Humbles psalmodies et chants rebelles : quelques observations sur le chant des religieuses en Occident du début du xiie au milieu du xive siècle
Humble Incantations and Rebellious Chants: A few Observations on the Singing of the Nuns in the West from the Beginning of the 12th Century to the Middle of the 14th.
p. 267-281
Résumés
Que les religieuses chantent semble aller de soi, malgré le précepte paulinien imposant aux femmes de se taire dans les églises. Pourtant, le dépouillement du Registre d’Eudes Rigaud révèle des manquements à leurs obligations liturgiques chez une partie des moniales visitées par l’archevêque de Rouen. Par ailleurs, les coutumes des communautés doubles comme Sempringham imposaient aux religieuses de se contenter de psalmodier à voix basse, par humilité mais aussi afin de ne pas induire les clercs en tentation. À l’inverse, les sources disciplinaires, notamment cisterciennes, attestent du maintien de pratiques prohibées, comme les chœurs mixtes ou les liturgies antiphoniques faisant alterner chœurs d’hommes et de femmes, ou encore l’usage par les moniales du chant à haute voix comme contestation de l’autorité masculine.
It seems to go without saying thar nuns would sing, despite Saint Paul’s proscription that enjoins silence upon women in church. Nevertheless, an examination of the register of Eudes Rigaud, archbishop of Rouen, shows that certain nuns he visited had not fulfilled their liturgical obligations. Furthermore, the customs of mixed communities like Sempringham compelled the nuns to chant sotto voce as a sign of humility but also to avoid leading the clerics into temptation. We get a different picture, however, from accounts of disciplinary measures especially from those concerning the Cistercian Order. Here we learn of certain practices that went against the rule, such as mixed choirs and the introduction of antiphonic liturgies where male and female choirs would alternate as well as full-throated singing by nuns as a way of contesting male authority.
Texte intégral
1Que des religieuses chantent semble aller de soi1. Il existait pourtant dans le christianisme médiéval occidental bien des restrictions qui s’opposaient à l’exercice par les femmes de leurs capacités vocales, à commencer par les préceptes de la première épître aux Corinthiens (14, 34-35) interdisant aux femmes de prendre la parole dans l’église. Parmi les contraintes s’imposant aux religieuses, on pense aussi, bien entendu, à l’exclusion des femmes du sacerdoce. Le Noli me tangere était par ailleurs compris comme une interdiction faite aux femmes de prêcher, malgré quelques rares et célèbres exceptions, telle la visionnaire Hildegarde de Bingen. Depuis Burchard de Worms (m. 1025), le droit canonique interdisait aux abbesses de lire l’Évangile et l’épître pendant la messe, ce qu’elles ne pouvaient faire que pendant l’office nocturne des matines, dont les clercs étaient exclus pour des raisons de séparation entre les sexes ; pour la même raison, il leur était permis de prêcher en chapitre2. La minorité juridique des femmes et ses conséquences vocales (le recours à un avoué ou par la suite à un procureur) pourraient également être évoquées3. À ces interdictions, il faut ajouter l’insistance des théologiens sur le caractère séducteur et trompeur des voix féminines4 et la préférence affichée pour les voix graves, tant par les médecins5 que chez les moines cisterciens à qui il était interdit de chanter avec une voix de fausset6.
2Ces contraintes doivent être prises en compte, surtout lorsqu’elles vont à l’encontre de nos conceptions contemporaines. Il convient donc d’être très attentif aux éléments de contexte avant d’entreprendre une reconstitution musicale7. Or les musicologues se sont focalisés essentiellement sur les manuscrits notés ou en tout cas à caractère liturgique ou poétique ainsi que sur les questions de la notation, de la polyphonie et de la théorie musicale8. Il est donc utile d’y adjoindre une étude systématique des mentions relatives au chant féminin que l’on trouve dans d’autres types de sources davantage étudiées par les historiens du monachisme et de la vie canoniale : les sources normatives (règles, coutumiers, statuts de portée générale9), disciplinaires (visites pastorales, statuts concernant des cas particuliers) et hagiographiques.
3Il s’agira donc de s’interroger sur la réalité de l’utilisation de leur voix par les religieuses en Occident durant le Moyen Âge central, tout particulièrement dans leurs tâches liturgiques, en s’inscrivant dans une démarche en histoire du genre. Tout en prenant en compte les contraintes et les restrictions imposées aux femmes par la société dans son ensemble et par les autorités ecclésiales (donc masculines) en particulier, on montrera comment certaines religieuses ont su développer des sphères d’autonomie dans ce cadre et on examinera si elles ont voulu en transgresser les limites.
4 Autant l’avouer d’emblée : une telle enquête relève, comme fréquemment en histoire des femmes, de la quête de l’aiguille dans une botte de foin. Les mentions de chant féminin se révèlent au total très peu nombreuses : aucune dans la célèbre lettre de Jérôme à Eustochium10, chez Césaire d’Arles11 ou dans la Regula sanctimonialium d’Aix (816)12. Pour des périodes plus récentes, le dépouillement s’est souvent révélé négatif, comme dans le coutumier des chanoines réguliers de Springierbach près de Trèves, qui encadraient pourtant des femmes13.
Le chant, une pratique universelle chez les religieuses ?
5Que le chant ait été partout pratiqué par les moniales semble attesté, par exemple, par les propos d’Abélard qui invitait les moniales du Paraclet à se focaliser sur la compréhension du texte plutôt que sur le chant14.
6Chantait-on cependant partout dans les communautés féminines où la présence masculine se limitait bien souvent à un prêtre et à quelques frères ? Dans certains cas, la formation insuffisante des religieuses pouvait nuire aux pratiques vocales. C’est ce qui ressort du procès-verbal de la visite de l’abbaye de cisterciennes de Valnègre près de Mirepoix le 30 juillet 1350 par l’abbé de Boulbonne (délégué par Cîteaux). On y lit en effet :
Idem, pour que les vierges vouées à Dieu célèbrent dignement et honorablement l’office divin et toutes les heures canoniales, nous avons statué et ordonné, d’une part, que celles qui ne savent pas chanter apprennent à le faire tous les jours dans le cloître et, d’autre part, que celles qui ignorent le psautier l’apprennent bien par cœur jusqu’à ce que la prieure estime qu’elles le savent de façon satisfaisante15.
