La voix de l’orateur dans les assemblées prémodernes du xve siècle : l’exemple des conciles et des diètes impériales
The Voice of the Orator in the Pre-Modern Assemblies of the 15th Century: the Example of Councils and Imperial Diets
p. 217-232
Résumés
L’article examine la voix, en particulier la voix humaine qui parle. En nous appuyant sur l’exemple des premiers enregistrements sonores de voix au xixe siècle, nous expliquons brièvement la genèse de la fascination nouvelle des historiens pour la voix et les « paysages sonores » dans les recherches récentes, en insistant en particulier sur les travaux de la recherche allemande. En mobilisant le concept d’Oratorik ou oratory, nous analysons ensuite les voix des orateurs, en particulier ceux qui s’expriment lors des assemblées laïques et ecclésiastiques de la fin du Moyen Âge (diètes impériales et conciles). On présente enfin cinq exemples de sources qui permettent d’appréhender la manière dont étaient perçues différentes situations de parole : de la défaillance de la voix individuelle (Jean de Ségovie, Johannes Hinderbach) aux performances vocales réussies des humanistes (Gerardo Landriani, Pie II), en passant par la cacophonie d’une session du concile de Bâle en 1438.
This article examines the voice, in particular the spoken word. Working from the example of the first sound recordings of the human voice from the 19th century, we will briefly explain the genesis of the historian’s recent fascination with the human voice and “soundscapes” in recent research, with particular emphasis on the work of the German scholars. With reference to the concept of Oratorik or oratory, we then analyse the use of the voice by orators especially those who spoke during the lay and ecclesiastical assemblies of the end of the Middle Ages. (Imperial diets and councils). Finally we discuss five examples of source material which show how various situations involving the spoken word were perceived: from an individual losing his voice (John of Segovia, Johann Hinderbach) to the humanists and their oratorical prowess (Gerardo Landriani, Pius II) without forgetting the cacophony that broke out during a session of the Basel Council of 1438.
Texte intégral
L’aura de la voix individuelle
1Aux États-Unis, on a retrouvé il y a sept ans dans les archives de Thomas Edison de vieux rouleaux de cire oubliés. La découverte a fait sensation ! Les enregistrements remontaient à 1889 et constituent l’un des plus anciens enregistrements conservés. Lorsqu’on libère les sons inscrits sur ces rouleaux, on entend la voix d’un mort : « Ici Friedrichsruh. C’est Otto von Bismarck qui parle1. » C’est à l’occasion d’un voyage promotionnel à travers l’Europe qu’un collaborateur d’Edison, Theo Wangemann, a apporté un phonographe à la résidence de l’ancien chancelier du Reich, alors âgé de 74 ans et à la retraite. Le vieil homme fut enthousiasmé. Il se mit spontanément à prononcer des paroles en quatre langues dans l’entonnoir, parmi lesquelles une chanson américaine, les premiers vers de la Schwäbische Kunde d’Uhland (Als Kaiser Rotbart lobesam), la chanson étudiante Gaudeamus igitur et… La Marseillaise ! Ce qui frappe d’emblée, c’est que la voix de Bismarck n’a rien de la voix de fausset (Fistelstimme) qu’on lui a souvent attribuée2. La voix qui sort du rouleau ressemble à celle d’un baryton aigu ; elle est sonore et décidée.
2Guère moins sensationnelle était la voix gravée dans la cire du second rouleau, celle du Generalfeldmarschall Helmuth von Moltke. Il s’essaya à réciter du Hamlet et du Faust, choix plus conforme à la bourgeoisie lettrée du temps. Mais ce grand homme de 89 ans eut par ailleurs la clairvoyance de percevoir l’importance de cette nouvelle technique, à savoir « qu’un homme couché depuis longtemps dans sa tombe puisse à nouveau élever la voix3 ». Et de fait, nous sommes aujourd’hui rompus à faire quotidiennement resurgir les morts par la voix, comme des chamans.
3Il est ici question de voix, de voix qui parlent, surtout. Mais qu’elle soit ou non porteuse de mots, une voix est d’abord une donnée physiologique4 : des sons, un timbre, quelque chose qui est propre à chaque individu et que l’on ne peut confondre. À tel point que, souvent, les souvenirs que l’on a des gens sont les souvenirs d’une voix. Prenons les hommes politiques, par exemple. Il est probable que personne ou presque, parmi les plus âgés d’entre vous, ne se souvienne de Charles de Gaulle autrement que dans le pathos solennel de sa voix, de même qu’en Allemagne on se souvient d’Adenauer, avec sa voix aiguë et son accent rhénan, et de Walter Ulbricht, son rival est-allemand, avec son accent saxon. On pourrait continuer ainsi et citer Willy Brandt et son organe vocal fendillé par le tabac ou bien Erich Honecker, bientôt réduit à une caricature. Malheureusement, les souvenirs que l’on a des plus grands démolisseurs éthiques du discours, Adolf Hitler ou encore Joseph Goebbels, sont aussi des souvenirs de voix. Nous avons, pour ainsi dire, les « oreilles brûlées ».
4En revanche, et nous voici au Moyen Âge, nous ne savons pas à quoi ressemblait la voix d’un Charlemagne, d’un Innocent III, d’un saint François ou d’un Luther et nous ne le saurons jamais, nous ne les entendrons jamais. Est-ce si grave ? Les historiens ont-ils vraiment besoin d’entendre ces voix authentiques ? Éginhard, en tout cas, attribuait à Charlemagne une « voix claire » (vox clara) « qui ne correspondait pas bien à sa complexion virile ». Est-ce vrai ? Personne ne le sait. Du moins doit-on remarquer que, pour décrire la voix de Charlemagne, dans ce célèbre portrait brossé au chapitre 22, Éginhard n’emprunte pas au patchwork des corps d’empereurs composé par Suétone5.
5Certains personnages du Moyen Âge doivent leur nom ou surnom aux caractéristiques de leur voix ou parole : pensons à Jean Chrysostome, littéralement « bouche d’or » ou au Doctor mellifluus, celui dont la parole coule comme le miel, Bernard de Clairvaux. Un contemporain s’est même extasié à propos de la voix de Thomas de Courcelles, un théologien très actif d’Arras au xve siècle, dans les termes suivants : « Et sembloit qu’on oÿst parler un angele de Dieu6. » Mais avant d’entrer pleinement dans le Moyen Âge, je voudrais commencer par quelques remarques sur l’historiographie du sujet qui nous occupe.
