, et l’optimiste, s’il ne dénie pas le risque d’inégalités contenu dans l’innovation, peut le considérer comme mineur, provisoire ou réparable par la croissance économique. Or, à l’inverse de l’optimisme, il est montré que « le développement technologique ne met pas fin aux inégalités, il les entretient » (Larrère). Où l’on voit que l’optimisme rejoint le pessimisme et que se dessine la régression en raison de l’épuisement écologique de la planète et de la pérennité des inégalités. L’humanité n’a pourtant pas de planète de rechange, sauf à rêver à des vaisseaux spatiaux et à des automobiles volant vers d’autres planètes. En redescendant sur terre, on apprend que les technologies dépendent étroitement des réseaux techniques et des réseaux de pouvoir qui tendent à les faire passer pour indispensables. Aussi l’auteure invite-t-elle à substituer à l’imaginaire technologique un imaginaire social à construire collectivement.
11La justice climatique fait incontestablement partie de cet imaginaire social à construire et Agnès Michelot montre bien qu’elle doit être une stratégie d’action pour faire face aux inégalités environnementales, lesquelles contribuent à aggraver les inégalités sociales. C’est l’optique de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 qui doit enclencher une dynamique de l’innovation par le développement de nouvelles recherches scientifiques dans le domaine des énergies renouvelables. Il y a donc une convergence entre la connaissance des inégalités environnementales, la réalisation de la justice climatique et la mobilisation des sciences, non seulement pour révéler les responsabilités du passé, mais aussi pour répondre aux défis de l’avenir. Loin de rester abstraite et désincarnée, la justice climatique, à ses différents niveaux, éclaire les droits des générations futures, les droits de la nature et ceux des collectivités territoriales face à l’État. L’évolution des sciences du climat s’avère donc porteuse d’une orientation nouvelle des politiques publiques vers la justice climatique et la transition écologique et solidaire.
12Lutter contre les inégalités environnementales permet de concrétiser les nouveaux droits « à » l’environnement, mais encore convient-il de s’entendre sur le sens et les manifestations de ces inégalités. C’est tout le propos de Julie Gobert qui explique qu’elles sont révélées par les minorités sociales et leurs lieux de vie et qu’elles peuvent être rattachées à la critique d’une certaine modernité tant institutionnelle qu’économique. D’inspiration anglo-saxonne, cette perception des inégalités environnementales a permis en France le renouvellement de la réflexion et du traitement de ces questions : toute disparité sociale et territoriale n’entraîne pas nécessairement des inégalités environnementales et les causes de celles-ci sont complexes et corrélées. Si elles se manifestent localement, elles révèlent des « enjeux procéduraux et distributifs globaux » qui amènent à approfondir la reconnaissance de nouveaux droits, comme le droit à la ville, le droit à un environnement sain ou le droit de participer aux décisions publiques et privées qui impactent la vie des personnes. La réflexion sur le rapport homme-nature ainsi que sur la distribution des services écosystémiques et des aménités environnementales participe de ces enjeux. Les inégalités environnementales interrogent donc tout à la fois l’aménagement des territoires et la justice sous toutes ses facettes.
13Paradoxalement, certaines injustices environnementales peuvent être construites par le droit. C’est ce que montre Philippe Billet en exposant l’historique du droit des installations classées pour la protection de l’environnement. Une activité industrielle polluante crée des nuisances pour le voisinage, et au lieu d’une relation d’altérité entre voisins, le droit a construit le déséquilibre et l’inégalité par la référence à deux théories : d’une part, la théorie des troubles anormaux du voisinage qui laisse sans réparation les dommages qualifiés de normaux qu’impose la vie en société. Or, « même normal, un trouble reste un trouble », surtout lorsqu’il est causé par une entité économique, dont le droit ne veut pas remettre en cause le fonctionnement dans l’intérêt général. D’autre part, la théorie de la préoccupation, en vertu de laquelle le voisin ne peut pas se plaindre des nuisances d’une activité industrielle installée avant lui dans le lieu qu’il a choisi pour son habitation. Le droit organise donc une « neutralisation » du voisin au profit du développement économique et génère une catégorie d’inégalités environnementales liées à la géographie du lieu d’implantation de l’installation – souvent à la périphérie des villes. Implicitement, le voisin de l’exploitation polluante participe à une solidarité de voisinage, qui n’a rien d’écologique…
14Le lien entre environnement et santé est prégnant, précisément dans le cadre des installations classées pour la protection de l’environnement, dont l’autorisation doit prendre en considération leurs impacts, notamment sur la santé et la salubrité publique, en vertu de l’article L. 511-1 du code de l’environnement3. Environnement et santé sont liés aussi par l’exigence de « durabilité », reprise dans l’expression « développement durable » par l’article 6 de la Charte de l’environnement4 et dans la notion de santé environnementale, qui acquiert progressivement une reconnaissance juridique avec les plans nationaux santé-environnement, déclinés en plans régionaux santé-environnement et mis à jour tous les cinq ans, en application des articles L. 1311-6 et 7 du code de la santé publique5. Le troisième plan (PNSE3), qui couvre la période 2015-2019, a précisément pour ambition de réduire l’impact des altérations de l’environnement sur la santé, en intégrant le lien santé-biodiversité et le changement climatique.