7Cependant, il semble que la majorité des moniales chantaient bien l’office, si l’on prend par exemple comme échantillon les visites régulières effectuées par l’archevêque de Rouen Eudes Rigaud dans sa province ecclésiastique entre 1248 et 1269. Très attentif aux qualités vocales des futurs curés16, ce prélat déplora à dix-neuf reprises que des communautés monastiques ou hospitalières (dix en tout, dont quatre féminines) s’abstinssent de dicere horas cum nota ou ad notam, autrement dit de chanter les offices. La plupart du temps, il s’agissait de petits prieurés dont les effectifs n’étaient pas suffisants pour organiser un chœur, cas des six moniales de Saint-Paul de Rouen, dépendance de Montivilliers17.
8En revanche, sur les quatorze monastères aux effectifs dépassant la douzaine de religieuses visités par Eudes Rigaud18, seuls trois furent repris pour avoir négligé le chant : le 9 juillet 1249, il découvrit des comportements si répréhensibles chez les vingt-trois moniales de Villarceaux qu’il promulgua de longs statuts dans lesquels on relève notamment les dispositions suivantes :
Nous voulons et nous ordonnons en premier que soient célébrés les offices diurnes aussi bien que nocturnes aux heures fixées et selon la règle, avec des chants et <en respectant> les mètres, comme l’ordre l’exige ; et que lorsque sonnent les heures, toutes se réunissent immédiatement à l’église, sauf si elles sont malades ou qu’elles sont autorisées à s’absenter par la prieure ou celle qui la remplacera. […] Idem, nous interdisons qu’à l’avenir, lors des fêtes des Innocents et de la Madeleine, vous vous livriez à vos habituelles bouffonneries, en vous revêtant d’habits de séculiers et en dansant des caroles19 entre vous ou avec des séculiers20.
9Le 12 septembre 1253, Rigaud nota que les moniales s’abstenaient de chanter après la saignée et qu’elles entonnaient toujours des cantilènes pour la fête des Innocents21. Cependant, il n’en fut plus question par la suite.
10En revanche, aucune amélioration ne fut relevée s’agissant de deux prieurés de cisterciennes (sous juridiction archiépiscopale), Saint-Saëns et Saint-Aubin-de-Gournay, comptant chacun une quinzaine de religieuses22 : parmi les très nombreux manquements à la règle qui leur furent reprochés, figurait le fait de ne pas chanter systématiquement les offices. À Saint-Saëns par exemple, l’archevêque déplora le 3 janvier 1262 que la communauté négligeait « souvent de réciter les heures avec les chants et la mélodie obligatoire23 » ; encore le 16 juillet 1265, il regretta que les religieuses « ne chantaient pas fréquemment les heures diurnes et nocturnes, même les dimanches24 ».
11En dehors de ces trois communautés – représentant quand même plus du cinquième de l’échantillon –, le chant mélodique semble avoir été régulièrement pratiqué. Le 11 février 1266, après avoir inspecté la léproserie du Petit-Quevilly, l’archevêque fit ainsi noter avec satisfaction que « les sœurs avaient l’habitude de participer aux matines, qui étaient toujours chantées, et [qu’elles] avaient aussi l’habitude de dire sept psaumes après prime et d’observer le silence après complies25 ».
Le chant interdit aux religieuses des communautés doubles
12Cependant, il existe au contraire quelques textes normatifs et hagiographiques interdisant explicitement aux religieuses de chanter. Sans doute composés dès 113026, les premiers statuts des chanoines réguliers de Prémontré exigèrent ainsi des sœurs de leur ordre un silence quasi-perpétuel :
Du silence des sœurs : Que les sœurs observent un silence ininterrompu, sans aucun signe de main ou de tête, sauf dans un lieu déterminé où elles parleront avec la prieure de leurs obligations et où celle-ci leur distribuera les tâches27.
Des livres des sœurs : Elles pourront avoir le psautier, les psaumes, les prières, les heures de la Vierge ou les matines qui leur seront distribués par l’abbé, mais on n’ajoutera rien d’autre. Si l’une d’entre elles a appris davantage à l’extérieur, elle pourra lire un autre livre avec l’autorisation de l’abbé. Pour les matines, qu’elles se lèvent ensemble si elles les écoutent de la bouche des prêtres, en priant en silence dans l’église, à moins que d’autres tâches ne les retiennent ailleurs. Qu’elles disent les autres heures assises au travail, comme elles seront28.
13S’agissant des matines, les premières norbertines devaient donc se taire en présence des chanoines, peut-être par crainte que leurs voix aiguës ne couvrent le chant masculin ; en effet, le vocabulaire de l’époque tendait à confondre hauteur de la voix et volume sonore29. Les sœurs devaient en revanche « dire » les autres offices. Le verbe dicere est ambigu et peut aussi bien signifier « dire » que « chanter30 ». Toutefois, d’autres textes prémontrés indiquent qu’il ne s’agissait alors pas de chanter, mais de se contenter d’une simple psalmodie. En effet, on vit apparaître durant la première moitié du xiiie siècle en Empire une nouvelle catégorie de norbertines qui n’étaient plus de simples sœurs, mais de véritables religieuses de chœur vivant dans des établissements séparés de ceux des chanoines. Or celles-ci furent explicitement désignées par les statuts comme sorores cantantes, par opposition aux sorores non cantantes dont le recrutement était désormais officiellement prohibé31.