Remarques liminaires sur l’histoire intellectuelle des recherches sur la voix
6Car il a dû se passer bien des choses avant que la thématique de la voix ne devienne à ce point en vogue. D’un côté, l’acoustic turn actuel est en partie un héritage de Lucien Febvre et des Annales, qui ont poussé à l’étude des cinq sens durant la prémodernité7 ; de l’autre, la thématique découle des recherches sur la littéralité et l’oralité8, un paradigme au sein duquel l’équivalence supposée entre littéralité et modernité (MacLuhan) se trouvait en quelque sorte renversée. Pour reprendre le titre de l’article de la philosophe allemande Sibylle Krämer, on en est venu à une « réhabilitation de la voix. Au-delà de l’oralité », au sens où de multiples « positivisations » (Positivierungen) ont abouti à ce que « la voix n’[est] plus étudiée au premier chef comme support du langage verbal »9. À cela se sont ajoutées les avancées importantes réalisées dans le champ d’une histoire moderne des médias audio10. On examina ainsi tout le « kaléidoscope des sens » (Marshall McLuhan) de façon systématique. Alain Corbin, Jean-Claude Schmitt et d’autres jouèrent en France un rôle décisif dans cette approche11. Tout n’alla pas sans une forme de révisionnisme ou de nostalgie acoustique envers un Moyen Âge qui, par comparaison, ne parlait guère qu’à voix basse. En 2011 encore, Jürgen Müller accusait les historiens d’une « surdité auto-imposée » et en appelait à une « anthropologie historique de l’audition »12. Pour donner un peu plus de visibilité à la recherche en Allemagne, il convient de citer le livre du médiéviste berlinois Horst Wenzel, Hören und Sehen. Schrift und Bild, qui fut une œuvre pionnière13, de même que l’ouvrage, plus populaire, du germaniste Karl Heinz Göttert sur l’histoire de la voix14. Plus récemment, les réflexions de l’historien Jan Friedrich Missfelder sur une histoire politique des sons en tant qu’histoire auditive (Klanggeschichte als Hörgeschichte) doivent également être prises en compte15.
7Voilà pour le bref – trop bref – aperçu historique des recherches sur la voix. La question de savoir s’il convient véritablement de parler d’un turn acoustique ou sonore remplaçant le iconic turn est laissée en suspens.
Le paysage sonore des diètes et des conciles : discours et art « oratorique »
8Venons-en à présent au « paysage sonore » qui sera le mien ici, celui des grandes assemblées des conciles et des diètes impériales du xve siècle. J’ai examiné, dans le cadre d’un projet de recherche à Berlin, la culture discursive de ces événements. Soucieux de mieux cerner la pratique oratoire qui consiste à tenir un discours devant de telles assemblées, j’ai développé, en utilisant la théorie du speechact (Sprechakt ou acte de parole) inspirée d’Austin (parler, c’est agir), la notion d’« oratorique parlementaire des assemblées prémodernes » (Parlamentsoratorik vormoderner Versammlungen)16. Car les grandes assemblées européennes (conciles ecclésiastiques, diètes d’empire, états généraux, parlements, Cortès, Sejm, etc.) sont fondamentalement constituées de séquences d’actes de parole de natures différentes.
9Un discours est un acte de langage qui dure, qui requiert du temps lors duquel le public doit supporter physiquement la voix de celui qui parle. En ce sens, un discours est aussi un acte d’asservissement. Ou, pour le dire avec les mots du compositeur et chercheur en acoustique canadien Murray Schafer, à qui l’on doit le concept de « paysage sonore » (soundscape) : « Il n’y a pas de silence pour les vivants. Nous sommes condamnés à écouter17. »
10D’un côté, la parole qui discourt apparaît donc comme monopolistique, mais, de l’autre, elle demeure un acte de communication interactif : tout discours veut produire un effet, veut convaincre et doit donc être tel que les auditeurs puissent s’y « connecter18 » d’une manière ou d’une autre. Autrement dit, tout discours doit pouvoir faire sien l’horizon intellectuel et affectif de son auditoire, être capable d’habiter en esprit le cercle de ses pensées et de ses sentiments. La voix est ici un élément essentiel.
11La voix n’est pas seulement un phénomène physique et phonétique, mais aussi le support d’un message. Il existe un lien étroit entre la voix et la crédibilité du message. Il suffit d’ouvrir la Bible pour s’en convaincre. Comme le dit saint Paul, sans la charité (de la parole, entre autres), il n’est qu’« un airain sonnant ou une cymbale retentissante » (velut aes sonans aut cymbalum tinniens, 1 Cor 13, 1)19. Il faut aussi mentionner, ne fût-ce qu’en passant, que, dans l’Ancien Testament, Dieu est vécu avant tout comme une voix.
12Lors des assemblées ecclésiastiques et politiques du xve siècle, un grand chœur de voix retentit, des voix d’hommes qui se font entendre par dizaines, par centaines, voire, lors de l’interminable concile de Bâle (1431- 1449), par milliers : leurs porteurs ont pris la parole au cours de l’une des nombreuses commissions, ils ont prononcé un discours, un sermon, lu un document, fait une courte déclaration. Ils sont intervenus par des interjections, des rires, des cris. Comment les auditeurs contemporains ont-ils perçu ces actes de parole ? Comment les voix des orateurs ont-elles été perçues ? Y a-t-il une sémantique, un répertoire de termes de ces perceptions ?
13La voix, cependant, ne forme qu’une partie de ce que le système rhétorique antique et les manuels nomment l’actio ou la pronuntiatio, c’est-à-dire la profération effective, physique, du discours20. Mais, comme l’on sait, un problème général de source se pose ici. « Comment l’historien peut-il entendre ces voix du passé et restituer leur rythme21 ? » s’interroge Jean-Claude Schmitt. Ce à quoi je répondrais : l’observateur moderne ne peut sentir le souffle chaud de la pronuntiatio dans son cou ou percevoir les gestes et mimiques des orateurs que de manière fortement médiatisée ; il ne peut saisir l’éphémère actio qu’en partie, sous deux formes de transmission textuelle22 : la première est celle des textes des discours confiés à l’écrit et la seconde, celle de situations de discours dont la perception a été confiée à l’écrit. Par chance, certaines de ces perceptions intègrent les voix !
14Dans un monde sans microphones – c’est-à-dire jusqu’au xxe siècle –, la première condition pour une communication orale de type « discours » réussie réside avant tout dans la puissance vocale et la clarté. On rapporte ainsi que, pour les maîtriser, Démosthène affrontait de ses cris le ressac de la mer. La voix devait être forte, elle devait être perçante pour pouvoir se frayer un chemin au parlement, au tribunal, dans les lieux publics lorsqu’elle émane du crieur ou du prédicateur23. La voix est d’abord perçue par le biais de sa puissance, selon la formule stéréotypée : il parla « d’une voix forte et intelligible » (alta et intelligibili voce). Tels sont les mots précis employés à propos de Pierre d’Ailly, lorsqu’il parle pour le roi de France et l’université de Paris à Constance en 16 juin 141824. De même, lors de la diète de Nuremberg en 1438, le juriste allemand Gregor Heimburg est appelé à parler alta et intelligibili voce25. Hélas, ces premiers mots de commentaire sur les voix sont souvent les derniers. Il arrive cependant que la perception de la voix aille au-delà de ce maigre constat. J’aimerais, dans ce qui suit, en présenter cinq exemples concernant des conciles ou des diètes.