15Toutes ces interactions se retrouvent dans le système de santé et d’assurance maladie qui doit être efficace pour la génération présente, mais aussi durable pour les générations futures. À une époque où les innovations scientifiques en santé connaissent une « dynamique d’évolution exceptionnelle », étudiée par Pierre-Henri Bréchat, notamment par l’application des technologies de l’information et de la communication au domaine de la santé, le constat paradoxal peut être dressé d’un système de santé français, dans lequel les inégalités s’aggravent et où l’efficience et l’efficacité attendues des innovations peinent à s’imposer. À une pratique « artisanale » et finalement cloisonnée de l’offre de soins doit progressivement succéder un système moderne, tendant à réduire les « variations inappropriées », tout en favorisant la « personnalisation de masse ». Le tableau des inégalités dressé par l’auteur révèle que le meilleur des systèmes de santé au monde n’est plus tout à fait celui que l’on croit. Le constat d’une « démocratie sanitaire sans fraternité » peut paraître sévère, mais les chiffres rassemblés sont éloquents et éclairants. Pourtant les innovations scientifiques et technologiques peuvent réduire les inégalités et améliorer l’efficience du système de santé, comme le montrent certaines expériences anglo-saxonnes, que le lecteur découvrira avec une certaine stupéfaction, tant elles vont à contre-courant d’idées reçues. La loi française de 2016 de modernisation de « notre » système de santé s’en inspire et s’achemine sur la bonne voie, en incluant le concept d’exposome, entendu comme l’« intégration sur la vie entière de l’ensemble des expositions qui peuvent influencer la santé humaine », selon la définition donnée par l’article L. 1411-1 du code de la santé publique6.
16L’une des manifestations les plus inquiétantes des inégalités en santé engendrées par le progrès est celle des expérimentations, à la croisée de l’éthique, du politique et du juridique, comme l’explique Jean-Marie Pontier. L’expérimentation sur l’être humain a non seulement été progressivement réglementée, à partir des dix recommandations du « code » de Nuremberg, mais a aussi été différenciée selon qu’elle est à visée thérapeutique ou simplement cognitive. Le respect des exigences de l’éthique a suscité la veille de divers comités spécialisés et commissions, et l’adoption de principes, consacrés par la loi française, au premier rang desquels le consentement éclairé de la personne devant faire l’objet d’une expérimentation quelconque, et l’amélioration des connaissances scientifiques et de la condition humaine. C’est dire que le progrès scientifique n’est pas un impératif inconditionnel dans le domaine de la santé. Le progrès y est conçu dans l’intérêt de l’humanité et, en tout état de cause, les conséquences dommageables que l’expérimentation peut entraîner doivent être indemnisées. Toutefois, l’intérêt de l’humanité n’empêche pas que les populations les plus pauvres des pays en développement servent de « cobayes » pour les populations les plus riches des pays développés. Et, au sein de ces derniers, les inégalités d’accès aux soins et aux médicaments innovants s’avèrent « difficiles à combattre », essentiellement en raison de leur coût exorbitant pour l’assurance maladie et de la difficulté éthique de « choisir » les malades qui doivent en bénéficier.