14En effet, les restrictions primitives s’expliquaient (au moins en partie) parce que les premières sœurs de Prémontré étaient de simples converses, dont la vocation était de diriger ou d’effectuer des activités domestiques au service des chanoines et des malades : servir les plats à table, entretenir et laver le linge, transformer la laine en fil, faire paître les moutons, fabriquer des fromages, etc.32 ; seules certaines d’entre elles savaient lire et elles étaient ainsi placées dans une situation d’infériorité culturelle marquée à l’égard des clercs.
15Toutefois, une telle interdiction se retrouve également pour des moniales de chœur. Les statuts de l’ordre double de Sempringham, fondé par saint Gilbert dans les années 1130-1140, interdirent ainsi explicitement aux moniales de chanter, pour qu’elles se contentent de psalmodier. Le statut en question est unique en ce qu’il justifie cette interdiction :
De l’interdiction du chant faite aux moniales ; comment elles doivent se comporter dans l’église : Nous ne permettons pas à nos moniales de chanter ; mais nous l’interdisons complètement, souhaitant qu’elles psalmodient de façon monotone avec la sainte Vierge, mère perpétuelle du Dieu tout-puissant et fille dans l’esprit d’humilité, et non qu’elles pervertissent les esprits des faibles par la mélodie, avec la lascive fille d’Hérodiade. Que les moniales qui sont en charge de la psalmodie se tiennent debout ensemble dans un chœur et les autres dans un autre chœur à part. Que chacune tienne son rang selon <la date de> sa conversion, sauf que si l’une d’entre elles refuse de psalmodier par négligence, celle-ci sera placée au dernier rang en tout lieu. Que celles qui sont instruites entonnent les psaumes selon le rite, au commandement de la prieure. Qu’aucune ne tienne un office à l’église sans avoir été bien exercée auparavant au réfectoire et au chapitre. Que se tienne à l’arrière du chœur pendant les messes une moniale d’âge mûr pour veiller à ce qu’aucune ne se comporte dans le chœur de façon désordonnée. En été, après tierce, quand le prêtre est revêtu des habits sacerdotaux, qu’aucune ne sorte du monastère, sauf pour demander quelque chose de nécessaire et à condition qu’elle soit en charge d’un office extérieur33.
16On pourrait certes objecter que la fille d’Hérodiade danse dans l’évangile de Marc (6, 22), mais cette confusion sans doute volontaire tend à montrer combien le chant des femmes pouvait être redouté par les réformateurs réguliers. Si l’on suit Katherine Sykes, ce statut ne ferait pas partie du noyau originel rédigé par le fondateur, mais appartiendrait aux ajouts apportés par le maître Gilbert II (1205-1223/1225)34. L’ordre de Sempringham est bien connu pour avoir cherché à organiser de façon structurelle la cohabitation entre quatre groupes interdépendants : moniales de chœur, converses, convers et enfin chanoines réguliers. Or cette cohabitation ne fut pas heurts : un scandale éclata à Watton dans les années 1150, lorsqu’une jeune moniale tomba enceinte des œuvres d’un frère35. Plus grave encore, les convers se révoltèrent entre 1166 et 1179 contre les chanoines et les moniales, qu’ils accusaient de débauche, ce qui conduisit le pape Alexandre III à recommander la séparation des communautés féminines et masculines, projet contre lequel le roi Henri II intervint avec succès36.
17Le statut en question fut donc rédigé dans une situation où les chanoines devaient défendre la légitimité d’un ordre atypique ; dans cette perspective, même si des dispositifs architecturaux avaient été mis en place pour assurer la séparation visuelle entre les sexes, le chant mélodique apparaissait comme une menace, car il était susceptible d’induire en tentation les frères37. Pour éviter ce risque, les moniales devaient se contenter d’une psalmodie monotone, autrement dit d’une cantillation recto tono38. Dans le même temps, il s’agissait aussi pour les clercs de renforcer leur domination sur les moniales comme sur les convers, en accroissant l’écart culturel qui les séparait, ce qui revenait à rabaisser les religieuses de chœur à un niveau intermédiaire entre eux et les frères lais, puisqu’il était interdit aux moniales non seulement de chanter, mais aussi de parler latin entre elles39.
18S’agissant toujours du chant, une prescription similaire à celle qui frappait les moniales de Sempringham se trouve dans la Vie de saint Étienne d’Obazine. Étienne de Vielzot avait établi au sud du Limousin une communauté d’ermites des deux sexes, qu’après plusieurs hésitations, il affilia à Cîteaux en 1147. Les frères s’installèrent dans une abbaye située sur un rebord de plateau dominant la Corrèze, tandis que les sœurs furent cloîtrées en contrebas, dans la vallée étroite, sombre et humide du Coyroux.
19La version de la Vita éditée par Étienne Baluze comprend un long excursus sur la vie des moniales de Coyroux, dans lequel on lit notamment :
Demeurant à l’intérieur sous la direction d’une prieure, elles se comportent comme les moines dans la mesure de leurs moyens, qu’il s’agisse des heures diurnes, du silence, de la discipline, du travail manuel ou des autres rassemblements qui ont lieu dans l’église, au chapitre ou au réfectoire, sauf qu’elles ne sortent jamais à l’extérieur et qu’elles chantent à voix basse, ou plutôt elles ne chantent pas, mais elles célèbrent avec la plus grande dévotion les heures du jour pour ainsi dire en les lisant40.
20La phrase latine est construite selon une antithèse difficilement traduisible établissant une équivalence entre le haut degré de dévotion dont faisaient preuve les moniales (cum summa devotione) et le faible timbre de leur voix, l’adverbe submisse renvoyant, depuis la rhétorique classique, à la fois à une voix basse et sans éclat et à une attitude modérée et humble41. En dehors de la réclusion perpétuelle à l’intérieur de leur prieuré, la principale différence entre les moniales de Coyroux et les moines d’Obazine était donc le renoncement par celles-ci à l’utilisation de leurs pleines capacités vocales – sauf peut-être lors de l’office de nuit, non mentionné dans la Vita, où l’absence de tout célébrant évitait à la fois la concurrence des registres et la séduction des voix féminines. Le reste du temps, il leur était donc demandé de se contenter d’adopter le même ton que lors de la lecture à voix basse42.