Du silence à la cacophonie : la diversité des performances vocales
15Commençons cette typologie par deux exemples de défaillance discursive : une extinction de voix (Jean de Ségovie à Mayence en 1441) et un discours incompréhensible et cacophonique (Johannes Hinderbach à la diète de Ratisbonne en 1471). Suivent deux exemples de performance vocale couronnée de succès, d’après la perception qu’en ont les humanistes : Gerardo Landriani au concile de Bâle en 1433 et le pape Pie II au congrès de Mantoue en 1459. Enfin, on abordera un cas de vacarme ou de chaos général : le concile de Bâle en 1437.
Extinction de voix (Mayence, 1441)
16Le 28 mars 1441, dans une auberge – et non à la cathédrale, comme c’était l’usage lors des grands discours de la diète de Mayence –, le théologien espagnol Jean de Ségovie parle en tant qu’« envoyé » (orator) du concile de Bâle devant un public composé de personnages importants. Il rapporte qu’après quatre heures, sa voix lui fait défaut (magnitudo deficeret vocis), qu’il parle de plus en plus bas, puis devient muet (vix audiebatur a circumstantibus proximis). Le professeur de l’université de Salamanque réussit à tenir pendant la durée habituelle des cours (entre sept et onze heures), mais après cela, rien ne va plus. Il faut sans doute en imputer la cause à la salle surchauffée et surpeuplée ainsi qu’à la fatigue (ex calore stube et circumstantium multitudine […] et fatigacione26). Même les voix professionnelles ne résistent pas indéfiniment aux sollicitations. Jean de Ségovie doit faire une pause et ne peut reprendre qu’après le déjeuner. Au total, son allocution dure sept heures et demie ! Un record, tout du moins pour les diètes d’Empire.
17Son adversaire dans la joute discursive, Nicolas de Cues, partisan du pape, consigne l’incident avec suffisance : Ségovie, écrit-il, « parla […] sans ordre [absque ordine], d’une voix pleine de tremblements [multa tremula voce]27 ». Contrairement à lui, Nicolas de Cues assure avoir parlé pendant quatre heures, avec force et à haute voix (exclamacione virili)28. Le commentaire du Cusain peut être compris de la façon suivante : pour lui, la faiblesse de la voix ségovienne dans cette bataille vocale est le symptôme physique de la défaite de la moins bonne cause, autrement dit, la défaite du concile de Bâle29.
Un discours incompréhensible et cacophonique (Ratisbonne, 1471)
18Un autre document témoigne du son de la voix d’un orateur avec une rare expressivité : le rapport sur le discours tenu le 24 juin 1471 devant la diète de Ratisbonne par le représentant impérial, l’humaniste Johannes Hinderbach, évêque de Trente30. Nous devons ce rapport à un témoin oculaire et auriculaire, Wunnebald Heidelbeck, chancelier de l’évêque de Bâle31. Le contexte oratoire de cette assemblée est le suivant : Hinderbach (m. 1486), qui a alors 54 ans, parle dans une grande salle de l’hôtel de ville (in das rathaus in einen witen sal). Il s’exprime à la place de l’empereur, présent à la diète pour la première fois depuis presque trente ans.
19D’un point de vue fonctionnel, l’actio de Hinderbach correspond au discours d’ouverture de l’assemblée :
Puis il aborde un autre sujet [les guerres contre les Ottomans], que personne ne put comprendre ni retenir, parce que ce Tridentin est un petit bout d’homme [ein cleins manli] pas très éloquent et parce que même celui qui se tient juste à côté de lui ne comprend pas bien ce qu’il dit. Il a une voix qui ressemble au son de la cloche d’Olten [une ville suisse], qui résonne comme un vieux chaudron [ein stim als die glock zu Olten ein ton, der tont als ein alten kessel]32.
20Du point de vue de la perception de la voix (et de sa description concrète), cet étonnant passage est presque unique en son genre ! Si Heidelbeck détermine précisément l’acoustique de la voix d’un orateur, il le fait de manière très subjective et sarcastique, en comparant la voix à un médium sonore complètement différent : les cloches, ces « cloches de la terre » (Alain Corbin) qui marquent l’expérience auditive des citadins, fût-ce, dans le cas présent, sous la forme d’une cloche brisée. Notre précieux informateur Heidelbeck se montre, de manière générale, très attentif au sensible et surtout à l’audible. Il est ainsi particulièrement sensible aux éléments du paysage sonore de la ville de Ratisbonne33.
21Nous avons donc affaire au cas d’une communication face à une assemblée qui échoue non pour des raisons de complexité du discours ou de barrières linguistiques, mais clairement pour des raisons acoustiques, pour ne pas dire cacophoniques. Nous ignorons si les défauts de la voix de l’orateur étaient permanents ou seulement passagers (Hinderbach souffrait-il d’un gros rhume ce jour-là ?). Mais la chétivité de sa stature et la faiblesse de sa voix n’étaient guère choses à pouvoir être changées34.
22Quoi qu’il en soit, le rapport mentionne aussitôt les conséquences de cette défaillance oratoire flagrante : « Tout le monde quitta la salle, à l’exception des princes, des seigneurs et des envoyés qui devaient rester pour une question d’honneur [von eren wegen]35 ». Les personnages secondaires et les derniers rangs de l’assemblée avaient en effet la possibilité de déserter les lieux, mais les hauts dignitaires du premier rang, le duc de Bavière par exemple, ne le pouvaient pas. Le faire aurait constitué une offense, en particulier envers l’empereur. Car Hinderbach et sa voix de chaudron représentaient l’empereur comme les princes eux-mêmes représentaient avec lui l’Empire. Et nous ajouterons, rejoignant sur ce point Jörg Feuchter, que la possibilité de prendre la parole était aussi une « question d’honneur ». Manifestement, cet homme instruit, qui rendait depuis longtemps de grands services à la cour, était habilité à prononcer des discours, malgré des déficiences vocales plus ou moins bien connues.
23Quatre autres rapports relatent les événements de Ratisbonne et rendent compte de ce discours, parmi lesquels les rapports des villes impériales et le rapport de Francesco Patrizi, un assistant du légat pontifical. Mais aucun ne dit mot de ce désastre vocal. Plus habitués à endurer des discours, les rédacteurs de ces rapports ne prennent pas la peine de mentionner la voix de l’orateur. Ils soulignent seulement l’honorabilité de l’orateur et la durée du discours : « le grand prince et gracieux seigneur, l’évêque de Trente, a fait un long discours [eine lange Rede]36 » ; ou, d’après Patrizi, longam habuit orationem. L’Italien indique par ailleurs que Hinderbach a fait son discours en allemand (sermone Teutonico37).