17Si ces inégalités sont d’ores et déjà constatables dans nos sociétés développées, d’autres s’annoncent avec l’homme augmenté et le phénomène du transhumanisme. Maryse Deguergue montre que la délimitation de la frontière entre réparation et augmentation de l’humain, entre la normalité de l’une et l’anormalité de l’autre, est difficile à tracer. Si l’augmentation technologique est admise comme réalité déjà tangible, abstraction faite de toute interrogation morale, elle met particulièrement bien en exergue la problématique des inégalités, mais de manière ambivalente. En effet, le transhumanisme suscite à la fois « attirance », en ce qu’il recherche le rétablissement de l’égalité par la compensation d’inégalités liées à la naissance ou à un accident, et « répulsion », en ce qu’il est porteur de nouvelles inégalités et d’un questionnement profond sur l’humanité. Finalement, la question la plus grave qui se pose est bien celle de savoir si « nous sommes qualifiés pour ce rôle démiurgique7 ». Il n’en demeure pas moins que le transhumanisme, par-delà la diversité de ses courants, interroge un éventuel droit fondamental de l’homme à s’augmenter, tout autant que l’intérêt public pour l’État d’y recourir et de le contrôler. L’apparition de nouveaux risques met au cœur du débat le principe de précaution, qui pourrait bien servir de contre-feu à une innovation technologique débridée et stimulée par la liberté d’entreprendre. Quant aux inégalités économiques et sociales, elles ne peuvent qu’être renforcées par le transhumanisme et s’avérer potentiellement fratricides.
18L’éternité, promise par certains courants du transhumanisme, n’est pas pour maintenant et l’homme demeure confronté à sa finitude. Or, toutes les fins de vie ne se ressemblent pas et les inégalités s’infiltrent jusqu’au dernier souffle des patients. Johanne Saison expose comment le droit tente pourtant de garantir à tous une « fin de vie digne », mais, face aux « situations d’indignité imposée », le législateur remet sans cesse sur le métier la loi sur les droits des personnes en fin de vie, allant jusqu’à accepter depuis 2016 le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès. C’est l’effectivité de ces droits qui est interrogée au travers de l’étude des inégalités du temps de la fin de vie et des inégalités dans l’accompagnement de la fin de vie. Là encore, les difficultés se situent aux frontières, entre le soin et l’obstination déraisonnable, entre la limitation et l’arrêt des traitements, sur lesquels la volonté du malade a désormais prise. Pour lutter contre les inégalités dans l’accès aux soins palliatifs qui perdurent, la solution classique, mais qui a fait ses preuves avec le service public hospitalier, de la création d’un service public de santé dédié à l’accompagnement de la fin de vie est explorée.
19 On espère que le lecteur sera convaincu, au fil de ces pages, que les inégalités, pour persistantes qu’elles soient, ne constituent pas un horizon indépassable et que l’environnement et la santé, qui les révèlent, doivent être traités de concert, non seulement à l’aide du concept de santé environnementale, mais aussi en recourant à la démocratie environnementale et à la démocratie sanitaire qui associent l’homme à la détermination de son destin et à la survie de la planète.
Notes de bas de page
1 Maryse Deguergue, Cécile Moiroud (dir.), Les OGM en questions. Sciences, politique et droit, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2013 ; Marta Torre-Schaub (dir.), Le bien-être et le droit, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2016.
2 Hans Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, trad. par Jean Greisch, Paris, Flammarion (Champs), 1998.
3 Art. L. 511-1 du code de l’environnement : « Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. »
4 Art. 6 de la Charte de l’environnement : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »
5 Art. L. 1311-6 du code de la santé publique : « Un plan national de prévention des risques pour la santé liés à l’environnement est élaboré tous les cinq ans. Ce plan prend notamment en compte les effets sur la santé des agents chimiques, biologiques et physiques présents dans les différents milieux de vie, y compris le milieu de travail, ainsi que ceux des événements météorologiques extrêmes » ; art. L. 1311-7 : « Le plan national de prévention des risques pour la santé liés à l’environnement est décliné au niveau régional sous forme de plans régionaux “santé environnement”. Ces plans ont pour objectif la territorialisation des politiques définies dans les domaines de la santé et de l’environnement. Ces plans régionaux s’appuient sur les enjeux prioritaires définis dans le plan national tout en veillant à prendre en compte les facteurs de risques spécifiques aux régions. »
6 Loi no 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, JORF, 27 janvier 2016. Art. L. 1411-1 du code de la santé publique : « La politique de santé comprend : 1o La surveillance et l’observation de l’état de santé de la population et l’identification de ses principaux déterminants, notamment ceux liés à l’éducation et aux conditions de vie et de travail. L’identification de ces déterminants s’appuie sur le concept d’exposome, entendu comme l’intégration sur la vie entière de l’ensemble des expositions qui peuvent influencer la santé humaine […]. »
7 Question posée par H. Jonas, Le principe responsabilité, op. cit., p. 57.
Auteurs
Professeur émérite de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (École de droit de la Sorbonne), CERAP (ISJPS-UMR 8103).
Directrice de recherche au CNRS (ISJPS-UMR 8103). Directrice du GDR ClimaLex (CNRS 2032)
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