21Le point commun entre Prémontré (durant les premières décennies43), Semprigham44 et Obazine (encore à une date tardive45) est d’avoir revendiqué haut et fort une forme de cohabitation régulée entre les sexes et les conditions sociales. Mais dans de telles structures, l’inégalité biblique et canonique entre hommes et femmes imposait au sexe faible, exclu du sacerdoce, de se taire ou, au moins, de se contenter de psalmodier à voix basse. Il s’agissait donc pour les religieuses de se conformer au modèle d’humilité incarné par la Vierge, mis en exergue par les statuts de Sempringham. Il convient cependant de rappeler que le choix de la psalmodie à voix basse au lieu du chant pouvait être aussi le fait d’hommes, toujours pour des raisons d’humilité46.
L’interdiction des chœurs et des doubles chœurs mixtes
22La conviction de l’inégalité fondamentale entre les sexes et le refus de la corruption engendrée par leur cohabitation sont à l’origine d’une autre interdiction se trouvant dans le canon 27 du deuxième concile du Latran (1139) : « nous défendons que des moniales se réunissent dans l’église en un seul chœur avec des moines ou des chanoines pour la psalmodie47 ».
23Pourtant, cette pratique devait parfois réapparaître. Le 30 avril 1351, neuf mois jour pour jour après avoir ordonné aux moniales de Valnègre d’apprendre à chanter, l’abbé de Boulbonne vint faire une nouvelle inspection et ce qu’il découvrit alors ne lui plut pas du tout :
En premier, parce c’est une turpitude qui ne leur sied en rien, nous statuons que l’on s’en tienne fermement à l’antique manière de chanter enseignée par notre père saint Bernard conformément aux principes, aux règles et à l’uniformité de l’ordre, toutes les innovations, hymnes ou toutes autres regardant l’office divin étant purement et simplement interdites, puisque de telles altérations et difformités sentent manifestement davantage la corruption que la dévotion ; que les contrevenants soient ce jour-là au pain et à l’eau sans miséricorde, et que les religieux, quels qu’ils soient, ne soient pas autorisés à chanter ensemble avec les moniales lors des messes ou des autres offices ; et encore que celles qui s’y opposeraient se voient infliger la pénitence d’une légère coulpe pendant trois jours48.
24Il faut croire que les leçons de chants reçues par les moniales reflétaient davantage les modes de l’époque que l’austérité de la liturgie voulue par Bernard de Clairvaux et que, peut-être pour pallier leur manque de formation, les moniales avaient fait appel à des clercs pour chanter l’office avec elles.
25Une variante, également condamnée, consistait à faire chanter alternativement religieux et moniales dans deux chœurs distincts lors des parties antiphoniques de la liturgie. Le refus de cette pratique conduisit Robert d’Arbrissel à interdire aux moniales de Fontevraud de chanter les impropères de la Passion avec les prêtres : « Que les prêtres chantent sans elles Popule meus et Agios le Vendredi saint, pour qu’ils ne leur répondent jamais49. »
26La pratique consistant à faire se répondre deux chœurs, l’un d’hommes, l’autre de femmes, est attestée aussi chez les cisterciens, bien que le chapitre général l’ait prohibée. En 1220, les moines de Fontaines-les-Blanches en Touraine furent ainsi dénoncés pour être « allés, sur l’ordre de leur abbé, à la dédicace d’une église de moniales et y avoir chanté alternativement avec elles50 ». Dès 1193, des moniales s’étaient trouvées dans le chœur de la troisième abbatiale de Cîteaux à l’occasion de sa dédicace, sans que l’on sache si elles y avaient chanté51. Comportant plusieurs antiennes52, cette fête se prêtait particulièrement bien à ce type d’alternance vocale. Il faut noter qu’elle était la seule où les cisterciens autorisaient l’entrée des femmes dans leurs monastères depuis 115853 et qu’elle permettait par ailleurs de renforcer les liens institutionnels existant entre moines et moniales.
Le chant comme forme de contestation par les religieuses
27À l’opposé, les moniales pouvaient utiliser leur chant dans une visée délibérément contestataire et rebelle envers des ordres dictés par des hommes. En 1242, le chapitre général de Cîteaux décida qu’à l’avenir, les futures moniales de son ordre feraient profession en prononçant non pas le nom de leur abbesse, mais celui de l’abbé-père sous la juridiction directe duquel leur monastère se trouvait54. Il s’agissait donc, au travers de cette expression vocale, de diminuer le pouvoir (strictement maternel en droit canon) de la supérieure pour renforcer l’autorité directe de l’abbé sur les sœurs. Mais le chapitre de Cîteaux dut bientôt battre en retraite, devant l’ampleur des protestations et même des manifestations, parfois violentes, suscité par cette décision chez les moniales55.
28Parmi elles, un statut de 1243 contient le compte rendu extrêmement détaillé de la réaction de moniales de Parc-aux-Dames dans le diocèse de Senlis56, qui traduisirent leur indignation et leur refus par des mouvements, des gestes, des déplacements, mais aussi toute une gamme de bruits volontaires, de paroles et de chants :
Au sujet de l’abbesse et des moniales du Parc[-aux-Dames] qui, lorsqu’elles ont entendu un statut du chapitre général publié l’an passé, se sont toutes levées et ont dit qu’elles n’obéiraient jamais à eux ou à l’ordre sur ce point, et parce qu’après être sorties de leur <salle du> chapitre en frappant dans leurs mains et avoir menacé et attaqué ces visiteurs, et alors que ceux-ci avaient attendu jusqu’à l’heure de nones qu’elles reviennent au chapitre et à l’obéissance à l’ordre, une fois ceux-ci sortis, elles ont fermé la porte après eux ; idem, <parce que> lorsque cette maison récalcitrante a été placée sous interdit par lesdits visiteurs et qu’une sentence d’excommunication a été lancée contre les rebelles, elles ont chanté sexte solennellement, à haute voix, en faisant savoir aux visiteurs qu’elles ne se tenaient nullement pour excommuniées, qu’elles ne s’abstiendraient nullement de célébrer le culte et de recevoir les sacrements à cause d’une telle sentence et qu’ils ne devaient plus venir à elles pour procéder à la visite, le chapitre général a décidé ceci : que l’abbesse soit déposée à l’instant et qu’elle et la cellérière soient envoyées dans d’autres maisons. Que les visiteurs de Clairvaux exécutent <cette sentence>57.