24Pour revenir au rapport d’Heidelbeck, celui-ci écrit que le petit orateur se tient debout devant l’empereur, mais que personne ne le voit ni ne l’entend vraiment : « il eût bien mieux valu », d’après lui, que parlât « un homme vaillant d’une voix forte [luten rede] et compréhensible, depuis une chaire élevée [einem hochen stul]38 » ! Cela peut sembler paradoxal, mais le fait que le discours ait été totalement incompréhensible n’empêche pas Heidelbeck de rendre compte de son contenu, c’est-à-dire la guerre contre les Ottomans : « Et, bien que le discours du Tridentin n’ait pas été compris, en voici le contenu39. » Comment est-ce possible ? Par l’intermédiaire de l’écrit, bien sûr. L’audible devait être lisible ! L’écriture intervient ici dans sa fonction classique de compensation. L’ambiguïté oralo-scripturale est structurelle, tout particulièrement pour les discours prononcés devant une assemblée. Dans le cas qui nous occupe, nous savons que le texte du discours a été distribué aux participants après coup. Heidelbeck aura utilisé une telle copie pour son rapport.
Une performance vocale réussie (Bâle, 1433)
25Le 11 octobre 1433, Gerardo Landriani, évêque de Lodi et humaniste, prêche devant le concile, dans la cathédrale de Bâle40. Francesco Pizolpasso, évêque de Pavie, humaniste lui-même, fait un éloge emphatique de ce prêche auquel il assista. À ses yeux, en effet, le prêche réunit comme rarement les critères d’un discours bien « performé » : « Il parla de façon si claire, si substantielle, si sérieuse […] sans bégaiements, sans nervosité ni pâleur au visage, sans tremblements dans la voix [tremula voce], ainsi qu’il arrive très souvent aux hommes érudits, mais l’église entière retentissait de ses paroles [resonabat quidem illo dicente omnis ecclesia] ». L’acoustique, ici, joue enfin un rôle prépondérant lors d’un concile que Pizolpasso assimile à un combat de lutte antique [luctam hac in tanta palestra]41. Comme si « l’homme de la Renaissance » de Burckhardt était apparu ici. Passons rapidement sur ce témoignage de succès vocal éclatant et venons-en à un cas similaire et pourtant très différent.
Pie II (Mantoue, 1459)
26C’est d’une tout autre aura qu’est entourée l’actio du pape Pie II Piccolomini dans la description qu’il donne lui-même de son discours prononcé en décembre 1459, dans ses Commentarii : l’aura d’un corps qui souffre avec théâtralité. La scène se déroule lors du congrès de Mantoue, convoqué par le pape en vue de lancer une nouvelle croisade. D’après ce qu’il en dit lui-même, Pie est si malade, souffrant de l’estomac et d’une toux sèche, que les médecins craignent pour sa vie. Mais il fallait tenir audience pour la délégation française – dût-il mourir au cours de celle-ci42 :
Le pape quitta sa chambre à coucher affaibli et tourmenté par une douleur immense et tandis qu’il était assis sur un siège surélevé dans la salle de l’assemblée [aula], il était pâle et si anxieux qu’il fut, lorsqu’on imposa le silence, presque incapable de parler. Mais dès que l’énergie vitale [littéralement, la chaleur (calor)] lui revint, la puissance de la parole le remplissant d’ardeur [ardens dicendi uis], la douleur fut vaincue, les mots affluèrent et, parlant sans le moindre effort, il fit un discours de trois heures que tous écoutèrent avec la plus grande attention43.
27Pie II ne s’était encore jamais mis en scène en tant qu’orateur de façon aussi existentielle. Le pape, d’abord indisposé, prend place en homme de douleurs, puis parvient à mettre son corps en branle et, une fois lancé, prononce un grand discours enflammé : rarement une actio aura été décrite de façon si marquante ! Le pouvoir de la parole (vis dicendi) apparaît ici comme un moyen thérapeutique ; c’est elle qui vient à bout de la maladie. « Jamais », assurèrent les cardinaux, « jamais il n’y avait eu un pape qui avait parlé plus papalement »44.
Vacarme et cacophonie agonale : le chaos des voix (Bâle, 7 mai 1437)
28J’en arrive au dernier exemple, qui combine de façon radicale diverses fonctions de la voix. Dès ses débuts, le concile de Bâle est traversé par des tensions, qui trouvent leur point d’aboutissement dans le choix du lieu du concile d’union avec les Grecs. En décembre 1436, une large majorité vote pour Bâle ou Avignon et une minorité (les partisans du pape) pour une ville d’Italie. Incapables de trouver un compromis, les deux parties rédigent leur propre décret conciliaire45. Une sessio generalis solennelle se tient le 7 mai 1437. Nous en possédons deux comptes rendus, l’un de Jean de Ségovie46, l’autre d’Enea Silvio Piccolomini47. D’ordinaire, les sessions solennelles se déroulent en suivant un modèle liturgique fixe (messe et prière à l’Esprit saint, lecture des décrets, acclamation aux cris de placet, chant du Te deum laudamus, etc.). Les voix des pères jouent donc toujours un rôle fondamental.
29Voici comment le drame commence : après une messe à l’Esprit saint où la tension est déjà palpable, les décrets sont lus. Mais au lieu d’être proclamés les uns après les autres, ils le sont simultanément, de manière agonistique. Chaque camp déclame à grands cris son texte dans la nef : pour la majorité, l’évêque d’Albenga (Albinganensis) s’exprime « depuis un haut lieu » (une chaire ?) tandis que l’évêque Amaral de Viseu (Portugalensis) représente la minorité. Écoutons Jean de Ségovie : « Ils lurent d’une voix aiguë [altitonando], tous en même temps, de sorte qu’on n’entendait pas [bien] leurs voix parce qu’elles se neutralisaient mutuellement [simul legebant, ne eorum voces audirentur, et invicem impedientes]. » Manifestement, on se figurait que la victoire, c’est-à-dire le choix du décret « officiel » du concile, irait à celui qui finirait le premier, donc à celui qui lirait le plus vite ou finirait le plus tôt, autrement dit à celui qui avait le texte le plus court. Or le texte le plus court est celui de la minorité. Amaral termine le premier, ses partisans acclament ses paroles par des placet, placet et entonnent le Te Deum. En réaction, la majorité se met à pousser des cris de colère (multitudine perstrepente), tandis que l’évêque d’Albenga continue à débiter son décret depuis son perchoir. Le voilà qui termine et la majorité, plus bruyante, naturellement, chante à son tour le Te Deum dans un étrange concours de voix. Le chaos règne, entre parodie et violation de rituel. D’après Jean de Ségovie comme d’après Piccolomini, certaines personnes pleurent quand d’autres rient.
