Préface
p. 9-10
Texte intégral
1Les bicentenaires « napoléoniens » se poursuivent et continuent à approfondir les sujets les plus variés. Ils se sont déroulés patiemment, dans l’ordre chronologique, presque thème par thème et année après année, au bas mot depuis 1993, pour le bicentenaire du siège de Toulon.
2On se rappelle que tel n’avait pas été le cas, par exemple, pour la commémoration de la Révolution française, lorsque, dès 1989, une sorte d’embouteillage éditorial avait donné l’impression de « tuer » le sujet avant même que les recherches nouvelles n’aient eu le temps de mûrir. Il s’ensuivit une sorte de regrettable neutralisation des sujets « révolutionnaires » pendant plus d’une décennie, alors même qu’il y avait encore tant à faire, notamment sur la période post-conventionnelle qui représente – tout de même – la plus longue partie de l’épisode.
3Même impatient et gourmand, le napoléoniste ne peut que se réjouir de cet étalement qui a permis en nombre les colloques et journées d’études, les soutenances de mémoires et de thèses, les monographies en tous genres qui faisaient défaut aux études sur le Consulat et l’Empire, en France et en Europe. Il a aussi accueilli sans déplaisir le succès des nouvelles synthèses, des biographies renouvelées et de l’exploration systématique des sujets à développer, indiqués notamment dans son Napoléon ou le mythe du sauveur par Jean Tulard dès la fin des années 1970, et s’en ait réjoui. Surtout, il a applaudi à l’intérêt que l’Université s’est enfin découvert pour les études napoléoniennes, après avoir rejeté Madelin ou Masson et pris leurs successeurs – auxquels toutefois elle avait entrouvert la porte – avec des pincettes. L’ouvrage que l’on va lire est le fruit de ces efforts académiques et de cette maturation sur un champ dont le retentissement politique, sociologique et, plus simplement, humain dépasse largement l’année 1814. La voie en avait été préparée par quelques travaux antérieurs, dont plusieurs dus à Marie-Pierre Rey que l’on ne sera donc pas surpris de trouver ici en avant-garde de la brillante cohorte de spécialistes qui ont entrepris de raconter et d’analyser le déroulement et l’impact d’une confrontation inattendue entre les Français et les Russes, à l’occasion de l’épilogue de la campagne de France. Napoléon vaincu, Paris et la plus grande partie du pays occupés, les réquisitions, la police de l’occupant face à la Grande Nation humiliée, à la fois soulagée de la fin de la guerre mais commençant à penser qu’elle avait été « trahie » : tout aurait dû se passer mal. Et tout ne se passa pas si mal qu’on l’avait craint.
4 Pendant un semestre, de l’entrée en France, en janvier, à l’évacuation consécutive au traité de Paris, au début de l’été, avec entre les deux quelques combats acharnés, des attaques de partisans et des opérations parfois musclées de contre-guérilla, deux peuples qui ne se connaissaient pas se sont finalement rencontrés dans une ambiance étonnamment apaisée après tant de plaies, de bosses et de craintes. Et si tout ne fut pas rose dans cette occupation, comme nous le rappellent plusieurs contributions, une vraie surprise mutuelle naquit de ce qui aurait dû seulement être un choc de civilisations ou, au moins, une revanche de la dévastation de la route de Moscou par la Grande Armée (et de Moscou elle-même, car la responsabilité de Rostopchine était encore cachée par la partie russe) et la ruée d’une horde de « Barbares », peur bleue qui ne fut pas sans hâter les diverses capitulations après avoir un peu alimenté les corps-francs. On verra tout ceci dans la première partie.
5Vient ensuite le temps de la perception immédiate et des conséquences de cette rencontre. Mémoire, représentations, imaginaires au programme. C’est à ce moment que l’on peut se figurer l’influence à moyen et à long terme de l’événement ; d’une part, comment quelques dizaines de milliers de soldats et leurs chefs, au premier rang desquels un empereur plus libéral ici que chez lui, jouèrent un rôle remarquable dans la prise de conscience de la possibilité d’un dialogue et, d’autre part, comment les occupés finirent par se dire qu’un tel dialogue pourrait se prolonger au temps de la paix revenue.
6Tout ne fut pas gagné à l’issue de ce semestre, les politiques continuant à se chamailler autour du tapis vert et le retour de l’île d’Elbe provoquant la reprise de la guerre, mais ce bref moment influença sans doute la suite. Que l’art et la littérature s’en soient mêlés n’est bien sûr pas indifférent : ils firent vivre et magnifièrent le souvenir. Une grande part de la première impression se maintint : on pouvait s’entendre entre des « Barbares du Nord » qui l’étaient devenus un peu moins, et des « jacobins sans Dieu » qui ne l’étaient pas tant qu’on l’avait imaginé. Si bien que l’auteur de cette préface ne sera pas loin de conclure que la mémoire de cet événement – renouvelée plus tard par d’autres épisodes mais redécouverte grâce à cet ouvrage – n’est peut-être pas étrangère à cette relation particulière entre le peuple russe et le peuple français, au-delà des différends politiques qui n’ont pas manqué depuis.
Auteur
Directeur de la fondation Napoléon
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