Conclusion
29Il est impossible de tirer des conclusions définitives à partir d’un échantillonnage documentaire aussi fragmentaire, qui gagnerait bien entendu à être complété grâce à des enquêtes plus systématiques, dont la portée serait au demeurant limitée par le caractère lacunaire de ce type de sources. Il apparaît cependant clairement qu’il convient de nuancer l’idée selon laquelle certains réformateurs religieux du Moyen Âge central se seraient montrés exceptionnellement favorables aux femmes, puisque le paradoxe que révèlent les statuts de Prémontré, de Sempringham ou même de Fontevraud est que les modèles de vie régulière spécialement créés pour des femmes tendaient à restreindre leur rôle liturgique, moins pour protéger la fragilité supposée de leur sexe que pour protéger de la tentation ceux qui devaient les encadrer pour assurer leur propre salut. Au contraire, c’est dans l’émulation de formes de monachisme masculin que les femmes trouvèrent la plus grande autonomie, y compris vocale.
30Par ailleurs, cette étude invite à reconsidérer les formes de la recréation contemporaine des œuvres musicales chantées par les femmes, qu’il s’agisse de revenir à des formes d’humble psalmodie à voix basse, dont la dimension spirituelle ne doit pas être oubliée, ou, au contraire, d’introduire une dimension délibérément et joyeusement transgressive dans le chant à pleine voix.
Notes de bas de page
1 Un excellent manuel récent affirme ainsi : The celebration of Mass was different for nuns, because no woman could be admitted to holy orders. […] This did not much affect the singing of the chant, which could obviously be performed just as well by nuns as by monks (David Hiley, Gregorian Chant, Cambridge, Cambridge University Press [Cambridge Introductions to Music], 2009, p. 9). L’auteur tient à remercier chaleureusement Susan Boynton et Séverine Delahaye-Grélois pour leurs conseils.
2 Nicole Bériou, L’avènement des maîtres de la Parole. La prédication à Paris au xiiie siècle, Paris, Études augustiniennes (Collection des études augustiniennes. Série Moyen Âge et Temps moderne, 31), 1998, t. 1, p. 5-7. Pour une mise en perspective globale, Paulette L’Hermite-Leclercq, L’Église et les femmes dans l’Occident chrétien, des origines à la fin du Moyen Âge, Turnhout, Brepols (Témoins de notre histoire), 1997.
3 Pour une présentation synthétique, Giovanni Minnucci, « La condizione giuridica della donna tra Medio Evo ed Età Moderna : qualche riflessione », Anuario de Historia del Derecho Español, 81, 2011, p. 997-1008. Voir aussi Marta Madero, « Savoirs féminins et construction de la vérité : les femmes dans la preuve testimoniale en Castille au xiiie siècle », Crime, histoire & sociétés/Crime, History & Societies, 3/2, 1999, p. 5-21.
4 Voir par exemple les comparaisons entre voix féminines et chants des sirènes recensées par John Haines, Medieval Song in Romance Languages, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 44-50.
5 Voir la contribution de Joël Chandelier dans le présent volume.
6 Chrysogonus Waddell (éd.), Twelfth-Century Statutes from the Cistercian General Chapter, Brecht, Cîteaux - Commentarii cistercienses (Studia et Documenta, 12), 2002, p. 557.
7 Les reconstitutions contemporaines pèchent souvent par la conviction que tout chœur doit nécessairement comporter les quatre pupitres de la musique classique, ce qui conduit souvent à employer des chœurs mixtes, contrairement aux prescriptions canoniques sur lesquelles nous reviendrons plus loin.
8 Voir la présentation synthétique de Michel Huglo, « La recherche en musicologie médiévale au xxe siècle », Cahiers de civilisation médiévale, 39, 1996, p. 67-84.
9 Ce type de sources a été utilisé pour l’article fondamental de Stephen J. P. Van Dijk, « Mediaeval Terminology and Methods of Psalm Singing », Musica Disciplina, 6, 1952, p. 7-26, mais celui-ci ne traite pas des religieuses.
10 Jérôme, Lettres, éd. par Isidore Hilberg, Paris, Les Belles Lettres (Collection des universités de France), 1949, t. 1, no 22.
11 Césaire d’Arles, Œuvres monastiques, t. 1, Œuvres pour les moniales, éd. par Adalbert de Vogüé, Joël Courreau, Paris, Cerf (Sources chrétiennes, 345), 1988.
12 Albert Werminghoff (éd.), Concilia aevi Karolini. Tomus I. Pars I, Hanovre/Leipzig, Hahn (Monumenta Germaniae Historica, Legum, III. Concilia. II), 1906, p. 421-456.
13 Stefan Weinfurter (éd.), Consuetudines canonicorum regularium springirsbacenses-rodenses, Turnhout, Brepols (Corpus christianorum. Continuatio mediaevalis, 48), 1978. Ce silence s’explique sans doute parce que ce coutumier fut écrit vers 1127/1128, au moment précis où l’on procédait à l’éloignement des sœurs dans un monastère séparé (Ferdinand Pauly, Springiersbach. Geschichte des Kanonikerstifts und seiner Tochtergründungen im Erzbistum Trier von den Anfängen bis zum Ende des 18. Jahrhunderts, Trèves, Paulinus [Trierer Theologische Studien, 13], 1962, p. 16-21).