30Comme habituellement lors des conciles, les voix des pères s’expriment à chaque étape de la liturgie, mais elles le font ici de façon conflictuelle, à la fois individuellement (lecture des décrets à voix haute) et collectivement (chants, acclamations, cris). La voix agit comme voix parlante et comme voix chantante : c’est en tant que porteuse d’émotion, de rage, de douleur, de triomphe qu’elle retentit. La voix est non seulement porteuse de mots, mais aussi une pure arme sonique.
31Le compte rendu de Jean de Ségovie met clairement en évidence le caractère acoustique de la catastrophe : « Ce jour-là, nous avons entendu de grands cris [clangor] et de plus grands encore48. » Pour Enea Silvio Piccolomini, en revanche, la cacophonie agonale des voix rend, pour ainsi dire, audible la division définitive du concile, et donc de l’Église (scissura ecclesiae49). Le concile était pourtant censé avoir pour essence l’unité harmonique dans l’Esprit saint.
32Lorsque l’on essaie de se figurer la joute chantée de Bâle, on pense volontiers à la célèbre scène du film Casablanca : les Allemands au Rick’s Café entonnant la Wacht am Rhein, leurs adversaires élevant la voix à leur tour, pour leur répondre, victorieusement, à la fin, par la chanson la plus française de toutes. Et c’est ainsi que nous terminons avec La Marseillaise, comme nous avions commencé avec elle, en évoquant la voix de Bismarck.
Notes de bas de page
1 https://www.welt.de/debatte/kommentare/article13850872 ; https://www.spiegel.de/geschichte/sensationelle-tonaufnahmen-a-954424.html (consulté le 20 novembre 2019). Le texte suivant reproduit le texte de la communication du 30 mai 2019 au 50e congrès des médiévistes à Francfort. Une version beaucoup plus étoffée en allemand est en préparation. De manière significative, la dernière rencontre du Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte à Reichenau (12-15 mars 2019) était consacrée aux Klangwelten des Mittelalters (« Les mondes sonores du Moyen Âge »).
2 Voir par exemple Karl-Heinz Göttert, Die Geschichte der Stimme, Munich, Fink, 1998, p. 336- 348 ; Hans-Peter Goldberg, Bismarck und seine Gegner. Die politische Rhetorik im kaiserzeitlichen Reichstag, Düsseldorf, Droste, 1998.
3 https://www.tonline.de/nachrichten/wissen/geschichte/id_53649202/sensationeller-fund-hier(consulté le 20 novembre 2019).
4 Jürgen Trabant, « Von der Hand in den Mund – Zur Entstehung von Sprache », dans Hartmut Böhme, Bernd Kordaß, Beate Slominski (dir.), Das Dentale. Faszination des oralen Systems in Wissenschaft und Kultur, Berlin, Quintessenz, 2016, p. 91-101.
5 Einhardi Vita Karoli Magni, éd. par Oswald Holder-Egger (Monumenta Germaniae Historica, Scriptores Rerum Germanicarum in usum scholarum editi), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, 1910 (réimpr. 1965), chap. 22, p. 27 : Voce clara quidem, sed quae minus corporis formae conveniret.
6 Antoine de la Taverne, Journal de la paix d’Arras, éd. par Antoine Bossuat, Arras, L’Avenir, 1936, p. 68. Voir Heribert Müller, « Et sembloit qu’on oÿst parler un angele de Dieu. Thomas de Courcelle et le concile de Bâle ou le secret d’une belle réussite », Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 147/1, 2003, p. 461-494, ici p. 461, réimpr. dans Id., Gabriele Annas et al. (dir.), Frankreich, Burgund und das Reich im späten Mittelalter. Ausgewählte Aufsätze, Tübingen, Mohr-Siebeck, 2011, p. 312-330, ici p. 312. On ne sait pas vraiment si la métaphore de la voix angélique doit être comprise comme le signe d’une haute éloquence ou bien d’une euphonie acoustique particulière. Pour Courcelles, voir aussi Id., « Thomas von Courcelles. Zum Lebensweg eines Pariser Universitätslehrers und Basler Konzilsvaters am Ausgang des Hundertjährigen Krieges », dans Väter der Kirche. Ekklesiales Denken von den Anfängen bis in die Neuzeit. Festgabe für Hermann Josef Sieben SJ zum 70. Geburtstag, Paderborn, Schöningh, 2004, p. 861-915.
7 I cinque sensi/The Five Senses, Florence, Sismel, 2002 ; C. M. Woolgar, The Senses in Late Medieval England, New Haven/Londres, Yale University Press, 2006, p. 63-83 ; Florence Bouchet, Anne Hélène Klinger-Dollé (dir.), Penser les cinq sens au Moyen Âge : poétique, esthétique, éthique, Paris, Classiques Garnier, 2015 ; Olga Anna Duhl, Jean-Marie Fritz (dir.), Les cinq sens entre Moyen Âge et Renaissance : Enjeux épistémologiques et esthétiques, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2016 ; Wolfgang Wagner, « Hören im Mittelalter. Versuch einer Annäherung », dans Wolfgang Aichinger, Franz X. Eder, Claudia Leitner (dir.), Sinne und Erfahrung in der Geschichte, Innsbruck, Studien-Verlag, 2003, p. 155-172.
8 Paul Zumthor, Die Stimme und die Posie in der mittelalterlichen Gesellschaft, Munich, Fink, 1994 ; Waltraud Wiethölter, Hans-Georg Pott, Alfred Messerli (dir.), Stimme und Schrift. Zur Geschichte und Systematik sekundärer Oralität, Munich, Fink, 2008.
9 Sibylle Krämer, « Die Rehabilitierung der Stimme. Über die Oralität hinaus », dans Doris Kolesch, Sibylle Krämer (dir.), Stimme, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2006, p. 269-295, ici p. 271 qui est un volume représentatif des recherches conduites en Allemagne dans les années 2000. Voir aussi Volker Bernius, Peter Kemper et al. (dir.), Der Aufstand des Ohrs – die neue Lust am Hören. Reader Neues Funkkolleg, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2006 ; Jean-Luc Nancy, À l’écoute, Paris, Galilée, 2002.
10 Voir supra, n. 6-8 et infra, n. 12, 13, 14 et 16. Voir le numéro consacré au thème Sound de la revue Ludolf Kuchenbuch, Jan-Friedrich Missfelder (dir.), Historische Anthropologie. Kultur-Gesellschaft-Alltag, 22/3, 2014.
11 Alain Corbin, Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au xixe siècle, Paris, Flammarion, 1994 ; Id., Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours, Paris, Albin Michel, 2016. Pour Jean-Claude Schmitt, voir infra, n. 21.
12 Jürgen Müller, « “The Sound of Silence’’. Von der Unhörbarkeit der Vergangenheit zur Geschichte des Hörens », Historische Zeitschrift, 292, 2011, p. 1-29 : selbstverordnete Gehörlosigkeit (p. 3) ; wir stellen uns im Grunde taub (p. 4), Historische Anthropologie des Hörens (p. 6).
13 Horst Wenzel, Hören und Sehen. Schrift und Bild. Kultur und Gedächtnis im Mittelalter, Munich, Beck, 1995.
14 Göttert, Geschichte der Stimme, op. cit. ; Friedrich Kittler, Thomas Macho, Sigrid Weigel (dir.), Zwischen Rauschen und Offenbarung. Zur Kultur- und Mediengeschichte der Stimme, Berlin, De Gruyter, 2002 ; Jim Drobnick (dir.), Aural Cultures, Toronto, Yyzbooks, 2004 ; Mladen Dolar, His Master’s Voice. Eine Theorie der Stimme, Francfort, Suhrkamp, 2007 ; Brigitte Federer (dir.), Phonorama. Eine Kulturgeschichte der Stimme als Medium, Berlin, Matthes & Seitz, 2004 ; Holger Schulte, Christoph Wulf (dir.), Klanganthropologie, Berlin/Boston, De Gruyter (Paragrana. Zeitschrift für Historische Anthropologie 16), 2007 ; Petra Maria Meyer (dir.), Acoustic Turn, Munich, Fink, 2008 ; Andi Schoon, Axel Volmar (dir.), Das geschulte Ohr. Eine Kulturgeschichte der Sonifikation, Bielefeld, Transcript, 2012 ; Daniel Morat, « Zur Geschichte des Hörens. Ein Forschungsbericht », Archiv für Sozialgeschichte, 51, 2011, p. 695-716 ; Daniel Morat (dir.), Hör-Wissen im Wandel. Wissensgeschichte des Hörens in der Moderne, Berlin/Boston, De Gruyter, 2017.
15 Jan Friedrich Missfelder, « Der ferne Klang – Kann man Alteuropa hören ? », dans Christian Jaser, Ute Lotz-Heumann, Matthias Pohlig (dir.), Alteuropa – Vormoderne – Neue Zeit. Epochen und Dynamiken der europäischen Geschichte (1200-1800), Berlin, Duncker & Humblot, 2012, p. 313- 327 ; Id., « Period Ear. Perspektiven einer Klanggeschichte der Neuzeit », Geschichte und Gesellschaft, 38, 2012, p. 21-47. Chaque article contient de très nombreuses références bibliographiques. Voir aussi, en français, Id., « Quand l’histoire passe par le corps. Sens, signification et sensorialité au service d’une anthropologie historique », Trivium, 27, 2017, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/trivium/5617 (consulté le 12 janvier 2020).
16 Pour le concept d’Oratorik, Jörg Feuchter, Johannes Helmrath (dir.), Politische Redekultur in der Vormoderne. Die Oratorik europäischer Parlamente in Spätmittelalter und Früher Neuzeit, Francfort-sur-le-Main, Campus, 2008, en particulier Johannes Helmrath et Jörg Feuchter, « Einleitung : Vormoderne Parlamentsoratorik », p. 9-22 ; Jörg Feuchter, Johannes Helmrath (dir.), Parlamentarische Kulturen vom Mittelalter bis in die Moderne. Reden-Räume-Bilder, Düsseldorf, Droste, 2013, en particulier Johannes Helmrath et Jörg Feuchter, « Einführung : Parlamentarische Kulturen vom Mittelalter bis in die Moderne », p. 9-31.
17 Raymond Murray Schafer, The Soundscape : Our Sonic Environment and the Tuning of the World, Durham/Londres, Duke University Press, 1993 ; Id., Die Ordnung der Klänge. Eine Kulturgeschichte des Hörens, trad. et nouvelle éd. par Sabine Breitsameter, Berlin, Schott, 2010 ; Jean-Marie Fritz, Paysages sonores du Moyen Âge. Le versant epistémologique, Paris, Champion, 2000 ; Jonathan Sterne, The Audible Past. Cultural Origine of Sound Reproduction, Durham/Londres, Duke University Press, 2003 ; Nathalie Bredella, Chris Dähne (dir.), Infrastrukturen des Urbanen. Soundscapes, Landscapes, Netscapes, Bielefeld, Transcript, 2012. Voir aussi supra, n. 13 et 14.
18 La « connectabilité » (Anschlußfähigkeit) est un concept central dans la pensée de J. Kopperschmidt, chercheur en rhétorique : Josef Kopperschmidt, « Oratorik – ein erfolgversprechendes Forschungsprojekt ? », dans Feuchter, Politische Redekultur, op. cit., p. 23-44, ici p. 31-40.
19 Connotation négative des instruments tels qu’ils sont utilisés dans l’avant-cour bruyante du temple de Salomon.
20 La rhétorique antique distingue l’actio des étapes qui la précèdent (inventio, dispositio, elocutio, memoria). Sur le rôle de l’actio et l’importance de la voix dans les théories rhétoriques de l’Antiquité, voir Quintilien, Institutionis Oratoriae Libri XII [latin-allemand], éd. et trad. par Helmut Rahn, 2e éd., Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2 vol., 1988. Sur la pronuntiatio avec de longs passages sur l’importance de la voix : ibid., XI 3, vol. 2, p. 609-681. Voir Verena Schulz, Die Stimme in der antiken Rhetorik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2014, p. 237-350 ; Jean-Claude Schmitt, Die Logik der Gesten im europäischen Mittelalter, Stuttgart, Klett-Cotta, 1992, p. 41-54.
21 Jean-Claude Schmitt, Les rythmes au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2016, p. 204.
22 Thomas Haye, Lateinische Oralität. Gelehrte Sprache in der mündlichen Kommunikation des hohen und späten Mittelalters, Berlin/New York, De Gruyter, 2005, p. 136.
23 Sur le crieur, Nicolas Offenstadt, En place publique. Jean de Gascogne, crieur au xve siècle, Paris, Stock, 2013 ; Id., Didier Lett (dir.), Haro ! Noel ! Oyé ! Pratiques du cri au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.
24 Avignon, AD de Vaucluse, 2 MI 201, H Célestins d’Avignon 62/2, Lage B, f. 1v : die mercurii proxima, que fuit deximasexta dies dicti mensis iunii venerabilis et circumspectus vir dominus Petrus de Alliaco in sacra theologia magister […] publice alta et intelligibili voce in dicto consistorio proposuit.