14 Terence P. McLaughlin (éd.), « Abelard’s Rule for Religious Women », Mediaeval Studies, 18, 1956, p. 263, 286-288.
15 Item ut diuinum officium, et omnes horae canonicae ab omnibus deodicatis virginibus digne et laudabiliter persoluantur statuimus, et etiam ordinamus, et quae cantum nesciunt addiscant in claustro quodidie, et quae persalterium [corrigé dans le manuscrit : psalterium] nesciunt in pectorent [sic] bene usque sufficienter sciant ad cognitionem priorissae (BnF, Doat 86, f. 88v, copie faite à Albi le 11 octobre 1669 par Jean de Barbaste).
16 Voir par exemple l’examen de latin et de chant qu’il fit subir le 22 février 1259 à un certain Guillaume, présenté à la cure du Rotoir (Théodose Bonnin [éd.], Registrum Visitationum Odonis Rigaldi archiepiscopi Rothomagensis, Rouen, Le Brument, 1852, p. 332). Un grand merci à Lise Levieux, postdoctorante à l’université de Rouen-Normandie (GRHis), qui termine l’édition électronique du Registre, pour avoir extrait les données qui suivent.
17 Non dicunt servicium suum cum nota, propter paucitatem (17 avril 1263 ; ibid., p. 457). Les autres prieurés dénoncés pour la même raison étaient masculins : Pennes, Saint-Saëns, Saint-Michel-du-Vernonnet, Saint-Martin-la-Garenne et Gasny, ainsi que l’hôpital de Neufchâtel avec ses quatre chanoines.
18 Voir leur liste dans Penelope D. Johnson, Equal in Monastic Profession. Religious Women in Medieval France, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 1991, p. 269 (voir aussi la traduction des statuts de Villarceaux p. 116-118).
19 Sur les caroles, Christopher Page, Voices and Instruments of the Middle Ages. Instrumental Practice and Songs in France 1100-1300, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1986, p. 77-84.
20 Volumus et ordinamus in primis quod divinum officium nocturnum pariter et diurnum, horis debitis et regulariter, cum nota et melius, prout ordo exigit, celebretur, et quod omnes, horis pulsatis, incontinenti ad ecclesiam conveniant, nisi infirme sint, aut de licencia remaneant priorisse, vel illius que fuerit loco sui. […] Item, inhibemus ne de cetero in festis Innocentium et Beate Marie Magdalenes ludibria exerceatis consueta, induendo vos scilicet vestibus secularium, aut inter vos seu cum secularibus choreas ducendo, nec extra refectorium comedatis, nec tunc nec alias in refectorio seculares recipiatis vobiscum (Bonnin, Registrum Visitationum, op. cit., p. 44). Vérification faite sur le manuscrit (BnF, Latin 1245, f. 18), il semble préférable de remplacer cum nota et melius par cum nota et metris.
21 Quando minute sunt, non dicunt officium cum nota. In festo Innocentium cantant cantilenas (ibid., p. 166). Les cantilènes étaient des pièces paraliturgiques en roman.
22 Visites des 23 juillet 1256, 18 octobre 1264 et 30 juillet 1266 (ibid., p. 255, 499 et 550).
23 Aliquociens cessabant a dicendo horas cum nota et debita modulatione (ibid., p. 418).
24 Non dicebant horas diurnas et nocturnas frequenter cum nota, etiam dominicis diebus (ibid., p. 522). Voir aussi les visites des 9 juillet 1259, 3 janvier 1262 et 4 juin 1264 (ibid., p. 338, 451 et 491).
25 Sorores consueverant interesse matutinis que semper cum nota dicuntur, consueverunt etiam dicere septem psalmos post primam, et servare silentium post completorium (ibid., p. 538).
26 Les arguments solides qui plaident en faveur de cette datation précoce ont été repris par Bruno Krings, « Zum Ordensrecht der Prämonstratenser bis zur Mitte des 12. Jahrhunderts », Analecta Praemonstratensia, 76, 2000, p. 17-18.
27 De silentio sororum : Sorores continuum observabunt silentium, absque omnibus signis et nutibus, nisi in loco ad hoc determinato loquantur priorisse de necessitatibus suis, ubi et illa eis disponat de operibus suis (Raphaël Van Waefelghem [éd.], « Les premiers statuts de l’Ordre de Prémontré. Le Clm 17.174 (xiie siècle) », Analectes de l’Ordre de Prémontré, 9, 1913, p. 63, no 74).
28 De libris sororum : Psalteria vel psalmos vel orationes vel horas beatȩ Mariȩ vel vigilias eas habere licebit pro dispensatione abbatis, sed ibi nihil aliud addiscere. Si aliqua exterius amplius didicerit, festivis diebus poterit licentia abbatis in aliquem alium librum inspicere. Ad matutinas communiter surgant. Si in ecclesia cum silentio orantes, eas a presbiteris audiant, nisi aliqua negotia detineant. Ceteras horas, sicut sederint in labore, dicent (ibid., p. 66, no 79).
29 Van Dijk, « Mediaeval Terminology », art. cité, p. 8-9.
30 Ibid., p. 8.
31 Grâce à une analyse à nouveaux frais de toute la tradition statutaire de Prémontré, l’histoire des Norbertines a été complètement réécrite par Bruno Krings, « Die Prämonstratenser und ihr weiblicher Zweig », dans Irene Crusius, Helmut Flachenecker (dir.), Studien Zur Prämonstratenserorden, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, 185/Studien zur Germania Sacra, 25) 2003, p. 75-105, en particulier p. 87.