25 Deutsche Reichstagsakten, éd. par la Historische Kommission bei der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, [Ältere Reihe] vol. I-XIX, 3 et XXII, 1-2, Gotha/Stuttgart/Göttingen/Munich, 1876-2013 [désormais RTA] ; RTA XIII Deutsche Reichstagsakten unter Albrecht II. Abt. 1, 2. Hälfte : 1438, éd. par Gustav Beckmann, Gotha, Perthes, 1908, no 130, p. 217 : papiri cedulam […] per organum [formule stéréotypée pour dire « par la bouche de »] egregii viri domini Gregorii […] alta et intelligibili voce legi mandarunt. Les exemples pourraient facilement être multipliés.
26 RTA XV Deutsche Reichstagsakten unter Kaiser Friedrich III. 2. Abt., 1. Hälfte : 1440-1441, éd. par Hermann Herre, Gotha, Perthes, 1912, no 357, p. 861 : cum autem signata 11. Hora raciones commemoratas prosequenti ipsi Johanni [de Ségovie], magnitudo deficeret vocis vixque audiebatur a circumstantibus proxime […] audienciam peciit, ut super restantibus dicere posset. Quod et fecit refectione sumpta, alio tamen in loco. Senserat namque ex calore stube circumstantium multitudine vocis defectum contigisse fatigatione fortassis. Voir Johannes Helmrath, « Kommunikation auf den spätmittelalterlichen Konzilien », dans Hans Pohl (dir.), Die Bedeutung der Kommunikation für Wirtschaft und Gesellschaft, Stuttgart, Steiner, 1989, p. 116-172, ici p. 148 et suiv.
27 Nicolas de Cues écrit au cardinal Giuliano Cesarini, 1441, IV 3 : Locutus est [i.e. Jean de Ségovie] autem ille absque ordine, multa tremula voce, et non erubuit se pocius cum iniuriis quam racione iuvare (Acta Cusana. Quellen zur Lebensgeschichte des Nikolaus von Kues, éd. par Erich Meuthen et Hermann Hallauer, vol. 1, part 2 : 1437 Mai 17-1450 Dezember 31, Hambourg, Meiner, 1983, no 482, p. 353).
28 Ibid., I 2, no 482, p. 357 : Continuavi igitur exclamacione virii a sepima hora usque post XImam hunc sermonem.
29 Ibid. : Post istum victoriosum conflictum fama undique sparsa est ruptos esse Basilienses atque victos.
30 Daniela Rando, Dai margini la memoria. Johannes Hinderbach (1418-1486), Bologne, Mulino, 2003.
31 RTA XXII, 2 Deutsche Reichstagsakten unter Kaiser Friedrich III., 8. Abt. 2. Halfte : 1471, éd. par Helmut Wolff, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, no 114h, p. 735-743, en particulier p. 737-738. Rapport écrit de Wunnebald Heidelbeck probablement produit entre le 23 juin et le 1er juillet. Voir Jörg Feuchter, ; « Rednerische “Performanz des Mächtigen” auf politischen Versammlungen (England und Frankreich vom 14. bis ins 15. Jahrhundert) », dans Christine Andenna, Gert Melville, Klaus Oschema, Jörg Peltzer (dir.), Die Performanz der Mächtigen. Rangordnung und Idoneität in höfischen Gesellschaften des späten Mittelalters, Ostfildern, Thorbecke, 2015, p. 103-119, ici p. 103 et suiv.
32 RTA XXII, 2, op. cit., p. 737 : Item nach der mess ging der keiser mitsampt dem cardinal, ouch allen fursten und botten in das rathaus in einen witen sal, daselbs ein diner des keisers, genant Tredentinus, offenlichen rett von des keisers wegen. […] Darnach seit er die ander sach, die nimand kont verstan noch merken, denn Tredentinus ist ist ein cleins manli und nit wol gesprech, dann der nechst neben im mocht nit wol verstan, was er seit ; er hat glich ein stim als die glock zu Olten ein ton, der tont als ein alten kessel. es floch iederman us dem sal on die fursten herrn und botten, die von eren wegen do musten bliben.
33 Voir la version plus étoffée de cet article en allemand, en préparation.
34 Lorsque, au cours des jours suivants, l’évêque d’Eichstätt, Wilhelm von Reichenau, lit une proposition à voix haute, Heidelbeck commente : der ist ein reder als Tredentinus (« c’est un orateur à la manière d’Hinderbach », autrement dit inaudible et incompréhensible) (RTA XXII, 2, op. cit., p. 739).
35 Voir supra, n. 31.
36 Zu anfangs des kaiserlichen tags tat der hoch furst und gnedige herr der bischof von Trient auf bevelh der kaiserlichen maiestat ein lange rede (RTA XXII, 2, op. cit., no 111, p. 597).
37 Considentibus proceribus surrexit Ioannes Inderbachius Tridentinus praesul, qui sermone Teutonico caesaris iussu longam habuit orationem (RTA XXII, 2, op. cit., no 112, p. 652 [4]).
38 Tredentinus der stund vor dem keiser, den mocht ouch nieman gesechen noch gehören ; es solt ein tapfer redlicher man mit einer verstentlichen luten rede uff einem hochen stul sin gewesen, dass man in hette mögen sechen (RTA XXII, 2, op. cit., no 114h, p. 737-738. L’iconographie des grands prédicateurs les montre juchés sur ce type de chaire.
39 Und wiewol Tredentinus nit verstanden wart, soi st doch das die meinung siner fulegunge, dass der Türck mit grosser macht richsne und alle cristenmenschen jung und alt, die er ankom, ertött […] Indem hat ouch Tredentinus vil alter historien erzelt […] mit vil unverstentlicher worten (RTA XXII, 2, op. cit., no 114h, p. 738).
40 Johannes Helmrath, « “Non modo Cyceronianus, sed etiam Iheronymianus’’. Gherardo Landriani, Bischof von Lodi und Como, Humanist und Konzilsvater », dans Franz J. Felten, Nikolas Jaspert (dir.), Vita Religiosa im Mittelalter. Festschrift für Kaspar Elm zum 70. Geburtstag, Berlin, Duncker & Humblot, 1999, p. 933-960, sur la performance à Bâle voir p. 956-961, et Id., Kommunikation auf den spätmittelalterlichen Konzilien, op. cit., p. 142 et suiv.
41 Lettre du 3 janvier 1433 de Francesco Pizolpasso à Antonio da Cremona. Le texte latin est publié par Angelo Paredi (éd.), La biblioteca del Pizolpasso, Milan, Hoepli, 1961, p. 204 : orationem habuit [i.e. Landriani] in misse celebritate apud primariam et cathedralem ecclesiam Basiliensem, sanctam et luculentam omnique substantia refertam gravitate sententiis ac facilitate, ut […] excelluerit omnes qui usque in hanc diem id loci conscendissent ad eiusmodi provintias exorandi. […] Sed in hoc dicendi genere novo inusitatoque [cf. Cic, pro Archia 1.1] sibi, quod mirabilius est accedit : ita enim clare, ita graviter, ita seriose pronuntiando edisseruit, nulla uel minima cum irritatione, titubatione uel pallore aut voce tremula, ut persepe assolet doctissimis et tritis viris accidere, ut stupor cunctis audientibus sit coniectus. Resonabat quidem illo dicente omnis ecclesia, stupebat omnis contio, mirabatur et omnis multitudo tantam eloquii et scientie vim atque splendorem. Stupebam et ego facundiam hominis fecunditatemque sacrorum, etsi etiam antea communicasset mecum amice : neque enim tanti extimare poteram virum nisi post huiusmodi luctam hac in tanta palestra. Nous soulignons.
42 Pii II Commentarii rerum memorabilium que temporibus suis contigerunt. Ad codicum fidem nunc primum editi ab Adriano Van Heck, Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1984, vol. 1, p. 228-229 : Post hec pontifex graui egritudine stomachi affectus est et arida tussi adeo uexatus, ut de uita eius et ipse et medici dubitarent. […] « Etsi me » inquit « media in contione mori oporteat, respondebo stomachanti legationi nec uincet animum dolor nec faciet egritudo, ut timere uidear ».
43 Pontifex languidus et ingenti dolore oppressus cubiculum exiit et in aula, sublimi sedens solio, indicto silentio pallidus et admodum anxius uix fari poterat. at ubi calor inualuit, ardens dicendi ui, dolore superato, affluentibus uerbis sine ullo labore locutus trium horarum habuit orationem, que maxima omnium attentione audita est (Pii II Commentarii, op. cit., vol. 1, p. 229). Et après avoir terminé l’oraison : pontifex ex aula in cubiculum rediit omni languore ac dolore liberatus : ita calor orationis frigus omne deiecit de stomacho (ibid., p. 229).
44 Nunquam fuisse papam qui verba fecisset magis papalia (ibid., p. 229).
45 Éditions des décrets : a) décret de la majorité Nuper haec sacrosancta (Conciliorum œcumenicorum generaliumque decreta, II, 2 : From Basel to Lateran V [1431-1517], éd. par Giuseppe Alberigo et Alberto Melloni, Turnhout, Brepols, 2013 [désormais COGD], p. 998-1002, éd. par Joachim Stieber) ; b) décret de la minorité Haec sacrosancta (COGD II, 2, p. 1185-1188, éd. par Joachim Stieber). Sur les circonstances et les arguments concernant le choix du lieu du concile d’union, Johannes Helmrath, « Locus concilii. Die Ortswahl für Generalkonzilien vom IV. Lateranum bis Trient », dans Annuarium Historiae Conciliorum, 27-28, 1995-1996, p. 593-661, ici p. 626-640. Sur la procédure de décision, Jürgen Dendorfer, « Inszenierung von Entscheidungsfindungen auf Konzilien des 15. Jahrhunderts, Zum Zeremoniell der ‘‘sessio generalis’’ auf dem Basler Konzil », dans Jörg Peltzer, Gerald Schwedler, Paul Töbelmann (dir.), Politische Versammlungen und ihre Rituale. Repräsentationsformen und Entscheidungsprozesse des Reichs und der Kirche im späten Mittelalter, Ostfildern, Thorbecke, 2009, p. 37-53.
46 Jean de Ségovie, Historia gestorum generalis synodi Basiliensis, dans Monumenta Conciliorum generalium seculi decimi quinti : Concilium Basiliense, vol. 2, éd. par Ernestus Birk, Vindobonae, 1873, p. 965-966 : Missa igitur finita Albinganensis episcopus ambonem ascendit lecturus decretum. Après l’échec d’une dernière tentative de compromis : Et tunc prefati episcopi altitonando simul legebant, ne eorum voces audirentur se invicem impedientes. […] Sed ille festine complente lecturam, ita ut Albinganensis parum legisset, per eos qui parte erant legatorum ceptum est cantari « Te deum laudamus » neque processit multitudine perstrepente. Et tunc quoniam dato silencio pacifice audiebantur, que legebat Albinganensis episcopus. […] Quibus finitis cantatum est « Te Deum laudamus », tripharie super verbo consueto responderi tranquille et quiete in fine sessionum die isto magno et permaximo audito clangore ; etenim clamabant qui magni « placet », qui vero minimi decretorum ex parte reclamabant « non placet », et tercium erat genus multis lacrimanter acclamantibus : « non placet contrarietas et divisio spiritui sancto ». Sed et quartum gloriantibus animosis quibusdam minoris partis publicacione scripture sue, quasi triumphum obtinuissent. Nous soulignons. Pour l’interprétation de ce texte, voir Dendorfer, « Inszenierung von Entscheidungsfindungen », art. cité, p. 37-39.
47 Enea Silvio Piccolomini, lettre à Pietro de Noceto du 23 mai 1437, dans Der Briefwechsel des Eneas Silvius Piccolomini, éd. par Rudolf Wolkan, I. Abt. : Briefe aus der Laienzeit (1431-1445), I. Band : Privatbriefe (Fontes Rerum Austriacarum, 61), Vienne, Alfred Hölder, 1909, no 24, p. 74 : Finitis vero de more orationibus ad decretorum ventum est pronunciationem. Inde Albiganensis loco alto atque eminenti et legentibus destinato decretum suum inchoavit, hinc Portugalensis suum impediebatque alter alterum neque ullus erat concurrentium inter se vocum intellectus. Prius tamen Portugalensis finivit, qui longe brevius decretum habuit, quod et sui approbarunt et hympnum ex consuetudine cecinerunt. Paulo post et Albiganensis peregit, cuius et approbata est lectio et cantibus acceptata hympnusque ille « te deum laudamus » per ora omnium insonabat tanquam sacrificium deo aliquod acceptissimum consummavissent […] vidi etinim alios plures de malo suo ignorantes ridere […]. Hic enim cantus aspexi eorum lacrimis et singultibus mixtus, qui scissuram ecclesie tenerrime deplorabant. Nous soulignons.
48 Monumenta conciliorum generalium, op. cit., vol. 2, p. 966.
49 Der Briefwechsel des Eneas Silvius Piccolomini, op. cit., vol. 1, 1, p. 74.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Marquer la ville
Signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-xvie siècle)
Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet (dir.)
2013
Église et État, Église ou État ?
Les clercs et la genèse de l’État moderne
Christine Barralis, Jean-Patrice Boudet, Fabrice Delivré et al. (dir.)
2014
La vérité
Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (XIIIe-XVIIe siècle)
Jean-Philippe Genet (dir.)
2015
La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010