32 Van Waefelghem, « Les premiers statuts de l’Ordre de Prémontré », art. cité, p. 64-65, no 77.
33 XXII. De cantu Monialibus prohibito ; et quomodo se habere debent in Ecclesiâ : Sanctimoniales nostras cantare non permittimus ; set omnino interdicimus, cupientes magis cum illa beata Virgine, perpetua Dei omnipotentis matre, et filiâ in spiritu humilitatis indirecto psallere, quam cum illâ Herodiadis filia lasciva modulatione infirmorum mentes pervertere. Sanctimoniales verò, quae psalmodiam tenent, simul stent in choro, et aliae seorsum in alio choro. Unequaeque teneat locum proprium suae conversionis, nisi fortè aliqua ex negligentiâ psallere noluerit, et talis ultima ponatur in omni loco. Quae doctae fuerint, secundùm ordinem Psalmos incipiant ad jussum praepositiae. Nulla officium in ecclesia teneat, nisi bene exercitata priùs fuerit in refectorio et in capitulo. In ultimâ parte chori stet aliqua monacha matura ad missas, ad explorandum, nequa inordinatè se habeat in choro. In aestate post tertiam, cum sacerdos sacerdotalibus induitur indumentis, non exeat aliqua de monasterio, nisi causa necessaria postulaverit ; et quae exterioribus officis praesunt (John Caley, Ellis Henry, Bandinel Bulkeley [éd.], Monasticon Anglicanum…, 2e éd., t. 6/2, Londres, Longman, 1846, p. lxxx). Nous proposons de corriger la lecture indirecto psallere en in directo psallere, autrement dit : psalmodier sur une seule ligne mélodique. Une autre traduction possible de cette expression serait le chant directané (in directum), sans répétition, répons ou antienne, mais l’opposition entre mélodie et monotonie présente dans le texte nous fait opter pour la première traduction.
34 Katharine Sykes, Inventing Sempringham. Gilbert of Sempringham and the Origins of the Role of the Master, Zurich/Berlin, Lit (Vita Regularis. Abhandlungen, 46), 2011, en particulier p. 189.
35 Giles Constable, « Aelred of Rielvaux and the Nuns of Watton : An Episode in the Early History of the Gilbertine Order », dans Derek Baker (dir.), Medieval Women, t. 1 Oxford, Basil Blackwell (Studies in Church History. Subsidia), 1978, p. 205-226.
36 Sur la formation et l’évolution de cet ordre, voir, en plus des titres déjà mentionnés, Raymonde Foreville, Gillian Keir (éd.), The Book of St. Gilbert, Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 1987 ; Brian Golding, Gilbert of Sempringham and the Gilbertine Order, c. 1130-c. 1300, Oxford, Clarendon Press, 1995.
37 À Sempringham comme à Watton, un mur longitudinal séparait hommes et femmes dans l’église, mais des chanoines devaient cependant desservir le chœur liturgique des religieuses (Raymonde Foreville, « Heurts et malheurs de la cohabitation. Un cas exemplaire de service au xiie siècle : l’ordre de Sempringham », dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde des origines à nos jours, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne [CERCOR Travaux et recherches, 4], 1994, p. 360).
38 Aucun livre liturgique provenant de Sempringham n’a malheureusement été conservé. Pour un exemple de chant monotone, David Hiley, Western Plainchant. A Handbook, Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 47-48.
39 Omnino prohibemus Latinam linguam inter omnes, nisi conveniens occasio compellat. Quae autem fecerit, disciplinetur in capitulo, vel in pane et aquâ pœniteat. « Nous interdisons absolument <l’usage de> la langue latine entre toutes <les moniales>, sauf si une bonne occasion le rend nécessaire. Que celle qui l’aura fait reçoive la discipline au chapitre ou qu’elle fasse pénitence au pain et à l’eau » (Caley, Henry, Bulkeley, Monasticon Anglicanum, op. cit., p. lxxxii).
40 Ipse vero intus manentes sub regimine priorisse, in diurnis horis, in silentio, in disciplina, in labore, vel ceteris conventibus qui fiunt in ecclesia, in capitulo, in refectorio, ita se habent pro modulo suo ut monachi, excepto quod foras nunquam egrediuntur et quia summisse cantant, immo nec cantant sed quasi legendo cum summa devotione horas diei concelebrant (Michel Aubrun [éd.], Vie de saint Étienne d’Obazine, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif central (Publications de l’Institut d’études du Massif central, 6), 1970, p. 100 ; nous ne reprenons pas la traduction de l’éditeur, car elle ne respecte pas la syntaxe du texte).
41 Félix Gaffiot, Dictionnaire latin-français, Paris, Hachette, 1934, p. 1496.
42 Un vocabulaire similaire se retrouve dans les ordonnances franciscaines relatives aux messes basses, qui devaient être « lues » (legere) à voix basse (cum submissa vox) : Van Dijk, « Mediaeval Terminology », art. cité, p. 9-10.
43 Si les Vitae de Norbert, assez tardives, ont évité toute référence aux religieuses, un proche de l’évêque de Laon Barthélemy de Joux avait justifié vers 1147 la supériorité du fondateur de Prémontré sur Bernard de Clairvaux en arguant que le premier avait accueilli les femmes à l’intérieur de ses monastères (Hériman de Tournai, Les miracles de Sainte Marie de Laon, éd. par Alain Saint-Denis, Paris, CNRS Éditions (Sources de l’histoire médiévale publiées par l’IRHT, 36), 2008, p. 218-221).
44 Comprise dans la Vita du fondateur, la Commendatio Ordinis (Foreville, Keir, The Book of St. Gilbert, op. cit., p. 50-53) fait référence aux élus des quatre vents (Matthieu 24, 31), à la vision par Pierre d’une nappe attachée au ciel par quatre coins (Actes 10, 11) et aux quatre roues et aux deux côtés du chariot d’Aminadab (Cantique 6, 11). Sur ce dernier thème, voir le commentaire des éditeurs p. 336-337 et Janet E. Burton, « The “Chariot of Aminadab” and the Yorkshire Priory of Swine », dans Rosemary Horrox, Sarah Rees Jones (dir.), Pragmatic Utopias. Ideas and Communities, 1069-1630, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 26-42.
45 Il faut noter que le long développement de la Vie de saint Étienne d’Obazine consacré à Coyroux semble bien être un ajout du milieu du xiiie siècle. Comme l’a récemment démontré Claude Andrault-Schmitt (« Le monastère de Coyroux [Corrèze] : la traduction matérielle de la stricte clôture et sa date [xiie-xiiie siècle] », communication à la journée d’étude « Le monachisme féminin dans l’Europe méridionale au Moyen Âge », Toulouse [5 avril 2019], à paraître), le monastère de Coyroux ne peut avoir été construit qu’au milieu du xiiie siècle et il apparaît que le long excursus consacré aux moniales publié par Baluze ne figure pas dans les manuscrits subsistants du texte, qui ne leur consacrent que quelques phrases. Il est donc probable que la Vita fut modifiée à Obazine au moment – tardif – de la construction de Coyroux.
46 La Vie de Geoffroy du Chalard loue l’ermite limousin pour avoir marmonné ses prières : Psalmos quidem incessanter psallebat, et ita leniter ac subtiliter eos quasi ruminabat ut labra, sicut de Anna, matre Samuelis, legitur, tantum moveret, sed vox penitus non audiebatur (Auguste Bosvieux [éd.], « Vita beati Gaufredi », Mémoires de la société des sciences naturelles et archéologiques de la Creuse, 3, 1862, p. 108) ; mais, de façon significative, le type biblique auquel l’hagiographe rapporta cette pratique est féminin : la mère de Samuel, qui parlait en son cœur et dont les lèvres bougeaient pratiquement sans produire de son (1 Samuel 1).
47 Item prohibemus ne sanctimoniales simul cum canonicis vel monachis in ecclesia in uno choro conveniant ad psallendum (Giuseppe Alberigo [dir.], Les conciles œcuméniques. Les décrets, Paris, Cerf [Le magistère de l’Église] 1994, t. 2/1, p. 444-445).
48 In primis quia turpis est pars quae non congruit suo toti, statuimus quod antiqua forma cantandi a Patre nostro beato Bernardo tradita iuxta formam, morem et uniformitatem ordinis aliis novitatibus et Hymnia, et aliis ad diuinum officium spectantibus quibuscumque simpliciter inter dictis firmiter teneatur cum tales varietates, et difformitates dissolutionem magis, quam deuotionem sapere videantur, quominus facientes sint in pane, et aqua absque misericordia illa die, nec admittantur, nec permittantur religiosi quicumque in missis, vel alias simul cantare cum monialibus, et si quae contrarium fecerint sustineant per tres dies poenitentiam leuis culpae (BnF, Doat 86, f. 63v-64). Nous recopions la copie de Jean de Barbaste en laissant ses erreurs manifestes de transcription (hymnia pour hymnis, inter dictis pour interdictis).
49 Ut in Parasceve presbiteri sine eis cantent Popule meus et Agios ita quod nunquam eis respondeant (Jacques Dalarun, « Capitula regularia magistri Roberti : de Fontevraud au Paraclet », Comptes-rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 147/4, 2003, p. 1632). Sur cette liturgie qui impliquait la présence de deux chœurs, Hiley, Western Plainchant, op. cit., p. 36-37.
50 De monachis de Fontanis in Turonia, qui de praecepto abbatis sui ierunt ad dedicationem ecclesiae monialium et cantaverunt alternatim in choro simul cum eisdem monialibus (Joseph-Marie Canivez [éd.], Statuta capitulorum generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain [Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 9], 1933, t. 1, p. 526, no 45). Il s’agit très probablement du prieuré féminin de Moncé près d’Amboise, qui dépendait comme Fontaines-les-Blanches de Savigny.
51 Abbates de Firmitate, de Pontigniaco, de Claravalle, et alii abbates qui fuerunt cum eis in choro cum sanctimonialibus, in dedicatione Cisterciensis basilicae […], ibid., p. 147, no 55.
52 Hiley, Western Plainchant, op. cit., p. 45.
53 Waddell, Twelfth-Century Statutes, op. cit., p. 69 et 576.
54 Joseph-Marie Canivez (éd.), Statuta capitulorum generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, t. 2, Louvain (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 10), 1934, p. 248, no 16.
55 Le recul du chapitre général se fit en deux temps : en 1243, il décida que le nom de l’abbesse serait rétabli aux côtés de celui de l’abbé, à condition qu’elle soit présente (ibid., p. 260, no 6), puis il dut se résigner l’année suivante à laisser les moniales ne prononcer que le nom de leur abbesse, en exigeant cependant qu’elle participe en personne à la cérémonie (ibid., p. 275, no 8).
56 Il existait une autre abbaye cistercienne appelée Parcus Dominarum (Vrouwenpark) en Brabant, mais elle était placée sous la juridiction directe de Cîteaux, contrairement au Parc-aux-Dames dans le diocèse de Senlis dont l’abbé-père était celui de Clairvaux (Franz Winter, Die Cistercienser des Nordöstlichen Deutschlands. Ein Beitrag zur Kirchen- und Culturgeschichte des deutschen Mittelalters. t. 3, Gotha, Berthes, 1871, p. 176 et 184).
57 De abbatissa et monialibus de Parco quae cum audissent a visitatoribus suis statutum Capituli generalis anno praeterito editum, surrexerunt omnes et dixerunt quod numquam in hoc ipsis vel Ordini obedirent, quod etiam palmis collisis ad invicem de capitulo suo egredientes, et ipsis visitatoribus comminantes et convitiantes, cum iidem usque ad horam nonam ipsas ut ad obedientiam Ordini reverterentur in capitulum expetassent, ipsis egredientibus ostium clauserunt post ipsos. Item cum domus eadem pro huius modi contumacia a dictis visitatoribus supposita fuisset interdicto, et lata excommunicationis sententia in rebelles, cantaverunt sextam solemniter alta voce, mandantes visitatoribus quod se pro excommunicatis non habebant, nec propter huiusmodi sententiam abstinent a divinis, et ne ipsis amplius accederent ad eas gratia visitandi, sic diffinit Capitulum generale : abbatissa in instanti deponitur, et ipsa et cellaria ipsius loci ad domos alias emittantur. Visitatores Claraevallis hoc exequuntur (Canivez, Statuta capitulorum generalium, op. cit., t. 2, p. 272, no 67).
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